-

“Mi disquera no es Sony, mi disquera es la gente”. Processus hégémoniques et contre-hégémoniques dans l’industrie musicale latino de Miami

2 Oct, 2017

Résumé

La ville de Miami s’est progressivement imposée, à partir de la révolution cubaine de 1958-59 et l’arrivée massive d’exilés anticastristes, comme un pôle régional à la fois économique, migratoire et culturel. La coprésence d’individus de cultures différentes sur un même territoire concourt à l’émergence de nouvelles pratiques sociales et artistiques. Faites d’emprunts et d’appropriations, elles débouchent sur des expressions et objets culturels inédits dont les industries médiatiques se saisissent rapidement. Les majors du disque, présentes avec leurs filiales « latino », jouent un rôle de premier plan dans la production et la circulation des nouveaux contenus musicaux créés. Nous nous intéressons dans l’article à la construction de cette industrie et au processus d’intégration des pratiques émergentes qu’elle amorce dès les années 1970. Les liens entre musique, politique et territoire se retrouvent alors au cœur de notre analyse. Les dynamiques hégémoniques et contre-hégémoniques qui découlent de ces enjeux et luttes de pouvoir au sein de la culture mainstream produite à Miami sont observées à partir de trois études de cas s’étalant des années 1960 aux années 2000.

Mots clés

Industrie musicale, musiques populaires, médias latino

In English

Abstract

The city of Miami has gradually emerged, from the 1958-59 Cuban revolution and the massive arrival of anticastrist exiles, as an economic, migratory and cultural regional hub. The co-presence of people of different cultures on same territory works towards the emergence of new social and artistic practices. Made up of mixes and appropriations, they result in new cultural expressions and objects seized by media industries. The major labels, present with their Latin subsidiaries, have a leading role in the production and circulation of the new music contents. In this paper, we focused on the industry construction and the emergent practices integration process from the 1970s. The links between music, politic and territory are a central issue in our study. The hegemonic and counter-hegemonic dynamics which ensue from these stakes and power struggles into the Miami mainstream culture are examined from three case studies spread out 1960s to 2000s.

Keywords

Music Industry, popular musics, latin idendity

En Espanol

Resumen

A partir de la revolución cubana de 58-59 y la afluencia de exiliados anticastristas, la ciudad de Miami se impone gradualmente como un centro regional económico, migratorio y cultural. La co-presencia de personas de diversas culturas sobre un mismo territorio contribuye a la aparición de nuevas prácticas sociales y artísticas. Constituidas de empréstitos y apropiaciones, conducen a expresiones y objetos culturales nuevos apropiados muy rápidamente por esas industrias mediáticas. Las multinacionales del disco y sus filiales latinas desempeñan un papel fundamental en la producción y la circulación de les nuevos contenidos musicales creados. Analizando el proceso de construcción de esta industria queremos conocer cómo se integran desde los años setentas esas prácticas emergentes. Nuestro análisis enfoca las relaciones entre música, política y territorio. A partir de tres estudios de caso que abarcan los años sesenta a los años 2000, observamos surgir de los retos y de las luchas del poder dentro de la cultura mainstream producida en Miami, dinámicas hegemónicas y contra hegemónicas.

Palabras clave

Industria de la música, músicas populares, identidad latina

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Bénistant Alix, « Mi disquera no es Sony, mi disquera es la gente”. Processus hégémoniques et contre-hégémoniques dans l’industrie musicale latino de Miami », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°18/1, 2017, p. 21 à 36, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2017/varia/02-processus-hegemoniques-et-contre-hegemoniques-dans-lindustrie-musicale-latino-de-miami/

Introduction

« Mi disquera no es Sony, mi disquera es la gente » (« Mon label n’est pas Sony, mon label c’est les gens »). Cette citation extraite de la chanson « Calma Pueblo » du groupe portoricain Calle 13 porte en elle toute la complexité des rapports de pouvoir à l’œuvre dans l’industrie musicale, notamment entre artistes, producteurs et publics. Elle interroge d’emblée les possibilités d’une subversion au sein de la culture dite mainstream(1) et questionne en retour le principe de neutralisation de toute contestation par les industries culturelles. Les chanteurs développent dans ce morceau une critique acerbe du capitalisme, de la société de consommation, des industries culturelles et de la corruption qu’il y règne. Pourtant, le groupe portoricain, très populaire dans le monde latino, a signé à ce moment-là chez Sony Music Latin et est le grand vainqueur en 2011 des Latin Grammy Awards.

Cette situation, qui peut paraître au premier abord contradictoire, n’est pas nouvelle dans l’histoire de l’industrie musicale. Bien au contraire. Elle rappelle ce qui « unifie » les recherches sur les musiques populaires, à savoir « que la musique est souvent – certains diraient toujours – liée à des questions de pouvoir social » (Hesmondhalgh, Negus, 2002, p. 6). Dès lors, certaines questions émergent et nous conduisent aux réflexions liminaires suivantes : en quoi la culture populaire rend-elle possible la contestation et la subversion, tout en participant à la consolidation de l’hégémonie culturelle ? Dans quelle mesure les discours contre-hégémoniques qui naissent à la marge sont intégrés au cœur du système hégémonique, participant au final à leur neutralisation ?

Le concept d’hégémonie apparaît ici central dans notre appréhension du sujet. Tel que développé par Antonio Gramsci, il permet de penser le problème des « médiations » et des rapports de pouvoir qui se jouent dans « l’établissement de la volonté générale », par une mise en avant des processus d’alliance et de négociation complexes (Mattelart, 1999, p. 88). Armand Mattelart entend par « l’établissement de la volonté générale » définir l’œuvre de « direction politique, morale et culturelle d’un groupe social – un bloc historique – qui pénètre au vif du corps social, influant sur son mode de vivre, sa mentalité, ses attitudes et ses comportements pratiques ». On ne peut donc résumer cette influence à un simple rapport de domination construit sur un « unique front » (pour reprendre Stuart Hall), comme l’économie. Elle ne peut être effective qu’à la condition d’un certain consentement populaire, faisant de l’hégémonie « l’installation en profondeur d’une nouvelle autorité morale et sociale, non seulement parmi ses partisans, mais à travers la société tout entière » (Hall, 2013, p. 197-8). Le concept invite ainsi à dépasser la notion de domination pour tendre vers celles de consentement et de conflit (Maigret, 2013).

Ce constat – quoi qu’un peu rapide – appliqué à notre question de départ éclaire de façon très utile les enjeux et multiples tensions qui naissent de la « rencontre des cultures populaires et des industries culturelles » (Djavadzadeh et Raboud, 2016). Il permet de sortir des « schémas dichotomistes des relations de pouvoir » (Mattelart, 2007, p. 77), tout en n’occultant pas les déséquilibres structurels dans lesquels ces relations prennent place. En ce sens, Razmig Keucheyan rappelle qu’il ne peut y avoir de théorie de l’hégémonie, en tant que « théorie du pouvoir “en général”, qui vaudrait pour tout temps et tout lieu » (Keucheyan, 2016, p. 124-5). Il apparaît donc nécessaire de replacer ces relations (entre cultures populaires et industries culturelles) dans leur contexte d’émergence, faisant de la « relation entre position historique et valeur esthétique » une question centrale (Hall, 2008, p. 119).

