Après l’Internet : le Cloud, les Big Data et l’Internet des objets
Version française mise en ligne le 18 Janv, 2020, établie par Vincent Bullich, MCF SIC, GRESEC, université Grenoble Alpes.
Vincent Mosco
Résumé
Le présent article identifie les traits caractéristiques de la prochaine phase du développement d’Internet en mettant l’accent sur l’informatique en nuage (le cloud computing) les services d’analyse des données (big datas analytics) et l’Internet des objets. Ensemble ils étendent les possibilités de centraliser le contrôle sur les données, d’approfondir la commercialisation de l’information et d’élargir la portée d’Internet de la connexion des individus à la formation basée sur les données de réseaux d’objets. Ils soulèvent également d’importantes questions de politique sociale, parmi lesquelles la concentration du pouvoir dans une poignée de compagnies étroitement liées au monde du renseignement militaire; les conséquences environnementales de la construction, de la mise sous influence et de la connexion des populations à un réseau mondial de centres de données en nuage (cloud computing); les conséquences de la connexion de milliards d’objets sur la vie privée et la sécurité; et l’impact des dispositifs intelligents sur l’avenir du travail.
Mots clés
Les Big Data, le Cloud, Internet des objets.
In English
Title
After the Internet: Cloud Computing, Big Data and the Internet of ThingsAprès l’Internet : le Cloud, les big data et l’Internet des objets
Abstract
This paper identifies key features in the next phase of Internet development by focusing on cloud computing, big data analytics, and the Internet of Things. Together they expand opportunities to centralize control over data, deepen the commercialization of information, and extend the Internet’s reach from connecting people to building data-rich networks of things. They also raise significant social policy questions including the concentration of power in a handful of companies closely tied to the military/intelligence world; the environmental consequences of building, powering, and connecting people to a global network of cloud data centers; the privacy and security implications of connecting billions of objects; and the impact of intelligent devices on the future of work. The paper concludes by suggesting that we are at a critical crossroads in Internet development and asks whether it is possible to build the Next Internet without eliminating its foundational values.
Keywords
Big Data, Cloud computing, Internet of Things.
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Mosco Vincent, « Après l’Internet : le Cloud, les Big Data et l’Internet des objets », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°17/2, 2016, p.145 à 155, consulté le vendredi 15 novembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2016/dossier/fr/09-after-the-internet-cloud-computing-big-data-and-the-internet-of-things/
Introduction
Le 12 mars 2014, Google en appelle au monde entier afin de célébrer le vingt-cinquième anniversaire de l’Internet, véritablement né, selon la firme, quand le premier navigateur Web fut diffusé publiquement (http://www.webat25.org). En effet, bien que les premières communications liées à Internet remontent à 1969, seuls ceux qui possédaient un haut niveau de compétences informatiques pouvaient l’utiliser. Avec l’arrivée des navigateurs graphiques, l’Internet s’ouvrit à un plus grand nombre d’usagers et la petite société Google, aidée initialement par des investissements gouvernementaux, décolla pour devenir l’une des plus riches entreprises au niveau mondial. En 1993, Internet était si communément répandu que le magazine New Yorker publia un dessin humoristique qui reste, à l’heure actuelle, son dessin le plus vu. Celui-ci représentait un chien assis devant un écran d’ordinateur disant à un autre chien : « sur Internet, personne ne sait que tu es un chien » (Cavna 2013).
Alors que le monde de la technologie célébrait l’âge adulte de l’Internet, le Nouvel Internet sortait de la petite enfance. C‘est ce que reconnaissait Google quand, dans une interview édifiante de 2015, le directeur de la recherche de l’entreprise déclarait que le moteur de recherche, qui avait largement contribué à configurer l’Internet, était désormais un dispositif « traditionnel » (un euphémisme pour dire «toujours utile mais bientôt destiné à la poubelle »). Maintenant, Google, avec d’autres grandes entreprises mais également avec de petites startups, espère développer de nouvelles formes de moteurs de recherche adaptés aux terminaux mobiles ainsi qu’au Nouvel Internet.
Il serait présomptueux de tracer le contour précis de cette prochaine phase d’évolution du monde numérique, mais il apparaît raisonnable de penser que le Nouvel Internet est potentiellement plus « disruptif » que son ainé. S’il est loin d’être pleinement formé et bien qu’il présente encore certaines caractéristiques héritées de l’Internet né en 1989, ce Nouvel Internet se développe rapidement et conteste déjà la vision portée par les fondateurs de son ancêtre d’un monde numérique démocratique, décentralisé et pluraliste. Il se compose de trois systèmes interconnectés : le Cloud Computing, l’obtention et l’analyse des Big Data (traitement de grands volumes de données) et l’Internet des objets. Il promet aux entreprises et aux administrations étatiques de centraliser le stockage de leurs données ainsi que leurs logiciels et applications informatiques dans de vastes usines numériques. Celles-ci traiteront et analyseront des flux massifs d’informations recueillies par des capteurs installés dans l’ensemble des terminaux et objets connectés (que ceux-ci soient utilisés pour le cadre de la consommation, dans des processus de production industrielle ou dans une fonction bureautique) mais également dans les organismes vivants. Il soulève ce faisant des défis majeurs en matière d’environnement, de vie privée et de relation au travail.
