-

Les Situations d’Apprentissage Collectives Instrumentées dans le supérieur : identification et exploration

13 Fév, 2009

Résumé

Les activités d’apprentissage collectives sont de plus en plus souvent accompagnées par des plates-formes éducatives qui proposent de nombreux outils de communication, de production, de partage et de management du travail collectif. Il s’avère que la mise à disposition des ces outils aux acteurs (concepteurs, tuteurs et apprenants) n’implique pas toujours leur utilisation. Grâce à une analyse de terrain, nous tentons de dresser un bilan des caractéristiques des situations d’apprentissage collectives instrumentées (SACI) dans l’enseignement supérieur. Notre propos est de déterminer : si les SACI existent ; quelle forme elles prennent (en termes de scénario, d’outils, de type d’activité…) ; si les recommandations issues de travaux de recherche sont mises en pratique par les concepteurs pédagogiques et si les activités prescrites par ces concepteurs se déroulent comme prévu avec les apprenants et les tuteurs. Pour répondre à ces questions, nous nous basons plus particulièrement sur des enquêtes d’usage auprès des acteurs de SACI.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Metz Stéphanie, « Les Situations d’Apprentissage Collectives Instrumentées dans le supérieur : identification et exploration« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°09/2, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2008/supplement-a/07-les-situations-dapprentissage-collectives-instrumentees-dans-le-superieur-identification-et-exploration

Introduction

Notre recherche part d’un constat sur les pratiques d’utilisation des outils pour l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. En amont, les concepteurs de scénarios pédagogiques prescrivent l’utilisation de technologies pour l’apprentissage collectif dans pour l’atteinte de l’objectif double : collaborer pour apprendre et apprendre à collaborer. En effet, l’apprentissage collectif peut être utilisé pour favoriser l’apprentissage individuel à partir d’interactions entre apprenants (Dillenbourg 1999 ; Doise et Mugny 1984). Dans ce contexte, des activités variées sont mises en place, telles que l’apprentissage par projet, les études de cas ou les jeux d’entreprise. Elles sont de plus en plus souvent réalisées sous une forme instrumentée pour pouvoir être utilisées de manière plus flexible (en particulier à distance). En considérant l’importance actuelle des TIC en éducation et leur usage dans les activités collectives, nous avons décidé d’observer ce que nous nommons les SACI, Situations d’Apprentissage Collectives Instrumentées (SACI) dans l’enseignement supérieur (Bourriquen et al. 2006) dans le contexte de l’enseignement supérieur. Notre propos est de montrer, dans une démarche globale et interdisciplinaire, (1) les formes que peuvent prendre les SACI et leur intégration dans les programmes de formation (2) le rôle et ressenti des acteurs des SACI et (3) l’intentionnalité exprimée a priori par les concepteurs sous la forme de scénarios. Cette étude est réalisée par une observation et caractérisation des situations effectives sur le terrain.

Problématique générale

Nous définissons une  SACI comme une situation pédagogique avec un objectif d’apprentissage (de connaissances et/ou de compétences), des acteurs identifiés, une durée et un mode d’évaluation des apprenants (Bourriquen et al. 2006). Elle prend la forme d’une unité d’apprentissage scénarisée dans laquelle la production individuelle et/ou collective attendue est liée à une activité collective instrumentée par des artefacts informatiques. Dans cette définition, le terme « collectif «  est employé pour désigner à la fois les concepts « collaboratif «  et « coopératif «  (George, 2001), les sous-buts étant identiques dans une activité collaborative alors qu’il y a un partage de tâches entre acteurs dans une activité coopérative. Le terme « production  » désigne tout résultat tangible, matérialisé et observable a posteriori d’une activité. Par exemple la production peut-être une synthèse individuelle ou collective, des discussions provenant d’outils de communication ou de diffusion (forums, mails, blogs, chats), des traces de connexion, etc. Il est à noter qu’une SACI peut avoir différents niveaux de granularité – elle peut ainsi être une séance, une séquence ou une unité d’enseignement – dès lors qu’elle est délimitée par les caractéristiques énoncées dans sa définition (sa durée, son objectif d’apprentissage…).
Le thème de départ concerne donc les situations d’apprentissage collectives, avec leurs outils et environnements, et pose la question de la mise en place des SACI dans les dispositifs de formation de l’enseignement supérieur utilisant les TIC. Les questions concernent la pertinence des usages, l’adéquation besoins/outils, les limites, et les améliorations pour l’instrumentation des SACI. L’observation porte sur onze terrains de formation francophone, tels que des campus numériques, FOAD, formations hybrides, etc.

