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Appel à articles pour le Dossier 2020

6 Oct 2018.

La professionnalisation de la communication politique en question : acteurs, pratiques, métiers

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Coordination : Gersende Blanchard (GERiiCO, Université de Lille) et Sandrine Roginsky (LASCO, Université Catholique de Louvain).

Le dossier proposé souhaite interroger la professionnalisation de la communication politique. En effet, l’activité politique est de plus en plus professionnalisée, ce qui va de pair avec le développement de professions annexes liées à la profession politique (Offerlé, 2016). Il est néanmoins surprenant que les métiers de la communication restent généralement absents des travaux récents sur les modalités de professionnalisation des entourages des professionnels politiques (Offerlé, 1999/2017 ; Courty, 2005 ; Demazière et Le Lidec, 2014 ; Beauvallet et Michon, 2017). Si la communication est identifiée comme une dimension non négligeable du travail politique, les individus qui en ont la charge restent peu connus. Quand la dimension communicationnelle de l’activité politique est abordée, elle l’est généralement en creux, sans qu’on n’en sache beaucoup plus sur les trajectoires et les pratiques des acteurs sociaux en charge, partiellement ou totalement, des activités de communication pour des personnels politiques (élus ou en campagne pour l’être) et/ou pour leur organisation partisane. L’analyse de la professionnalisation de ces faiseurs de la communication, autrement appelés « travailleurs du symbolique » (Neveu, 1994 : 105), reste donc à faire, dans un contexte de technicisation et de perfectionnement des outils et stratégies de communication. Elle s’inscrit dans « l’analyse du marché des emplois en lien avec la politique » préconisée par Delphine Dulong (Dulong in Beauvallet et Michon, 2017 : 248).

Legavre (1999) estime que « l’établissement du rôle de communicateur est sans doute parallèle à la diffusion d’un discours centré sur l’avènement de la « société de communication » ». Comme Walter le relevait, « la communication est donc non seulement une idéologie, mais aussi un espace professionnel et un marché du travail. Ce qui suppose un investissement dans la légitimation de l’activité des professionnels qui s’y consacrent » (Walter, 1995 : 9). A ce titre, force est de constater que les observations établies dès les années 1990 sur la place centrale du discours porté sur la communication semblent toujours d’actualité ; elles sont peut-être même renforcées avec le développement des dispositifs socionumériques présentés comme objets communicationnels incontournables. Le contexte a en effet changé, à la fois dans le champ politique et dans le champ de la communication, depuis les années 1990, quand la littérature produite par les communicateurs eux-mêmes faisait alors l’objet d’études (Georgakakis, 1995 ; Neveu, 1998 ; Legavre, 1999). Il convient donc d’actualiser les connaissances sur les acteurs sociaux en charge de la communication dans le champ politique. L’entrée par la professionnalisation est heuristique et permet de mettre la focale sur leurs profils, leurs trajectoires et leurs activités.

La notion de professionnalisation de la communication politique est accompagnée par un certain flou et une diversité de définitions (Norris, 2000 ; Negrine et Lilleker, 2002) et de critères pour la caractériser (Negrine et al., 2007). Quand certains, se focalisant sur les acteurs, restreignent la professionnalisation à la seule embauche de personnels disposant de savoirs et savoir-faire spécifiques en communication, d’autres invitent à l’appréhender en dehors des pratiques de ces seuls spécialistes (Ollivier-Yaniv et Utard in Aldrin et al., 2014). Aussi, la professionnalisation de la communication politique, ce à quoi elle correspond et ce qu’elle recouvre ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté des chercheur.e.s qui s’y intéresse et mérite par conséquent d’être discutée. D’autant que le processus de professionnalisation dans le domaine de la communication apparaît en mouvement perpétuel, souvent instable et évolutif (Brulois et al, 2016), comme peut l’illustrer la difficulté à « se trouver un nom de métier » (Legavre, 2014). Toutefois, le développement des stratégies de communication et de postes, de plus en plus diversifiés, auprès tant des candidat.e.s que des élu.e.s, l’émergence de nouveaux marchés et de nouveaux intermédiaires liés à l’univers du numérique et l’exploitation des bases de données en politique, la multiplication de publications professionnelles dédiées produites soit par des journalistes, soit par des associations professionnelles, sont autant de phénomènes qui peuvent être considérés comme révélateurs d’un processus de professionnalisation de la communication politique ; comme peut également l’être le déploiement de formations supérieures spécialisées, notamment universitaires. La dispersion de l’enseignement de la communication dans différentes disciplines, en premier lieu desquelles les sciences de l’information et de la communication et la science politique, n’est d’ailleurs pas sans interroger les représentations des compétences attendues à l’exercice des métiers qui lui sont attachés et la structuration de la professionnalisation qui se dessine. La question de la professionnalisation amène ainsi à penser l’articulation « entre pratiques professionnelles et formation » (Lépine et David, 2014).

