La promotion de films d’Afrique francophone sur des plateformes numériques : l’exemple du Burkina Faso
Résumé
Les plateformes numériques de diffusion de contenus culturels se déploient dans le monde entier. L’économie qui leur est liée se caractérise par une domination écrasante de multinationales principalement états-uniennes. Ces plateformes sont présentes en Afrique, notamment Netflix (dans le domaine du cinéma), sur un continent où à quelques exceptions près (Nigéria et Afrique du Sud) la production cinématographique reste faible et où il se pose notamment des problèmes de distribution et de diffusion de films. C’est précisément à cet aspect que s’intéresse le présent article. Pour ce faire, il se centre sur les pays d’Afrique de l’Ouest francophone et il vise ainsi à présenter une analyse des offres et stratégies des plateformes qui diffusent des films africains en général et burkinabè en particulier.
Mots clés
Industrie, cinéma, Burkina Faso, plateformes, numériques.
In English
Title
Analysis of the challenges of promoting films from French-speaking Africa on digital platforms
Abstract
Digital platforms for the dissemination of cultural content are deployed worldwide. The economy linked to them is characterized by an overwhelming domination of mainly American multinationals. These platforms are present in Africa, in particular Netflix (in the field of cinema), on a continent where with a few exceptions (Nigeria and South Africa) cinematographic production remains low and where there are in particular problems of distribution and distribution movies. It is precisely this aspect that is the focus of this article. To do this, it focuses on French-speaking West African countries and thus aims to present an analysis of the offers and strategies of platforms that distribute African films in general and Burkinabè in particular.
Keywords
Industry, cinema, Burkina Faso, platforms, digital.
En Español
Título
Análisis de los desafíos de promocionar películas de África francófona en plataformas digitales
Resumen
Se implementan plataformas digitales para la difusión de contenido cultural en todo el mundo. La economía vinculada a ellos se caracteriza por un dominio abrumador de multinacionales principalmente estadounidenses. Estas plataformas están presentes en África, en particular Netflix (en el campo del cine), en un continente donde, con algunas excepciones (Nigeria y Sudáfrica), la producción cinematográfica sigue siendo baja y existen problemas particulares de distribución y distribución. películas. Es precisamente este aspecto el foco de este artículo. Para ello, se centra en los países de África occidental de habla francesa y, por lo tanto, tiene como objetivo presentar un análisis de las ofertas y estrategias de plataformas que distribuyen películas africanas en general y Burkinabè en particular
Palabras clave
Industria, cine, Burkina Faso, plataformas, digital.
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Dakouré Evariste, « La promotion de films d’Afrique francophone sur des plateformes numériques : l’exemple du Burkina Faso », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°21/1, 2020, p.5 à 19, consulté le vendredi 15 novembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2020/varia/01-la-promotion-de-films-dafrique-francophone-sur-des-plateformes-numeriques-lexemple-du-burkina-faso/
Introduction
Le fort dynamisme en Afrique du cinéma Nigérian et sud-africain voile la perte de vitesse, depuis les années 1990, du cinéma africain et particulièrement de celui d’Afrique francophone. Certes certains spécialistes comme Jean-Paul Colleyn (2013) parlent d’industrie cinématographique en référence au fonctionnement de Nollywood, mais excepté ce cas et celui sud-africain, il n’y a pas d’industrie cinématographique en Afrique subsaharienne. De multiples raisons expliquent ce constat à commencer par la fermeture de salles ainsi que la baisse des subventions venant des pays du Nord (Dakouré 2019, Forest 2011, Lelièvre, 2011).
À propos du fonctionnement des filières cinématographiques en Afrique, Claude Forest (2011) remarque que quatre aires et deux pays se distinguent.
Ainsi, le cinéma au Maghreb possède une grande homogénéité de fonctionnement en raison de politiques de structuration par des instances étatiques très proches. Pour ce qui est de l’Afrique de l’Ouest francophone, elle bénéficie de mesures de soutien de la France, mais cela ne donne pas de résultats significatifs en termes de volume de production de films. De plus, dans ces pays francophones, les statistiques sont rares et, quand elles existent, apparaissent peu fiables. Pour Forest, il en va de même d’une troisième zone, à l’Est de l’Afrique, essentiellement anglophone (Kenya, Ouganda). Ces pays font montre d’un dynamisme plus marqué, même si les statistiques sont, ici aussi, éparses. Enfin la quatrième aire qui se compose de l’Afrique centrale et australe « a vu le cinéma totalement disparaître et les informations concernant les autres formes de diffusion des images sont immensément lacunaires. » (Forest, 2011, p.124) L’auteur conclut ce panorama en indiquant que face à cette situation « deux pays enfin se distinguent : l’Afrique du Sud, qui demeure le seul pays à posséder une industrie fortement structurée ; et le Nigeria au dynamisme atypique mais à la transparence limitée du fait du désintérêt de l’État pour les arts visuels » (Forest, 2011, p.124).
Le poids économique de Nollywood est reconnu depuis plus d’une décennie. En 2013, Jean-Paul Colleyn (2013, p.2) disait : « l’industrie de la vidéo nigériane représente aujourd’hui 290 millions de dollars annuels et quelque 300000 personnes en vivent : 1200 vidéos sont produites chaque année depuis 2005. » De ce fait, Nollywood est devenu le troisième pôle de production cinématographique du monde, après Hollywood et Bollywood.
Comme on l’a constaté avec Forest, la situation des filières cinématographiques en Afrique est contrastée : il n’est ainsi pas approprié de parler d’industrie du cinéma à l’échelle de toute l’Afrique. En outre, dans biens des pays, la filière cinématographique apparait partiellement structurée : en effet, certaines activités industrielles n’y sont pas présentes et les marchés apparaissent en cela réduits.
