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Les collectifs d’apprenants dans un campus virtuel universitaire : entre entraide et revendications

13 Fév, 2009

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Sidir Mohamed, « Les collectifs d’apprenants dans un campus virtuel universitaire : entre entraide et revendications« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°09/2, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2008/supplement-a/15-les-collectifs-dapprenants-dans-un-campus-virtuel-universitaire-entre-entraide-et-revendications

Introduction

En éducation, il est souvent question dans la littérature spécialisée de communautés d’apprenants formées par des élèves et des étudiants de la même classe, de la même structure éducative ou dispersés géographiquement comme c’est le cas des formations à distance dont il sera question dans cet article. Bien qu’ils aient fait l’objet de nombreuses études et soient reconnus comme suscitant des interrogations majeures, les dispositifs de formation à distance universitaires méritent, à nos yeux, davantage d’études de terrain pour percevoir les mécanismes à l’origine des mutations de la communication éducative médiatisée et notamment le rôle que peut jouer le collectif d’apprenants connectés. En effet, après une première période durant laquelle l’importance des interactions des apprenants en ligne a été largement sous-estimée (Mangenot, 2008), on reconnaît de plus en plus leur nécessité à la fois sur le plan socio-affectif et sur le plan socio-cognitif et le rôle qu’elles peuvent jouer dans le développement de ce mode de formation. Les interactions entre apprenants peuvent se dérouler selon des schémas communicationnels très divers, du travail collaboratif cadré par des scénarios pédagogiques aux organisations sociales apprenantes auto-éco organisées (Morin, 2001). C’est à cette caractérisation que cet article souhaiterait contribuer en cherchant à comprendre comment le collectif peut modifier le rapport de l’apprenant à son dispositif de formation en ligne. Comment participe-t-il aux mutations des modes de régulation de la formation ? Telles sont les principales interrogations auxquelles cet article tentera d’apporter quelques éléments de réponse en s’appuyant sur un cadre théorique et des données issues d’une analyse d’un dispositif de formation universitaire.
L’hypothèse qui charpente cette étude est que le collectif auto-organisé dans des espaces de communication (ici le forum de discussion) pourrait, sous certaines conditions, changer de statut d’un lieu d’entraide informationnelle et pédagogique à celui de la régulation du dispositif de formation. Ce transfert de statut s’inscrirait dans des lignes de force qui se dessinent dans les échanges et qui peuvent se comprendre comme un bon investissement pour un bien commun que représente un dispositif de formation. Le collectif devient alors une ressource sociale dans laquelle s’imbriquent solidarité, entraides, débats, critiques, contestations et revendications.

L’article s’organise en deux parties. La première est un cadre de référence qui nous semble utile d’une part, pour comprendre le rapport entre l’individu et le collectif dans leur usage des outils de communication (ici le forum) et d’autre part, de mieux saisir la notion de régulation en éducation en adoptant un modèle qui tente de trouver place à l’action collective dans la régulation issue de la dynamique économique et institutionnelle. Dans la deuxième partie, nous allons exposer le contexte, la méthodologie et essayer de discuter les résultats  de l’analyse des données issues d’un dispositif de formation universitaire opérationnel depuis une dizaine d’années.

