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La question de la compétence communicationnelle dans les processus de virtualisation de l’enseignement supérieur

13 Fév, 2009

Résumé

Nous chercherons dans cette intervention d’abord à préciser un certain nombre d’expressions utilisées tant dans les production scientifiques que dans lors des développements et déploiements de Tice qui nous semblent devoir être relues aujourd’hui dans un contexte de généralisation de la médiation technique et de l’accès aux outils numériques. Il ne s’agit pas d’une remise en cause de ces termes que sont « à distance « , « virtualisation  » ou encore « tuteur  » et même « plate-forme  » mais d’une volonté de les expliciter à la lumière des cas étudiés dans notre ERTé Carm@-e.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Paquienséguy Françoise, « La question de la compétence communicationnelle dans les processus de virtualisation de l’enseignement supérieur« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°09/2, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2008/supplement-a/11-la-question-de-la-competence-communicationnelle-dans-les-processus-de-virtualisation-de-lenseignement-superieur

Introduction

Nous chercherons dans cette intervention d’abord à préciser un certain nombre d’expressions utilisées tant dans les productions scientifiques que dans lors des développements et déploiements de Tice qui nous semblent devoir être relues aujourd’hui dans un contexte de généralisation de la médiation technique et de l’accès aux outils numériques. Il ne s’agit pas d’une remise en cause de ces termes que sont « à distance « , « virtualisation  » ou encore « tuteur  » et même « plate-forme  » mais d’une volonté de les expliciter à la lumière des cas étudiés dans notre ERTé Carm@-e. En effet, analyser en réception, comme nous cherchons à la dans cette ERTé, l’enseignement supérieur via les Tice nous conduit à mettre en avant ces quatre aspects fondamentaux que sont le contexte, au vrai sens du terme (sur ce point primordial se reporter à l’analyse l’intervention de Françoise Thibault, Politiques publiques et TICE : ne circuler pas, il y a à voir ), le changement de paradigme total, la transformation des métiers et les questions de médiation. Cette façon de procéder permet donc de cerner par différentes entrées (institutionnelles, socio-techniques,  et organisationnelles) les compétences communicationnelles requises et intégrées par les plates-formes en situation virtuelle d’apprentissage. Notre objectif de travail étant d’essayer de mieux cerner les compétences communicationnelles, les processus de médiation et les aspects sociaux s’intégrant  -ou intégrés – dans ces outils. Intégration qui semble à la fois conduire à une évolution des métiers et à la constitution d’une véritable compétence communicationnelle autour des plates-formes qui matérialisent la virtualisation de l’apprentissage.
Cette présentation est un état d’avancement intermédiaire, qui doit être discuté, du travail  que nous faisons avec notre collègue Maria Elena Chan-Nuñez de l’Université Virtuelle de Guadalajara  (UDG Virtual) dans l’ERTé.

De quoi parle-t-on exactement ?

La question de départ paraît à la fois évidente et simple : comment apprend-on à distance ? Bien sûr, de nombreux travaux scientifiques l’ont prise à bras le corps comme le montre les ressources disponibles via Tématice, Educnet ou encore Thot, pour ne citer qu’eux. Les réponses évoluent depuis celles du Collectif de Chasseneuil (2001), d’ailleurs critiqué, à celles apportées plus récemment par Elisabeth Fichez et Alexandra Bal (Fichez & Bal, 2007)  mais la question reste pertinente. Comment apprendre à distance ? Ou plutôt apprendre via des plates-formes ou des dispositifs d’éducation à  distance ?

