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Introduction du dossier 2024B : Les reconfigurations de l’information télévisée

20 Oct, 2024

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Ségur Céline, « Introduction du dossier 2024B : Les reconfigurations de l’information télévisée », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°24/3, , p.5 à 12, consulté le samedi 21 décembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2024/dossier/00-introduction-du-dossier-2024b-les-reconfigurations-de-linformation-televisee/

Introduction

La polarisation entre une télévision traditionnelle, considérée en fin de vie, et le numérique n’a plus sa place. La télévision doit désormais être envisagée dans une perspective complexe, tant au niveau de la production que de celui de la réception (Chambat-Houillon, Barthes, 2019 ; Châteauvert, Delavaud, 2016). Les contenus télévisuels sont conçus pour être visionnés, en contexte domestique mais pas seulement, sur un écran de télévision traditionnel mais aussi en mobilité, dans d’autres temporalités, sur des supports de taille plus réduite (smartphone, tablette et ordinateur) et dans des conditions d’usage et de réception diversifiées (en lien avec l’essor des plateformes audiovisuelles notamment).

Alors que l’on parle de « médias sociaux » pour qualifier l’essor non seulement des pratiques de blogging mais surtout celui des réseaux socio-numériques depuis le milieu des années 2000 (Coutant, Stenger, 2012), les mutations de la télévision en lien avec le numérique peuvent être datées de la fin des années 2000. En France, les premiers services de télévision de « rattrapage » sont apparus en 2008 ; à partir de 2011, la commercialisation des « télévisions connectées », ainsi que la démocratisation des smartphones et des tablettes ont étendu les conditions d’écoute des contenus télévisuels. Le média a dû évoluer, de manière à rester concurrentiel face à l’internet et afin de ne pas disparaître : les diffuseurs ont saisi les opportunités numériques pour proposer aux publics d’enrichir leurs expériences transmédiatiques (Ségur, 2015), en déployant leurs activités sur les réseaux socio-numériques (Spies, 2014 ; Kredens, Rio, 2015). Ils ont développé des dispositifs, dits d’interactivité, qui leur offrent la possibilité d’accroître leur audience sociale, c’est-à-dire le volume des échanges sur les réseaux socio-numériques liés à une émission de télévision. Ils ont aussi fait évoluer leurs services de télévision en direct et en streaming jusqu’à la mise en place de dispositifs fondés sur les modèles des plateformes, type Netflix. De nouveaux modèles socio-économiques ont progressivement été adoptés par des diffuseurs devenant des « producteurs-distributeurs numériques » (Cailler, Taillibert, 2019), fondés sur une hybridité entre une télévision de rendez-vous et une télévision à la demande. Arte.tv (Cailler, Taillibert, 2024) et France.tv (Alexis, 2019) sont des exemples emblématiques, ainsi que la stratégie du groupe TF1 : en janvier 2024, celui-ci annonçait à grand bruit le lancement de « la première plateforme française de streaming gratuite » au moment de la mise en ligne de TF1+, une version augmentée et unifiée des services précédemment développés sous l’étiquette MyTF1.fr. Elle a été présentée comme « une sorte de Netflix gratuit agrégeant des contenus diffusés sur TF1 » (Télérama, 08/01/2024).

