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L’offre française de formation en ligne à destination de l’international. Des incitations ministérielles aux prémices de nouvelles logiques ?

13 Fév, 2009

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Benchenna Abdelfettah, «L’offre française de formation en ligne à destination de l’international. Des incitations ministérielles aux prémices de nouvelles logiques ?», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°09/2, , p. à , consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2008/supplement-a/01-loffre-francaise-de-formation-en-ligne-a-destination-de-linternational-des-incitations-ministerielles-aux-premices-de-nouvelles-logiques

Introduction

Cette contribution s’inscrit dans le prolongement d’un article publié récemment dans le numéro 6-1 de la revue Distances et savoirs (Benchenna, 2008, pp. 99-116), consacré à l’internationalisation de l’enseignement à distance à l’ère du numérique. Il était question de comprendre comment l’exportation d’offre de formation à l’ère du numérique, à destination des pays francophones du sud,
1 – relève d’une stratégie globale : l’objectif étant la transformation des systèmes éducatifs de ces pays en diffusant des modèles organisationnels fondés le plus souvent sur des logiques marchandes et de rationalisation. D’autre part,
2 – tente à modifier les rapports à la fois entre les usagers et l’enseignement supérieur dans les pays destinataires et entre les universités françaises et celles des pays francophones du sud.

Le présent document est consacré, dans un premier temps, à un des objectifs des trois appels de l’opération Campus numériques, à savoir le développement d’une offre de formation en ligne destinée à un public international. Nous nous interrogeons sur la place accordée à cette question dans la stratégie ministérielle, sur la portée et les finalités de cette orientation et sur l’intérêt que les porteurs des projets lui ont accordé dans leurs réponses. Ce questionnement repose sur le constat suivant : si la construction d’une offre française de formation ouverte et à distance est la raison d’être de l’opération campus numériques français, CnF, le développement de cette offre à destination de publics étrangers est présenté, dans le discours ministériel, à la fois comme une finalité, pour un rayonnement de l’enseignement supérieur au-delà du territoire national, et, comme un moyen pour confronter la supposée concurrence dans le marché international de la formation.

Le deuxième objectif poursuivi est en lien direct avec le premier. Il s’agit d’étudier comment se traduisent les orientations ministérielles au travers les campus qui oeuvrent véritablement à l’exportation des campus à l’international. Nous remarquerons au passage que cette exportation concerne pour le moment les seuls pays francophones du sud. En prenant comme exemple, le déploiement de la stratégie à l’international des promoteurs du campus E-mi@ge International, il s’agit de fournir une illustration, plus détaillée quant :
1 – aux orientations que prennent les responsables des campus pour exporter leurs offres vers l’étranger et plus particulièrement vers les pays francophones du sud. Celles-ci sont le résultat de négociations où plusieurs paramètres entrent en jeu, avec le risque de s’éloigner progressivement des missions du service public dans lequel et pour lequel ils agissent.
2 – aux modifications de rapports tant au niveau institutionnel qu’au niveau de l’usager face à l’accès aux formations sanctionnées par un diplôme reconnu sur le marché de l’emploi et accessibles via le Net. Nous tenterons de montrer comment l’exportation de formations diplômantes en ligne, conjuguée à une demande sociale en matière de diplômes reconnus par le marché d’emploi, dans les pays du sud, introduit progressivement à la fois les prémices de la logiques marchande et de rationalisation au sein de l’enseignement supérieur de ces pays.

Ceci nous amène à inscrire cette contribution à l’intersection de deux problématiques plus générale,
1 – l’articulation technologisation/marchandisation de la formation. Autrement dit, dans quelles mesures l’intégration des technologies de l’information et de la communication favorise le développement d’une logique marchande de la formation ?
2 – les nouvelles formes de domination entre les pays du Nord et les pays du Sud avec le développement du numérique.

Notre contribution s’articulera autour de deux parties :
1- la place accordée, par les appels à projets CnF et les réponses à ces appels, à la question de l’internationalisation d’une offre qui reste entièrement à construire.
2 – le contexte et les conditions, de part et d’autres, dans lequel s’opère l’exportation de l’offre de formation en ligne en destination des pays francophones du Sud. Ainsi, il sera question de fournir quelques éléments sur la réalité de cette exportation.

Nouvelle menace et préoccupation ancienne

Discours politique : L’enseignement supérieur (ES) français menacé

La question de l’internationalisation de l’enseignement supérieur français ne coïncide pas avec le développement du numérique. Elle est une constante depuis des décennies. Cette préoccupation renvoie à la place et au rayonnement de l’enseignement supérieur français au niveau international, qui se matérialise essentiellement par l’accueil d’étudiants étrangers au sein des universités et grandes écoles françaises.

Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, les discours ministériels en France ne cessent de mettre l’accent sur le danger que peut engendrer le développement de produits et de services en ligne et à distances émanant des universités américaines alors que, comme le rappellent certains rapports de l’OCDE, ces services ne représentent, en réalité, une part minime si on les compare à la mobilité des étudiants au travers le monde. On peut se demander alors si l’urgence de faire face au « danger outre-atlantique », en matière de services de formation en ligne, n’était qu’un moyen, à côté de la nécessité de moderniser l’enseignement supérieur français, pour légitimer l’opération Campus numériques français et rattraper ainsi le supposé « retard français ».

