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Risques infectieux alimentaires et grossesse : de quelles informations les professionnels de santé disposent-ils ?

13 Sep, 2020

Résumé

Cette recherche s’intéresse à la nature et à l’origine des informations de prévention dont disposent les professionnels de santé, dans le domaine de l’alimentation des femmes enceintes. Elle porte plus spécifiquement sur les pratiques informationnelles concernant deux risques infectieux : la toxoplasmose et la listériose. L’information des professionnels sur ces risques potentiels provient principalement des textes institutionnels et des manuels. Nous nous intéresserons ici aux recommandations des textes institutionnels, dont nous verrons qu’ils présentent des caractéristiques marquantes pour la formation des professionnels : évolutivité de la nature des messages, fluctuations de leur clarté et leur précision, diversité des messages et de leurs émetteurs.

Mots clés

Médiation des savoirs, grossesse, risques infectieux alimentaires, messages de prévention, professionnels de santé, recommandations.

In English

Title

Foodborne infectious risks and pregnancy: what information is available to health professionals?

Abstract

This study focuses on the nature and origin of prevention information available to health professionals in the field of nutrition for pregnant women. It focuses more specifically on information sharing practices regarding two infectious risks: toxoplasmosis and listeriosis. The information available to professionals on these potential risks comes mainly from institutional texts and manuals. We will focus here on the recommendations found in institutional texts, which show striking characteristics which need to be taken into account in the training of professionals: such recommendations are evolving in nature, with shifts in clarity and degree of precision, and are diverse in terms of message content and the actors responsible for diffusing them.

Keywords

Knowledge mediation, pregnancy, food infectious risks, prevention messages, health professionals, recommendations.

En Español

Título

Riesgos infecciosos alimentarios y embarazo: ¿cuál es la información de la que disponen los profesionales de la salud?

Resumen

Esta investigación se centra en la naturaleza y el origen de la información sobre la prevención de riesgos relativa a la nutrición de las mujeres embarazadas disponible para los profesionales de la salud. Más concretamente, se centra en las prácticas informativas relacionadas con dos riesgos infecciosos: la toxoplasmosis y la listeriosis. La información disponible para los profesionales sobre estos riesgos potenciales procede principalmente de textos institucionales y de manuales. En este estudio, nos centramos en las recomendaciones de los textos institucionales, que, como veremos, presentan características relevantes para la formación de los profesionales: la evolución de la naturaleza de los mensajes, las fluctuaciones en su claridad y precisión, y la diversidad de los mensajes y de sus emisores.

Palabras clave

Mediación del conocimiento, embarazo, riesgos infecciosos alimentarios, mensajes de prevención, profesionales de la salud, recomendaciones.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Durand Delphine, Millot Isabelle, Binquet Christine, Heilmann Éric, « Risques infectieux alimentaires et grossesse : de quelles informations les professionnels de santé disposent-ils ? », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°21/3, , p.91 à 102, consulté le vendredi 15 novembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2020/supplement-a/06-risques-infectieux-alimentaires-et-grossesse-de-quelles-informations-les-professionnels-de-sante-disposent-ils/

Introduction

Dès la confirmation d’une grossesse, un suivi médical et un accompagnement se mettent en place. Ce suivi inclut une série d’examens médicaux (consultations, échographies, prises de sang, dépistages) associés à d’autres temps tels que l’entretien prénatal précoce et la préparation à la naissance, qui vont encadrer le déroulement de la grossesse. Malgré cette médicalisation du suivi, la formule « la grossesse n’est pas une maladie » est habituellement rappelée aux femmes enceintes. Cependant, celles-ci doivent adopter de nouveaux comportements alimentaires pour protéger la santé de leur enfant. Hormis les risques médicamenteux ou liés à l’alcool ou au tabac, certaines maladies transmises par l’alimentation (principalement toxoplasmose et listériose) peuvent avoir de graves conséquences notamment sur le fœtus. Les choix alimentaires antérieurs à la grossesse deviennent potentiellement inadaptés et porteurs de danger. La consultation médicale est le lieu propice à la transmission et la circulation d’informations scientifiques vulgarisées.

Le professionnel de santé, médecin ou sage-femme, dispose d’un certain savoir, reconnu socialement, notamment sur les pratiques alimentaires pendant la grossesse. Il est ensuite transmis lors de ce temps d’échanges, en vue de permettre aux femmes enceintes d’adopter les bonnes pratiques hygiéno-diététiques. Ce savoir s’est construit lors de sa formation initiale, et tout au long de son parcours professionnel, essentiellement à partir de documents de synthèse de l’état actuel des connaissances, établis par des agences et institutions sanitaires. Dans le champ de la santé, cette communication émise par des organismes publics est extrêmement large et diverse (Igas, 2005). La communication scientifique des agences sanitaires, qui touche essentiellement au savoir médical, est marquée par son caractère évolutif, provisoire et parfois controversé.

