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Multiplicité médiatique et multipartisme en Afrique : symétrie de déficiences

10 Oct, 2016

Résumé

Le continent africain est caractérisé actuellement par la multiplicité des partis politiques ainsi que des médias, considérée alors comme double indicateur tant de l’avancée de la démocratisation que du progrès social et économique. Observée depuis les années 1990, cette corrélation entre le médiatique et le politique est ici interrogée, compte tenu des résultats qui semblent plutôt mitigés. Cette étude offre des données empiriques variées en vue d’une froide évaluation.

Mots clés

Afrique, pluralité des médias, multipartisme, démocratie.

In English

Title

Media Diversity and Multi-party System in Africa: Symmetry of Deficiencies

Abstract

The African continent is now characterized by multiplicity of political parties and multiplicity of medias, considered as a double indicator of both the advance of the democratization process and the social and economic development. Observed since 1990th years, this correlation between Medias and politics is here questioned, considering the results which seem limited. This study offers various empiric data for an objective evaluation.

Keywords

Africa, media diversity, multi-party system, democracy.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Ekambo Jean-Chrétien, «Multiplicité médiatique et multipartisme en Afrique : symétrie de déficiences», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°17/2, , p.83 à 90, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2016/dossier/05-multiplicite-mediatique-multipartisme-afrique-symetrie-de-deficiences/

Problématique

L’existence des médias fut longtemps perçue comme garante de la visée égalitaire dans tout Etat moderne : la presse est, avait naguère dit Alexis de Tocqueville, cet outil qui « force les hommes publics à venir tour à tour comparaitre devant le tribunal de l’opinion » (Tocqueville, 1835). Cette idée positive du social global a alors fécondé la corrélation ci-après : plus abondants seront les médias, plus nombreuses se créeront des instances protectrices du système démocratique. En d’autres mots, plus fermement la liberté de la presse s’exerce, plus dignement seront préservés les intérêts majeurs des citoyens.

Cependant, une cinquantaine d’années après leurs indépendances, une attentive analyse de deux segments successifs de l’évolution des Etats d’Afrique invite à nuancer l’optimisme. D’une part, la propagande assénée par l’arsenal médiatique des régimes autoritaires (1960-90) n’a pas réussi à transformer la pensée politique unique en incubateur de modernisation et de développement. D’autre part, l’époque du pluralisme politique qui a suivi – des années 1990 à nos jours – a certes réussi, à créer une symétrie entre la pléthore de partis politiques et la profusion des médias, mais sans résultat probant concernant la stabilité économique ou le progrès social.

Se pose dès lors une question fondamentale : pourquoi le nombre de partis politiques et celui des médias ne génèrent-ils pas la rénovation des sociétés africaines ? De cette interrogation découle la volonté d’examiner l’euphonie entre le médiatique et le politique, ainsi que le souci d’évaluer objectivement les structures organisationnelles tant des médias que des partis politiques. Car nous posons, par hypothèse, que le multipartisme ainsi que la multiplicité des médias partagent en Afrique un ensemble de déficiences symétriques, une « symétrie de déficiences ».

Nous allons axer notre observation sur deux pays, la République démocratique du Congo et le Cameroun. Le choix est motivé par trois options autorisant la comparaion : i) le Congo et le Cameroun sont deux pays d’Afrique centrale ; ii) leurs populations sont étiquetées d’origine bantoue, sur le plan à la fois linguistique et culturel ; iii) ces pays ont créé assez tôt les deux plus grandes écoles de journalisme en Afrique subsaharienne, l’ESIJY à Yaoundé en 1970 (devenue ESSTIC en 1991) et l’ISTI à Kinshasa en 1973 (rebaptisé IFASIC en 1996). Par ce troisième critère, nous entendons relever le fait que la prolifération des médias au Congo et au Cameroun aurait pu être aussi, tout simplement, le résultat de leurs potentiels rédactionnels respectifs.

Statistiques parlementaires

Pour ces deux pays, les statistiques officielles offrent des chiffres assez précis des partis politiques agréés : 291 pour le Cameroun (Source : MINATD, mars 2015) et 477 pour le Congo (Cf. http://www.radiookapi.net, consulté le 18 mars 2015).