Nous ne chercherons pas ici à savoir ce que c’est qu’apprendre ; certains l’ont fait et nous nous réfèrerions ici volontiers aux travaux issus des Sciences de l’Education, tout particulièrement ceux conduits par Geneviève Jacquinot-Delaunay  ou  Françoise Cros, mais aussi à ceux de la linguiste Monique Linard, d’autres y réfléchissent encore car la question de l’apprentissage reprend force avec l’introduction des Technologies de l’information et de la communication (Papadoudi, 2000, Perez Fragoso, 2006, Neuhauser 2007), mais nous souhaitons par contre délimiter ce qu’est le « à distance « , lorsqu’il s’agit des Tic éducatives. En effet, il faut préciser ce contexte finalement très particulier et souvent trop vite exposé dans la plupart des études qui s’y rapportent. Il faut d’abord différencier le « à distance  » du campus ou de l’école, du « on-line « . Le premier fait référence à un espace géographique dont l’étudiant est distant, l’autre aux modalités, ici une parmi tant d’autres, qu’il utilise pour suivre son cours. L’analyse ne peut les considérer dans le même registre, apprendre loin n’est pas apprendre en travaillant directement avec l’ordinateur. Notre étude est centrée sur l’enseignement à distance (EAD) qui sera donc l’entrée travaillée. Il se trouve que certains dispositifs d’EAD recourent aux cours en ligne mais ils ne sont alors qu’une modalité d’enseignement dont nous tiendrons compte certes, mais sans plus.

A Distance

Plusieurs définitions viennent très vite, de sources variées. Nous pourrions citer par exemple celle du Ministère de l’éducation nationale, formulée en 1971, une des premières sans doute : « L’enseignement à distance est un enseignement suivi sans présence d’enseignant  » ; mais elle obligerait aujourd’hui à redéfinir la notion de présence distante ou d’absence physique.  Otto Peters à la même époque, Pierre Mœglin plus tard (2005) l’ont travaillé différemment considérant que l’enseignement à distance est une forme industrialisée d’enseignement :

 » C’est une forme de communication de connaissances et de compétences rationalisée par la division du travail, une organisation systématique et l’utilisation des technologies de la communication, en particulier la reproduction pédagogique de grande qualité et permettant d’enseigner de nombreux étudiants où qu’ils soient « . (Peters, 1973).

