-

Le « tout contre » journal de libération. Une étude du recours a la participation des lecteurs de libération dans les versions web et imprimée du contre journal (2007-2009)

27 Jan, 2012

Résumé

Entre 2007 et 2009, Libération a lancé une rubrique intitulée le Contre Journal qui prenait la double forme d’un blog axé sur les contributions des internautes et d’une page dans l’édition quotidienne et imprimée du journal. Les modalités de participation de l’internet devaient alors permettre d’apporter un éclairage différent sur un certain nombre de questions sociétales. Mais l’analyse du Contre Journal montre que le recours à la parole des lecteurs est difficilement mis en œuvre par les journalistes…

In English

Abstract

Between 2007 and 2009, Libération has launched a section entitled “Contre Journal” which took the double form of a blog, focused on the contributions of users, and a page in the print edition of the daily newspaper. The modalities of participation of the Internet should allow a different light on a number of societal issues. But the “Contre journal” analysis shows that the appeal to the readers opinion is implemented with difficulty by the journalists…

Keywords

Participative web – reader – daily press – journalism

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Spano William, « Le « tout contre » journal de libération. Une étude du recours a la participation des lecteurs de libération dans les versions web et imprimée du contre journal (2007-2009) », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°12/3, , p.125 à 138, consulté le mardi 3 décembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2011/supplement-a/08-le-tout-contre-journal-de-liberation-une-etude-du-recours-a-la-participation-des-lecteurs-de-liberation-dans-les-versions-web-et-imprimee-du-contre-journal-2007-2009/

Introduction

A l’automne 2007, la nouvelle équipe dirigeante de Libération, conduite par Laurent Joffrin, lance une nouvelle formule du journal. Parmi les nouveautés éditoriales, celle du Contre Journal a particulièrement retenu notre attention. Cette rubrique prend la double forme d’un blog axé sur les contributions de ce que le quotidien nomme les « libénautes » et d’une page dans l’édition imprimée du journal. Ainsi, le Contre Journal poursuit l’ambition de recueillir la parole des lecteurs afin de proposer, comme l’indique le texte présentant le blog, une « autre actualité » censée apporter un éclairage différent sur les « débats ignorés ou tabous« (1).
Les sujets de société s’avèrent majoritairement représentés dans le Contre Journal. La crise du logement, l’environnement, la santé, l’éducation, la religion, la situation des « sans-droits », les conditions de vie dans les prisons, la sécurité, etc. alimentent cette rubrique, animée initialement par un journaliste du service société (à partir de décembre 2008, elle est confiée à une journaliste spécialisée dans l’environnement). La plus-value rédactionnelle qu’attend le journal réside donc dans le regard que portent les lecteurs sur les préoccupations quotidiennes et sur les choix de vie collective.
Toutefois, si l’intention de la rédaction d’ouvrir les pages du journal à ses fidèles peut être réelle, cela signifie-t-il pour autant que le Contre Journal soit effectivement conçue à partir des contributions des lecteurs et internautes ? La question est légitime puisqu’un certain nombre de travaux récents portant sur le journalisme dit « participatif » ont montré que l’intégration de la parole des usagers des médias est souvent limitée dans le territoire éditorial des médias (Croissant et Touboul, 2009 ; Rebillard et Touboul, 2010 ; Noblet et Pignard-Cheynel, 2010). S’appuyant sur l’étude des pages d’accueil des sites de médias français et étrangers, les forums de discussion animés par les journaux en ligne ou les chroniques d’un médiateur faisant face aux critiques formulées par les auditeurs, ces recherches montrent que la participation des usagers des médias est, d’une part, le moyen d’activer la frontière entre professionnels et amateurs et, d’autre part, difficilement intégrée dans la machinerie rédactionnelle. Par conséquent, nous pouvons nous interroger sur la volonté affichée de Libération d’accueillir les prises de positions de ses lecteurs. Comme le souligne Dominique Cardon, le contrôle éditorial qu’exercent les professionnels des médias, héritage de plusieurs siècles d’encadrement de la parole publique, rend souvent inopérante l’intégration des interventions des usagers (Cardon, 2010, p. 37).