Questions et hypoyhèses

Questions de recherche

La question de départ est à l’origine d’une observation empirique, partagée par différents praticiens, d’une grande variabilité des pratiques de conception et de mise en œuvre des SACI. Comment analyser ces situations d’apprentissage pour en dégager des recommandations quant à leur conception ?
Pour répondre à cette question, il est nécessaire de traiter une série de problèmes :

  • Comment caractériser les SACI ? Cette question implique de déterminer les indicateurs qui les caractérisent.
  • Qu’est-il possible de collecter comme traces des outils collaboratifs existants ? Il est nécessaire de définir les données qui pourront être recueillies au sein des SACI observées, ainsi que les méthodes qui permettront d’obtenir un retour d’usage.
  • Existe-t-il un lien entre les objectifs pédagogiques et les outils utilisés ?

La recherche de terrains d’observation répondant à notre définition d’une SACI (développée ci-dessus) nous a amenés à poser de nouvelles questions et à aborder de nouvelles approches.
Il est apparu que les plates-formes éducatives proposent de nombreux outils : outils de communication (chat, mail, forum, vidéoconférence, audioconférence), outils de production et de partage (partage d’applications, tableau blanc, éditeur de texte partagé, wiki, blog, portfolio) et outils de management du travail collaboratif (gestion de document, outil de planification). Mais la mise à disposition de ces outils aux acteurs (tuteurs et apprenants) implique-t-elle leur utilisation ? Et leur utilisation implique-t-elle forcément une réelle activité collective entre apprenants ?
Plus précisément, les questions de recherche résultantes sont les suivantes :

  • Dans quelle proportion les SACI, telles que nous les définissons, existent réellement ?
  • Est-ce que les concepteurs prévoient dans la conception d’activités collectives l’usage d’outils particuliers pour effectivement favoriser la collaboration entre apprenants ? Est-ce que les tuteurs et apprenants les utilisent ou en utilisent d’autres de leur propre initiative ou bien encore en détournent l’usage (Rabardel, 1995) ?
  • Dans les SACI identifiées, quelle est la réalité des pratiques des acteurs ? Il s’agit d’évaluer les éventuels écarts entre les recommandations proposées par le monde de la recherche et les réalisations effectives, ainsi que les écarts existant entre les activités prescrites par les concepteurs pédagogiques et le déroulement effectif de celles-ci.

Hypothèses de recherche

Suite à ces questions, nous posons donc l’hypothèse de l’existence de dépendances et/ou d’invariants entre les SACI. Pour des situations dont les paramètres prennent des valeurs similaires, nous pensons qu’on retrouve des propositions d’outils de travail collectif semblables et aussi un usage identique. Il est donc supposé que chaque situation peut être caractérisée par un ensemble d’indicateurs et associe un ensemble de scénarios-types d’apprentissage collectif, reposant sur des types précis d’artefacts informatiques et/ou pédagogiques et correspondant chacun à une reconfiguration des rôles des apprenants et autres acteurs.  Cet axe de réflexion implique donc d’identifier les paramètres dont la valeur fait varier une SACI dans le dispositif de formation. Ces paramètres incluent le contexte de la SACI (type de discipline concerné, part de présentiel/distanciel, maturité de SACI, le type de formation, intégration au sein de la formation, etc.), les pratiques pédagogiques préexistantes, les objectifs pédagogiques, les types de tâches demandés aux acteurs dont les apprenants (recherche d’informations, débat, lecture/écriture collaborative, résolution de problèmes, étude de cas, …), les rôles pris par ces acteurs, les artefacts utilisés, les scénarios qui articulent les tâches et les interactions, les modalités temporelles (situation collective, synchrone ou asynchrone), etc.
Nous orientons également notre recherche sur une hypothèse plus spécifique : la richesse fonctionnelle et l’adaptabilité des artefacts informatiques et/ou pédagogiques supportant les activités collectives influent sur le déroulement des situations d’apprentissage. Il est donc supposé que les artefacts peuvent faciliter ou contraindre la réalisation des tâches demandées aux différents acteurs d’une SACI (concepteurs, tuteurs, apprenants). Nous voulons observer les situations dans lesquelles les outils peuvent être détournés, par les acteurs, de leur usage prescrit en fonction du contexte (Folcher et Rabardel, 2004).