Nous pourrions aussi nous appuyer sur les définitions synthétiques, d’abord celle de Desmond Keegan, fondée sur l’expérience de l’Open University britannique, qui elle se base sur six caractéristiques fondamentales à vérifier avant de parler d’EAD, à savoir : la séparation de l’enseignant et de l’apprenant, le rôle de l’institution enseignante dans le planning et dans la préparation du matériel pédagogique, l’utilisation de technologies et médias, l’interaction entre enseignants et apprenants, la possibilité de sessions occasionnelles en tête-à-tête, une forme plus industrielle de l’enseignement. (Keegan, 1996). Ensuite, celle de Michael Graham Moore qui valorise la place des Tic « L’enseignement à distance est l’ensemble des dispositifs fournissant une instruction par communication d’imprimés ou d’information électronique à des personnes engagées dans un apprentissage planifié à un lieu ou un moment différent de ceux auxquels interviennent les instructeurs  » (1990) ce qui lui permettra ensuite de traiter les effets du dialogue et de la structure d’aide sur l’apprentissage à distance (1996).
Peu à peu se construisent les constantes « …la distance comme fondement d’une relation pédagogique particulière, opposée au présentiel de la relation pédagogique habituelle (…).
– une distance spatiale, puisqu’on ne se rend pas jusqu’à un centre de formation.
– une distance temporelle, dans la mesure ou en autoformation comme en EAD, on fixe soi-même le moment et le rythme de sa formation  »
(Jacquinot, 1996, p. 56-57).
Pour finir dans un registre plus normatif, évoquons en deux. Celle de la Délégation Générale à l’Emploi et à la Formation Professionnelle dans sa circulaire du 20 juillet 2001 : « Une formation ouverte et/ou à distance, est un dispositif souple de formation organisé en fonction de besoins individuels ou collectifs (individus, entreprises, territoires). Elle comporte des apprentissages individualisés et l’accès à des ressources et compétences locales ou à distance. Elle n’est pas exécutée nécessairement sous le contrôle permanent d’un formateur. « .
Celle de l’Afnor «  »C’est un système de formation conçu pour permettre à des individus de se former sans se déplacer sur le lieu de la formation et sans la présence physique d’un formateur. La formation à distance recouvre plusieurs modalités (cours par correspondance, e-learning) et est incluse dans le concept plus général de formation ouverte et à distance« .
En résumé, les définitions s’accordent sur au moins deux points : le « à distance  » signifie qu’il y a une séparation spatio et/ou temporelle institutionnelle des apprenants et des enseignants  et que l’institution pédagogique recourt alors à des dispositifs techniques variés et évolutifs pour dispenser ses enseignements. La brèche entre les deux publics n’est pas une conséquence mais le résultat d’une volonté institutionnelle. Mais concrètement, pour l’étudiant comme pour l’enseignant, l’enseignement à distance correspond aussi à différentes situations dans notre étude ce qui nous oblige à affiner la définition, au cas par cas. La constante en serait bien sûr, l’absence d’un contexte matériel et physique d’institution éducative ou de ses bénéficiaires, mais elle ne peut être que partielle, liée à une seule unité d’enseignement par exemple. Les scénarios proposés par Competice, à savoir  présentiel, enrichi, amélioré, allégé, réduit, quasi-inexistant (Compétice : http://www.educnet.education.fr/bd/competice/superieur/competice/libre/index.php#) ont sans doute été les premiers à graduer ces variations entre le présentiel complet et « quasi inexistant  » mais nous devons aujourd’hui les adapter également à notre étude en cours. En effet, au Mexique, la distance est plus que géographique, elle prend une épaisseur culturelle non négligeable.
Pour l’UDG Virtual dont nous avons étudié, dans le cadre de l’ERTé CARM@-e , deux formations proposées à distance, ce en collaboration avec Maria Elena Chan Nuñez, (UDG V) et Carmen Perez Fragoso (UABC), nous trouvons pour plusieurs diplômes équivalents à une formation pour adultes en France, des étudiants qui n’ont jamais fréquenté d’établissement d’enseignement supérieur puisqu’ils ont dû interrompre leurs études après le baccalauréat, souvent obtenu dans des instituts privés de taille réduite. Ils ne connaissent pas l’Université, qui, pour eux, est contenue dans la plate-forme qu’ils utilisent ; toutes les références et repères qu’ils vont se forger reposeront sur cette seule expérience « virtuelle  » puisqu’ils n’en ont pas de connaissance antérieure et ne peuvent espérer s’y rendre pendant leurs études pour des raisons de distance géographique, de temps et de coût. Si cela n’est pas inédit avec l’EAD numérique il faut tout de même déjà dire ici que cette situation commence également à se rencontrer du côté des enseignants, certains assesseurs virtuels de l’UDG Virtual n’ont jamais fait de cours en présentiel et donc n’ont jamais fonctionné à l’intérieur d’une université en tant qu’enseignant, leur expérience se limitant à celles de leurs études. Nous faudra-t-il bientôt élargir la notion de « digitals natives  » (Prensky, 2001) aux enseignants ? C’est une question que nous envisagerons dans la suite de notre étude.
Donc « à distance  » de quoi ? Bien sûr d’un lieu, d’un espace, donc les constructions traduisent des codes, des valeurs, des habitudes, des rapports de force, des gens qui le fréquentent et de leurs modalités d’actions, mais aussi d’une culture et d’une ambiance universitaire. Le monde réel de l’Université, qui nous est si familier, n’est parfois pour certains qu’un monde « imaginé  » virtuel, au sens auquel nous l’entendons quand il s’agit de jeux vidéo ou d’univers imaginaires. C’est ainsi que nous devons comprendre une partie de la virtualisation de l’apprentissage car le contexte du « à distance  » est donc parfois bien plus lourd qu’il n’y paraît. Ces étudiants, comme certains enseignants ou tuteurs, se retrouvent  « à distance  » de différentes façons. « A distance  » de l’université, de son ambiance et de ses repères ; des outils traditionnels d’enseignement qu’elle utilise (Mœglin, 2004) comme l’amphithéâtre, la salle de TD ou la bibliothèque qui deviennent alors des espaces particuliers de la plate-forme ; des cursus réguliers suivant la semestrialisation ; de leurs professeurs et de leurs camarades. L’existence par exemple d’un forum généraliste nommé « la récré  » montre bien que la référence est faite ici à ce qui est connu par les apprenants (l’école primaire et secondaire) et non pas aux habitudes universitaires effectives.
La plate-forme représente, formalise cet ensemble, elle en est la matérialisation sous forme de pages-écrans, de menus, de fonctions…qui n’ont de réalité que celles des machines qui les hébergent. Nous serions donc tentée de parler de représentation, de matérialisation virtuelle voir même de virtualisation bien sûr.