Ce savoir se confronte à un autre, profane, celui des femmes enceintes. Celui-ci se nourrit, au-delà du cadre médical, des informations circulant dans les médias et dans la sphère privée. Une montée en puissance de l’intérêt des citoyens vis-à-vis des questions de santé s’observe dès les années 1980, comme en témoigne la croissance des articles dédiés dans les médias. Cette « multiplication des discours et donc de la communication ayant trait à la santé » dépasse dorénavant le simple cadre médical (Romeyer, 2010) et concerne plus largement les comportements du quotidien. L’alimentation est en particulier l’une des préoccupations des femmes enceintes, qui les conduit à faire de nombreuses recherches personnelles (Nouira et al., 2015). Éviter les aliments inappropriés a été décrit comme hautement prioritaire par les femmes, les poussant à « une sorte d’instinct de protection du fœtus » (Jacques, 2004). Elles peuvent de la sorte participer activement au bon développement de leur bébé. Ainsi, il est essentiel que les femmes enceintes soient informées sur les risques infectieux alimentaires, et notamment sur les précautions alimentaires à prendre tout au long de la grossesse. Ce qui peut apparaître comme une étape « normale » dans la vie d’une femme se trouve potentiellement complexifié par la multitude des sources d’information souvent contradictoires.

Dans le cadre d’une thèse en sciences de l’information et de la communication, nous avons souhaité comprendre les pratiques informationnelles des femmes enceintes et des professionnels de santé, notamment concernant les précautions alimentaires pendant la grossesse, afin d’éviter la contamination par les deux germes parmi les plus délétères en cas d’infection fœtale (Toxoplasma gondii et Listeria monocytogenes). Face à la multitude de sources disponibles, le professionnel de santé est en première ligne pour délivrer des informations fiables aux femmes enceintes. Il est perçu comme le prescripteur le plus crédible pour répondre à leurs préoccupations (Bianchi, 2017). La grossesse étant une période déterminante pour la santé future, nous pourrions nous attendre à un socle solide et stable de connaissances scientifiques. Pourtant, celles-ci sont complexes, évolutives et traversées par des controverses et incertitudes.

Ce constat nous conduit à formuler l’hypothèse que les informations à disposition des professionnels de santé sont des sources potentielles de confusion et qu’il est difficile d’en percevoir la cohérence. Une telle diversité de messages peut troubler les professionnels de santé, alors même que les informations qu’ils délivrent sur l’alimentation ont plus d’impact pendant la grossesse que les autres sources d’information des femmes (Nouira et al., 2015).

Pour répondre à cette problématique, nous avons étudié, dans un premier temps, les deux principales sources d’information à disposition des professionnels de santé, mais également de leurs enseignants : les textes institutionnels et les ouvrages pédagogiques. Dans cet article, nous nous intéresserons aux informations institutionnelles sur lesquelles les professionnels de la périnatalité se fondent pour construire leur savoir. Nous avons fait porter notre analyse sur les textes relatifs à la toxoplasmose et à la listériose de 1960 à fin 2018. Ainsi, nous établirons que les informations institutionnelles à destination des professionnels se caractérisent par un degré de précision et de lisibilité variables selon les sources. La mise à jour des recommandations dans le temps, suivant l’enrichissement progressif des connaissances scientifiques sur ces thématiques, s’effectue de façon asynchrone pour ces risques alimentaires, ce qui limite encore plus la lisibilité des messages.

Méthodologie de la recherche

Pour étudier cette problématique, nous avons constitué un corpus de textes provenant d’une dizaine d’agences sanitaires et d’institutions. Les textes sélectionnés sont émis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le ministère en charge de la santé et celui en charge de l’alimentation, notamment pour les textes réglementaires ; les agences françaises de santé telles que l’Agence nationale de santé publique (Santé publique France), l’ex-Institut de veille sanitaire (INVS), l’ex-Institut national de prévention en santé (INPES), la Haute autorité de santé (HAS), l’ex-Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ; des organismes scientifiques et des sociétés savantes (Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Collège national des gynécologues et obstétriciens de France (CNGOF), Académie nationale de médecine, Centre de recherche et d’informations nutritionnelles (Cerin)).