Dans le cas burkinabè, la filière cinématographique vit des moments difficiles depuis la fin des années 1990 et nous l’évoquions déjà dans un article paru en 2019. A titre illustratif, selon Yssouf Saré, la situation du cinéma burkinabè s’est dégradée ces dernières années du fait de la raréfaction du financement due à la fermeture des guichets extérieurs qui rend précaire la production, mais aussi à cause de la faible capacité financière des sociétés de production. Tout cela limite les possibilités de production, de commercialisation et consommation. (Dakouré, 2019)
La crise du cinéma burkinabè est caractérisée par la fermeture de la majorité des salles du pays. Celles-ci étaient gérées par la Société Nationale du Cinéma Burkinabè (SONACIB). Cette société d’État s’occupait de l’achat, la distribution et l’exploitation de films au Burkina Faso ; à travers notamment l’exploitation d’une trentaine de salles de cinéma sur toute l’étendue du pays. Elle a été liquidée en 2004 et depuis lors les Burkinabè ont peu accès au cinéma en salle.
Nous assistons depuis quelques années à la disponibilité de contenus filmiques africains sur des plateformes culturelles en ligne, ce qui donne davantage de visibilité à ces films. En évoquant d’autres supports de diffusion de films que les diffusions en salle, Laurent Creton (2011) affirme que si la sortie en salle continue de fonder l’identité cinématographique d’un film, cette sortie tend actuellement à jouer un rôle essentiellement promotionnel par rapport à une valorisation sur d’autres supports tels que la télévision, la vidéo, la téléphonie mobile, les tablettes, la vidéo à la demande, le téléchargement ou streaming via internet. Des acteurs internationaux ont investi le terrain de la diffusion de films africains en ligne et des plateformes se sont spécifiquement créées sur ce segment depuis quelques années. Par exemple, « Africafilm.tv : la plateforme de VOD 100% africaine, qui regroupe 600 films d’Afrique ou sur l’Afrique, a enregistré, en 2012, 1100 transactions pour une moyenne de 4€ avant de se restructurer en 2013 pour passer à une formule d’abonnement avec un objectif 2014 de 10000 abonnés en fin d’année. » (UniFrance films, 2014, p.4).
Netflix, le géant américain de la VOD est aussi présent en Afrique. A ce propos, en mai 2018 Louise Wessbecher indiquait :
« En février 2018, Netflix a également signé un partenariat avec OSN, un opérateur de télévision payante basé à Dubaï et populaire au Moyen-Orient mais aussi dans toute l’Afrique du Nord, pour que ses abonnés puissent accéder à la plateforme de SVOD via leur box. Un partenariat similaire avait été annoncé en septembre 2017 avec Orange pour les abonnés du Burkina Faso, du Mali ou du Sénégal entre autres [1]. »
Et le 28 février 2020, Netflix a lancé sa toute première série originale africaine : « la plateforme en ligne américaine Netflix diffuse à partir de vendredi 28 février sa première série originale made in Africa, une saga d’espionnage baptisée « Queen Sono » avec en vedette l’actrice sud-africaine Pearl Thusi [2]. » A cette occasion, Ted Sarandos, responsable des contenus originaux de Netflix a divulgué des informations sur la stratégie de leur firme en Afrique en affirmant que : « cette série est exactement ce que nous voulions faire, c’est-à-dire laisser des Africains raconter des histoires sur l’Afrique [3] ». Cette tendance renseigne sur les potentielles opportunités en termes de promotion de films africains en ligne, mais il faut aussi reconnaitre avec UniFrance films, la difficulté liée à la monétisation des transactions en Afrique où l’usage de la carte de crédit est encore très limité rendant le pari difficile à tenir, bien que le développement du paiement par mobile donne des perspectives pour compenser la trop faible bancarisation des ménages.
Dans ces conditions et concernant spécifiquement le Burkina Faso, on peut se demander d’une part, comment le cinéma produit dans ce pays est-il distribué et diffusé en ligne ? Et d’autre part, comment consomme-t-on du cinéma en ligne au Burkina Faso ?
Le choix du Burkina Faso s’explique par le fait que sa capitale Ouagadougou est présentée comme la capitale du cinéma africain du fait qu’elle organise tous les deux ans le Fespaco (Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou). Ce festival est soutenu par l’État burkinabè.
Dans la suite de l’article nous allons d’abord préciser des indications méthodologiques sur l’approche utilisée dans ce travail. Nous définirons ce que nous entendons par plateforme numérique. Après cela, les spécificités de la distribution de films au Burkina Faso seront examinées, avant que nous nous intéressions aux plateformes culturelles en ligne comme des relais de promotion et de consommation de films africains. Le modèle économique de Iroko TV, pionnière en matière de VOD en Afrique, sera plus particulièrement analysé dans la mesure où il inspire d’autres acteurs du continent. Enfin, nous analyserons les opportunités liées à la diffusion en ligne de films burkinabè.
Démarche méthodologique
Nous avons amorcé notre recherche par une revue de littérature approfondie sur l’industrie cinématographique africain, sur l’essor de l’usage de dispositifs numériques sur le continent et sur le développement de plateformes culturelles en ligne et leurs stratégies sur le marché africain.
Nous avons ensuite conduit une série d’entretiens auprès d’enquêtés qui à chaque fois, occupaient une fonction de management au sein de leurs structures. Ces enquêtés sont composés de : réalisateurs, producteurs, distributeurs, diffuseurs, responsable de la Direction Générale du Cinéma et de l’Audiovisuel. 8 entretiens semi-directifs ont ainsi été menés courant septembre-octobre 2019. Les profils de ces enquêtés ont permis d’aborder le fonctionnement de la filière cinématographique au Burkina et les stratégies qui peuvent être envisagées pour une promotion de films burkinabè sur des plateformes numériques, pour ne citer que ces aspects.