Virtualisation

Véritablement, le terme « virtualisation  » se rapporte à l’ensemble des techniques et logiciels informatiques qui permettent à une seule machine d’héberger plusieurs systèmes d’exploitation ou plusieurs applications comme s’il s’agissait de différentes machines physiques. Mais, pris dans le mouvement général de virtualisation nous l’employons au sens de Pierre Lévy qui n’oppose par le virtuel au réel mais à l’actuel.   « Le mot virtuel vient du latin médiéval virtualis, lui-même issu de virtus, force, puissance. Dans la philosophie scolastique, est virtuel ce qui existe en puissance et non en acte. Le virtuel tend à s’actualiser, sans être passé cependant à la concrétisation effective ou formelle. L’arbre est virtuellement présent dans la graine.  » (Lévy, 1995b). Ainsi de l’apprentissage qui est enfermé (contenus et ressources pédagogiques, éléments de didactique, outils et fonctionnalités de travail en environnement numérique) dans la plate-forme qui matérialise des possibles que  seul l’apprenant pourra « actualiser « .   » Le virtuel  est comme le complexe problématique, le noeud de tendances ou de forces qui accompagne une situation, un événement, un objet ou n’importe quelle entité et qui appelle un processus de résolution : l’actualisation. Ce complexe problématique appartient à l’entité considérée et en constitue même une des dimensions majeures  » (Lévy, 1995b)

La plate-forme est la partie émergée de l’entité que définit Pierre Lévy.  D’autres, principalement des opérateurs de téléphonie mobile, parlent d’ »écosystème mobile  » comprenant  alors le portail Internet et les offres, contenus et services accessibles depuis le téléphone lui-même, plus industriels que philosophes parlent « d’écosystème  » puisqu’il s’agit finalement d’un ensemble cohérent composé d’acteurs variés et de composants technologiques. Chacun doit y tenir son rôle pour que l’équilibre, l’actualisation soient atteints et maintenus. Ainsi, la plate-forme contient sa virtualisation via des ressources, des stocks, d’accès qui facilitent à l’apprenant comme à l’enseignant le travail d’actualisation.

« L’actualisation apparaît alors comme la solution d’un problème, une solution qui n’était pas contenue à l’avance dans l’énoncé. L’actualisation est création, invention d’une forme à partir d’une configuration dynamique de forces et de finalités. Il s’y passe autre chose que la dotation de réalité à un possible ou qu’un choix parmi un ensemble prédéterminé : une production de qualités nouvelles, une transformation des idées, un véritable devenir qui alimente le virtuel en retour «  (Lévy, 1995b).