Méthodologie

L’observation a été réalisée à partir d’un guide d’entretien, d’un questionnaire préalable et d’un questionnaire final de 207 questions appelé dans la suite du document questionnaire SACI. Ces trois grilles d’observation ont été construites selon une démarche itérative et participative (Mackay et Fayard 1997). Cette dernière consiste à intégrer les participants à un projet au processus de conception et d’évaluation des livrables et ainsi d’en valider avec eux la pertinence. Ainsi, le questionnaire préalable et l’entretien semi-directif ont servi non seulement à définir plus finement le questionnaire final de caractérisation des SACI mais aussi à localiser les contextes potentiellement intéressants à observer plus en détail, c’est-à-dire intégrant des SACI dans leur dispositif de formation.

Guide d’entretien et questionnaire préalable

Le guide d’entretien a été utilisé avec un concepteur du campus numérique FORSE (1) (FOrmation et Ressources en Sciences de l’Éducation) et deux tuteurs de SACI (2) (Godinet, 2007). Les résultats ont permis d’affiner la définition d’une SACI en précisant ses caractéristiques spécifiques comme le niveau de granularité (séance, séquence, unité d’enseignement, etc.).

Ces entretiens exploratoires ont permis l’élaboration d’un questionnaire préalable qui a pu être discuté avec 9 formations (voir Tableau 1).

Tableau 1 – Terrains d’observation

Terrain
Université
Description
FORSE
Lyon2
Campus Numérique Formation en Sciences de l’Education (Licence-Master 1-Master 2). Lyon 2 – Rouen -CNED
(Campus Numérique Français MEN)
eMiage
Lyon1
Formation à distance de cadres dans le domaine de l’ingénierie des systèmes d’information des entreprises. Consortium de X universités dont Lyon1 et Grenoble 1.
(Campus Numérique Français MEN)
VCIEL
Lyon 2
Master 2 pro sur la conception infographique.
(Campus Numérique Français MEN)
INSA-V
INSA de Lyon
Campus numérique international en sciences de l’ingénieur fédérateur des 5 INSA
ENT
Univ Savoie
Cartable électronique- Environnement numérique de travail – Univ Savoie
FISAD
Lyon1
Accompagnement du coaching des étudiants en formation individualisée aux outils de bureautique
ECL-EAT
Ecole centrale de Lyon
Enseigner et Apprendre avec les Technologies : utilisation EAT dans les Projets d’étudiants et 1ère et 2ème année.
Did@ctic
Univ Fribourg
Intégration des TIC dans les compétences professionnelles d’un enseignant de l’enseignement supérieur.
IAO
TELUQ
Informatique appliquée à l’organisation. Formation universitaire de 1er cycle, en ligne et à distance, en informatique et gestion des connaissances

Le questionnaire SACI

Structuration du questionnaire

Un questionnaire SACI a été construit pour recueillir des données sur la conception, la mise en place et le déroulement d’une SACI tant au niveau de la description du contexte d’utilisation que des usages  (attendus ou effectifs) des concepteurs, tuteurs et apprenants intervenant. Le questionnaire a été construit en deux temps. Dans une première phase nous avons proposé un questionnaire de 69 questions relatives au contexte et objectifs pédagogiques de la SACI, à sa description technique et à l’usage que pouvaient en faire les acteurs (concepteur, tuteur, apprenants). Parallèlement nous avons défini, dans un tableau à double entrée comment chaque question pouvait renseigner différents critères de description des SACI répartis selon 5 axes (une croix à la jonction de la ligne et de la colonne indique que la question renseigne le critère) :