L’éducation et l’écologie sociale

L’irrésistible ascension d’Internet et le développement des outils de communication ont soulevé de nouvelles questions sur le rapport à l’autre (Wolton, 2000). Echanger à propos de ses passions, partager ses documents ou dialoguer avec sa famille, avec ses amis ou ses collègues constituent des activités quotidiennes pour des millions de personnes. Le nouveau rapport aux autres, que permettent les réseaux aujourd’hui, ouvre vers une écologie humaine des échanges  pouvant mobiliser un très grand nombre d’intelligences et de sensibilités (Aigrain, 2005). L’épanouissement des individus ne tient plus seulement à leur compétence à homogénéiser une expérience intime et à optimiser leur activité en se conformant à un contexte, mais à l’acquisition et à l’entretien d’actions dont la viabilité admet des formes variées et une identité plurielle dans une diversité de contextes hétérogènes. L’approche décrite ici, répond à la forte injonction de N. Elias (1939/1991) qui considère comme une erreur de situer l’individu en dehors de la société, et systématiquement de penser les formations sociales (réseaux sociaux, communauté, nation, famille, …) comme « des objets qui entourent l’individu ». Ces formations résultent de l’interdépendance et de l’interpénétration des actions individuelles, qui ne sont pas des objets étrangers mais des « configurations », c’est-à-dire des formes dynamiques qui pourraient avoir une certaine stabilité, organisation et signification.
Il importe de comprendre sous quelles conditions l’individu suscite un lien d’appartenance à un collectif suffisamment fort pour que les échanges en ligne deviennent un véritable lieu symbolique dans lequel se construit l’autonomie du collectif. Contrairement à ce que laissent entendre certains analystes proposant une critique virulente de la pertinence de la communication en réseaux (Doheny-Farina, 1996 ; Miller, 1996), plusieurs travaux empiriques montrent que, dans certaines circonstances, la communication de groupe médiatisée par les technologies possède plusieurs caractéristiques attribuées jusqu’ici à la communication en face à face (1). La communication écrite électronique se construit comme des textes gardés en mémoire, qui peuvent donc être commentés ou critiqués de façon détaillée mais qui peuvent aussi apporter un soutien affectif ou social aux interlocuteurs (2). Les espaces de communication constituent un environnement dans lequel les participants peuvent développer un sentiment d’appartenance et se forger une identité collective (Proulx, 2005). Toutefois, pour qu’il y ait un sentiment d’appartenance, la scène des interactions doit mettre en relation des personnes qui détiennent ou construisent des liens communs entre elles avec des interactions réciproques, soutenues et durables (Castells, 2002). Ce qui fait le lien entre les membres du collectif en ligne peut être le partage de valeurs communes, d’intérêts communs, de croyances idéologiques, d’habitudes culturelles, d’un sens de la solidarité ou d’une identification à une même constellation identitaire (Dubar, 2000). Le sentiment d’appartenance à une entité plus large que le simple soi individuel (self) peut déboucher sur un processus réflexif de conscientisation sociale du soi individuel en tant qu’élément du collectif (Proulx al., 2005). Il peut aussi conduire à l’élaboration de projets d’actions effectuées au nom du collectif comme on le verra dans la suite de cet article.
Ces processus de conscientisation collective ont fait l’objet de nombreux travaux ces dernières années. Citons ici les travaux de Singly (2003) qui propose une réflexion très stimulante, dans son ouvrage Les uns avec les autres, sur le rapport au collectif dans des univers individualisés. Ses travaux, menés surtout à partir des transformations de la famille, trouvent un écho dans le rapport entre l’individu et le collectif en formation, notamment dans le cadre de la formation à distance. Ceci est en soi peu surprenant dans la mesure où ni la famille ni la formation ne constituent des mondes à part ; chacune de ces sphères participe à une même mutation profonde des individus et des liens qui les unissent. La place ici ne permet pas de développer en détail la réflexion de cet auteur, mais l’essentiel que nous retenons est que l’individu en formation, comme en famille, est un individu soucieux d’être acteur de son destin ; un destin qu’il souhaite toujours écrire avec les autres mais d’une manière choisie. Il ne souhaite pas être relié par un lien prédéfini mais par un lien librement opté et refuse un destin prescrit.
Ce type d’approche de l’individu est décrite aussi par d’autres auteurs tels que Touraine (2001, 2007) avec la notion de Sujet, Giddens (1994) avec l’identité réflexive ou encore Latour (1986) avec l’approche par l’acteur-réseau. Malgré les orientations en partie différentes, ces auteurs décrivent grosso modo un individu cherchant à construire librement son identité à travers les relations sociales avec le collectif (société, communauté, réseaux sociaux, famille…).
Appliquée à l’éducation, cette approche n’y trouve sa place qu’en considérant l’éducation comme un processus de subjectivation au terme duquel l’apprenant devient capable de se poser comme acteur autonome, en relation avec d’autres apprenants, face à un monde éducatif qu’il comprend. Or, ce processus de subjectivation ne peut accomplir ses effets, produire un acteur capable de penser son monde, comprendre les autres et se faire comprendre des autres, qu’à la condition qu’il prenne la forme d’une relation intersubjective. Cette dernière est d’abord constituée par la famille, elle s’élargit ensuite progressivement dans l’école, le collège et le lycée qui lui donnent sa forme institutionnelle spécifique. Une fois ce processus achevé, l’élève devenu un acteur capable, en principe, de s’orienter dans le monde, peut donc prendre sa vie en main et devenir un étudiant, dernière étape avant une insertion sociale évolutive. Jamais un apprenant ne deviendra une personne structurée ; un acteur autonome, en faisant l’économie du passage par une relation intersubjective, car un Acteur ne se construit comme Acteur que par la médiation d’autres acteurs.

Les forums de discussion : une technologie sociale ?

