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Instagram, un soutien contrasté à la mondialisation des marques muséales et à la diplomatie d’influence. Les cas du Louvre et du Centre Pompidou

24 Août, 2021

Résumé

La mondialisation des marques « Louvre » et « Centre Pompidou » s’opère notamment par la création du Louvre Abu Dhabi et du Centre Pompidou Málaga. La communication numérique et plus particulièrement Instagram sont investis par ces musées publics français et ceux créés à l’étranger en valorisant leurs marques. Nous avons observé et analysé toutes les publications de ces quatre musées sur Instagram entre le 12 mars au 12 août 2020 (n = 418) pour se poser la question du soutien à la mondialisation des marques muséales et à la diplomatie d’influence par cette modalité de la communication numérique.

Mots clés

Marque muséale, Instagram, diplomatie d’influence, Louvre, Centre Pompidou

In English

Title

Instagram, contrasting support for the globalization of museum brands and diplomacy of influence. The cases of the Louvre and the Centre Pompidou.

Abstract

The globalisation of the « Louvre » and « Centre Pompidou » brands is taking place in particular through the creation of the Louvre Abu Dhabi and the Centre Pompidou Málaga. Digital communication and more particularly Instagram are being invested by these French public museums and those created abroad by promoting their brands. We observed and analysed all the publications of these four museums on Instagram between 12 March and 12 August 2020 (n = 418) to ask ourselves the question of how this digital communication method can support the globalisation of museum brands and influence diplomacy.

Keywords

Museum brand, Instagram, diplomacy of influence, Louvre, Centre Pompidou

En Español

Título

Instagram, contrastando el apoyo a la globalización de las marcas de los museos y la diplomacia de la influencia. Los casos del Louvre y del Centre Pompidou.

Resumen

La globalización de las marcas « Louvre » y « Centre Pompidou » se lleva a cabo, en particular, mediante la creación del Louvre Abu Dhabi y del Centre Pompidou Málaga. Estos museos públicos franceses y los creados en el extranjero invierten en la comunicación digital y, en particular, en Instagram, promocionando sus marcas. Observamos y analizamos todas las publicaciones de estos cuatro museos en Instagram entre el 12 de marzo y el 12 de agosto de 2020 (n = 418) para plantearnos la cuestión del apoyo a la globalización de las marcas de los museos y a la diplomacia de la influencia a través de esta modalidad de comunicación digital.

Palabras clave

Marca de museo, Instagram, diplomacia de la influencia, Louvre, Centro Pompidou

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Alcantara Christophe, Peyre Nicolas, « Instagram, un soutien contrasté à la mondialisation des marques muséales et à la diplomatie d’influence. Les cas du Louvre et du Centre Pompidou », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°22/3A, , p.89 à 106, consulté le jeudi 25 avril 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2021/supplement-a/06-instagram-un-soutien-contraste-a-la-mondialisation-des-marques-museales-et-a-la-diplomatie-dinfluence-les-cas-du-louvre-et-du-centre-pompidou/

Introduction

Des musées créés à l’étranger valorisent une marque muséale publique française. C’est le cas du Louvre Abu Dhabi (LAD) et du Centre Pompidou Málaga (CPM). La notion de marque muséale (Regourd, 2018) est au centre des contrats signés avec les partenaires étrangers (Cornu, Frigo, 2009 ; Peyre, 2018). Le paradigme des 4M qui associe Musée, Marque, Marchandisation et Mondialisation (Peyre, 2020) est une grille de lecture possible de la valorisation financière et symbolique de la marque d’un musée. Cette internationalisation est également liée à l’influence de la France dans le monde dans le cadre d’ « une géopolitique des musées » (Mairesse, 2019) par, notamment, l’action de la diplomatie d’influence (Peyre, 2020), c’est-à-dire, dans le cadre de la politique étrangère de l’État, de la coopération culturelle avec les pays partenaires, d’une part, et de la promotion de la culture et de la langue dans le but d’influencer les sociétés civiles, d’autre part. Nous pensons, dans la continuité des travaux de Kerret (Kerret, 2019), que la marque muséale se construit à partir de l’identité visuelle du musée. Elle raconte une organisation (récit) grâce notamment à l’identité visuelle qui est déterminée par « des attributs identitaires » que sont les collections et activités du musée, « son histoire et les missions qu’il s’est donnés, mais aussi par un bâtiment, une architecture » (Kerret, 2019: 15), son nom, son logotype et sa charte graphique. Celle-ci intervient à la toute fin du processus de la construction identitaire du musée. Précisons que l’identité visuelle est également constituée des valeurs affichées et mises en scène sur les réseaux socionumériques, qui sont partagées pour créer et pour développer une communauté de référence. En définitive, le logo, la « charte graphique, chromatique et typographique » vont représenter cette identité « et cet ensemble de signes et outils visuels » va « relayer artificiellement » cette identité des musées (Kerret, 2019: 15).

Ceux qui disposent dès lors d’une image de marque (c’est à dire « l’identité perçue, interprétée et intériorisée par les publics » (Ibid, 27), d’un capital symbolique fort, visent à diversifier leurs activités et leurs ressources financières dans le cadre de ce paradigme des 4M lié à un mouvement de fond, celui de l’économie créative (Desvallées, Mairesse, 2011 ; Peyre, 2018, 2020). Les marques « Louvre » et « Centre Pompidou » deviennent dès lors un instrument pour la création de musées à l’étranger, ce que plusieurs rapports officiels ont par ailleurs promu depuis 2006[1].