Pour mener ce travail, nous nous sommes focalisés sur deux pathologies – la listériose et la toxoplasmose – et avons initié cette recherche dès les prémices de compréhension de ces maladies, dans les années 1960. Le logiciel NVivo a été utilisé pour l’analyse qualitative de contenus. Au total, l’analyse thématique systématique a été menée pour identifier les messages de prévention dans 117 textes institutionnels relatifs à la listériose et 47 textes relatifs à la toxoplasmose sur la période de 1960 à 2018.

Ces deux infections sont particulièrement redoutées durant la grossesse. La toxoplasmose, maladie liée à un parasite ubiquitaire, Toxoplasma gondii, peut se contracter lors de contact avec les déjections d’un chat porteur du parasite, ou en consommant des aliments contaminés (viande mal cuite ou végétaux mal lavés). Le plus souvent asymptomatique, la toxoplasmose peut être grave chez les personnes immunodéprimées et chez le fœtus. En effet, lors d’une grossesse, des complications, notamment neurologiques ou plus tardivement oculaires, peuvent survenir. C’est pourquoi un dépistage sérologique est réalisé en début de grossesse, afin de déterminer le statut immunitaire de la femme enceinte vis-à-vis de la toxoplasmose. Si celle-ci a été en contact avec le parasite avant sa grossesse, elle est immunisée et sauf cas particulier, un nouveau contact avec le parasite est sans danger pour elle et pour l’enfant. Pour les femmes non immunisées, des conseils de prévention sont délivrés afin d’éviter l’infection, et une surveillance sérologique se déroule tout au long de la grossesse. Cette surveillance permet de détecter une réaction immunitaire signant le contact avec le parasite, et de mettre en place un traitement visant à limiter le risque d’infection du fœtus le plus tôt possible et en cas d’infection fœtale de limiter les séquelles (Peyron et al., 2019). L’amélioration des mesures hygiéno-diététiques a probablement contribué à une diminution de la prévalence de la toxoplasmose au cours du temps. On estime qu’actuellement un peu plus du quart des femmes françaises sont immunisées (une prévalence de 26,9% est prédite pour 2020) (Nogareda et al., 2014). Ainsi, le nombre de femmes non immunisées est de pratiquement 75% contre 20% dans les années 70-80. Les femmes sont donc plus nombreuses à devoir bénéficier d’informations de prévention. Il faut aussi souligner que cette diminution de la prévalence de la toxoplasmose dans la population s’accompagne d’une diminution de l’incidence des infections congénitales. En effet, le risque de contamination en cours de grossesse conduit à un nombre de nouvelles infections congénitales de l’ordre de 1,6/1000 contre quasiment 1 pour 100 femmes (âgées de 30 ans) au début des années 80 (Nogareda et al., 2014).

La listériose, maladie liée à la bactérie Listeria monocytogenes, est largement répandue dans l’environnement extérieur (sol, eau, végétaux), et dans de nombreux réservoirs animaux. On la retrouve aussi dans les réfrigérateurs, car elle peut se développer à basse température. La contamination peut ainsi toucher de nombreux aliments (produits laitiers, carnés, de la mer, végétaux), et se faire à tous les stades de la chaîne alimentaire (culture, production, stockage). Les contrôles de la filière agro-alimentaire ont contribué à diminuer de façon drastique le nombre de cas de listériose. En France, la listériose est devenue rare grâce à ces contrôles, mais elle est potentiellement grave, voire mortelle. Chez une personne immunodéprimée, ou lorsque le taux de germes est très important, l’infection peut entraîner une infection du système nerveux central ou une septicémie. Chez la femme enceinte, elle peut induire un avortement, un accouchement prématuré ou une infection néonatale grave. Même si l’incidence des listérioses materno-néonatales a diminué régulièrement au cours du temps pour atteindre 4,2 pour 100 000 naissances en 2016 (Agence nationale de santé publique, 2018), seulement 5% des grossesses ont une évolution normale (Charlier et al., 2017). Si cette bactérie est redoutable, c’est aussi qu’elle n’altère ni l’aspect, ni l’odeur, ni le goût des aliments. La listériose, qui a créé une réelle peur dans les années 90, s’est faite oublier de nos jours, par le public comme les professionnels de santé. La létalité est pourtant toujours importante.