Le Nouvel Internet : Principes fondateurs
Le Cloud
Le génie de l’Internet d’origine a été de trouver comment faire communiquer un ensemble décentralisé, distribué, de serveurs et ainsi connecter les utilisateurs au moyen de normes logicielles à la fois simples et universelles. Cette situation a commencé à changer avec le développement du Cloud Computing (1) qui est le premier élément constitutif du Nouvel Internet. Le Cloud est un système destiné à stocker, traiter et diffuser des données, faire fonctionner des applications et des logiciels par le biais d’ordinateurs distants qui fournissent des services informatiques sur demande, généralement contre rémunération. Parmi les exemples les plus courants figurent Gmail de Google, la société de stockage en ligne Dropbox et Microsoft Office qui distribue désormais de plus en plus ses fameux logiciels de traitement de texte et de bureautique via le Cloud et moyennant un abonnement mensuel.
Le Cloud permet aux entreprises, aux administrations et aux particuliers de transférer les données produites par les services informatiques ou les ordinateurs personnels vers de grands centres de données situés partout dans le monde. Ce procédé qui permet une économie d’espaces de stockage, a donné naissance à un secteur industriel en croissance rapide, composé d’entreprises proposant des solutions de stockage, des services informatiques en ligne et qui vendent des données-clients à d’autres sociétés spécialisées dans le marketing des biens et services. En outre, les agences gouvernementales de surveillance, comme la NSA et la CIA, travaillent en étroite collaboration avec des sociétés de Cloud Computing, dont Amazon, pour satisfaire leurs besoins en matière de sécurité et de renseignement (Kunkel 2014). La diversité et la pluralité des serveurs qui constituaient la base de l’Internet d’origine a évolué en un système global et centralisé de centres de données, contenant chacun des dizaines ou des centaines de milliers de serveurs reliés et exploités principalement par des sociétés privées et des agences étatiques, militaires et de renseignement. Le journal scientifique de référence Nature a, sur ce point, très nettement marqué la distinction entre l’Internet initial et celui désormais fondé sur le Cloud quand il a appelé le gouvernement des Etats-Unis à établir un « Cloud commun », c’est-à-dire que l’on ne peut s’approprier privativement, pour la recherche biologique, et plus particulièrement pour ce qui est du domaine de la génomique. Cette demande été motivée par le fait que la recherche sur de grands ensembles de données est beaucoup plus facile et plus rapide à effectuer dans le Cloud que via des serveurs localisés dans chaque université (le gain de temps pour la mise en œuvre d’un projet est notable : 6 semaines pour des programmes réalisés dans le Cloud et 6 mois via l’Internet classique) (Stein et al., 2015).
Promu par ce fort potentiel pour la recherche mais plus encore par une très vaste campagne de publicité (comprenant même des messages publicitaires diffusés à très haut coût dans le cadre de la transmission télévisuelle du Super Bowl 2011) (2) visant à encourager les individus et les organisations « à se déplacer vers le Cloud », celui-ci est devenu rapidement familier à la plupart des utilisateurs d’Internet. En effet, si l’on peut prétendre que le dessin canin du New Yorker a marqué la naissance du premier Internet auprès du grand public, l’on peut également affirmer que le Nouvel Internet a commencé avec une publicité apparue dans un numéro de 2012 du même magazine et présentant un jeune garçon larmoyant auprès de son professeur : « le Cloud a mangé mes devoirs ». (http://www.newyorker.com/cartoons/a16350)
Le Cloud s’apparente davantage à une fabrique de données qu’à un simple entrepôt car il traite les données pour produire des services dans les domaines du marketing, de la comptabilité, de la gestion des relations-clients, ou au niveau juridique et financier. Cela fait de l’ensemble des sociétés et administrations utilisant ces services, des partenaires commerciaux avec les entreprises qui possèdent et gèrent les centres de données. Le Cloud marque également une étape importante vers la création d’un Internet centralisé, globalisé et entièrement commercial. Les principaux prestataires de ces services sont presque tous de très grandes sociétés, dont des noms sont familiers, comme Amazon, de loin le plus grand réseau mondial de Cloud computing, Microsoft, IBM et Google. Par le truchement de contrats commerciaux, la plupart d’entre eux entretiennent des rapports étroits avec les forces militaires ainsi qu’avec les services de renseignement et de surveillance du Gouvernement. Amazon, par exemple, fournit des services de stockage et de traitement des données à la fois à la Central Intelligence Agency (dans le cadre d’un contrat à 600 millions de dollars) et à la National Security Agency. Dans le même temps, les agences gouvernementales, en raison de l’élévation des niveaux de sécurité, construisent leurs propres installations de Cloud, comme la NSA, qui a ouvert en 2015 l’un des plus grands centre du monde, dans un endroit montagneux et reculé de l’Utah.