L’identité visuelle et plus largement la marque sont des vecteurs de communication auprès du public (fonction de médiation) qui visite le Louvre ou le Centre Pompidou et donc aussi auprès de celui qui se rend (ou qui souhaite s’y rendre ou qui est simplement intéressé) au LAD ou au CPM. Les missions de référence d’un musée[2] sont dès lors affectées par le développement conséquent de la communication numérique des institutions muséales. L’émergence d’un « écosystème » numérique muséal (Corral-Regourd, Alcantara, 2015) est en effet une réalité qui s’est renforcée ces dernières années. Les grands musées ont à présent des agents dédiés à la communication numérique. Les réseaux sociaux les plus investis sont Facebook, Twitter, Instagram et YouTube. Créé en 2010, Instagram est initialement dédié à la photographie et à la vidéo. Cette application, rachetée par Facebook en 2012, intègre au fil du temps des fonctionnalités de communication et de partage déployant ainsi un modèle économique pour attirer des annonceurs à partir d’une audience en forte croissance. C’est ainsi que 7 hashtags sur 10 sont sponsorisés sur Instagram[3]. Selon les chiffres officiels de l’entreprise, celle-ci compte 1,221 milliard d’utilisateurs actifs mensuel en 2021[4]. Plus de 500 millions de comptes utilisent les stories Instagram chaque jour et plus de 100 millions de photos et vidéos sont postées par 24 heures. Le segment de population des16-34 ans représente 76% des utilisateurs, et celui des 35-44 ans, 17%. Instagram concerne donc un public jeune. Et cet engouement est visible dans le champ muséal. A titre d’exemple, le compte du Louvre est passé de 2,2 millions d’abonnés en 2018 à plus de 4,1 millions en mai 2020, soit une augmentation proche de 100% en dix-huit mois. Pour animer de tels écosystèmes Web, la fonction de community manager est apparue de façon empirique au sein des institutions muséales depuis quelques années. En effet, si l’on considère qu’un community manager est une personne ressource dans une organisation dont la principale fonction est d’animer une communauté en ligne et de générer de l’audience à partir d’un ensemble de réseaux socionumériques, alors il est important de rappeler que «  les community manager et les réseaux socionumériques sont des objets inédits en muséologie » (Couillard, 2017: 12).

A partir de ce contexte tout à fait singulier et récent (prêt à titre onéreux de la marque muséale, création de musées à l’étranger, développement de la communication numérique), nous observons et analysons, dans cet article, les éventuels « attributs identitaires » des marques évoquées plus haut au sein des réseaux sociaux et plus particulièrement d’Instagram, très investi par le public et par les musées. Le caractère mondialisé des réseaux sociaux numériques permet de saisir le mode opératoire de « musées stars » (Frey, 1998) comme le Louvre et le Centre Pompidou dans cette stratégie de diversification et de mondialisation. Une approche qui place également ces observations dans la perspective du soutien des musées à la diplomatie d’influence de l’État français puisque ceux-ci sont des établissements publics (EP) sous tutelle du ministère de la Culture.

C’est pourquoi nous cherchons d’abord à connaitre la manière dont les stratégies de communication numérique du Louvre et du Centre Pompidou confortent leur logique de marque par Instagram dans ce contexte de mondialisation. Comment, ensuite, celles du Louvre Abu Dhabi et du Centre Pompidou Málaga valorisent-elles les leurs ? Enfin, quels sont les rapports et les tensions entre ces quatre marques toujours dans leur communication par Instagram ?

Une première partie s’attachera à analyser ce nouvel axe de la stratégie internationale du Louvre et du Centre Pompidou. Il conviendra alors, dans une seconde partie, d’observer et d’analyser notre corpus pour s’interroger sur les rapports entre la communication numérique par Instagram et la mondialisation de la marque muséale et la diplomatie d’influence.

Sur un plan méthodologique, nous avons analysé les comptes Instagram du Louvre, du Louvre Abu Dhabi, du Centre Pompidou et de celui du Centre Pompidou Málaga. La production et la publication de photographies par l’institution relèvent dans ce cas précis d’une volonté de communiquer. La dimension symbolique est un trait d’union qui permet à un tiers de comprendre, de décrypter et de rapprocher un sens ou une connotation associée à la photographie. La photographie, et plus largement l’image, est porteuse d’une intentionnalité et d’une volonté d’exprimer quelque chose (Barthes, 1964). Par-delà la perception d’une photographie, il existe l’interprétation qui est forcément personnelle. L’image, et plus spécifiquement la photo, relève d’une transmission symbolique. Celle-ci est une émotion et un accès direct à la photographie brute qui est alors une image pure (Barthes, 1964: 41). Le monde numérique dans lequel nous vivons est « pervasif », c’est-à-dire « qu’il pénètre toutes nos activités, des plus intimes aux plus collectives » (Boullier, 2016: 6). Or, la pratique photographique est tellement distribuée dans toutes les couches de la population que celle-ci en devient un langage relationnel. Dans l’univers numérique qui est notre quotidien, la photographie numérique s’inscrit dans le régime de « l’Homme-trace », qui désigne « cet homme du XXIème siècle laissant partout les traces de son passage et de ses activités » (Galinon-Mélénec, 2011: 13). La trace est totalement intégrée à l’acte de communiquer en ligne. « Ainsi, après avoir appris qu’on ne peut pas ne pas communiquer, nous devons admettre qu’on ne peut pas ne pas laisser de traces… » (Merzeau, 2008: 159). Les photographies numériques relèvent donc d’un régime de traces visibles qualifiées de « traces déclaratives » (Merzeau, 2013: 38). Sur un plan opératoire, à partir de ce cadre d’analyse, nous nous sommes intéressés à la période qui va du 12 mars au 12 août 2020. Cette séquence intègre volontairement la période de confinement et de fermeture des musées cités. Cette donnée exogène est un catalyseur pour l’institution qui doit engager une démarche réflexive sur son identité, ses valeurs et donc sa marque au cours de cette période puisque le flux régulier des informations et activités associées s’est tari. C’est l’ensemble des marqueurs de la marque muséale cités plus haut que nous avons identifié, répertorié, classé et comparé sur l’ensemble des 4 comptes Instagram de la période considérée. Cela s’est fait par itération successive, sur la base de tags descriptifs produisant des sous-ensembles homogènes, caractères de la marque muséale. Cela représente 418 photos « taguées » et compilées dans le logiciel de gestion de photographies Bridge. Ce cadre méthodologique et les outils déployés sont un appareillage qui se veut une réponse aux larges corpus empiriques qui sont souvent associés au champ des humanités numériques (Alcantara, 2020).