Si la mise à disposition des contenus télévisuels à la carte, sur un autre écran que celui du poste, a marqué le début d’une désaffection de la télévision au profit de l’internet, les scores d’audience de la télévision multi-écran se maintiennent à des niveaux importants : l’institut Médiamétrie a enregistré une durée d’écoute individuelle moyenne de 3h39 chez les individus âgés de 15 ans et + en 2023 (source : Médiamat annuel [1]). La diversification des modes de consommation des contenus télévisuels est désormais prise en compte par un enrichissement du panel Mediamat de Médiamétrie, étendu aux individus qui ne possèdent pas de téléviseur [2]. La télévision, dans son acception désormais hybride, occupe toujours une place, qu’elle soit centrale ou périphérique, dans la vie quotidienne d’une majorité d’individus, en particulier comme source d’information. Ces vingt dernières années, les discours funèbres au sujet du média (Missika, 2006), conjugués avec la crise de confiance envers l’information médiatique, ont pu laisser penser que les relations entre les journalistes de télévision et leurs publics s’appauvrissaient. Il n’en est rien, selon les études menées tant dans le champ académique (Dejean, Lumeau, et al., 2021) – qui révèlent que la télévision demeure le média dominant pour s’informer en France, sauf pour les grands consommateurs de réseaux socio-numériques – que dans celui de l’industrie médiatique [3]. En particulier, le rôle social du rendez-vous informationnel du journal télévisé du soir est toujours d’actualité, mais il évolue. L’édition la plus récente de l’enquête sur les pratiques culturelles des Français a révélé la permanence d’une appétence pour la consommation de l’information qui touche tous les âges (Lombardo, Wolff, 2020). Le baromètre Kantar-La Croix sur la confiance des Français dans les médias le confirme : alors qu’au début de l’année 2023 « plus de trois-quarts des Français déclarent suivre avec attention l’actualité » avec une place centrale accordée à la télévision pour cela, « 35% de l’ensemble du panel interrogé, quel que soit l’âge, a affirmé regarder le JT au quotidien pour s’informer » ; des chiffres en hausse par rapport aux années précédentes (Scherer, 2023). La tendance est corroborée par l’étude récemment conduite par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, 2024) sur « Les Français et l’information » : la télévision reste le premier mode d’accès à l’information : 66 % des personnes interrogées ont déclaré s’informer par une chaîne de télévision au moins une fois par jour, 80 % au moins une fois par semaine. Lorsque les individus utilisent les réseaux et les plateformes numériques pour s’informer, c’est en partie pour accéder à des contenus d’information produits par des médias : près de la moitié des personnes sondées indiquent qu’elles consultent des informations produites par des médias quand elles utilisent un portail d’actualité en ligne, un quart d’entre elles le font lorsqu’elles utilisent des plateformes de vidéo en ligne et des réseaux socio-numériques [4]. Le poids de l’héritage familial en matière de pratiques médiatiques, a fortiori de visionnage du journal télévisé, contribue à maintenir la consommation de l’information à la télévision à un certain niveau quel que soit l’âge.

Du journal télévisé à la plateformisation de l’information télévisée

Néanmoins, de nouveaux phénomènes émergent, parmi lesquels la multiplication des moyens d’information (Boyadjian, 2020) et la consommation, quotidienne pour certains, d’informations par les vidéos en ligne (Lombardo et Wolff, 2020). En particulier chez les 15-34 ans mais pas seulement, les réseaux socio-numériques constituent en effet une porte d’entrée vers l’actualité (Corroy, 2023), à travers des contenus d’informations aux origines floues pour une majorité d’usagers, mais provenant bien de plusieurs médias, dont la télévision. Alors que les transformations des médias d’informations en ligne et du journalisme mobile ont été documentées (Lyubareva et Marty, 2022 ; Pignard-Cheynel et van Dievoet, 2019), les reconfigurations spécifiques de l’information télévisée ont encore été peu interrogées dans le champ académique. Ce dossier porte sur l’évolution de la production et de la réception de l’information télévisée, à l’heure d’une évolution des formats médiatiques et numériques. Il aborde les enjeux actuels des pratiques professionnelles et de celles des publics. Il se situe dans le prolongement des travaux qui se sont tenus lors du colloque « Télévision, information et numérique. Pratiques et publics », organisé par le Crem les 29 et 30 septembre 2022 à l’université de Lorraine [5].

L’information télévisée est incarnée en France à partir de 1949 par le journal télévisé (JT), pensé alors par le gouvernement comme un outil de communication à sens unique : il est la « voix de la France » (Jeanneney, 1996, p. 283-287). Plébiscité par le public dès ses débuts, le JT évolue à travers une personnalisation de l’information télévisée incarnée par la figure du journaliste-présentateur. Le lien de proximité qui s’installe alors devient une norme dans la production de l’information télévisée (Sauvage et Veyrat-Masson, 2012). C’est à partir de la fin des années 1980 que la confiance dans les médias télévisés d’information commence à décliner, jusqu’à une remise en cause virulente du journalisme de télévision (Mercier, 1996). Si la privatisation d’une partie de la télévision et ses effets concurrentiels ont contribué à la conquête d’une indépendance de l’information télévisée à l’égard du pouvoir politique, de vives critiques dénoncent autant le voyeurisme, le sensationnalisme et la complaisance à l’œuvre dans les journaux télévisés que les problèmes déontologiques posés par la diffusion de mises en scène fallacieuses et celle, trop pressée, d’informations erronées. Pour autant, le succès populaire des JT est durable.