Les Big Data
Les Big Data constituent le deuxième pilier du Nouvel Internet. La prolifération de nouvelles appellations fantaisistes que l’on trouve, par exemple, dans les titres ou les descriptifs de postes des professionnels de la « science de données » a contribué à alimenter l’enthousiasme pour le phénomène « Big Data ». Il n’y a, toutefois, que très peu d’aspects de ce phénomène qu’un chercheur en sciences sociales puisse considérer comme tout à fait inédits. En effet, le procès de traitement des Big Data consiste généralement en la captation d’un large, voire très large ensemble de données, presque toujours quantitatives, et en l’identification de formes de cohérence ou de corrélations en vue d’acquérir des informations sur les comportements et attitudes actuels des individus et, à partir d’elles, de proposer des prédictions.
Facebook, par exemple, capte les données générées par ses 1,3 milliards d’utilisateurs et indexe les « likes » associés aux messages sur tous les sujets : les célébrités, les entreprises, les hommes et femmes politiques, les sujets de sociétés, les produits et, bien sûr, les chats… Ceux-ci permettent à l’entreprise de développer des « profils » de ses abonnés, qui sont ensuite vendus à des spécialistes du marketing capables de cibler les utilisateurs de Facebook avec des annonces personnalisées diffusées sur leurs pages. Google fait de même pour les sujets de recherche ainsi que pour le contenu des messages échangés par Gmail ; Amazon crée des profils de ses utilisateurs à partir des recherches et les achats effectués sur son site. Étant donné les limites de l’analyse quantitative par corrélation, en particulier l’absence de prise en compte du contexte, les lacunes théoriques et l’absence de considération pour la subjectivité (les données qualitatives sont ignorées ou mal converties en données chiffrées), ce type d’analyse n’est pas toujours pertinent et les incidents liés aux Big Data, comme par exemple les échecs de prévision des épidémies de grippe saisonnière ou les échecs des modèles de planification pour le développement économique, s’accroissent, tout comme se répandent les possibilités de nuire par un usage des données exclusivement motivé par l’appât du gain (Mosco 2014).
Les immenses banques de données, disponibles dans les centres de données des entreprises qui dominent le Cloud, contiennent des éléments permettant de répondre à des questions simples sur les goûts et les aversions de chaque cohorte démographique et et rendent possible l’obtention d’informations sur les utilisateurs à partir de l’analyse de leurs réseaux d’amis ou de « followers » sur Twitter, Elles constituent de ce fait des incitations majeures pour les autres entreprises et pour l’Etat à investir à la fois dans ce type de centres et dans des dispositifs performants de traitement des Big Data. Il parait ainsi raisonnable de s’inquiéter de cette forme de dépendance singulière de tout type de recherches aux Big Data en ce qu’elle ouvre la voie à ce que l’on pourrait appeler le « positivisme numérique ».
L’Internet des objets
Le Cloud et les Big Data sont considérablement renforcés par la croissance de l’Internet des objets. Des montres qui surveillent la pression artérielle aux réfrigérateurs qui vous incitent à acheter plus de lait, des chaînes d’assemblage «dirigées» par des robots aux drones porteurs d’armes de guerre, il promet d’avoir un impact profond sur les individus comme la société. L’Internet des objets se rapporte à un système composé de capteurs installés tant dans les objets de tous les jours (par exemple des montres) que dans les outils de production (bras robotiques) qui collectent des données en continu, de réseaux qui les véhiculent vers des dispositifs de traitement interconnectés qui les enregistrent et les analysent. Nous nous référons à l’expression, certes, maladroite, d’Internet des objets (3) parce que, contrairement à l’Internet que nous connaissons, c’est-à-dire celui qui relie les gens, cet Internet relie principalement des terminaux et des outils. Ainsi, les capteurs dans un réfrigérateur intègrent–ils le réseau et produisent-ils continûment des rapports sur ce qui est à l’intérieur et quelle utilisation en est faite. L’Internet des objets s’est affirmé grâce aux avancées réalisées sur la miniaturisation des dispositifs de captation des informations et grâce aux améliorations de la puissance de traitement permettant de superviser en temps réel les activités, analyser les usages et de véhiculer ces données sur les réseaux électroniques (Greengard 2015).
Une étude de 2015 du think tank indépendant McKinsey a conclu que, d’ici 2025, l’Internet des objets aura un poids économique estimé entre 3,9 et 11,1 milliers de milliards de dollars (US), soit plus de dix pour cent de l’économie mondiale (Manyika, 2015). Malgré les habituelles exagérations qui accompagnent généralement les prévisions technologiques diffusées par les cabinets d’études qui cherchent ainsi à promouvoir les secteurs des industries pour lesquels ils font office de prestataires de services, ce rapport est instructif. Il identifie, en effet, les organisations et institutions susceptibles d’être les plus affectées et présentent les conséquences attendues pour celles-ci de l’émergence de cet Internet des objets. A ce propos, il est ainsi significatif d’observer que c’est le secteur manufacturier qui ouvre cette étude, la production de machines automatisées et les possibilités de surveillance opérationnelle permettant censément la mise en œuvre d’usines mieux gérées, plus efficaces et favorisant la multiplication des chaines de production sur une échelle mondiale. Cette vague d’innovations devrait s’étendre, selon McKinsey, aux administrations, aux secteurs de la distribution et du commerce de détail, à la gestion des villes et des transports, au fur et à mesure que les véhicules automatisés investiront les rues et que les autoroutes seront devenues «intelligentes» grâce à l’omniprésence des capteurs. Cette surveillance accrue s’étendra également à la maison, l’Internet des objets promettant ainsi un plus grand contrôle sur le chauffage et la climatisation, la gestion de la nourriture et l’achat de petites fournitures. Elle s’étendra également au corps car des capteurs surveilleront en permanence la condition physique, la pression artérielle, la fréquence cardiaque et l’état des organes vitaux. Ces projections peuvent sembler futuristes et, selon le point de vue de chacun, dystopiques ou utopiques, mais ce rapport éclaire néanmoins la puissance de cette nouvelle technologie et les différences fondamentales entre l’Internet d’origine et son successeur.