Au Congo

Au Congo, l’Assemblée nationale compte 500 sièges. Le PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie), dont « l’initiateur » est le Président de la République lui-même, est le principal parti de cette chambre, avec 61 élus  au scrutin de 2011, alors qu’il en avait gagné 111 aux élections de 2006. Néanmoins, le PPRD a su constituer autour de lui « une majorité présidentielle » avec 340 députés.

Pour comprendre la logique ayant permis au parti présidentiel de construire cette mosaïque, il importe de présenter et d’analyser les statistiques issues du vote législatif de 2011. En effet, ce que le PPRD concède sur le plan numérique – seulement 12,2 % de sièges à l’Assemblée nationale – n’a pu être récupéré par des partis concurrents, sur le plan tactique. Bien d’éléments contribuent à créer plutôt la faiblesse des émules.

D’une part, après que le PPRD se soit consolidé depuis une dizaine d’années comme le parti du pouvoir, à l’issue des élections de 2011, l’Assemblée se trouve composée de députés issus de 98 partis politiques différents ; parmi ces derniers, 29 n’étaient pas représentés en 2006 et ils entrent pour la première fois au Parlement, avec peu de chance de se constituer en groupe parlementaire homogène. D’autre part, parmi ces 98 partis, 45 ne sont représentés que par un seul élu (45,9 %) ; si l’on ajoute à cet éparpillement la présence de 16 députés indépendants (3,2 %), l’on se rend compte que la quasi-majorité de l’Assemblée nationale est une addition d’« honorables » déjà apprêtés pour des négociations de positionnement politique.

Dans ces conditions, dans l’espace politique congolais, il n’y a pas lieu de mesurer le PPRD à la même aune que les autres partis. Ces derniers n’ont plus comme destin que celui de « followers » (suiveurs) dans la galaxie de la « majorité présidentielle » (MP). Si celle-ci atteint le niveau si élevé de 340 députés, c’est principalement parce que les partis dits « camarades » sont des satellites qui, en suivant chacun sa propre trajectoire, n’obtiendraient que des résultats fragiles et parallèles sans un pôle d’attraction.

Quant au Sénat, composé de 108 élus au second degré, il est constitué de représentants de 13 partis politiques (2,7 %). Les indépendants y occupent 25 sièges (23,1 %). Autrement dit, à l’instar de l’Assemblée nationale, le Sénat congolais est lui aussi le lieu où se manifeste la force qu’exercent, en amont, non pas tant les partis que le leadership plus individualisé des acteurs politiques. Au Congo comme au Cameroun, la circonscription électorale pour un sénateur est l’entité territoriale décentralisée, « son village d’origine ».

Au Cameroun

Au Cameroun, le parti du Président de la République, le RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais) a gagné 148 sièges (82,2 %) aux élections de 2013. Il peut donc composer tout seul un gouvernement, sur la base de cette majorité parlementaire. Bien plus, sur les 32 députés réputés être de l’opposition, 2 sont des élus uniques de leurs partis, notamment leurs présidents Dakote Daissala (Mouvement démocratique pour la défense de la République, MDR) ainsi que Maurice Kamto (Mouvement pour la renaissance du Cameroun, MRC). Ils ont déjà, tous les deux, pris part à l’exercice du pouvoir à côté du Président Paul Biya.

Cela dit, à côté de ces élus uniques, d’autres députés de l’opposition ont également été, à un moment ou à un autre, des collaborateurs de l’actuel Président, à la tête de l’Etat depuis 1982. Il en est ainsi précisément des présidents des 3 partis minoritaires ci-après : UNDP (Union nationale pour la démocratie et le progrès, 5 élus) de Bello Bouba Maïgari, UDC (Union démocratique du Cameroun, 4 élus) d’Adamou Ndam et UPC (Union des populations du Cameroun, 3 élus) d’Henri Hogbe Nlend. Enfin l’opposant historique, John Fru Ndi du parti SDF (Social democratic front, 18 sièges), a été soupçonné par la classe politique et une partie de l’opinion, d’avoir conclu en 2004 avec le Chef de l’Etat, un deal caché afin de saboter les efforts de l’opposition pour présenter contre le Président sortant Paul Biya, une candidature unique de l’opposition, celle d’Adamou Ndam Njoya.