Par ailleurs, le concept d’hégémonie permet de mettre en perspective les deux niveaux d’observation sur lesquels nous nous appuyons : l’individuel et le collectif. En effet, selon Jean-Jacques Lecercle, « le concept gramscien d’hégémonie, au sens d’organisation du consensus, permet […] de faire la jonction entre le collectif des pratiques (de classe ou de groupe) et l’individuel (de la conscience des sujets engagés dans ces pratiques et formés par elles) » (Lecercle, 2016 : 39). Il s’agit dès lors de montrer que les processus de création proviennent d’individus s’inscrivant dans un projet à la fois personnel et collectif, et que celui-ci interagit avec (et donc n’est pas simplement déterminé par) l’environnement économique, politique et culturel dans lequel il se situe.

Pour faire émerger ces différents niveaux d’analyse, nous proposons de revenir dans un premier temps sur le contexte économique, politique et culturel de Miami au sein duquel s’est développée une industrie musicale « latino », pour ensuite focaliser notre attention sur trois études de cas couvrant des trajectoires individuelles inscrites dans trois périodes distinctes : au tournant des années 1970, moment de l’émergence d’une scène musicale à Miami, avec Willy Chirino ; au tournant des années 1990, période de structuration de l’industrie locale et de l’intégration en son sein du « Miami sound » par le biais du Miami Sound Machine d’Emilio et Gloria Estefan ; enfin, les années 2000, avec Calle 13 et l’apparition d’un discours contre-hégémonique dans la culture mainstream.

Pour y parvenir, nous recourons à trois types de ressources. D’une part, nous exploitons des entretiens menés à Miami dans le cadre de notre recherche doctorale auprès de quinze acteurs de l’industrie musicale de la ville (musiciens, producteurs, arrangeurs, personnels de label). D’autre part, nous utilisons les archives de la presse professionnelle, en particulier Billboard, dans laquelle figure une rubrique clé pour notre sujet, intitulée Latin Notas, qui nous a permis de retracer l’évolution du marché et des stratégies industrielles. Enfin, nous nous appuyons sur le matériau musical en lui-même, au sein duquel nous cherchons à mesurer l’implication concrète des différents niveaux d’analyse. Les musiques populaires étant « façonnées par une hétéronomie foisonnante » et devant « composer avec une série de contraintes et d’intermédiaires » (industrie, moyens de stockage, de reproduction et de diffusion, mais aussi discours, etc.), nous ne souhaitons en ce sens pas les détacher de « leurs conditions d’avènements » qui permettent de « penser leurs formes, leurs significations et leurs effets » (Grassy et Sklower, 2016 : 12).

Miami, plaque tournante du divertissement latino

« C’est la capitale de l’Amérique latine. C’est un épicentre. C’est l’un des plus gros marchés pour ce que je fais. Tous mes artistes et amis passent par Miami. Probablement 90 fois plus qu’ils ne le font à New York ou Los Angeles. J’ai donc ramené toutes mes affaires ici. » (Marc Anthony, interview à Billboard, 30 avril 2016, à propos de sa structure de management d’artistes et sportifs « Latinos », Magnus Media, installée à Miami depuis mars 2015)

Le constat établi ici par Marc Anthony, le plus miaméen des salseros newyorkais, lors de la dernière Latin Music Conference tenue à South Beach en avril dernier, est unanime. La ville du sud de la Floride est aujourd’hui un lieu incontournable de l’« entertainment latino ». Mais le phénomène décrit par le chanteur – et récent chef d’entreprise – d’origine portoricaine n’est pas récent. Observé de longue date par les chercheurs issus de différentes disciplines et zones géographiques, il n’a cessé de croître depuis, au moins, l’importante migration cubaine de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Ces premiers réfugiés cubains de la révolution castriste, débarquant à Miami avec une expertise et des liens commerciaux solides avec le continent, participent à sortir Miami de sa dépendance envers le tourisme et à déployer, au moins régionalement, l’économie locale.

Le développement de la ville se poursuit alors dans les années 1980, en même temps que la vague néolibérale, qui se diffuse en Europe et dans les Amériques, projette la culture, et notamment les musiques populaires, dans des réseaux de circulation de plus en plus denses et élaborés. Cela se manifeste dans le secteur des industries culturelles par des stratégies de concentration oligopolistique de grande ampleur, décrites avec précision par les tenants d’une économie politique critique de la communication (Bouquillion, 2005, 2008). Dès lors, des lieux s’établissent en points nodaux de ces circuits transnationaux, comme territoires concrets de la globalisation en marche.

La question de savoir si Miami est devenue l’un d’entre eux s’est alors posée. Des universitaires comme Saskia Sassen (1994) ou Ramón Grosfoguel (1995) y répondent très tôt par l’affirmative. Lieu de polarisation et de concentration des richesses et capitaux à l’échelle régionale, elle aurait attiré une masse critique d’entreprises de différents secteurs, venues tirer profit de ses articulations aux différents marchés américains (Létrillart, 2015).

Plus précisément, dans ce contexte économique favorable, d’autres chercheurs se sont penchés sur son rôle et sa force d’attraction envers les industries culturelles du divertissement latino. Ce fut le cas pour l’industrie de la telenovela (Mato, 2002 ; Sinclair, 2003), qui déplace progressivement studios et maisons de production dans la ville, entraînant par là une intense migration professionnelle ; ou des grands réseaux de diffusion hispanophones, à l’instar des deux grandes chaînes de télévision en espagnol, Univisión et Telemundo (Ben Amor-Mathieu, 2000) ou de la radio (Lohmeier, 2014).

Mais qu’en est-il de l’industrie musicale ? Peu de travaux ont traité avec précision de ce secteur (même si nombre de recherches évoquent ces processus avec plus ou moins d’attention, comme par exemple Negus, 1999 ; Bustamante et Miguel, 2005 ; Pacini Hernandez, 2010 ; Jolivet, 2015), pourtant considéré comme l’un des plus porteurs. Seul George Yúdice s’est penché spécifiquement sur cette question, en montrant que la ville devient à partir de la fin des années 1980 un lieu d’implantation privilégié pour l’industrie musicale latino.

L’implantation d’une industrie musicale locale

En effet, chacune des majors ouvre, à partir des années 1980, une filiale « Latin » à Miami – Sony, BMG, EMI, Polygram et Warner (Yúdice, 1999). Sony est la première à le faire en 1987, lorsqu’elle rachète CBS Records, qui possédait elle-même une division « internationale » à Miami depuis 1979 – CBS Discos International – ciblant les marchés latino-américains, avec des filiales au Mexique, en Argentine, au Costa Rica, en Colombie, au Venezuela, au Brésil, au Chili, en Equateur, en Uruguay et au Pérou (Ibid., p. 210). Dans la logique concentrationelle évoquée précédemment, elle établit une joint-venture avec BMG en 2004 (qu’elle acquiert à 100 % quatre ans plus tard) et bénéficie donc du réseau tissé par cette dernière en Amérique latine. Polygram, le deuxième poids lourd du secteur, s’installe à Miami en 1992 pour gérer le marché latino-américain, dans lequel elle dispose de filiales au Brésil, en Argentine, au Mexique, au Chili et en Colombie. Au-delà de la stratégie d’ouverture de filiales, Polygram entreprend sa consolidation à travers le rachat de maisons de disques locales. C’est par exemple le cas lorsqu’elle acquiert en 1995 le très important label vénézuélien Rodven, appartenant à la famille Cisneros (propriétaire du géant de la télévision Venevision), pour 57 millions de dollars (Lannert, 1995). La concentration s’accroît davantage lorsque, une fois intégrée au groupe Universal à la fin de la décennie, elle passe un accord exclusif de distribution avec Univisión Music Group en 2002 (Cobo, 2005, p. 21) – elle-même propriétaire d’un des plus importants labels mexicains (Disa Records) –jusqu’à son intégration complète en 2008.

