-

Mise en usage de dispositif de formation : processus, fonctions et acteurs de la communication tutorale

13 Fév, 2009

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Paquelin Didier, « Mise en usage de dispositif de formation : processus, fonctions et acteurs de la communication tutorale« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°09/2, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2008/supplement-a/10-mise-en-usage-de-dispositif-de-formation-processus-fonctions-et-acteurs-de-la-communication-tutorale

Introduction

Après une période de centration sur la conception des ressources éducatives multimédia, nous observons depuis la fin des années quatre vingt dix, un intérêt grandissant des études et recherches pour la notion de dispositif de formation (Linard, 1998 ; Belin, 1999 ; Fusulier et Lannoy, 1999). Une décennie plus tard, la question de la situation semble émerger comme nouvel objet, rappelant que l’apprentissage instrumenté et médiatisé est situé dans un espace-temps social qui se construit dans et pour l’action. Faut-il voir dans ces évolutions une prégnance des inventions techniques qui laissent peu de temps à la compréhension de ce qui apparaît comme des évidences, ou bien une modification du rapport de la recherche à l’objet qui se traduit par le développement d’une approche centrée sur les processus de mise en usage des ressources et des dispositifs, considérant qu’une simple approche par l’offre ne suffit pas à développer les pratiques ? Nous situerons notre contribution dans cette seconde proposition interrogative.
Le dispositif de formation, à la fois dans son organisation et les ressources qu’il convoque, constituerait un potentiel de situation davantage que la situation elle-même. Ce qui n’est pas sans conséquence sur les démarches de conception et d’appropriation. Le passage de ce potentiel à l’action, suppose des processus d’actualisation des fonctionnalités du dispositif qui répondent notamment à des projets singuliers des apprenants. Une récente étude conduite auprès d’inscrits à un dispositif de formation à distance proposé par un établissement d’enseignement supérieur, met en évidence deux logiques de mise en usage : l’une centrée sur l’accès à des ressources (logique de contenu), l’autre centrée sur l’organisation et le suivi d’activités d’apprentissage (logique de contenance) (Paquelin, 2008b). Deux figures qui sollicitent différemment les fonctions tutorales proposées par les concepteurs.
Pour expliquer ces différentiels dans l’actualisation des fonctionnalités d’un dispositif, nous avons avancé l’hypothèse qu’elle était inscrite dans une double zone proximale (Paquelin, 2008a) : à la fois une zone proximale de développement du sujet, et une zone proximale d’actualisation des fonctionnalités du dispositif. Si la première est directement en lien avec le sujet apprenant, la seconde relève davantage de l’institution prescriptrice, qui est alors interrogée dans ses propres capacités à mettre en œuvre des dispositifs flexibles, malléables.
D’autres dimensions de ce processus d’appropriation constituent en elles-mêmes un axe de recherche : l’hétérogénéité, l’incertitude et l’indétermination. En effet, l’actualisation des fonctionnalités d’un dispositif relève d’un processus de mise en cohérence d’éléments initialement hétérogènes, contenus par un ensemble de règles, de normes et de pratiques qui appartiennent à plusieurs sphères, celle des concepteurs, et celle des utilisateurs. Cette hétérogénéité se lit à différents niveaux : les outils de communication (outils prescrits par le dispositif versus outils familiers des apprenants, etc.), les temporalités (temporalité technique versus temporalité biologique, etc.), les espaces (espaces physiques versus espaces numériques, etc.), le social (ressources humaines liées au dispositif versus réseau social personnel de l’apprenant, etc.).
Dans ce contexte l’exercice de la fonction tutorale participe par la mise en cohérence d’éléments initialement hétérogènes à l’usage du dispositif et à l’apprentissage des savoirs et capacités qui sont l’objet du projet de formation. Au cours de ces dernières années, la question du tutorat, de l’accompagnement est au cœur de nombreuses préoccupations des chercheurs que des praticiens  (Depover, 2006 ; Glikman, 2002 ; Paquelin et Choplin, 2003 ; Paquelin 2004, 2005, 2006 ; Benchenna et alii, 2007). Les contenus et les processus de ces communications tutorales requièrent une vigilance épistémologique nécessaire pour aborder cette question et être en capacité de différencier ce qui est réellement modifié, par rapport à une situation de formation en présence, de ce qui est actualisé dans un contexte de plus forte présence technologique et de médiatisation de la médiation, relevant alors de processus d’instrumentalisation. Posture dont l’objectif est de s’affranchir des évidences pour spécifier les tendances, et esquisser des éléments d’analyse.