Quant au Sénat camerounais, il est constitué de 100 membres, dont 70 sont élus et 30 désignés par le Président de la République. Parmi ces derniers, vingt-six (26) appartiennent à la Mouvance présidentielle.

Somme toute, le régime du Président Paul Biya n’est pas, depuis 1982, aussi monolithique qu’il y parait. Les opposants entrent et sortent des allées du pouvoir selon une logique de collaboration qui alterne « duel » et « duo » (Camara, 2016).

Rapprochement des situations au Congo et au Cameroun

Il peut paraitre curieux que la situation de la République démocratique du Congo – avec le parti du pouvoir sans majorité au Parlement – et celle du Cameroun – avec le parti de Biya largement majoritaire – puissent se ressembler, dans leur quête de la « majorité présidentielle » ou du « gouvernement d’union nationale ».

De fait, cette pratique politique se justifie par la volonté de tous les partis, au pouvoir ou dans l’opposition, d’accéder à la « mangeoire » de la République, grâce aux différents postes à occuper au sein du gouvernement, des entreprises de l’Etat ou de la haute administration. Or, ainsi que l’explicite Félix Tshisekedi, « ouvrir la mangeoire » est exactement « l’attitude qui consiste à faire taire les opposants » (Boisselet, 2015).

Il en va ainsi parce que les partis politiques congolais et camerounais sont dirigés par des chefs (« autorité morale » en R.D.Congo ou « chairman » au Cameroun) qui semblent prédéterminés pour ce type d’arrangement particulier. En effet, affirme un observateur de l’échiquier congolais, « les partis politiques ne croient pas beaucoup à l’idéologie ; ce sont des partis qui se regroupent autour de personnalités ». Cela signifie que « leur organisation est souvent dictatoriale : la volonté du président est encore trop prépondérante » (Mantuba, 2013).

Et ce tableau humain peut être plus sombre : « la fameuse élite congolaise se caractérise par la légèreté et l’opportunisme. Des hommes et femmes qui s’illustrent par le vagabondage politique en quittant deux ou trois partis politiques souvent idéologiquement opposés. Ils évoluent au gré des vagues, selon leurs intérêts inavoués » (Diaso, 2014).

Pis encore, cet état des faits peut se dupliquer dans plusieurs Etats africains, comme le laisse penser le résultat d’une enquête fouillée menée au Sénégal sur le rôle de l’argent en politique. Il y est révélé que « très peu de partis politiques font la distinction entre leur patrimoine et celui du leader. Les ressources du parti viennent du leader qui devient de fait le principal bailleur du parti ; la confusion entre les deux patrimoines est telle que les partis politiques sont souvent considérés comme la propriété du leader » (RADI, 2004).

Panorama médiatique

A présent, nous allons entreprendre un rapprochement entre le secteur médiatique et celui de la politique partisane en Afrique, cette dernière ayant été dépeinte ci-haut en des termes assez peu flatteurs. Certes, un certain formalisme est sauvegardé concernant les statistiques des partis politiques, qui sont tenues à jour, mais la réalité est beaucoup moins reluisante. Une analyse montre que, sur les 477 partis au Congo 4 seulement (PPRD, Union pour la démocratie et le progrès social UDPS, Mouvement de libération du Congo MLC et Union pour la nation congolaise UNC) ont une implantation de 75% à travers la République, 12 autres représentés dans les chefs-lieux des provinces, alors que 461 se montrent opérationnels uniquement dans la capitale (CASE, 2015).

Cela est encore moins brillant pour les médias, où même le formalisme n’est pas assez entretenu, leur nombre demeurant encore approximatif.