Cette concentration du marché musical latino à Miami stimule alors la rénovation des studios d’enregistrement déjà présents dans la ville (dont le célèbre Criteria Studio, créé en 1958) et la création de quelques autres (dont le Crescent Moon Studio d’Emilio Estefan en 1990), tout en attirant nombre de producteurs/compositeurs, tantôt issus de la migration cubaine, à l’instar d’Emilio Estefan ou de Rudy Pérez ; tantôt provenant d’autres pays latino-américains à mesure que l’industrie se développe, comme Kike Santander (Colombie) ou Bebu Silvetti (Argentine). L’ensemble de ces acteurs industriels et professionnels de la musique latino convergent progressivement vers Miami pour les potentialités offertes par le marché.

À propos de ce dernier (le marché dit « latino »), George Yúdice (2003, p. 207) souligne qu’il faut le concevoir comme étant scindé en deux pôles majeurs, avec d’un côté le marché latino-étasunien, géré depuis Miami et « principalement caractérisé par la Latin pop » ; et d’un autre côté le marché latino-américain, « largement managé en dehors de Miami ». Tous deux représentent d’importants débouchés commerciaux, avec une population latino-américaine estimée en 2000 à plus de 500 millions d’individus (majoritairement hispanophones, en dehors du Brésil), et une « communauté » latino-étasunienne en pleine croissance, avec 35 millions de personnes dénombrées par l’US Census à cette date, en progression de 50 % par rapport à 1990.

Toutefois, rappelle l’auteur, ces deux « mondes » coexistent, communiquent à travers les réseaux mis en place par l’industrie, et apparaissent comme « des sources d’hybridation entre le Nord et le Sud », permettant l’émergence de « mégastars » internationales, à l’image des succès à grande échelle de Ricky Martin, Shakira ou Enrique Iglesias (fils du chanteur espagnol Julio Iglesias, un des premiers artistes de renom à avoir signé avec une des majors de Miami, dès 1979). En effet, les artistes sont repérés au travers des différentes filiales locales et, une fois bien établis dans leur marché national, sont envoyés au « siège » floridien afin de procéder à leur « mainstreamisation » (envisagée ici comme un processus dynamique, que nous allons décrire infra) par les différents producteurs sur place. Ils peuvent dès lors bénéficier, en dernière instance, de la force de frappe de la major, notamment en termes de distribution et de marketing transnationaux.

Malgré un marché latino-étasunien fragmenté – entre New York, plutôt orienté vers les répertoires salsa et latin jazz, et le (sud-)ouest du pays vers la musique mexicaine et tejana(2), Miami accroît sa polarisation des activités et infrastructures sur son territoire. MTV ouvre une antenne locale en 1993 à Miami Beach comme centre des opérations pour l’Amérique latine et le marché hispanophone des États-Unis (Lannert, 2003). Enfin, son influence croissante se manifeste par l’émergence d’événements consacrés à ce secteur. Billboard y organise par exemple sa « Latin Music Conference » depuis 1989 (Cobo, 2014) et la ville est considérée comme lieu le plus adapté pour recevoir le premier « MIDEM Latin America and Caribbean » en 1997. Envisagé comme une déclinaison du marché international du disque et de l’édition musicale qui se tient annuellement à Cannes depuis 1967, il n’a toutefois qu’une courte durée de vie. En effet, victime des tensions entre pro et anti-dialogues envers la Cuba castriste, liées à l’invitation de musiciens et professionnels en provenance de l’île, seulement deux éditions y ont cours, finalement interrompues pour des raisons d’ordre politique (Cantor, 1998).

Indissociables des enjeux socioéconomiques liés aux industries culturelles, ce sont justement ces rapports entre musique et politique que nous voudrions évoquer à présent, en nous penchant sur des cas concrets permettant de mettre en lumière les tensions et négociations au cœur des logiques hégémoniques.

La trajectoire de Willy Chirino et l’émergence d’un nouveau Miami Sound

Un des plus célèbres chanteurs cubains de Miami, Wilfredo José Chirino, arrive dans la ville floridienne en 1961, à l’âge de 14 ans, avec les premiers émigrés de la révolution castriste. Ces derniers, composés à 40 % des élites dirigeantes de l’île (Jolivet, 2010), bénéficient pour la plupart d’un statut social élevé (Forteaux, 2003, p. 17). L’objectif (idéologique) de Washington est alors de faire de ces nouveaux arrivants « victimes » de la révolution castriste une vitrine de la réussite états-unienne face aux difficultés des Cubains restés sur l’île (Yúdice, 2003, p. 196-7). Pour cela, 1,4 milliard de dollars est investi par le gouvernement afin de soutenir cette population, notamment par le biais d’un programme d’accueil mis en place spécialement pour les réfugiés cubains, le CRP (Cuban Refugee Program) (Brewer Current, 2010). C’est à la fois par ce levier politique, mais aussi par un réseau de sociabilité basé sur l’entraide et la solidarité, qu’un certain nombre de musiciens cubains nouvellement installés à Miami émerge. C’est le cas de Willy Chirino, qui arrive dans la ville par le biais d’un programme d’accueil envers les enfants émigrant sans leurs parents, nommé « Peter Pan », actif entre le 29 septembre 1960 et le 29 décembre 1962. Par ce biais, il s’installe à Miami et s’investit rapidement dans de petites formations musicales, nourri tant par les musiques cubaines de sa ville de naissance (Consolación del Sur), que par les musiques états-uniennes qui circulent largement sur l’île jusqu’à la mise en place de l’embargo du 7 février 1962(3).

Une fois sur le territoire états-unien, il profite pleinement de la nouvelle vague musicale pop-rock qui envahit les marchés mondiaux. C’est en particulier le cas des Beatles, qui influencent sa vision de la composition musicale, qui doit être, tout comme celle de ses mentors, faite d’appropriations à des répertoires multiples. Son premier album « One Man Alone » (1974) laisse entrevoir les principales caractéristiques de ce que journalistes, producteurs et artistes considèreront quelques années plus tard comme le premier Miami sound. Tout au long des dix chansons, il puise son inspiration musicale dans le rhythm and blues, le funk, la soul et le rock des années 1960, en y associant des instruments cubains et des paroles en espagnol. Cette description se rapproche au premier abord d’un style émergeant au sein du Spanish Harlem new-yorkais à la fin de 1966 (où W. Chirino a passé un séjour musical de quelques mois) : le boogaloo. Mais les conditions sociopolitiques spécifiques des Caribéens des deux villes font que les mouvements musicaux se distinguent autant dans leur forme (musicale), que dans leur fond (social et politique).

La musique au cœur d’enjeux politiques majeurs

Pour évoquer les liens entre musique et politique, nous partons du postulat selon lequel la musique, en tant « qu’art du sonore » (Moysan, 2004, p. 108), prend en charge une signification politique et porte donc en elle les marques du contexte social et historique dans lequel elle a été construite. Elle ne peut être considérée comme un « signifiant sans signifié » rappelle Bruno Moysan, comme un « monde clos sur lui-même », pour au contraire être envisagée comme « un langage, une grammaire socialisée » (Ibid.). Les constructions musicales populaires sont empreintes de référents sociaux et de ce fait n’apparaissent pas comme totalement subjectives. En ce sens, l’objectif est ici d’établir un aller-retour entre les productions (les « textes » pour reprendre David Hesmondhalgh) et les cadres dans lesquels elles se sont déployées, entre texte et contexte pourrions-nous dire. À la suite de Martin Stokes, précisons qu’il ne s’agit pas de réduire le texte à son contexte d’émergence, mais bien d’observer l’un à la lumière de l’autre, « d’essayer de prendre les deux en considération, comme deux processus qui s’informent l’un l’autre » (Stokes, 2014, p. 379).