Nous aborderons ici la question des transformations sociales autour des technologies et des réseaux numériques avec un intérêt particulier réservé aux forums de discussions éducatifs.
Dans son ouvrage, L’imaginaire d’Internet, P. Flichy (2001) décrit dans une approche sociohistorique la conception des réseaux Internet où l’échange et la coopération se tissent d’abord entre la communauté scientifique spécialiste dont les membres disposent des mêmes intérêts. Ces chercheurs ne se rencontrent pas forcément dans leur laboratoire ou dans leur université. Ce sont souvent des collègues distants qui constituent un « collège invisible », publient dans les mêmes revues, se rencontrent dans les mêmes colloques, circulent éventuellement d’un laboratoire à l’autre. Ce collège invisible qui inclut en dehors de l’université quelques laboratoires industriels comme les laboratoires Bell ou Xerox Park, va concevoir Internet selon ce modèle et va également y trouver de quoi satisfaire ses envies. Les pionniers comme Licklider  (Licklider 1960) appelleront cette organisation sociale « communauté d’intérêts », d’autres comme Turoff (Turoff ,1978) parleront de « network nation ».
Aujourd’hui, les réseaux Internet pénètrent toute la société et deviennent un lieu public où l’accroissement de l’offre diversifiée d’objets communicationnels est d’une extrême rapidité : courriels forums, chats, wiki, blogs, messengers sont aujourd’hui des objets agissant comme supports aux pratiques de communication en ligne et suscitant des interactions sociales en permanence. A partir du foyer, de l’école, de l’entreprise, du cybercafé ou de quelques lieux situés dans une zone de réception Wifi, l’internaute s’insère de plus en plus facilement dans les collectifs d’usage en ligne et s’adonne à des pratiques de communication électronique en groupe.
L’intérêt est porté ici aux forums de discussion que nous considérons comme une technologie sociale susceptible de jouer un rôle dans l’élaboration d’une action collective par les possibilités qu’elle offre en termes de contrôle, de coordination et de partage d’informations et de connaissances. Toutefois, il importe de préciser que le forum ne détermine pas totalement l’usage qui en est fait. Au contraire, son aspect communicationnel ouvre des perspectives dans l’étendue des explorations qu’il autorise. La critique fréquente faite au déterminisme technologique doit prendre ici un tour positif et conduire à reconnaître une forme d’autonomie à la dynamique des usages que suscite cet outil de communication (Proulx, 2006). Comme l’a bien souligné D. A. Norman (1993), les artéfacts informationnels ne font pas qu’augmenter les capacités cognitives des utilisateurs, ils changent (et ne déterminent pas) la nature même des activités qu’ils accomplissent. Les usagers exploitent les opportunités technologiques en créant de nouvelles affordances (3) qui constituent des indices pour mettre l’outil de communication au service de leurs pratiques et des buts qu’ils se donnent. Autrement-dit, le forum est un objet technique qui devient sur le réseau Internet une ressource sociale. Comme toute ressource, son usage dépend de la façon dont les acteurs construisent la situation,  ceci en faisant ou non une réelle opportunité.
Cela dit, on peut se poser la question des caractéristiques qui définissent le forum comme une technologie sociale. Cet outil de communication met en effet en scène une situation de communication très particulière qui repose à la fois sur une communication écrite asynchrone tendant à se rapprocher des situations classiques de production des écrits en réseau comme le courriel et d’une forme de conversation interpersonnelle qu’on retrouve dans le chat. Autrement dit, le forum peut être considéré comme une forme d’écriture informatisée qui se conjugue à des processus de communication inscrits sur l’écran. Ainsi, les écrits dans les forums de discussion sont à la fois des marques d’oralité communicationnelle (style informel) et des marques d’écrit standard. Faisant référence à Goffman, Marcoccia (1998) explique la relation entre les écrits médiatisés par ordinateur et la communication écrite comme un cadrage cognitif permettant « de faire du face à face avec l’écrit ». Les marques d’une partie du matériau sémiotique disponible dans la conversation en face à face disparaissent avec la conversation médiatisée par ordinateur pour laisser la place à un certain nombre de procédés permettant de représenter le non-verbal et le para-verbal (l’intonalité et la mimogestualisation) avec des fonctions comparables aux données en face à face : les smileys, la ponctualisation expressive, etc. (Anis, 1999).
Deux autres caractéristiques du forum renforcent, à nos yeux, le caractère social de cet outil. Il s’agit de l’asynchronicité et du caractère public de la communication. La première offre des possibilités de révision (rehearsability) et facilite le retraitement et la réutilisation des messages (re-processability) (Clark et al., 1991). Utilisée dans un cadre éducatif, l’asynchronicité du forum couplée à une permanence des messages permet de parler à la fois d’extériorisation et de partage de la cognition. Ces deux caractéristiques semblent favoriser l’apprentissage (Mangenot 2002). Quant au caractère public du forum, il fait de l’écrit en réseau un phénomène de sociabilité (Souchier et al., 2003), un moyen de développement perpétuel et évolutif d’une idée, d’une information, d’un savoir, etc. où les caractéristiques stylistiques du texte écrit semblent être conservées en majorité, sans doute à cause de ce caractère permanent, public des textes produits (Peraya, 2005). Ce qui modifie profondément la communication interpersonnelle comme le signale Marcoccia (1998, p. 17) : « dans un forum de discussion, il est impossible de sélectionner un destinataire. Toute intervention est « publique », lisible par tous les participants au forum, même si elle se présente comme la réaction à une intervention particulière. L’aparté est impossible : le polylogue est la forme habituelle du forum et le multi-adressage en est la norme ». Reprenant à son compte les positions de Maroccia, Mangenot (2002) considère que le polylogue constitue une des caractéristiques majeures de ce type de dispositif de communication. En revanche, Peraya (2005) faisant référence à (Ducrot, 1980), nuance cette affirmation dans la mesure où une approche polyphonique de la communication permet de faire la distinction entre allocutaires (ceux à qui les paroles sont dites) et destinataires (ceux auxquels s’adressent réellement les actes de langages). Au-delà de ces considérations théoriques, le forum de discussion reste un outil de communication, de collaboration et de sociabilité, autrement dit un objet dont on aura notamment reconnu la dimension « communicationnelle ».

Régimes de régulation et de pouvoir

Notre hypothèse est que les actions collectives, susceptibles d’émerger dans des lieux de rencontre comme les forums de discussion, structurent les enjeux de l’autonomie du collectif. Ces enjeux prendraient forme dans des processus de régulation de la formation. Avant d’établir un modèle permettant de mieux expliquer en quoi consiste notre hypothèse, examinons rapidement le concept de régulation.
Boyer (2004), inspiré des travaux de Reynaud (1997), qualifie le concept de la régulation comme étant un ensemble de procédures et de comportements individuels et collectifs qui revêt la triple propriété de :

  • reproduire les rapports sociaux fondamentaux à travers la conjoncture d’une  forme institutionnelle historiquement déterminée ;
  • soutenir et « piloter » le régime d’accumulation en vigueur ;
  • assurer la compatibilité dynamique d’un ensemble de décisions décentralisées, sans que soit nécessaire l’intériorisation par les acteurs économiques des principes de l’ajustement de l’ensemble du système.