Néanmoins, le fait que le Contre Journal ne fasse pas uniquement référence à la version numérique de Libération nous semble particulièrement intéressant. En effet, le web est présenté comme le moyen de proposer une nouvelle initiative éditoriale pour la version papier du titre. Autrement dit, les possibilités offertes par l’internet à travers le blog apparaissent comme un dispositif permettant d’alimenter de manière originale le quotidien. Si la plupart des études se focalisent sur les versions web des médias, notre travail porte ici sur l’articulation entre les versions web et imprimée de la rubrique. Ainsi, nous souhaitons davantage étudier ce qu’il reste du blog soi-disant participatif du Contre Journal dans la rubrique papier, que les modalités de participation des lecteurs au blog. Nous analysons le passage de cette rubrique du web au papier, qui est, selon le journal, à l’origine d’un nouveau mode de traitement éditorial.
Notre hypothèse est que la parole des lecteurs et internautes est employée non pas pour alimenter le contenu du journal, mais dans une perspective de mise en scène de cette parole. Le recours à l’expression des lecteurs ne serait-il pas uniquement guidé par une volonté de représentation et de théâtralisation de la part du journal ? Nous postulons que Libération se situerait finalement du côté de l’agir dramaturgique proposé par Habermas. En effet, nous serions en présence d’un acteur soucieux « d’être vu et accepté d’une certaine manière par le public » (Habermas, 1987, p. 106). Le recours aux contributions du public serait l’occasion d’afficher et de revendiquer un lien fort avec ses lecteurs. Le Contre Journal serait alors une rubrique qui fonctionnerait au second degré : son intérêt serait moins dans son contenu réel, que dans la façon dont est présenté et mis en valeur celui-ci pour donner une image du journal et définir une relation au lectorat. La parole des fidèles ne serait pas là pour elle-même mais pour signifier à ces derniers sa capacité d’écoute et sa proximité. Dans cette démarche, le journal emploierait un certain nombre de signes pour faire la preuve de son attachement aux lecteurs. Il le ferait même avec une certaine emphase car, comme le précise Habermas, « dans l’agir dramaturgique, les caractères de style, l’expression esthétique, les qualités formelles en général revêtent un […] grand poids » (Habermas, 1987, p. 108). Ainsi, par ses choix notamment formels, Libération tiendrait, à l’intérieur même du journal, un métadiscours montrant une certaine image de lui. En résumé, notre hypothèse est qu’à travers le Contre Journal, Libération parle moins de l’actualité et des lecteurs que de Libération lui-même…
Ainsi, nous avons orienté notre étude, d’une part sur la façon dont la rédaction présente cette rubrique dans le journal et d’autre part sur les versions web et papier du Contre Journal en nousintéressant aux choix éditoriaux opérés lors du passage de la rubrique du web au papier.
Le blog et la rubrique papier du Contre Journal ayant paru régulièrement entre le lundi 15 octobre 2007 et le samedi 4 septembre 2009, nous avons sélectionné deux périodes d’étude :
– la première se situe entre le 15 octobre 2007 et le 15 février 2008 ;
– la seconde se situe entre le 15 octobre 2008 et le 15 février 2009.
Ces deux périodes ont le double avantage d’être suffisamment longues (4 mois) et éloignées dans le temps (huit mois les séparent) pour nous permettre de suivre finement l’évolution du Contre Journal.
Notre approche méthodologique a consisté à analyser conjointement :
– Les éléments péri-textuels, c’est-à-dire les discours de présentation et d’accompagnement liés au Contre Journal, que ceux-ci s’expriment au sein de cette rubrique (chapeau, article de la rubrique) ou à l’extérieur de celle-ci (éditorial, avis au lecteur, commentaires ou notes en tous genres) ;
– Les dispositifs utilisés pour mettre en scène la parole des lecteurs du journal. Nous avons pris en compte le contenu même de la rubrique, mais aussi et surtout la façon dont il est présenté. D’inspiration sémiologique, notre approche a consisté, ici, à étudier la diversité des signes utilisés pour organiser le recours à la parole des usagers ;
– Enfin, nous nous sommes livrés à la conduite d’entretiens semi-directifs avec les différents professionnels concernés par cette rubrique (journalistes en charge de la rubrique, responsable du développement web…) afin de mieux comprendre les choix éditoriaux présidant au lancement et à l’évolution du Contre Journal.
Nous présentons les résultats de cette recherche en abordant, dans un premier temps, les conditions d’apparition du Contre Journal et la présentation qu’en font les responsables de la rédaction. Dans un second temps, nous traitons des modalités de participation des lecteurs et internautes telles qu’elles sont appréhendées par la rédaction. Enfin, dans un troisième temps, nous revenons sur l’approche développée par les industries culturelles en envisageant la façon dont la participation du public peut s’intégrer à la chaîne de production éditoriale du journal.

