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Voir des œuvres au musée et/ou en ligne. Approches méthodologiques croisées des publics

24 Juin, 2024

Résumé

Cet article discute des méthodes permettant de caractériser les publics des contenus muséaux en ligne, en se référant aux méthodes traditionnelles d’étude des publics et en intégrant les outils numériques. Plutôt que de se concentrer sur les publics d’un contenu spécifique, les auteures se penchent sur les publics touchés par des dispositifs numériques qui diffusent des contenus liés aux œuvres d’art et aux savoirs. La discussion s’appuie sur une double recherche : l’une sur les visiteurs des expositions en ligne proposées par des institutions et l’autre sur les publics touchés par les créateurs de contenus culturels sur les médias sociaux. Tandis que les compteurs d’audience sont aveugles aux caractéristiques sociodémographiques et à la réception, les questionnaires concernent soit la population dans son ensemble soit les pratiquants spécifiquement. Les démarches qualitatives doivent quant à elles combiner les outils traditionnels d’entretien et les incertitudes liées aux activités en ligne. L’association des méthodes reste donc nécessaire pour comprendre les déterminants de l’activité culturelle en général,  et plus spécifiquement de celle en ligne.

Mots clés

Muséologie, sociologie des publics, méthodologies croisées, numérique.

In English

Title

Viewing artworks at the museum and/or online. Cross-methodological approaches to audiences.

Abstract

This article discusses methods to characterize online museum content audiences, referring to traditional methods of public studies and integrating digital tools. Rather than focusing on visitors for specific content, the authors focus on public reached by digital services that distribute content related of art, history and knowledge. The discussion is based on double research: one on the audiences of institutions’ online exhibitions and the other on those reached by the creators of cultural content on digital platforms. Audience counters remain blind to sociodemographic characteristics and reception. Surveys concern either the whole population or practitioners specifically. Qualitative approaches must combine traditional interviews and uncertainties due to online activities. Hence, combining methods therefore remains necessary to understand the determinants of cultural activity in general and online contexts in particular.

Keywords

Museum studies, public studies, cross-methodologies, digital.

En Español

Título

Ver obras en el museo y/o online. Enfoques metodológicos multipúblicos

Resumen

Este artículo analiza métodos para caracterizar audiencias de contenidos de museos en línea, haciendo referencia a los métodos tradicionales de estudio de audiencias e integración de herramientas digitales. En lugar de centrarse en audiencias para contenidos específicos, los autores se centran en audiencias a las que llegan los dispositivos digitales que distribuyen contenidos relacionados con obras de arte y conocimiento. La discusión se basa en una doble investigación: una sobre las audiencias de las exposiciones en línea de las instituciones y otra sobre las alcanzadas por los creadores de contenidos culturales en las redes sociales. Los contadores de audiencia no tienen en cuenta las características sociodemográficas ni la recepción. Los cuestionarios se refieren a la población en su conjunto o a los profesionales específicamente. Los enfoques cualitativos deben combinar las herramientas tradicionales de entrevista y las incertidumbres vinculadas a las actividades en línea. Por lo tanto, sigue siendo necesario combinar métodos para comprender los determinantes de la actividad cultural en general y en línea en particular.

Palabras clave

Museología, sociología pública, metodologías cruzadas, digital.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Bastard Irène, Bernon Marie-Laure, Ballarini Marie, « Voir des œuvres au musée et/ou en ligne. Approches méthodologiques croisées des publics », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°24/2, , p.129 à 141, consulté le mardi 2 juillet 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2024/supplement-a/09-voir-des-oeuvres-au-musee-et-ou-en-ligne-approches-methodologiques-croisees-des-publics/

Introduction

Si les établissements culturels se « soucient » de leur public (Le Marec, Maczieck, 2020), saisir ces visiteurs laisse en suspens les enjeux épistémologiques induits par les méthodologies employées. Une première question vient du fait que le public ne se définit pas dans l’absolu (Esquenazi, 2003) mais au regard d’un contenu, comme « public de » musée, exposition, œuvre ou artiste. Une seconde tient au caractère polysémique de tout contenu culturel et à la diversité des modes d’appropriation des médiations, produisant autant d’interprétations que d’individus définis par leurs expériences et environnements sociaux. Davantage qu’une somme d’individus, le public est le produit d’un tissu d’interactions qui fondent la perception de chacun dans un collectif, où se discute explicitement ou en creux le sens donné à l’expérience (Dayan, 2000). Regarder les publics nécessite donc de prendre en compte le contenu, les médiations et les socialisations. Les méthodes d’enquête employées, des questionnaires sur les profils de visiteurs jusqu’aux expériences participatives (Eidelman, Gottesdiener et Le Marec, 2013), impliquent une conceptualisation des publics propre à chaque étude.