Les différentes déclarations des ministres successifs, des gouvernements de droite comme de gauche, vont toutes dans le sens de la nécessité d’ouvrir l’université française à l’international, avec une offre de formation à distance via le net ; un objectif stratégique pour les instances ministérielles avec des enjeux à la fois économiques, politiques, culturels voire géopolitiques.

Les Etats-Unis sont présentés à la fois comme une menace et comme un modèle à suivre. La construction d’une offre de formation française destinée à l’international est présentée comme une réponse à l’offensive du monde anglo-saxon qui cherche à conquérir le marché mondial de la formation.
« Les Etats-Unis ont d’ores et déjà commencé la mise en place de formations en ligne à partir de leurs universités et instituts les plus prestigieux » (1). L’exportation des formations en ligne est alors fortement encouragée. Le discours de Claudie Haigneré (2), prononcé (3) au cours du colloque  « Campus Numériques et Universités Numériques en Région« , en est une illustration :
« La coopération internationale est le troisième critère d’excellence : certains campus numériques ont commencé à le faire, notamment avec des universités francophones d’Afrique. Cette tendance doit être renforcée au bénéfice de tous, nos universités comme les universités partenaires, et doit être étendue à une coopération de nos futurs pôles d’excellence avec des universités européennes. »(4)

Comment alors ce discours politique, fortement relayé par la presse, sur la question d’ouvrir l’université française vers l’international, à l’ère du numérique, trouve sa place dans les appels à projets de l’opération campus numérique ?

Les appels à projets CnF et la question des publics étrangers

La construction d’une offre de formation en ligne destinée à un public international, à titre individuel ou dans le cadre de la coopération internationale, est une constante dans les trois appels 2000 ; 2001 et 2002.

Le texte du premier appel (Juin 2000) justifie le lancement de l’opération en l’inscrivant dans un contexte international caractérisé par ”une évolution accélérée de l’enseignement supérieur à distance [où] le développement de l’EAD devient un enjeu fort pour l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur français”. Il s’agit d’aider “les universités à structurer une offre nationale en formation ouverte et à distance compétitive sur les marchés internationaux de la formation”. Le déploiement des TIC est présenté comme un moyen “d’élargir l’offre [de formation] vers des publics étrangers”.

La deuxième édition de l’appel (avril 2001) considère le développement une offre française compétitive sur le marché international comme une finalité au même titre que les questions de la modernisation du service public de l’enseignement supérieur et la structuration d’une offre nationale de formation ouverte et à distance qui reste à construire. Le public international est présenté comme une cible à prendre en compte, au même titre que les publics de la formation initiale et continue, (appel à projets campus numériques, volet A, 2002).

Si l’objectif du troisième appel (plus particulièment son volet A) était de consolider ce qui a été entrepris lors deux précédentes années, nous pouvons noter que la construction d’une offre de formation en ligne, destinée à l’international, acquiert une certaine importance aux yeux des rédacteurs de l’appel. Il est question, en effet, d’examiner “exceptionnellement, de nouveaux projets conçus pour un public international (à titre individuel ou dans le cadre de coopérations internationales)« .

Comment l’internationalisation des campus s’est traduite dans les réponses aux trois appels ministériels ? Quelle place a été accordée par les porteurs des projets à cet objectif ? Les évaluateurs des projets lui ont-ils donné une importance dans le processus d’évaluation des projets ? Pour cela, nous limiterons à l’analyse des réponses à l’appel 2002 (volet A).  Les développements qui suivent tentent de montrer un certain décalage entre la volonté d’étendre la couverture des campus à des publics étrangers et les modalités de sélection des projets, d’une part et de l’importance réelle accordée réellement par le ministère que par les porteurs des projets précisément à cette question.

Viser des publics étrangers : un objectif de l’opération CnF ?

Nous l’avons dit, un des objectifs affichés de l’opération campus numérique est de construire une offre de formation visant un public étranger. Dans un des documents constituant l’appel à projet 2002 (volet A), ce point est abordé sans qu’il ne soit pour autant considéré comme un critère de recevabilité et encore moins un critère de sélection des projets.

L’évaluation de ces derniers a porté, en réalité, sur des éléments liés « à la pertinence et à la qualité du projet » et «  »à la faisabilité, la cohérence et la fiabilité de la gestion ».  Sont pris en compte, par exemple, des campus ayant fournit un bon bilan d’activités sur les deux dernières années, des campus qui ont fourni des informations précises sur les « besoins de formation identifiés et pertinence des dispositifs pédagogiques mis en place pour répondre à ces besoins, notamment par rapport à l’existant ».

Cependant, dans le texte de l’appel, il est mentionné que l’AUF(5) accordera son soutien au déploiement de certains campus numériques dans le cadre de son programme « Technologies de l’information et de la communication et appropriation des savoirs » pour favoriser une offre française à destination des pays francophones du sud. Autrement dit, l’internationalisation des campus numériques français est réduite à une exportation vers ces pays. Nous pouvons noter, par ailleurs, que rien, dans les documents analysés, ne nous permet d’avoir des précisions quant aux critères propres à l’AUF.

Cette organisation a contribué au financement de l’opération campus numériques français, en 2002, à hauteur de 0,229 M€(6) sur un total de 9,376 M€, soit 2,44% du budget total du projet. Cette indication financière fournit un élément d’appréciation sur l’importance toute relative accordée, en réalité, à la question de l’exportation de l’offre de formation, en construction, à l’international.