Le nouvel Internet : des préoccupations prégnantes
Certaines entreprises ont rapidement profité de leur position de leaders dans le monde numérique pour s’imposer dans l’Internet des objets. Les exemples initialement les plus visibles de ce nouvel Internet ont ainsi été la voiture sans pilote de Google, la montre d’Apple, et la robotisation du traitement des commandes dans les entrepôts d’Amazon. Amazon se prépare également à utiliser des drones pour les livraisons, et développe des formes entièrement nouvelles d’emballages qui comprennent des boutons poussoirs destinés à automatiser les réapprovisionnements et le renouvellement de commandes. L’Internet des objets a également donné une nouvelle vie à une vieille entreprise, General Electric (GE), qui s’est diversifiée et régénérée dans les années 1990 en passant de la production industrielle à la finance. Cependant, GE a maintenant tout à fait abandonné le monde de plus en plus réglementé de la banque et est progressivement devenu un acteur majeur de l’Internet des objets, en produisant des dispositifs essentiels, dispositifs que la firme utilise dans ses propres procès industriels de production. En plus des avantages pour les entreprises, l’Internet des objets est également porteur de promesses pour les militaires, non seulement en améliorant la gestion globale des troupes mais aussi en renforçant considérablement les possibilités d’automatiser la guerre grâce à la robotique et l’armement de drones.
Le contrôle renforcé des données
L’intérêt le plus important lié à cette supervision de chaque dispositif et terminal et de leur interconnexion au sein d’un réseau global réside dans la croissance exponentielle des données valorisables commercialement. Aujourd’hui, selon un rapport de l’entreprise américaine Cisco, seulement un pour cent des objets sont connectés, l’Internet des objets reste donc, en l’état, une belle promesse. Néanmoins, il est prévu que d’ici 2020, 50 milliards de périphériques connectés rejoindront le Nouvel Internet, rassemblant et rapportant de façon continue tous types de données (Evans 2011). Afin d’exploiter cette explosion de données, il s’agira de disposer à la fois de centres de données de nouvelle génération et de capacités importantes d’analyse de ces données. Comme l’affirme McKinsey : « actuellement, la plupart des données en provenance de l’Internet des objets ne sont pas utilisées. Par exemple, sur une plate-forme pétrolière qui possède 30 000 capteurs, seulement un pour cent des données est traité. C’est parce que les informations recueillies sont surtout utilisées pour détecter et contrôler les anomalies, et non pour l’optimisation et la prédiction, pourtant autrement plus valorisable » (Manyika 2015). La façon d’utiliser les données, en interne et comme un produit marchandisable, est ainsi l’un des plus grands défis auxquels font face les industries de l’Internet des objets.
La majeure partie de ce qui est écrit sur le Nouvel Internet l’est d’un point de vue technique ou promotionnel, en mettant l’accent sur l’ingénierie nécessaire pour le construire ou en vantant son potentiel économique dans une rhétorique parfois abusivement hyperbolique, plus proche du vœu pieux que de la réalité, ainsi qu’en témoigne l’usage excessif des termes et syntagmes de « loisirs ininterrompus », de « capitalisme sans friction » et de « singularité ». Nous commençons tout juste à voir émerger des discours sur les graves problèmes d’ordre politique qui se posent dans un monde dominé par d’immenses centres de données qui indexent en permanence des analyses sur le comportement de tout un chacun, les individus étant connectés au réseau en tout temps et en tout lieu. Il s’agit notamment de s’interroger sur la concentration du pouvoir lié à ce Nouvel Internet dans les mains d’une poignée de sociétés principalement américaines et dans celles des agences de renseignement militaire ; sur les conséquences environnementales liées à la construction et l’entretien de ces vastes centres de données et des systèmes qui les alimentent en énergie ; sur les menaces pour la vie privée et la sécurité personnelle ; et, enfin, sur l’impact des systèmes automatisés sur le travail humain.
