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Google Arts & Culture. Représentations des institutions culturelles et substitutions des œuvres.

24 Juin, 2024

Résumé

Cette contribution interroge la plateforme Google Arts et Culture en tant que dispositif numérique à prétention médiationnelle. Nous partons du principe que la plateforme repose sur une mise en scène dotée d’une spectacularité très intense et dont certains motifs permettent de l’analyser à travers sa dimension fantasmagorique. Nous étudions la présence des méta-formes qui organisent la lecture de la plateforme, ainsi que la façon dont cette lecture repose sur le principe du geste. A travers l’exploitation de petites formes numériques constitutives de la plateforme, nous observons de quelle manière cette dernière se construit en tant qu’industrie médiatisante. L’objectif est d’observer comment l’acteur Google capte et transforme les lieux où la culture est développée et contribue à sa circulation métamorphique. In fine, il s’agit de rendre compte de la tension entre la représentation numérique des espaces institutionnels et la façon dont cette représentation favorise des processus de substitution des œuvres virtuellement exposées. Cette tension est renforcée par le fait que les institutions sont garantes de la préservation et de l’exposition du patrimoine culturel et artistique.

Mots clés

Fantasmagorie, industries médiatisantes, lecture gestualisée, méta-forme, représentation, substitution.

In English

Title

Google Arts & Culture. Representations and Substitutions of the Cultural Industries.

Resume

This contribution considers the Google Arts and Culture platform as a digital device with mediation ambitions. We start from the premise that the platform is based on a staging with a very intense spectacularity, certain motifs of which make it possible to analyze it through its phantasmagorical dimension. We are studying the presence of meta-forms that organize the reading of the platform, and the way in which this reading is based on the principle of gesture. By exploiting the small digital forms that make up the platform, we observe how the platform is constructed as a mediatising industry. The aim is to show how Google captures and transforms the places where culture is made and contributes to its metamorphic circulation. Ultimately, the aim is to take account of the tension between the digital representation of institutional spaces and the way in which this representation encourages processes of substitution of the works that are virtually exhibited. This tension is reinforced by the fact that the institutions are responsible for preserving and exhibiting artistic and cultural heritage.

Keywords

Phantasmagoria, mediating industries, gestured reading, meta-form, representation, substitution

En Español

Título

Google Arts & Culture. Representaciones y sustituciones de las industrias culturales.

Resumen

Esta contribución examina la plataforma Google Arts and Culture como un dispositivo digital con ambiciones de mediación. Partimos de la premisa de que la plataforma se basa en una puesta en escena con una espectacularidad muy intensa, ciertos motivos de la cual permiten analizarla a través de su dimensión fantasmagórica. Estudiamos la presencia de metaformas que organizan la lectura de la plataforma, y el modo en que esta lectura se basa en el principio del gesto. Explotando las pequeñas formas digitales que componen la plataforma, observamos cómo ésta se construye como industria mediatizadora. El objetivo es mostrar cómo Google capta y transforma los lugares donde se hace cultura y contribuye a su circulación metamórfica. En última instancia, se trata de tener en cuenta la tensión entre la representación digital de los espacios institucionales y el modo en que esta representación fomenta procesos de sustitución de las obras que se exhiben virtualmente. La tensión se acentúa por el hecho de que las instituciones son responsables de preservar y exhibir el patrimonio artístico y cultural.

Palabras clave

Fantasmagoría, industrias mediadoras, lectura gestual, metaforma, representación, sustitución

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Mouratidou Eleni, Labelle Sarah, « Google Arts & Culture. Représentations des institutions culturelles et substitutions des œuvres. », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°24/2, , p.77 à 94, consulté le mardi 2 juillet 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2024/supplement-a/06-google-arts-culture-representations-des-institutions-culturelles-et-substitutions-des-oeuvres/

Introduction

Comment les industries du web permettent-elles de découvrir les institutions culturelles du monde entier et leurs collections ? Comment nous autorisent-elles à pénétrer dans les salles d’exposition des plus grands musées et comment nous invitent-elles à contempler des œuvres d’art et de culture de toutes les époques, de tous les genres et statuts (Dondero, 2020, p. 144) ?

Nous nous proposons ici d’étudier la façon dont la plateforme Google Arts & Culture s’organise en tant que dispositif informatisé et numérique que nous qualifions de musexpositif, notion dérivée du syntagme musexpo que nous définirons ultérieurement et qui constitue le fil rouge de notre réflexion théorique et analytique sur les nouvelles formes culturelles. Cette réflexion s’inscrit dans un cadre de recherche formel et informel, que nous menons principalement à deux et de manière étendue avec plusieurs collègues. Elle a démarré à travers le projet de recherche TransfoCult financé par le Labex ICCA et la MSH Paris Nord en 2019 autour de la problématique des liaisons (parfois dangereuses) développées entre les musées et les lieux d’expositions avec les industries du web et les industries marchandes 1. Nous nous sommes intéressées à des formats d’hybridation de l’art et de la culture à travers des dispositifs tels que le clip musical et sa potentielle métamorphose en visite guidée d’une exposition muséale (Labelle & Mouratidou, 2023 2), ou à travers les accessoires de luxe et leur organisation plastique simulant des micro-espaces d’exposition d’œuvres d’art (Mouratidou, 2018a ; 2018b ; 2020) ; par exemple, la collection éphémère de maroquinerie Masters LVxKoons, reprenant les motifs d’œuvres picturales classiques comme celle de la Joconde et intégrant des cartels fournissant des informations au sujet des trois acteurs engagés directement ou indirectement dans ce projet marchand (Léonard de Vinci, Jeff Koons, Louis Vuitton) ou encore les industries marchandes à prétention écotouristique et leurs propension à se qualifier de médiateur culturel en réinvestissant des lieux à densité culturelle forte 3. L’ensemble de ces pratiques ainsi que celles dont il sera ici question sont travaillées en tant que formats musexpositifs.