Revenons à présent sur les distinctions qui s’établissent entre les deux courants musicaux évoqués précédemment, qui naissent pourtant au même moment dans les communautés « hispaniques » du nord et du sud du pays. Ainsi, celui qui émerge à Miami s’inspire majoritairement du répertoire anglo-saxon, à l’inverse du boogaloo new-yorkais à dominante cubaine et portoricaine dans son instrumentation et son orchestration. La réalité sociale de la scène musicale floridienne explique, selon nous, ces points de divergences. Le soutien apporté par l’État fédéral aux premiers exilés cubains les protège, relativement, des inégalités sociales touchant nombre de minorités ethnoraciales. Les politiques favorables à leur intégration au sein de la société états-unienne permettent aux Cubains de Miami de ne pas se trouver dans la même condition subalterne que leurs aînés de New York ou que le reste de la communauté hispanique du spanish Harlem. De ce fait, ils s’orientent plus volontairement vers les répertoires musicaux de la société d’accueil et ne produisent pas de textes contestataires envers elle.

Une des chansons célèbres de Willy Chirino illustre bien ce propos : « Soy » (« Je suis »). Elle marque un tournant décisif dans la carrière du musicien mais aussi dans la commercialisation et la circulation transnationale du Miami sound. Sur le plan musical, elle reste assez élémentaire, en reprenant les codes des chansons pop-rock des années 1960 et 1970 : structure intro/couplets/refrain/pont/couplets/refrain/refrain (considérée comme une des « normes musicales » du genre) ; rythmique basse-batterie là aussi caractéristique de ce type de musiques (avec à la batterie une cymbale ride marquée à la double-croche, une caisse claire jouée en « afterbeat » sur les deuxième et quatrième temps de la mesure, et une grosse caisse renforcée rythmiquement par la basse) ; et un premier couplet introduit par une descente chromatique à la guitare puis constitué d’un guitare/chant très présent dans les groupes anglo-saxons de l’époque (on pourrait citer, entre autres, la chanson « Black Bird » des Beatles, chère à Willy Chirino, pour illustrer cela).

Dans sa forme, malgré des appropriations « secondaires » aux répertoires latino-américains dans les couplets – brésiliens en particulier, avec un rythme d’inspiration samba/bossa nova (croche pointée/double croche à la grosse caisse) et la présence d’un xylophone sur le devant du spectre sonore – la chanson s’inscrit plutôt dans les « conventions », selon la terminologie beckerienne (Becker, 2010, p. 233), de la musique pop anglo-saxonne, avec des influences latino au second plan.

Les textes, quant à eux, ont une portée symbolique et politique de premier plan (cf. retranscription en annexes). Chantés en langue espagnole, ils participent d’une logique à la fois collective, où l’on s’adresse en premier lieu à ses pairs, tous « victimes » de l’exil ; et politique, afin d’appuyer le fond revendicatif anticastriste. Si William Navarrete voit dans le titre de l’album (One Man Alone) et du morceau (« Soy »), une « déclaration du droit à l’existence, en même temps qu’une reconnaissance du caractère spécifique de cette génération née entre deux eaux » (Navarrete, 2003, p. 149), ils représentent pour la première fois l’affirmation d’une identité cubano-américaine assumée. Par cette liberté déclarée d’ « être » l’homme qu’il choisit d’ « être », il dénonce une privation de toute liberté individuelle sur l’île. L’extrait mis en annexe montre ce positionnement, où Willy Chirino revendique des valeurs particulièrement critiquées par le régime castriste comme la propriété privée, l’argent, la vanité ou l’individualisme. « Soy » devient rapidement très populaire au sein de la population cubaine en exil et l’hymne d’un peuple sans patrie. Elle est enregistrée dans divers pays latino-américains et circule jusqu’en Europe, où elle est adaptée en rumba par les Gypsy King en 1989.

La naissance d’un Miami sound dans les années qui suivent la révolution cubaine participe donc à l’émergence d’une scène latino(4) et contribue progressivement à la structuration d’une industrie musicale locale. Jusqu’au succès international du Miami Sound Machine d’Emilio et Gloria Estefan, la musique née à Miami avec les premiers artistes cubains s’appropriant les influences anglo-saxonnes se place, pour reprendre notre question de départ, plutôt au profit de l’hégémonie culturelle nord-américaine. À l’image du cas analysé précédemment, les textes s’inscrivent le plus souvent dans l’idéologie du pays d’accueil, par un fort rejet du castrisme et une approbation des valeurs portées par le système états-unien. Les thèmes musicaux incorporent largement les caractéristiques des productions anglo-saxonnes inondant le marché nord-américain et européen, permettant ainsi une valorisation de ces contenus – de plus en plus intégrés aux industries culturelles dominantes – sur un marché latino en forte croissance. Dès lors, les aspects politiques s’effacent au profit des nouvelles opportunités économiques liées à l’exploitation de la scène musicale locale.

La pop latino du Miami Sound Machine dans l’industrie musicale mainstream

À partir de la fin des années 1970, quelques jeunes artistes cubains participent au développement d’une nouvelle forme musicale, dans la lignée des premières expériences menées par Willy Chirino, tout en répondant aux contraintes d’un produit culturel mainstream capable de rivaliser avec les contenus les plus vendus à l’échelle internationale. Ce nouveau genre est nommé « pop latino ». Sa structure est clairement identifiable : il s’agit d’une pop américaine répondant aux codes musicaux de la société d’accueil (et de l’industrie qui la gère), mais aux sonorités cubaines par l’intégration de rythmes et instruments originaires de l’île. Le double enjeu est de se lancer sur le marché nord-américain tout en insérant une « teinte latine » (Storm Roberts, 1999), afin de toucher une minorité cubaine – puis « hispanique » – de plus en plus importante.

Ce savant dosage est particulièrement maîtrisé par le compositeur et producteur cubain Emilio Estefan, qui le rend célèbre par le biais du groupe qu’il lance en 1977 : le Miami Sound Machine. Dès le premier album, le groupe connaît un succès local. Récupéré en 1980 par Discos CBS International, il atteint massivement le marché latino-américain, puis le marché nord-américain lorsqu’il est signé chez Epic Records, un label plus important appartenant aussi à CBS.

Pour parvenir à intégrer le marché états-unien, Emilio Estefan et son groupe décident d’incorporer dans leurs chansons des textes en anglais, inaugurant ce qu’ils appellent une « Latin Pop », « mélange de rythmes latinos et de pop, de salsa et de disco, avec des paroles en espagnol et dorénavant en anglais » (Estefan, 2010, p. 106), qu’ils estiment à l’image de leurs culture et identité. Une dépolitisation des textes des chansons se produit également afin de ne pas rester sur des problématiques jugées trop « cubano-centrées » par les publics latinos non-cubains. C’est avec leur premier album Eyes Of Innocence (Epic, 1984), que le groupe émerge réellement sur la scène internationale, notamment grâce au tube « Dr. Beat ». Partant de là, ce que les médias, acteurs et professionnels de l’industrie musicale considèrent aujourd’hui comme le Miami sound, se développe et devient une « recette » (pour reprendre le terme employé par l’un de nos interviewés, compositeur/arrangeur pour Sony latino) se normalisant progressivement au sein de l’industrie locale : sur les standards de la musique mainstream états-unienne du moment, sont introduits des éléments musicaux du pays d’Amérique latine ou hispanophone dont on souhaite atteindre le marché.