Nous prolongeons ces réflexions sur les méthodes d’étude des publics des musées en nous déplaçant dans les espaces numériques 1. Depuis presque 30 ans, les œuvres, les expositions, les lieux, les discours se mettent en ligne. La chaîne de production intègre la numérisation des contenus, une éditorialisation renouvelant les médiations et l’émergence d’acteurs indépendants sur les médias sociaux. Une nouvelle gamme de réalisations se crée, depuis les catalogues numériques sur des sites dédiés jusqu’aux interfaces pour déambuler dans les espaces d’exposition numérisés, comme dans un jeu vidéo, en passant par les visites de monuments en visioconférence ou par les cours d’histoire de l’art sur YouTube ou Twitch. Délimiter ce spectre de contenus muséaux en ligne paraît encore vain, tant les formats 2 se transforment au gré des expérimentations, des techniques et des évolutions diverses. Les confinements induits par la pandémie de COVID19 ont déclenché chez nombre d’établissements culturels des initiatives pour réinventer leur offre numérique à distance, et la réglementation évolue, par exemple, pour imposer l’affichage des conditions de rémunération de contenus. Passer en ligne élargit de plus le périmètre des publics de musée aux publics des œuvres d’art, d’histoire de l’art et de savoirs toutes formes de médiation confondues. Atteindre ces publics nécessite donc d’adapter la focale d’étude, en considérant des publics non pas d’un espace de contenus culturels difficile à délimiter, mais plutôt de productions culturelles sur internet.

Au lieu de considérer les publics de contenus culturels spécifiques, nous allons nous intéresser aux publics constitués par les dispositifs numériques. L’objet de cet article est de discuter les méthodes permettant de voir ces publics qui sont à distance dans une double acception : les individus qui consomment des contenus culturels via les sites web ou les réseaux socio-numériques sont à distance des espaces physiques de présentations des œuvres  ou des auditorium de conférence ; ils sont alors aussi à distance des enquêteurs et enquêtrices, qui doivent trouver comment identifier, recruter et interroger ces visiteurs. L’enjeu est ainsi de caractériser les pratiques culturelles en ligne au prisme des pratiques culturelles et des pratiques numériques. Deux recherches ont été menées en parallèle sur les publics de contenus sur l’art et les savoirs mis en ligne par les institutions comme les expositions en ligne d’une part, et par des créateurs indépendants publiant sur les blogs, YouTube, Instagram ou autre support de diffusion d’autre part. Il ne s’agit pas ici de revenir sur leurs résultats respectifs (voir Bernon, 2023 ; Ballarini, 2022), mais de rendre compte des explorations méthodologiques mises en œuvre, pour discuter des conséquences heuristiques des stratégies adoptées. Ainsi, cet article met en abyme la question des publics à partir des conceptions induites par les méthodologies d’étude. Dans quelle mesure les méthodes traditionnellement utilisées pour l’étude des publics de musées permettent d’observer les publics en ligne ? Comment les méthodes recourant à des outils numériques questionnent en retour la compréhension des visiteurs en général ?

Le propos se structure en deux parties. La première concerne les méthodes quantitatives utilisées pour décrire les publics avec des métriques et des questionnaires. La seconde porte sur les méthodes qualitatives qui abordent la réception et le sens donné à la pratique. À chaque fois, nous distinguons les méthodes faisant appel à la participation des enquêtés de celles où le chercheur reste invisible.

Compter les visiteurs et décrire les profils

Une première approche des publics de la culture cherche à les dénombrer et à les décrire en termes de caractéristiques sociodémographiques. Sans passer outre toutes les critiques épistémologiques et politiques de ces modèles, ils donnent un appui pour questionner les déplacements liés au numérique. En premier lieu, ces approches quantitatives se dupliquent : on peut compter des entrées et des vues, poser les mêmes questions aux enquêtés hors ligne et en ligne. Les méthodes mises en œuvre sont alors le prétexte pour s’interroger sur ce que l’on mesure dans chaque cas, mais aussi sur comment les enquêtés sont recrutés.