A l’image des formations en communication, fondamentalement transdisciplinaires ou pluridisciplinaires, les parcours professionnels des « communicants » sont eux aussi hétérogènes (Coutant, 2009), les professionnels de la communication politique pouvant être ainsi « tiraillés entre diverses conceptions de leur rôle » (Riutort, 2007 : 86) et être enclins à passer d’un univers professionnel à un autre (Legavre, 1996).

Ce dossier invite à s’intéresser aux acteurs, aux métiers et aux pratiques de la communication politique en situation de conquête et d’exercice du pouvoir, quel que soit l’échelle (étatique, locale, européenne) ou le domaine d’action publique concernés, ainsi qu’aux relations que ces acteurs entretiennent, de manière volontaire ou subie, avec les acteurs d’autres sphères professionnelles (médiatique, institutionnelle, administrative, partisane, marchande…). En ce sens, il convient d’interroger l’hybridité de l’activité professionnelle, la porosité des frontières entre segments professionnels jouant à plein dans le domaine de la communication (Kaciaf, 2011). Ce faisant, il s’agit de poursuivre l’exploration de la dimension communicationnelle de l’activité politique dont la diversité et la diversification des acteurs œuvrant à son développement a pu être mise en évidence (Aldrin et al., 2014 : 13). Ce sont donc à la fois les acteurs de la communication électorale et ceux qui œuvrent au sein et au service des institutions, aux côtés des élu.e.s, qui seront objets de l’attention. En cela, on se dissocie de la frontière, d’ailleurs poreuse, établie entre communication politique et communication publique, pour mieux appréhender les continuités, va-et-vient et similitudes qui traversent ces univers d’exercice de la profession. En ce sens, on est conscient que ce syntagme renvoie « à des mots de la pratique, à des catégorisations indigènes en somme » (Legavre in Aldrin et al., 2014 : 43), dont il s’agit ici de se détacher.

Quatre axes de réflexion sont particulièrement envisagés pour analyser les acteurs, les pratiques et les métiers de la communication politique dans le cadre de ce dossier. Les articles proposés pourront notamment, mais non exclusivement, s’articuler autour de ces axes.

Axe 1. Trajectoires

Cet axe doit permettre de mettre au jour et à jour les propriétés sociales et les compétences valorisées par les acteurs en charge de la communication dans le secteur politique à travers l’analyse de leur parcours et trajectoires professionnels. Quels sont les processus et critères de recrutement pour occuper ces fonctions ? Quelles sont les ressources nécessaires pour devenir communicants dans le champ politique ? Et comment se déploient les carrières des communicateurs politiques ? Circulent-ils entre organisations partisanes et institutions ? En ce sens, la communication politique constitue-t-elle un segment professionnel différencié et autonomisé, ou au contraire la porosité des frontières entre segments professionnels joue-t-elle un rôle dans la trajectoire des individus ? L’idée de faire converser les perspectives et apports des travaux menés sur les faiseurs de la communication politique avec ceux de la sociologie des groupes professionnels apparait particulièrement heuristique.