Un autre élément nous permet de conforter cette hypothèse. Si une des informations demandées aux candidats, en effet, est de préciser quantitativement les publics visés à l’international (& 4.), on peut remarquer que ce critère n’est pas repris dans la grille d’évaluation des projets. L’ouverture du campus à l’international est totalement absente. Les cinq jurys, constitués pour évaluer les projets-candidats, font rarement référence à la question des publics visés à l’international dans leurs rapports d’évaluation.

Hésitations chez les porteurs de projets

77% des dossiers déposés, pour l’appel 2002 – volet A, annoncent explicitement viser un public étranger(7). Très peu d’entre eux, par contre, fournissent des éléments sur leur stratégie pour étendre leur offre à ce public. Il s’agit le plus souvent de projections fondées sur une demande supposée pertinente du fait (la liste n’est pas exhaustive) :
– de l’éloignement de cette catégorie du public ;
– de la préexistence de partenariat avec des universités étrangères ;
– du contenu pédagogique de l’offre de formation proposée qui s’apprête à l’exportation (droit international, sciences de l’ingénieurs, médecine, etc.) ;
– de la possibilité de s’appuyer sur une infrastructure proposées par l’AUF avec ses CAI (Centres d’Accès à l’Information) ou sur des réseaux préexistants tels que RESAFAD.

L’examen des réponses laisse entrevoir, le plus souvent, une attitude d’hésitation et de prudence des porteurs de projets quant aux potentialités de viser un public étranger. Très peu de projets envisagent, en effet, un recrutement massif d’étudiants étrangers. Le plus souvent, il s’agit d’une dizaine voire d’une vingtaine d’étudiants, pour les trois prochaines années.
Cette attitude pourrait avoir plusieurs explications :
1 – Les porteurs de projets n’ont véritablement pas de visibilité sur les modalités à inventer sur le plan pédagogique (modalités du tutorat, par exemple) et sur le modèle économique (qui paie, à qui et sur quelle base ?) pour envisager parmi leur cible un public éloigné géographiquement et dont les caractéristiques restent entièrement à connaître.
2 – Les plus entreprenants d’entre eux étaient seulement en phase d’exploration des possibilités qui leur sont offertes pour envisager d’étendre leur offre de formation vers un public étranger. C’est par exemple, le cas du consortium E-mi@ge qui à l’époque était en phase de prise de contact avec des institutions étrangères « dans le but de constituer un réseau de diffusion international ».
3 –  A aucun moment, dans l’appel ministériel, il n’est question de structure nationale émanant du ministère de tutelle pouvant aider les porteurs de projet à étendre leur action à l’international. En réalité, aucune décision, n’était prise quant à la stratégie d’exportation des campus français à l’international. Les auteurs d’un rapport(8), publié en avril 2002, consacré aux campus numériques, s’interrogeaient sur l’orientation à suivre, sans pour autant proposer une solution :
« – La FOAD doit-elle exporter notre vision de l’enseignement supérieur et obéir aux mêmes règles nationales que la formation classique ?
– doit-on plutôt construire l’offre de formation avec les pays vers lesquels on souhaite exporter nos campus numériques ?
– doit-on associer plus fortement les partenaires privés, comme cela se fait dans le monde anglo-saxon ?
– doit-on privilégier certains partenaires publics étrangers (pays européens, pays de la francophonie ?) »

Très peu de projets ont proposé véritablement des éléments sur leurs stratégies pour exporter leurs offres de formation en ligne. Optant pour une approche opportuniste, le campus CV TIC International est à cet égard une exception, du moins au niveau discursif. Une étude de faisabilité, jointe au dossier de candidature, est confiée à un cabinet d’étude extérieur. Ce qui peut expliquer probablement le ton et le caractère très volontariste avec une orientation en terme de public visant essentiellement un public étranger des pays francophones du sud.

Partant de deux postulats, l’un concernant la rentabilité de l’action, à moyen terme, l’autre portant sur l’importance de la demande potentielle, les porteurs de CVTIC International projettent d’exporter non seulement les contenus de la formation mais également le savoir-faire en matière de développement et de montage de campus virtuels. Il est question de recourir à des modèles organisationnels empruntés au monde de l’entreprise tels que « la prestation de service » ou « la franchise ».

« Cette offre originale est susceptible de valoriser le savoir-faire français de formation à distance, particulièrement face à la concurrence anglo-saxonne. L’extension à l’export de la démarche peut donc concerner à la fois le contenu des formations, et la démarche elle-même, sous la forme de partenariats, de « franchises » et de prestations d’assistance et de conseil au montage de campus virtuels ».

Une telle orientation nous renvoie vers l’hypothèse selon laquelle l’exportation des campus numériques génère de nouvelles logiques, telle que la logique marchande, qui tend à transformer l’enseignement supérieur des pays du sud. Cette tendance peut être analysée à présent avec un certain recul. Six ans se sont écoulés, en effet, après le lancement du troisième appel campus numérique. On peut se poser légitiment les questions suivantes : Où en sommes-nous de l’exportation des campus numériques français vers les pays du sud ? Quels sont les changements de rapport observés, entre l’usager et l’institution universitaire de son pays, entre les universités du Nord et celles des pays du sud ? C’est ce que je propose de développer dans la suite de ce travail.

