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Appel à articles : L’entretien de recherche en sciences de l’information et de la communication : interroger les professionnel·les du discours ?

19 Oct 2024.

Revue scientifique en sciences de l’information et de la communication

Coordination :

  • Jean-Philippe De Oliveira, Gresec, Université Grenoble Alpes
  • Simon Gadras, Elico, Univ. Lumière Lyon 2
  • Chloë Salles, Gresec, Univ. Grenoble Alpes

Ce Supplément ambitionne de remettre en perspective la pratique de l’entretien de recherche dans les recherches en sciences de l’information et de la communication qui visent des terrains dont les acteurs et actrices sont parfois des « experts de la parole » (Broustau et al., 2012, p. 7), pour certain∙es rompu∙es à l’exercice de l’entretien professionnel et qui, plus largement, partagent des caractéristiques sociales avec les chercheur·es (diplômes, expertises, engagements, goûts culturels, etc.). Il porte donc sur des entretiens de recherche menés auprès d’enquêté·es qui déploient des compétences interactives et langagières dans leurs activités, tels que les journalistes, les chargé·es de communication, les responsables d’associations, de syndicats et de partis politiques, les hommes et les femmes politiques, les scientifiques, etc. Ainsi, alors que selon Pierre Bourdieu dans La misère du monde, « c’est l’enquêteur qui engage le jeu et institue la règle du jeu, [qui] assigne à l’entretien, de manière unilatérale et sans négociation préalable des objectifs et des usages » (Bourdieu, 2015, p. 1393), comment les conditions de l’exercice se trouvent-elles défiées face à des acteurs·trices qui en maîtrisent les enjeux ?

L’enjeu principal de ce numéro est l’analyse de la spécificité des entretiens dans le cadre des Sic et de leurs objets.

La méthodologie de l’entretien bénéficie d’une littérature significative au sein de manuels de méthodologie en sciences humaines et sociales (Kaufmann, 2016 ; Paillé & Mucchielli, 2021 ; Marquet, Van Campenhoudt & Quivy, 2022). Elle fait également l’objet de nombreuses publications en sociologie, discipline qui a érigé l’entretien en « méthode par excellence pour saisir les expériences vécues des membres de collectivités, pour comprendre les significations attribuées à une activité par ceux qui y sont engagés, pour appréhender les interprétations que les individus font des situations et mondes auxquels ils participent » (Demazières, 2012, p.30).

En Sic, alors que de nombreux manuels s’intéressent aux méthodes sur corpus, aucun ne traite spécifiquement de l’entretien. Il est toutefois abordé parmi d’autres méthodes dans les rares manuels transversaux (Seurrat, 2014). En dehors de ces ouvrages, quelques chercheur·es ont émis des propositions sur les conditions de l’entretien et de son traitement (Bertaux, 1997, 2016) et ont partagé leurs réflexions sur l’utilisation de cette méthode (Legavre, 2013), mais peu ont finalement interrogé l’enjeu de l’entretien dont la caractéristique est de se dérouler auprès de professionnels habitués de l’entretien (Bastin, 2012).

Ce numéro s’inscrit également dans le souhait de questionner la pratique de l’entretien de recherche en fonction des cadres théoriques et des objectifs de recherche au sein desquels elle est mobilisée. Comment le choix de la méthode de l’entretien s’effectue-t-il (recherche orientée profession, travail, mobilisation, controverse, etc.) ? L’enjeu est aussi d’interroger le statut, la place et le rôle de l’entretien de recherche au sein des méthodes mises en place par les chercheur.es pour développer leur problématique. L’entretien occupe-t-il une place centrale ou une place complémentaire ? Intervient-il au sein d’un croisement d’approches ou d’une bipolarisation entre démarches quantitative et qualitative ? Cet appel voudrait apporter des analyses portant plus particulièrement sur la relation entre entretien et corpus dans le cadre d’une même recherche. Quelles sont les implications qui découlent d’un rapprochement de cadrages empiriques différents, par exemple entre un corpus d’entretiens et un corpus de productions discursives professionnelles des interlocuteurs·trices ?