Axe 2. Activités

Il s’agit ici d’interroger les modalités de professionnalisation des acteurs en charge d’activités de communication dans le champ politique au regard du déploiement continu d’équipements et d’ « armements communicationnels » (Aldrin et Hubé, 2017 : 161). Aldrin et Hubé (2014 : 171) notent ainsi que « si rien ne change dans le fond (les principes et les intentions de la légitimation politique dans l’ordre politique »), « tout change dans les formes (les façons de faire le travail informationnel et symbolique de la compétition politique) ». Cet axe souhaite non seulement interroger l’évolution des « façons de faire » la communication dans le champ politique, mais aussi réfléchir aux conséquences que celles-ci ont sur le processus de professionnalisation des acteurs directement concernés. L’activité des communicateurs de la politique peut ainsi sembler a priori éclatée, tant elle recouvre des dimensions diverses que l’activité en direction des journalistes ne peut à elle seule résumer (Pailliart, 2000). Qu’y-a-t-il de commun entre un.e « community manager », un.e attaché.e de presse, un.e conseiller.ère en communication, un.e chargé.e de campagne, etc. ? Que se passe-t-il quand un.e collaborateur.trice doit être tout à la fois (on pense ici aux assistant.e.s parlementaires) ? Qui plus est, dans quelle mesure le développement et la technicisation de la communication viennent-ils interroger les pratiques professionnelles des communicateurs politiques ? Il s’agit ici par conséquent de s’intéresser aux spécialisations, expertises, tâches et responsabilités qui sont celles des communicateurs du politique.

Axe 3. Relations

Cet axe souhaite se pencher sur les relations qui se jouent entre les faiseurs de la communication politique dans un contexte marqué par une division du travail politique et la spécialisation des tâches qui en découle.
La multiplication et la sophistication des dispositifs de communication mis au service des stratégies d’accès ou de conservation du pouvoir par les femmes et les hommes politiques sont accompagnées par une diversification et une spécialisation exacerbée de leurs entourages. Quels rapports de coopération, de complémentarité, de rivalité entretiennent-ils entre eux et avec les métiers qui les entourent ? Par exemple, l’apparition de nouveaux types d’intermédiaires, dans le cadre de l’intégration du numérique dans les pratiques communicationnelles du politique, invite à s’interroger sur les nouveaux enjeux de pouvoir qu’elle révèle.

Axe 4. Représentations

Cet axe invite à étudier les représentations des professions et professionnels de la communication politique à partir de trois points de vue : celui des représentations médiatiques qui sont données de ces professions et professionnels ; celui des mises en scène de soi auxquelles se livrent ces professionnel.le.s à travers les usages qu’ils font du numérique, et notamment des réseaux socionumériques, pour forger leur identité et cultiver leurs réseaux ; et enfin celui des représentations que se font d’eux celles et ceux pour qui ils travaillent et à qui ils livrent leur expertise.
Il s’agit notamment de déconstruire le travail symbolique qui accompagne la constitution et l’entretien du marché de la communication politique, comme celui, plus récent, des données et du management électoral, et de chercher à décrypter la manière dont il vient alimenter et servir la croyance en leur utilité et leur efficacité. A titre d’exemple, l’analyse du discours du management électoral porté par les agences et start-up spécialisées en stratégie électorale apparait comme un travail essentiel à mener.

Modalités de soumission

Ce dossier se donne pour objectif d’interroger la professionnalisation de la communication politique, tant la manière de la définir que la manière de l’identifier et de l’appréhender. Il présente, en ce sens, un intérêt marqué pour les réflexions méthodologiques et/ou épistémologiques.

Le dossier veillera par ailleurs à croiser les regards sur les contextes différents dans lesquels œuvrent les faiseurs de la communication politique, en s’intéressant aux différentes temporalités qui sont celles du champ politique, et en articulant par conséquent une analyse des trajectoires et pratiques des communicateurs politiques à la fois en temps de campagne électorale et pendant le quotidien politique.

Enfin les propositions qui permettent de croiser les regards sur les pratiques et caractéristiques des acteurs de la communication politique de différents pays et systèmes démocratiques, pour mettre en perspective les similitudes ou dissemblances remarquables, sont également les bienvenues.

Les propositions (4000 signes espaces non compris, bibliographie indicative non comprise) présentent une problématique, une méthodologie et apportent des éléments sur les résultats et conclusions envisagés. Elles sont à adresser aux responsables scientifiques du dossier Gersende Blanchard et Sandrine Roginsky pour le 15 janvier 2019.

Adresses : gersende.blanchard@univ-lille.fr et sandrine.roginsky@uclouvain.be.