La marque muséale au centre d’un nouvel axe de la stratégie internationale du Louvre et du Centre Pompidou

Le Louvre et le Louvre Abu Dhabi

Musée le plus visité au monde[5], le Louvre dont la création se situe pendant la période révolutionnaire, symbolise en quelque sorte une partie de l’histoire de France pour ne pas dire la France elle-même et ses valeurs promues par la Révolution française et les Lumières ainsi qu’une certaine idée du monde que la devise républicaine Liberté, Égalité, Fraternité pourrait résumer. Son identité culturelle et visuelle est également « fortement associée au lieu (un lieu historique et symbolique de Paris, associé historiquement à la défense de la Capitale, au pouvoir royal et au rayonnement culturel) » (Kerret, 2019: 54). Le Louvre, c’est aussi la pyramide de Pei qui représente le musée tout étant une œuvre que l’on vient admirer. Enfin, comme évoqué plus haut, ce sont ses collections et ses œuvres emblématiques comme La Joconde ou La Victoire de Samothrace qui participent de cette identité.

Un accord entre la France et les Émirats arabes unis (EAU) signé le 6 mars 2007 prévoit la création d’un musée avec la marque du Louvre (Cornu, Frigo, 2009)[6]. Le LAD est inauguré le 8 novembre 2017 en présence du président Macron dans l’émirat d’Abu Dhabi, un des émirats de la fédération des EAU créée en 1971 à la fin du protectorat britannique avec six autres émirats. Ils se situent en bordure orientale du golfe Persique. Les EAU, le Qatar, le Bahrein et le Koweït (pays voisins) forment ce qu’Alexandre Kazerouni désigne comme les « principautés du golfe Persique » (Kazerouni, 2017: 15). Elles se trouvent à proximité de l’Iran et de l’Arabie Saoudite. Ces quelques mots de présentation suffisent à comprendre l’intérêt géopolitique que recouvre un tel projet dans la région. Les enjeux sont cependant différents pour les deux pays (Kazerouni, 2017 ; Guéraiche, 2018). Pour la France, le LAD représente l’exemple le plus abouti de sa diplomatie d’influence et de sa diplomatie globale. Il ressort, en effet, à la fois des éléments culturels (création d’un musée avec une marque mondialement connue), des éléments politiques (accord entre deux États, inauguration par le président de la République), géostratégiques (influence française dans une zone traditionnellement sous influence britannique), économiques (contrat d’un milliard d’euros) et, enfin, militaires (création d’une base en 2009, la première hors de France depuis 50 ans, dans le cadre de relations militaires avec l’émirat depuis 1971). Le LAD est dirigé par un Français et dépend du Department of Culture and Tourism – Abu Dhabi[7] c’est-à-dire le ministère de la Culture et du Tourisme de l’émirat. C’est donc une structure émirienne qui pilote la communication du musée dont le directeur est un Français tout comme son architecte, Jean Nouvel.

Le Centre Pompidou et le Centre Pompidou Málaga

Le Centre Pompidou, deuxième collection au monde d’art moderne et contemporain, est inauguré le 31 janvier 1977. Il symbolise ce pan de l’histoire de l’art et aussi une période historique. C’est, en effet, un « enfant de mai 68 » (Dufrêne, 2000: 19). Il révolutionne le secteur muséal en inventant une nouvelle réalité car ce n’est pas qu’un musée. Le Centre est composé du musée national d’art moderne-centre de création industrielle (MNAM-CCI), d’une bibliothèque (la Bibliothèque Publique d’Information, la BPI), constituée en un établissement public distinct et, de l’IRCAM, l’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique, constitué, lui, en association régie par la loi 1901. L’identité est donc celle à la fois des arts visuels, du design, de l’audiovisuel, du livre (BPI), de la musique (IRCAM). « […] C’est l’ouverture à une culture jusque-là réservée à un petit nombre d’initiés et un état d’esprit différent » (Dufrêne, 2000: 14) qui symbolisent le Centre. Il invente quelque chose de nouveau, une « machine à décomplexer » et une « matrice de nouvelles formes de relation à la culture » (Dufrêne, 2007). Jean Baudrillard parlera de « l’effet Beaubourg » (Baudrillard, 1977). Rupture, modernité, ouverture donc et bien sûr architecture avec un bâtiment devenu iconique, sont les caractéristiques et les « d’attributs identitaires » (Kerret, 2019) de la marque du Centre Pompidou. Enfin, si le Louvre renvoie à la Révolution française, le Centre lui, fait référence à un président de la République, Georges Pompidou, soit deux références politiques fortes.
Le CPM est une déclinaison du concept de Centre Pompidou Provisoire. Il s’agit d’un prêt à titre onéreux de la marque « Centre Pompidou » à la ville de Málaga, pour une durée de 5 années renouvelable, qui a aménagé un lieu préexistant dans lequel sont montrées des œuvres de la collection du Centre (exposition semi-permanente ou expositions temporaires). Seule la partie « musée » du Centre (voir supra) est exportée mais ses objectifs fondamentaux – l’ouverture au jeune public ou l’approche pluridisciplinaire- sont présents à Málaga. Ce nouveau musée est en grande partie souterrain, et un cube (El Cubo) déjà présent sur le toit du bâtiment est pensé pour le symboliser. Daniel Buren sera d’ailleurs appelé à y intervenir avec ses bandes rayées de 8,7 cm (fig.14). Le CPM est inauguré le 28 mars 2015 dans le sud de l’Espagne, en Andalousie, à proximité du Maghreb et sur la côte méditerranéenne, en présence de la ministre française de la Culture, de l’ambassadeur de France en Espagne et bien entendu des autorités du Centre Pompidou. La partie espagnole est notamment représentée par le premier ministre et le maire de Málaga. La programmation est pensée à Paris par le Centre en lien avec la gouvernance espagnole du musée (un établissement public sous tutelle de la mairie et dirigé par un Espagnol) qui s’occupe notamment des réseaux sociaux et d’Instagram.