Nombre de visites, de visiteurs, de vues

La « mesure » conventionnelle des publics d’un établissement culturel est le nombre de visites : cet indicateur figure chaque année dans tous les rapports d’activité. In situ, les comptages sont produits par des prompteurs placés en entrée des espaces. Ils sont considérés comme relativement stables, ce qui permet aux structures de se comparer entre elles. Ces méthodes sont renouvelées par des techniques utilisant la vidéo pour compter les personnes à un endroit, voire pour suivre les visiteurs pour collecter des données sur le parcours et le temps de visite. Rappelons toutefois que ces méthodes identifient mal les individus : elles ne permettent ni de dénombrer les visiteurs uniques ni de connaître leurs caractéristiques.

Sur les sites web, les mesures d’audience sont établies par des outils dédiés, par exemple Xiti ou Google Analytics, qui appliquent des modélisations et redressements aux données de connexion. Ces outils restituent pour un site le nombre de visites (entrées sur le site, suivies d’une navigation ou non) ainsi que d’autres informations : contrairement au compteur in situ qui se place à un point d’entrée et ne sait rien du nombre de salles parcourues par la suite, les trackers en ligne peuvent établir la durée d’une visite, le nombre de pages consultées et les parcours au sein de ces contenus pour une session. L’analyse de parcours reste tout aussi complexe que de suivre des visiteurs dans un musée, puisqu’une infinité de trajectoires est possible. Des méthodes de types « analyse de logs » pourraient être utilisées pour comprendre les parcours de navigation en ligne, comme cela a été fait sur la bibliothèque numérique Gallica (voir Nouvellet et al., 2017 ; Dumas Primbault, 2022). À notre connaissance, aucune analyse de ce type n’a été entreprise sur des contenus d’art pour étudier les pratiques culturelles. Même avec ces outils, identifier les visiteurs derrière les visites est une opération délicate, qui dépend de la configuration informatique choisie par l’internaute, de la politique de cookies appliquée, de la durée d’observation, etc.

Cette impossibilité d’identifier les individus pourrait être dépassée sur les réseaux sociaux (au sens de boyd et Ellison, 2008) puisque les publications sont vues à partir d’un compte avec lequel l’internaute est authentifié. Les plateformes produisent moult tableaux de bord avec les performances de chaque publication. L’administrateur du compte peut avoir des données sur les profils, les durées de vue, les réactions. Ces données sont fournies par les éditeurs eux-mêmes sans qu’aucune information sur les modes de calcul ne soit explicitée, pas plus sur la potentielle identification de faux comptes que sur le dédoublonnage des multiples consultations d’une story. C’est alors la saturation de données qui interroge leur utilisation : quels sont les indicateurs pertinents à suivre ? Comment mesurer si les publications ont toujours les mêmes fans ou renouvellent les publics ? Peut-on comparer les performances de différents comptes ?

Ces mesures d’audience et l’utilisation des indicateurs se heurtent donc à de nombreuses limites (Beauvisage, 2013). On retiendra ici que la fréquentation mesure, in situ et en ligne, des visites, mais pas des visiteurs. Si ces mesures comportent toutes des biais, leur intérêt réside dans le fait d’établir des analyses longitudinales. En l’absence d’un tiers de confiance qui certifierait les audiences, comme dans le secteur des médias, il paraît toutefois complexe de comparer des données issues de différentes plateformes ou de différents établissements. En retour, le numérique interroge les traditions de mesure in situ : est-ce que les visiteurs ont davantage regardé les œuvres, les cartels ou leur compagnon de visite ?

Les questionnaires : enquête universelle, enquête spécifique

Si les métriques ne captent rien des individus, l’autre méthode quantitative consiste à les interroger directement sur leurs activités. De manière générale, les chercheurs ont bien identifié la complémentarité des études recourant aux données du web et celles interrogeant les individus. Les traces fournissent des informations sur les activités réelles avec une grande précision, mais demeurent aveugles aux individus derrière leurs écrans ; les questionnaires standardisent les informations sur les répondants au risque de laisser dans l’ombre des activités non questionnées (Bastard et al., 2014). Dans le programme de recherche entrepris, deux questionnaires ont été utilisés.