Les journaux télévisés, traditionnellement diffusés en milieu et fin de journée (autour de 13h et de 20h), accomplissent une mission d’information du grand public, mais, du point de vue des stratégies de programmation des diffuseurs, ils sont aussi un moyen de fidélisation des téléspectateurs. Face à la multiplication des sources d’information en ligne, et en lien avec le déploiement numérique des médias traditionnels, ces diffuseurs traditionnels ont eu tendance à mettre en scène la participation des publics à la fabrique de l’information, par des dispositifs de « questions-réponses » sur le modèle d’une communication horizontale caractéristique de la « culture de la convergence » (Jenkins, 2006). Mais, on y observe une instrumentalisation des publics : les interventions sont désincarnées (limitées au format texte affiché sur l’écran), voire réincarnées dans la figure du journaliste-présentateur ; la participation s’exerce sous le contrôle d’un dispositif de médiation invisible qui sélectionne les messages diffusés à l’antenne ; le dispositif survalorise la participation du public alors que celle-ci n’a qu’un rôle très limité. À ces interactions simulées avec le public, s’ajoute un phénomène d’individualisation et de fragmentation de l’information télévisée par la mise en catalogue des contenus d’information. Si celle-ci est présentée dans les discours de communication des organisations audiovisuelles comme un facteur d’émancipation des publics (plus de choix, plus de liberté), une offre d’information à la carte façonne les pratiques de visionnage et risque de rétrécir la pluralité des points de vue auxquels un individu est confronté, limitant ainsi son esprit critique (Ségur, 2022).

Bien sûr, l’information à la télévision ne se limite pas aux seuls journaux télévisés. D’autres formats d’information ont existé et existent sur les écrans de télévision (voir Lochard, 2005) : les magazines de reportage (Berthaut et Noûs, 2021), les émissions politiques (Leroux et Riutort, 2013), et plus récemment les chaînes d’information en continu. À ce sujet, il convient de rappeler que la multiplication des chaînes de télévision devait permettre de cibler étroitement un public et d’offrir une liberté aux spectateurs à travers une latitude de choix. L’arrivée de chaînes spécialisées dans l’information s’est réalisée dans ce mouvement, puisqu’il s’est agi d’adapter l’offre d’information télévisée à une demande d’actualités disponibles à tout moment. En d’autres termes, la naissance de chaînes d’informations en continu a contribué à désynchroniser l’offre télévisuelle d’information. Aux rendez-vous quotidiens des journaux télévisés s’est ajoutée une mise à disposition permanente de l’actualité, sur le modèle de la radio France Info, qui diffuse depuis 1987 l’actualité en temps réel et en direct 24 heures sur 24. Les résultats d’une étude sur les usages et les réceptions des chaînes d’information en continu ouvrent ce dossier : de quelles manières, du point de vue des publics, l’extension de l’offre d’information à la télévision reconfigure-t-elle le rapport des individus à l’actualité ? Rappelons que le développement des chaînes d’information en continu a été progressif en France : LCI (du groupe TF1) est diffusée depuis 1994, puis CNews (ex-i-télévision et ex-I-Télé, groupe Canal +) est arrivée en 1999 ; BFM TV (groupe Altice France) diffuse à partir de 2005, au moment du démarrage de la TNT ; enfin, la chaîne publique d’information en continu FranceInfo est née en 2016. En 2023, la part d’audience annuelle pour les quatre chaînes d’information en continu s’élevait à 7,5 % (2,6 % pour BFMTV et pour CNews, qui se classent ex-aequo à la 9e position des chaînes les plus regardées ; 1,6 % pour LCI et 0,7 % pour FranceInfo), en augmentation de près d’un point par rapport à 2021 (source Mediametrie.fr, Médiamat Annuel). À partir d’une analyse croisée entre les usages de ces chaînes ainsi que du rapport des individus aux médias d’actualité et à la politique (évalué en termes de crédibilité et de légitimité), Jérémie Derhi identifie différents styles relationnels aux chaînes d’information en continu qui favorise la compréhension des pratiques informationnelles médiatiques : « Le succès des chaînes d’information en continu est en partie lié à la possibilité qu’elles offrent à leurs spectateurs d’articuler les contraintes de leurs modes de vie avec leur degré de préoccupation par rapport à la sphère publique ». La disponibilité permanente du flux d’informations est un motif régulièrement avancé pour expliquer le choix des CIC comme source d’informations. Pour certains, ces chaînes constituent une porte d’entrée vers la connaissance de l’actualité. Pour d’autres, elles sont un rendez-vous quotidien vecteur d’« être au monde ». Pour une majorité, la pratique de ces chaînes s’accompagne d’une diversité de pratiques médiatiques d’actualité. Néanmoins, l’appropriation des actualités et de leur mise en scène est socialement diversifiée : l’auteur observe des mises à distance variables des contenus comme éléments du débat public.