En nous inspirant de ces réflexions, nous entendrons par régulation l’ensemble des comportements et mécanismes de négociation et d’arbitrage qui permet à un collectif de concilier les intérêts divergents, d’arbitrer les conflits et de parvenir à un certain équilibre lui permettant de se former dans un contexte stabilisé. Nous considérerons cette régulation comme le produit d’une tendance idéologique visant l’individualisation responsable décrite dans le chapitre précédent. En effet, pour expliquer les dynamiques de la modernité de l’enseignement supérieur, nous avons privilégié un cadre explicatif qui s’inscrit dans la dynamique engendrée par le modèle économique (d’un capitalisme avancé). Celui-ci trouve forme dans les instances internationales, et notamment la Commission européenne, jouant ainsi un rôle important dans la re-définition permanente du fonctionnement du système éducatif actuel (Vinokur, 2005). Ces considérations explicatives mettent en lumière l’élaboration d’un cadre normatif qui régule effectivement le système éducatif et notamment l’enseignement supérieur. Dans ce cadre, l’enseignement est régulé par les structures dominantes, à savoir le marché et l’Etat. En France, l’enseignement est public et la régulation par le marché concerne des segments bien identifiables et, la régulation institutionnelle de l’état reste dominante. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’une formation qui s’inscrit dans un segment marchand, comme c’est le cas de la formation universitaire à distance (Sidir, 2008), la double régulation est plus visible. Le dispositif de formation est d’abord régi par le marché dont la régulation est assurée par l’adéquation des dynamiques de l’offre (de formation) et de la demande et par la concurrence entre les structures universitaires (4). En ce qui concerne la régulation institutionnelle (l’Etat et les Universités), elle se joue à travers la responsabilité des élus (Président d’université et ses Conseils) ainsi que par les textes officiels que ces acteurs édictent (arrêtés ministériels, décision des conseils universitaires, …).
Le point crucial de ce modèle de régulation est que, dans tous les cas, l’apprenant se doit de « déléguer » aux instances régulatrices les modalités effectives de sa formation, inféodant ainsi les limites de l’exercice de sa liberté à un ensemble institutionnel et organisationnel qui le dépasse. En clair, la majorité des descriptions de la modernité insistent sur le fait que la régulation suppose la délégation librement consentie du sujet vers des entités abstraites mais personnifiées (Boltanski et Chiapello,, 1999). Face à ce modèle, d’autres formes de régulation émergent sous la forme de nouvelles pratiques de résistance où les apprenants prennent progressivement possession des outils de communication mis à leur disposition : de simples apprenants, ils sont devenus des acteurs, conscients de leurs nouveau pouvoir en tant que consommateurs d’une offre de formation marchande et n’hésitent pas à exiger un service pédagogique de qualité.

Contexte de l’étude

Le dispositif de formation à distance étudié ici est celui exploité par l’Université de Picardie Jules Verne (UPJV) depuis 1995. Il se compose de contenus en ligne et de services pédagogiques dont le tutorat constitue la majeure partie. Ce dispositif compte une dizaine de formations diplômantes pour environ 900 apprenants dispersés géographiquement en France et dans certains pays francophones. Ces apprenants sont des adultes en reprises d’études, salariés pour 92 % d’inscrits. Le coût de la formation varie entre 3500 € et 6000 €. Il est à la charge complète de l’apprenant dont environ 76% règlent eux-mêmes la facture de leur formation.
L’étude concerne directement le master « Système d’information multimédia et Internet », une formation entièrement à distance qui regroupe environ 130 étudiants. Cette formation se décompose en une dizaine de modules gérés par 11 tuteurs.
L’étude s’intéresse ici aux traces écrites laissées par les apprenants dans les forums de discussion de la plate-forme INES. La participation des apprenants dans ces espaces de communication reste libre et sans aucune contrainte d’entrée ou de sortie. Les apprenants peuvent s’exprimer librement sans que les échanges soient situés dans une activité définie par les tuteurs. D’ailleurs, les interventions de ces derniers sont plutôt rares. C’est cette forme de liberté d’expression qui nous intéresse en tant que chercheur. Interrogés sur l’utilité de ce type de forum (libre), les responsables affichent clairement le souhait de créer une dialectique entre des savoirs formels construits à travers les cours, les activités, le tutorat et des savoirs informels qui peuvent se créer dans les discussions et les échanges libres entre apprenants. Ces forums nous semblent s’inscrire donc dans une démarche déguisée cherchant à alléger la charge importante de suivi et d’accompagnement et permettre ainsi de faire des économies budgétaires via le recours à un tutorat entre paires.