Quatre axes sont proposés ci-dessous. Ils ne sont pas établis comme des thèmes distincts les uns des autres, mais comme les différentes dimensions d’une même orientation, que les auteur·es sont libres de mobiliser au service de leur argumentation.

Axe 1 : Dans quelles conditions et à quelles fins mener l’entretien ?

Le premier axe interroge les objectifs et modalités du choix de recourir à l’entretien : quelles raisons poussent le.la chercheur·e à mobiliser cette méthode plutôt que d’autres ? Existe-t-il des sujets qui appellent de manière systématique à l’emploi de l’entretien, et d’autres pour lesquels les entretiens pourraient être déconseillés ? Dans quelle mesure des éléments comme la problématisation de la recherche, l’accessibilité du terrain d’enquête ou encore les habitudes des chercheur.es participent-ils à ce choix ? Une autre interrogation concerne les modalités de l’entretien : comment le.la chercheur·e décide du genre d’entretien à mettre en œuvre (directif, semi-directif ou libre), conçoit et prépare son déroulé ? Cela a trait par exemple à la sélection et à la collecte d’informations sur les enquêté·es ou encore la rédaction de guides d’entretien et l’organisation des conditions de déroulement (prise de contact, lieu, enregistrement…).

Axe 2 : Quelles spécificités de l’entretien auprès d’acteurs·trices dits « spécialistes » du discours ?

Le deuxième axe concerne plus particulièrement les enquêté.es (ce terme lui-même pouvant être discuté) : qu’est-ce qui se joue dans le choix d’interroger des acteurs dotés de compétences discursives ? Cet axe interroge la spécificité du rapport au(x) discours des enquêtés dans le cadre de recherches en Sic. Si l’expression « professionnel du discours » est parfois mobilisée dans la littérature scientifique, il est nécessaire de considérer plus largement le rapport aux construits discursifs des enquêté·es, dont les capacités discursives et le rapport à l’entretien varient selon les profils. Le positionnement des enquêté·es face à l’entretien implique-t-il que la relation qui se noue puisse être considérée en termes de dialogue, de distance ou de négociation ? En outre, comment les spécificités des acteurs·trices enquêté·es sont-elles à prendre en compte dès la première prise de contact ? La tonalité des échanges qui suivront dépend-elle de cette première amorce ? Comment ces capacités discursives peuvent-elles être anticipées et dans quelle mesure doivent-elle être prises en compte dans l’interprétation des résultats ? L’entretien se devrait-il ainsi d’être croisé avec d’autres méthodes d’enquête ?

Axe 3 : Comment prendre en considération les conditions du déroulement de l’entretien ?

Le troisième axe porte sur les modalités de passation en tant que telles, tout ce qui se joue pendant l’entretien, autant dans le déroulé de celui-ci que dans tous les éléments connexes de ce moment. Qu’est-ce qui apparait dans les à-côtés de l’entretien, les imprévus, les incidents, le contexte ou les coulisses ? Dans quelle mesure tous ces éléments doivent-ils être appréhendés par le.la chercheur·e ? Que font-ils à l’entretien ? Les propositions ne doivent pas hésiter à présenter concrètement des exemples de situation, liés par exemple à une méfiance des acteurs interrogés, à la relation de genre qui peut influencer le déroulé de l’entretien, voire à des rapports de force et de pouvoir du fait du statut des interwievé·es. Plus largement, le Supplément mettra en évidence, à travers la technique de l’entretien, les modalités de la professionnalisation du discours et plus généralement les stratégies de positionnement des acteurs dominants.

Axe 4 : Quelles spécificités des résultats et de quelles manières les exploiter ?