Selon Africa Medias Barometer (2014), il y a environ 200 médias au Cameroun, dont une dizaine de quotidiens, une trentaine de journaux périodiques, une vingtaine de chaines de télévision, une cinquantaine de stations de radio et une trentaine de médias en ligne. Au Congo, où il y a une cinquantaine de chaines de télévision et autant de stations de radio, c’est le ministre des Médias et de la Communication Mende Lambert lui-même qui dénonce et interdit de parution 61 « journaux sans existence légale », le 20 août 2014.

Comme on peut le constater, le régime de propriété des partis politiques africains est curieusement semblable à celui des organes de presse du continent. Le parti appartient à son fondateur autant que le média est la propriété personnelle et privée de son créateur. Il n’est pas rare de lire dans l’« ours » du journal ces mentions si particulières : « éditeur-propriétaire » ou « gérant-responsable ».

Au niveau politique, les présidents des partis n’ont de compte à rendre qu’à eux seuls et à eux-mêmes. Affectueusement dénommés « autorité morale » ou « chairman », ils sont des exceptions aux éventuels statuts de référence de leurs structures. Ils échappent ainsi à la règle de l’alternance, par différentes mécanismes systématiquement appliqués lors des assemblées ou congrès électifs. Et la législation congolaise favorise cette allégeance à « l’honorable élu », en lui réservant la possibilité de reprendre son siège au Parlement, au cours de la même législature, une fois achevés les autres mandats publics qu’il peut exercer en dehors du Parlement. La Loi n° 11/002 du 20 janvier 2001 portant révision de certains articles de la Constitution donne au député ou au sénateur « le droit de retrouver son mandat après l’exercice d’une fonction politique incompatible » (article 110).

Cette situation de précellence permanente se trouve plus solidement établie au niveau médiatique parce que l’organe de presse n’est pas contraint, juridiquement, à se conformer à un quelconque règlement d’ordre intérieur comme les partis politiques. En RDC, « la plupart des médias privés sont des entités personnelles », et ne peuvent être définis, du point de vue juridique, comme des « véritables entreprises de presse » : le parti politique est défini comme une « association des personnes physiques » (Loi n° 04/002 du 15 mars 2004 : article 2), tandis que les médias sont définis simplement comme « supports de communication de masse » (article 4.7 de la Loi du 10 janvier 2011 instituant le CSAC, Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication) (Panapress, 2002).

Qu’à cela ne tienne, sur le plan lexical, une locution est utilisée invariablement pour dénigrer aussi bien les partis politiques que les journaux. En effet, pour désigner les partis politiques congolais qui n’ont ni siège visible ni infrastructures viables l’on utilise le terme stigmatisant de « partis de mallettes ». De même, les journaux qui paraissent sans avoir ni adresse ni rédaction fixe sont également publiquement indexés comme des « journaux de mallettes » (Lambert Mende, ministre des Médias et de la Communication, conférence de presse, Kinshasa, 21/05/2013).

L’économie de la presse africaine, en règle générale, témoigne ainsi d’un état fort inquiétant de « précarité ». Une table ronde organisée lors de la journée internationale de la liberté de la presse, le 3 mai 2002 à Yaoundé, a offert aux participants l’opportunité d’utiliser les qualificatifs les moins complaisants en ce qui concerne la situation générale des médias camerounais : « indigence matérielle et financière », « impécuniosité », « clochardisation », « paupérisation », etc. Certes ce tableau peut paraitre trop sévère et parfois même dépassé : à l’issue de l’assemblée générale de la société Messapresse (actionnaire privé Presstalis et actionnaire étatique Sopecam), son patron Christian Carisey a annoncé le 17 juin 2016 que, globalement, les journaux camerounais se sont mieux vendus en 2015. Mais la fragilité des médias n’a pas encore été résorbée, comme l’a démontré récemment Rose Lukanu, patronne de la chaine de télévision Mwangaza, de Lubumbashi (RDC), qui met une soixantaine de ses agents en congé technique le 11 juillet 2016. Selon elle, son entreprise paie 65.000 Usd de redevance annuelle, en dehors d’autres taxes provinciales, 20.000 Usd de salaires mensuels, le tout couvert seulement par 15.000 Usd de recettes mensuelles en temps normal.