En outre, 4 autres entretiens auprès de responsables de chaines de télévision, d’exploitants de salles de cinéma, ont aussi été exploités dans le présent article. Ces 4 entretiens (issus d’un lot de 16 entretiens menés en février 2019) ont été conduits dans le cadre de l’analyse de la structuration et du fonctionnement de la filière cinématographique au Burkina Faso.
Plateforme numérique et plateformisation
Selon Françoise Benhamou (2018), la notion de plateforme est polysémique, et sa conception diffère d’un auteur à un autre. Tantôt elle fait référence à un mode spécifique d’organisation de la production ou à un dispositif d’intermédiation en ligne. Dans d’autres cas, la notion de plateforme se rapporte à des acteurs industriels voire à une stratégie commerciale. Quant à Vincent Bullich et Benoit Lafon (2019), ils affirment que la notion de plateforme s’est imposée à la fin de la décennie 2000 pour qualifier des acteurs économiques agissant sur Internet et menant des activités d’intermédiation. Ils donnent un sens différent à ce terme, en indiquant qu’une plateforme renvoie à « un modèle d’organisation de la médiatisation composé d’une architecture sémio-technique, d’un ensemble d’opérateurs d’activation et de régulation des activités des usagers comme des contenus proposés et d’un mode de valorisation propres. » (Bullich, Lafon, 2019, p.12)
D’autres auteurs comme Jean-Samuel Beuscart et Patrice Flichy (2018), insistent sur le grand succès que connait l’usage du terme plateforme. Ils soutiennent que ce vocable « est aujourd’hui utilisé indifféremment pour décrire des formes très variées de systèmes techniques et d’acteurs économiques, depuis les médias sociaux jusqu’aux systèmes d’exploitation, en passant par les magasins d’applications et les places de marches. » (Jean-Samuel Beuscart et Patrice Flichy, 2018, p.11) Ainsi, les plateformes numériques de VOD jouent un rôle d’intermédiaire permettant d’accéder à des films fournis par divers acteurs. En outre, les plateformes de VOD organisent, hiérarchisent les contenus pour les rendre accessibles.
Dans le présent travail, nous nous intéressons aux incidences des stratégies des plateformes sur le fonctionnement de filières cinématographiques africaines comme celle du Burkina Faso pour ne citer que cet exemple. En se penchant sur le fait que les plateformes numériques peuvent impacter des secteurs d’activités, Jean-Samuel Beuscart et Patrice Flichy (2018, p.13-14) parlent de plateformisation. Celle-ci serait « le mouvement par lequel les acteurs numériques formatent en retour l’environnement dans lequel elles (plateformes) s’inscrivent, qu’il s’agisse des stratégies des acteurs, des environnements techniques voisins ou de la division du travail. » Dans certains pays africains où le développement de l’offre de VOD est plus conséquent, comme l’Afrique du Sud et le Nigéria, les incidences de la plateformisation sur les filières cinématograhiques sont plus significatives que ce qu’on peut observer au Burkina Faso. Néanmoins, on peut relever cette tendance encore timide de diffusion de films burkinabè sur des plateformes numériques.
De la distribution de films au Burkina Faso
Au Burkina Faso, depuis les années 1970, des actions publiques ont été entreprises pour faciliter la distribution de films dans le pays. En effet, à l’issue de la nationalisation en 1970 des salles de cinéma en Haute-Volta (ancienne appellation du Burkina Faso jusqu’en août 1984), l’État a créé la Société nationale voltaïque de cinéma (SONAVOCI). Cette société d’État avait pour attribution d’acquérir des films et d’en faire la distribution pour les salles de cinéma dont elle avait la charge et d’un autre côté de faire la distribution de films auprès de salles privées. La SONAVOCI est devenue la SONACIB avec le changement de nom du pays et a connu des difficultés à partir des années 1990 qui ont conduit à sa liquidation en 2004. Ainsi, le rôle qu’elle jouait en matière de distribution de films s’est estompé. Et depuis lors, le maillon distribution de films a pratiquement disparu au Burkina Faso. De ce fait, certains réalisateurs distribuent eux-mêmes leurs films. Ce qui n’est pas bien apprécié par l’association des distributeurs du Burkina. Et son président lors de notre entretien du 14 octobre 2019 nous a laissé entendre qu’après la disparition de la SONACIB, à chaque fois qu’un acteur de la filière demande une autorisation auprès de la Direction Générale du Cinéma et de l’Audiovisuel (DGCA) pour être producteur, les autorités compétentes lui donnent aussi une autorisation pour être distributeur parce que tout le monde sait que cette branche de la filière cinématographique burkinabè est défaillante. Selon cet enquêté : « si vous prenez une autorisation pour être diffuseur, on vous donne aussi l’autorisation pour être distributeur. Dans le cadre de notre faitière, l’association des distributeurs cinématographiques et audiovisuel (ADCIA) nous avons dénoncé cela. » (Rodrigue Kaboré, entretien du 14 octobre 2019)
En outre, le développement du numérique a entre autres eu pour incidence dans le domaine de la distribution au Burkina Faso, la multiplication du piratage des œuvres. Cela s’explique en partie par le peu d’effet que l’action publique produit dans ce pays en matière de lutte contre le piratage des films. Colin Dupré indique qu’en matière de piratage de films en Afrique, la rapidité et l’ingéniosité des pirates de films dépasse parfois les capacités d’innovation des professionnels du cinéma. A titre d’exemple, « à Ouagadougou, peu de temps après le Fespaco, on pouvait déjà voir certains films comme Waga Love, série burkinabè de Guy Désiré Yaméogo, ou encore Moi Zaphira le long métrage d’Apolline Traoré, s’échanger sur téléphone portable en quelques minutes pour 100FCFA (0,15€)… Il est difficile de faire plus compétitif et plus rapide. » (Dupré, 2013) Ce type de pratiques entrave les possibilités de développement d’un marché du DVD au Burkina Faso privant les professionnels de revenus par ces biais.