Méthodologie : analyse de contenus

Pour éclairer les enjeux du collectif et objectiver le sens qu’ils donnent à leurs interactions, nous avons analysé les échanges en ligne à travers les messages déposés par les apprenants dans les forums pendant une durée de trois ans. Celle-ci correspond à la durée effective d’une formation à distance dans le dispositif de l’UPJV. Le corpus (messages) couvre un cycle de formation complet pour un groupe assez stable d’apprenants. 524 composés de question-réponse messages ont été déposés sur l’ensemble des forums de discussion de la formation étudiée. Ces messages ont été écrits par 72 apprenants différents dont 54 ont lancé des fils de discussion. Outre le message en lui-même (le contenu), chaque post comporte le nom, le prénom, la photo et l’adresse électronique de l’intervenant ainsi que le sujet, la date et l’heure d’émission du message. Toutes les réponses sont précédées d’une abréviation (RE) et se placent automatiquement en dessous d’une question constituant, dès lors, l’origine d’un fils de discussion. Le corpus a fait l’objet d’une analyse d’interactions basée sur une approche qualitative permettant  de saisir les messages postés sur les forums et d’analyser leurs contenus.
Au cours de la dernière décennie les recherches ayant le forum pour objet d’étude tentent de savoir si les forums permettent effectivement la construction collaborative des connaissances. Dans une vision essentiellement socio-constructiviste, l’apprentissage devrait s’y manifester par la qualité tant des processus mis en œuvre que des productions générées (Peraya, 2005). Des stratégies d’analyse adaptées à cette vision sont employées pour observer l’externalisation des processus sociaux, cognitifs et métacognitifs mis en œuvre par les participants des forums (Henri et Charlier, 2005). Les méthodes utilisées puisent dans diverses approches disciplinaires linguistique, psychologie, pédagogie, communication, ethnographie, sociologie. L’analyse de contenu est fréquemment utilisée pour décrypter la dynamique des forums. La définition de critères de qualité de la recherche sur l’analyse des forums a toujours fait l’objet de discussions au sein de la communauté scientifique (Le Symposium Symfonic que nous avons organisé à Amiens en janvier 2005, a tenté de faire le point sur les questions posées par un ensemble spécifique de forums, sur leurs dynamiques, modes d’étude et d’analyse. Comme en témoigne l’ensemble de contributions en ligne : http://www.dep.u-picardie.fr/sidir/articles/index.php). Les techniques de transcription, d’annotation et de codage semblent préoccuper les chercheurs intéressés à développer des méthodes éprouvées pour l’analyse du contenu des interactions médiatisées (Henri et al. 2006 ; Bruillard, 2004). Selon ces auteurs, l’analyse de contenu est une véritable méthode de recherche qui englobe l’élaboration d’hypothèses et l’interprétation des résultats. Toutefois, elle doit respecter toutes les qualités requises en tant qu’outil de recherche : la validité, l’objectivité, la fidélité et la discrimination, ainsi que les critères gouvernant l’opérationnalisation de ces variables, la validité externe et la généralisation.
La création des catégories d’analyse est cruciale dans l’opérationnalisation de la question de recherche. L’Ecuyer (1990) décrit trois modèles de construction d’une grille pour une analyse de contenu par catégories :

    • Le modèle A ou ouvert dans lequel les catégories sont identifiées à partir des données elles-mêmes, donc sans être définies au départ. Ce modèle est utile pour les recherches dites exploratoires où un nouveau domaine de recherche est à découvrir au travers des données.
    • Le modèle B ou fermé dans lequel les catégories sont prédéterminées par le chercheur au départ de l’analyse. Les catégories sont alors immuables. Ce modèle peut être utile lorsque le chercheur a des hypothèses précises au début de l’étude et cherche à les infirmer ou les confirmer.
    • Le modèle C ou mixte où des catégories prédéfinies servent de guide à l’analyse, mais où le chercheur, en fonction du sens des données, reformule certaines catégories, en regroupe, en supprime ou en ajoute.

Nous avons situé l’analyse des contenus des forums de discussion selon le modèle B où les catégories sont construites selon les hypothèses cités plus haut. Quatre étapes jalonnent cette analyse :

  • La constitution d’un corpus de messages issus de trois années de communication en ligne.
  • La création d’une grille d’analyse (tableau 1) qui tient compte à la fois des aspects pédagogiques et sociaux et du contexte institutionnel dans lequel évolue le dispositif FOAD.
  • La formation à l’usage de la grille par trois codeurs.
  • Le codage qui comporte des procédures de vérification de la validité et de la fidélité de l’analyse.

Fondée sur la méthode dite coding & counting, notre analyse des contenus consiste en/à la lecture complète de 524 messages déposés pendant les 3 années de formation. Pour s’assurer que les catégories d’analyse respectent les critères du « bon » codage des contenus, nous avons procédé systématiquement au contrôle par la mesure de la fidélité inter-juges. Autrement dit, la lecture des messages est réalisée indépendamment par trois personnes utilisant les mêmes procédures de codage. Le calcul du Kappa de Fleiss (1981) nous a permis d’en vérifier le taux de fiabilité. Si le niveau d’accord est insuffisant, les codeurs discutent à partir de cas de désaccords, précisent la procédure et refont le travail séparément jusqu’à obtenir un Kappa proche de 0,8 jugé satisfaisant (5). L’objectif principal de cette méthode est de baliser de façon rigoureuse le codage des messages et de déterminer le type d’interaction et l’objet de la communication qui se manifestent dans les échanges en ligne.

Tableau 1 : Définition des catégories et des types d’interactions

Catégories
Type d’interaction
Objets de la communication
G1
Entraide
Echanges de ressources ou d’information
Expression d’un besoin d’aide
Conseils, aide et encouragements
Argumentation, explication, coconstruction de savoirs
G2
Critiques et revendications
Service pédagogique : tutorat, cours, devoirs,…
Service administrative : fonctionnement, organisation du dispositif de FOAD
Service technique : plate-forme, serveurs, …
G3
Interinfluence et jeux de pouvoir
Conflits, domination, confusion
Négociation, accord, consensus, …

Enfin, il convient de préciser que lorsqu’un message portait sur une ou plusieurs catégories, notre pratique consistait à coder chaque partie du message individuellement, ce qui a permis de mieux rendre compte des différentes interactions qu’on pouvait trouver dans une même intervention. Cette analyse exploratoire est utile pour cerner l’espace conceptuel des échanges, d’en appréhender les dimensions épistémiques, argumentatives et revendicatrices et de pointer un certain nombre d’effets spécifiques concernant la dimension sociale des interactions au sein du forum.