L’extension de l’information télévisée passe par un déploiement de dispositifs sur les espaces numériques, qui reconfigurent les rôles et les pratiques journalistiques. C’est ce que révèle l’étude conduite par Alexandre Borrell, Stéphanie Wojcik et Élodie Berthet sur « 20h22, la suite sur Twitch », une séquence d’interviews de candidats à l’élection présidentielle orchestrée par France 2 sur la plateforme de streaming Twitch. Cette expérience traduit l’hybridité des nouvelles manières d’informer : un genre télévisuel classique (la mise en scène de l’interview en plateau) est exporté sur une plateforme caractérisée par le temps long et l’interactivité (les contenus sont commentés en direct). Pour le diffuseur public, le dispositif est porteur d’un idéal démocratique : « Twitch permettrait de restaurer un lien entre acteurs institutionnels et citoyens sensibles aux logiques longuement explicitées ». Il offre la possibilité au journaliste d’endosser une posture et une fonction civique qu’il tend à perdre à la télévision : « C’est en donnant largement la parole aux publics protégés par le pseudonymat que le journalisme peut pleinement performer une telle fonction civique ».

Au sein de l’audiovisuel public, les mutations en lien avec le numérique se caractérisent donc notamment par des exportations de pratiques et de contenus sur des espaces en ligne, qui s’accompagnent de redéfinitions, mais aussi de permanences. À partir du cas de Culture Prime, un dispositif pensé comme un « média 100 % vidéo » du service public fournissant des contenus culturels pour les réseaux socio-numériques, Lucie Alexis analyse la réorganisation de services de rédaction des médias publics autour d’un « projet commun sans rédacteur en chef ». L’auteure met en lumière autant les tensions (au niveau des compétences professionnelles, notamment entre communication et journalisme) que les ajustements et les négociations mis en œuvre par les acteurs du projet. Au final, la pérennité d’un modèle de programmation linéaire hérité des médias traditionnels, destiné à fidéliser les publics, caractérise la production et la diffusion d’information culturelle sur Culture Prime, tandis qu’un format de vidéo courte d’information s’y est imposé, à l’instar de nombreux médias d’information déployés en ligne (Aubert, 2023).

Vers de nouvelles stratégies éditoriales

Le déploiement des informations télévisées sur des espaces en ligne interroge l’évolution des stratégies éditoriales des acteurs de l’information. En effet, les contenus sont alors extraits de leur flux de diffusion initial (la grille de programmation du diffuseur) pour intégrer notamment des dispositifs de type « infomédiaire» (Rebillard et Smyrnaios, 2010). Deux catégories d’acteurs sont concernées par cette appellation « infomédiaire », qui indique un rôle de mise en relation de l’information journalistique avec les usagers de l’Internet. D’une part, ce sont les réseaux socio-numériques (Facebook, Twitter, Instagram, TikTok, SnapChat, YouTube) qui hébergent des comptes de média et diffusent, de manière automatisée, des contenus journalistiques. D’autre part, des portails d’actualité, comme Google News et Orange Actu en France, ont été créés avec comme activité principale « la sélection, l’organisation, la hiérarchisation et la distribution de l’information éditée par des tiers, sur la base de critères thématiques, linguistiques ou chronologiques » (Smyrnaios et Rebillard, 2009). Pour les médias producteurs d’information, la mise en place d’un partenariat avec ces intermédiaires est un gage de visibilité et d’audience accrues ; mais cela implique l’adaptation des formats pour satisfaire aux critères de sélection et de hiérarchisation édités par les plateformes (Lyubareva et Rochelandet, 2017) et parfois une adaptation aux usagers des plateformes. Plus généralement, la mise en ligne de l’information télévisée, via des infomédiaires ou d’autres dispositifs ad hoc, altère, à des degrés divers, les contenus informationnels et leur réception. Les auteurs présents dans ce dossier ont questionné l’évolution de la diffusion et l’appropriation de contenus d’information télévisée sur et par des dispositifs et des acteurs socio-numériques, à partir de trois perspectives éditoriales : les formats, les publics cibles et les pratiques professionnelles journalistiques. Simon Gadras propose une enquête exploratoire menée auprès de streams, ces contenus de flux, organisés sur la plateforme Twitch à l’occasion du débat de l’entre-deux-tours des élections présidentielles de 2022. Il ressort de l’étude une forte hétérogénéité dans les modalités d’organisation, de mise en œuvre et de suivi des streams, bien que l’auteur observe, lui aussi, combien les chaînes Twitch se fondent sur des modèles éculés de mise en scène audiovisuelle du débat. Ce qui se joue dans ces séquences se passe en réalité sur la conversation (le chat), où se manifestent les traces d’une quête de sociabilité initiée à la fois par le streamer et les participants, qui n’a finalement pas grand-chose à voir avec le débat en lui-même. « Il s’agit principalement d’être ensemble » pour vivre l’événement du débat, analyse l’auteur. Les effets performatifs d’une télévision à la fonction « cérémonielle » (Dayan, Katz, 1992) sont ici transposés sur Twitch.