Ainsi, les professionnels burkinabè du cinéma à l’image de ce qui se fait dans d’autres pays africains développent des stratégies pour contenir les effets négatifs du piratage. Dans ce sens, au lieu de recourir aux voies légales, Giovanna Santanera indique que « les artistes tentent d’empêcher le piratage en expérimentant une gamme variée de stratégies de distribution : vente au détail de dvd/vcd, diffusion télévisée, et, parfois, des projections collectives payantes et le streaming en ligne. » (Santanera, 2019, p.732). Au vu de ces difficultés pour la distribution de films au Burkina Faso, on peut dire que la présence croissante de films africains sur des plateformes de VOD constitue des opportunités pour le cinéma burkinabè.
Comme autre évolution dans les domaines de la distribution et diffusion de films, on peut mentionner le fait que la numérisation dans la filière cinéma est telle qu’aujourd’hui, pour recevoir les films internationaux : européens et américains par exemple, les salles de cinéma doivent être équipées en dispositif numérique ; le Digital Cinema Package (DCP), pour limiter les risques de piratage. Or au Burkina Faso, en dehors des salles exploitées par des acteurs étrangers, l’institut français d’une part et les salles Canal Olympia du groupe Vivendi d’autre part, aucune salle exploitée par des acteurs burkinabè ne dispose de DCP pour recevoir ces films étrangers. C’est dans ce contexte que l’on voit se développer de plus en plus d’offres de vidéos à la demande (VOD) de plateformes numériques africaines ou non, qui fournissent l’accès à des films africains et non africains.
Les plateformes culturelles en ligne : relais de promotion et de consommation de films africains
L’usage de plateformes en ligne pour la promotion de contenus culturels est de plus en plus fréquent et en dehors de AfricaFilms.tv, d’autres existent (Iroko TV, AfricaShows, entre autres) aussi bien en matière de contenus musicaux que cinématographiques. Concernant le cinéma, on constate avec Tchéhouali (2017) l’essor d’une nouvelle génération de producteurs ou de réalisateurs africains, en particulier ceux de Nollywood, « mais aussi des jeunes Youtubeurs qui développent maintenant des offres de films de court métrage ou de mini séries Web (ivoiriennes, camerounaises, béninoises, etc.), bien compressés et de qualité relativement bonne, dans des formats spécialement adaptés au visionnement à partir des téléphones mobiles. » (Tchéhouali, 2017 p.141) Ces perspectives amènent l’auteur à dire que « le secteur de l’audiovisuel africain est donc particulièrement prometteur, notamment en ce qui concerne le développement d’offre de vidéos et de films africains sur mobile. » En outre, il faudra prendre en compte le fort potentiel de consommation de films en ligne par la diaspora africaine qui a les moyens et est prête à payer pour des films originaux, de qualité.
Il faut noter que le taux de connexion à internet s’est largement amélioré ces dernières années en Afrique dans son ensemble. La majorité des Africains ont désormais accès à internet non pas par le biais de l’ADSL mais via les connexions mobiles.
L’usage répandu des connexions mobiles s’explique par l’arrivée de smartphones à bas prix venant d’Inde et surtout de Chine et de smartphones de seconde main venant des pays développés. Ce facteur s’est conjugué à une offre accrue de connexions 3G par l’ensemble des opérateurs de téléphonie mobile sur le continent. Grâce à tout cela,
« le taux de pénétration d’Internet en Afrique qui tournait autour de 2% dans les années 2000 avoisine aujourd’hui les 20% et devrait même doubler d’ici 2020, pour atteindre près de 40% selon les estimations de la GSMA. Le nombre de connexions via les smartphones a lui aussi presque doublé lors des deux dernières années sur le continent, pour atteindre 226 millions, soit un quart des connexions de toute la région. » (Tchéhouali, 2017, p.138)
Mais il ne faut pas ignorer que l’accès à Internet et, singulièrement au haut débit, reste peu significatif pour l’ensemble des Africains. Ainsi, Tchéhouali souligne que le fait que la bande passante reste relativement faible et que les forfaits de données mobiles sont soit limités, soit très coûteux, restreint les possibilités pour les utilisateurs de téléphone mobile dans l’ensemble de l’Afrique de regarder en ligne de nombreux films ou vidéos (a fortiori en haute définition).
Outre ces contraintes liées à l’accès, il s’agit de souligner ici que l’offre en Afrique de l’Ouest francophone pâtit d’une faible production de films locaux. Une offre intéressante de vidéo à la demande nécessite une diversité, un bon taux de renouvellement ou de mise en ligne de nouveaux contenus originaux, de qualité, de manière à rendre la plateforme de diffusion attractive pour les consommateurs. Or comme l’indique Tchéhouali (2017), l’insuffisante disponibilité de contenus africains de qualité en ligne est un handicap majeur pour l’attractivité de l’offre et, au-delà, la diversité des expressions culturelles dans l’environnement numérique.
Le faible intérêt des États d’Afrique de l’Ouest francophone pour accompagner le secteur du cinéma est aussi un obstacle au développement de la présence de contenus filmiques en ligne. Peu de politiques publiques de soutien à la production nationale sont menées ; de plus, ces États ne mènent pas une politique volontariste de mise en place d’un cadre juridique et règlementaire adéquat pour le développement de ce type de contenus en ligne. En matière d’actions publiques dans le domaine du cinéma en Afrique, Claude Forest (2011, p.124) indique que : « le faible poids réel du secteur, l’importance des moyens juridiques et financiers à mettre en œuvre pour le faire fonctionner au regard des faibles ressources qu’il engendre, constituent autant de freins explicatifs du désintérêt d’États ayant d’autres priorités. » Pendant nos enquêtes de terrain au Burkina Faso courant septembre – octobre 2019, l’absence d’un cadre juridique clair (et un appui de l’État de manière générale) pour inciter des acteurs de la filière cinéma à aller vers la diffusion de contenus filmiques en ligne a été relevé comme une limite que l’État burkinabè devrait travailler à lever.