Ces deux musées à Abu Dhabi et en Espagne valorisent chacun, par leur fonction médiatique (Davallon, 1992), une marque aux caractéristiques que l’on vient de décrire. Comment, dès lors, la communication numérique et plus précisément Instagram participent-ils de cette mondialisation des marques Louvre et Centre Pompidou dans le cadre du paradigme des 4M et de la diplomatie d’influence de la France ?

Les comptes Instagram des musées

La marque Louvre, entre architecture, Joconde et diplomatie d’influence

Sur la période considérée, le Louvre a réalisé 102 publications et le LAD 132, soit un peu moins d’une publication par jour pour le premier et un peu plus d’une par jour pour le second. Ces valeurs assez proches témoignent d’un investissement régulier et d’un plan de communication planifié sur Instagram pour assurer le lien avec un public cible plutôt jeune. Le nombre d’abonnés au compte du Louvre est de 4,1 millions de personnes tandis que le LAD enregistre 181 000 abonnés (1540 publications pour le LAD depuis son ouverture et 2120 publications pour le Louvre). Ces écarts, liés à l’histoire et à la notoriété de chacune des institutions, ne peuvent effacer la grande viralité que représente ce nouveau média qui est clairement et régulièrement investi par chacune des deux entités.

Le LAD possède un logo (fig.1) et un nom qu’il décline de la même façon sur son site web et sur son compte Instagram. La charte graphique est donc déployée sur l’ensemble des médias utilisés dont Instagram.

Figure. 1 : Le logo et le nom présents sur le compte instagram du Louvre Abu Dhabi. Source : https://www.instagram.com/louvreabudhabi/?hl=fr

 

De son côté, le Louvre dissocie ses logos entre son site web et son compte Instagram. Pour le site Web, le logo (fig.2) est institutionnel et il se décline sur l’ensemble des documents publiés par le musée.

Figure. 2 : Le logo institutionnel du Louvre, source : https://www.louvre.fr/

 

Le logo utilisé pour son compte Instagram est en revanche une icône, une figure universelle qui, seule, attire des millions de visiteurs chaque année : La Joconde (fig.3).

Figure. 3 : Capture d’écran du compte officiel Instagram du Louvre.

 

Cet « attribut identitaire » (collection), ce référent culturel à la notoriété universelle est exploité par le Louvre sur son compte Instagram de façon récurrente pour être le marqueur fort de la marque. Le musée met en avant un avatar, un portrait culte connu de tous et qui est reconnue donc par le public jeune, majoritaire sur Instagram. La Joconde est l’avatar de la communication du Louvre sur Instagram. Cette démarche est poussée au point que la communication institutionnelle sur Instagram est portée par l’image de la Joconde, comme en témoigne le communiqué officiel de fermeture du Louvre pendant le confinement lié au COVID (fig.4).

Figure. 4 : Capture d’écran du communiqué officiel de fermeture du Louvre sur le compte Instagram du musée lors du premier confinement le 14.03.2020

 

La Joconde, c’est le Louvre. Le musée a publié, durant la période considérée, 65 photos liées aux œuvres issues des collections permanentes, soit près de 2 publications sur trois. Ensuite, 31 photos représentant l’architecture des pavillons, la pyramide de Pei et les cours intérieures viennent compléter les publications pour couvrir au total, 94% du corpus analysé.

Comme en témoigne, le panel de photos suivant (fig.5), l’architecture et les lieux sont des facteurs déterminants de cette marque muséale qu’est le Louvre.

Figure. 5 : Échantillon de photos publiées sur le compte officiel Instagram du Louvre évoquant les lieux et les marqueurs architecturaux.

 

Il y a, ainsi, pour le Louvre, une volonté, dans la ligne éditoriale des publications sur Instagram, de valoriser son architecture et sa collection que symbolise La Joconde. Cela confirme les résultats plus généraux (corpus de 6 musées français dont le Louvre de l’étude de réception sur 1000 personnes représentatives de la population française) concernant le public et sa perception des identités visuelles des musées : l’architecture, l’expérience de la visite et les collections sont les éléments premiers dans la construction des représentations des musées (Kerret, 2019).