  • Axe Contexte : intégration, discipline, maturité, etc.
  • Axe Acteurs : Concepteur de la SACI (expérience d’utilisation des outils, autorale, etc.), Tuteur (expérience d’utilisation des outils, tutorale, etc.), Apprenant (expérience d’utilisation des outils, du travail collectif, etc.).
  • Axe Pédagogie : objectifs pédagogiques, évaluation des apprentissages, évaluation du travail collectif, etc.
  • Axe Travail collectif : types de tâches, part individuel/collectif, part synchrone/asynchrone, etc.
  • Axe Technologie : Environnement concepteur (type d’outils, flexibilité, contraintes, etc.), Environnement tuteur (type d’outils, flexibilité, contraintes, etc.), Environnement apprenant (type d’outils, flexibilité, contraintes, etc.).

Ce mode d’organisation devait nous permettre non seulement de tester la pertinence des questions et le degré de complétude du questionnaire, mais aussi d’aider à l’analyse des données recueillies : évaluation synthétique du positionnement des SACI dans chaque axe, caractères invariants ou critères distinctifs, degrés de dépendance entre les indicateurs. De plus cette analyse avait pour vocation de permettre de répondre à la question de recherche sur l’existence d’un lien entre les objectifs pédagogiques et les outils utilisés.
Dans les faits ce tableau n’a pas servi d’outil d’aide à l’analyse car il était difficilement manipulable et exploitable par des outils de comptage et d’analyse automatique. Il a en revanche bien rempli son rôle de contrôle et test du questionnaire et a permis d’identifier un certain nombre de dysfonctionnements dans la formulation et l’étendue des questions. Ainsi, le questionnaire final utilisé dans l’étude a été complété pour arriver à 207 questions. Elles ont été regroupées en trois grandes parties renseignant :

  • La définition de la SACI : informations générales sur la SACI (part de présentiel, discipline, usage de l’outil informatique, motivation pour la mise en place, nombre de sessions depuis la création, formation diplômante) et renseignements sur la conception et l’usage de la SACI (durée de la session, objectifs pédagogiques, type de travail collectif -i.e. coopératif et/ou collaboratif-, objectif de la collaboration/coopération, proportion de travail individuel/collectif, présence d’un scénario pédagogique explicite, définition de rôles pour les apprenants et les enseignants, description de l’évaluation des apprentissages, etc.).
  • La caractérisation des acteurs impliqués dans les SACI : les apprenants (nombre d’apprenants de la session, niveau de connaissances relatives à la discipline enseignée, niveau de pratique des outils informatiques utilisés, niveau de pratique du travail collaboratif, nombre moyen d’apprenants par groupe collaboratif, critères de constitution des groupes, nombre de tuteur par apprenant, etc.) ; les tuteurs (ont-ils participé a la conception, enseignent-ils habituellement en présentiel, niveau de pratique des outils informatiques utilisés, niveau de pratique du tutorat à distance, on-t-ils eu une formation au tutorat, fonctions attribuées dans la SACI) ; les concepteurs (nombre, niveau d’expertise dans la conception d’activités pédagogiques de type SACI, niveau de spécialisation dans le contenu, niveau de pratique des outils informatiques utilisés, ont-ils eu une formation à la conception de SACI ?)
  • Les caractéristiques de l’environnement informatisé supportant la SACI : description des outils de communication, production/diffusion/partage, gestion du travail collectif proposés et utilisés (par les apprenants et par les tuteurs), description des outils de conception pour les concepteurs, description et usage des ressources pédagogiques, possibilité de « contrôle  » du déroulement du scénario pédagogique, aide/contrainte/contournement/ ressentie par l’usage des outils, évolutivité possible, attentes.

Ce questionnaire a été formalisé sous le logiciel de traitement Sphinx. L’ensemble des 207 questions n’étant pas adressées à tous les acteurs, nous avons construit 3 sous questionnaires ; un pour chaque type d’acteur.