Le collectif comme lieu d’entraide

La figure 1 reclasse d’une façon chronologique les échanges entre apprenants sur  un cycle complet de formation allant de juin 2003 à juin 2006. Le flux d’échange donne un premier éclairage sur le cycle de vie du collectif d’apprenants dans le dispositif de Foad analysé ici.

Figure 1 : flux des messages sur les forums de discussion (2003-2006)

En fonction de « l’intensité » des échanges, le cycle de vie est composé essentiellement de deux phases principales : la phase 1 (AB), la phase 2 (BC). Le point C correspond pratiquement à la fin de la formation. Le tableau 3 résume le résultat de l’analyse de contenu des messages postés sur les forums de discussion et la distribution des échanges selon le cycle de vie du collectif.

Tableau 2 : Catégorisation et répartition des interactions

Type d’interaction
% d’échange
Le flux de message
Entraide
54 %
67 % d’échange se situent dans la phase AB  et 33 % dans la phase BC.
Critiques et revendications
38 %
L’ensemble des échanges se situe uniquement dans la phase BC.
Interinfluence
18 %
De même, les échanges se situent uniquement dans la phase BC

La plupart des messages postés (44 %) s’inscrit dans une activité de communication qui relève d’entraide entre pairs. Les interactions concernent des échanges d’informations, de ressources (documents, logiciels,…) ou des demandes d’assistance qui peuvent prendre des formes variées : aide technique, conseil, encouragement, etc. Même si les échanges s’inscrivent dans des processus de prise de conscience de l’existence d’un collectif et de sa potentialité d’agir, ils restent essentiellement centrer sur des préoccupations personnelles dans une orientation « vers soi » avec des formulations récurrentes de type « quelqu’un peut-il m’{aider/indiquer/monter} ? ». Le tableau 3 résume les proportions et les différents types d’interaction qui cadrent cette première activité communicationnelle entre apprenants.

Tableau 3 : Proportions et type d’interaction dans la catégorie « entraide »

 

Type d’interaction

Objets de la communication

% échange G1

44 %
d’échange global

Entraide

Echanges de ressources ou d’information

32

Expression d’un besoin d’aide

24

Conseils, aide et encouragements

36

Argumentation, confrontation, coconstruction de savoirs

08

Kappa de Cohen = 0, 82

L’entraide s’installe dans les forums dès les premiers mois de la formation avec des échanges qui évoluent très progressivement pour prendre une dimension discursive relativement importante au milieu du cycle de la formation. Le désir de s’engager et de créer un lien social conduit les apprenants à ne pas rester de simples utilisateurs d’informations et de connaissances mais aussi à devenir créateurs ou producteurs d’une activité de communication permanente. Néanmoins, chaque apprenant a une situation singulière, c’est-à-dire un point de vue personnel sur une information, une ressource, un conseil, mais cette singularité qui se révèle dans les échanges ne conduit pas à des formes plus évoluées de l’interaction communicationnelle. L’entraide participe effectivement à de simples questions-réponses qui ne valorisent pas la négociation du sens et l’argumentation des avis ; ce type d’interaction ne dépasse pas 8 % des échanges ce qui rend problématique l’idée de l’apprentissage dans ce type de forums de discussion. Pour Baker (1999) et Dillenbourg et al. (2003), seuls les confrontations et les échanges argumentatifs sont particulièrement propices à la co-élaboration de nouvelles connaissances. Contrairement au cas des forums de discussion insérés directement dans des scénarios pédagogiques que nous avons eu l’occasion d’étudier (Sidir, 2004 ; 2006), la participation dans les forums libres, sans assistance de l’enseignant, reste certes, dans le cas étudié ici pendant plus d’un an et demi de formation, un lieu de rencontre favorable à l’entraide mais peu propice à une véritable co-construction de connaissances. Les apprenants semblent avant tout chercher à créer des liens et réduire ainsi la distance. Les forums deviennent des espaces de rencontre (6) comme c’est le cas des pauses café, des rencontres dans les couloirs, des travaux dirigés et des travaux pratiques qui jouent un rôle important dans la sociabilité des apprenants en formations présentielles.
L’activité du collectif d’apprenants ne peut pas être associée à de la communauté de pratiques, comme c’est souvent le cas dans la littérature. Cette communauté réunit des employés d’une même organisation ou de plusieurs organisations qui collaborent en dehors des cadres établis par l’organisation. La communauté de pratique ne constitue pas un but en soi, mais elle est le résultat d’un engagement des individus dans la culture reliée à une pratique professionnelle donnée. Dans une optique semblable, la communauté de pratique représente pour l’individu un moyen de s’engager dans la définition sociale ou professionnelle de son métier, de renforcer son identité professionnelle, d’enrichir et d’améliorer sa pratique quotidienne tout en contribuant à la pratique de sa communauté. Pour les praticiens d’un métier ou d’une profession, s’engager dans une communauté de pratiques est un moyen d’expliciter la pratique, de l’améliorer et même de la transformer ; un moyen d’innover et de se former tout au long de sa vie professionnelle (Wenger, 1998). L’activité communicationnelle des apprenants, ici, n’est pas inscrite dans une pratique particulière. Elle a besoin d’être cadrée par des objectifs pédagogiques définis par les enseignants (ou tuteurs) pour prétendre soutenir des apprentissages individuels dans un cadre collectif.