Un journal contredit par ces lecteurs ?

Le Contre Journal repose sur un premier principe consistant à donner accès aux coulisses du quotidien et à faire mieux comprendre la façon dont les journalistes travaillent. C’est la raison pour laquelle est apparu, dès son lancement, un encadré intitulé Le making-of dont le propos était de donner à voir les discussions et questionnements de la rédaction quant à son traitement de l’actualité (nous n’aborderons pas l’étude de cet encadré dans le cadre de cet article). Le second principe consiste à donner la possibilité aux lecteurs de revenir sur certains sujets d’actualité, c’est-à-dire de rompre avec le flux de l’information immédiate au sein duquel une nouvelle chasse l’autre, et à prendre le temps de modifier, nuancer, faire évoluer le traitement que Libération fait des événements.
Deux raisons contextuelles expliquent le processus qui va donner naissance au Contre Journal dans la nouvelle formule de la rentrée 2007 :
– Tout d’abord, le milieu des années 2000 correspond au moment de la vague du « journalisme participatif » et du développement des outils du web dit « 2.0 ». Libération souhaite alors accentuer sa présence sur le web et proposer des espaces impliquant les internautes de manière à générer du trafic ;
– Ensuite, la crise qu’a connue Libération au moment du référendum sur la constitution européenne au printemps 2005 explique la volonté des responsables du journal de réactiver un lien fort avec le lecteur. En effet, la campagne ouvertement favorable au traité, menée par le prédécesseur de Laurent Joffrin, Serge July, a laissé des traces chez les lecteurs qui semblent délaisser le journal et au sein de l’équipe de Libération qui a vécu assez douloureusement cet épisode. Aussi, la nouvelle formule imaginée par l’équipe de Laurent Joffrin envisage de réanimer la relation qu’entretient le journal avec ses lecteurs en leur donnant l’opportunité de s’exprimer, quitte apparemment à ce qu’ils soient en désaccord avec le journal lui-même.
Par conséquent, en 2007, de nouveaux espaces sont créés au sein du journal. Parmi eux, nous trouvons donc le Contre Journal qui semble acter le fait que les lecteurs possèdent un point de vue opposé au quotidien et que ces derniers puissent l’exprimer en toute liberté dans le journal lui-même. C’est ainsi que la direction de la rédaction présente « l’esprit » du blog et de la rubrique papier du Contre Journal. Le mardi 16 octobre 2007, soit le lendemain de la publication de la nouvelle formule du journal, Libération consacre sa « une » aux résultats d’un sondage mené par LH2 sur la « défiance » des français vis-à-vis des médias et titre ainsi : « Les français veulent des médias indépendants ! ». Dans son éditorial intitulé « Combat« , Laurent Joffrin reprend le refrain des médias comme « contre-pouvoir », justifie le modèle économique de la presse payante et donne en quelque sorte une leçon de journalisme. Il écrit : « Le journalisme a ses règles qui doivent prévaloir sur les intérêts. A commencer par celle-ci : se libérer de ses propres préjugés, savoir penser contre soi-même« . L’éditorialiste place cette quête pour « l’autonomie journalistique » au cœur de la nouvelle formule de Libération. Si le lien entre ce « combat » et la rubrique du Contre Journal n’est pas explicite, il est néanmoins clair : le Contre Journal se place dans cette perspective consistant à lutter contre les « a priori » journalistiques, il serait un outil permettant au journal de dépasser les idées dominantes que partagent globalement les élites auxquelles appartiennent les journalistes. Donnant raison aux résultats du sondage qu’il publie, le directeur de Libération considère les lecteurs comme moins conformistes que les journalistes de sa rédaction. Les usagers deviendraient alors les garants de la liberté de penser des journalistes forcément en collusion avec les pouvoirs économique, politique, etc. (Laurent Joffrin explique dans son éditorial qu’ »un pouvoir, aux yeux de l’opinion, est nécessairement lié aux autres pouvoirs« ). En résumé, le discours de la direction de la rédaction, teinté d’autocritique, vise à rapprocher les lecteurs du journal.
Ainsi, le Contre Journal correspond à la mise en œuvre d’un espace entièrement ouvert aux lecteurs, mais la présentation qu’en fait le journal diffère selon les versions web ou imprimée.
La version numérique comporte tout d’abord un encadré situé en haut et à gauche de la page qui précise la vocation de la rubrique : il s’agit de proposer une « autre actualité » grâce aux contributions des lecteurs et permettant ainsi d’approfondir les sujets peu abordés dans les médias. Ensuite, se trouve la liste des thèmes abordés sur le blog, ainsi qu’un lien qui permet d’envoyer sa contribution au Contre Journal via sa messagerie. Enfin, sur la droite de la page, le lecteur peut cliquer sur trois autres rubriques : la première permet de prendre connaissance de l’ensemble des contributions (classées par thèmes), la seconde permet de découvrir les commentaires laissés par les internautes, la troisième permet d’accéder aux archives.
Au centre de la page, les contributions principales sont présentées de façon chronologique. Chacune renvoie à d’autres témoignages publiés sur le blog (intitulés « Liens permanents« ), aux posts laissés par les internautes (intitulés « Commentaires« ) et à des rétroliens permettant d’accéder à d’autres blogs (intitulés « TrackBack« ). Le fonctionnement de cet espace est donc globalement celui d’un blog connecté à l’actualité et offrant la possibilité aux lecteurs de réagir aux propos qui y sont tenus. Toutefois, nous notons d’emblée deux éléments sur lesquels nous reviendrons : en premier lieu, les contributions principales sont toutes introduites par le journaliste en charge de la rubrique ; en second lieu, elles ne sont pas formulées par les lecteurs du journal…

Illustration 1 – la page d’accueil du blog du Contre Journal (capture d’écran)

Dans la version papier où les contraintes formelles sont plus fortes, le Contre Journal se décline sur une page unique et est défini de manière beaucoup plus simple, offrant un contenu beaucoup moins riche. Tout d’abord, cette rubrique est uniquement présentée comme « l’actualité vue par les lecteurs et les libénautes« . Pour en savoir plus, le lecteur doit se reporter au blog dont l’adresse est située sous le titre. Aucun texte ne précise le fonctionnement de cette rubrique (sauf le 15 octobre 2007, premier jour de parution de la nouvelle formule), aucune indication ne permet au lecteur de savoir comment procéder pour envoyer sa contribution et il n’est pas fait mention du journaliste qui anime la page. Tout cela donne l’impression qu’il s’agit finalement d’une rubrique « comme une autre ». Elle est composée d’un texte principal présenté comme des propos recueillis de la part du journaliste en charge de la rubrique, d’un encadré intitulé Le Making-of, ainsi que de courtes citations de lecteurs introduites, à chaque fois, par deux titres récurrents : Coup de gueule et D’accord pas d’accord. Le seul élément qui tranche avec les autres pages du journal est le titre qui créé un effet de surprise puisque le terme « contre » se présente de manière partiellement inversée, indiquant par-là que cette rubrique est, en quelque sorte, le miroir du journal tendu par ses lecteurs. Du reste, il est à noter que le titre se présente de manière différente dans la version web. Certes, il joue aussi sur le contraste des couleurs noire et rouge, mais l’effet miroir n’existe plus. Seule la déconstruction du fameux losange du logo de Libération (celui-ci a pris la forme de deux triangles qui se font face, pointe contre pointe), évoque vaguement l’idée d’une contre programmation éditoriale…