Des messages de prévention en évolution

Les recommandations officielles sur la listériose et la toxoplasmose ont suivi des évolutions différentes. Les premières datent des années 1980 en France. Elles se sont affinées depuis lors, car les connaissances scientifiques des modes de contamination se sont précisées.
S’agissant de la toxoplasmose, le premier cas humain décrit date de 1923. La compréhension du cycle parasitaire a été établie en 1970, avec la mise en évidence que le chat était l’hôte définitif de Toxoplasma gondii. Les premiers conseils de prévention, publiés dans le Relevé épidémiologique hebdomadaire de l’OMS, datent de 1974. Ceux-ci préconisaient aux femmes enceintes d’éviter le contact avec les chats, et de s’abstenir de consommer de la viande crue ou insuffisamment cuite. Le premier texte national (circulaire N° 605 DGS et DH du 27 septembre 1983) recommande aux médecins d’informer leurs patientes enceintes non immunisées sur les moyens de prévention contre la toxoplasmose. Une lettre type, devant être délivrée par le professionnel de santé aux femmes enceintes, a été proposée dans ce texte, pouvant ainsi appuyer l’information orale. Les recommandations impératives portent sur la consommation de viande bien cuite, le lavage soigneux des crudités, le fait de nourrir le chat de la maison avec des aliments en boîte et de ne pas changer soi-même sa litière, ou le faire avec des gants, et se laver soigneusement les mains. Dès le milieu des années 90, les principaux facteurs de contamination sont bien identifiés. Des recommandations pour la prévention de la séroconversion toxoplasmique sont publiées dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH). Celles-ci s’appuient sur les résultats d’une étude cas-témoins effectuée en France en 1995 (Baril, 1999). En 2005, le groupe de travail Toxoplasma gondii de l’Afssa réalise un état des lieux des connaissances relatives à cette maladie, et fournit aux autorités sanitaires les éléments scientifiques pour améliorer la prévention. Les mesures préventives proposées sont relativement claires et complètes reprenant les recommandations indispensables, les recommandations complémentaires et pour chaque recommandation, une rubrique « Précisions » est proposée. Cependant, si les connaissances sont ainsi mises à jour, les messages de prévention ne seront enrichis officiellement qu’en 2009, par la publication des recommandations de la HAS. Dans ce rapport, il est rappelé que les mesures de prévention primaire, identifiées par l’Afssa, doivent constituer le cœur des recommandations en direction des femmes enceintes et des femmes ayant un projet parental. Il est précisé que cette information doit être délivrée de façon répétée, oralement et au moyen de supports écrits, par tous les professionnels de santé engagés dans le suivi de la grossesse. D’autres messages de prévention seront ensuite publiés par différentes instances, telles que l’Anses, l’INVS et la Haute autorité de la santé (HAS), et repris avec plus ou moins de similitudes.

S’agissant de la listériose, la bactérie a été décrite pour la première fois en 1926. Le premier texte étudié date de 1960. Il est établi par l’OMS qui suspectait pour cette maladie « nouvelle » une transmission par des aliments infectés, notamment le lait. Malgré la survenue de nombreuses épidémies dans le monde, il a fallu attendre les années 1980 pour que l’ingestion d’aliments contaminés soit reconnue comme la cause de la maladie dans de nombreux pays. La France a tardé à reconnaître cette origine, dont l’hypothèse a été confirmée en 1989. Pourtant, les premières mesures de contrôle ont été introduites en France en 1986, lorsque les États-Unis ont imposé la norme « Zéro listeria» dans les fromages d’importation. Ce contrôle sur les industriels s’est généralisé, en 1988, à l’ensemble des producteurs de fromage à diffusion nationale (Goulet, Laurent, 2008).

Les premiers messages de prévention apparaissent dans un BEH de 1987. Celui-ci expose la situation en France et en Suisse et mentionne les « commentaires de l’Office fédéral suisse de la Santé publique» suite aux épidémies survenues dans ce pays. Celui-ci préconise de laver ou cuire les fruits, légumes et herbes aromatiques avant de les consommer, de laver ou cuire les denrées alimentaires prélavées au réfrigérateur, et de ne pas consommer la croûte des fromages. Les premières recommandations françaises émises dans un Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) datent de 1992, suite à une importante épidémie liée à la consommation de charcuterie. La spécificité liée à cette maladie provient du caractère très évolutif des recommandations. Celles-ci s’affinent en fonction de la découverte des nouveaux aliments contaminés via l’observation d’épidémies, la découverte de cas ponctuels ou encore la découverte d’aliments contaminés lors des plans de contrôle. Elles se sont donc enrichies en 1992 (charcuterie), en 1993 (nettoyage et désinfection du réfrigérateur) puis en 1995 (poissons fumés, graines germées crues, produits de charcuterie à la coupe). Un document rappelant ces nouvelles recommandations a été adressé par voie de circulaire à l’attention des médecins concernés. L’Institut de veille sanitaire (INVS) émet des recommandations détaillées en 1997. La listériose devient une maladie à déclaration obligatoire en 1998 (circulaire DGS/VS n°98-240 du 15 avril 1998) ; une information sur les précautions alimentaires nécessaires est diffusée aux médecins cette même année. En 2000, une nouvelle épidémie en France sera l’occasion de renforcer l’information. À ces précédentes recommandations s’ajoutent celles d’éviter la consommation de fromage vendu râpé, de coquillages crus, de surimi, de tarama, ainsi que de contrôler la température des réfrigérateurs et respecter les dates limites de consommation. Ensuite, les différentes institutions (ministère en charge de la santé et celui en charge de l’alimentation, INVS, Anses, Inserm, OMS, Agence nationale de santé publique) publient leurs propres recommandations.