Pour illustrer ce propos, nous avons choisi de nous arrêter sur le titre Hear My Voice / Oye Mi Canto, sorti en deux versions (anglais/espagnol) dans l’album de Gloria Estefan « Cuts Both Ways » (1989)(5). Relevons certains éléments caractéristiques de cette fusion musicale en nous appuyant sur la version anglaise de la chanson. La courte introduction du morceau est basée sur un mélange de rumba flamenca (rythme identifiable à la guitare dès le début de la chanson) et de percussions proches de la rumba cubaine (cloches, conga). Très rapidement, le premier couplet démarre dans une orchestration typique de la pop US de la fin des années 1980 : « beat » de batterie électronique en 4/4, nappes de claviers électroniques, paroles en anglais, travail sur la voix très lisse avec une forte réverbération. Des instruments comme la cloche ou les timbales sont malgré tout présents afin de garder une teinte cubaine. Puis un pont, lui aussi de courte durée, contient un solo de guitare d’inspiration flamenca (basé sur un mode phrygien, caractéristique du genre).

L’élément suivant que l’on peut relever est aussi le plus évident à l’écoute. Après 2’25, la chanson bascule dans une deuxième partie radicalement différente de la première. Un tumbao de piano, tiré du « son montuno(6) », introduit cette deuxième section que l’on pourrait identifier comme de la salsa. Les instruments y apparaissant sont en effet caractéristiques du genre né à new York à la fin des années 1960 : piano montuno, section cuivre aux trompettes très présentes, question-réponse entre la voix lead et les chœurs entonnant le titre de la chanson, percussions afro-cubaines comme les congas, les bongos, les timbales, le güiro et les cloches. La présence de la moña (improvisations instrumentales par les cuivres sur la progression harmonique du montuno) confirme également l’appropriation du genre par le groupe.

Si les paroles de la chanson n’ont pas de signification politique, les éléments musicaux répondent néanmoins d’enjeux économiques majeurs. L’intégration d’influences espagnoles est un des moyens mobilisés pour accéder au marché ibérique, considéré comme une porte d’entrée sur le reste du marché européen. Les éléments cubains sont censés capter l’attention du public cubain et plus largement latino-américain des États-Unis et d’Amérique du sud. Enfin, l’alternance linguistique, avec des textes tantôt en espagnol, tantôt en anglais, permet au Miami Sound Machine puis à Gloria Estefan de rester visible et de vendre massivement sur les deux marchés. C’est en tout cas ce que les chiffres de vente des différents albums de Gloria Estefan viennent corroborer : plus l’album est à « consonance » latino-américaine (autant au niveau de la musique que de l’utilisation de la langue espagnole), plus il va se vendre sur le marché latino-américain.

Cette stratégie se généralise alors dans l’industrie de la musique pop latino de Miami, où l’on cherche progressivement à atteindre différents marchés en jouant sur des ressorts culturels et identitaires. Elle s’impose dans les années 1990 au sein des majors présentes à Miami autour des quelques compositeurs et producteurs spécialisés cités précédemment et ouvre à la latin pop une circulation à l’échelle internationale, avec comme tête de pont des chanteurs tels que Ricky Martin ou Shakira.

Il semble donc que ces processus culturels soient liés à d’autres enjeux qui conditionnent en partie leur devenir. Il s’agit d’un côté des logiques politiques, où les textes musicaux conformistes sont privilégiés ; d’un autre côté, des contraintes économiques, où l’on désire atteindre le public le plus large possible. Analyser l’intégration de ces musiques au sein de l’industrie dominante permet donc de relever les tensions entre création et normalisation qui se jouent dans l’« arène culturelle » et de faire émerger les « négociations » qui en découlent (Da Lage, 2009).

L’intégration de la contestation dans la culture mainstream : le cas de Calle 13

Après trois décennies de développement conjoint d’une industrie musicale sur le territoire floridien et d’un Miami sound de plus en plus intégré à la culture populaire mainstream, un nouveau mouvement musical émerge au milieu des années 2000 : le reggaeton. Il est, depuis la vague mambo des années 1950, la première musique avec des textes en espagnol et une esthétique caribéenne à embrasser non seulement une audience panlatino mais également mainstream (à la fois afro-américaine et anglo-américaine) (Marshall et al., 2009, p. 3). À la croisée de multiples influences caribéennes et états-uniennes, il est difficile d’en localiser un lieu d’émergence unique. C’est pourquoi Wayne Marshall, Raquel Z. Rivera et Deborah Pacini Hernandez le qualifient de premier genre véritablement transnational ou, pour reprendre leur terme, « multilocal ».

Une de ses premières apparitions se trouve néanmoins à Porto Rico à la fin des années 1990. Il puise dans de multiples répertoires musicaux comme le reggae, le dancehall, le rap et certains styles latino caribéens et s’appuie sur « des paroles sexuellement explicites et un style de danse provocant nommé perreo (doggy style) » (Ibid., p. 1). Il intègre rapidement le paysage musical et médiatique régional, puis international. Le titre de Daddy Yankee « La Gasolina », extrait de l’album Barrio Fino sorti en 2004 (VI Music-El Cartel Records-Universal), en symbolise le point de départ. L’année suivante, alors que les ventes globales d’albums diminuent de 8 %  les six premiers mois, celles de latin music augmentent de 18 %. Même si le reggaeton n’est pas seul à l’origine de cette croissance, les professionnels perçoivent son potentiel, en particulier sa capacité à atteindre une diffusion radio mainstream. Les majors de Miami réagissent rapidement en créant des labels consacrés à la gestion de ce répertoire. EMI Latin crée New Element pour lancer cette nouvelle scène « hurban » (pour Hispanic urban). Warner Music Latina lance Mic Discos dans la même lignée. En février 2005, Universal Music Group ouvre Machete, qui acquiert dès le mois suivant 50 % du label de reggaeton VI Music. Sony Music Latin, qui a déjà une solide expérience du marché latino, signe en 2006 l’un de ces groupes en plein essor : Calle 13.

Né à Porto Rico en 2005, celui-ci est constitué de deux demi-frères, surnommés Residente (René Pérez Joglar) et Visitante (Eduardo Cabra Martínez). Dès leur premier album éponyme produit par le label local White Lion Records, ils sont repérés par Sony Music qui n’en est pour l’instant que le distributeur. Dans un marché global en difficulté, la major perçoit rapidement le potentiel de la jeune formation. Il se situe précisément dans le caractère décalé, subversif et engagé de leurs chansons. Avec une base entre rap en espagnol et reggaeton, leur musique très éclectique a la capacité de se fondre dans les différents répertoires domestiques tout en s’intégrant à la logique mainstream du genre nouvellement promu par l’industrie musicale. Dans une visée panaméricaine, Calle 13 souhaite promouvoir une identité commune qu’il est selon eux nécessaire de défendre face à l’hégémonie culturelle américaine. Leurs textes sont donc porteurs d’une critique sociale, saisie par l’industrie dominante dans une visée avant tout marchande. Pour illustrer cela, arrêtons-nous sur la chanson dont la citation apparaissant dans le titre de cet article est extraite. Tirée de leur quatrième album Entren Los Que Quieran sorti en 2010 chez Sony Latin Music, elle s’intitule « Calma Pueblo ». Y apparaît une forte critique de l’industrie musicale à laquelle ils se trouvent pourtant pleinement intégrés (cf. retranscription en annexes).