Deux particularités caractérisent la configuration initiale de du secteur industriel lié au Nouvel Internet : il est déjà fortement concentré et il est dominé par les entreprises américaines. Celles-ci sont conduites par Amazon, qui contrôle plus d’un tiers du marché du Cloud Computing et est devenu un acteur incontournable des Big Data et de l’Internet des objets. La société a été parmi les premières à proposer un service de Cloud « tout en un » qui a attiré à la fois les particuliers et les entreprises et administrations en raison de sa simplicité et de ses prix modiques. Certains sont allés jusqu’à suggérer qu’Amazon, et ses concurrents, Google et Microsoft, s’étaient engagés dans la voie dangereuse de la concurrence par les prix, en facturant des tarifs inférieurs aux coûts réels des services de Cloud proposés et en compensant cette perte par des prix excessifs pratiqués sur les marchés où ils disposent de pouvoir de marché. Facebook et Apple complètent la liste des entreprises qui ont mis à profit leur position dominante sur l’Internet d’origine pour devenir des chefs de file au sein du Nouvel Internet. Des entreprises plus anciennes comme IBM, Oracle, HP et Cisco ont décidé de remplacer leur expertise dans les solutions informatiques et informationnelles au fur et à mesure que disparaissaient dans les entreprises les départements liés aux systèmes d’information et se tournent désormais vers ce nouveau monde numérique. Cependant, la nécessité de cannibaliser les anciens systèmes et de reconfigurer leurs organisations a ralenti la conversion. En outre, il existe des entreprises qui se spécialisent dans l’un ou l’autre des systèmes constitutifs du Nouvel Internet, tels que Rackspace et Salesforce.com, mais les activités de ces nouveaux entrants sont constamment sapées par la concurrence féroce des entreprises dominantes. General Electric apparait dans cette arène du Nouvel Internet comme une inconnue de taille, potentiellement à même de rompre les équilibres en place si son pari sur la réinvention des procès de production par le truchement de l’Internet des objets est couronné de succès.
Les historiens de la technologie reconnaîtront la similitude de cette configuration avec celle observable lors des premiers jours de l’électrification, de la télégraphie, de la téléphonie et de la radiodiffusion. Dans chacun de ces cas, la réglementation et la propriété pure et simple de certaines infrastructures par l’État étaient nécessaires pour contrôler les abus et favoriser l’accès de la population à des tarifs abordables. Cependant, ces solutions semblent moins susceptibles d’être adoptées dans un monde où la réglementation et la propriété de l’État ne sont désormais plus envisagées d’un bon oeil. De plus, comme par le passé, les entreprises dominantes profitent de leurs liens étroits avec les milieux militaires et de renseignement, en leur fournissant les services Internet et en coopérant le plus souvent pour les demandes d’information sur les utilisateurs. Ainsi, la proximité avec le Pentagone, y compris celle de son riche département de la recherche (la Defense Advanced Research Projects Agency), ainsi qu’avec la NSA et la CIA contribue-t-elle à expliquer pourquoi il n’y a pas de challengers à l’hégémonie américaine sur le Nouvel Internet en provenance d’Europe, dont les entreprises de télécommunication ont pourtant autrefois dominé le monde.
Seule la Chine est en mesure d’opposer une concurrence sérieuse. Son gouvernement a investi massivement dans les technologies liées à ce Nouvel Internet allant jusqu’à les intégrer dans ses plans quinquennaux et à construire des villes entièrement connectées au Cloud. Cet investissement a bénéficié à des entreprises de premier plan comme Alibaba, Baidu, Huawei, et Tencent entre autres. Manifestant clairement son intention de contester le leadership de l’Amérique, Alibaba a mis en place un magasin dans la Silicon Valley et, comme d’autres entreprises chinoises, s’appuie sur l’énorme marché intérieur pour étendre son influence internationalement (Tse et Hendrichs 2016).
Un regard porté sur des questions plus politiques révèle également les raisons faisant que cette concentration est un problème crucial et qu’il est essentiel, pour les sociétés, de commencer à considérer la nécessité d’une intervention publique.
Les questions liées à l’environnement et à la protection de la vie privée
Parce que le monde numérique est composé d’électrons invisibles circulant à travers les airs, il y a une tendance à le considérer comme immatériel. Rien ne peut être plus éloigné de la vérité et plus tôt cela sera pris en compte, plus tôt seront pris en compte les problèmes environnementaux associés au Nouvel Internet. Les centres de données liés au Cloud sont des infrastructures tout ce qu’il y a de « matériel » et, au fur et à mesure qu’ils ils envahissent le monde, émergent de multiples questions de politique environnementale. On s’attend à ce que, d’ici 2017, ces centres de données consomment douze pour cent du réseau mondial (Sullivan 2015). En outre, la demande des clients pour les services fonctionnant 24h/24 et 7j/7 nécessite plusieurs alimentations de secours, dont certaines, comme celles fournies par les générateurs diesel, sont hautement cancérigènes. De plus, de nombreux centres de données ont besoin de grandes quantités d’eau pour leurs systèmes de refroidissement, ce qui soulève de sérieux problèmes dans des endroits, comme l’Ouest des États-Unis, gravement affectés par des années de sécheresse. Néanmoins, jusqu’à présent, les exploitants de ces centres de données ont utilisé leur poids économique pour faire pression sur les gouvernements locaux afin qu’ils prévoient des allégements fiscaux, une réduction des tarifs énergétiques et des amendes liées aux lois sur la pollution.