Illustration 2 – la rubrique du Contre Journal dans Libération (mardi 15 octobre 2007)

Ces éléments de distinction, à la fois péri-textuels et graphiques, des versions web et papier du Contre Journal donnent l’impression que ces deux espaces fonctionnent de manière séparée. Confronté à la version imprimée, le lecteur n’a que peu d’élément pour comprendre l’articulation entre le blog et la rubrique et il n’est pas explicitement incité à intervenir dans le journal. En version papier, les codes graphiques de la rubrique reprennent en grande majorité ceux de l’ensemble du journal, inaugurés lors du passage à cette formule, et n’épousent pas les codes visuels du web, contrairement d’ailleurs à ce que nous pouvions découvrir dans le projet de rubrique diffusé en septembre 2007, soit un mois avant le lancement du journal. Le projet initial présentait une image évoquant les sites de partage de vidéos mais celle-ci a rapidement disparu au profit d’une annonce publicitaire occupant environ la moitié de la page. Ceci en dit long sur la place véritable qu’a occupée cette rubrique dans le journal…
A ce stade de notre travail, nous pouvons conclure sur quelques remarques :
– En premier lieu, l’utilisation de certaines applications du « web 2.0 » pour concrétiser l’idée du Contre Journal montre la prégnance dans l’esprit des responsables du journal des discours idéologiques accompagnant l’internet et bien identifiés par Philippe Breton (2000), Patrice Flichy (2001) et Franck Rebillard (2007). Le principe du Contre Journal et le recours aux outils participatifs, tant vantés depuis la fin des années 2000, se rejoignent dans les idées de transparence et d’une communication horizontale et égalitaire qui place les journalistes au même niveau que leurs lecteurs.
– En second lieu, le Contre Journal est bien lancé pour répondre à une « fracture » entre le journal et ses lecteurs. L’affichage de la dimension interactive du journal paraît nécessaire pour renouer un dialogue avec le lectorat. Néanmoins, la volonté de transparence de la rédaction d’une part, et l’expression des lecteurs d’autre part, ne sont pas simples à mettre en synergie, ne serait-ce que parce qu’il peut exister un décalage entre ce que le public souhaite dire et ce que les journalistes souhaitent montrer…
A présent, nous allons aborder l’organisation des contributions du Contre Journal telles qu’elles sont présentées sur le blog et retranscrites dans la version papier.

Un recours ambivalent à l’expression des lecteurs

Les différents sujets proposés sur le blog sont avant tout abordés par des spécialistes (chercheurs, avocats, journalistes…) et des représentants des milieux associatifs voire politiques. La parole qui s’exprime sur le blog peut être qualifiée « d’experte », par opposition à la parole « profane » ou « ordinaire » qui caractérise l’internaute (Charrier-Vozel et Damian, 2005 ; Croissant et Touboul, 2010).
De nombreux exemples, tirés de la première période étudiée (octobre 2007-février 2008), illustrent ce phénomène :
– La question des expulsions de sans-papiers est abordée par Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS et ancien conseiller du gouvernement Jospin sur les questions d’immigration, Jean-Paul Dubois, président de la Ligue des Droits de l’Homme, Christophe Pouly, avocat spécialiste du droit des étrangers (octobre 2007) et Richard Moyon, membre du Réseau Education Sans Frontière (janvier 2008) ;
– La crise du logement est abordé par les responsables des associations Droits Devants ou Droit Au Logement (février 2008) ;
– Les sujets écologiques renvoient aux propos de membres et de sympathisants de collectifs engagés dans la protection de l’environnement comme Greenpeace ou des scientifiques qui viennent de publier un ouvrage (janvier 2008) ;
– Les questions de santé sont abordées par des médecins et des chefs de services hospitaliers, voire des patients ayant gagné une certaine notoriété à la suite de leur interpellation des pouvoirs publics par exemple sous la forme d’un courrier reproduit dans le Contre Journal (janvier 2008).

Illustration 3 – les questions de santé abordées par des médecins-experts
(capture d’écran)