Les offres de films africains sur des plateformes de VOD se développent de plus en plus sur le continent. « Le cabinet Balancing Act y dénombre actuellement 140 plateformes actives, mais seulement une vingtaine d’entre elles laisseraient entrevoir un véritable modèle économique. La première n’est autre que YouTube. Une sélection de quarante chaînes africaines hébergées par la filiale de Google totalise à ce jour plus de 2 milliards de vues [4] » Mais ces acteurs africains disposent de peu de moyens pour rivaliser avec les plateformes majeures du secteur. Amazon et Netflix ont plus de moyens pour acquérir des clients qui payent pour voir leurs contenus. Ainsi, ces plateformes américaines récupèrent d’importantes sommes [5] leur permettant de créer du contenu basé sur les goûts de leur propre clientèle. Par contre, la plupart des plateformes de VOD africaines n’ont pas cette marge de manœuvre et doivent rechercher une stratégie plus adaptée et efficace pour la distribution de leurs films.
« Qu’ils misent sur des services gratuits, en partie payés par la publicité, des abonnements mensuels de 6 à 10 dollars ou des forfaits à la journée payés entre 250 et 700 F CFA (de 0,38 à 1,07 euro), la plupart des acteurs du secteur n’équilibrent pas encore recettes et dépenses. « Entre l’achat des droits, le prix de la bande passante et celui de la plateforme, c’est très difficile », confirme un patron de start-up. Pour se développer, certains, comme le nigérian Dobox, allient films et musique en partenariat avec des opérateurs de télécoms. D’autres, comme IrokoTV et Afrostream, ont choisi de miser à la fois sur les audiences du continent et sur celles de la diaspora. » (Mulligan et Clémençot, 2016 [6]).
Selon Mulligan et Clémençot, le cabinet McKinsey projette une forte augmentation des dépenses en ligne en Afrique, prévoyant une croissance passant de 8 milliards à 75 milliards de dollars entre 2014 et 2025. Au vu de ces projections, on peut comprendre pourquoi les multinationales rejoignent les acteurs locaux pour l’offre de VOD sur des plateformes en ligne.
Iroko TV un acteur africain de premier plan en matière de VOD
L’industrie cinématographique nigériane qui est de loin la plus dynamique sur le continent africain s’est lancée dans ce qui parait comme une nouvelle opportunité pour le cinéma africain : la VOD. En effet, les professionnels nigérians du secteur ont compris l’intérêt de distribuer d’une autre manière que sur DVD ces films de Nollywood, très populaires sur le continent africain. Dans un contexte de faible connectivité, Iroko TV, la Start Up nigériane, figure de proue emblématique de Nollywood s’est retrouvée rapidement confrontée à la contrainte du faible débit d’internet limitant ainsi les possibilités de consommation de films en ligne. Cette entreprise fondée par Jason Njoku en 2010, « a réussi à attirer au départ près de 23 millions d’euros de capital-risque étranger et s’est remplumé il y a deux ans à hauteur de 19 millions de dollars, en s’associant notamment au groupe français Canal+. » [7]
Mais selon Serge Noukoué [8], « aujourd’hui, le consommateur (africain) paye au cas par cas pour voir un film, et le moins possible. Même IROKOtv, pionnier sur le continent, ne fait pas véritablement de profits (…). Ils ont eu beaucoup de succès dans les levées de fonds mais ce que rapportent réellement les abonnés est moins probant [9] » Selon la Libre Afrique, en 2016, Iroko TV a repensé son offre en lançant une application moins gourmande en données qui permet de télécharger gratuitement des fichiers vidéo sur portables, sans passer par les opérateurs de téléphonie mobile. C’est un modèle dont les pays d’Afrique de l’Ouest francophone peuvent s’inspirer pour limiter les conséquences de la faible connectivité de la zone. Pour contourner l’obstacle du faible débit d’internet, Iroko TV a également mis en place un système de kiosques à divers endroits de Lagos et d’autres villes, où les clients peuvent télécharger sur un support numérique les contenus qui les intéressent. Sur cette pratique, voici ce qu’un responsable d’Iroko TV laisse entendre lors d’un entretien accordé au magazine de l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Catherine Jewell, 2017)
« La plupart des gens ici utilisent des appareils mobiles pour visionner des contenus, ce qui nous a poussés à mettre au point une application mobile et à installer une cinquantaine de kiosques autour de Lagos. Ces kiosques permettent à chaque abonné à iROKOtv d’accéder à nos contenus et de les télécharger sur leur portable. Il leur suffit de télécharger l’application en utilisant l’accès Internet proposé au kiosque – sans avoir à consommer leurs propres données – puis de sélectionner et de télécharger le contenu qu’ils souhaitent regarder. Ils pourront alors le consulter pendant 30 jours [10]. »
Cette innovation frugale est très adaptée au type de marché où l’accès à Internet est limité. Cela laisse penser que les acteurs de la filière cinématographique burkinabè peuvent s’inspirer de ce modèle de distribution afin de contourner la contrainte liée à l’accès à internet au Burkina Faso.
Les acteurs de la filière cinématographique burkinabè et les opportunités de la diffusion de films en ligne
Des films burkinabè sont disponibles sur des plateformes en ligne comme AfricaShows, Tënk, entre autres. En revanche, les enquêtes de terrain que nous avons menées ont révélé que les professionnels burkinabè du cinéma sont peu disposés à céder des droits de leurs films pour des plateformes numériques. Plusieurs enquêtés affirment ne pas bien comprendre le fonctionnement des plateformes. A ce sujet, Pierre Rouamba, un réalisateur/producteur que nous avons interrogé le 24 septembre 2019, affirme ceci :
« Vraiment je ne veux pas céder mes films pour des plateformes en ligne. Jusque-là, je ne crois pas aux opportunités dont on parle par rapport à cette mise en ligne de films burkinabè. Pourquoi je dis ça ? Parce que je ne vois pas de manière claire, comment je serais rétribué pour le visionnage de mes films en ligne. Le système de rétribution en fonction du nombre de visionnages des films ne m’inspire pas confiance. Et le fait de dire que la présence sur Internet apporte de la visibilité n’est pas suffisant pour me convaincre à céder mes films, cela ne me procure pas de fonds. »
Et pour remédier à cela, des cinéastes burkinabè qui font diffuser leurs films en ligne suggèrent la sensibilisation des acteurs de la filière par des structures publiques compétentes, pour lever les doutes liés à l’exploitation de films sur des plateformes en ligne.