Certaines entreprises ont répondu à l’opposition des groupes de défense de l’environnement, en particulier Greenpeace, en intégrant l’énergie solaire et d’autres sources d’énergies durables dans leurs centrales d’alimentation. Mais à mesure que les besoins en données augmentent, une régulation systématique devient nécessaire, celle-ci devant intégrer un examen général concernant les possibilités de réduction des besoins en énergie. La principale source de consommation d’énergie liée au Nouvel Internet réside dans les capteurs intégrés aux milliards de périphériques connectés et dans les systèmes de communication qui relient les individus et les objets à travers les réseaux cellulaires et autres réseaux sans fil. Un monde de périphériques omniprésents, constamment connectés, fait ainsi saliver les dirigeants des secteurs de l’énergie, et notamment ceux de l’industrie houillère qui considèrent le Nouvel Internet comme une opportunité à mettre en œuvre ce que l’étude de l’Académie nationale des sciences appelle « La renaissance du charbon » (Steckel, Edenhofer et Jacob 2015). Comme l’a conclu un rapport parrainé par cette industrie du charbon, « la nature intrinsèque de l’Internet mobile, dont le Cloud est une caractéristique-clé de l’architecture, nécessite beaucoup plus d’énergie que les réseaux câblés… Les prévisions vont donc dans le sens d’une croissance plus rapide, et non plus lente, de la consommation d’énergie des TIC » (Mills 2013).
Par ailleurs, les problèmes de confidentialité et de sécurité vont également augmenter de façon exponentielle avec le Nouvel Internet, car une meilleure connectivité augmente symétriquement les possibilités de pannes techniques et de piratage des données. Un journaliste spécialisé sur les nouvelles technologies s’est ainsi référé à l’Internet des objets comme « la plus grande infrastructure de surveillance de masse jamais produite » (Powles 2015). En raison des normes techniques anticipées par rapport à un monde où l’Internet des objets est pleinement développé, l’Internet d’aujourd’hui est loin de « connecter le monde », a fortiori si on prend en compte l’hypothèse de « singularité » qui comble actuellement les rêves des plus technophiles des internautes. Environ quarante pour cent de la population mondiale utilise Internet au moins une fois par an et, comme on pourrait s’y attendre, l’accès est concentré dans le monde développé et dans les centres urbains (Gagliordi, 2015). Avec seulement un pour cent de connectivité des objets, nous sommes loin de la « terre promise » de l’informatique ubiquitaire. Mais même à ce niveau relativement bas, les problèmes techniques et le piratage d’origine criminelle affectent le système : en une seule journée de 2015, l’ensemble de la flotte américaine d’avions United Airlines a été cloué au sol, la Bourse de New York a été fermée pendant plusieurs heures, et les ordinateurs du Wall Street Journal ont été empêchés de fonctionner. Tous ces phénomènes ont été simplement décrits comme étant le résultat « d’anomalies techniques » et alors qu’ils commençaient à intégrer le flot d’actualités médiatiques, le gouvernement américain a indiqué que des pirates avaient volé les dossiers personnels de 22,1 millions d’employés fédéraux, d’entrepreneurs, ainsi que des informations sur leurs familles et amis (mobilisés pour vérifications des antécédents). Le vol comprenait également plus d’un million d’empreintes digitales (Nakashima 2015).
Il n’est donc pas étonnant que les observateurs soient sérieusement préoccupés par l’impact des erreurs techniques et du piratage dans un monde où les gens et les objets sont chaque jour plus connectés. Qui voudrait que sa voiture ou son stimulateur cardiaque soit accessible aux pirates ? Néanmoins, les menaces les plus importantes sont à chercher du côté de l’avidité en données des entreprises et des gouvernements. Le principal attrait de cette omniprésence numérique réside dans la valorisation des données sur le comportement des personnes et la performance des objets. Ces données offrent la possibilité aux entreprises d’affiner leurs publicités ciblées et de procéder à un formatage des produits bien au-delà de ce que les systèmes rudimentaires de l’Internet d’aujourd’hui permettent ; elles offrent également aux gouvernements une possibilité de suivi et de supervision approfondis du comportement et attitudes des citoyens. Il s’agit d’envisager aussi les avantages commerciaux pour les compagnies d’assurance qui seront, dès lors, en mesure de surveiller en permanence la santé de leurs clients, leurs habitudes de conduite automobile et l’état de leurs maisons ; les gouvernements vont, quant à eux, pouvoir ajuster les prestations sociales ainsi que d’autres services publics sur le comportement effectif des citoyens et sur leurs interactions avec d’autres individus et les objets du quotidien ; enfin, les employeurs vont pouvoir désormais exiger des employés de bureau qu’ils portent des capteurs sur et sous la peau pour s’assurer d’un suivi constant de leurs performances au travail (Wilson 2013). Les techniques de ventes du futur et la surveillance algorithmique appelée par euphémisme «analyse prédictive», inquiètent donc les défenseurs de la vie privée précisément parce qu’elles suscitent un très vif intérêt de la part des entreprises et des gouvernements (Davenport 2014).
Enfin, les conséquences du Nouvel Internet sur les emplois et la nature du travail sont également une question politique majeure. À première vue, on pourrait considérer que l’on ressort là une vieille rengaine. En effet l’impact de la technologie sur l’emploi a déjà longuement été discuté, notamment depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et le débat suscité par l’informaticien Norbert Wiener sur le spectre d’une perte massive d’emplois due à l’automatisation (Wiener 1948). Par ailleurs, le Nouvel Internet crée et continuera vraisemblablement à créer du travail, y compris des emplois traditionnels liés à la construction d’un réseau mondial de centres de données, mais aussi dans les professions nouvelles liées à « la science des données » et dans le contrôle, la maintenance et la surveillance des réseaux. Il y a une autre raison pour laquelle il est important d’aborder avec prudence l’impact de la technologie informatique sur les emplois et l’économie : ainsi que le montre certaines recherches, l’emploi global a été beaucoup plus lié au PIB qu’à l’informatisation et, à l’exception de la fin des années 1990 où les investissements ont été massifs dans les matériels et équipements, les promesses de gains de productivité liés aux TIC n’ont pas été tenues (Gordon 2016).