A partir d’études conduites auprès d’étudiants et d’adultes en reprise d’études supérieures, nous traiterons l’hypothèse selon laquelle la fonction tutorale, dont l’une des finalités est la co-construction de situation de formation, s’exerce à la fois selon des processus structurés et des processus peu-structurés, et est assurée par des agents humains et non-humains. Nous entendons par processus structurés, ce qui est initialement prévu par les concepteurs du dispositif, alors que les processus peu-structurés seraient davantage de nature ad hocratique. Pour ce qui relève de la nature des acteurs du tutorat, nous différencierons les fonctions tutorales assurées par des composantes du dispositif (exemple le calendrier des tâches), de celles qui sont exercées par des agents humains que sont les tuteurs du dispositif, les apprenants et l’entourage des apprenants. Nous aborderons le tutorat comme une relation d’accompagnement de celui qui apprend, et nous interrogerons également les conséquences des contenus de la communication tutorale sur l’évolution du dispositif et des tuteurs.  Nous conclurons sur  les dynamiques de co-construction de ces situations qui résultent de la mise en cohérence régulée d’espace-temps sociaux initialement hétérogènes.

Du dispositif à la situation : une co-construction accompagnée

Lors d’une récente étude relative à la réussite d’un public en reprise d’études préparant le diplôme d’accès aux études universitaire (équivalent du baccalauréat français), ont le mieux réussi (92% pour un taux de réussite moyen de 70%), les apprenants qui ont été en capacité de co-construire un dispositif qui correspondaient au mieux à leur contexte personnel et professionnel de formation. De nombreux éléments explicatifs peuvent être proposés (culture technologique, niveau antérieur de formation, autonomie et motivation de l’apprenant, présence d’un entourage aidant, sentiment d’auto-efficacité du sujet, etc.). Ces résultats illustrent l’intérêt de différencier tout en cherchant à les relier le processus d’apprentissage et le processus de mise en usage du dispositif. Processus qui impliquent l’apprenant dans sa relation à lui-même (son projet) et aux autres.
Dans un dispositif de formation ouverte et à distance, l’apprenant est de fait partenaire d’une relation à l’autre. Cet autre est a minima le concepteur du dispositif qui a initié et prévu des situations d’apprentissage et suggéré une intention d’agir chez l’apprenant. Le processus d’apprentissage s’inscrit dans une triangulation  « Moi-les Autres-les Choses » reliant les dimensions intra- et interindividuelles de l’apprentissage. Pour Garnier (Garnier et al., 2004), le social constitue d’une part la source du développement conceptuel de l’apprenant et caractérise d’autre part l’organisation de l’activité. Dans cette perspective, l’apprentissage est étroitement lié à l’action et à l’expérience du sujet. Ainsi la connaissance prend son origine dans l’activité même du sujet sur les objets (Garnier et al., 2004, p. 21). Cette approche nous conduit à  définir ces objets technologiques comme dispositifs d’autoformation accompagnée (Paquelin, 2004, p. 8) qui sont :

  • une co-construction affective, car porteuse de désir, cognitive, car il y a l’objet de l’acquisition de savoir, sociale dans la mesure où celle-ci ne se fait pas seul, et existentielle dans la mesure où la formation (et l’autoformation qui plus est) s’inscrit dans  l’histoire de vie des personnes et dans un projet aussi bien professionnel que personnel ;
  • un réseau qui soit mobilisateur à la fois de ressources et de situations plurielles de formation ;
  • un cadre d’action permettant à la fois la régulation de l’autodirection de l’apprenant et l’expression de sa liberté.