Le collectif comme instrument de régulation

Les échanges analysés dans cette section sont essentiellement situés dans la phase BC (figure 1). En empruntant la métaphore utilisée par Anis (1999) pour caractériser les listes de diffusion, deux types d’usage de forums se révèlent dans l’analyse de contenu : le premier est vertical, informationnel. Il s’inscrit dans la continuité des processus d’entraide initiés dans la première phase AB. Le deuxième est horizontal  L’interaction entre apprenants y prend une forme plus importante au sens où l’apport d’informations circulant entre les membres s’inscrit dans des échanges réflexifs dépassant souvent les simples demandes d’aide personnelles. Ils se centrent en partie sur les critiques du fonctionnement de dispositif de formation à distance et sur des formes de revendication d’une qualité de service pédagogique et d’organisation de leur formation.

Le tableau 4 résume les proportions et les différents types d’interaction qui cadrent cette deuxième activité communicationnelle émergente dans les forums de discussion du dispositif étudié.

Tableau 4 : Proportions et type d’interaction dans la catégorie G2

Type d’interaction
Objets de la communication
% échange G2
Critiques et revendications
Service pédagogique : tutorat, cours, devoirs,…
68 %
Service administratif : fonctionnement, organisation du dispositif de FOAD
17 %
Service technique : plate-forme, serveurs,
15 %

Kappa de Cohen = 0, 84

L’intérêt des responsables des formations à distance dans la mise en place des forums libres dans le dispositif de l’université d’Amiens est de créer une dynamique entre apprenants ; une forme  d’instrumentalisation du collectif qui cherche à déléguer aux apprenants une partie du tutorat et faire ainsi des économies en termes de suivi et d’accompagnement pédagogique qui semblent peser sur le budget de fonctionnement de ce dispositif de formation (Sidir, 2008). Toutefois, cette instrumentalisation institutionnelle sera rattrapée par une dynamique collective d’apprenants qui instrumenteront à leur manière leur propre collectif pour l’inscrire dans les revendications et les débats qui témoignent de la formation sociale d’une forme d’autonomie du collectif. Ce constat nous rappelle les propos de Durkheim (1893/1978) qui pointent les limites de l’instrumentalisation institutionnelle. En critiquant le modèle de la société inspirée par la théorie de l’homoeconomicus, l’auteur note que ce n’est pas en exigeant des individus qu’ils coopèrent ni en les dotant de dispositifs spécialisés que l’on peut produire des résultats à la demande. Au contraire, l’autonomie du collectif replace même le forum éducatif dans une dimension horizontale de discussion le conduisant vers un autre statut, celui d’outil de débat, de contrôle et de régulation de la formation.
La dynamique engendrée dans ces forums porte essentiellement sur des sujets sensibles liés aux fonctionnements du dispositif de formation à distance concernant, notamment, des questions de mise à jour de cours et du manque d’un tutorat suffisant. Les échanges prennent donc une forme spécifique orientée vers la quête de la qualité de service rendu et débouchent sur un processus réflexif de conscientisation collective permettant aux apprenants de ne plus se considérer comme de simples étudiants mais comme des acteurs cherchant à modifier leur environnement et non pas à se laisser déterminer par lui ; ce que corroborent les messages extraits des forums de discussion analysés ici :

Message acheminé le 14/09/04
Bonjour à tous, […]  Nous avons payé au prix cher la formation alors exiger des cours de qualité et du tutorat supplémentaire n’est pas un luxe c’est une nécessité […]

Message acheminé le 16/09/04

Bonjour, j’avais déjà contacté monsieur XX mais je suis toujours sans réponse. C’est désespérant. J’essaie de rester positive mais en tant que cliente, j’ai des raisons de ne pas être satisfaite.

La quête d’efficacité et la gestion de la qualité de la formation à distance deviennent un projet collectif autour duquel se structure une partie des échanges. Malgré l’individualisation qui s’exprime dans le concept même du dispositif Foad et plus particulièrement dans celui étudié ici (dans le dispositif de Foad en question ici, les apprenants sont dispersés géographiquement en France et à l’étranger. Les examens ont lieu dans des centres relais, partenaires de service de la Foad de l’université de Picardie. Les rencontres physiques sont donc rares), le besoin de coopérer semble nécessaire et la relation entre apprenants se singularise par rapport aux modes habituels d’échanges cadrés par l’aide et l’assistance informationnelle. Le projet devient donc un véritable point de rencontre, le lieu d’une solidarité et d’une sociabilité réelle dans un contexte virtuel. Il permet une relecture des mutations du rapport entre l’apprenant et son dispositif de formation et donc entre l’apprenant et l’institution. Ce nouveau rapport s’exprime dans des liens librement consentis, offrant la possibilité de produire une action communément partagée à partir d’implications volontaires émanant d’apprenants acteurs attachés à leur autonomie.