Pour l’étude des publics des expositions en ligne, nous avons exploité une question de l’enquête Pratiques Culturelles 2018 (PC18, n=9234 3), dans la partie consacrée aux activités en ligne : « Au cours des 12 derniers mois, avez-vous fait une visite virtuelle d’une exposition, un musée ? » 9,7% de la population répondent par la positive. Les informations sociodémographiques sont très nombreuses sur les répondants : parmi les 897 visiteurs en ligne, on peut savoir que 59% sont des femmes, 6% ont moins de 25 ans et 33% plus de 65 ans, et 20% habitent en Île-de-France. Il n’y a en revanche pas de question sur les types de contenu consulté ou les conditions de la visite : ce n’est donc pas la visite virtuelle en elle-même que l’enquête permet de décrire, mais plutôt son lien avec les autres pratiques culturelles comme la visite au musée ou le visionnage de concert en ligne.

En complément de cette enquête nationale, nous avons élaboré un questionnaire spécifiquement dédié à la consultation des contenus culturels sur les médias sociaux plus largement (au sens de Stenger et Coutant, 2010). Cette démarche donne la possibilité de poser de nombreuses questions sur la pratique elle-même, par exemple : est-ce qu’on consomme des cours d’histoire de l’art dans les transports ou dans des temps dédiés ? Est-ce qu’on apprécie de connaître le visage des créateurs ou non ? L’enquête a été diffusée par 20 créateurs de contenus culturels, rencontrés lors d’une autre phase de la recherche, via leurs canaux de communication habituels. 4100 personnes ont ainsi répondu à la trentaine de questions proposées, de manière auto-administrée, ce qui permet de penser que les pratiques concernaient bien les répondants. Avec cette approche, les amateurs de contenus culturels en ligne sont plutôt des femmes (86%), de 32 ans en moyenne. Les répondants sont quasiment tous des visiteurs de musée : un sur cinq déclare une pratique muséale intensive (plus de 12 visites de musées par an). On observe à travers les différentes questions que les répondants préfèrent un ton institutionnel ou informel, et consomment tous ces contenus « pour apprendre des choses ». Les données fournissent également des informations sur les « non-publics » des musées in situ, puisque 3% de répondants consultent uniquement des contenus en ligne.

Du profil à la pratique

En quoi ces deux enquêtes peuvent-elles se compléter et que nous apprennent-elles sur les méthodes de recherche sur les pratiques culturelles en ligne ? Leur différence de recrutement permet de comprendre ce que l’une et l’autre étudient, en termes de périmètre d’activité et de population. Les questions communes donnent à voir la constitution des échantillons et les biais liés à la diffusion ou à la posture de répondant. Les réponses de l’enquête via les créateurs ne sont en rien représentatives de la population française, mais on peut considérer qu’elles sont signifiantes quant à la population d’amateurs des contenus culturels institutionnels et indépendants en ligne. Ce type d’approfondissement des pratiques éclaire donc un pan donné des publics, celles et ceux à même de rendre compte de leurs pratiques et engagés dans une participation à la connaissance des pratiques 4. A contrario, l’enquête PC18 apporte une mise en perspective de ces activités dans l’ensemble de la population française, y compris chez les « non-publics » de ces contenus culturels.

Néanmoins, malgré l’accumulation de questions et de réponses, l’analyse rappelle la difficulté d’identifier des pratiques singulières à partir des questions standardisées. D’un côté, l’enquête PC18 questionne les types de musée visités, ainsi que les périodes de visites et la sociabilité associée. En revanche, le fait de suivre des visites guidées avec des médiateurs ou de consommer des contenus culturels sur les médias sociaux ne fait pas partie des informations disponibles sur les enquêtés. De même, l’enquête diffusée sur Instagram démarre par une question ouverte sur les comptes de contenus culturels auxquels les enquêtés se déclaraient abonnés. Le volume et l’hétérogénéité des réponses rendent l’analyse fastidieuse et illustrent en creux la difficulté à se représenter les objets considérés : certains ont évoqué les médias traditionnels comme Arte, d’autres les institutions comme la BnF. Cette enquête cherchait aussi à capter l’intensité, le cadre et une forme de satisfaction de l’activité. La réception doit alors être mise en sens, même si elle varie au fil des publications : pour un même compte, on peut apprécier un post et pas le suivant. L’incertitude sur la réception des œuvres et des savoirs persiste donc. Cette envie d’approcher le sensible implique de recourir à des méthodes qualitatives et de s’attacher à des expériences spécifiques, où le numérique challenge à nouveau les méthodes.