Protocole de passation : entretiens dirigés via le questionnaire

Compte tenu de la complexité et de la longueur des questionnaires, ainsi que de l’exigence de qualité de réponse attendue, nous avons choisi de compléter les questionnaires en face à face, lors d’un entretien individuel avec l’enquêté.
Chaque entretien a duré de 1h à 1h30, parfois davantage quand l’enquêté souhaitait faire partager ses réflexions sur la situation (SACI) ou sur le dispositif dans lequel cette SACI s’inscrivait, ou sur son rôle d’acteur de la SACI ou d’acteur dans le dispositif. Ces éléments périphériques ont constitué un apport non négligeable pour l’analyse et la caractérisation des SACI.
Lors de l’entretien, l’enquêté dispose de la version imprimée du questionnaire ; l’enquêteur lit la question. Un observateur note la réponse « à la main  » sur le questionnaire ainsi que les commentaires associés : échange d’informations pour éclairer la question ou la réponse ; clarification terminologique s’il y a lieu.
Les données recueillies ont été saisies ultérieurement sous Sphinx pour être traitées.

Choix des interviewés

Lors de sa conception, le questionnaire pouvait s’adresser à un acteur- étudiant. Compte tenu des contraintes de temps et de budget (pas de moyens pour diffuser largement les questionnaires, pas de moyens pour une exploitation de données quantitativement importantes), seuls les acteurs de l’encadrement pédagogique ont été enquêtés : concepteur de la SACI ou tuteur (Develay et al., 2006).

Recueil et traitement de données

Nous avons réalisé avec le questionnaire SACI, 18 entretiens, entre avril et novembre 2006, auprès des acteurs de 12 SACI. Nous avons choisi de n’interroger que les concepteurs et les tuteurs ayant participé à la SACI et de ne pas interroger, dans un premier temps les apprenants, pour les raisons évoquées plus haut. Nous avons essayé d’avoir, pour chaque SACI, au moins le témoignage d’un concepteur et d’un tuteur, dans certains cas le même acteur était concepteur et tuteur. L’entretien de recueil d’information a duré 1 heure environ par acteur. L’ensemble des réponses a été saisi dans le logiciel Sphinx.
Les questions fermées ont été analysées automatiquement (comptage, fréquence, moyenne) et manuellement. Nous avons ainsi construit, principalement, à l’aide d’Excel, des tableaux comparatifs ou croisés entre l’utilisation prescrite de la SACI et l’usage effectif pendant le déroulement de la SACI. Ces tableaux ont porté sur les prescriptions des concepteurs envers les tuteurs versus l’usage effectif des tuteurs, ainsi que les prescriptions des tuteurs versus l’usage effectif des apprenants. En terme d’usage nous avons principalement observé la fréquence et facilité d’utilisation des outils informatiques de communication, de production/diffusion/partage, de gestion du travail collectif ainsi que la formalisation et le respect du scénario original.
Les questions ouvertes ont été analysées manuellement. Ainsi, pour répondre aux questions retenues, concernant notamment la scénarisation et la réutilisation de SACI, on a repéré et extrait « à la main  » des éléments des réponses ouvertes (textuelles) sans utiliser un logiciel d’analyse textuelle ; nos extractions ont donc uniquement valeur d’argument illustratif et non de « preuve » à partir d’éléments mesurables. Cependant, elles nous ont permis de dégager un certain nombre d’observations. Elles ont rendu particulièrement visible le fait que les SACI s’appuient sur des scénarios soit peu formalisés, soit formalisés de façon peu transférable (David et al., 2007).