Sensibiliser les acteurs de la filière cinématographique burkinabè pour qu’ils rendent leurs films accessibles en ligne, c’est arriver à les convaincre de la plus-value qu’un tel acte peut leur apporter. Dans un contexte où le cinéma local peine à générer des bénéfices l’attrait de sources de revenus nouveaux est majeur. La plupart des professionnels rencontrés au Burkina Faso évoquent leur méfiance à l’égard du système de rémunération des visionnages de films en ligne comme obstacle à leur présence sur ces plateformes, c’est entre autres, ce que le producteur Pierre Rouamba a évoqué. Un autre producteur interrogé affirme ceci :
« Concernant la mise en ligne de films burkinabè, c’est compliqué pour le paiement des droits. Certaines plateformes proposent un paiement mensuel en fonction du nombre de visionnages des films et d’autres plateformes paient annuellement. Mais on peut relever des insuffisances concernant le système utilisé pour le paiement des droits et je comprends pourquoi certains producteurs ne veulent pas mettre leurs films en ligne. Cela s’explique par le fait que c’est sur la base du logiciel de comptage de visionnages des films que le gestionnaire de la plateforme paie les droits des films. Mais moi, je pense que le gestionnaire a la latitude de manipuler le système, de diminuer le nombre de visionnages des films afin de payer moins de droits aux producteurs ». (Gervais Kwené, producteur, entretien réalisé le 27 septembre 2019)
Certains producteurs interrogés ont affirmé avoir été approchés par des plateformes françaises, mais ont refusé d’envoyer leurs films parce qu’ils ne sont pas sûrs d’être payés ou d’être convenablement payés. Une des critiques les plus mentionnées est liée à ce qui est qualifié comme un manque de transparence quant aux chiffres de visionnage de leurs films. Parmi les réalisateurs/producteurs rencontrés faisant la promotion de leurs films en ligne, la responsable de PILIMPIKU [11] production affirme :
« Moi quand je produis un film, déjà à l’étape du projet je commence à informer les gens. Pour moi, la meilleure façon actuellement de toucher les cinéphiles c’est d’utiliser les réseaux sociaux. Il faut faire partie de plusieurs communautés en fonction des centres d’intérêts et cela donne une bonne visibilité. En plus de faire la promotion sur internet j’offre aussi mes films en visionnage sur une plateforme hébergée en France (Tënk) et cela me rapporte de l’argent même si ce n’est pas beaucoup » (Mamounata Nikiéma, entretien du 02 octobre 2019)
Tënk est une plateforme de vidéos à la demande par abonnement spécialisée dans le documentaire de création. Selon Marie-Eva Lesaunier (2019, p.226) Tënk est fondé sur l’intégration verticale de la filière de production des films et « témoigne de la mobilisation d’un monde professionnel pour la défense et la réaffirmation de sa légitimité et de ses frontières. Ce modèle, très éditorialisé, est néanmoins confronté à un écosystème numérique concurrentiel où des logiques préexistantes restent à l’œuvre. La viabilité des plateformes audiovisuelles de niche est donc mise en question. » Concernant la stratégie qu’utilise Tënk, Lesaunier explique que :
« Dans un premier temps, il s’agit d’assurer la diffusion de films correspondant à la ligne éditoriale, moyennant un achat de droits auprès de leur détenteur. Ce premier volet a pour ambition de mettre à disposition du public des films dits « invisibles » […] tout en garantissant une rémunération à leurs ayants droit (le tarif pour l’achat de droits est de l’ordre de 200 à 300 euros par heure). C’est le premier enjeu de la plateforme. » (Lesaunier, 2019, p.239)
Ces tarifs pour la rémunération des ayants droit nous donnent des éléments pour apprécier les propos de la productrice burkinabè Mamounata Nikiéma qui affirme ne pas tirer de revenus conséquents de la diffusion de ses films sur Tënk.
Quant à M. Sounkalo Dao, responsable de Pluriel Production, il dit être satisfait de la diffusion de ses films sur la plateforme en ligne d’un de ses partenaires français.
« Je suis sur AfricaShows parce que c’est une plateforme qui offre une bonne visibilité et l’accès aux données est facile sur cette plateforme. La plateforme est bien et quand on saisit mon nom sur AfricaShows ça sort tous mes films qui y sont. Donc moi j’aime ça parce qu’en fait c’est facile d’accès pour quelqu’un qui cherche un film africain à regarder » (Sounkalo Dao, entretien du 26 septembre 2019)
AfricaShows est une plateforme lancée par un Français il y a déjà quelques années. Selon Radio France International (RFI),
« AfricaShows c’est le nom d’une chaîne YouTube sur Internet où il est possible de visionner gratuitement plus de 3500 films et séries africaines. L’initiative a été lancée par un Français, Alexandre Piovesan. Le but étant de promouvoir les productions africaines. Les producteurs et cinéastes sont rétribués grâce à la publicité générée en ligne » [12].