À travers les extraits cités, nous constatons qu’une critique « du système » est longuement développée. Elle s’élabore selon nous à plusieurs niveaux. Avec la mise en lumière des pratiques courantes de l’industrie musicale, une critique plus globale du système hégémonique états-unien est portée. Le refrain, soutenu par une batterie puissante et une guitare « distordue » accentuant le caractère agressif de la chanson, permet à Residente de s’adresser directement au « bas peuple » : « Ce que tu ressens je le ressens/Parce que je suis comme toi, tu es comme moi ». Proche de ce dernier par ses origines, il communie avec ces gens de peu, placés sous la domination du système capitaliste. Par ce biais, il s’extrait symboliquement du système dont il prétend ne pas partager les valeurs.

Pourtant, nous avons relevé précédemment que le groupe est pleinement intégré au système qu’il dénigre. Signé en 2006 par Sony Music Latin à Miami, il bénéficie rapidement d’une mise en avant promotionnelle de grande ampleur lui permettant de remporter dès la première année de nombreuses récompenses destinées au marché latino. Une des plus importantes et ayant le plus d’impact sur ce secteur sont les Latin Grammy Awards, lancées en 2000 et diffusées en prime time sur Univisión, la plus grande chaîne hispanophone des États-Unis. Dès 2006, Calle 13 gagne trois de ces récompenses. En 2009, il reçoit le Latin Grammy pour l’album de l’année (Los de atras vienen conmigo) et en novembre 2011 crée l’évènement en remportant neuf Latin Grammy Awards, soit le record pour cette cérémonie (Billboard, 2012, p. 36).

Ainsi, le succès international acquis en seulement quatre ans par la formation provient de la force du système décrié. Le réseau de filiales mis en place par Sony, en particulier sur l’Amérique latine, permet à Calle 13 de porter son message politique auprès d’une majeure partie de la population hispanophone. D’un autre côté, il a permis au label de générer d’importants profits par la diffusion à grande échelle d’un discours subversif et contre-hégémonique. Si ce processus est courant dans l’industrie musicale, il est d’ordinaire légitimé par les artistes selon la rhétorique suivante, exposée dans la chanson de Calle 13 : « Ma stratégie est différente, par la sortie je rentre, je m’infiltre dans le système et l’exploite de l’intérieur ».

Loin de contribuer au changement du « système », cette stratégie de distinction ne participe-t-elle pas, finalement, au renforcement de la position hégémonique des acteurs dominants, tout en enrichissant le capital économique et symbolique des artistes eux-mêmes ? En effet, malgré un discours critique envers les logiques capitalistes et les pratiques consuméristes qui en découlent, mais portant aussi sur les rapports de domination entre le nord et le sud du continent américain, le groupe s’inscrit dans les dynamiques et stratégies industrielles évoquées précédemment, dans le but, affiché, d’atteindre une audience globale. C’est en tout cas ce qu’exprime ouvertement leur manager, Angelo Medina – qui a aussi travaillé pour Ricky Martin – lors d’une interview donnée au New York Times : « Notre but et objectif est le monde et, pour ce faire, il faut passer par les États-Unis » (Rohter, 2010).

Mais lorsque cette tension entre discours critique et stratégie hégémonique atteint ses limites, la sortie du « système » intervient, bercée d’un discours contre-hégémonique largement relayé par les médias. Ce fut le cas du groupe portoricain en 2013 avec l’enregistrement de son cinquième album « MultiViral », produit indépendamment au sein de son nouveau label El Abismo. Mais, en définitive, une ultime question mérite d’être posée : ce divorce n’est-il pas seulement rendu possible une fois le passage au sein de la culture mainstream consommé, ouvrant la voie à un avenir indépendant beaucoup moins incertain ?

Conclusion

Au travers de trois exemples situés, nous avons essayé de mettre en lumière les processus hégémoniques et contre-hégémoniques portés par la culture populaire. Le contexte dans lequel ils se déploient révèle des enjeux politiques et économiques impactant les pratiques culturelles et par là-même leur intégration au sein de l’industrie dominante. Les premières initiatives, à l’instar de celles de Willy Chirino, se construisent sur un discours politique critique – envers le régime castriste – portant les valeurs de l’idéologie capitaliste et sont de ce fait sujettes à un mouvement d’intégration depuis les marges. Par la suite, l’effacement progressif du politique dans les contenus produits à Miami, comme c’est le cas avec le Miami Sound Machine, laisse place à des enjeux économiques découlant sur la construction de normes esthétiques que les majors cherchent à valoriser le plus largement possible. Cependant, l’hégémonie, en équilibre instable et encline à la conflictualité, conduit à l’émergence de discours subversifs à la marge – comme nous l’avons constaté avec le groupe portoricain Calle 13. Dès lors, s’est posée la question de la récupération des subcultures par l’industrie dominante. Dick Hebdige, dans une perspective plus large, montre en effet que ce processus adopte deux formes caractéristiques : « La standardisation de signes sous-culturels en objets de consommation standardisés » et « l’étiquetage et la redéfinition des comportements déviants par les groupes dominants […] » (Hebdige, 2008, p. 98). Ce constat met en évidence « l’inévitable porosité entre les processus culturels et les processus marchands » (Le Guern, 2010, p. 207) ; auxquels il nous semble nécessaire d’ajouter les « processus » politiques et idéologiques, nous amenant à conclure que les lignes de tensions et de résolutions inscrites au cœur de la culture mainstream contribuent, selon des ajustements constants, au maintien de l’hégémonie culturelle.

Notes

(1) Nous utilisons le terme mainstream  pour désigner les productions culturelles visant une large audience, par une diffusion massive au sein de la société. Jason Toynbee, qui s’est arrêté sur cette catégorie dans un article portant sur les musiques populaires, considère plus précisément le mainstream comme « une formation qui intègre un grand nombre de personnes provenant de divers groupes sociaux et issues de vastes zones géographiques dans une affiliation commune à un style musical » (Toynbee, 2002 : 150).

(2) La musique tejana, ou « Texas-Mexican music », est, selon Guadalupe San Miguel, une « musique frontière » comprenant tous les genres, formes et styles ayant existé dans la communauté tejana depuis la fin du XIXe siècle (San Miguel, 2002). Manuel Peña la considère comme une extension de la música norteña, composée par de petits ensembles (conjunto) du nord du Mexique, ou d’un mélange de conjunto, de country et de « western sounds » (Peña, 1999).

(3) Même si ces contacts et échanges sont ralentis par les mesures d’isolement envers Cuba, il convient toutefois de souligner qu’ils perdurent, notamment par le biais de circulations de copies pirates, d’écoutes « illégales » des radios émettant depuis Miami, ou de brèches effectuées dans l’embargo sur Cuba, avec par exemple l’amendement Berman de 1988 qui autorise à nouveau l’import de biens culturels en provenance de Cuba, y compris de musique (Moore, 2006, p. 232 ; Michalec, 1991, p. 813).