De façon analogue, le LAD a publié 37 photos liées aux collections et 31 photos ont pour sujet l’œuvre architecturale de Jean Nouvel, soit plus de 50% des publications. Le bâtiment est l’expression d’une signature et d’un « attribut identitaire » fort de la marque muséale « Le Louvre Abu Dhabi ». Le panel suivant (fig.6) illustre la présence sur Instagram de ce marqueur.

Figure. 6 : Échantillon de photos publiées sur le compte officiel Instagram du LAD évoquant les lieux et les marqueurs architecturaux

 

L’accent porté sur le bâtiment va jusqu’à souhaiter (en arabe, en anglais et en français) un « joyeux anniversaire » à l’architecte français Jean Nouvel qui a réalisé l’enveloppe et donc la signature architecturale du LAD (fig.7).

Figure. 7 : Publication relative à Jean Nouvel sur le compte officiel du LAD.

 

Par ailleurs, pour le LAD, un sous-ensemble de photos spécifiques évoque l’universalité de l’art, l’interculturalité et le dialogue des civilisations. C’est un affichage explicite, qui est régulièrement mis en avant au fil des semaines de publications analysées. Le panel suivant (fig.8) en est une illustration. Ce choix peut s’expliquer comme un élément qui appuie la notion de musée universel (Dufrêne, 2012) développée par les promoteurs de ce projet comme l’agence France-Muséums (« célèbre la créativité universelle du musée », « encourage le dialogue interculturel »)[8] et également les discours officiels (« c’est toute la fresque des civilisations qui se compose sous nos yeux ; c’est alors que la beauté devient une clé vers l’universel »)[9]. C’est donc comme une réponse apportée aux contradicteurs du LAD (Cachin, Recht, Clair, 2006 ; Guerrin, de Roux, 2007).

Figure. 8 : Échantillon de photos portant sur l’interculturalité et le dialogue des civilisations

 

De plus, une des spécificités des publications du LAD est de montrer le public qui visite le musée en insistant sur le caractère mondialisé, un public habillé de façon occidentale avec des Emiratis en tenue traditionnelle. C’est dans ce cadre que la visite de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy a fait l’objet d’une publication le 5 mars 2020 (fig.9). La cohabitation des styles vestimentaires peut être vue, tout d’abord, comme la mise au même niveau du Moyen-Orient et de l’Occident tout en faisant écho, ensuite, aux récits des Emiratis à propos de ce musée et notamment celui dit « développementaliste » (Kazerouni, 2017). En effet, l’approche « développementaliste » du discours officiel fournit l’occasion aux régimes autoritaires de justifier une succession d’étapes vers la démocratie. Cela implique son avènement tout en maintenant sa position autoritaire, comme c’est le cas à Abu Dhabi (Kazerouni, 2017: 16-18). La présence de Nicolas Sarkozy sur Instagram souligne que le musée est lié aux plus hautes autorités de l’État français ce qui le légitime encore davantage et qui légitime aussi ce pouvoir autoritaire. Enfin, cette présence médiatisée de l’ancien chef d’État conforte, d’une part, la marque Louvre à l’étranger (il la légitime par sa présence et par son statut) et ce qu’elle représente (« ses attributs identitaires », voir supra). Sa médiatisation par Instagram soutient donc, comme les publications analysées plus haut, la mondialisation de la marque « Louvre ». En outre, cette présence participe de facto à la diplomatie d’influence de la France dans le cadre d’ « une géopolitique des musées » (Mairesse, 2019) dans la mesure où le Louvre est un établissement public sous tutelle du ministère de la Culture et qu’il a en dépôt des collections nationales. Cette visite conforte aussi le musée comme un « instrument de pouvoir » (Paquette, 2015) par les valeurs (« attributs identitaires ») de la marque « Louvre » associée à « Abu Dhabi » comme la période révolutionnaire et la devise républicaine (voir supra) que le LAD véhicule finalement par la mise en avant de la marque « Louvre Abu Dhabi ». Ajoutons l’usage de la langue française dans certaines publications ou celle qui nomme précisément l’architecte français.

Figure. 9 : Visite de Nicolas Sarkozy au LAD le 05 Mars 2020, médiatisée sur le compte Instagram officiel du LAD.

 

En dernier lieu, se manifeste l’objectif de faire référence au cours de la période analysée au musée du Louvre avec, par exemple la reprise de la publication anniversaire pour les 227 ans de ce dernier. C’est certes un moyen de légitimer le LAD en s’appropriant l’antériorité et l’histoire du Louvre mais c’est aussi, un soutien « indirect » à la diplomatie d’influence de la France et aux valeurs qu’elle vise à promouvoir à l’étranger. Par cet anniversaire des 227 ans du Louvre, c’est notamment la devise républicaine qui est véhiculée via Instagram et une certaine idée du monde (Guéraiche, 2018).

Centre Pompidou et Centre Pompidou Málaga, « Separados para estar más unidos » ?

Alors que le compte Instagram du Centre rassemble plus d’1million d’abonnés, celui du CPM en comptabilise près de 28.000. Cela s’explique en partie par la création récente du musée à Málaga (2015).

Cependant, le Centre a réalisé plus de 2156 publications depuis l’ouverture de son compte alors que le CPM créé il y a à peine plus de 5 ans en totalise 1325. L’investissement sur Instagram est régulier avec des publications au moins quotidiennes. Sur la période de notre étude (du 12 mars au 12 août 2020), nous décomptons 42 publications pour le Centre et 142 pour le CPM. Cette différence est significative entre les deux institutions et elle l’est également si on compare ces chiffres aux publications réalisées sur la même période par le Louvre (102) et le LAD (132). Une donnée est à remarquer : le compte du Centre n’a rien publié entre le 05 mars et le 01 avril 2020. Sans avoir pu échanger avec les responsables de son pôle digital à la suite de la pandémie mondiale, nous remarquons que la communication de crise n’a pas utilisé Instagram et que celui-ci est accessoire dans son plan de communication institutionnelle. Le CPM a, de son côté, pleinement exploité Instagram comme support de sa communication de crise. C’est ainsi, par exemple, qu’un avis de fermeture est publié le 13 mars avec un effet dès le lendemain et des contributions de la direction ont été publiées pour expliquer, rassurer et projeter la réouverture.