Réalités actuelles de l’exportation des campus numériques français

Si plusieurs organismes fédérateurs affichaient, au début de l’opération CnF, un certain intérêt pour l’exportation des campus numériques (CNED, EduFrance, FIED, etc.), on peut constater qu’ils ne se sont pas parvenus à se positionner dans cette démarche. Une initiative, lancée en 2005, par le ministère des affaires étrangères, intitulée Ciesel, n’a pas dépassé l’état de projet (Benchenna, 2008).

En réalité, l’exportation des campus numériques français à destination des pays du sud francophones est soutenue essentiellement, pour ne pas dire uniquement, par l’AUF. Sans l’implication de cette organisation intergouvernementale, peu de campus aurait réussi à étendre leur offre. L’AUF soutient actuellement cinquante-quatre diplômes qu’elle propose aux étudiants issus des pays francophones du sud. Quatorze sont proposés soit directement par un établissement issu de ces même pays soit en association avec d’une université française. Cette orientation s’inscrit selon, les responsables de ce programme dans une démarche de co-développement et de coopération dans l’espace francophone. Cependant, et comme nous l’avons déjà indiqué dans l’article cité en début de ce document, l’action de l’AUF, vers ces pays, suscite des interrogations et nous invite à percevoir une série de modifications de rapports avec la numérisation des contenus et ce à deux niveaux. D’une part, le rapport de l’usager à l’institution universitaire est modifié parce que la technologisation de la formation apporte avec elle les prémices de sa marchandisation. D’autre part, les rapports entre universités françaises et universités des pays francophones sont également se modifient. Une division de travail entre ces structures universitaires commence à voir le jour. C’est ce que nous proposons d’étudier avec le cas de l’exportation du campus E-mi@ge.

Apportons deux précisions importantes avant cette analyse :
1-  ce que nous présenterons ici est une étude de cas. A ce stade, elle ne peut être généralisée. Un travail plus systématique s’intéressant à une grande majorité des campus serait une piste ultérieure.
2 – Rien n’est pour le moment stabilisé. Nous aurons l’occasion, tout au long des développements qui suivront, de voir que les acteurs en présence sont à la recherche de solutions qui rendent leur action pérenne, leurs modèles organisationnel et économique viables. Il s’agit donc d’une analyse de tendances observées, susceptibles d’évoluer à tout moment.

Exportation du Campus Emi@ge : nouvelles logiques dans l’ES des pays du sud ?

Le rôle prépondérant de l’Université  Jules Verne Picardie

Le consortium E-mi@ge International est constitué de plusieurs universités(9) avec des degrés d’implication et d’investissement disparates. Ceci est dû, entre autres, au fait que le modèle organisationnel proposé par le ministère, à savoir, la constitution de « consortium » est une innovation en soi. Les universités n’y ont pas été préparées. Mohamed Sidir, un des acteurs du développement de l’offre de formation à distance à l’Université Jules Verne, nous apporte quelques éléments allant dans ce sens quand il écrit « nos observations sur le consortium « E-mi@ge » montrent que le concept [consortium] ne semble pas être perçu de façon claire et pertinente par toutes les universités partenaires. Au contraire, de nombreuses réunions ont été  nécessaires pour aboutir à un consensus auquel finalement, peu d’universités ont  réellement adhéré » (Sidir, 2007, p. 111).

Plusieurs indices nous permettent, également, d’avancer que l’Université Jules Verne a joué (et joue encore) un rôle prépondérant tant au niveau du développement de ce campus qu’au niveau de son exploitation. Cette démarche est accompagnée par une réflexion et une recherche de nouveaux modes d’organisation permettant le développement de cette entreprise. A titre d’illustration, le rapport rédigé par Gérard-Michel Cochard, alors chef de projet E-mi@ge, et directeur de la direction de la formation permanente (DEP) de cette université, fournit les orientations stratégiques qui seront adoptées, par la suite, par les membres du consortium qui nous intéresse. La forte implication de l’Université Jules Verne trouverait une explication à plusieurs niveaux. La plus importante réside, à notre sens, dans le fait que le projet E-mi@ge a été porté par la direction de la formation permanente de cette Université. Cette composante dispose d’une marge de manœuvre plus souple et plus large que dans les autres universités membres du consortium. La forte implication de cette université est confortée également par le fait qu’elle est, en réalité, la seule à exporter ce campus à l’international et plus particulièrement vers les pays francophones du sud.

Poids de la dimension financière dans la pérennisation du dispositif

La stratégie de l’E-mi@age à l’international, dans son volet financier, repose essentiellement sur le soutien des organisations intergouvernementales, et plus particulièrement l’AUF. Ce soutien est considéré par les responsables du consortium à la fois comme nécessaire et temporaire :
1 – nécessaire, parce que dans les conventions avec « les centres associés » il est stipulé clairement que « les partenaires rechercheront, pour mener les actions prévues, les financements nécessaires, notamment auprès des organismes pour le développement et la coopération, en relation avec l’Agence Universitaire de la Francophonie ». Cette organisation a négocié « des tarifs sud » avec tous les consortiums qui exportent leur offre vers les pays francophones du sud. Pour l’E-mi@age, les accords avec l’AUF portent sur un prix de 2500 € soit 156 € par module au lieu de 364 € pour un étudiant payant sa formation en France.