(4) Pour le concept de scène, que nous ne développerons pas ici, nous renvoyons – insuffisamment – le lecteur au dossier thématique suivant : Guibert, Gérôme et Bellavance (dir.) (2014), « La notion de “scène”, entre sociologie de la culture et sociologie urbaine. Genèse, actualités et perspectives », Cahiers de recherche sociologique, n° 57, p. 5-180 .

(5) Nous avons choisi ce titre car il représente un autre tournant important pour le Miami sound. Il s’agit du premier album sorti uniquement sous le nom de Gloria Estefan, mais en réalité du 12e album du Miami Sound Machine. Il arrive au moment où le groupe cherche à se pérenniser sur le marché international et où Emilio Estefan se met en retrait afin de s’investir dans la production et imposer le Miami sound dans le paysage musical mainstream.

(6) Dérivé du Son cubano, il est formé sur un rythme syncopé, autour des claves dites « 2-3 » et « 3-2 ». Le piano joue sur ce rythme une progression harmonique répétée.

Références bibliographiques

Becker, Howard S. (2010), Les mondes de l’art, Paris : Flammarion.

Ben Amor-Mathieu, Leila (2000), Les télévisions hispaniques aux Etats-Unis. L’invention d’une communauté, Paris : CNRS Éditions.

Billboard (2012), 7-21 janvier.

Bouquillion, Philippe (2005), « La constitution des pôles des industries de la culture et de la communication. Entre “coups” financiers et intégration de filières industrielles », Réseaux, vol. 3, n° 131, p. 111-144.

Bouquillion, Philippe (2008), Les industries de la culture et de la communication : les stratégies du capitalisme, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble.

Brewer Current, Cheris (2010), Questioning the Cuban Exile Model. Race, Gender, and Resettlement : 1959-1979, El Paso : LFB Scholarly Pub.

Bustamante, Enrique et Miguel, Juan Carlos (2005), « Les groupes de communication ibéro-américains à l’heure de la convergence », Réseaux, vol. 3, n° 131, p. 53-82.

Cantor, Judy (1998), « The Politics of Music », Miami New Times, 17 septembre.

Cobo, Leila (2005), « UMVD Claims Half of Latin Marketplace », Billboard, 23 avril, p. 21.

Cobo, Leila (2014), « Countdown to the 25th Annual Billboard Latin Music Conference: 1989-1993 », Billboard, 1er janvier.

Da Lage, Émilie (2009), « Politiques de l’authenticité », Volume !, vol. 6, n° 1-2, p. 17-32.

Djavadzadeh, Keivan et Raboud, Pierre (2016), « Le populaire est-il soluble dans les industries culturelles ? Courants dominants et contraires des cultures populaires », Raisons politiques, vol. 62, n° 2, p. 5-20.

Estefan, Emilio (2010), The Rhythm of Success. How an Immigrant Produced His Own American Dream, New York : Celebra.

Forteaux, Michel (2003), « Origines et devenir de la notion d’“exception cubaine” dans la politique migratoire des États-Unis », in Collomp, Catherine ; Menéndez, Mario (dir.), Exilés et réfugiés politiques aux États-Unis, 1789-2000, Paris : CNRS éditions.

Grassy, Elsa et Sklower, Jedediah (dir.) (2016), Politiques des musiques populaires au XXIe siècle, Guichen : Mélanie Seteun.

Grosfoguel, Ramón (1995), « Global logics in the Caribbean city system: the case of Miami », in Knox, Paul L. ; Taylor, Peter J. (dir.), World Cities in a world-system, Cambridge, New York : Cambridge University Press, p. 156-170.

Hall, Stuart (2008), Identités et cultures. Politiques des Cultural Studies, Paris : Éditions Amsterdam.

Hall, Stuart (2013), Identités et cultures 2. Politiques des différences, Paris : Éditions Amsterdam.

Hebdige, Dick (2008), Sous-culture : le sens du style, traduit par Marc Saint-Upéry, Paris : La Découverte.

Hesmondhalgh, David et Negus, Keith (dir.) (2002), Popular Music Studies, Hodder Education.

Jolivet, Violaine (2010), Miami la cubaine ? Pouvoir et circulation dans une ville carrefour entre les Amériques, Thèse de doctorat sous la direction de Jean-Louis Chaléard, Paris : Université Panthéon-Sorbonne.

Jolivet, Violaine (2015), Miami la cubaine : géographie d’une ville-carrefour entre les Amériques, Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Keucheyan, Razmig (2016), « Antonio Gramsci : culture, information et subalternité », in Granjon, Fabien (dir.), Matérialismes, culture et communication. Tome 1, Paris : Presses des mines, p. 121-136.

Lannert, John (1995), « Behind PolyGram’s Rodven Deal », Billboard, 28 octobre.

Lannert, John (2003), « MTV Latin At 10 », Billboard, 25 octobre.

Le Guern, Philippe (2010), « Dick Hebdige, Sous-culture. Le sens du style », Sociologie de l’Art, vol. 15, n° 1, p. 203-209.

Lecercle, Jean-Jacques (2016), « Le matérialisme culturel de Raymond Williams », in Cervulle, Maxime, Quemener, Nelly et Vörös, Florian, Matérialismes, culture et communication. Tome 2, Paris : Presses des mines, p. 37-50.

Létrilliart, Philippe (coord.) (2015), « Miami, carrefour des Amériques », Problèmes d’Amérique latine, vol. 96/97, n° 1-2.

Lohmeier, Christine (2014), Cuban Americans and the Miami media, Jefferson : McFarland & company.

Maigret, Éric (2013), « Ce que les cultural studies font aux savoirs disciplinaires », Questions de communication, vol. 24, p. 145-167.

Marshall, Wayne, Rivera, Raquel Z. et Pacini Hernandez, Deborah (coord.) (2009), Reggaeton, Durham : Duke University Press.

Mato, Daniel (2002), « Miami in the transnationalization of the telenovela tndustry: On territoriality and globalization », Journal of Latin American Cultural Studies, vol. 11, n° 2, p. 195‑212.

Mattelart, Armand (1999), La communication-monde, Paris : La Découverte.

Mattelart, Armand (2007), Diversité culturelle et mondialisation, Paris : La Découverte.

Michalec, Laura A. (1991), « Trade with Cuba Under the Trading with the Enemy Act. A Free Flow of Ideas and Information? », Fordham International Law Journal, vol. 15, n° 3, p. 806-838.

Moore, Robin D. (2006), Music and Revolution. Cultural Change in Socialist Cuba, Berkeley : University of California Press.

Moysan, Bruno (2004), « Musique, politique et sécularisation », Raisons politiques, vol. 2, n° 14, p. 107-123.

Navarrete, William (2003), Cuba : la musique en exil, Paris : L’Harmattan.

Negus, Keith (1999), Music genres and corporate cultures, Londres, New York : Routledge.

Pacini Hernandez, Deborah (2010), Oye Como Va! : Hybridity and Identity in Latino Popular Music, Philadelphia : Temple University Press.

Peña, Manuel (1999), Música Tejana : The Cultural Economy of Artistic Transformation, Houston : Texas A&M University Press.

Roberts, John Storm (1999), The Latin Tinge : The Impact of Latin American Music on the United States, Oxford : Oxford University Press.

Rohter, Larry (2010), « Continuing Days of Independence for Calle 13 », New York Times, 8 avril.

San Miguel, Guadalupe (2002), Tejano Proud. Tex-Mex Music in the Twentieth Century, College Station : Texas A&M University Press.