Résultats

Description globale des SACI

Les premiers résultats sur le profil global des SACI observées montrent qu’elles s’inscrivent toutes (100%) dans des formations diplômantes, dans des disciplines variées (anglais, informatique-infographie, ingénierie de la formation à distance, marketing, comptabilité, gestion d’entreprise). Les motivations qui ont poussé à la création de ces SACI sont d’agir sur une formation existante en présence (respectivement à distance) en la complétant (35% respectivement 23%) ou en la remplaçant/améliorant (47% respectivement 11,8%), de créer une nouvelle formation (41,2%) ou de chercher de nouveaux public (35,3%). Les expériences sont assez jeunes puisque 40% d’entre elles en sont à leur 1ere session et que 70% ont été réalisées sur moins de 4 sessions. La granularité est très variable ; on observe en effet des SACI ponctuelles (de 2h, de 2 jours) ou des SACI sur de plus longues périodes (1 semestre à 1 an). La part d’enseignement en présence est faible (inférieure à 10% du temps d’apprentissage dans environ 60% des cas).
Les objectifs sont assez variés, allant de réalisation de tâches simples (apprendre du vocabulaire, apprendre la manipulation d’un logiciel de conception graphique), à des tâches plus évoluées d’analyse globale et de gestion (de ressources, de projet, d’hommes). Il n’y a pas de type d’activité privilégié puisque nous relevons approximativement autant de situations d’apprentissage concernant de la recherche d’informations, du débat, de l’écriture collaborative, du projet, de l’étude de cas et de la résolution de problèmes. Les activités sont même souvent combinées : écriture collaborative dans un projet, recherche d’information et résolution de problème, débat et écriture collaborative par exemple. Le travail est prévu par le concepteur pour être collectif dans 64,38% des cas, ce qui est généralement suivi dans la pratique (60,71%). Le travail est plutôt de nature coopérative que collaborative (60% en effectif) mais ce chiffre est à prendre avec précaution. Il semblerait que les acteurs aient eu du mal à distinguer la collaboration de la coopération, même si une définition était donnée. En effet, nous avons observé par exemple des réponses contradictoires pour une même SACI comme : le concepteur indique une proportion d’activités collaboratives de 100% et le tuteur de 0%.
Au niveau de la temporalité, les activités synchrones sont très souvent prescrites par le concepteur (87,5% pour les apprenants et 100% pour les tuteurs). Si les activités asynchrones sont un peu moins prescrites (avec 68,75% et 64,29% pour les mêmes populations) elles sont bien suivies (62,50% des SACI les voient utilisées « souvent  » contre 6,25% « pas souvent « ) alors que cette tendance est un peu moins forte pour les activités synchrones (56% des SACI les voient utilisées « souvent  » contre 31,25% « pas souvent « ).

Usage prescrit versus usage effectif des SACI

L’étude spécifique de l’utilisation des outils d’interactions collaboratives, détaillée dans (Michel et al. 2007), montre que les outils de communication les plus fournis sur les plates-formes sont le mail (68,75% pour les apprenants et 76,47% pour les tuteurs), le forum (68,75% pour les apprenants et 64,7% pour les tuteurs) et le chat (56,25% pour les apprenants et 58,82% pour les tuteurs). Ils sont généralement bien utilisés. Peu de plates-formes fournissent des outils de visio ou audio conférence et quand c’est le cas ils sont peu utilisés. Les apprenants utilisent plus les forums que le mail alors que les tuteurs préfèrent le mail. Le téléphone est rarement proposé aux apprenants et un peu aux tuteurs qui l’utilisent entre eux. Les chats sont assez peu utilisés mais paradoxalement, dans certaines SACI et pour les étudiants, ils le sont alors qu’ils ne sont pas proposés. Cela montre que ces acteurs ont tendance à utiliser d’autres outils de communication rapide que ceux proposés, pour des raisons de confidentialité ou d’utilisabilité (des chats externes au dispositif par exemple).
La plupart du temps, les SACI observées ne proposent pas d’outils de partage et de production de ressources. Le wiki et le blog ne sont jamais utilisés. Le blog est certes rarement proposé (6,25% pour les apprenants et les tuteurs), mais le wiki l’est (50% pour les tuteurs). Ce résultat est surprenant car ces outils sont censés être d’usage familier ; les tuteurs n’éprouvent peut-être pas le besoin de formaliser sous cette forme leur expérience. L’éditeur de texte partagé et le tableau blanc sont plutôt souvent proposés et bien utilisés alors que le partage d’application non. Cette observation nous laisse à penser que le « bon  » usage ou l’usage effectif des outils de partage tient au fait qu’ils sont intimement liés à la réalisation d’une activité spécifique dans la SACI. Les outils de management du travail collectif sont assez peu proposés. Quand ils le sont, c’est sous la forme d’outils de gestion de document, d’outils spécifiques et d’outils de planification et dans une faible mesure d’outils d’awareness. Les apprenants utilisent souvent les outils de planning, les tuteurs utilisent assez bien tous les outils et même certains qui ne sont pas a priori prescrits, comme les outils d’awareness et les outils spécifiques. Nous pouvons supposer que les tuteurs détournent l’usage initial de ces outils pour satisfaire des besoins non pris en compte par le concepteur (comme l’évaluation du travail d’un élève et de son degré d’investissement grâce aux outils d’awareness, la composition d’un groupe et la collaboration au sein et entre les groupes grâce aux outils spécifiques d’organisation).