2 – temporaire, parce que la viabilité du dispositif ne peut reposer, à moyen et à long termes, selon un des responsables du dispositif, sur cet appui. Pour Gérard-Michel Cochard « La dimension financière a une grande importance dans l’exportation de ces dispositifs. Elle a une grande importance dans la pérennité de ces dispositifs. Si on raisonne par subvention comme raisonnent encore certains, cela ne va pas marcher. On ferme la boutique. Il faut assurer une pérennité aux dispositifs et pour cela, il faut que l’équilibre financier soit réel, que les comptes soient simples sinon cela ne marche pas…. ». Cette prise de conscience de l’importance de l’équilibre financier se traduit dans les orientations prises par le consortium. En effet, le consortium se garde la possibilité de ne pas recruter un effectif important d’étudiants provenant des pays du sud car « l’influence sur les budgets des centres de référence peut être importante si trop de candidats de cette nature sont acceptés ». Il est question de « fixer un quota maximum pour ces candidats à prix réduit de manière à ne pas mettre en danger l’équilibre budgétaire ».

Cette contrainte financière, conjuguée à une volonté de permettre aux étudiants des pays du sud d’accéder à une offre de formation de qualité, amène les responsables du consortium à penser un modèle organisationnel d’exploitation de leur offre qui s’inspire des principes de la délocalisation d’une partie de la prestation et se traduit par une division du travail entre universités.

Une relation de sous-traitance

La stratégie de l’E-mi@ge à l’international repose, dans son volet organisationnel, sur une division du travail où les universités, ou centres de formation privés, des pays du sud deviennent des « centres d’exploitation d’information » remplissant le rôle de sous-traitant. Les propos recueillis auprès de Gérard-Michel Cochard, de l’Université de Picardie donne une idée précise de cette division du travail qui commence à voir le jour avec l’exportation des contenus de formation en ligne :

« Notre idée était effectivement de pouvoir faire en sorte que des gens qui sont dans un pays lointain, puissent suivre dans les meilleures conditions leur formation, donc notre idée était de créer des centres associés. Nous les avons appelé centres relais au départ mais certains partenaires trouvaient cela un peu péjoratif. Donc, on a dit centre associé. C’est beaucoup mieux. C’est plus noble. Qu’est-ce que c’est qu’un centre associé ? C’est un centre d’exploitation d’information, c’est-à-dire, un centre qui fait exactement ce que nous faisons nous… universités en France. Ils ont un serveur avec les contenus, ils ont des plates formes de formation à distance que nous avons installées. Une équipe pédagogique fait du tutorat sur chacun des modules et ils peuvent faire des regroupements physiques. Ils sont aussi un centre d’information et d’inscription pour nous. C’est un relais en fait puisque que c’est quand même nous qui inscrivons. Mais c’est eux qui donnent les dossiers, qui reçoivent l’argent qu’ils nous transfèrent après. Puis, ils sont centres d’examens »(10).

La convention proposée par le consortium E-mi@age cantonne, en effet, ces établissements, désormais « centre associé de formation à distance », à « assurer le tutorat aux étudiants inscrits », à « mettre à leur disposition des ressources permettant une connexion au site de formation », et à « assurer dans ses locaux permettant les regroupements périodiques et l’organisation des examens de fin de semestre ». Le centre associé n’intervient pas dans le développement des contenus pédagogiques, encore moins dans son évolution et son adaptation au contexte du pays accueillant. Il se contente d’assurer le bon fonctionnement d’une infrastructure matérielle et logicielle où des « ressources pédagogiques sont proposées et maintenues par le site de référence ».

Le cahier des charges, annexé à la convention entre « centre référence » et « centre associé », précise le rôle de ce dernier depuis la promotion de l’offre de formation jusqu’à l’évaluation finale de l’étudiant, en passant par le recrutement des candidats. Une répartition extrêmement précise des responsabilités. Pour le recrutement, par exemple, le « centre associé » se contente de fournir la liste des candidatures après avoir assuré la promotion de la formation. Quant au centre référent, il a la charge d’étudier « l’éligibilité des candidatures qui lui sont transmises et formule auprès du candidat et du centre associé sa décision d’admission ou de non-admission à l’inscription dans la formation envisagée. Au cas où une validation d’acquis professionnels ou de l’expérience serait préalable à l’inscription, le processus correspondant sera traité entièrement par le centre de référence ».

Sur le plan pédagogique, le centre associé se contente de désigner les tuteurs, après agrément du centre référent, pour des différents modules composant la formation module.

Ne peut-on pas voir précisément, dans cette répartition des tâches entre « centres référents » et « centres associés », les prémices de nouvelles logiques où la définition des rôles de chacune des parties est déterminée à la fois :
1 – par un contexte, côté pays du sud, qui poussent les établissements universitaires à chercher dans les TICE un moyen pour sortir d’une crise matérialisée par certains décideurs par une inadéquation entre l’offre de formation et une demande sociale (Benchenna, Sidir, 2008).
2 – par un éloignement progressif de certaines universités françaises, d’une démarche de coopération où il est question de partager une expertise avec les universités des pays du sud tout en permettant à ces dernières de rester maîtres d’une offre de formation conçues par ses propres équipes enseignantes.

Une telle division ne va-t-elle pas à terme rendre les universités des pays du sud de plus en plus dépendantes d’une offre de formation dont ces enseignants-chercheurs ne sont pas auteurs ?