La notion de musexpo désigne des formats qui condensent la coprésence des musées et lieux d’exposition avec des industries marchandes, y compris celles du web. Le format musexpo accorde des statuts hybrides aux objets marchands ou aux œuvres ou dispositifs culturels observés, hybridation qui se dote d’une opérativité symbolique (Davallon, 1992) dense. Face à une hétérogénéité manifeste et surprenante de la musexpo, c’est tout le potentiel de captation des qualités propres à chaque acteur constitutif de cette dernière qui rend le format symboliquement opérationnel et stratégiquement efficace. Elle aboutit à la naturalisation de la coprésence des organisations aux modes de présence divergents – institutions culturelles et organisations marchandes – et contribue à l’enrichissement des régimes remédiés (Jeanneret, 2019b) de l’art et de la culture. Yves Jeanneret travaille la notion de remédiation à partir de l’ouvrage de Bolter et Grusin (1999) en tant que processus doté d’une double signification : « re-médier au sens de médiatiser à nouveau ; remédier aux défauts de la représentation » (2019b, p. 108-109, en italiques dans le texte). Nous associons l’idée de naturalisation de la coprésence des organisations aux enjeux antinomiques et constitutifs de la musexpo à ce processus de remédiation, permettant de médiatiser autrement les faits marchands et culturels tout en refaçonnant leurs formes représentationnelles. La musexpo désigne et analyse les lieux d’idéologisation de la culture : des espaces où la culture s’organise autour des « idées-en-forme » (Barthes, 1957, p. 185). Dotées d’une matérialité communicationnelle dense, ces idées-en-forme condensent les enjeux économiques et idéologiques de la marchandisation de la culture et de sa transformation en continuum technologiquement, gestuellement et visuellement accessible. Ainsi la musexpo offre-t-elle la possibilité d’observer des formes qui acquièrent un pouvoir de représentation de la société médiatique contemporaine et qui revendiquent leur capacité à circuler dans la vie sociale.

Après une présentation de la plateforme Google Arts & Culture, nous allons aborder son régime énonciatif aboutissant à des représentations monstratives des œuvres virtuellement exposées. Nous poursuivrons en nous centrant sur la dimension substitutive de la plateforme en question, en interrogeant la matérialité des formes internes au format musexpositif – les cartels numériques – et externes relatives à l’orientation du regard et des gestes des visiteurs. La dimension médiatisante (Jeanneret, 2014) de la plateforme nous donnera la possibilité de préciser la nature triviale (Jeanneret, 2008) et médiagénique (Marion, 1997) de la musexpo avant de conclure sur la place des dispositifs musexpositifs dans le paradigme du capitalisme médiatique (Jeanneret, 2014).

Google Arts & Culture : Lieu et non-lieu de la culture

Google Arts & Culture, un dispositif de compilation des collections muséales

Inauguré en février 2011, Google Arts & Culture se présente comme un espace qui permet de « visiter virtuellement » des musées et sites patrimoniaux grâce à la visualisation d’images en très haute définition. L’écran d’accueil interpelle le visiteur par une question «Where do you want to explore today ?» qui manifeste la promesse de la fameuse « sérendipité 4 » sans cesse renouvelée par la richesse des collections réunies et qui ancre la pratique de consultation dans l’imaginaire de la visite. La plateforme recense, en effet, 151 musées issus de 40 pays différents et pas loin de 32 000 œuvres numérisées. Parmi les musées partenaires, on peut citer le Metropolitan Museum of Art (New York), le MoMa (New York également), la National Gallery de Londres et la Tate Britain, le musée Van Gogh (Amsterdam), le Musée d’Orsay (Paris). Le dispositif propose de multiples modalités de découverte, de visionnage, de saisie, voire de manipulation des images des œuvres selon des catégories classificatoires spécifiques. Il est possible de découvrir une œuvre intégrée dans une collection spécifique à un musée, présentée selon des critères chronologiques, plastiques ou bien selon des mouvements artistiques, selon les artistes qui les ont créées ou encore selon des thèmes spécifiques (l’inventaire n’est pas exhaustif). Pour réaliser cette compilation des œuvres, Google Arts and Culture s’appuie sur les bases de données produites par les institutions patrimoniales : le projet politique de mise à disposition du patrimoine au travers du travail documentaire de mise en ligne des bases de données des institutions culturelles a permis à Google de les aspirer pour les compiler en un même lieu et de les afficher dans le cadre de l’écran des supports informatisés.