Conclusion

Se donner comme objet d’étudier l’action collective des apprenants en formation à distance sous l’angle de la régulation de la formation, c’est affirmer une posture théorique en rupture avec une vision dominante d’un dispositif construit dans l’idée de la formation et de l’apprentissage en réseau.
Le travail mené ici a tenté de théoriser les points forts qui émergent des analyses des forums de discussion attachés au dispositif de formation à distance. L’éclairage fournit par ces analyses a permis de restituer l’action collective, à la fois dans le rapport entre l’individu et le collectif et dans l’articulation entre le collectif et les usages des Tic. Ensuite, il nous a conduit à questionner la notion de la régulation en éducation en adoptant un modèle conceptuel qui a cherché à restituer une place à la régulation de l’action collective par rapport à celle dérivant de la dynamique économique et institutionnelle qui s’attache aux dispositifs de formation à distance universitaire (Pour plus d’information lire les travaux de l’ERTe (Equipe de recherche Technologique éducation) « Modèles économiques et enjeux organisationnels des campus numériques»,  http://www.mshparisnord.org/ [Août 2005]). Ce modèle a été confronté à des données issues d’un dispositif de formation à distance universitaire opérationnel depuis une dizaine d’années et a permis de découvrir, à travers l’analyse des échanges dans les forums de discussion, les lignes de force qui se tissent dans l’affrontement de deux logiques.  D’un côté, une logique de formation présentée comme le modèle par excellence de l’individualisation, de la modernisation de l’enseignement supérieur et de la marchandisation de celui-ci ; de l’autre, une logique d’action collective attentive au respect de la qualité de service rendu aux apprenants et soucieuse de marquer une rupture avec le pouvoir institutionnel dominant. Ces affrontements posent la question de la posture de l’apprenant dans un dispositif universitaire et marchand, présenté ici par la formation à distance. Les échanges montrent en effet le glissement du statut de l’apprenant à celui d’acteur capable d’adapter l’environnement de sa formation à ses propres besoins.
Sans inférer de manière trop généralisante à partir de données somme toute limitées et locales, nous pouvons nous demander toutefois si cet affrontement, ne reflète pas le début d’une mutation socioculturelle dans le rapport entre l’apprenant et son dispositif de formation.  D’une manière encore plus générale, une éducation qui se plie à des impératifs politiques, industriels et économiques (comme c’est ici le cas du dispositif de formation à distance) ne risque-t-elle pas de perdre ses valeurs démocratiques construites autour d’un bien public culturellement considéré comme un droit au service des citoyens ? Tels sont sommairement les principaux résultats et interrogations étayés dans ce chapitre. Toutefois, redisons-le, cette étude appelle à la modestie car nous sommes conscient du caractère restreint de l’approche par le collectif ; source d’un certain nombre de paramètres difficiles encore à maîtriser. Notre objectif était d’élaborer un modèle nous permettant d’approcher le terrain de l’enseignement supérieur, dans une forme distantielle, en tant qu’elle reflète une certaine réalité des mutations en cours dans les universités à l’ère du numérique.

Comme tout modèle, celui-ci a une valeur heuristique, dans la mesure où il est destiné à évoluer en fonction des situations dans lesquelles il sera mis à l’épreuve pour être confirmé ou infirmé dans ses différentes composantes.

Notes

(1) M. Papadakis (2003) fait une synthèse assez détaillée sur la relation entre la communication en ligne et la communication en face à face : People Can Create a Sense of Community in Cyberspace, SRI, International, Arlington, VA (USA), disponible en ligne :
www.sri.com/policy/csted/reports/sandt/it/Papadakis_IT_virtual_communities_issue_brief.pdf
D’autres études montrent que l’écriture électronique pourrait de rapprocher des échanges oraux par la forme et la style, elle permet également des pratiques de reformulation et de contextualisations propres au registre oral (Flichy, 1999).

(2) C’est le cas par exemple des collectifs en ligne de soutien, constitués de personnes souffrant d’une maladie parfois mortelle (Saint Laurent-Kogan (de), Metzger, 2007).

(3) Le concept d’affordance a été inventé par le psychologue de la perception Gibson (1977) pour désigner les propriétés actionnables entre le monde et un individu. Pour Gibson, les affordances sont des relations qui existent naturellement et n’ont pas donc à être visibles, connues, ou souhaitées.

(4) En France, la concurrence des établissements universitaires est peu perceptible. Néanmoins, elle est bien présente dans les dispositifs de Foad où des formations spécialisées presque identiques sont proposées par plusieurs universités sur le marché de la formation. A titre d’exemple, le Master M1 « économie et gestion » de l’Université de Picardie Jules Verne (UPJV) a été mis en ligne en 1998. Il a eu un grand succès jusqu’en 2002. A cette date, le nombre d’inscrits a subi une baisse considérable (plus de 45 %  de 2002 à 2004). L’année 2002 correspond à la mise sur le marché de la formation du campus Canège qui présente une formation presque identique. L’offre de Foad de l’UPJV a été revisitée et une forte compagne publicitaire dans les journaux spécialisés, conjuguée à la baisse de prix de ce master, ont permis d’augmenter le nombre d’inscrits d’environ 30 % en deux années (2005 et 2006). Ce constat révèle la dimension marchande de l’offre et confirme l’hypothèse d’une concurrence naissante entre les établissements. Toutefois, cette hypothèse mérite d’être confortée par davantage d’analyses empiriques.

(5) Le Kappa de Fleiss est dérivé du Kappa de Cohen (1960). Il  permet de chiffrer l’accord entre deux ou plusieurs observateurs lorsque les jugements sont qualitatifs. Kappa de Fleiss : Très mauvais : <0,0 ; mauvais : 0,20 – 0,0 ;  médiocre : 0,40 – 0,21, modéré : 0,60 – 0,41 ; bon : 0,80 – 0,61 ; excellent : au dessus de 0,8.

(6) L’entraide n’est pas un phénomène réservé au dispositif de FOAD étudié ici. Elle a été mise en évidence dans d’autres contextes éducatifs et dans d’autres travaux (; Henri et al., 2007 ; Laferrière, 2006 , Audran et Daele, 2007 ; Foucault et al., 2002 ).

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Auteur

Mohamed Sidir

.: Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Picardie Jules Verne. Il s’intéresse aux communications instrumentées et aux questions de l’industrialisation de la formation. Mohamed Sidir est animateur de l’équipe « Communication, Education et TIC » (Cometic) au Centre Universitaire de Recherches sur l’Action Publique et Politique (CURAPP), UMR 6054 CNRS.