Les entretiens menés au Maroc et en Tunisie, nous apportent quelques éclaircissements sur les réalités d’exportations de formation en ligne vue par les coordonnateurs de l’E-mi@ge dans les universités accueillant ces formations. Il s’agit, à la fois d’avoir des précisions quant aux motivations des enseignants assurant la coordination de la formation E-mi@age au sein de leur université, des difficultés rencontrées dans l’accompagnement de formations importées, inhérentes à toute innovation.

Marchandisation et Technologisation

Les équipes dirigeantes des universités marocaines accueillant les formations en ligne sont conscientes des intérêts des promoteurs de l’E-mi@age quant à l’exportation de leur campus. « Avoir des étudiants » et « diffuser leur produit » sont les seuls enjeux aux yeux de nos interlocuteurs à prendre en compte. L’accent est mis essentiellement sur la dimension « commerciale » de l’opération. Cela ne choque guère le milieu universitaire au Maroc. Il est de plus en plus admis qu’une formation soit proposée à un public contre une participation financière. Pour certains enseignants/chercheurs, la gratuité de l’enseignement supérieur est insoutenable à terme. La participation financière des étudiants est présentée comme un garant de l’amélioration de la « qualité de l’ES marocain » au même titre que l’aptitude à poursuivre des études supérieures ou la mise en place d’une stratégie innovante en matière de recrutement de l’encadrement pédagogique (M. Zouaoui, 2005, pp. 187-199).

Notons à cet égard, que les instances ministérielles marocaines n’ont jamais caché leur souhait, voire leur volonté, d’introduire la logique marchande dans l’ES, au sens d’une régulation des échanges comme fonction de la recherche de profit entre offreurs et demandeurs individuels dans un marché donné (Tremblay, 1998, p. 46). Même si une telle orientation est contestée par certains universitaires (Kassouri, 2001), elle est à la fois encouragée et de plus en plus défendue par des responsables aux commandes des Universités. Le Vice-Président (11) d’une université estime inconcevable que l’Université ne soit pas payante au même titre que les établissements privés de l’enseignement au niveau primaire et secondaire. De son côté, l’ancien Directeur de l’Enseignement supérieur (1979-1996), Abdellah El Masslout, considère la gratuité comme une injustice, dans la mesure où « La participation des bénéficiaires se justifie du point de vue économique, simplement : si un projet de formation est réellement productif, les bénéficiaires doivent payer le coût des biens et services qu’il leur fournit, tout en accroissant leurs revenus. De plus, la « gratuité » apparaît comme une injustice. Elle traite sur le même pied d’égalité des étudiants issus de milieux sociaux fortement inégaux. Elle exonère, en particulier, les plus riches de dépenses qu’ils peuvent, et doivent supporter. Elle apparaît aussi comme un obstacle à la qualité. En faisant dépendre l’université de ressources publiques limitées, elle la condamne à offrir des services de qualité médiocre et limitée. Elle empêche la prise de conscience des coûts de formation qui transforme les « consommateurs » en usagers éclairés, plus exigeants, plus attentifs au choix et à la durée de leurs études, plus respectueux de l’outil mis à leur disposition. Enfin, la quasi-gratuité des œuvres sociales, notamment le logement et la restauration, entrave l’expansion de cet important secteur », (El Masslout, 1999, p. 222).

Avec l’exportation d’une offre de formation en ligne, répondant aux exigences de l’architecture LMD, les promoteurs du campus E-mi@age, comme les autres campus, contribuent aux souhaits exprimés par les décideurs en matière d’enseignement supérieur des pays qui les accueillent. Ils participent à ouvrir davantage l’ES de ces pays à la logique marchande. Plus globalement, la mobilité des établissements et des fournisseurs d’enseignement, des programmes de formation en ligne ou franchisé ou encore la co-diplômation sont autant de modalités qui font correspondre l’enseignement supérieur de ces pays aux critères de l’AGCS. (Croché et Charlier,  2008, p. 21).

Outre cette préparation à faire correspondre les systèmes d’enseignement supérieur de ces pays à ces critères, ce qui est recherché par les universités des pays du sud est de trouver dans les TICE un moyen leur permettant de sortir des crises dans lesquels elles sévissent depuis des décennies. Les projets de mettre en place des campus virtuels au Maroc (CVM) ou en Tunisie (UVT) sont des exemples qui s’inscrivent dans cette démarche. Accueillir une offre de formation venue d’ailleurs est présentée comme un moyen d’apprendre un nouveau métier et de moderniser l’enseignement supérieur de ces pays, avec les difficultés inhérentes à toute innovation.

Apprendre un nouveau métier !