Google Arts and Culture est un dispositif qui s’empare des formes et représentations de la culture : c’est un espace qui représente la culture et au sein duquel la culture est représentée. Tout comme des lieux physiques à densité culturelle forte, comme le musée du Louvre ou le Musée d’Orsay, sont des lieux qui représentent la culture, nous considérons que Google Arts And Culture se dote de cette prétention : être un tenant de la culture à travers la communication médiatisée des œuvres d’art et des institutions culturelles parties prenantes du projet de la plateforme.

Monstrations numériques : ici, partout, nulle-part

Le processus énonciatif de la plateforme met en valeur sa performativité monstrative. Il s’agit pour ce dispositif d’exposer de manière ostensible non seulement des œuvres d’art, mais aussi et surtout, toute une « panoplie » (Labelle, 2007, 2020) de compétences qui lui sont propres et qui reflètent in fine le pouvoir sémio-technique et sociotechnique de la plateforme. La notion de panoplie vise à décrire la production de dispositifs hétérogènes mis à disposition pour mettre en œuvre une activité, qu’elle soit stratégique ou non. Une panoplie s’inscrit dans un contexte de pratiques identifiables et offre la possibilité aux personnes de choisir entre les dispositifs, de passer d’un dispositif à un autre en fonction des situations et des intentions.

Dans un premier temps, la monstration étant constitutive de l’énonciation, elle est ici observable à partir des opérations d’embrayage énonciatif (Fontanille, 2003) susceptibles d’ancrer le discours dans une relation chrono-topologique et intersubjective. Lorsque l’on se penche sur la mise en scène de la plateforme, on repère des motifs (Labelle, Mouratidou, 2017) qui indiquent – au sens signalétique du terme – les différentes compétences de Google Arts & Culture. Ces dernières organisent la plateforme comme un lieu culturel représenté. En tant que catégorie conceptuelle, le motif désigne la façon dont la plateforme déploie un discours sur son rôle d’acteur patrimonial et sur la façon dont ce rôle est qualifié de manière axiologique. Les motifs repérables sont ceux de l’accès et de l’ubiquité des collections numérisées. Résultat de la réunion de textes et d’images fixes et animées, les motifs de Google Arts & Culture actualisent un embrayage spatial que l’on peut nommer, en suivant Yves Jeanneret d’ici, partout et nulle part (Jeanneret, 2011).

Dans son texte conclusif de l’ouvrage Where is Monna Lisa ? et autres lieux de la culture, Jeanneret insiste sur la façon dont les techniques du numérique prétendent nous placer dans des lieux à la fois spécifiques (ici) et multiples (partout) en raison de leur présence en tout lieu et tout écran disponible. En même temps, leurs présences virtuelles actualisent la dimension utopique de cette prétention qui relève d’une promesse : aucun lieu n’est en mesure et ne peut prétendre à réunir toutes les œuvres référencées, indexées et triées par la plateforme. Par conséquent, toute œuvre virtuellement exposée par Google Arts & Culture devient une œuvre suspendue, arrachée de son lieu énonciatif originel et intégrée dans un nulle part. Il en résulte dès lors une tension énonciative entre la matérialité embrayée du dispositif et sa virtualité débrayée. Pour Fontanille, « le débrayage est d’orientation disjonctive. Grâce à lui, le monde du discours se détache du simple ‘vécu’ indicible de la présence ; le discours y perd en intensité, certes, mais y gagne en étendue : de nouveaux espaces, de nouveaux moments peuvent être explorés, et d’autres actants être mis en scène […] », (2003, p. 99, en italiques dans le texte). Illustrons cette réflexion à partir de l’exemple du Museum of Modern Art 5. Il est représenté dans la plateforme à travers un parcours énonciatif formaté. Il s’organise à partir des motifs standardisés que sont celui de la géolocalisation – motif de l’accès – celui du répertoire des œuvres – motif du catalogue – ainsi que celui de la manipulation technique de ces dernières, soit le motif d’un déterminisme technique. Ce dernier est rendu possible selon les terminaux mobilisés pour la lecture des œuvres numérisées et qui donnent la possibilité de manipuler ces dernières différemment, à travers des techniques spécifiques aux applications mobiles ou aux ordinateurs et tablettes.

Figures 1&2. Google Arts & Culture : les motifs de la géolocalisation et du catalogue. Copie d’écran effectuée le 08.11.2023

 

Figure 3. Google Arts & Culture : le motif du déterminisme technique. Copie d’écran effectuée le 08.11.2023