Cette dynamique de co-construction rapidement présentée convoque un ensemble d’actes informationnels et communicationnels entre acteurs engagés de manière synchrone et/ou asynchrone dans la mise en œuvre de ces situations. Lesquelles résultent d’un processus de mise en usage des dispositifs.
Le développement des usages de ces dispositifs suppose que les sujets utilisateurs soient en capacité de trouver des informations qui les accompagnent dans l’édification d’une forme opérationnelle du dispositif (Paquelin, 2005). Il ne s’agit pas uniquement d’accéder à des contenus médiatisés, mais de co-construire une organisation opérationnelle du traitement de ces contenus. Par ailleurs, l’implication des utilisateurs dans la co-construction du dispositif introduit un autre axe de différenciation de l’information : l’information pré-produite (exemple : cours mis en ligne par les concepteurs), et l’information co-produite par les utilisateurs (exemples : contenus des forums).
Ainsi cette dynamique singulière d’actualisation des fonctionnalités d’un dispositif, convoque à la fois des processus tutoraux structurés et d’autres peu ou pas structurés, car s’instanciant dans le cours de l’action (cf. tableau 1).

A ces processus participent de nombreux acteurs que différencions selon qu’il s’agit d’agents humains (tuteur, pairs…) ou d’agent artéfactuels (fonctionnalités du dispositif). Analyser pour comprendre comment et par qui s’exerce le tutorat implique l’identification de l’ensemble des acteurs (cf. tableau 2).

Tableau 1 : Processus tutoraux

Tutorat
Processus structurés Pré-construits
Processus peu/pas structuré à construire de manière ad hocratique (1)

Agent artefactuel

Ensemble de fonctions structurées et orientées vers des finalités et actions pré-construites (exemple : envoi de mail x jours avant les regroupements présentiels pour rappeler la date et les productions attendues)
Mise à disposition d’un potentiel de fonctionnalités qui permettront à l’apprenant d’initier une relation tutorale avec une pluralité d’acteurs (exemple : fonctionnalité qui permet d’identifier les présents à une formation, leur disponibilité temporelle, etc.)

Agent humain

Présence pré-définie des tuteurs selon des modalités précisées en amont (exemple : plages horaires pour un tutorat synchrone, délai de réponse à des sollicitations via courriel)
Mobilisation d’acteurs pour des fonctions tutorales à des moments non prévus initialement (exemple : prise de rendez-vous et échanges entre apprenants inscrits à un même dispositif)

Tableau 2 : acteurs de la communication tutorale

A(1) <-> A’(1)
L’apprenant (A) et lui-même (A’)
A(1) <-> P
Un apprenant et un pair (P) et réciproquement
A(n) ->T
Des apprenants et le tuteur (T)
T ->A
Le tuteur vers l’apprenant
Ga <-> T
Le groupe d’apprenant (Ga) et le tuteur et réciproquement
A(1)  <-> C
Apprenant(s) et concepteur(s) (C) via la scénarisation du dispositif
T <>Gt
Le tuteur vers le groupe de tuteurs (Gt) et réciproquement
T <>C
Le tuteur vers le concepteur et réciproquement
T <>Pr
Le tuteur vers le prescripteur (Pr) et réciproquement
D <-> A(1,n)
Le dispositif (D) et l’apprenant ou les apprenants et réciproquement

Fonctions informationnelles engagées dans la mise en usage des dispositifs de formation