A partir de ces données de départ, nous constatons les points suivants :

Pour le Centre, les publications liées aux collections et à l’architecture du bâtiment représentent plus de 80% du total soit 34 publications sur un total de 42. Pour le CPM, ce sous-ensemble représente 50% du total, soit 71 publications sur 142 réalisées durant la période considérée. Ces résultats sont à mettre en perspective avec ceux de Kerret cités plus haut : le public « reconnaît » en priorité un musée  par son architecture, ses collections et l’expérience de la visite. Le Centre et le CPM communiquent sur Instagram principalement sur ces deux premiers « attributs identitaires ». Le Centre a une architecture iconique, reconnaissable par tous. Son caractère disruptif lors de sa construction est une référence aujourd’hui très structurante de sa marque (voir supra). En effet, la façade du musée, représentée de façon abstraite et condensée, est le logo du Centre Pompidou qui apparait sur l’ensemble des supports de communication et les médias sociaux investis. C’est ainsi que se retrouve sur le compte Instagram le logo de l’institution de la façon suivante (fig.10). Il est l’avatar du Centre Pompidou sur Instagram à la différence du Louvre qui a donc choisi la Joconde. Le public reconnaît peu les musées par leur logo (Kerret, 2019) mais ici, pour le Centre, le logo c’est aussi l’architecture si singulière du musée, on comprend dès lors son utilisation. Cette orientation s’explique également par l’absence d’œuvre iconique de sa collection connue de tous comme c’est le cas de la Joconde pour le Louvre et le recours « forcé » à son logo. Le Centre a initié en 2016 une réflexion sur les œuvres de sa collection qui pourraient être qualifiées d’iconiques. Une recherche académique de Gwenaëlle de Kerret et Jean-Michel Tobelem a également travaillé avec le Centre sur ce thème.

Figure. 10 : Avatar du compte Instagram officiel du Centre Pompidou.

 

Ce marqueur fort qu’est l’architecture est complété dans l’univers de marque par un ensemble de photos publiées au cours du confinement qui rappelle la genèse et la construction de l’enveloppe architecturale particulièrement décriée au moment de sa création. Le panel suivant l’illustre bien (fig.11).

Figure. 11 : Échantillon de photographies ayant pour sujet l’architecture iconique du centre Pompidou sur le compte officiel Instagram.

 

Ce rappel historique est un moyen de réaliser une forme d’introspection pour l’institution, une démarche réflexive présentée au public sur Instagram et ainsi de renforcer sa stratégie de marque par l’architecture. La période de confinement a également été investie sur Instagram de façon pédagogique. Le Centre a contribué sur ce média à servir l’une de ses missions fondamentales : son ouverture au plus grand nombre (voir supra). C’est ainsi que régulièrement une approche pédagogique a été publiée sur le travail d’artistes. Nous pouvons citer par exemple les publications sur la démarche d’empaquetage de Christo et Jeanne-Claude.

En définitive, le Centre communique via Instagram essentiellement par son architecture faisant ainsi référence à Paris et à la France mais il est difficile d’y voir un soutien à la diplomatie d’influence. Même constat concernant la mondialisation de sa marque. Il n’a pas été relevé de publications liées aux musées créés à Málaga ou à Shanghai. Ce média n’est pas, pour la période considérée, le choix du Centre pour donner à voir le réseau des CPP aux utilisateurs d’Instagram.

Pour le CPM, les marqueurs sont plus nuancés. Un logo dédié à Instagram est utilisé (fig.12), sans lien symbolique ou organique avec le logo et la typographie signature utilisée dans les autres supports de communication du musée (fig. 13).

Figures.12 et 13 : Discontinuité entre l’avatar du compte Instagram officiel du CPM et l’identité graphique présente sur les autres supports de communication.

 

La baseline, c’est-à-dire le slogan de la marque « Separados para estar más unidos » (« séparés pour être plus unis ») semble faire référence aux liens avec le Centre Pompidou. La référence au Centre suggérée dans la baseline n’apparait cependant pas dans les publications Instagram du CPM ni la charte graphique créée par le Centre dans le cadre de la mondialisation de sa marque par les Centre Pompidou Provisoires et qui se trouve sur la page d’accueil du site Web du CPM. Cette charte graphique reprend les principes d’une carte de compagnie aérienne qui relient les villes et donc en l’espèce elle permet de relier les Centre Pompidou Provisoire (Málaga, Shanghai) au Centre (Paris). Seule une photo en noir et blanc du président Pompidou vient, au cours d’une publication, faire œuvre de pédagogie sur le patronyme et donc de lien avec le Centre. Cette présence d’un homme politique français rappelle celle de Nicolas Sarkozy au LAD (voir supra) mais elle est datée historiquement et le public jeune (et notamment espagnol) qui fréquente Instagram ne semble pas être vraiment la cible. A qui finalement est destinée cette publication ? Elle ne semble pas pouvoir par ailleurs soutenir la diplomatie d’influence pour ces mêmes raisons.