La mise en spectacle des compétences de la plateforme en matière de médiation et médiatisation de l’art et de la culture rend compte des pouvoirs sémio-techniques de l’acteur Google. La plateforme peut être saisie comme une machine textuelle programmée pour « transformer en instructions techniques ce qui relève de nos choix langagiers et expressifs [et] ce même fonctionnement s’applique à l’ensemble des pratiques sociales que les outils numériques configurent de nos jours » (Souchier et al., 2019, p. 91-92). Cette configuration est associée à la spectacularisation de la performance de la plateforme, spectacularisation qui nous permet, in fine, de retrouver le principe de la monstration. L’énonciation monstrative de la plateforme énumère, tout en les spectacularisant, ses compétences : « au sens fort du mot, les choses deviennent disponibles, comme on le dit dans le droit pour désigner les propriétés (selon le droit, «posséder” une chose, c’est en disposer, c’est-à-dire pouvoir en user, et jouir de l’usage). Encore une fois, la spectacularisation est loin de se réduire à une monstration, elle est une monstration réflexive : elle ne montre pas tant certaines choses que, plutôt, le fait qu’on puisse, et même doive, disposer de ces dernières pour en expérimenter la valeur » (Tore, 2011). C’est à ce niveau que la force spectaculaire et monstrative de la plateforme s’associe avec les compétences de ceux et celles qui sont invité·e·s à la manipuler en convoquant les outils et facultés que l’on mobilise afin de se saisir de la valeur et de s’y confronter.

Les processus de substitution à l’œuvre dans Google Arts & Project

Comment le dispositif Google Arts & Culture forme-t-il un lieu de pouvoir symbolique grâce à sa capacité à capter les institutions culturelles et leurs collections ? Nous nous interrogeons sur la manière dont les œuvres des collections présentes dans Google Arts & Culture sont des substituts patrimoniaux, c’est-à-dire des objets « situés dans un processus de négociation de la ressemblance avec l’objet original auquel participent les acteurs de la numérisation » (Tardy, 2015). Cette approche vise à interroger la contribution de ce dispositif à la circulation métamorphique des œuvres dont les données proviennent des projets d’archives et de création de patrimoine par les institutions culturelles.

Le cartel, objet substitué de la culture muséale

En consultant le dispositif et en choisissant de contempler une œuvre, le spectateur regarde tout d’abord un texte complexe qui s’apparente à une fiche et qui repose sur un ordonnancement similaire quelle que soit l’œuvre consultée. Cet objet sémiotique fait référence à un objet muséal bien connu : le cartel. Comme cela a souvent été remarqué en muséologie, cet objet s’inscrit dans l’histoire des formes écrites, il cristallise des pratiques et une culture du musée. La reprise du cartel constitue une méta-forme, au sens où le cartel, tel que disposé dans l’espace de Google Arts & Culture, désigne une pratique qui est « porteuse d’une incertitude toujours maintenue entre diverses formes identifiables, correspondant à des représentations convoquées par les lecteurs » (Jeanneret, Labelle, 2004), et en l’occurrence par les potentiels visiteurs. Google Arts & Culture s’appuie sur la possibilité inscrite dans la forme textuelle du cartel de passer d’un espace médiatique à un autre. Ici, pour faire sens, pour capturer la valeur symbolique des substituts, il ne peut que reprendre le modèle textuel du cartel, en tant que forme textuelle minimale de la culture muséale. Il s’agit de permettre la reconnaissance des objets, de les authentifier, et ainsi de reproduire dans l’espace de l’écran, les cadres d’identification d’une œuvre.

Figure 4 : Substitut de cartel – Berthe Morisot, Le berceau, 1872. Copie d’écran effectuée le 08.11.2023

La reprise du cartel permet en effet de s’inscrire dans l’imaginaire muséal par l’accumulation des éléments informatifs : ceci correspond à la présence du paratexte du tableau comme forme minimale de la médiation muséale. L’apposition systématique du cartel dans l’espace du musée se retrouve au sein de l’écran dans la constitution systématique d’un texte contenant le substitut de l’œuvre et le substitut du cartel. Nous pouvons tout de même souligner l’absence de cadre de délimitation dans ce texte-fiche qui relie image du tableau, texte de contextualisation et données catalographiques. Il y a un réinvestissement du cartel en tant qu’il renvoie à la mémoire du spectateur et à son expérience dans l’espace muséal et en tant que l’objet acquiert un sens nouveau dans l’espace d’accumulation de ce dispositif.

Si l’on regarde plus précisément ce texte, quelques éléments méritent d’être commentés. Le logo du musée, tout d’abord, est placé de façon visible : cela permet à Google Arts & Culture de prétendre présenter l’œuvre et non son substitut. Cela agit comme une forme de renforcement de la dimension symbolique et de sa préemption par le dispositif Google Arts & Culture. Ensuite, dans les métadonnées qui constituent le texte du cartel, un élément spécifique à la pratique de médiatisation de la plateforme est présent : il s’agit de la mention de l’entreprise de numérisation de l’œuvre. Cette mention intervient sur la façon dont le spectateur est invité à se représenter la matérialité du tableau. Si le tableau a été conçu et créé à une date donnée, ce qui relève d’un processus d’identification dans les pratiques de conservation des musées, sa numérisation n’est quant à elle pas datée. Le substitut du cartel devient dès lors un espace de rencontre (et d’affichage de cette rencontre) des industries du capitalisme médiatique : il leur permet d’afficher leur capacité à se capter mutuellement. C’est en cela que Google Arts and Culture se dote de qualités musexpositives.