Les personnalités conduites à s’exprimer sur le blog sont donc déjà engagées dans la vie publique. Le Contre Journal propose alors de donner un écho à une prise de parole qui s’exprime par ailleurs dans les autres médias. Le journaliste en charge du blog s’y prend alors de deux manières pour recueillir ces témoignages : soit il interroge directement ces porte-paroles comme il le fait traditionnellement dans le cadre de son activité (comme l’illustre le sujet sur les sans-papiers en octobre 2007), soit il reprend les propos qu’ont tenus ces personnalités sur d’autres sites webs et blogs, comme en janvier 2008 pour les sujets environnementaux qui font écho aux sites www.interet-general.info, grenellorama.fr, blog.greenpeace.fr. Bon nombre de contributions sont donc souvent des passages provenant d’autres espaces de discussion –et présentés comme tels car ils sont toujours référencés- et livrés in extenso aux lecteurs. En ce sens, le Contre Journal se présente comme une chambre d’écho du web qui se résume à une activité de reprise de propos tenus en grande partie à l’extérieur du blog. Cette pratique récurrente rappelle clairement le processus de « retraitement de l’information » caractérisant une grande partie des espaces rédactionnels présents sur le web (Rebillard, 2006). Le degré d’originalité des propos tenus dans le Contre Journal paraît donc très relatif.
De plus, les sujets abordés sur le blog ne proviennent jamais des contributeurs eux-mêmes, mais uniquement du journaliste en charge de la rubrique. D’ailleurs, celui-ci rédige pour chaque article un chapeau rappelant certains éléments clefs du débat. En s’inspirant de l’actualité du jour ou en procédant à des revues de blogs, il choisit et « angle » les sujets. Ainsi, la parole des internautes prend seulement la forme de commentaires modérés par le journaliste. Relégués en bas de la page web, ceux-ci réagissent aux interventions présentées par le journaliste et parfois même aux commentaires déjà déposés. Lors de nos entretiens, les journalistes ont déploré le manque d’engouement de la part des « libénautes » pour cette rubrique mais la distinction très forte maintenue entre le discours tenu par les experts et le discours des lecteurs explique sans aucun doute leur déconvenue. En effet, les propos des personnalités sont toujours mis en avant et le blog agrémente même leur lecture de certains éléments vidéos. Filmées en gros plan dans un environnement qui semble quotidien et selon un procédé qui rappelle la prise de vue d’une webcam, ces personnalités semblent proches de nous, comme si nous étions en conversation avec elles. Simultanément, ce procédé personnalise leur prise de parole et contribue à leur donner un statut puisqu’elles sont toutes présentées par leur fonction. En revanche, les commentaires des internautes sont relayés en bas de bas de page et ne possèdent aucune valorisation graphique, incitant peu à leur lecture et participant même à un certain nivellement des discours.
Dans la version papier, le Contre Journal présente les mêmes caractéristiques que sur le blog, mais la séparation entre les discours des spécialistes et des lecteurs est encore plus accentuée. De manière générale, l’article principal de la rubrique correspond aux propos recueillis auprès des spécialistes et figurant sur le blog. Parfois, l’article est complété par des citations extraites de commentaires envoyés par les internautes, comme l’illustre le sujet sur l’expulsion de sans-papiers en octobre 2007. Toutefois, le plus souvent, ces réactions sont placées dans des encadrés à part auxquels nous avons fait référence précédemment, à savoir Coup de gueule et D’accord pas d’accord.

Illustration4 – l’encadré D’accord pas d’accord dans Libération
(mercredi 14 novembre 2007)

Ces encadrés qui n’existent que dans la version papier ont donc vocation à donner lepoint de vue des lecteurs sur un thème abordé dans le texte principal ou en rapport avec l’actualité immédiate. Cette façon de renvoyer la parole des lecteurs dans des espaces très circonscrits place cette expression sur les registres de l’opinion et du parti-pris. Les phrases sélectionnées sont courtes, parfois proches de l’aphorisme et l’emploi de la première personne du singulier est récurrente. Alors que la parole experte bénéficie d’espace pour se manifester et qu’elle paraît construite et argumentée, censée approfondir un sujet, la parole des lecteurs, elle, apporte un point de vue, sinon dissonant, du moins plus tranché et surtout susceptible de faire apparaître des clivages politiques. C’est le cas des rares réactions aux sujets « chauds » de l’actualité, comme par exemple les scandales ou les affaires (Coup de gueule, 16 octobre 2007), la vie privée du Président de la République (D’accord pas d’accord, 16 octobre 2007 ; Coup de gueule, 23 janvier 2008) et l’actualité politique française (Coup de gueule, 24 janvier 2008). Mais c’est également le cas des réactions d’internautes vis-à-vis des sujets de société. Les propos sélectionnés portant sur l’écologie, la santé, la question des sans-papiers ou du mal logement, sont en réalité l’occasion de remettre en question et de défier l’action politique de Nicolas Sarkozy. Par exemple, en janvier 2008, l’écologie est abordée par le prisme des suites du Grenelle de l’environnement et déclenchent des propos virulents à l’attention du non-respect des engagements du gouvernement (Coup de gueule, 4 janvier 2008). De même, la question de la précarité permet au journal de citer des réactions scandalisées de lecteurs face à l’inaction d’un pouvoir qui ne fait rien, sinon « des cadeaux aux riches » (D’accord pas d’accord, 19 décembre 2007). Ainsi, les propos rapportés des internautes ne sont pas utilisés pour tenter d’apporter un regard différent ou même « de fond » sur les questions sociétales, mais pour activer le clivage politique droite/gauche. Aussi, les sujets de société apparaissent finalement comme des prétextes permettant de tenir, sinon des discussions, du moins des opinions politiques. Si Libération tente, avec cette rubrique du Contre Journal, de renouer une relation forte avec les lecteurs, c’est avant tout en traitant de manière politisée des questions de société.
Ainsi, il ressort de notre étude que le recours aux contributions des internautes et des lecteurs est paradoxalement modeste et amplifié. En effet, d’une part, Libération donne peu la parole à ses lecteurs qui sont conduits à s’exprimer dans des espaces restreints et secondaires. D’autre part, le journal choisit le registre du jugement, de la conviction et de l’interpellation pour traiter les contributions des internautes, ce qui donne à ces propos un caractère exagérément politique. Ce procédé accentue la distinction entre la parole experte et la parole profane : la première, recueillie par le journaliste, se prétend raisonnable et mesurée ; la seconde est affaire d’opinion… Le recours à l’expression des lecteurs permet ainsi de souligner et renforcer la dimension politique de Libération, tout en exonérant le journal de porter lui-même un avis sur les questions abordées, permettant ainsi de faire correspondre, de manière implicite, le discours journalistique à l’objectivité affichée couramment par la profession.
De ce point de vue, la vocation affichée du Contre Journal est contredite par notre analyse qui tend à montrer que cette rubrique ne vient pas en opposition, mais en soutien au journal. Loin de livrer une vision alternative de l’actualité, celle-ci propose une sorte de complément d’âme politique. Les choix formels et éditoriaux qui sont opérés tendent finalement à placer cette rubrique non pas contre, mais « tout contre » le journal…