Mais les deux musées sont-ils réellement séparés comme le suggère ce slogan ? Géographiquement oui mais un contrat, renouvelé pour 5 années et dont le terme est prévu en 2025, lie les deux parties. Ce sont les collections du Centre qui sont exposées à Málaga et la marque Centre Pompidou est utilisée pour créer celle du nouveau lieu. Cela renvoie à la notion de « quasi-franchises » (Peyre, 2020) qui relie ces institutions. Ce slogan n’est pas révélateur de la situation ou révèle un sentiment ambigüe des Espagnols dans cette relation. Il semble presque en contradiction avec la dynamique de mondialisation de la marque « Centre Pompidou ».

En parallèle et de façon analogue aux autres institutions de notre corpus, le CPM utilise l’architecture comme un référent important de sa marque. Il est mis en avant El Cubo (fig.14), le cube transparent sur lequel Daniel Buren est intervenu à la demande du Centre dans le cadre de l’aménagement du CPM (voir supra). Il est régulièrement publié sur le compte Instagram comme un marqueur du musée.

Figure. 14 : Échantillon de photos ayant pour sujet El Cubo sur le compte Instagram officiel du CPM.

 

Sans être encore iconique pour un public international (il l’est en revanche pour la population malaguène), car pas assez ancré dans l’imaginaire collectif, ce marqueur semble être un totem dans le sens où il est reconnu par la communauté de ceux qui suivent ou portent un intérêt manifeste à l’institution. Il est choisi  pour ses publications Instagram comme la référence visuelle par la direction du CPM car le musée est souterrain (voir supra). Un élément architectural est ici aussi et comme pour le LAD au centre de la communication numérique. Le lien avec la France existe (c’est son auteur, Daniel Buren), encore faut-il que le public le sache et donc que la publication y fasse référence pour que la diplomatie d’influence puisse être renforcée.

La logique de marque et de continuité symbolique entre les deux institutions semble donc plus distendue que celle que l’on observe pour le Louvre et le LAD et Instagram n’apparaît pas comme un soutien efficace à la diplomatie d’influence. Une hypothèse serait de dire que le CPM chercherait en quelque sorte à s’autonomiser sur ces publications Instagram. Mais pour quelle raison car il aurait tout à gagner à, comme le LAD, valoriser la marque et les composantes du Centre ? Sa collection est la deuxième au monde pour l’art moderne et contemporain après celle du MoMA et son bâtiment est reconnu dans le monde entier. Cette notoriété pourrait donc être utilisée par le CPM afin qu’elle rejaillisse en quelque sorte sur lui, qu’il en bénéficie pour développer et  pour consolider sa propre image de marque. Le Centre pourrait, lui, davantage citer le CPM dans ses publications et ainsi montrer le réseau des CPP. Cela impliquerait une plus forte concertation des agents en charge d’Instagram (ceux du Centre avec ceux du CPM et inversement) et surtout peut-être une stratégie globale plus claire. Ces résultats seraient à valider sur d’autres périodes pour conforter cette analyse. Quant à la diplomatie d’influence, elle n’apparaît pas soutenue, même indirectement comme vu pour le LAD. Le public d’Instagram du CPM serait cependant une cible parfaite pour cela, un public jeune à qui communiquer certaines références culturelles mais ce compte est géré par l’équipe espagnole. C’est donc logique qu’elle ne soit pas sensibilisée à cette promotion.

Conclusion

Deux conclusions majeures peuvent être distinguées.
D’une part, il ressort que ce sont les musées récemment créés qui ont le plus investis Instagram. Leurs comptes ont mis en ligne globalement le même nombre de publications (132 pour le LAD et 142 pour le CPM). Le Louvre 102 et à peine 42 pour le Centre avec une absence de publication pendant presque un mois au début du confinement. La nécessité de se faire connaître et de créer une communauté est une explication possible. Pour le Louvre et le Centre, déjà reconnus mondialement, cette nécessité semble moins « vitale ».
D’autre part, notre étude montre que l’usage d’Instagram soutient la mondialisation de la marque «  Louvre » ainsi que la diplomatie d’influence mais que la situation est différente pour la marque «  Centre Pompidou ».
Les publications du Louvre participent de la mondialisation de sa marque dans la mesure où deux de ses « attributs identitaires » (l’architecture et les collections) sont majoritaires sur Instagram. Le LAD soutient également cette mondialisation par l’utilisation –tout simplement- sur Instagram de sa propre marque construite à partir de celle du Louvre. En revanche, si l’architecture du Louvre sur Instagram véhicule des valeurs et des références historiques (encore faut-il connaître l’histoire du musée du Louvre), il apparait que, paradoxalement, c’est le LAD qui soutient davantage la diplomatie d’influence française dans ses publications par: la mise en avant de son architecte français, la promotion de la visite d’un ancien chef d’État français, l’utilisation de la langue française, son lien avec le Louvre et donc la France.
La situation est plus contrastée pour la marque « Centre Pompidou ». Le Centre valorise parfaitement sa marque par ses publications liées à son architecture et soutient par conséquent sa mondialisation. Son architecture si particulière peut véhiculer d’une certaine manière la France, une idée de modernité mais son soutien par Instagram à la diplomatie d’influence nous semble moins déterminant.  De plus, à Málaga le « simple » cube construit sur le musée  – devenu une oeuvre d’art par l’intervention de Daniel Buren – remplit aussi une fonction médiatique pour le CPM mais son lien avec la France (l’auteur de l’œuvre) n’est pas explicite dans les publications comme c’est le cas pour le LAD et Jean Nouvel. Enfin, les liens entre le CPM et le Centre sur Instagram n’apparaissent pas hormis bien entendu par l’utilisation de la marque « Centre Pompidou Málaga ». Finalement, le slogan « Separados para estar más unidos » (« séparés pour être plus unis ») utilisé sur Instagram symbolise paradoxalement cette absence de lien. Il induit même un message contradictoire.