Les industries du capitalisme médiatique investissent pleinement les formes textuelles connues pour mobiliser leur fonction mémorielle. C’est la puissance de ces industries que d’être en mesure de se saisir dans un même mouvement des textes (comme le cartel) et des objets sémiotiques qui appartiennent à des cultures différentes et à les faire fonctionner ensemble.

Discipliner gestes et regards

A partir de la matérialité du dispositif  Google Arts & Culture, il s’agit de comprendre comment ces dispositifs disciplinent gestes et regards. Ils compilent des données et poursuivent par cette capacité de traitement computationnel des prétentions médiationnelles tout en écrasant l’histoire culturelle et sociale, et en précarisant tout projet de connaissances par la décorrélation du projet d’écriture du patrimoine par la documentation. L’analyse permet de confirmer le constat d’Yves Jeanneret : « Non seulement le dispositif se montre montrant tout mais ce tout est dans la machine » (Jeanneret, 2019a).

Figure 5 : Manipulation de l’image – Wermeer, La jeune fille à la perle, 1665. Copie d’écran effectuée le 08.11.2023

La proposition du dispositif de visualisation Google Arts & Culture consiste à modifier la place de notre corps par rapport aux œuvres grâce à la présence d’objets techno-sémiotiques qui guident le geste et le regard de lecture. Notre œil n’est plus dans un rapport de taille, de proportion ; il ne situe plus ce qu’il voit par rapport à l’ensemble de notre corps, il le situe dans l’espace de l’écran et dans le dispositif de manipulation. La création de flux d’images d’œuvres repose sur l’accès aux bases de données constituées par les musées et complétées par la numérisation des œuvres en substituts : ce sont de nouveaux processus de reproduction qui mettent ici en scène les images et les mettent en série à la taille de l’écran. L’opérateur algorithmique est chargé d’une tâche artistique de représentation en allant chercher toutes les photos pour les faire correspondre à des formes préétablies et à des tailles non proportionnées à celles des œuvres. Par ailleurs, la machine accentue le rythme d’écriture étant donné que contrairement à l’œil, elle peut capter les images sans les distinguer, elle peut les brasser, les traiter indéfiniment, en les miniaturisant et en les agrandissant. Le dispositif invite de façon pratique le spectateur à modifier la taille du substitut de l’œuvre qui s’affiche à l’écran par un geste de saisie. Cette invitation s’appuie sur l’idée que le spectateur est maître de ce qu’il voit quand bien même les possibilités d’action sur l’image tiennent dans l’organisation matérielle du dispositif et dans sa capacité de calcul computationnel.

Dans la possibilité offerte de regarder les détails des œuvres, les œuvres en détail, de se déplacer dans l’espace de l’écran sur l’espace des objets artistiques, se joue pleinement une écriture du geste par la machine, par « l’agir computationnel » que décrivent et analysent Samuel Goyet et Cléo Collomb (2020). Cela crée un effet de clôture et un effet d’ouverture pour le geste. D’un côté, l’effet de clôture fait que ce que l’on voit ne déborde pas des bords de l’écran, le cadre est une ligne fixe et infranchissable. Le rapport imposé entre l’œil et l’écran détermine le rapport à l’objet vu. C’est un mouvement qui redéfinit le rapport à la mesure. D’un autre côté, l’œuvre devient un objet saisissable, manipulable et soumis au déplacement du geste de tension par le pointeur en lien avec l’orientation du regard. Ce double mouvement ouvre un champ de possible inimaginable dans un espace muséal où la distance avec l’œuvre est imposée. Ce geste énonciatif recompose un rapport de proximité par la mobilité du pointeur au sein de la reproduction de l’œuvre.

Dès lors, s’observe la dimension épiphanique de ce type de dispositif : dans la re-présentation de ces substituts, est contenue la promesse que quelque chose peut apparaître et peut surgir grâce à la manière dont le spectateur effectue une recherche, un agrandissement ou une mise en relation. La question de l’accès à la culture est en recomposition, elle est bousculée par de nouveaux imaginaires sociaux qui éloignent la question de la discipline de la médiation telle qu’elle a été constituée par les acteurs des musées et des institutions culturelles, pour s’inscrire dans une logique d’abondance des objets projetés et une logique de manipulation. L’ensemble des dispositions mises en place au sein de Google Arts & Culture revendique la capacité à produire la rencontre avec l’œuvre, notamment par sa manipulation et la valorisation du geste sémiotisé à l’écran.

Des formats médiadisants : circulations, médiagénie et fantasmagories substitutives