A la limite, cette configuration économique de la presse correspond à celle des partis politiques. La description suivante peut s’appliquer tant aux partis politiques qu’aux médias : « qui font du chantage, du racket et du clientélisme leur fonds de commerce » (Panapress, 2002). Dès lors, la prolifération et ses néfastes conséquences deviennent des caractéristiques communes aux partis politiques et aux médias.

Conclusion et ouverture

La ressemblance entre les médias et les partis politiques en Afrique peut se résumer à l’aveu de cet entrepreneur camerounais dans le secteur des média et de la culture, Joseph Ndi Samba : « les radios actuelles ne sont pas rentables et ne peuvent pas marcher si le promoteur n’a pas d’autres fonds » (Panapress, 2002). Joseph Ndi Samba, mort le 13 mai 2016, était promoteur de Radio Lumière, Samba Tv et de l’université privée Yaoundé Sud.

Pour les partis politiques, l’origine de ces « autres fonds » est essentiellement ladite « mangeoire » de la République (Boisselet, 2015). Et pour les médias, le « fonds de commerce » peut arriver à s’assimiler à un vilain défaut : « le marchandage des espaces » (Kengoum, 2011, p.6), tant en presse écrite que dans la presse audiovisuelle. Et maints consommateurs des médias se rendent bel et bien compte, à la lecture des colonnes de la presse, « que des publi-reportages tiennent parfois lieu d’articles de presse » (Kengoum, 2011, p.6).

Dans ce contexte, pour une gestion féconde de la société, la préférence accordée par l’ancien président américain Thomas Jefferson aux médias, à travers un aphorisme bien connu – une presse sans gouvernement plutôt qu’un gouvernement sans presse – devient en Afrique sujet à caution. La présente étude montre que, sur ce continent, les acteurs politiques et les acteurs médiatiques se trouvent parfois ensemble en bas de l’échelle de crédibilité. Or, c’est à leur hauteur identique que Charles de Tocqueville situe l’espoir de progrès de la nation : « c’est elle (la presse) qui rallie les intérêts autour de certaines doctrines et formule le symbole des partis ; c’est par elle que ceux-ci se parlent sans se voir, s’entendent sans être mis en contact » (Tocqueville, 1835, p. 191).

Dans cette optique, la multiplicité médiatique et le multipartisme ne seront plus perçus comme des facteurs multiplicateurs du développement ou du progrès de la nation. Le bilan du processus de démocratisation amorcé en Afrique depuis les années 1990 risque dès lors d’être plutôt négatif. Un journaliste de renom dans la presse panafricaine, Seidik Abba, rédacteur en chef à Le Monde Afrique, et précédemment à l’hebdomadaire Jeune Afrique, chef de bureau de l’Agence Pana à Paris, a déjà laissé paraitre un tel pessimisme : « l’espoir suscité par la multiplication des partis politiques a tourné à l’inflation sans pour autant faire avancer le débat démocratique ».

Quoi qu’il en soit, cette similarité entre les partis politiques et les journaux africains ne constitue pas nécessairement un rapport de forces favorable à la presse. Car, davantage que l’acteur politique, le journaliste est largement exposé à l’opprobre dans l’espace public, en dépit du « quasi-monopole » dont il dispose pourtant dans l’organisation du débat public (Bourdieu P., 1996, p. 54). En effet, le journaliste ne possède pas comme l’acteur politique, par exemple, un ressort électoral pour rebondir, tant sur le plan matériel que social, par le biais du peuple électeur souverain. Entretemps, assez régulièrement le journaliste se trouve coincé dans des conditions de travail et salariales précaires, qui suscitent chez lui des pratiques dévalorisantes qui, à la longue, se retournent contre lui-même, notamment le fameux « coupage » par lequel la source d’information corrompt le rédacteur.