Après sélection par le comité de lecture (réponse le 01 mars 2019), les premières versions complètes des textes (de 25 000 signes espaces non compris et rédigés selon les normes éditoriales des articles de la revue disponibles à cette adresse : https://lesenjeux.univ-grenoble- alpes.fr/soumettre) sont à remettre pour le 15 juin 2019, elles seront soumises alors à une évaluation en double aveugle.

A la suite de cette phase, la version définitive du texte (prenant en compte les éventuelles remarques et retours des évaluateurs), incluant les corrections mineures ou majeures demandées, sera soumise au comité éditorial de la revue qui est souverain pour l’accord définitif de publication prévu en mai 2020.

Références bibliographiques :

Aldrin, Philippe, Hubé Nicolas, 2017, Introduction à la communication politique, Louvain-la-Neuve : De Boeck.

Aldrin, Philippe, Hubé, Nicolas, Ollivier-Yaniv, Caroline, Utard, Jean-Michel (sous la dir. de), Les mondes de la communication publique, Rennes, PUR.

Beauvallet Willy, Michon, Sébastien, 2017, Dans l’ombre des élus. Une sociologie des collaborateurs politiques, Villeneuve d’Ascq : Septentrion.

Brulois Vincent, Carignan, Marie-Eve, David, Marc D., Errecart, Amaia, 2016, « Dynamiques de professionnalisation en communication: entre ruptures et continuités, prescription et émancipation », Communication et Professionnalisation, n°4, p.5-22.

Courty, Guillaume (sous la dir. de), 2005, Le travail de collaboration avec les élus, Paris, Michel Houdiard Editeur.

Coutant, Alexandre, 2009, « Les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés : les difficultés d’accord entre les professionnels de la communication », Communication & organisation, n°35, p.227-239.

Demazière, Didier et Patrick Le Lidec, 2014, Les mondes du travail politique. Les élus et leurs entourages, Rennes, PUR.

Georgakakis, Didier, 1995, « La double figure des conseils en communication politique. Mises en scène des communicateurs et transformations du champ politique », Sociétés contemporaines, n°24, p.77-94.

Kaciaf, Nicolas, 2011, « L’entre-deux identitaire de la communication interne. Les logiques d’engagement et de distanciation à une spécialité professionnelle », In Kaciaf, Nicolas, Legrave, Jean-Baptste, (dir.) Communication interne et changement, Paris : L’Harmattan, p.33-54.

Legavre, Jean-Baptiste, 1996, « D’un groupe à l’autre. Le passage de l’expertise en communication à la pratique politique professionnelle », Politix, vol.9, n° 35, p. 131-148.

Legavre, Jean-Baptiste, 1999, « Crise de la représentation et nouvel homme politique. Le métier politique au prisme des conseils en communication politique », In Poiremeur, Yves, Mazet, Pierre, Le métier politique en représentations, Paris : L’Harmattan, p. 183-211.

Lépine Valérie, David, Marc D., 2014, «Pratiques et réflexions autour des dispositifs d’apprentissage et de formation des communicateurs », Cahiers du Resiproc, 2, p.5-11.

Negrine, Ralph, Lilleker, Darren, 2002, « Continuities and Change in Media Practices », European journal of communication, 17(3), p.305-323.

Neveu, Erik, 1994, Une société de communication ?, Paris : Montchrestien.

Neveu, Erik, 1998, « La communication politique : un chantier fort de la recherche française », Polis, vol 5(1), p 32-49.

Norris, Pippa, 2000, A virtuous circle, Political communication in posindustrial societies, United States, Cambridge University Press.

Offerlé, Michel, 1999/2017, La profession politique XIXème siècle-XXème siècles, Belin.

Offerlé Michel, 2016, « La profession politique en question : habits usés et habits neufs du capital politique », Regards croisés sur l’économie, n°18(1), p.108-118.

Pailliart, Isabelle, 2000, « Les enjeux locaux de la démocratie électroniques », Hermès, n°26-27, p.129-138.

Riutort, Philippe, 2007, « Sociologier la communication politique ? A propos de quelques tendances de la science politique française », Politique et Sociétés, Vol.26, n°1, p.77-95.

Walter, Jacques, 1995, Directeur de communication. Les avatars d’un modèle professionnel, Paris: L’Harmattan.

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