Nous analysons le dispositif Google Arts & Culture comme un lieu hypertextualisant organisé à partir de formes dotées « d’une dimension dynamique en fonctionnant en tant que signes-passeurs et d’une dimension de textualisation en contribuant à la formation d’un autre texte qui finira par se figer dans sa forme finale. Ce dernier, nous le qualifions de discours hypertextualisé, car il est le résultat de la réunion de ces formes hypertextualisantes, l’ayant en amont structuré » (Alexis et al., 2016). En effet, Google Arts & Culture se dote d’une plasticité organisée à partir des petites formes du web, cette « série des formes standardisées de la composition Web contemporaine » (Candel, Gomez-Mejia, 2016, p. 73) qui symbolise l’injonction au partage, à l’évaluation affective elle-même aboutissant à une évaluation quantitative et à la monstration de cette démarche. En tant qu’« unités préfabriquées d’écriture » (Souchier et al., 2019, p. 318), leur analyse donne la possibilité de penser les processus industrialisants de la communication. Nous les abordons comme des figurations qui cristallisent la logique de captation affective de l’activité du public au sein des espaces socio-numériques. Et en même temps, elles témoignent de la transformation de cette captation en valeur symbolique et économique dès lors qu’elles intensifient la circulation des contenus dans les espaces numériques. Apposées sur les pages de la plateforme, elles contribuent à leur hypertextualisation et par là, elles posent d’emblée la dimension circulante et le potentiel médiagénique de cette dernière. Ses contenus et, comme nous l’avons précédemment observé, la façon dont ils peuvent être contemplés et consommés, sont considérés comme étant dignes de quitter l’espace de la plateforme et de circuler dans d’autres lieux de sociabilités numériques car en capacité d’intégrer un réseau de relations et d’interactions (Marion, 1997, p. 86) qui dépasse les qualités inhérentes du contenu lui-même, en l’occurrence les œuvres d’art.

Profanations socio-numériques

Après les avoir découvertes, après les avoir observées et après avoir zoomé sur leurs surfaces, après avoir lu les cartels qui les accompagnent, leur lecture gestualisée est orientée vers le partage et leur publicisation sur les réseaux socio-numériques. L’apparition des petites formes qui représentent et symbolisent les industries médiatisantes (Jeanneret, 2014), telles que Facebook, Twitter, Pinterest ou Tumblr ainsi que leur configuration énonciative, méritent que l’on s’y intéresse davantage. Les micro-écritures qui signalent les espaces socio-numériques cités sont apposées sur l’œuvre d’art transformant ainsi son « support formel », déterminé par des règles d’inscription révélatrices d’un processus énonciatif qui « engage, contraint et modalise […] un type d’échange, une structure de communication idéale, et des rôles d’énonciation » (Fontanille, 2005, p.187). Leur apparition, telle une étiquette nous rappelant le principe du cartel, et leur emplacement – sur la surface de l’œuvre – forment une nouvelle opérativité symbolique qui relève de la profanation. Leur présence sur l’œuvre d’art reflète son industrialisation : l’œuvre émerge au sein d’une plateforme dont l’énonciation éditoriale est conçue à l’instar des dispositifs énonciatifs des industries médiatisantes. La profanation est d’autant plus intense que l’industrie médiatisante « se désintéresse des contenus et enjeux de la communication et capte dans ses outils toutes les informations possibles sur les usages » (Jeanneret, 2014, p. 14). L’œuvre devient (pré)texte, au double sens du terme. Un pré-texte car c’est bel est bien la préexistence des œuvres en tant que textes dotés d’une épaisseur historique et esthétique qui permettent la formation de la plateforme. Un prétexte dans la mesure où ce patrimoine artistique et culturel devient le garant de la prétention médiationelle de la plateforme (Mouratidou, 2020). La plateforme dans sa dimension hypertextualisante devient quant à elle le texte. Cette nouvelle configuration qui détermine la nature (pré)textuelle de l’œuvre et la nature textuelle de la plateforme densifie la dimension idéologique du dispositif Google Arts & Culture. Elle rend compte d’une orientation hiérarchique, dans le cadre de laquelle c’est le dispositif-même qui est perçu comme un événement qui prime sur les œuvres et s’autoqualifie de lieu planétaire qui fait la promesse du partage de la culture. Le partage est compris à la fois comme ce processus de transmission du savoir, en l’occurrence culturel, et de sa saisie sensible et intelligible tout comme le geste de partager – publier et relayer – des productions culturelles au sein des différents espaces socio-numériques. En outre, cette puissance de circulation qu’opère le dispositif Google Arts & Culture tend à capter la possibilité de rendre médiatiquement présente l’œuvre, négligeant l’existence de l’œuvre au sein d’un espace muséal ou patrimonial.

Figure 6. Google Arts & Culture : l’injonction au partage, entre médiagénie et trivialité de la plateforme. Copie d’écran effectuée le 08.11.2023

L’œuvre numérisée sur la plateforme Google Arts & Culture et publiée sur les réseaux socio-numériques devient ainsi un méta substitut : le substitut numérique de l’œuvre présent sur la plateforme est réinvesti par une « nouvelle forme sociale et matérielle qui [rend] les substituts, et à travers eux le musée et ses collections, visibles, intelligibles et manipulables pour la société actuelle » (Tardy, 2015). Cette nouvelle forme sociale et matérielle renvoie ici aux processus éditoriaux spécifiques aux dispositifs des réseaux socio-numériques. L’œuvre publiée subit une nouvelle transformation dans la mesure où le cartel qui l’accompagnait sur la plateforme disparaît. Il est remplacé par des formes qui désignent les processus conversationnels et évaluatifs des industries médiatisantes, telles que les commentaires, les likes, les partages.