Sassen, Saskia (1994), Cities in a World Economy, Thousand Oaks : Pine Forge.

Sinclair, John (2003), « “The Hollywood of Latin America”. Miami as regional center in television trade », Television & New Media, vol. 4, n° 3, p. 211-229.

Stokes, Martin (2014), « Créativité, globalisation et musique », Volume !, vol. 10, n° 2, p. 29-45.

Storm Roberts, John (1999), The Latin Tinge: The Impact of Latin American Music on the United States, Oxford : Oxford University Press.

Toynbee, Jason (2002), « Mainstreaming: from hegemonic centre to global networks », in Hesmondhalgh, David et Negus, Keith (dir.), Popular Music Studies, Londres : Hodder Arnold, p. 149-163.

Yúdice, George (1999), « La industria de la música en la integración América Latina-Estados Unidos », in García Canclini, Nestor ; Moneta, Juan Carlos (dir.), Las industrias culturales en la integración latinoamericana, Buenos Aires, Mexico : Grijalbo SLLA-UNESCO.

Yúdice, George (2003), The expediency of culture : uses of culture in the global era, Durham : Duke University Press.

Annexe

Soy

Soy la mas pequeña aldea en un distante lugar soy el ruido en la marea del inmenso mar
No soy cadenas ni rejas soy azúcar y soy sal si me quieres o me dejasme da igual
Soy un poco vagabundo
lo mismo vengo que voy
y ando solo por el mundo
y feliz estoy
Amo al sol que se levanta
la fragancia de una flor
y me gusta como cantael ruiseñor

Estribillo
Soy como una brisa que
siempre de prisa no
no anuncia su partida
y como el dinero soy
dónde yo quiero voy
sin una despedida

Soy el agua de los rios
que corriendo siempre está
todo lo que tengo es mío
y de los demas
Soy un gallo en la mañana
un gato al anochecer
y he comido la manzana del placer
Soy un mendigo ante el diablo
y millonario ante Dios
hablo poco cuando hablo
sin alzar la voz
Soy ademas mentiroso
Vanidoso y buen actor
y quisiera ser dichoso en el amor

Estribillo x 2

Je suis

Je suis le plus petit hameau
dans un endroit éloigné
Je suis le bruit de la marée
de l’immense mer
Je ne suis ni chaînes ni barreaux
Je suis sucre et je suis sel
si tu m’aimes ou me quittes
ça m’est égal
Je suis un peu vagabond
Je peux aller ou venir
et je marche seul à travers le monde
et heureux je suis
j’aime le soleil qui se lève
le parfum d’une fleur
et j’aime le chant du rossignol

Refrain
Je suis comme la brise qui
toujours pressée
n’annonce pas son départ
et comme l’argent je suis
je vais là où je veux
sans un au revoir

Je suis l’eau des rivières
qui coule toujours
tout ce que j’ai est à moi
et aux autres
Je suis le coq du matin
le chat à la tombée de la nuit
et j’ai croqué la pomme du plaisir
Je suis un mendiant devant le diable
et un millionnaire devant Dieu
Je parle peu quand je parle
sans élever la voix
Je suis aussi un menteur
vaniteux et bon acteur
et je voudrais avoir de la chance en amour

Refrain x 2

 

Calma Pueblo

 

Es el momento de la música independiente

Mi disquera no es Sony, mi disquera es la gente

Las personas que me siguen y escuchan el mensaje

Por eso me defienden a los puños y sin vendaje

 

Refrain : Calma pueblo que aquí estoy yo

Lo que no dicen lo digo yo

Lo que sientes tú lo siento yo

Porque yo soy como tú, tu eres como yo (x2)

 

A ti te ofende lo que escribo

A mi me ofende tu playback, que estés doblando en vivo

A mi me ofende cuando tu sobornas a la radio

Con plata, con dinero pa’ que te suenen a diario

 

Ni siquiera los Beatles tenían cuatro canciones

Sonando el mismo tiempo en las radio estaciones

Esto lo puede ver hasta un bizco

Tú vendes porque tu mismo te compras tus propios discos

 

No me digas que no si a mi me han ofrecido hacer eso

La mitad de los artistas deberían estar presos

A mi no me ofende que por hablar mucho me llamen loco

Tú dices poco porque sabes poco

 

Estribillo

 

Yo uso al enemigo a mi nadie me controla

Les tiro duro a los gringos y me auspicia coca cola

De la canasta de frutas soy la única podrida

Adidas no me usa, yo estoy usando adidas

 

Mi estrategia es diferente, por la salida entro

Me infiltro en el sistema y exploto desde adentro

Todo lo que les digo es como el Aikido

Uso a mi favor la fuerza del enemigo

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Calma Pueblo*

 

C’est le moment de la musique indépendante

Mon label n’est pas Sony, mon label c’est les gens

Ce sont les personnes qui me suivent et écoutent le message

Et c’est pour ça qu’ils me défendent avec les poings et sans bandage

 

Refrain : Pueblo calme-toi, je suis là

Ce qu’ils ne disent pas, je le dis moi

Ce que tu ressens je le ressens

Parce que je suis comme toi, tu es comme moi (x2)

 

Toi qui est offensé par ce que j’écris,

Moi ça me choque ton playback que tu doubles en live

Moi, ça me choque quand tu soudoies la radio

Avec de l’argent, avec des sous pour qu’ils te passent tous les jours

 

Même les Beatles n’avaient que quatre chansons

Passant en même temps sur les ondes radio

Ça, même un bigleux peut le voir

Tu vends parce que tu achètes tes propres disques

 

Ne me dis pas que c’est faux, si on m’a proposé de le faire

La moitié des artistes devraient être en prison

Moi ça ne me vexe pas si on me traite de fou parce que je parle trop

Tu dis peu parce que tu sais peu

 

Refrain

 

Moi j’utilise l’ennemi et personne ne me contrôle

J’emmerde les gringos et je suis sponsorisé par coca-cola

De la corbeille de fruits, je suis le seul qui soit pourri

Adidas ne m’utilise pas, je suis en train d’utiliser Adidas

 

Ma stratégie est différente, par la sortie je rentre

Je m’infiltre dans le système et l’exploite de l’intérieur

Tout ce que je dis, c’est comme l’Aïkido

J’utilise en ma faveur la force de l’ennemi

—-

* Ne souhaitant pas perdre le sens très particulier en espagnol du mot « pueblo », nous avons choisi de le conserver dans sa langue d’origine. En effet, selon le DRAE (Diccionario de la Real Academia Española), le mot recouvre cinq significations : 1. Ville ou village ; 2. Population de catégorie inférieure ; 3. Ensemble de personnes d’un endroit, d’une région ou d’un pays ; 4. Gens ordinaires et humbles d’une population ; 5. Pays avec un gouvernement indépendant.

Auteur

Alix Bénistant

.: Alix Bénistant est docteur en sciences de l’information et de la communication, membre associé au Cemti (Université Paris 8 Vincennes ‒ Saint-Denis) et au Crem (Université de Lorraine), pour lequel il a été chargé de recherche dans le cadre du projet ANR « Collab » portant sur le crowdfunding culturel.
Il s’intéresse à la production et la circulation à une échelle transnationale des produits culturels, et au rôle qu’y jouent les grandes métropoles dans le contexte de la mondialisation. Son terrain d’analyse porte plus spécifiquement sur l’industrie musicale qui a pris place dans la ville de Miami, spécialisée dans la production, la promotion et la distribution « globale » de contenus dits latino.