Le développement précédent rappelle l’existence d’un processus d’appropriation des dispositifs de formation à distance. Processus qui suppose une dynamique interactionnelle et informationnelle entre le sujet et le dispositif technologique. Dans cette seconde partie de notre contribution, nous reviendrons sur les fonctions de ces informations circulantes : fonction intentionnelle, fonction pragmatique, fonction épistémique, fonction référentielle, fonction mémorielle, fonction transactionnelle, fonction transitionnelle.
La fonction intentionnelle est relative à l’intentionnalité des acteurs engagés dans le dispositif. Elle exprime les attendus, les finalités, ce qui est à l’origine de l’engagement dans ce dispositif. La divergence intentionnelle que peuvent exprimer tuteurs et apprenants peut être source de dissonances cognitives et affectives et inhiber la construction de leur relation. Cette intentionnalité peut être exprimée par la scénarisation du dispositif (exemple de plate-forme qui induit un comportement de collaboration, à la fois par l’environnement graphique qui pousse à l’organisation du travail en groupe exclusivement et l’algorithme d’apprentissage qui induit également une approche socioconstructiviste des situations pédagogiques). Cette fonction participe pleinement à l’implication du sujet dans le dispositif.
La fonction pragmatique relève des procédures d’actions. Elle traite de la dimension instrumentale de l’actualisation des fonctionnalités du dispositif. Qu’il s’agisse d’une aide en ligne, de forum ou de questions posées à un tiers, cette fonction accompagne le sujet dans la prise en main manipulatoire de l’objet technique.
La fonction épistémique traduit la transformation de la base de connaissances du sujet. Elle aide au repérage dans les apprentissages. La concrétisation minimaliste de cette fonction est la présence de modalités de positionnement, d’évaluation des activités du sujet. Convoquée notamment dans une phase de distanciation, de réflexivité, les informations permettent d’ajuster à la fois le projet et l’organisation de la formation. Si la dimension auto-référentielle de cette fonction est fortement présente dans un processus d’autoformation, les apprenants sont également engagés, à leur initiative et/ou à l’initiative d’un tiers dans cette posture réflexive. Enfin, la fonction épistémique a ceci de particulier que le tiers avec lequel le sujet est en relation, est un autre soi-même. Celui d’un état antérieur, mais également celui d’un état projeté, imaginé, vers lequel tend l’aboutissement du projet.
La fonction référentielle est une fonction de légitimation et d’institutionnalisation de l’action (programmes, instructions, planification, etc.). Elle concerne tout particulièrement ce qui est lié au fonctionnement, aux règles et aux ressources du dispositif. Elle est sollicitée à la fois par le tuteur pour rappeler les attendus (exemple la date de remise d’une production) et par les apprenants pour vérifier si l’écart entre ce qu’ils réalisent comme action et ce qui est attendu demeure acceptable. De même l’apprenant peut accéder via un support technologique à des informations médiatisées qui sont relatives aux différentes tâches à réaliser (objectifs, modalités, etc.).
La fonction mémorielle assure la traçabilité des actions et de leurs résultats. Elle produit, gère, stocke et échange des informations susceptibles d’être mobilisées dans des espaces-temps distincts de leur production. Des fils de discussion des forums, aux foires aux questions et aux autres outils de tracking, ces informations mémorisées peuvent ensuite être consultées par l’apprenant, le tuteur. Consultation qui permet tout à la fois de suivre le cheminement dans les apprentissages, d’apprécier à la fois la participation des différents acteurs du dispositif, et de connaître ce qui dans le dispositif est réellement utilisé. Cette fonction mémorielle contribue à la fonction transitionnelle.
La fonction transitionnelle intervient dans les processus de modification de l’organisation du dispositif, dans l’édification de nouvelles possibilités. De nature contenante et étayante, elle accompagne l’autonomisation du sujet et veille à maintenir la situation de formation dans la zone proximale de développement des acteurs. Elle peut prendre forme soit par modification de certaines composantes du dispositif (exemples passage d’une activité initialement prévue à distance à un mode présentiel, augmentation du nombre de temps de communication synchrone entre les apprenants et les tuteurs), soit par transformation de ces composantes (exemple : transformation de la planification initiale d’activités), voire par création de composantes nouvelles (exemple : création d’une activité spécifique qui correspond mieux aux besoins des apprenants).
Ces différentes fonctions de l’information organisent une grille de lecture et d’analyse des dispositifs de formation à distance qui permet, par observation des sujets complétée par l’analyse sémiotique des dispositifs de voir en quoi le traitement informationnel proposé est susceptible de participer à l’appropriation du dispositif par les apprenants.