Il n’est pas simple d’expliquer le fonctionnement des plateformes numériques à des professionnels habitués à collaborer avec des acteurs traditionnels de la distribution ou diffusion de films. Afin d’illustrer les rapports compliqués qu’entretiennent producteurs de films et gestionnaires de plateformes, Benchenna (2018), souligne que, dans le cas marocain :
« Ces difficultés relèvent de plusieurs registres : esthétique, économique, juridique […] un des éléments le plus important et le plus crucial, parfois, dans une relation avec un réalisateur/producteur, est de lui expliquer l’écosystème YouTube, non pas comme un moyen de consommer des vidéos mais comme un moyen pour donner une nouvelle vie à ses œuvres et aussi pour générer de la valeur. Il s’agit, d’expliquer le rôle de chacun, les droits et les devoirs de chacun. » (Benchenna, 2018 p.102)
Des données de terrain, il ressort que ceux qui rendent leurs films accessibles en ligne sur des plateformes payantes reçoivent périodiquement un état des statistiques de visionnages de leurs films. Mais certains acteurs de la filière disent ne pas faire confiance aux plateformes qui les démarchent, car c’est sur la base des statistiques de consultation des films que les producteurs ou distributeurs qui cèdent leurs films aux plateformes sont rémunérés. Plus il y a de visionnages ou de téléchargements, plus cela leur procure des revenus. Un des distributeurs rencontrés, Rodrigue Kaboré [13], refuse de céder des droits de ses films pour une plateforme numérique :
« Concernant les plateformes en ligne, j’ai été contacté par 3 ou 4 structures différentes. L’idée est bonne. Je n’ai pas de problème pour vendre par internet. Mon seul souci c’est la transparence. Il faut qu’il y ait une vraie transparence dans la gestion du film. En fait, ils veulent que tu leur donnes le film et que tu leur fasses confiance à 100%. Or c’est le propriétaire de la plateforme qui sait vraiment comment le décompte des visionnages se fait. C’est eux qui font le point pour t’informer. Moi personnellement en homme d’affaire cela me cause problème. Certains qui m’ont contacté m’ont dit que du fait qu’il est question de gestion de logiciel ils ne peuvent pas me donner les codes parce que je ne suis pas seul. Mais moi je leur donne mon film, il faut aussi qu’ils me fassent confiance. Deuxièmement en tant que distributeur professionnel je ne sais pas comment ces plateformes de diffusion en ligne qui me contactent font leur promotion. Or je veux m’assurer qu’ils ont de la visibilité et un nombre élevé d’abonnés qui visionnent les films, donc qui peuvent me faire gagner de l’argent. Et là aussi je ne suis pas rassuré. » (Rodrigue Kaboré, entretien du 14 octobre 2019)
Néanmoins un réalisateur/producteur affirme faire pleinement confiance à la plateforme en ligne où il diffuse ses films (AfricaShows). A ce sujet, ce professionnel mentionne ceci :« avec l’application je peux vérifier mensuellement par pays sur une carte tous ceux qui ont fait un tour sur mes films. La plateforme fait la comptabilité automatiquement, même l’opérateur de la plateforme ne peut pas manipuler les chiffres ; et les statistiques permettent de faire ta facture. » (Sounkalo Dao, responsable de Pluriel Production, entretien du 26 septembre 2019)
D’autres plateformes comme Africafilms.TV, financée en partie par l’Union européenne dans le cadre du programme ACPCulture+ donnent aussi la possibilité de consultation de statistiques. « Cette plateforme offre au réalisateur d’un film la possibilité de créer son propre compte afin de connaître le nombre de visionnement et les revenus générés. » (Guèvremont, Ivan et Ivan, 2018, p.32)
Ce travail pédagogique d’explication du fonctionnement d’une plateforme de diffusion de films en ligne est plus compliqué à faire dans des pays d’Afrique francophone comme le Burkina Faso où, comme l’indique Souleymane Cissé (2008), la déstructuration des filières cinématographiques est telle que ceux qui travaillent dans les différents maillons des filières ont du mal à vivre de leur métier. L’enjeu majeur pour certains acteurs de la filière n’est pas la visibilité qu’une plateforme en ligne leur offrira, mais les rémunérations que la diffusion de leurs films en ligne peut leur apporter. Or cette rémunération peut être considérée comme dérisoire. A ce propos, Toussaint Zongo, réalisateur à l’Institut Imagine [14] (institut créé par le réalisateur burkinabè Gaston Kaboré) nous indique ceci :
« Tout récemment nous avons eu une collaboration avec un partenaire français qui diffuse les films issus des ateliers de l’Institut Imagine, sur sa plateforme qui s’appelle AfricaShows. Cela procure très peu d’argent, mais au moins ça produit de la visibilité pour les films produits. » (Toussaint Zongo, entretien du 08 octobre 2019)
Il faudrait donc une conjugaison des efforts des divers acteurs du secteur cinématographique pour favoriser la diffusion de plus de films burkinabè sur des plateformes. Par exemple, en dehors du fait que l’accroissement de l’accès à un débit internet plus élevé nécessite une volonté politique forte, l’État est aussi attendu sur le terrain de la mise en place d’un environnement juridique et réglementaire propice au développement de ce type de services en ligne.
En effet, au Burkina Faso, peu de réglementations veillent aux droits d’auteurs des œuvres qui circulent en ligne. Selon M. Rodrigue Kaboré de la maison de production PUB NEERE, courant 2014, un centre a été mis en place pour coordonner la lutte contre le piratage des œuvres culturelles favorisé par l’essor du numérique. Mais de son avis, cette structure n’a jamais réellement fonctionné. Sounkalo Dao un réalisateur/producteur, de son côté soutient que :
« le BBDA (Bureau Burkinabè du Droit d’Auteur) n’a pas encore entamé ce processus de reconnaissance de nos droits sur les films distribués sur le net parce qu’aucun texte n’est signé. Pour le moment on ne parle que des œuvres qui passent en salle de cinéma et à la télé. Il y a un vide juridique au Burkina sur cet aspect-là. On a fait des réunions sur la question, mais les gens ne savent pas comment faire face à cette question des droits d’auteurs à l’ère du numérique, surtout pour les œuvres diffusées en ligne. » (Dao Sounkalo, entretien du 26 septembre 2019)
Pour éviter de voir les droits d’auteurs bafoués, Mamounata Nikiéma invite les professionnels Burkinabè à être très attentifs lors de la signature des contrats de cession de droits de diffusion sur les plateformes. « Il est important de connaitre les contextes et les différents contours du contrat de diffusion des films en ligne. Certains ne font pas attention à la signature des contrats et parfois il y a des failles » laisse-t-elle entendre pendant notre entretien du 02 octobre 2019.