Cependant, il existe aujourd’hui beaucoup plus de possibilités pour les nouvelles technologies de se substituer au travail humain, en particulier dans le domaine du savoir professionnel et des métiers de la connaissance. Ainsi, un consultant a-t-il défini le Cloud Computing comme «rien de plus que la prochaine étape dans l’externalisation de toutes les opérations informatiques» (McKendrick 2013). Cela correspond à une tendance générale qu’un chercheur de Gartner Associates résume succinctement : « La proposition de valeur à long terme de l’informatique n’est pas d’assister le travail humain – il doit le remplacer» (Dignan 2011a). Le Nouvel Internet crée des opportunités pour les entreprises de rationaliser immédiatement leurs tâches informationnelles. De nouveau, selon Gartner, « les directeurs des systèmes d’information estiment que leurs centres de données, leurs serveurs, leurs applications de bureau et leurs applications professionnelles sont encore largement inefficaces et doivent être rationalisés au cours des dix prochaines années. Nous pensons que, durant cette période, les personnes associées à ces actifs inefficaces seront également soumises à une rationalisation rationalisées en nombre significatif » (Dignan 2011a).
Les entreprises du Nouvel Internet affirment que leurs innovations peuvent ainsi reconfigurer les modèles d’affaires et organisations productives qui se sont imposés lorsque les premiers ordinateurs ont investi les lieux de travail. À l’époque, toutes les entreprises et agences gouvernementales insistaient sur le fait qu’il était essentiel de posséder et d’exploiter ses propres services informatiques et, pour les grandes organisations, ses propres centres de données. A l’inverse, les partisans de Nouvel Internet insistent désormais sur le fait qu’il n’est plus essentiel de construire et de faire fonctionner des milliers d’installations spécifiques à chaque organisation à partir du moment où quelques grands centres de données peuvent répondre à la demande à moindre coût et avec beaucoup moins de personnel. Ce processus a déjà commencé et les premières études montrent que, même avec une réduction limitée des services informatiques, les entreprises économisent entre quinze et vingt pour cent de leurs budgets informatiques (Howlett 2014).
Le Nouvel Internet rend également possible une rationalisation généralisée de pratiquement toutes les professions intellectuelles et créatives, car le travail requis implique de plus en plus la production, le traitement et la distribution d’informations. Selon un observateur, «au cours des 40 prochaines années, les systèmes analytiques remplaceront une grande partie ce que fait aujourd’hui le travailleur du savoir » (Dignan, 2011b). Un rapport de 2013 a conclu que près de la moitié de la main-d’œuvre actuelle aux États-Unis était directement menacée et dans la catégorie « à haut risque » pour ce qui est de la perte d’emploi (Frey & Osborne 2013). Quelle que soit la part exacte, il ne fait aucun doute que la tendance actuelle est d’utiliser le logiciel pour remplacer l’action humaine par des machines dans les domaines du savoir et de l’information. Nous commençons maintenant à voir les impacts sur l’éducation, les soins de santé, la loi, la comptabilité, les finances, les ventes et les médias. Les organisations des secteurs privé et public sont encouragées à tout sous-traiter, sauf les activités étroitement liées à leur métier de base, et à faire appel à des entreprises comme Salesforce.com qui se spécialisent dans la gestion de vastes bases de données d’informations-client, un travail autrefois dévolu en interne aux départements marketing et clientèle.
L’expansion de la sous-traitance par des systèmes informatiques soulève de sérieuses questions pour l’ensemble du système productif mondial. Selon Gartner, « ce phénomène touchera toutes les économies – en particulier celles qui émergent comme l’Inde et qui dominent aujourd’hui la sous-traitance technique » (Dignan, 2011a). Le Nouvel Internet élargit également l’éventail des pratiques potentielles d’externalisation. Il peut apparaître exagéré de déclarer, à l’instar du magazine Forbes, que «nous sommes maintenant tous des sous-traitants », mais les possibilités se multiplient et se diversifient effectivement : « l’externalisation n’est plus simplement définie par des méga-transactions de plusieurs millions de dollars pour des contrats visant à sous-traiter l’ensemble des tâches relevant des services informatique/systèmes d’information. Au contraire, une multitude de petites opérations sont désormais progressivement transférées à des entités extérieures » (McKendrick, 2014). Amazon apparait comme un acteur de premier plan dans ce processus avec sa division nommée « Mechanical Turk » qui permet à des individus et des organisations privées comme publiques d’externaliser tout un ensemble de micro-tâches vers une armée de réserve mondiale de travailleurs à façon en ligne. Si l’on ajoute cette activité à la promesse d’entrepôts gérés par des robots afin de localiser, emballer et expédier des marchandises de façon optimale, et des drones pour les livrer, Amazon apparait bel et bien comme le principal héraut de ce Nouvel Internet, promouvant à travers le monde cette forme d’intensification de l’activité économique qu’il annonce et rendra possible. Quel que soit l’impact sur le nombre d’emplois, le Nouvel Internet modifie déjà la façon de travailler ainsi que peuvent en témoigner les salariés d’une entreprise suédoise qui arrivent au bureau chaque jour avec des puces RFID implantées sous la peau afin d’améliorer leur productivité et le contrôle de gestion (Cellan-Jones 2015).