L’assesseur virtuel – qui, par rapport à ce que nous avons écrit, ne l’est pas  – fonctionne comme un guide, un aide et un soutien, il sert de « coach  » d’entraîneur pour conduire l’apprenant à produire, à créer, à engendrer l’actualisation qui viendra concrétiser l’apprentissage.  De fait,  il n’est plus seulement un tuteur nous semble-t-il. Principalement, parce qu’il doit faire la médiation entre un apprenant humain et un univers virtuel d’apprentissage. Ce n’est pas seulement parce qu’il est seul et distant que l’étudiant a besoin d’un tuteur c’est principalement parce que le dispositif développé par l’université lui demande d’accomplir différentes tâches cognitives dans un univers justement défini comme virtuel. Le « rôle  » de l’étudiant est de développer l’ensemble des compétences nécessaires à l’actualisation de la plate-forme.  Le rôle central du tuteur est donc d’aider à atteindre l’objectif dans l’accomplissement d’une actualisation de l’univers virtuel qui porte l’apprentissage.
D’ailleurs, les questions qui émergent dans les forums le montrent clairement, elles portent finalement presque toutes sur les modalités d’appropriation de la plate-forme. La plus récurrente lors de notre analyse de MétaCampus étant  « comment puis-je arriver à accomplir la tâche demandée ? « , qui ne sauraient être uniformes. Repensons encore ici à un élément du processus d’actualisation mis en avant par Lévy : « Le problème de la graine, par exemple, est de faire pousser un arbre. La graine « est » ce problème, même si elle n’est pas seulement cela. Cela ne signifie pas qu’elle « connaisse » exactement la forme de l’arbre qui, finalement, épanouira son feuillage au-dessus d’elle. A partir des contraintes qui sont les siennes, elle devra l’inventer, le coproduire avec les circonstances qu’elle rencontrera « . Le terme d’appropriation, tel que défini dans la sociologie des usages (Jouët, 2000 : 487-521), résonne tout à fait ici avec l’actualisation qui repose sur un processus d’invention, de productions différenciées selon les contextes, parmi lesquels le « à distance « . D’où la nécessité de le préciser avec rigueur avant l’analyse des dispositifs d’EAD. Et s’il s’agit bien d’usages à développer (au travers de l’appropriation ou de l’actualisation) ils passent peut-être plus par le développement de compétences que d’actions « prescrites  » ou « inscrites  » dans les plates-formes.
D’ailleurs, les assesseurs virtuels n’ont plus seulement une approche disciplinaire, mais aussi organisationnelle ou logistique de la formation, puisqu’ils permettent à l’étudiant d’optimiser les ressources et les outils fournis en fonction du but à atteindre. Contrairement à ce que nous pensions dans les premières années de l’EAD, lors du programme de recherche Cactus (Paquienséguy, Miguet, 1997, 1998) par exemple, les modalités de l’apprentissage ne sont plus seulement matérialisées dans des outils, dont les plus fréquents sont les agendas, les chronogrammes, les mises en ligne progressives et séquencées par exemple. Ces fonctionnalités représentent seulement des repères, des éléments de confort qui aident l’étudiant, ces services étant intégrés à la plate-forme. La présence d’un assesseur virtuel montre aujourd’hui l’importance des différents stades de l’appropriation de l’EAD par les étudiants, processus indispensable qui se concrétise à plusieurs niveaux : celui de la technique, celui de la plate-forme elle-même, celui des ressources pédagogiques, et enfin celui des travaux à effectuer. Les étudiants recourent au tuteur pour savoir comment faire le travail, autrement dit pour savoir quels outils exploiter, quelles ressources utiliser et comment restituer ce qui est accompli sous une forme normée qui en permettra l’évaluation. Au fil du temps, plusieurs éléments forts permettent de vérifier ce glissement de la fonction de tuteur à assesseur virtuel.

De tuteur à assesseur virtuel

Dans le cas français, il faut d’abord citer la présence très faible des tuteurs dans les dispositifs d’EAD (Barnier, 2001) puisque dans les années 90 le tuteur étant pensé comme un vulgarisateur des contenus pédagogiques (conçus par un expert, par un enseignant référent) ; sa fonction (Baudrit, 1999) pouvait alors être assurée via une conception différente des ressources pédagogiques (grâce aux ingénieurs pédagogiques), on croit alors pouvoir s’en passer en installant dans les plates-formes des forums dans lesquels les étudiants dialogueraient directement entre eux. Parallèlement les « profs en ligne  » voient croître leur charge de travail sous le poids du suivi à distance qu’ils doivent faire, il ne s’agit pas seulement de conseiller sur la thématique mais de conseiller tout court, d’aider et de soutenir l’étudiant qui flanche, seul devant son écran (DeLièvre, Depover, Quintin, 1998) c’est par exemple le modèle que développera très tôt la Télé-Université du Québec qui rémunère ses tuteurs pour qu’ils téléphonent aux étudiants qui sont en retrait. Finalement, nous trouvons aujourd’hui, comme à l’UDG Virtual, des plates-formes plus complètes et bien différentes des premiers systèmes développés (très et trop techniques). Elles proposent des outils, des services et des ressources en libre accès aux étudiants inscrits et qu’ils vont apprendre à gérer et à utiliser, voir à optimiser, avec l’aide du tuteur. Le tuteur maintenant nommé assesseur virtuel a pour fonction première de pousser l’étudiant à  développer des compétences communicationnelles et organisationnelles pour une plate-forme donnée. Les changements fondamentaux (Demaizière, 2000) sont ici qu’il n’est pas obligatoirement un enseignant puisque son rôle n’est pas de produire, ni de transmettre des connaissances dans la discipline, et que son objectif premier reste la mise en œuvre de pratiques communicationnelles médiatisées par la plate-forme et les outils périphériques qui y sont adjoints.  Nous avons ici l’essence d’une idée qui repose véritablement sur la transformation des modalités d’enseignements qui ne dépendent plus d’un apprentissage mais d’une appropriation, l’accomplissement de celle-ci révélant la réalité (et la validité) de l’apprentissage.
Les plates-formes ont, elles aussi, beaucoup évoluées et reposent désormais sur la mise en œuvre de stratégies d’appropriation (toujours personnelles) qui réclament du tuteur une fonction d ‘étayage forte.