Pour les universités accueillant l’E-mi@ge, cette expérience leur permet d’acquérir une expertise en matière d’enseignement à distance. Cette demande d’expertise est à observer tant au niveau institutionnel qu’au niveau des enseignants qui s’impliquent directement. Pour la coordonnatrice(12) de l’E-mi@ge à l’Université virtuelle de Tunis (UVT), le travail de sous-traitance et son implication dans cette opération lui permettent de découvrir les tâches qui incombent au tuteur d’une formation, d’apprendre à gérer une formation en ligne, gérer des séances de regroupement d’étudiants afin de développer à terme une offre de formation totalement tunisienne. Ce raisonnement est partagé par son homologue marocain à l’Université Cadi Ayad, à Marrakech. Il inscrit son investissement dans une démarche qui permettra à son université, à moyen terme, de proposer sa propre offre de formation à distance. Il s’agit, pour lui, d’un processus en trois étapes : La première serait d’identifier les difficultés de mise en place d’un dispositif de e-learning, suivie d’une étape d’apprentissage de développement de contenus tout en s’appuyant sur l’expérience française pour  entrer enfin dans une phase de développement de formations propres à l’université. La volonté d’acquérir une compétence dans le domaine de l’enseignement en ligne est inscrite dans une volonté plus globale, celle de moderniser l’enseignement supérieur de ces pays et surtout de trouver dans les TIC un moyen pour sortir de la crise que connaît l’ES (Sidir, Benchenna, 2008). Cette crise se matérialise, entre autres, par la massification. Au Maroc comme en Tunisie, le développement d’une offre de formation en ligne est présenté comme un moyen permettant de faire face aux effectifs d’étudiants importants annoncés pour les années à venir. Le déséquilibre des nombres d’étudiants inscrits en Lettres et sciences sociales et humaine avec ceux des sciences dites exactes est une des caractéristiques de l’ES au Maroc. Le développement d’une offre de formation en ligne est encouragé le plus souvent dans les disciplines scientifiques. L’inadéquation de l’offre de formation avec le marché de l’emploi est une autre figure des difficultés que traverse l’ES supérieur dans certains pays du sud et plus particulièrement au Maghreb. Tout est donné à lire comme si l’intégration des Tic dans la sphère universitaire allait sortir l’ES de cette crise.

A la recherche d’une configuration optimale ?

L’exportation de l’E-mi@ge vers les pays du sud francophone est construite sur un processus de négociation, entre l’Université Jules Verne et celles des pays du sud engagés dans cette nouvelle forme de partenariat. Comme nous l’avons vu, elle apporte avec elle une division de travail entre les acteurs en présence et introduit progressivement la logique marchande au sein des universités des pays destinataires. En même temps, les universités accueillant la formation, cherchent à ne pas être un simple centre relais. La question de la diplomation devient un enjeu même si, pour le moemnt, il ne s’agit que d’un trompe-l’œil. Dans l’Université Cadi Ayad, à Marrakech, par exemple, à la fin de chaque semestre, l’étudiant passe deux séries d’examen : des examens proposés par l’université Jules Verne et des examens proposés par les tuteurs marocains. L’étudiant obtient, dans le cas où il réussit les examens des deux universités, deux diplômes pour une même formation. Une telle organisation apporte avec elle son lot de problèmes à la fois sur le plan organisationnel du déroulement de la formation mais aussi au niveau du positionnement réel de l’université accueillante la formation. En effet, la gestion de deux séries d’examens pour une même matière, reste lourde à gérer pour les tuteurs. De plus, « un étudiant peut réussir un diplôme et ne réussit pas l’autre » (13). Des négociations, en cours, entre les deux parties vont dans le sens où les deux diplômes soient sanctionnés par une série d’examen commune aux deux universités. Il est question que l’auteur et le tuteur d’un cours proposent conjointement un même examen tout en délivrant toujours deux diplômes.

Une autre difficulté est à observer dans la pérennisation l’implication des tuteurs recrutés dans les rangs des enseignants des universités qui accueillent la formation. Les modalités de rémunération n’incitent apparemment pas les enseignants à assurer le tutorat d’un cours. En effet, les enseignants sont payés en fonction du nombre d’étudiants ayant validé le module assuré par le tuteur. En Tunisie, par exemple, certains tuteurs se trouvent avec un ou deux étudiants. Quand l’étudiant abandonne, l’enseignant n’est plus payé.

Conclusion

L’objectif de cette contribution est double. Il s’agit à la fois :
– de s’interroger sur la place accordée, dans l’opération campus numériques français, au développement d’une offre de formation en ligne destinée à un public international dans la stratégie ministérielle, sur la portée et les finalités de cette orientation et sur l’intérêt que les porteurs des projets lui ont accordé dans leurs réponses
– d’étudier comment se traduisent les orientations ministérielles au travers les campus qui oeuvrent véritablement dans l’exportation des campus à l’international.

En prenant comme exemple, le déploiement de la stratégie à l’international des promoteurs du campus E-mi@ge International, nous avons cherché à fournir une illustration des nouvelles logiques qui accompagnent l’exportation des formations diplomantes, à l’ère du numérique, vers les pays du sud francophones. Sans chercher à être systématique ni à généraliser hâtivement, nous avons voulu contextualiser de part et d’autre, les raisons qui poussent les différents protagonistes à œuvrer ainsi.

L’analyse d’une part, des textes des trois appels campus numériques français et les réponses à ces appels, d’autre part, sur la question de construire une offre de formation nationale destinée à un public étranger montrent clairement un décalage entre les volontés affichées initialement et la réalité.

Si 77% des dossiers déposés, pour l’appel 2002 – volet A, annoncent explicitement viser un public étranger, très peu d’entre eux, par contre, fournissent des éléments sur leur stratégie pour étendre leur offre à ce public. Il s’agit le plus souvent de projections fondées sur une demande supposée pertinente.