Chercher la réception

En quoi la rencontre de l’art et des savoirs nourrit-elle chaque individu et, de là, la société ? Et qu’est-ce qui change avec la rencontre de l’art et des savoirs en ligne ? Il ne s’agit en effet pas d’aller au musée pour se promener, quoique cette sortie puisse se suffire à elle-même. L’ambition des établissements et des professionnels, au-delà de la mission de conservation des œuvres et des savoirs, est de les transmettre et de les partager au plus grand nombre. Or cette transmission repose sur une expérience des contenus par les visiteurs, qui mêle différentes dimensions de rapport aux œuvres identifiées par Hervé Glévarec : l’attachement, au sens de « ce à quoi tiennent les personnes » (2021, p. 130) ; le savoir, au sens de l’apport cognitif ; et le concernement, au sens de l’œuvre qui « me parle » ou non (p. 137). Les questionnaires peinent à caractériser ces dimensions tant l’expérience résiste à l’objectivation systématique. La décrire nécessite de s’attacher à des cas particuliers, en citant un tableau, en se rappelant une situation, au risque de passer sous silence les multiples bribes qui tissent le sens que chacun fabrique de sa culture. Les méthodes mobilisées investissent des cas précis et mettent à jour des discours contradictoires dans les récits de visite.

Approfondir l’enquête avec des entretiens : ce qui est induit par le fait de parler à un enquêteur

Un panel d’enquêtés ayant répondu à l’un ou l’autre des questionnaires a été resollicité pour des entretiens, dans les semaines qui ont suivi l’enquête diffusée via les créateurs mais trois ans après pour les contacts de l’enquête PC18. Ce délai est bien sûr très conséquent, surtout pour une enquête qui ne se prétend pas longitudinale. Il résulte du temps nécessaire au traitement des données et à la mise en place de l’APR, dans le respect des conditions d’anonymisation de l’enquête. En point positif, cet entretien éloigné du questionnaire permet une réflexion sur l’évolution de l’activité depuis l’enquête et une forme de mise à jour sur la pratique. Des recrutements ont aussi été conduits en sortie d’exposition et en boule de neige, aboutissant à un corpus de 80 entretiens réalisés par téléphone, en visio ou en face-à-face, pour des durées d’une demi-heure à une heure. Ces échanges permettent d’approfondir ce que revêtent la visite et l’art en ligne, en situant l’activité dans un registre plus large comme les activités non culturelles, le rapport à l’école et à la transmission, entre autres.

Le refus d’un entretien ou les conditions établies pour son acceptation laissent entendre des éléments sur la manière dont chaque personne interrogée perçoit ses pratiques culturelles. Tout d’abord, certaines personnes refusent de donner suite à la prise de contact en considérant qu’ils « ne font rien » ou que leurs pratiques « ne sont pas intéressantes ». On entend aussi une distance vis-à-vis des institutions, voire un sentiment d’illégitimité : une enquêtée déclarait ne pas souhaiter d’entretien à la BnF car elle se sentait comme « une petite souris » au milieu des grands murs. Les pratiques culturelles peuvent être plus valorisantes que d’autres activités soumises à des sondages, néanmoins leur caractère institutionnel suscite une autocensure des répondants ou des réponses convenues. Moins de refus ont été observés dans le panel des enquêtés recrutés sur l’enquête Instagram. On peut faire l’hypothèse que cette démarche était plus récente dans l’esprit des participants, que ce sont des profils plus diplômés et plus à l’aise pour prendre la parole, ou encore des personnes plus concernées par la question.

L’entretien en lui-même permet de comprendre les représentations et le sens que les enquêtés donnent à leurs activités. Par exemple, sur ce qu’est une « visite virtuelle », certains ont répondu en considérant qu’ils avaient « vu passer » des œuvres d’art sur Google Art ou sur Facebook, d’autres font référence aux informations pratiques des sites de musées. Sur ce qu’est une « sortie », un enquêté qui se décrit comme « pas très culture » parce qu’il préfère le sport, relate par exemple avoir vu une exposition de photographies sur les grilles d’une médiathèque en passant devant en moto, mais ne désigne pas cette expérience comme relevant d’une visite, car il lui manque le temps de la réception :

« C’est un lieu de passage, avec tous les jeunes qui viennent : ça faisait une exposition… À titre personnel, je ne pense pas que ça fasse une visite, parce que pour chaque chose artistique que je fais ou que j’étudie moi-même, j’ai besoin de recul ou de temps pour comprendre et savoir la chose. » (Stéphane, 19 ans, ouvrier)     

L’échange peut ainsi être l’occasion pour l’enquêté d’adopter une posture réflexive sur sa pratique.