Le quatrième axe s’intéresse à l’extraction de résultats à partir des entretiens menés, et à leur mobilisation dans l’analyse. Il s’agit ici de comprendre la façon dont des entretiens sont exploités par les chercheur.es : enjeux de la transcription, des méthodes d’analyse et des modalités de citation dans l’exploitation des résultats. En plus de savoir de quelles manières l’entretien est utilisé pour nourrir la recherche, il serait intéressant de comprendre ce qui en est mobilisé, et ce qui ne l’est pas : s’agit-il de la seule parole des enquêté.es, ou d’autres éléments plus ou moins explicites sont-ils également utiles à l’analyse ? Les nouvelles méthodes –informatisées- contribuent-elles à travailler sur un plan plus quantitatif les entretiens et offrent-elles des perspectives d’analyse différente ?

À travers ces quatre axes, nous souhaitons analyser l’ensemble du processus de recherche qui recourt à la méthode de l’entretien. Nous attendons enfin que les propositions se développent le plus possible à partir de cas concrets et de situations de recherche particulières qui offrent la possibilité d’analyser cette technique de recherche dans les travaux en SIC.

Modalités de soumission

Les propositions de résumés (5 000 signes espaces comprises, bibliographie indicative non comprise) comprendront un titre, une présentation de l’article et de son cadre théorique, de l’objet et des méthodes mobilisées ainsi que les nom, prénom, statut, rattachement institutionnel et email de l’auteur.trice. Elles sont à adresser pour le 4 octobre 2024 dernier délai  aux coordinateur·rice·s du Supplément aux adresses suivantes : jean-philippe.de-oliveira@univ-grenoble-alpes.fr, simon.gadras@univ-lyon2.fr et chloe.salles@univ-grenoble-alpes.fr.

Les résumés acceptés donneront lieu à des articles qui seront soumis à des évaluateurs.trices selon le principe du « double aveugle ».

Calendrier

4 octobre : date limite d’envoi du résumé
4 novembre : notification aux auteurs.trices de l’acceptation ou du refus
31 janvier 2025 : date limite d’envoi des articles (V1) aux coordinateurs.trice
28 mars : envoi des évaluations aux auteurs.trices
19 mai : date limite de renvoi des articles (V2) aux coordinateurs.trice
29 juin : processus de révision éditoriale
Automne 2025 : publication

Bibliographie sélective

Bastin, Gilles (2012), « Le « cas Mathieu » ou l’entretien renversé », Sur le journalisme, 1 (1), pp.40-51.

Bertaux, Daniel (1997), Les récits de vie : perspective ethnosociologique, Paris : Nathan Université.

Bertaux, Daniel (2016), Le récit de vie-4e édition, Armand Colin.

Bourdieu, Pierre (2015), La misère du monde, Éditions du Seuil.

Broustau, Nadège ; Jeanne-Perrier, Valérie ; Le Cam, Florence ; Pereira, Fabio Henrique, (2012), « L’entretien de recherche avec des journalistes, Propos introductifs », Sur le journalisme, About journalism, Sobre jornalismo, 1(1).

Demazière, Didier (2012), « L’entretien de recherche et ses conditions de réalisation. Variété des sujets enquêtés et des objets de l’enquête », Sur le journalisme, About journalism, Sobre jornalismo, 1(1).

Kaufmann, Jean-Claude. L’entretien compréhensif, Armand Colin, 2016

Legavre, Jean-Baptiste (2013), « L’entretien. Une technique et quelques-unes de ses « ficelles » », (p.35-55) in Olivesi Stéphane (dir.), Introduction à la recherche en SIC, Presses universitaires de Grenoble.

Marquet, Jacques ; Van Campenhoudt, Luc ; Quivy, Raymond, (2022) Manuel de recherche en sciences sociales, Armand Colin.

Paillé, Pierre ; Mucchielli, Alex, (2021), L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Armand Colin.

Seurrat, Aude (dir.) (2014), Ecrire un mémoire en sciences de l’information et de la communication. Récits de cas, démarches et méthodes, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle.

 

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