Par conséquent, la plateforme Google Arts & Culture ne se constitue plus seulement en tant qu’espace de stockage et d’indexation de la culture ; elle s’autoqualifie de garante. Dépourvue de sa mention institutionnelle et dotée d’une nouvelle représentation– médiatique et marchande –, l’œuvre en tant que substitut numérique demeure exclusivement associée à la plateforme produite par Google. Et c’est bel et bien cet acteur qui assure et revendique le processus de mise en circulation des œuvres représentées. Dans cet ordre, tout comme l’œuvre d’art semble profanée par l’apposition des petites formes qui reflètent les réseaux socio-numériques, le musée qui abrite telle ou telle autre œuvre devient, dans cette configuration énonciative, également profané, effacé et remplacé par la plateforme numérique.

Fantasmagories numériques

En tant que dispositif médiatisant, Google Arts & Culture forme et informe la communication et le patrimoine culturel. Dans une recherche récente relative aux processus médiationnels des institutions culturelles durant la crise sanitaire, Camille Rondot (2021) rend compte de la façon dont les réseaux socio-numériques, à travers leurs architextes (Jeanneret, Souchier, 1999), c’est-à-dire des textes qui organisent l’écriture de textes, sont mobilisés par les institutions culturelles à des fins de médiation et de médiatisation, et en tant que lieux où la communication est formée et informée. Ce double mouvement de formation et information de la culture ne dépend pas uniquement et exclusivement de la visibilisation des contenus que Google Arts & Culture rend possible à travers les réseaux socio-numériques. Elle est présente in situ, par la dimension symbolique et le poids socio-économique que le nom de la plateforme impose et qui s’instaure comme un architexte total. Sa prétention est saisie à travers le motif de l’imaginaire de la bibliothèque, un espace absolu où la totalité du patrimoine culturel universel est stocké, indexé, catalogué, commenté et sagement manipulé. Ce constat nous invite à observer la plateforme Google Arts & Culture comme un lieu fantasmagorique.

Dans son acception première, la fantasmagorie est la « projection dans l’obscurité de figures lumineuses animées simulant des apparitions surnaturelles ; [elle désigne l’] apparition surnaturelle d’un phénomène extraordinaire [d’un] spectacle enchanteur et irréel [d’une] représentation imaginaire, représentation de l’esprit erronée et ne reposant sur rien de réel, de sérieux [et enfin de] l’emploi excessif dans une œuvre de motifs et thèmes fantastiques destinés à créer une atmosphère surnaturelle » (https://www.cnrtl.fr/definition/fantasmagorie, consultée en mars 2023).

La fantasmagorie consiste en la production d’une imagerie qui véhicule des valeurs et des imaginaires. Elle désigne donc un processus spectaculaire et représentationnel, les deux étant saisis en tant que modalités expressives dotées d’une intensité et d’une étendue très conséquentes. Le signe fantasmagorique est dense, il surenchérit sa dimension représentationnelle, sa capacité à rendre présent de manière intense ici et maintenant quelque chose qui ne l’est pas. Le signe fantasmagorique est aussi étendu car intégré dans un système spectaculaire bien plus vaste, dans une configuration énonciative qui repose, dans le cadre de Google Arts & Culture, sur une compétence techno-sémiotique absolue. Pour Yves Jeanneret, la fantasmagorie, telle que travaillée par Walter Benjamin, relève d’« une conception de la vie à la fois omniprésente et évanescente, la glorification conjointe de la marchandise, de la technique et de la vie moderne [la] portée imaginaire et poétique qu’acquiert la production industrielle et marchande dans les villes modernes à travers la multiplication des dispositifs annonciateurs d’une nouvelle civilisation, chosifiée en objets fétiches mais dotée de la prétention à poursuivre l’aventure culturelle » (2014, p. 225). Tout en étant immatériel, l’objet fétiche ici est la plateforme elle-même dans sa totalité en tant qu’être culturel qui impose une forme de vie spécifique, celle du pouvoir contempler, apprendre, manipuler, commenter, s’approprier, partager un patrimoine culturel spectacularisé. La dimension fantasmagorique de la plateforme repose sur sa capacité à faire figurer dans un espace numérique des pratiques de médiation issues de musées et lieux d’exposition tout en intensifiant « la production du désir pour un produit » (Bonaccorsi, 2020, p. 17). Elle repose enfin sur la façon dont elle intègre de manière remédiatisée (Bolter, Grusin, 2000) la dimension stratégique qui détermine « l’expression de l’économie dans sa culture » (Benjamin, 1989, p. 476), culture qui subit en l’occurrence une transformation auratique, relevant de ce que Karine Berthelot-Guiet qualifie d’« aura inversée » (2022, p. 144) lorsqu’elle interroge la fantasmagorie marchande. La médiatisation de la culture sur Google Arts and Culture se réalise par l’accumulation de médiations dispositives, celles de représentation et de partage, et constitue une fantasmagorie, c’est-à-dire des formes visuelles produites avec la capacité à susciter une impression d’intensité.

Conclusion

Le capitalisme médiatique se traduit par le pouvoir des dispositifs à donner à voir et faire circuler des représentations et des substituts. Il se traduit également par la capacité de ces mêmes dispositifs à nous impliquer dans leur espace de lecture et de contemplation et par conséquent de nous figurer en tant que public (Bonnacorsi, 2020). Il projette en l’occurrence la représentation de la forme-collection, dont la pratique « a été perçue comme une sorte de métaphore du capitalisme » (Boltanski, Esquerre, 2017, p. 244).