Il convient toutefois de se demander ce que cette méthode recourant aux récits d’expériences remémorées capte des pratiques numériques. Celles-ci sont souvent mal objectivées par les individus. À la question « combien de comptes Instagram suivez-vous ? », une enquêtée répond :

« J’aurais envie de vous dire 20, mais je crois qu’il y en a 100 en vrai. [Rires] Je vais vous le dire, j’ai mon téléphone à côté. En plus, dans les comptes d’amis, je n’ai pas beaucoup de gens qui postent régulièrement, donc je pense qu’il y a plein de comptes que je suis, mais qui sont en “sous-marin“. Je vais vous dire… J’ai 190 abonnements. Vous voyez, c’est presque 200. » (Pauline, 26 ans, chargée de communication)

Les méthodes qualitatives ont permis de montrer une complémentarité entre les médiations in situ et en ligne dans l’expérience muséale des publics ainsi que d’entendre les liens que les enquêtés font avec d’autres pratiques ou d’autres contenus. Cette mosaïque des réceptions façonnée par chacun ne peut être comprise qu’en resserrant la focale sur ces fragments de rencontre d’une œuvre.

Scruter les traces de la visite

D’aucuns rêveraient de se mettre dans la tête d’un enquêté pour accéder à ce qu’il se passe quand il regarde un tableau puis se décide à s’intéresser au suivant. Cette impossibilité de l’omniscience oblige à trouver d’autres méthodes pour questionner ce qu’une œuvre fait aux visiteurs. En plus des entretiens, les méthodes ethnographiques observent les parcours de visiteurs (Levasseur et Veròn, 1983) et décrivent ces explorations en lien avec la familiarité muséale (Coavoux, 2019). Les méthodes d’eye tracking captent les mouvements oculaires d’un visiteur dans un musée (Schmitt et Aubert, 2017) ou devant un écran (Silveira da Fontoura, 2021). À l’occasion de notre recherche, deux expérimentations ont été menées sur des traces d’activité pour les discuter avec les enquêtés. Nous verrons en effet que, pour les méthodes qualitatives, utiliser les traces, non pas comme matériau autonome mais comme support à l’entretien, constitue une véritable source d’informations 5.

À l’aide d’un outil de web scrapping (consistant à collecter des contenus du web de manière automatique), les 1,2 million de comptes Instagram qui suivent au moins un des 80 comptes de créateurs de contenus culturels retenus dans le projet ont été collectés. Un algorithme de classification a par la suite réuni en clusters les créateurs suivis par les mêmes followers, puisque 80% des abonnés suivent plusieurs comptes du corpus. Ces groupes constituent des idéaux-types de la création de contenu culturel indépendante en ligne et différencient par exemple les créateurs proposant des contenus militants ou, au contraire, ceux avec une production plus conventionnelle. Cette visualisation de l’espace des créateurs de contenus a servi à approfondir les entretiens avec les professionnels. Toutefois, les données des abonnés étant anonymisées, il n’a pas été possible de formaliser le graphe des comptes suivis par un enquêté donné, comme l’avait fait l’enquête Algopol 6. Pour que ce type d’outil soit utilisé avec les publics, le recueil du consentement des participants est indispensable. A défaut, il faudrait utiliser des données anonymisées par les plateformes et mises à disposition de la recherche, ce qui impliquerait une législation spécifique des platesformes du web à mettre en lien avec la transparence des algorithmes.