Que faire ?
Que peut-on faire pour résoudre ces problèmes ? D’abord et avant toute chose, il est essentiel de les considérer comme intrinsèquement sociaux et pas seulement technologiques. Bien que la technologie soit employée pour la résolution de problèmes d’ordre politique, il n’existe toutefois pas de solution numérique simple pour les résoudre. Il faudra donc une action politique concertée pour dompter ce pouvoir hautement concentré qui fait actuellement du Nouvel Internet un outil pour étendre la puissance et les profits d’une poignée de géants numériques. Il faudra aussi la mobilisation de mouvements sociaux mondiaux, sous des formes plus abouties que celles manifestées lors du « Nouvel Ordre mondial de l’information et de la communication » au vingtième siècle, afin de construire au vingt et unième, un espace numérique véritablement commun. En outre, nous devons faire de la protection de l’environnement et du développement durable, un élément central lors de toute prise de décision concernant ce Nouvel Internet. Il est également important de repenser la vie privée en tant que droit de la personne à avoir accès à un sanctuaire psychologique, essentiel au développement de l’autonomie individuelle. Surtout, la vie privée est un droit indispensable à la citoyenneté et non un bien marchandisable. La protection d’espaces propres, à la fois personnels, interpersonnels, autonomes et opaques à toute forme de surveillance, commerciale ou gouvernementale, doit par conséquent également être au centre des choix faits sur le Nouvel Internet. Enfin, nous avons besoin de politiques sociales en matière d’emploi et de revenu qui tiennent compte de l’état du travail humain à une époque où l’automatisation menace les emplois, y compris maintenant ceux des employés de bureau et des cadres, et où la surveillance généralisée attente à la dignité des travailleurs. Cela signifie-t-il que nous devrions rouvrir la discussion sur un revenu annuel garanti ? Quel est le juste équilibre entre la création d’emplois et un tel revenu garanti ? Comment pouvons-nous favoriser l’organisation syndicale de travailleurs numériques qui ont tendance à être employés dans une économie d’emplois précaires ? Est-ce que les syndicats créés au sein de Gawker, Salon et Vice, entreprises du Web pionnières et couronnées de succès, préfigurent de bons modèles pour l’avenir?
Le monde numérique est arrivé à un carrefour dont les deux directions opposées sont liées à deux visions contradictoires. La première imagine une société démocratique où l’information est pleinement accessible à tous les citoyens en tant que service essentiel. Dans cette vision, l’information est gérée, régulée et contrôlée par des institutions représentatives dont l’objectif est précisément de garantir et d’optimiser cet accès. La gouvernance peut prendre, dans cette perspective, plusieurs formes résultant de différentes combinaisons d’approches centralisées et décentralisées aux niveaux local, régional, national et international. La seconde envisage un monde contrôlé par les sociétés transnationales et les organes de surveillance et de renseignement des gouvernements nationaux. Suivant ce modèle, le marché est la force déterminante qui configure les décisions concernant la production, la distribution et l’échange d’informations, et les entreprises dont le pouvoir de marché est le plus important, sont les plus influentes. Dans ce monde fondamentalement antidémocratique, les « Béhémoths » numériques partagent le pouvoir avec les gouvernements qui utilisent pleinement la technologie pour la surveillance, le contrôle et la coercition.
Il y a cinquante ans, bien avant le premier Internet, Douglas Parkhill, analyste et chercheur canadien, avait choisi la vision démocratique, dans son livre abordant la nécessité de créer un système mondial gouvernant les infrastructures informatiques et à même de garantir le contrôle public et l’accès universel. Les mouvements sociaux avaient contribué à atténuer la recherche de monopole privé sur des ressources essentielles comme l’eau et l’électricité en en faisant des services publics. Parkhill (1966) avait fait valoir que l’information n’était pas moins essentielle et n’avait pas moins besoin d’un contrôle public. Le Nouvel Internet pourrait être une occasion de concrétiser cette vision.
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Auteur
Vincent Mosco
.: Vincent Mosco (Ph.D, Harvard) est professeur émérite de sociologie à la Queen’s University où il a été titulaire de la Chaire de recherche du Canada en communication et société et chef du Département de sociologie. Ses intérêts de recherche comprennent l’économie politique de la communication, les impacts sociaux des technologies de l’information et la politique de communication. Le Dr Mosco est l’auteur ou l’éditeur de 21 livres, dont The Digital Sublime (2004) et The Political Economy of Communication (2009). To the Cloud: Big Data in a Turbulent World, a été nommé en 2014 Titre académique exceptionnel par choix : Critiques actuelles pour les bibliothèques universitaires.