Conclusions et perspectives

Conclusion

Une des conclusions de cette étude est que les SACI ne sont pas particulièrement développées dans l’enseignement supérieur. La motivation poussant à la création de SACI est généralement de remplacer/améliorer une formation déjà existante en présence par une formation à distance. Les expériences observées sont assez jeunes et n’ont pas de traits caractéristiques forts en termes de champs disciplinaire, objectif d’apprentissage, granularité ou type d’activité. Parmi l’éventail des possibilités (activités ou outils) collectives et instrumentées disponibles, très peu semblent actuellement mises en pratique de manière aboutie. Du côté des outils utilisés, il s’agit d’outils assez communs et non spécifiques au domaine éducatif. Ainsi, parmi les outils de communication, seuls les outils de mail/forum/chat sont couramment utilisés. Les outils de partage et de production de ressources (wiki, blog, éditeur de texte, …) sont peu utilisés sauf quand ils sont intimement liés à l’activité. Les outils de management du travail collectif sont assez peu proposés.
Nous observons que les concepteurs qui mettent en place des situations d’apprentissage collectives ont souvent une démarche « artisanale « , bien loin des recherches actuelles sur les scénarios pédagogiques et de leur standardisation. Nous ne pouvons pas déterminer si ce constat est dû à une réaction pragmatique liée au manque de moyens matériels, d’outils ou de dispositifs ; à une difficulté à mettre en application des recommandations de la recherche ou bien à une mauvaise compréhension, par le tuteur, des objectifs du concepteur. Nos futures recherches tenteront de répondre à ces questions.
Cette recherche est à considérer comme exploratoire notamment pour la taille de l’échantillon : 18 entretiens ne permettent pas de généraliser les résultats obtenus. En outre, les analyses des usages sont issus d’entretiens qui n’ont de réalité que celle de leurs auteurs. En effet, la méthode de questionnaire ne permet pas d’analyser finement les activités des différents acteurs des SACI. Néanmoins, cette méthodologie nous a permis d’affiner nos questions et hypothèses sur le sujet, objectif que nous avions fixé pour cette étape de travail.

Perspectives

Il semble donc que les objectifs « collaborer pour apprendre  » et  « apprendre à collaborer  » sont généralement annoncés par les concepteurs mais la mise à disposition d’outils de communication dans les dispositifs étudiés ne génère pas automatiquement des activités collaboratives. Une hypothèse de recherche est qu’une scénarisation spécifique est nécessaire à la mise en place d’activités collectives.
Un des objectifs de notre travail est maintenant de caractériser des scénarios d’activités de type SACI qui favorisent l’émergence de collaborations effectives dans des contextes d’apprentissage. La proposition d’une typologie de SACI sera le premier résultat attendu. L’expérimentation de plusieurs scénarios dans des situations semi-contrôlées devrait permettre d’aboutir à des propositions de scénarios réutilisables en fonction d’un paramétrage de la part d’un enseignant concepteur d’une situation de type SACI.