Une attitude d’hésitation et de prudence, de la part des porteurs de projets quant aux potentialités de viser un public étranger, est assez présente dans les réponses de l’appel campus numérique de 2002. Très peu de projets envisagent, en effet, un recrutement massif d’étudiants étrangers. Le plus souvent, il s’agit d’une dizaine voire d’une vingtaine d’étudiants, pour les trois prochaines années.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette attitude d’hésitation. La plus importante à notre sens est qu’en réalité, aucune décision ministérielle, n’était prise quant à la stratégie d’exportation des campus français à l’international. Aucune structure nationale n’était en mesure d’accompagner les porteurs des projets pour exporter leur offre à l’étranger. Seule l’AUF, organisation intergouvernementale, œuvre depuis 2001 dans ce sens. Elle accompagne plusieurs campus numériques français à trouver un public étranger, essentiellement dans les pays francophones du sud. Nous nous sommes intéressé à un de ces campus pour analyser la réalité actuelle de cette exportation : l’E-mi@ge.

L’analyse des conditions et du contexte de l’exportation de ce campus est intéressante à plusieurs titres. D’une part, parce qu’il s’agit d’un des campus les plus exportés vers les pays du sud francophones. D’autre part, ses porteurs ont mis à exécution un ensemble d’orientations dans l’optique de pérenniser leur offre tout en cherchant à rendre rentable, à moyen terme, leur entreprise. Deux orientations majeures sont à noter :

– L’exportation du campus E-mi@ge s’appuie sur un mode organisationnel qui se traduit par une division du travail entre l’université exportatrice et celles qui l’accueillent. Ces dernières sont réduites à des centres relais où sont assurées les séances de regroupements en présentiel et les évaluations. Ces mêmes établissements sont chargés des tâches administratives liées à la gestion des étudiants et de la formation. Les tuteurs, recrutés dans les rangs des enseignants de ces universités, accompagnent les étudiants sur des contenus pédagogiques qu’ils n’ont pas élaborés. Cette division du travail entre établissements universitaires est justifiée par le fait qu’elle permet une réduction des coûts d’exploitation et profite aux étudiants des pays du sud. En même temps, on peut se demander si cette configuration ne va pas aboutir au développement d’une nouvelle forme de dépendance, à l’ère du numérique, entre les universités des pays du Nord et celles des pays du sud ? Cette question mérite d’être posée parce qu’elle nous invite, à moyen et à long terme, à prolonger notre réflexion et à étendre nos observations en analysant d’autres initiaves.

– Avec l’exportation d’une offre de formation diplomante en ligne, répondant aux exigences de l’architecture LMD, les promoteurs du campus E-mi@age, comme d’autres campus, contribuent aux souhaits exprimés par les décideurs de l’enseignement supérieur des pays qui les accueillent. D’une part, ils participent à ouvrir davantage l’ES de ces pays à la logique marchande. La technologisation de l’enseignement favorise sa marchandisation. D’autre part, ils confortent l’idée de trouver dans les TICE un moyen permettant aux universités de ces pays de sortir des crises dans lesquelles elles sévissent depuis les années quatre-vingts. La mobilisation des TICE et l’apprentissage des nouveaux métiers de l’enseignant sont mis en avant pour faire face aux importants effectifs annoncés pour les années à venir.

Notes

(1) Jack Lang, Ministre de l’Education nationale, Discours d’ouverture du colloque européen sur l’enseignement supérieur à distance, Samedi 30 septembre 2000 – Sorbonne.

(2) Ministre chargée de la recherche et des NTIC, de 2004-2005.

(3) Montpellier,  2 octobre 2003.

(4) http://www.recherche.gouv.fr/discours/2003/dcampusnumerique.htm

(5)L’Agence Universitaire de la Francophonie.

(6) Ces crédits seront versés aux établissements francophones bénéficiaires selon les procédures propres à l’AUF.

(7) Nous avons procédé à l’examen de tous les dossiers relevant de l’appel à projet 2002 (volet A) en vérifiant si les porteurs des projets annoncent ouvrir leur campus à l’international et/ou s’ils  font une estimation en nombre du public étranger à cibler.

(8) Averous (M), Touzot (G), (sous la direction de), Campus numériques : enjeux et perspectives pour la formation ouverte et à distance, Rapport de mission, 2002, 68 p.

(9) E-mi@ge regroupe les universités de Aix-Marseille, Amiens, Bordeaux 1, Bordeaux 4, Evry, Grenoble 1, Lyon 1, Nantes, Nancy 2, Nice-Sophia Antipolis, Orléans, Paris 1, Paris 5, Paris 9 Dauphine, Paris 11 Sud, Rennes, Toulouse 1, Toulouse 3. L’Université Paul Sabatier Toulouse 3.

(10) Entretien avec Gérard-Michel Cochard, juillet 2007.

(11) Les propos tenus par un Vice-président, lors d’un entretien réalisé février 2007.

(12) Entretien réalisé en septembre 2007 avec Lamia Labed, coordonnatrice de l’E-mi@ge à l’UVT à Tunis.

(13) Entretien réalisé, en février 2007, avec Saïd Raghay, coordonnateur de la formation E-mi@ge à l’Université Cadi Ayad, Marrakech, Maroc.

Références bibliographiques

Articles et ouvrages

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Auteur

Abdelfettah Benchenna

.: Abdel Benchenna est maître de conférences à l’Université Paris et membre du Labsic. Ses recherches portent sur les enjeux liés à l’intégration des TIC dans les secteurs de l’éducation, de l’enseignement et la culture, en France et dans les pays francophones du sud.