De la notion de plate-forme à celle de portail

Notre équipe étudie et analyse des plates-formes ou depuis maintenant presque 10 ans, puisque nous avons commencé en 1999. Les premières plates-formes que nous avons étudiées misaient tout sur leurs performances technologiques et n’avaient souvent de pédagogiques que le nom. Au mieux il s’agissait d’outils de travail collaboratif, comme Lotus Note par exemple, logiciel fort répandu dans les années 1995-2000. Parallèlement les ressources pédagogiques se sont multipliées sous des formes très variées. En arrière plan, les sites web ont également beaucoup évolués jusqu’aux portails qui se sont nés en …
Des offres très diverses se regroupent derrière le terme de plates-formes, plus utilisé dans l’univers pédagogiques, ou de portails directement liés à Internet. Les deux paraissent en fait très proches, mis à part leur univers de référence et les modèles économiques qui en permettent l’exploitation.
Wikipédia, qui nous semble ici constituer une référence adaptée, les définit ainsi :

« Un portail Web (de l’anglais Web portal) est un site Web qui offre une porte d’entrée unique sur un large panel de ressources et de services (messagerie électronique, forum de discussion, espaces de publication, moteur de recherche) centrés sur un domaine ou une communauté particulière. Les utilisateurs ont la plupart du temps la possibilité de s’enregistrer à un portail pour s’y connecter ultérieurement et utiliser l’ensemble des services proposés, dont notamment la personnalisation de leur espace de travail… « 
« Une plate-forme d’apprentissage en ligne, appelée parfois LMS (Learning Management System), est un site web qui héberge du contenu didactique et facilite la mise en œuvre de stratégies pédagogiques. « 
« Un Espace numérique de travail est un portail en ligne sécurisé qui permet à l’ensemble des membres de la communauté scolaire (élèves, personnels enseignants, personnels non-enseignant, parents) d’accéder à des services en lien avec des activités d’éducation et d’accompagnement des élèves. »

Autrement dit, les réalisations que nous analysons aujourd’hui, quelle que soit la façon dont on les nomme – qui reflète principalement le positionnement de l’acteur qui les produit – partagent certaines caractéristiques : elles mêlent, à partir d’un dispositif technique unique,  » des services de communication à distance toujours plus nombreux et des services d’accès hauts débits (en fixité et en mobilité) à des contenus, programmes et informations de toute nature « . (Vénica , 2006). L’idée centrale est donc ici celle  d’un produit cohérent, construit sur une thématique donnée (ici une filière universitaire en EAD) et proposant une gamme souvent très large de ressources, d’outils et de services. L’adossement de services semble constituer un des éléments qui a transformé les plates-formes en portail, indépendamment du nom que leur propriétaire continue à leur donner. Car un des services majeurs, clef du glissement paraît être l’aide de l’assesseur virtuel qui n’est spécialiste que d’une chose finalement, la plate-forme. N’oublions pas que les premières plates-formes se composaient principalement d’outils ou de ressources, rarement des deux de façon simultanées. D’ailleurs, pendant plusieurs années nous avons analysés des programmes Tice qui séparaient clairement les deux, deux URL étaient nécessaires et deux plates-formes devaient être utilisées par les étudiants, l’une pour accéder aux contenus, l’autre pour utiliser les outils de communication. Aujourd’hui encore, les ENT et UNR d’une part et les UNT de l’autre se répartissent ainsi les rôles comme nous l’avons déjà montré (Paquienséguy, 2008). Par contre certains dispositifs pédagogiques, qui nous semblent esquisser un genre nouveau de proposition d’EAD, sont conçus avec une offre de services, qui n’est pas assuré par le dispositif mais par un agent humain (nous connaissions déjà cela via les hot line de certains portails commerciaux). La plate-forme est devenue portail, celle cumule les outils, les ressources informationnelles (ici pédagogique), un accès verrouillé, un espace personnel  ET une prestation de services incarnée par l’assesseur virtuel. Les échanges avec celui-ci, comme l’exploitation des ressources passent par la constitution de compétences communicationnelles indispensables à l’optimisation de ressources et des outils. Le service fourni qui pourrait s’appeler « Human tutorial  » en est la garantie. La plate-forme correspondait à une mise à disposition et là où le portail garantit le service… ce qui complète la démonstration de l’industrialisation de l’éducation initiée par Pierre Moeglin (Mœglin, 2004).