En effet, multipliée par leur nombre sur le marché public, cette faiblesse des médias et de leurs journalistes est régulièrement exploitée par les acteurs politiques pour conjurer le sort de leur propre discrédit. Les corporations médiatiques soupçonnent d’ailleurs le pouvoir d’Etat d’organiser des mécanismes divers pour mettre la presse sous tutelle. Michel Mouchaut Moussala, président de la section camerounaise de l’UEPAC (Union des éditeurs de presse d’Afrique centrale) affirme : « les médias indépendants n’ont pas droit aux subventions de l’Etat, réduisant ainsi les bonnes volontés à la clochardisation » (Panapress, 2002). Les médias se trouvent ainsi livrés à une lutte interne en vue de se positionner chacun et de manière isolée, vis-à-vis des donateurs politiques ou autres, comme un vulgaire outil de « communication efficace ». L’univers des médias se transforme alors en « une véritable arène vassalisée par le pouvoir » (Habermas, 1997, p. xvi). Les médias perdent du même coup la capacité attendue et espérée d’eux, dans le processus de création d’un « climat favorable à la constitution d’une nation » (Schramm, 1964).

En définitive, il s’avère que les médias africains partagent une symétrie de déficiences avec les partis politiques, notamment à propos de leurs structures organisationnelles ainsi que de leur vocation d’éducation populaire (1), d’amplification des valeurs innovatrices de progrès collectif et d’intégration des déshérités sociaux. Et entre la multiplicité des organes de presse précaires et la multiplicité des partis politiques de type autocratique, le choix n’est guère large pour celui qui cherche la voie salutaire conduisant vers la rénovation des sociétés africaines.

Note

(1) La législation congolaise (Loi n° 04/002 du 15 mars 2004) rapproche la mission des médias et celle des partis politiques lorsqu’elle recommande à ces derniers de concourir « à la formation de la conscience nationale et à l’éducation civique » (art. 2).

Références bibliographiques

Africa Medias Barometer, 2014, Première analyse locale du paysage médiatique au Cameroun, www.fesmedia-africa.org, consulté le 30 avril 2016

Boisselet P., « Felix Tshisekedi : je n’irai pas à la mangeoire », interview dans Jeune Afrique, 26 mai 2015. Félix Tshisekedi est le propre fils de l’opposant historique congolais Etienne Tshisekedi

Bourdieu, P., Sur la télévision, Paris, Liber, 1996, p. 54

Camara, G., « Cameroun : du duel au duo ? », in L’Epervier, http:///www.camer.be, consulté le 12 avril 2016

CASE (Commission africaine pour la supervision des élections), rapport publié à Kinshasa le 18 mars 2015

Diaso A., « L’homme politique congolais demeure celui d’avant 1997 », cf http://www.lepotentielonline, 26 mai 2015, 16 mai 2014, consulté le 22 juin 2016

Habermas, J. L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1997, p. xvi

Kengoum, F., Les politiques de la REDD+ dans les médias : le cas du Cameroun, Yaoundé, Cifor, 2011, p.6

Mantuba M., Allocution de Mabiala Mantuba, coordonnateur de la Fondation Konrad Adenauer, sponsor du séminaire sur le fonctionnement des partis politiques congolais, Unikin, 14 novembre 2013. Cfr, http://www.radiookapi.net, consulté le 22 mars 2016

Munkeni L., Le coupage : une pratique d’allocation des ressources dans le contexte médiatique congolais, Paris, L’Harmattan, 2006

Panapress, 2002, http://www.panapress, 3 mai 2002, consulté le 13 mai 2016

RADI, CERAP et ENDA, Sénégal. Financement des partis politiques. Pourquoi ? Comment ?, Dakar, édition Le Pointilleux, 2004, p. 30-31

Schramm W., Mass media and National Development, Stanford, Stanford University press, 1964

Seidik Abba, « Multipartisme en Afrique : les bons comptes des présidents-fondateurs », Le Monde Afrique, 7 avril 2016.

Tocqueville A. de, 1835, De la démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, t. I, 1961, p. 191

Auteur

Jean-Chrétien D. Ekambo

.: Jean-Chrétien Ekambo est professeur à l’Ifasic (Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication) de Kinshasa, République Démocratique du Congo. Après plusieurs études théoriques en SIC, le chercheur s’attache maintenant à l’observation des faits plus spécifiques liés aux médias africains. Dernier ouvrage dans cette perspective : L’histoire du Congo dans la presse. Des origines à l’indépendance, Paris, L’Harmattan, 2013.