Parallèlement à cette captation des abonnements accumulés par les internautes au fil de leur navigation, nous avons élaboré un protocole où les enquêtés fabriquent eux-mêmes leurs traces en remplissant un « carnet de navigation ». Recrutées à la sortie de différentes expositions, les personnes sollicitées se voyaient remettre un support papier ou numérique afin de « raconter » leur exploration d’une sélection de sites d’expositions en ligne, une fois rentrés chez eux 7. Il était proposé à l’enquêté de « visiter » des expositions en ligne et, pour chaque contenu, d’indiquer le contexte spatio-temporel de la visite, les contenus parcourus (œuvres et médiations), les appréciations et ressentis (voir annexe 2). Deux semaines après, un entretien en visio ou en face-à-face, mené à partir de la lecture de ces traces dans le journal de visite, permettait d’approcher la pratique numérique au plus près de son contexte habituel, en minimisant les effets de laboratoire. Ces données s’analysent de deux manières. Dans un premier temps, il s’agit de formaliser la navigation elle-même. On entend ici un fort ancrage dans les pratiques numériques (« ça ressemble à Wikipédia ») et des références à des sites plutôt qu’à des expériences de visite. Ensuite, on peut se demander si l’exploration en ligne reproduit les trajectoires in situ. Une enquêtée qui a une longue carrière de visiteuse d’exposition (Eidelmann, Cordier et Letrait, 2003) dit ainsi suivre en ligne le parcours physique dans le cas proposé :

« J’ai navigué en allant dans l’ordre de l’expo Baudelaire et dans les différents chapitres, je retrouvais un peu ce que j’avais beaucoup aimé dans l’exposition sur place » (Déborah, 45 ans, employée de banque)

Ces carnets offrent ainsi un support pour dire l’expérience et appréhender les modes de réception en suscitant une réflexivité sur les pratiques de visite.

Faire un patchwork et recommencer

Les discussions sur les méthodes d’enquête sur les publics de musées sont inépuisables. L’étude des publics par les dispositifs numériques remet sur le métier les approches : ces publics sont d’autant plus flous qu’ils sont éloignés des espaces, connectés par des dispositifs créés par les établissements ou des indépendants, sur des plateformes initialement utilisées pour entretenir des liens sociaux plutôt que pour se cultiver. Les méthodes se renouvellent autant en recourant aux outils numériques eux-mêmes qu’en revenant aux observations et matériaux traditionnels. En mettant simultanément en marche deux enquêtes sur cette activité protéiforme que constitue la rencontre des œuvres en ligne, notre recherche veut participer à ces réflexions à son échelle nécessairement limitée. Tentons néanmoins une synthèse des apports et limites de chaque méthode mobilisée : si certains enseignements sont communs, des spécificités subsistent (voir Tableau 1).

Tableau 1. Synthèse des méthodes utilisées pour observer les publics des œuvres au musée ou en ligne

Parmi ces modalités techniques, aucune n’explore les sociabilités attachées aux visites : les interactions entre les publics dans le chat du live d’une visite n’ont pas été analysées. Or, ce matériau pourrait constituer la base d’une enquête montrant les manières de « faire public » en ligne. Une approche des sociabilités attachées aux visites serait ainsi un moyen pour saisir la réception des œuvres, que ce soit in situ en utilisant les conversations devant une œuvre ou en ligne dans les interactions entre les publics.

Cet inventaire aboutit à l’idée qu’aucune approche ne se suffit à elle-même et que l’accumulation des points de vue sur les visiteurs et leurs visites reste nécessaire. C’est la complémentarité des méthodes quantitatives et qualitatives qui permet de comprendre les publics de musées en ligne, en articulant une connaissance « extensive » (Desrosières, 2008[1989]) de la consommation culturelle sur un grand nombre d’individus, et « intensive » des réceptions sur un petit panel de visiteurs. Avec ce patchwork, les motifs récurrents alternent zoom sur l’activité précise et les œuvres rencontrées et dé-zoom sur la pratique en général, interrogations sur des points pratiques comme le matériel utilisé et questionnements sur ce que voir des œuvres d’art fait à chacun. Ces matériaux entrelacent encore et toujours pratiques numériques et pratiques in situ : l’une ne va pas sans l’autre, ne serait-ce que dans l’appréhension de ce qu’incarnent l’art et la culture. Les dispositifs et offres continuant à évoluer, il est entendu que les pratiques de visite en ligne seront encore transformées dans les années à venir. On ne peut donc conclure qu’au souhait de pouvoir reconduire des démarches génériques attachées aux publics des musées par les substituts numériques dans toute leur ampleur présentée dans ce numéro, quels que soient les institutions et objets concernés, pour tenir compte de l’accumulation des expériences au fil de l’eau.