Compétence communicationnelle

Les technologies éducatives qui émergent dans les années 90 « façonnent en profondeur les sociétés, et nous ajouterons, contribuent à modifier sur la longue durée, les normes d’actions communicationnelles, et tout particulièrement les pratiques communicationnelles dans les systèmes éducatifs (qui, d’une certaine façon, en sont une préparation, voire une anticipation). » (Miège, 2004). Nous faisons ici l’hypothèse que pour porter cette modification, les plates-formes Tice, et tout particulièrement « MétaCampus » celle de l’UDG Virtual (http://www.udgvirtual.udg.mx) réclame de leurs utilisateurs, apprenants et tuteurs, une compétence communicationnelle qui s’avère indispensable au bon accomplissement du parcours pédagogique. Autrement dit, les plates-formes contiendraient une injonction forte à développer et/ou à mettre en œuvre une compétence communicationnelle, injonction parfois étayée par l’aide d’un assesseur virtuel. Il s’agit alors de comprendre cette compétence au sens professionnel du terme, comme un « ensemble des capacités nécessaires pour l’exercice d’une activité professionnelle et la maîtrise des comportements requis. Les composantes en sont : les savoirs, savoir-faire et aptitudes. Ces composantes doivent être opérationnelles, mises en oeuvre dans la pratique et validées. » (Référentiel ADBS, 2001 : 59)

Les compétences communicationnelles constituent donc l’équivalent d’un espace maîtrisé faisant fonction de médiation dans un univers virtuel qui allie machines et humains. Cette notion parvient donc à faire se constituer – par la pratique – les modalités de fonctionnement d’une relation entre les enseignants et les apprenants (ou l’inverse) par une double médiation logicielle (la plate-forme) et humaine (l’assesseur virtuel). Nous devons d’ailleurs dans la suite de notre étude analyser les conditions de réception des outils Tice par les différents acteurs.

Nous poserons donc pour conclure quatre des thèmes principaux qui nous préoccupent dans l’Erté Carm@-e et qui semblent donner une orientation importante aux recherches en sciences de la communication sur les Tic dans la sphère éducative :

  • Le continuum communicationnel et technologique entre les lieux d’apprentissage et la vie privée quotidienne par une position pivot des Tic (Perez-Fragoso, 2007, p. 33-36),
  • La constitution des Tice autour d’une offre tendancielle style triple-play  (Miège, 2007, p. 180-183),
  • La montée en puissance d’une médiation des pratiques communicationnelles (Paquienséguy, 2008)
  • L’évolution des dispositifs médiatiques pour l’éducation qui a profondément complexifié les processus tant de médiatisation que de médiation (Peraya, 2008)

Ces quatre thèmes questionnent directement l’offre que constituent les plates-formes d’enseignement à distance et la façon dont l’injonction communicationnelle, premièrement se matérialise et deuxièmement opère dans la réception et l’appropriation de ces dispositifs par leurs différents publics.

Références bibliographiques

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Auteur

Françoise Paquienséguy

.: Françoise Paquienséguy est professeur en Sciences de la Communication à l’Université Paris8 et membre du Cemti (Centre d’études sur les médias, la technologie, à l’international) au sein duquel elle anime le séminaire « médiation et pratiques communicationnelles » depuis 2006. Ses recherches portent principalement sur les pratiques communicationnelles liées à la vie quotidienne ainsi qu’à la sphère éducative, ce qui la conduit à analyser les pratiques et les usages des TIC numériques, ainsi qu’à revisiter l’appareil théorique qui s’y rapporte. Elle co-dirige depuis 2006 l’ERT-Int « Carma-e » et participe à des programmes de recherche en collaboration avec l’Université Nationale Autonome de Mexico (UNAM), ainsi que l’Université Pontificale de Medellin (Colombie).