Approche ternaire de l’appropriation du dispositif

L’appropriation de ces dispositifs, s’inscrit dans une temporalité définie comme « celle qui sépare deux périodes caractérisées chacune par la stabilité de leurs routines (…) Le processus d’appropriation prend fin lorsque des routines stabilisées incluant la technologie sont formées » (Houze, 2001, p 4). Les analyses produites, complétées par les travaux relatifs à la genèse instrumentale, nous permettent d’identifier trois phases aux cours desquelles les fonctions tutorales évoluent : une phase d’implication et d’engagement de l’apprenant dans le dispositif, une phase de distanciation et d’analyse de la pertinence de l’actualisation des fonctionnalités du dispositif, une phase de transformation de la situation initiale (cf. figure 1). Cette approche ternaire au regard des temporalités précédemment évoquées cherche à comprendre comment la triade concepteur/apprenant/tuteur interagit et se configure pour co-construire une situation effective d’usage du dispositif.

Figure 1 : Les phases de la dynamique d’appropriation

Dans cette perspective Lorino (2002), suggère une vision en termes d’acteur-concepteur « dont le processus de conception, comme celui  du peintre, est engagé dans une action continue sur le monde, avec une rétroaction récurrente de l’action et une modification peu ou prou continue de la conception par l’expérience ». Dans ces processus, la triade concepteur/apprenant/tuteur recouvre de multiples figures. Chacun est tour à tour concepteur et utilisateur d’un état du dispositif dont une partie ne lui appartient pas. Ces transformations sont contenues dans une « clôture opérationnelle » définie par la zone proximale d’actualisation. Zone qui détermine ce qui est reconnu institutionnellement comme acceptable en termes d’évolution du dispositif. Ces trois temps sont l’objet d’une analyse particulière pour tendre vers une explicitation argumentée de cette dynamique et comprendre comment se tissent ces liens de dépendances et d’interdépendances entre acteurs de la formation.

L’implication

C’est au cours de cette phase que le sujet réalise sa première découverte du dispositif prescrit et qu’il établit une première faisabilité de son projet de formation. Qu’il s’agisse d’habitus, ou de besoin de sécurité ontologique, les acteurs produisent et reproduisent les conditions mêmes qui rendent leurs activités possibles. Cette phase initiale est celle de l’évaluation à la fois objective et subjective de cette possible reproduction.
L’implication suppose que le sujet puisse se reconnaître dans le dispositif et les technologies associées, que les représentations qu’il construit à partir des signes disponibles lui permettent de construire une image, une carte subjective suffisamment proche de ce qu’il connaît. L’impossibilité de réaliser un tel ancrage, entre ce qui est proposé et le «déjà-là » du sujet serait préjudiciable à son implication et sa participation au processus d’appropriation. La fonction tutorale va à la fois être exercée par le dispositif lui-même via ses affordances, et le tuteur humain par les informations descriptives qu’il va communiquer aux apprenants (fonctions intentionnelle et pragmatique).

Distanciation

L’activité de distanciation se définit comme la mise à distance spatiale et temporelle du sujet des résultats de son action pour qu’il puisse opérer un retour réflexif sur cette dernière pour en apprécier la pertinence, mesurer le trajet accompli, celui qui reste à accomplir et l’écart entre ce qu’il souhaitait (le désiré) et l’obtenu (le réalisé). Cette mise à distance et la réflexivité qui y est associée portent sur la validité et la pertinence des noyaux actanciels co-construits et mis en œuvre pour la réalisation des actions. Cette analyse distanciée de l’action s’inscrit dans l’approche socio-cognitive de l’appropriation et permet d’aller au-delà de la vision rationaliste et déterministe de la construction des usages, et de construire rétrospectivement le sens de l’action. Elle reconnaît l’existence d’espaces-temps sociaux spécifiques dédiés à cette activité réflexive (sur l’action) et régulatrice (de l’action). Les fonctions tutorales exercées sont les fonctions épistémique référentielle et mémorielle.