 

Remerciements

Ce travail s’intègre dans le projet ACTEURS (financé de 2005 à 2007, porté par l’INRP et dirigé par Jean-Philippe Pernin). L’étude présentée a été réalisée par un collectif de chercheurs : Bernard Bourriquen (IUT2, Université C. Bernard, Lyon 1), Jean Pierre David (LIG, Université J. Fourier, Grenoble 1), Elise Garrot (Laboratoire LIESP, INSA-Lyon), Sébastien George (Laboratoire LIESP, INSA-Lyon), Hélène Godinet (EducTice, INRP Lyon), Stéphanie Metz (ICAR, Université Lyon 2), Christine Michel (Laboratoire LIESP, INSA-Lyon).

Nous tenons à remercier toutes les personnes qui ont rendu possible ce projet. Nous remercions particulièrement les personnes que nous avons interviewées et qui ont décrit leur situation pédagogique avec enthousiasme.

Notes

(1) http://www.sciencedu.org/

(2) Campus Spiral (http://spiral.univ-lyon1.fr) pour l’IUT « Techniques de commercialisation  » et campus FORSE pour le master 1.

Références bibliographiques

Bourriquen, Bernard et al. (2006), « Caractérisation des Situations d’Apprentissage Collectives et Instrumentées dans le supérieur « , In Actes de la 8ème Biennale de l’éducation et de la formation. Lyon : INRP Lyon.

David, Jean-Pierre ; et al. (2007), « Scénariser une situation d’apprentissage collective instrumentée : réalités, méthodes et modèles, quelques pistes « ,in actes du 2ème Colloque Scénariser l’apprentissage, une activité de modélisation,  Montréal (Québec, Canada) : Hotte & al.

Develay, Michel ; Godinet, Hélène ; Ciekanski, Maud (2006), « Pour une écologie de la responsabilité en e.formation « , Distances et Savoirs, vol. 4, n°1, p. 61-72.

Dillenbourg, Pierre (1999), “What do you mean by collaborative learning?” (p. 1-19), Collaborative Learning : cognitive and computational approaches, Oxford : Elsevier Science.

Doise, Willem; Mugny, Gabriel (1984). The Social Development of the Intellect, New York : Pergamon Press.

Folcher, Viviane ; Rabardel, Pierre (2004), « Hommes, artefacts, activités : perspective instrumentale  » (p. 251-268), Falzon, Pierre (dir.) Ergonomie, Paris : PUF.

George, Sébastien (2001), Apprentissage collectif à distance – SPLACH : un environnement informatique support d’une pédagogie de projet, Thèse de Doctorat en informatique, Université du Maine, 2001.

Godinet, Hélène (2007), « Scénario pour apprendre en collaborant à distance : contraintes et complexité  » in Wallet, Jacques (dir.), Le Campus numérique FORSE, analyses et témoignages, Rouen : PURH.

Mackay, Wendy ; Fayard, Anne-Laure (1997), « Radicalement nouveau et néanmoins familier : les strips papiers revus par la réalité augmentée « , in Actes des journées IHM Interaction Homme-Machine, Poitiers, p. 105-112.

Michel, Christine ; Garrot, Elise ; George, Sébastien (2007), Instrumented Collective Learning Situations (ICLS): the gap between theoretical research and observed practices (p. 895-901), In proceedings of  conference SITE 2007, San Antonio (Texas, USA) : 26-30 mars 2007.

Rabardel, Pierre (1995), Les Hommes et les technologies. Approche cognitive des instruments contemporains, Paris : Armand Colin

Auteur

Stéphanie Metz

.: Stéphanie Metz est Maître de Conférences en Ergonomie Cognitive à l’Université Montpellier Sud de France depuis 2007 et membre du laboratoire CNRS ICAR (ENS-LSH). Elle a réalisé une thèse en psychologie cognitive du travail à Toulouse. En 2002, elle a été nommée responsable de la conception du Campus Numérique Français VCiel déployé en 2006. Ses activités de recherche se centrent sur l’analyse des situations médiatisées par ordinateur comme la conception collaborative et l’apprentissage à distance, pour la recommandation de nouveaux outils et de nouvelles pratiques. En parallèle, elle enseigne la psychologie et l’ergonomie à des publics variés, étudiants en informatique, sciences cognitives, sciences de l’éducation et sciences du langage.