Les réactions des lecteurs au service du journal ?

Lors de la première période d’étude du Contre Journal, nous avons constaté l’absence totale de réactions de lecteurs concernant le traitement que Libération fait de l’actualité. En effet, entre octobre 2007 et février 2008, ni les pages du blog, ni celles de la rubrique papier n’accueillent de réactions susceptibles de questionner la façon dont Libération couvre les événements de l’actualité(2). Toutefois, l’étude de la seconde période de notre corpus, située entre octobre 2008 et février 2009, montre que le Contre Journal, du moins dans sa version imprimée, laisse davantage de place à la critique et peut même permettre aux lecteurs d’exprimer leur mécontentement vis-à-vis du quotidien.
Ainsi, certains sujets d’actualité ont suscité des réactions négatives des lecteurs comme ce fut le cas en novembre 2008 à l’occasion de « l’affaire de Tarnac » c’est-à-dire l’interpellation, la mise en garde à vue puis en détention d’individus vivant notamment à Tarnac (Corrèze) et appartenant selon Michèle Alliot-Marie, ministre de l’intérieur à l’époque, à un mouvement d’ »ultra-gauche », animé par Julien Coupat et qui serait responsable du sabotage dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 des caténaires de la SNCF. Le 12 novembre 2008, soit le lendemain de l’interpellation, Libération titre en Une « L’ultra gauche déraille« . La couverture de ce fait d’actualité, et notamment le choix de Une et l’éditorial en page intérieure (signé par l’un des rédacteurs en chef adjoint), ont provoqué de nombreuses réactions de la part des lecteurs qui reprochaient au journal de reprendre explicitement la thèse défendue par la place Beauvau. Ce n’est pas spécifiquement sur le blog du Contre Journal que les internautes vont exprimer leur mécontentement (les archives n’en proposent d’ailleurs aucune trace), mais dans les différents espaces de discussion proposés par Libération (forums, blogs…) et par le biais de messages électroniques adressés à l’équipe de la rédaction. Dans le journal, c’est la version papier du Contre Journal qui fera état de ces débats et ce, à deux reprises :
– La première fois, datée du 18 novembre 2008, insiste sur la faiblesse des preuves mettant en cause les individus mis en examen. Dans un article intitulé « SNCF, sabotage ou manip« , les propos rapportés des lecteurs ne mettent pas directement en cause Libération, mais dénoncent globalement « le traitement médiatique et policier de cette affaire » (Zorglub) et ce qui s’apparente à une « bavure médiatico-politico-judiciaire » (Franz). La dernière réaction, signée d’un collectif (nommé Tous) informe de la création d’un comité de soutien aux individus mis en examen. Cette compilation de réactions tranche d’une part, avec la façon dont le journal a abordé, dès les premiers jours, l’arrestation des jeunes gens vivant à Tarnac (il faut en effet attendre le 3 décembre pour que Libération s’interroge en Une sur le terme « terroriste » que le ministère de l’intérieur a très vite employé pour caractériser les agissements supposés des interpellés et d’autre part, avec la façon dont le Contre Journal fait régulièrement état des contributions des internautes. En effet, aucun porte-parole n’est interrogé et le journaliste en charge de la rubrique a choisi de consacrer l’article principal de la rubrique à des extraits de réactions dénonçant la couverture de cet événement dans les médias (et non dans les encadrés Coup de gueule ou D’accord pas d’accord).
– La seconde fois que le Contre Journal aborde « l’affaire de Tarnac » date du 5 décembre 2008. Intitulé « Ultra gauche : qui a déraillé ?« , l’article principal présente une nouvelle fois une compilation de réactions d’internautes critiquant vigoureusement le « suivisme médiatique » dans une affaire considérée comme une injustice criante aux yeux de certains lecteurs qui font le parallèle avec les événements d’Outreau (ce parallèle est même repris par le journaliste dans son chapeau). Toutefois, il faut noter la présence d’un élément nouveau, à savoir la mise en cause explicite de Libération dans l’une des contributions : « Quand Libération fait sa une mémorable sur « L’ultra gauche » qui déraille, c’est pas du montage de bourrichon ? C’est pas un exemple de suivisme policier ? » (Never). Ici, le Contre Journal franchit un nouveau palier dans la critique et laisse filtrer le malaise qui a saisi la rédaction à propos de la couverture initiale de cette affaire par le journal. Les entretiens que nous avons menés avec les journalistes ont en effet confirmé qu’une partie de l’équipe a déploré la reprise par le journal de la version gouvernementale. Cette contestation interne qui a rejoint le sens de bon nombre de messages envoyés par les internautes, s’est accompagnée, dans les semaines qui ont suivi le début de l’affaire, d’un changement dans l’attitude de Libération, ce dont fait part d’ailleurs le Contre Journal dans son chapeau du 5 décembre 2008 qui atteste que « Libération a rectifié sa position« (3). Sur ce point, l’observation des différents articles consacrés à l’affaire de Tarnac montre que Libération a défendu les jeunes inculpés par la suite. Concrètement, ce revirement a pris la forme de textes soulignant les faiblesses du dossier (3 décembre et 17 décembre 2008), d’interviews des suspects relâchés (9 décembre 2008) ainsi que de l’avocate de Julie Coupat (22 décembre 2008), de l’annonce de l’organisation de manifestation de soutien, etc.