Précautions alimentaires : une accumulation de messages au risque de la confusion

Comme nous venons de le voir, les savoirs et par conséquent les messages de prévention sont en constante évolution. Cette instabilité se répercute sur les informations que les professionnels de santé transmettent à leurs patientes. Pour questionner la clarté des recommandations à leur disposition, nous allons porter notre attention sur les messages de prévention concernant les produits carnés.

Dès le début des années 1970 se répand l’information sur la vigilance vis-à-vis de la viande insuffisamment cuite. Ce conseil perdure, et est de nos jours bien connu de la part des professionnels de santé (Le Doussal, 2018). Les toutes premières préconisations de cuisson datent de 1976 : l’OMS conseille de chauffer les viandes jusqu’à 56 °C pendant 10 à 15 minutes. Cette notion de température apparaît ensuite de façon récurrente, mais non systématique, dès la fin des années 1990. Le BEH de 1996 propose ensuite la définition d’une cuisson « suffisante », c’est-à-dire atteignant au moins 65 °C dans toute l’épaisseur de la viande. La température minimum de cuisson « à cœur » varie selon les textes entre 67 et 68 °C. Ce conseil ne permet pas une application pratique pour les femmes enceintes. Chacun doit « surtout faire sens de ces messages au quotidien » (Kivits, 2008). Une précision utile a été apportée dans un rapport de l’OMS de 1987 : « La viande destinée à la consommation par les femmes enceintes doit être cuite jusqu’à ce que la couleur change ». Il faudra ensuite attendre le rapport de l’Afssa, en 2005, pour avoir une explication détaillée de ce que l’on appelle une viande « bien cuite », c’est-à-dire ayant un aspect extérieur doré, voire marron, avec un centre rose très clair, presque beige, et ne laissant échapper aucun jus rosé. Mais celle-ci ne sera que très peu reprise par les différentes instances. Avant les années 2000, les conseils de cuisson concernaient surtout la viande rouge, notamment le bœuf, le porc et le mouton. De nos jours, il est bien établi qu’il faut « bien cuire tout type de viande », comme le précise la HAS en 2012. Un autre conseil est de s’abstenir de consommer de la viande marinée, saumurée ou fumée. Cette précaution, énoncée par l’Afssa en 2005, sera reprise uniquement par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) et la HAS.

Les textes étudiés n’évoquent pas ou peu les autres modes de préparation, tels que la cuisson au micro-ondes ou au barbecue, qui créent une température inhomogène ne permettant pas de supprimer l’infectiosité de la viande. Ce risque est évoqué par l’Afssa en 2005, mais ne sera pas repris dans les autres textes. La consommation de viande surgelée industriellement a été l’un des conseils donnés pour se prémunir du risque lié à la toxoplasmose. Récemment, les instances insistent sur l’importance de la congélation de la viande au sein du foyer. L’infectiosité de la viande serait supprimée par une congélation pendant au moins 3 jours à -12 °C, mais ce temps peut dépendre de l’épaisseur de la pièce de viande.

Les dernières recommandations de la HAS (2017) préconisent par exemple de ne pas consommer d’œufs ou de lait crus, et d’éviter les fruits de mer. Ce risque lié à la consommation d’œufs crus et lait de vache non pasteurisé est évoqué sur le plan théorique depuis toujours, mais nous manquons d’études qui permettent de l’exclure ou de le confirmer. Le risque de contamination par le lait de vache est considéré comme quasi nul, alors que celui lié à la consommation de lait de chèvre a été prouvé. Ces exemples montrent un choix de la HAS de s’appuyer dans ses recommandations sur le principe de précaution. Par ailleurs, ces conseils peuvent également créer une confusion pour les professionnels de santé, puisqu’ils sont également associés à la listériose pour le lait cru, et à la salmonellose pour les œufs. Une étude conduite auprès des médecins généralistes de Bourgogne a montré que beaucoup avaient une connaissance insuffisante des modes de contamination par T. Gondii (Binquet, 2003). Ainsi, près de trois quarts des praticiens interrogés (74%) considéraient qu’une griffure de chat pouvait être un facteur de risque, et 23% évoquaient la consommation de fromage au lait cru. Cela souligne leur difficulté à délivrer une information spécifique à chaque risque infectieux.