Tout comme François Mairesse analyse le principe d’accumulation des musées par l’effet des collections (Mairesse, 2019), nous pouvons souligner comment cela se reproduit au sein de Google Arts & Culture par la mise en scène de l’accumulation des substituts. Le dispositif Google Arts & Culture existe par son travail de concentration et d’accumulation des bases de données des musées et institutions culturelles mondiales. Ces organisations sont réduites à leur logo : ceci conduit à les invisibiliser, c’est-à-dire à les constituer en petits éléments paratextuels nécessaires, mais non suffisants. Ce travail éditorial s’inscrit dans une logique de réinvestissement et de captation du pouvoir symbolique des institutions muséales par Google. Ce phénomène participe de la dimension d’idéologisation inscrite dans le processus d’industrialisation propre aux industries du capitalisme médiatique, que le caractère fantasmagorique des formes et substituts offerts révèle et met en lumière. Tout en faisant la promesse de l’exploration des collections muséales, c’est plutôt la visée accumulative qui détermine la dimension musexpositive de Google Arts &Culture. Contrairement à la collection, « les accumulations sont, par principe, illimitées ou ouvertes » (Boltanski, Esquerre, 2017, p. 259). Se dessine dès lors un schisme entre la collection, davantage sélective et pertinente, et l’accumulation, qui est quant à elle, d’emblée hasardeuse, arbitraire et contingente. L’accumulation postule un accès illimité à la pratique de collecte et joue du pouvoir de sa mise en scène.

Ceci s’observe dans le projet Google Arts & Culture dont la visée est de maintenir la prétention de l’accès par une forme de l’exposition massive et donc accumulative, qui implique dans le même temps d’écraser les processus de médiation, comme le montre la création de la Curator Table (figure 7).

Figure 7 : Curator Table de Cyril Diagne et Simon Doury, dispositif au sein d’Experiments with Google. Copie d’écran effectuée le 08.11.2023

Dans cet article, nous avons cherché à comprendre comment ce dispositif médiatique qu’est Google Arts & Culture cherche à se constituer en « garant » d’une dynamique d’affichage et de circulation entre l’original et le substitut des œuvres. Par les choix éditoriaux et computationnels et par la captation du travail documentaire des bases de données, Google Arts & Culture met sans cesse en scène la possibilité de la rencontre et de la découverte. Le dispositif prétend favoriser une relation multiple et polymorphe (contemplative, gestuelle, sensible, intellectuelle) aux œuvres par la force techno-sémiotique qui incarne des imaginaires politiques de la culture et qui in fine met en évidence les enjeux socio-économiques et idéologiques de son altération.

Notes

[1] Le projet « Transformations de la Culture. Culture(s) en Transformation » réunit des collègues issu·e·s de laboratoires français en SIC (CARISM, ELICO, GRIPIC, LabSIC, PLIDAM) et des chercheur·e·s en sémiotique issu·e·s d’institutions internationales (FNRS Belgique, Université du Luxembourg).

[2] Pour cette étude, il s’agissait d’un clip produit par le groupe The Carters pour la chanson Apeshit et tourné au Louvre. Voir https://www.youtube.com/watch?v=kbMqWXnpXcA. L’analyse a été effectuée en janvier 2019

[3] Par exemple, le partenariat Une nuit avec Mona Lisa établi entre le musée du Louvre et Airbnb. Voir https://news.airbnb.com/fr/louvre/, consulté en avril 2019)

[4] Eva Sandri montre comment cette promesse s’appuie sur une logique abductive de l’exploration offerte par la diversité des propositions qui peuvent être suivies (Sandri, 2013).

[5] MoMA. Voir https://artsandculture.google.com/partner/moma-the-museum-of-modern-art. Analyse réalisée en janvier 2019.

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Auteures

Eleni Mouratidou

Professeure des Universités en Sciences de l’Information et de la Communication à l’université Paris Nanterre et membre du Dicen-IDF, Eleni Mouratidou développe des recherches autour de la communication stratégique des organisations et notamment des problématiques de médiations marchandes et leurs hybridations avec les médiations culturelles. Elle s’intéresse particulièrement au secteur de l’industrie de la mode, ses processus représentationnels et ses liens avec les industries du web et du jeu vidéo qu’elle interroge notamment selon un point de vue sémiotique.
emourati@parisnanterre.fr

Sarah Labelle

Professeure des universités en Sciences de l’Information et de la Communication à l’université Paul Valéry Montpellier 3 et membre du LERASS, Sarah Labelle mène des recherches sur les transformations médiatiques tant dans le domaine de la culture que dans celui de la pédagogie. Elle pratique une anthropologie communicationnelle qui la conduit à réaliser des enquêtes au sein d’associations et d’administrations publiques afin de comprendre le rôle des dispositifs et la diversité des médiations dans les logiques d’action ou les politiques publiques.
sarah.labelle@univ-montp3.fr