Notes

[1] Nous remercions les différents relecteurs de nos propositions pour leurs conseils. Cette recherche a été financée par l’APR du ministère de la Culture pour des approfondissements de l’enquête Pratiques Culturelles 2018 avec la Bibliothèque nationale de France et le LabEx ICCA.

[2] Les workshops du projet POL-EXPOZ (15/10/21, Marseille et 04/02/22, Paris) ont souligné la difficulté à décrire et à catégoriser les différents formats produits par les institutions culturelles. Le ministère de la Culture a produit un guide de conseil pour certains types de production : https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Innovation-numerique/Publications/Visites-en-ligne-guide-a-destination-des-institutions-culturelles, consulté le 07/08/2023.

[3] Les enquêtes « Pratiques Culturelles » sont conduites par le ministère de la Culture depuis plus de 50 ans pour mesurer la participation de la population aux loisirs et à la vie culturelle. La 6ème édition, menée tout au long de l’année 2018, a interrogé un échantillon représentatif des personnes résidants en France métropolitaine.

[4] Cette observation se généralise à d’autres domaines, par exemple dans les travaux d’aiguille où les enquêtés recrutés en ligne sont plus familiers du numérique (Zabban, 2015) que ceux recrutés hors ligne (Bernon et Trédan, 2024).

[5] Voir aussi des exemples de ces méthodes dans les recherches de Valérie Beaudouin sur la navigation sur Gallica : https://hal.science/hal-01709210.

[6] Le projet ANR Algopol avait construit une application avec laquelle les participants utilisateurs de Facebook
pouvaient visualiser leur réseau d’amis.

[7] Une tentative d’observation directe de la navigation en ligne a été testée en installant un ordinateur en sortie d’exposition : cette méthode était beaucoup plus ardue car les personnes n’étaient pas chez elles et jouaient plus du test d’interface que de la visite en ligne.

Références bibliographiques

Ballarini, Marie (2022), La création de contenus culturels sur les médias sociaux : entre médiation et communication. Rapport de recherche BnF / Labex ICCA, [en ligne], consulté le 29 janvier 2024, https://hal.science/hal-04085845      

Bastard, Irène ; Cardon, Dominique ; Fouetillou, Guilhem ; Prieur, Christophe ; Raux, Stéphane (2014), « Chapitre 8. Travail et travailleurs de la donnée: Les sciences sociales et les données du web dans l’enquête Algopol » (p. 133-148), in Calderan, Louisette ; Laurent, Pascal ; Lowinger Hélène ; Millet Jacques (dir.), Big Data : Nouvelles partitions de l’information. Actes du séminaire IST Inria, De Boeck Supérieur.

Bernon Marie-Laure (2023), « Les publics de musées sur internet : une typologie de visiteurs par leurs profils et usages des expositions en ligne », Revue française des sciences de l’information et de la communication, 27. [en ligne], consulté le 29 janvier 2024,
https://journals.openedition.org/rfsic/14778

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Annexes

 

Auteures

Irène Bastard

Irène Bastard est ingénieure diplômée de Télécom Paris et docteure en sociologie. Ses recherches portent sur les publics de la culture et de l’information à l’ère numérique. Elle enseigne à l’EHESS un séminaire d’enquête. A la Bibliothèque nationale de France, Irène Bastard mène les études de publics au sein de la délégation à la stratégie et à la recherche.
irene.bastard@bnf.fr

Marie-Laure Bernon

Marie-Laure Bernon est docteure en sociologie et chercheuse associée au Centre d’Études pour le Développement des Territoires et l’Environnement (laboratoire de sciences humaines et sociales, université d’Orléans). Au croisement d’une sociologie de la culture et du numérique, ses recherches interrogent l’incidence d’internet sur les pratiques culturelles, les modes de réception des œuvres d’arts et de savoirs et les manières de faire public (notamment de musées).
bernonmlaure@gmail.com

Marie Ballarini

Marie Ballarini est enseignante chercheuse à l’Université Paris Dauphine – PSL et docteure en sciences de l’information et de la communication de l’Université Sorbonne Nouvelle. Ses recherches portent sur les enjeux du mécénat muséal et les publics des médiations numériques, notamment ceux des contenus culturels sur les réseaux sociaux et des dispositifs en réalité virtuelle.
marie.ballarini@dauphine.psl.eu