Par ailleurs, le risque lié à la consommation de coquillages a été évoqué du fait de la possibilité de les infecter expérimentalement par de l’eau de mer contaminée. La même règle que pour la viande  peut être appliquée pour la consommation de fruits de mer: une cuisson à cœur de 67°C permet de ne pas imposer une éviction complète. Avoir à disposition des recommandations très complètes, intégrant des modes de contamination suspectés, engendre d’importantes restrictions pour les femmes enceintes. Celles-ci sont sources de frustrations et de stress, et peuvent finalement conduire à une potentielle prise de risque. Cela renvoie à l’idée que « l’ingestion quotidienne des aliments devient problématique, représente un risque lorsque on a la responsabilité de nourrir un autre individu » (Jacques, 2004). Se pose alors la question du message de prévention que les instances doivent délivrer.

Gardons l’exemple des produits carnés pour la listériose. Dès 1987, l’Académie nationale de médecine met en garde sur la présence de Listeria dans de nombreux produits carnés. Les premières recommandations sont publiées en 1992, précisant de « cuire soigneusement les aliments crus d’origine animale ». Ce conseil sera repris jusqu’à la fin des années 1990. Pourtant, l’adverbe « soigneusement » est un terme peu précis. Cette imprécision est reprise pour d’autres conseils : « Laver soigneusement les légumes et les herbes aromatiques », « Les restes alimentaires et les plats cuisinés doivent être réchauffés soigneusement avant consommation immédiate ». Nous pouvons faire le parallèle avec certaines recommandations figurant dans les messages sanitaires actuels. Comme le souligne l’Inserm (2017) dans son rapport « Agir sur les comportements nutritionnels », qu’est-ce qu’une activité physique régulière ? Que signifie exactement : ne pas manger « trop gras », « trop sucré », ou « trop salé » ? Que veut dire précisément «bien se dépenser » ? Ce terme « soigneusement » sera remplacé dans les années suivantes par « bien cuire », ou juste « cuire ».

Une notion de température de cuisson, ainsi qu’une description explicite d’une viande «bien cuite » apparaissent tardivement, en 2007. L’INPES précise que « La viande doit être bien cuite afin de détruire les micro-organismes : une viande « bien cuite » perd sa couleur rouge et devient beige-rosé à cœur (température atteinte supérieure à 68°C) ». Dans son guide destiné aux professionnels de santé, certaines précautions, comme celle pour la cuisson de la viande, sont communes aux deux risques (listériose et toxoplasmose). Malgré cette information plus explicite, la notion de température ne sera pas reprise par les autres instances. Une seule précision sera apportée en 2018 par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, mais avec une température différente : « La bactérie étant tuée par la chaleur, il est essentiel de cuire ou réchauffer les aliments crus d’origine animale ou les plats prêts à consommer à plus de 75°C ».

Certaines recommandations sont parfois greffées de distinctions subtiles. Les premiers messages conseillaient d’éviter les fromages au lait cru, surtout à pâte molle. En revanche, dans certains textes plus récents, on va plutôt déconseiller les fromages à pâte molle surtout au lait cru (exemple : INPES en 2007). Ces modifications sont effectivement pertinentes, puisqu’au-delà du risque lié au lait cru, il existe celui lié aux conditions favorables de développement de la bactérie. Le taux d’humidité des fromages à pâte molle est favorable au développement de la bactérie. La pasteurisation tue normalement celle-ci, mais s’il en reste un peu, elle peut se développer plus facilement et contenir un taux élevé de germes lors de la consommation.

La connaissance des modes de contamination a évolué au cours du temps, reposant sur la découverte de nouveaux aliments contaminés ou une meilleure identification des processus de fabrication. Jusqu’en 2012, parmi les produits de la mer à risque de listériose, étaient mentionnés les coquillages crus, le poisson cru (sushi, surimi, tarama) et les poissons fumés (saumon, truite) (Programme national nutrition santé- PNNS, 2007). L’Anses lève en 2013 le risque et la mise en garde sur le surimi réfrigéré. Le processus de fabrication comporte « une phase de cuisson, suivie d’une étape de pasteurisation dans le conditionnement, détruisant les bactéries pathogènes thermosensibles, dont Listeria monocytogenes ». Le « guide nutrition pendant et après la grossesse » a ensuite été modifié suite à cet avis. Cependant, cette préconisation n’a pas toujours été intégrée dans les textes institutionnels, comme le montrent les précautions proposées par l’Inserm, qui citent encore en 2016 le surimi comme aliment à éviter pour les personnes sensibles.