Transformation

La modélisation proposée définit un troisième élément, l’intégration qui concrétise potentiellement la transformation du système initial et qui doit notamment permettre de définir un état d’équilibre du système que représente le dispositif actualisé. Cette troisième phase se déroule dans cette zone proximale d’actualisation dont les limites peuvent se déplacer au fur et à mesure des différents cycles de cette spirale. La transformation est une forme d’étape créative. A partir de l’analyse qu’il porte sur l’information produite lors de la phase précédente, l’individu est en capacité d’accepter des adaptations et d’établir de nouvelles relations entre les différents acteurs du dispositif, ou au contraire de maintenir le degré d’actualisation antérieur. La transformation est l’étape au terme de laquelle, après avoir reconnu les difficultés, les acquis, le sujet se reconnaît comme pouvant vivre dans une nouvelle organisation dans le cas d’une issue qui agit sur la modification de l’actualisation. Dans le cas contraire, celui où rien ne semble avoir été modifié, nous émettons l’hypothèse de la conservation d’une trace mémorielle capitalisatrice d’informations qui pourront être réactivées dans d’autres situations similaires et/ou proches. Par exemple, un apprenant vit une première situation de dysfonctionnement dont l’issue est le maintien de son organisation antérieure. Le renouvellement de cette même situation sera probablement abordé de manière différente par le sujet qui devant la répétition de la situation opérera des modifications, qu’il n’envisageait pas initialement. Les fonctions mémorielle, pragmatique, transitionnelle, et référentielle correspondent à la nature du tutorat sollicité et convoqué au cours de cette phase.

Pour conclure

Cette approche spiralaire et progressive de l’appropriation d’un dispositif de formation à distance est fait se croiser deux dialectiques : l’expérience et l’existence d’une part, et d’autre part la réflexion et la conceptualisation. Pour comprendre cette dynamique de co-construction et les relations entre les différents acteurs, nous considérons ce processus comme un acte de trans-formation par lequel se construit l’efficacité de la mise en usage du dispositif. L’identification de ce qui fait sens pour le sujet, et qui est reconnu comme vecteur d’un mieux-être, d’un mieux-faire, d’un mieux-apprendre, compose sans doute des clés d’interprétation du processus observé. Ces trans-formations sont l’expression de l’appropriation qui se traduit par les relations que l’usager établit avec le dispositif et les acteurs qui y participent, dont les tuteurs. Elles relatent les différentes formes de négociation conduites et/ou auxquelles participe le sujet, qui contribuent notamment à faire reconnaître l’actualisation comme légitimement acceptable par le tuteur, qu’il soit humain ou artéfactuel. Ainsi considéré le tuteur une figure plurielle, non statique, qui accompagne la transformation de celui qui apprend, tout en se transformant soi-même et par ce vécu situationnel, pour maintenir l’efficacité de la situation construite en contexte à partir notamment d’un dispositif technologique.

Notes

(1) Ce processus peu ou pas structurés peuvent dans certains cas de figures être des processus spontanés. Nous reviendrons sur ce point lors de la présentation de la dynamique d’actualisation des fonctionnalités et ressources d’un dispositif.

Références bibliographiques

Belin, Emmanuel (1999), « De la bienveillance dispositive », Le Dispositif. Entre usage et concept, Hermès n°25, p. 245-259.

Benchenna, Abdel et alii. (2007), « Les TICE en tant que techniques de l’information et de la communication », Les enjeux, octobre 2007, [en ligne] http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2007/Tice/index.php, page consultée le 23 mars 2008.