En définitive, les marques Louvre et Centre Pompidou peuvent compter sur Instagram dans le processus de mondialisation de leur propre marque grâce notamment à leurs architectures. Cet « attribut identitaire » soutient également (par sa symbolique) la diplomatie d’influence de manière indirecte mais limitée. C’est le LAD qui finalement remplit « le mieux » cette fonction. Comment dès lors penser de manière plus explicite le soutien par Instagram à la diplomatie d’influence par des établissements publics ? Une stratégie pensée et concertée avec la tutelle serait-elle pertinente ?
Ce travail sur la production de contenu sur Instagram et la présence numérique des musées sont à compléter par une étude portant sur la réception de l’image de marque des musées par leur public, visiteurs et internautes.

Notes

[1] Voir les rapports suivants : Maurice Lévy, Jean-Pierre Jouyet, L’économie de l’immatériel, la croissance de demain, rapport, 2006, page 57 ; Françoise Benhamou, David Thesmar, Valoriser le patrimoine culturel de la France, rapport du Conseil d’analyse économique, juin 2011, page 83 ; Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur les musées nationaux par Yann Gaillard, sénateur, le 4 juin 2014, pages 9 et 42 ; Cour des comptes, La valorisation internationale de l’ingénierie et des marques culturelles, rapport, mars 2019, page 15. Notons également la création en 2018 de la mission « Expertise culturelle internationale » du ministère de la Culture qui se veut comme « le point d’entrée des demandes internationales et jouera un rôle pivot entre les différents réseaux mobilisés sur cette politique de valorisation et de promotion de nos savoir-faire à l’étranger, à savoir le réseau des postes diplomatiques à l’étranger, les collectivités territoriales et les structures privées » (https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Francoise-Nyssen-ministre-de-la-Culture-cree-une-mission-sur-l-expertise-culturelle-internationale)

[2] Selon la définition de l’International Council of Museums (ICOM) de 2007, un musée est « une institution permanente sans but lucratif, au service de la société et son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation ». https://icom.museum/fr/ressources/normes-et-lignes-directrices/definition-du-musee/

[3] Source : https://blogdumoderateur.com

[4] Source : https://www.statista.com/statistics/578364/countries-with-most-instagram-users/

[5] Source : https://www.louvre.fr/sites/default/files/medias/medias_fichiers/fichiers/pdf/louvre-rapport-d-activites-2018.pdf

[6] C’est la marque du musée du Louvre qui est prêtée à titre onéreux dans le cadre de ce contrat mais c’est plus d’une dizaine de musées publics français qui participent à l’opération par le prêt d’oeuvres via l’agence France-Muséums. Pour consulter la liste des « musées et établissements publics actionnaires ainsi que les musées prêteurs » : http://www.agencefrancemuseums.fr/fr/l-agence-france-museums/partenaires/

[7] Il convient de préciser le rôle de l’Agence France-Muséums (AFM) créée par l’accord de 2007. C’est une action en deux phases. « En mutualisant pour la première fois l’accès aux collections et l’expertise des institutions culturelles françaises associées au projet, l’AFM a assuré depuis sa création et pour toute la phase de préfiguration du musée une mission d’assistance et d’expertise auprès des autorités des Emirats Arabes Unis dans les domaines suivants : la définition du projet scientifique et culturel du musée, l’assistance à la maîtrise d’ouvrage pour le bâtiment y compris la muséographie, la signalétique et les projets multimédia, l’organisation des prêts des collections françaises et d’expositions temporaires, le conseil à la constitution d’une collection permanente et la définition de la politique des publics » La seconde débute en novembre 2017, à l’ouverture du musée qui « a marqué l’entrée dans la seconde phase d’engagement de la France pour le musée émirien. Dans le cadre de l’accord intergouvernemental, l’Agence France-Muséums et les musées partenaires du Louvre Abu Dhabi accompagnent aujourd’hui les ambitions du Louvre Abu Dhabi à travers notamment : la coordination des prêts des musées français sur 10 ans, l’organisation conjointe et la production d’expositions temporaires sur 15 ans et l’organisation de formations pour les professionnels du musée ».
Source : http://www.agencefrancemuseums.fr/fr/l-agence-france-museums/l-agence-france-museums/. Site web consulté le 1er septembre 2020.

[8] Source : http://www.agencefrancemuseums.fr/fr/le-louvre-abou-dabi/site-internet-du-louvre-abu-dhabi/

[9] Source : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/11/09/discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-lors-de-l-inauguration-du-louvre-abu-dhabi-emirats-arabes-unies

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Ressources web

https://www.instagram.com/centrepompidoumalaga/?hl=es

https://www.instagram.com/centrepompidou/

https://www.instagram.com/museelouvre/?hl=fr

https://www.instagram.com/louvreabudhabi/

Auteurs

Christophe Alcantara

.: Christophe Alcantara est maître de conférences (HDR) en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Toulouse Capitole (IDETCOM).
christophe.alcantara@ut-capitole.fr
https://www.christophe-alcantara.eu/fr/accueil/

Nicolas Peyre

.: Nicolas Peyre est enseignant-chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Toulouse Capitole (IDETCOM) et titulaire de la Chaire Mobilité francophone de l’Université d’Ottawa (Canada).
nicolas.peyre@ut-capitole.fr
https://idetcom.ut-capitole.fr/accueil/m-nicolas-peyre–479954.kjsp?RH=1372167392343