Ce constat de décalage est d’autant plus vrai maintenant que l’on s’interroge sur le risque lié aux modifications des modes de consommation et de préparation : diminution du taux de sel pour la fabrication des aliments, augmentation des dates limites de consommation, mais également découverte de nouveaux aliments contaminés et rappels de produits, tels que les fruits (melon, Australie, 2018) ou légumes surgelés (2018, Europe).

Notons enfin que les textes institutionnels relatifs à la listériose sont plus nombreux que ceux relatifs à la toxoplasmose. Ce différentiel peut s’expliquer pour deux raisons. D’une part, les modes de contamination de la toxoplasmose ont été rapidement compris, permettant l’élaboration d’une liste de recommandations ayant peu évolué dans le temps, mais ayant gagné en précision. D’autre part, les connaissances sur la listériose, ainsi que les hypothèses sur les modes de contamination ont, quant à elles, évolué au rythme des épidémies et des cas sporadiques. Ceux-ci étant complexes, les recommandations qui en découlent ont varié au cours du temps, et continuent d’évoluer. De plus, cette différence peut s’expliquer par la gravité de la listériose pour les femmes enceintes, mais aussi potentiellement pour le consommateur en général, quel que soit son sexe. En effet, en fonction des défenses immunitaires du consommateur et de la quantité d’aliments contaminés ingérés, les symptômes sont variables, pouvant soit passer inaperçus, soit aller, à l’extrême, jusqu’au décès. La problématique vient du fait que cette bactérie se retrouve partout et tout le monde a déjà un jour mangé des aliments contaminés par Listeria monocytogenes.

Priorisation ou transversalité des messages de prévention ?

Cette distinction des messages de prévention selon les risques infectieux nous conduit à émettre l’hypothèse d’un risque de priorisation des discours sur l’une ou l’autre des infections évoquées plus haut.

D’une part, l’infection par la listériose étant rare, les professionnels de santé peuvent axer leurs conseils uniquement sur le risque lié à la toxoplasmose, puisque cela concerne une part croissante de la population de femmes enceintes. Les mesures de prévention sont en partie communes, puisqu’il s’agit dans les deux cas de germes ubiquitaires qui se trouvent au niveau de la terre, et qui infectent les animaux. Cependant, comme nous l’avons vu, le parasite Toxoplasma gondii serait tué par la surgélation industrielle et la congélation pendant au moins 3 jours à -12°C. En revanche, la bactérie Listeria monocytogenes n’est pas tuée par ce procédé. Si les conseils sont axés sur la prévention de la toxoplasmose uniquement, les femmes seront incitées à se prémunir de la maladie en consommant de la viande surgelée : « Consommer la viande bien cuite (à cœur) et/ou surgelée ». Cela implique un risque potentiel de contamination par Listeria monocytogenes, qui n’est détruite que par une cuisson adéquate.

D’autre part, on peut également supposer que l’annonce d’une immunité vis-à-vis de la toxoplasmose peut faire oublier les précautions alimentaires liées à la listériose, autant pour le professionnel de santé que la femme enceinte. Pourtant, comme l’explique V. Goulet (épidémiologiste, INVS), « il existe une corrélation significative entre l’incidence de la listériose materno-néonatale et le taux de séroprévalence régionale de la toxoplasmose chez les femmes enceintes ». Moins de cas de listériose ont été observés lorsque les femmes enceintes ne sont pas immunisées par la toxoplasmose. Il est donc plausible que les femmes séronégatives pour la toxoplasmose mettent en pratique ces recommandations de façon plus soutenue que les femmes séropositives notamment dans les derniers mois de grossesse et soient donc moins atteintes par la listériose. L’intrication des messages toxoplasmose et listériose doit de ce fait contribuer à sensibiliser la femme aux mesures de prévention alimentaires dans leur ensemble (Goulet, 2013). Comme V. Goulet le suggère, nous retiendrons l’intérêt potentiel de la transversalité des messages entre les risques infectieux alimentaires. Parfois proposé aux femmes enceintes (carnet de maternité, guide PNNS), un message transversal à tous les risques alimentaires infectieux tels que la toxoplasmose, la listériose, mais également la salmonellose, semble pertinent à proposer aux professionnels, de manière actualisée.