Bringer-Trollat, Anne-Françoise ; Even, Nathalie ; Paquelin, Didier (2004), Dispositif d’Autoformation Accompagnée : formateur et changement, Apprenant et processus d’apprentissage, organisation et jeux d’acteurs, Acte du Cinquième colloque Européen sur l’Autoformation, Dijon : décembre 2001 (Educagri éditions).

Depover, Christian ; De Lièvre, Bruno ; Temperman, Gaëtan (2006), « Points de vue sur les échanges électroniques et leurs usages en formation à distance », STICEF,  Volume 13, [en ligne] http://sticef.org, page consultée le 20 janvier 2008.

Fusulier, Bernard ; Lannoy, Pierre (1999), « Comment aménager par le management », Le Dispositif. Entre usage et concept, Hermès n°25.

Garnier, Catherine ; Bednarz, Nadine ; Ulanovskaya, Irina (2004), Vygotski et Piaget Bruxelles : De Boeck.

Glikman, Viviane (2002), « Apprenants et tuteurs : une approche européenne des médiations humaines » Education Permanente, n° 152, p. 55-69.

Paquelin, Didier ; Choplin, Hugues (2003), « Se former dans un dispositif ouvert et à distance : l’enjeu des régulations », Autoformation et enseignement supérieur : au-delà de l’effet de mode une conception éducative, Hermès, 2003, p. 166-183.

Houzé, Emmanuel (2000), « Une approche structurelle de l’appropriation d’une technologie : le cas d’un groupe virtuel », communication présentée à la 18e Université d’Eté de l’Institut International de l’Audit Social (I.A.S.), Aix en Provence : 30 et 31 Août 2000.

Lorino,  Philippe (2002), « Vers une théorie pragmatique sémiotique des outils appliquée aux instruments de gestion », Working Paper.

Paquelin, Didier (2004), « Postures et multiplicités des formes tutorales : mise en lien, mise en sens » in Distances et Savoirs, Vol. 2, n°2-3/2004, p. 157-182.

Paquelin, Didier (2005), «Planification versus Potentialisation : de la structuration des contenus à la structuration de la contenance » in Actes Colloque Les Institutions Educatives face au Numérique, Paris :12-13 décembre 2005.

Paquelin, Didier (2006), « Autoformation et Dispositif de formation ouverte : co-émergence médiée de la forme », Education Permanente, n°168, 2006.

Paquelin, Didier, (2008a), Ressources, Dispositif : processus de co-construction des usages, Paris : L’Harmattan, (à paraître)

Paquelin, Didier, (2008b), « L’EAD et l’exercice du droit à l’éducation : analyse de pratiques en milieu universitaire », Distances et Savoirs, Hors Série.

Vygotski, Lev (1985), Pensée et langage, Paris : La Dispute.

Quéré, Louis (1997), « La situation toujours négligée ? » Reseaux n°85, CNET

Auteur

Didier Paquelin

.: Didier Paquelin est maître de conférences HDR en sciences de l’information et de la communication à l’université de Bordeaux. Directeur du service de formation continue et à distance, son domaine de recherche est celui de la conception et de l’appropriation des dispositifs de formation à distance. L’objectif de ses recherches est de comprendre quelles sont les dynamiques et processus d’appropriation de ces objets en situation de formation. L’étude de la dimension humaine apparaît comme centrale et se concrétise notamment par l’attention portée aux régulations étudiées comme processus informationnels et communicationnels qui convoquent des médiations sociales avec ou sans objet technique. L’approche phénoménologique des travaux vise à comprendre ces processus singulier d’appropriation et parfois d’innovation dans un contexte de déploiement des technologies de l’information et de la communication au sein des organisations, et notamment des institutions éducatives. Il coordonne le projet RAUDIN (Recherches Aquitaines sur les Usages pour le Développement des Dispositifs Numériques). Les thématiques de ses travaux abordent plus spécifiquement les dynamiques de reconfiguration des pratiques sociales dans des processus de mise en usage des dispositifs numériques de formation.