Conclusion
Le cinéma africain est pluriel et il est essentiellement caractérisé par une faible production à l’échelle du continent. S’agissant des pays d’Afrique francophone, ils font partie de ceux qui produisent le moins. En plus de la faible production cinématographique, dans certains pays (comme le Burkina Faso) il se pose aussi un problème de distribution et de diffusion. Le segment distribution de la filière a pratiquement disparu et la grande majorité des salles de cinéma ont fermé.
Ce travail a aussi analysé le modèle économique et les stratégies mises en place par une plateforme pionnière sur le continent, Iroko TV qui à la suite d’erreurs stratégiques de départ, notamment le fait de se lancer dans l’offre de streaming sur un continent faiblement connecté, a su innover avec de nouvelles offres. Ouvrant ainsi une voie qui peut être empruntée par d’autres acteurs africains. Le fait d’implanter des kiosques pour faciliter le téléchargement de films sur une plateforme numérique est une innovation bien adaptée au contexte Ouest africain et pourrait bien « faire des émules », notamment au Burkina Faso. En effet, cette manière de faire donne plus de chance de rendre viable, une offre de VOD sur le continent africain.
L’article examine également les raisons de la faible présence de films burkinabè en ligne, de même que des propositions de sensibilisation des acteurs de la filière cinéma pour contribuer à lever les doutes face au manque de confiance envers les plateformes en ligne. Mentionnons aussi que l’implication de l’État notamment à travers l’établissement d’un cadre juridique et réglementaire est un acte qui pourrait contribuer à créer un environnement favorable à l’offre de films burkinabè en ligne.
Notes
[1] Accessible en ligne : https://www.france24.com/fr/20180506-netflix-afrique-productions-locales-nollywood-series-films consulté le 03 mars 2020.
[2] Document en ligne https://www.ouest-france.fr/medias/netflix/netflix-lance-sa-premiere-serie-originale-africaine-6757113 consulté le 03 mars 2020.
[3] Idem
[4] Source disponible en ligne : https://www.jeuneafrique.com/mag/312072/economie/resister-a-netflix/ consultée le 30 avril 2020
[5] Concernant la capacité financière de Netflix par exemple, Lucien Perticoz (2019, p.337) laisse savoir qu’en 2017, les actifs de cette plateforme s’élevaient à un peu plus de 19 milliards de dollars US.
[6] Source disponible en ligne : https://www.jeuneafrique.com/mag/312072/economie/resister-a-netflix/ consultée le 30 avril 2020
[7] Source disponible en ligne : https://lnt.ma/nigeria-ruee-vers-nollywood-ligne/ consultée le 30 avril 2020.
[8] Selon la revue Africultures : « Spécialiste du management de projets culturels, Serge Noukoué, franco-béninois, étudie l’impact des manifestations culturelles sur le développement. En 2013, il devient le Directeur Exécutif de la Nollywood Week, une fenêtre sur le cinéma nigérian, du 30 mai au 2 juin 2013, lancée à Paris, dont Qudus Onikeku est le Directeur Artistique. » Information disponible en ligne : http://africultures.com/personnes/?no=8897 Consultée le 15 juin 2020
[9] Source disponible en ligne : https://lnt.ma/nigeria-ruee-vers-nollywood-ligne/ consultée le 30 avril 2020
[10] Catherine Jewell (2017) « iROKOtv : Nollywood à la conquête du monde », Division des communications, OMPI. Information disponible en ligne :
https://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2017/05/article_0002.html Consultée le 15 juin 2020
[11] « Production de fictions et de documentaires, réalisation, organisation de formations, consultations sur des projets, les activités de Pilumpiku sont plurielles, à l’image de sa fondatrice qui porte plusieurs casquettes » information disponible en ligne : https://africalia.be/IMG/pdf/mamounata_nikiema_portrait_entrepreneuse_engagee_dans_cinema.pdf Source consultée le 15 juin 2020
[12] Donnée disponible en ligne : http://www.rfi.fr/fr/emission/20190316-africashows-une-chaine-youtube-le-cinema-africain-alexandre-piovesan consultée le 03 mars 2020.
[13] Rodrigue Kaboré est responsable de la maison de production et distribution PUB NEERE. Il est aussi gestionnaire du Ciné Neerwaya, la plus grande salle de cinéma du Burkina Faso en termes de nombre de places.
[14] « Imagine est créé pour suppléer à un manque. C’est un lieu où les gens peuvent venir partager leur expérience avec des moins expérimentés. L’idée n’était pas seulement de répondre au besoin d’apprentissage technique et artistique, mais de mener la réflexion également. Comment faire en sorte par exemple, que les cultures africaines puissent apporter des innovations dans le cinéma. » Information disponible en ligne : https://www.institutimagine.com/ Source consultée le 16 juin 2020
Références bibliographiques
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Auteur
Evariste Dakouré
.: Université Aube Nouvelle (Burkina Faso). Directeur de l’UFR Lettres, Langues et Sciences Humaines
Membre associé au Groupe de recherche sur les enjeux de la communication (GRESEC) Université Grenoble Alpes (France). Membre associé à la Chaire Unesco en communication et technologie pour le développement Université du Québec à Montréal (Canada).
Courriel : evaristedakoure@hotmail.com