L’alimentation a toujours été source de peurs au niveau du grand public. Cela peut également influencer les messages de prévention reçus et délivrés par les professionnels de santé. Ces évolutions des peurs liées à l’alimentation se retrouvent pour d’autres risques tels que l’alcool et le tabac, pouvant également influencer les discours des professionnels de santé, avec une priorisation faite sur l’un des risques (par exemple, le risque lié à l’alcool pendant la grossesse). La priorisation peut aussi se faire sur la base des aliments estimés les plus à risque par les professionnels de santé. Jusqu’à présent, l’importance du risque listérien portait souvent sur les produits laitiers au lait cru. Or, les modes de consommation, les habitudes alimentaires (poisson cru) évoluant, il est intéressant de se questionner sur les autres modes de contamination par Listeria. En 2015, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a trouvé 5,9% des produits de la pêche contaminés, 1,1% de charcuteries et 0,3% de fromages. Ainsi, le risque de contamination prédomine pour les produits de la mer.

Les discours scientifiques de référence nourrissent aussi ceux du grand public via les médias. Le paysage informationnel et médiatique consacré à la santé paraît dominé par les thématiques de la prévention, de la promotion de la santé et du bien-être sanitaire (Kivits, 2008). Ce foisonnement de messages porte un risque supplémentaire de confusion entre discours experts et profanes. Les nouveaux modes d’alimentation et de partage des informations peuvent par ailleurs amener les femmes enceintes à consulter d’autres sources d’informations en plus du questionnement des professionnels de santé. Elles peuvent ainsi se tourner vers les sites Internet, les blogs, les forums ou leur entourage, afin de trouver des conseils adaptés à leurs pratiques alimentaires. Cette pléthore d’informations de santé peut contribuer à une dilution des messages scientifiquement validés. L’étude des pratiques informationnelles des femmes enceintes fait l’objet d’une seconde partie de la thèse.

Conclusion

La communication en santé est un défi lié « à la complexité du savoir médical, de ses immenses zones d’ombre, de son caractère évolutif, et aussi de ses dimensions économiques » (Igas, 2005). Pensés comme les pièces d’un puzzle, les messages de prévention pendant la grossesse s’articulent entre eux, tout en gardant un contour incertain et complexe.

L’apparente stabilité des mesures de prévention de la toxoplasmose peut faciliter leur appropriation par les professionnels de santé. En revanche, l’évolution de la découverte des aliments contaminés par Listeria rend finalement difficile la mise à jour des connaissances des professionnels de santé. Leur position d’expert peut se trouver déstabilisée, pouvant les conduire à délivrer des conseils succincts, une priorisation des messages ou les mettre en difficulté pour répondre à certaines interrogations précises des patientes. Celles-ci peuvent alors s’orienter vers d’autres sources d’informations qui risquent d’alimenter la confusion. La transversalité des messages de prévention est l’une des clés de compréhension évoquée. La circulation d’une information actualisée, tenant compte des pratiques numériques des professionnels de santé et des patientes, pourrait permettre également au fil du temps de renforcer les processus d’appropriation et de partage des connaissances, notamment pour les deux infections évoquées dans cet article.

 

Nous remercions le Pr Boutaud pour nous avoir montré l’intérêt d’une étude diachronique de ces deux sources. Le choix des sources ainsi que la période d’étude sont sous notre entière responsabilité.

Références bibliographiques

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Auteurs

Delphine Durand

.: Sage-femme cadre, chargée de recherche et développement à l’IREPS BFC (notamment dans le domaine de la périnatalité, la parentalité et la petite enfance) et doctorante en sciences de l’information et de la communication (thèse co-dirigée par le Pr E. Heilmann et le Pr C. Binquet ; laboratoire CIMEOS)
d.durand@ireps-bfc.org

Isabelle Millot

.: Médecin spécialiste en santé publique, directrice générale de l’Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (IREPS) de Bourgogne – Franche-Comté
i.millot@ireps-bfc.org

Christine Binquet

.: Médecin de Santé Publique, épidémiologiste, professeur des universités –praticien hospitalier à l’UFR des sciences de santé de Dijon, université de Bourgogne et coordinatrice du Centre d’investigation clinique (Inserm CIC1432), adossé au CHU de Dijon-Bourgogne et au Centre Georges François Leclerc, l’un de ses thèmes de prédilection porte sur la prévention de la toxoplasmose congénitale
christine.binquet@u-bourgogne.fr

Éric Heilmann

.: Professeur des universités en sciences de l’information et de la communication à l’UFR langues et communication, université de Bourgogne et directeur du laboratoire de recherche CIMEOS (EA4177) (Communications, Médiations, Organisations, Savoirs) en sciences de l’information et de la communication de l’université de Bourgogne
Eric.Heilmann@u-bourgogne.fr