Cet épisode montre que les lecteurs ne restent pas inertes par rapport aux choix éditoriaux effectués par le journal. Ils utilisent manifestement les outils collaboratifs pour donner leurs avis sur les médias et saisissent l’opportunité que leur donne Libération pour exprimer leur point de vue sur le quotidien. Nous ne connaissons pas la proportion réelle de réactions négatives adressées par les lecteurs au journal (que ce soit en général ou au sujet de « l’affaire de Tarnac » en particulier), mais notre travail montre que Libération peut, lors de certaines occasions, en faire mention dans la rubrique papier(4). Comment expliquer alors que les réactions des lecteurs finissent parfois par figurer dans le Contre Journal alors même que la logique à laquelle s’emploie Libération dans cette rubrique, est précisément de marginaliser cette prise de parole ? Nos entretiens montrent que, dans l’épisode de Tarnac, le recours à l’expression des usagers s’explique en grande partie par la volonté d’une partie de la rédaction de peser sur les débats internes de la rédaction. Les messages laissés à partir de mi-novembre 2008 par les lecteurs sur les différents forums de Libération et leur publication, même relativement limitée, dans l’espace du Contre Journal, a permis à une partie de la rédaction de modifier le traitement journalistique de cette affaire par le quotidien. En interne, les choix des responsables du journal ont été remis en cause par la rédaction qui a pris appui sur la surprise, voire la colère, des lecteurs. La parole de ceux-ci a participé à la volte-face opérée par le journal.
Lors de nos entretiens, nous avons appris que les critiques formulées par les lecteurs du journal et relayées lors des conférences de rédaction, puis dans le Contre Journal, ont été vécues douloureusement par la direction qui les a considérées comme de « l’auto flagellation« , selon les dires de l’un de nos interlocuteurs. Ces critiques ont même définitivement scellé le sort du Contre Journal puisque, comme nous l’a déclaré un membre de la rédaction, cette rubrique portait « la contradiction à un niveau trop élevé » pour la direction. Pourtant, les ajustements opérés par Libération grâce aux réactions des lecteurs, peuvent sembler plutôt salutaires puisqu’ils devaient permettre de renouer avec les lecteurs désorientés par l’attitude initiale du journal. Contrairement à la direction du quotidien, les journalistes de la rédaction ont considéré les réactions des internautes comme le moyen d’adapter le contenu du journal aux lecteurs. Ce processus, sans doute rendu possible par la proximité de vue entre une partie de la rédaction et les internautes, montre que les contributions des non-professionnels de l’information tendent à être finalement intégrées au travail journalistique. Le fait de disposer des avis des internautes permet ponctuellement de rectifier certains partis-pris éditoriaux et, plus généralement sans doute, d’adapter le traitement que Libération fait de l’actualité aux attentes des lecteurs. Les espaces de discussion, dans lesquels les internautes s’expriment, constituent alors une sorte de terrain exploratoire visant à tester les prises de position du journal.
Ainsi, nous pouvons affirmer que notre hypothèse générale qui considérait la rubrique du Contre Journal comme un moyen valorisant, pour le titre, de se (re)présenter aux lecteurs, est confirmée. D’une part, le contexte d’apparition de la rubrique indique qu’en 2007, la direction du journal souhaitait combler le fossé qui s’était creusé entre Libération et ses lecteurs après le référendum sur la constitution européenne de 2005. Par conséquent, montrer de manière appuyée la capacité d’écoute et de dialogue avec le public est devenue une priorité, comme le prouvent les discours accompagnant la nouvelle formule du journal, qui pointent les risques d’un journalisme élitiste coupé d’une certaine « réalité sociale ». D’autre part, l’analyse du blog et de la rubrique papier du Contre Journal montre que les outils du « web 2.0 » relèvent essentiellement de l’affichage. Tout d’abord, l’espace imprimé n’est pas réellement articulé avec l’espace numérique puisque la disposition des éléments graphiques ne permet pas au lecteur de comprendre le lien entre la rubrique papier et le blog. Ensuite, le journal met en avant non pas tant la parole des internautes qui reste confinée dans des espaces marginaux, que l’expression d’experts intervenant sur des sujets mis à l’ordre du jour uniquement par le rédacteur en charge de la rubrique. Avec cette initiative éditoriale, le journal se situe finalement dans le registre de la déclaration d’intention, censé tisser une relation forte entre le titre et son lectorat. Le Contre Journal joue donc une fonction à la fois phatique et autoréférentielle. La parole des internautes n’est effectivement pas là pour elle-même mais pour signifier aux lecteurs que le journal est proche d’eux, à leur écoute et prend en compte leurs points de vue.
Simultanément, le fait que le journal renvoie la participation des lecteurs à des espaces de participation relativement fictive, ne doit pas dissimuler que les contributions des internautes tendent tout de même à être intégrées à la chaîne de production éditoriale. En effet, notre analyse montre que, parmi les trois phases mises en évidence par Bernard Miège pour caractériser le fonctionnement de la filière de la presse écrite (Miège, 1989, p. 181), ce sont notamment celles de la conception et surtout de l’édition qui se retrouvent les plus concernées par les réactions des internautes. Ces derniers contribuent au traitement des sujets abordés dans l’espace éditorial. Nous rejoignons alors les propos de Philippe Bouquillion et Jacob T. Matthews qui voient dans le web collaboratif l’occasion pour les industriels des médias et de la culture de distinguer leur offre éditoriale et de limiter l’écart entre cette dernière et le public (Bouquillion et Matthews, 2010, p. 31). Ainsi, la parole des usagers des médias n’est jamais totalement encadrée et elle peut déplaire. Néanmoins, elle ne va pas nécessairement à l’encontre des intérêts du journal qui, grâce à elle, possède la possibilité de réduire l’incertitude liée à sa valeur d’usage.