Les reconfigurations d’une partie de l’information télévisée russe sont étudiées à l’aune de deux chaînes, et de leur déploiement sur le réseau Telegram. Vitaly Buduchev s’interroge sur les contraintes éditoriales de Telegram qui pèsent sur ces chaînes de télévision, et sur la manière dont elles s’y positionnent. La problématique est plus complexe qu’il n’y paraît car s’ajoute un contexte politico-médiatique tout particulier : les diffuseurs étudiés sont deux chaînes fédérales, affiliées au pouvoir politique russe. On retrouve dans l’étude des caractéristiques communes à d’autres contextes nationaux, pour ce qui est de la diversité dans les manières de se déployer en ligne : pour l’une des chaînes étudiées (Rossia 1), des contenus semblent spécifiquement produits pour la plateforme Telegram, tandis que pour l’autre chaîne (Perviy), la diffusion de posts en ligne sur Telegram parait très dépendante du fonctionnement traditionnel de la rédaction de la chaîne, notamment au niveau du rythme de programmation. Si, dans d’autres cas, cette diversité s’explique par des choix faits au niveau des stratégies médiatiques (d’une timide incursion sur l’internet à une stratégie d’investissement fort des espaces en ligne), ici le facteur explicatif tient aux publics cibles des chaînes. Il s’agit bien « de satisfaire les publics ayant des centres d’intérêts divergents et appartenant à des groupes sociaux variés » conclut l’auteur. Dans un autre contexte socio-culturel, et à une autre échelle, celle régionale de l’Outre-mer, ce sont les reconfigurations des pratiques professionnelles des journalistes de télévision qui sont interrogées. Bernard Idelson insiste d’emblée sur la nécessaire prise en compte de la contextualisation territoriale des deux médias étudiés (Réunion la 1ère et Antenne Réunion), les deux chaînes de télévision concurrente, l’une publique, l’autre privée, du département d’Outre-mer. L’importance de l’actualité locale est manifeste dans ce contexte : elle se caractérise par une attention forte portée aux faits divers et aux témoignages dans la mise en scène de l’information. Elle se traduit également par une recherche d’interactivité avec les publics, qui semble ici facilitée par l’usage de réseaux socio-numériques comme Facebook. Dans ce cas, ce n’est pas tant l’information qui se déploie en ligne que les journalistes, en quête de publics. L’auteur situe les reconfigurations des pratiques dans un continuum de représentations (du rôle informationnel à jouer par les médias aux attentes du public) et de discours technicistes qu’il convient d’expliciter, pour mieux comprendre l’évolution des pratiques sur le temps long.

Notes

[1] Médiamétrie, Rapport annuel 2023, https://www.mediametrie.fr/system/files/2024-01/2024%2001%2002%20Médiamat%20annuel%202023.pdf (consulté le 11 juin 2024).

[2] Médiamétrie, Communiqué de presse du 01/01/2024, https://www.mediametrie.fr/fr/la-mesure-daudience-de-la-television-se-transforme

[3] Laure Osmanian Molinero, « Télévision, internet et réseaux sociaux, radio : les Français mordus d’actualité », Audience le Mag, 20 avril 2002, Médiamétrie, https://www.mediametrie.fr/fr/television-internet-et-reseaux-sociaux-radio-les-francais-mordus-dactualite

[4] Source : Les Français et l’information, Étude Arcom 2024. Accès : https://www.arcom.fr/se-documenter/etudes-et-donnees/etudes-bilans-et-rapports-de-larcom/les-francais-et-linformation

[5] La publication du dossier a fait l’objet d’un appel à articles étendu, avec une procédure de double expertise anonyme. Je tiens à remercier les auteurs, pour la qualité des propositions d’articles, ainsi que les évaluateurs pour le travail si précieux d’expertise.

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Auteure

Céline Ségur

Céline Ségur est professeure des universités en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lorraine. Elle mène des recherches au Centre de recherche sur les médiations (Crem, UR 3476), sur la télévision et ses publics, avec deux approches : l’une, épistémologique, sur la construction des savoirs ; l’autre, empirique, sur les mutations des pratiques.
celine.segur@univ-lorraine.fr