Notes

(1) Les archives du Contre Journal sont disponibles sur http://contrejournal.blogs.liberation.fr/

(2) A de rares occasions, le Contre Journal propose néanmoins de revenir sur le traitement de l’actualité de la part d’autres médias, comme l’illustre Libération les 12 et 13 janvier 2008. Dans cette édition, le Contre Journal revient sur les retouches photographiques d’un article consacré à Simone de Beauvoir dans le Nouvel Observateur.

(3) Il faut noter que la critique de cet internaute à l’encontre du journal paraît en quelque sorte adoucie par le mea culpa opéré ici par le journal.

(4) D’autres événements de l’actualité ont également conduit les lecteurs à protester contre la ligne jugée pro-gouvernementale de Libération, comme lors de la mobilisation universitaire opposée à la loi « Libertés et Responsabilités des Universités » (printemps 2008).

Références bibliographiques

Philippe Breton (2000), Le culte de l’Internet. Une menace pour le lien social ? (collection « Sur le vif »), Paris : La Découverte.

Bouquillion, Philippe ; Matthews, Jacob T. (2010), Le web collaboratif. Mutations des industries de la culture et de la communication, Presses universitaires de Grenoble (collection « La communication en plus »).

Croissant Valérie ; Touboul, Annelise (2009), « Discours journalistique et parole ordinaire », Communication et Langages, n°159, p. 67-75.

Croissant Valérie ; Touboul, Annelise (coord.) (2010), « Journalistes et citoyens : qui parle ? » Communication et Langages, n°165, p. 15-18.

Cardon, Dominique (2010), La démocratie internet. Promesses et limites, Paris : Seuil (collection « La république des idées »).

Charrier-Vozel, Marianne ; Damian, Béatrice (2005), « Des voix de l’intime au regard de l’expertise dans la presse féminine » (p. 125-159) in Ringoot, Roselyne ; Utard, Jean

Michel (dir.), Le journalisme en invention, Rennes : Presses universitaires de Rennes (collection « Res Publica »).

Flichy, Patrice (2001), L’imaginaire d’Internet, Paris : La Découverte (collection « Sciences et société).

Habermas, Jürgen (1987), Théorie de l’agir communicationnel. Rationalisation de l’agir et rationalisation de la société, Paris : Fayard (collection « L’espace du politique »).

Noblet, Arnaud ; Pignard-Cheynel, Nathalie (2010), « L’encadrement des contributions « amateurs » au sein des sites d’information : entre impératifs participatifs et exigences journalistiques » (p. 265-282), in Millerand, Florence ; Proulx, Serge ; Rueff, Julien (dir.). Web social. Mutation de la communication, Québec : Presses de l’université du Québec.

Miège, Bernard (1989), La société conquise par la communication. Logiques sociales, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble (collection « Communication, Médias et Sociétés »).

Rebillard, Franck (2006), « Du traitement de l’information à son retraitement. La publication d’informations journalistiques sur l’Internet », Réseaux, vol. 24, n°137, p. 29-68.

Rebillard, Franck (2007), Le web 2.0 en perspectives. Une analyse socio-économique de l’internet, Paris : L’Harmattan.

Rebillard, Franck ; Touboul, Annelise (2010), « Promises Unfulfilled ? Journalisme 2.0, User Participation and Editorial Policy on Newspaper Websites » (p. 323-334), Média, Culture and Society, Sage Publications, vol. 32, n°2.

Auteur

William Spano

.: William Spano est maître de conférences à l’université de Lyon 2, membre du laboratoire ELICO (Equipe Lyonnaise de recherche en Information et COmmunication) et participe au Réseau d’étude sur le journalisme (www.surlejournalisme.com).
Mots-clefs : Web participatif – blog – lecteur – presse quotidienne – journalisme