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Communiquer la science : pratiques et discours de créateur·rice·s de contenus sur la plateforme TikTok

8 Déc, 2025

Résumé

Cet article examine les dynamiques de la vulgarisation scientifique sur des plateformes numériques, en se concentrant sur TikTok. Il explore la transition de la médiation scientifique classique vers une médiatisation adaptée aux logiques des réseaux socionumériques, où les créateur·rice·s de contenu jouent un rôle clé. L’analyse de l’écriture scientifique « plateformisée » révèle comment ces acteur·rice·s construisent et affirment leur identité numérique tout en naviguant entre les exigences des algorithmes et les attentes du public. En s’appuyant sur des exemples de remédiation de pratiques et de stratégies identitaires, l’article met en lumière les formes renégociées, multi-formats et engageants de la diffusion des savoirs scientifiques

Mots clés

Communication des sciences, vulgarisation scientifique, médiation scientifique, plateformes numériques. 

In English

Title

Scientific content creators on TikTok: mediation and remediation processes

Abstract

This article examines the dynamics of science popularisation on digital platforms, with a focus on TikTok. It explores the transition from traditional science mediation to a form of mediatisation adapted to the logics of social networks, in which content creators play a key role. The analysis of ‘platformed’ scientific writing reveals how these actors construct and assert their digital identities as they navigate between the demands of algorithms and the expectations of the public. Through examples of remediation of practices and identity strategies, the article highlights the regenerated, multi-format and engaging forms of disseminating scientific knowledge.

Keywords

Science communication, science popularisation, science mediation, digital platforms.

En Español

Título

Creadores de contenidos científicos en TikTok: procesos de mediación y remediación

Resumen

Este artículo examina la dinámica de la divulgación científica sobre las plataformas digitales, con especial atención a TikTok. Explora la transición de la mediación científica tradicional a una forma de mediatización adaptada a las lógicas de las redes socionuméricas, en la que los creadores de contenidos desempeñan un papel clave. El análisis de la escritura científica «plataformizada» revela cómo estos actores construyen y afirman su identidad digital mientras navegan entre las exigencias de los algoritmos y las expectativas del público. A partir de ejemplos de remediación de prácticas y estrategias de identidad, el artículo pone de relieve las formas regeneradas, multiformato y atractivas de difundir el conocimiento científico.

Palabras clave

Comunicación científica, divulgación científica, mediación científica, plataformas digitales.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Rakotoary Sarah « Communiquer la science : pratiques et discours de créateur·rice·s de contenus sur la plateforme TikTok », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°25/2, , p.110 à 123, consulté le lundi 8 décembre 2025, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2025/dossier/09-communiquer-la-science-pratiques-et-discours-de-createurrices-de-contenus-sur-la-plateforme-tiktok/

Introduction

Au-delà de cette capacité à rendre visible sur une multiplicité d’espaces numériques des liens sociaux, les pratiques et usages autour des réseaux socionumériques ont pris une toute autre ampleur. Il s’agit de dispositifs sociotechniques créant une valeur monétaire autour de la dimension participative de ses usagers. Ces dernier·e·s occupent une position centrale dans les dynamiques de circulation des contenus, assumant de manière conjointe les fonctions de production et de réception, caractéristiques des logiques participatives propres aux environnements numériques. En cela, les réseaux socionumériques s’apparentent au modèle de la plateforme (Bullich, 2021).

Ces dispositifs permettent non seulement d’atteindre un large public, mais aussi de renégocier des pratiques de médiation scientifique. Pratiques qui s’élaborent autour d’une double médiation : technique par la dimension structurante de l’outil, sociale car les usages se ressourcent dans le social. Le rôle des usagers est donc central, puisqu’ils et elles participent à la création de contenu et qu’ils et elles génèrent par le fait même de la valeur monétaire. Émergent ainsi les « créateur·rice·s de contenu », une appellation largement diffusée par les plateformes et désormais souvent revendiquée par les usagers, en contraste avec celle d’« influenceur·euse », qu’ils et elles rejettent. Toutefois, cette dénomination reste discutable, car elle ne rend pas compte de toute la complexité des tâches ni des compétences, souvent invisibles, mobilisées dans ces pratiques.

Les interactions entre le public, le contenu scientifique et la plateforme elle-même soulèvent de nouvelles dynamiques d’autorité et de légitimité, redéfinissant ainsi les contours traditionnels de la vulgarisation scientifique. Certains auteurs soulignent les processus de médiation (scientifique, sociotechnique), mais également de rémédiation (Colas-Blaise, 2018 ; Mayeur et al., 2021). La production de contenus implique en effet une appropriation de savoirs médiatiques, culturels, scientifiques et techniques, dans un objectif de diffusion rapide et engageante. Dans ce contexte, le processus de remédiation numérique devient nécessaire : les créateurs·rices adaptent leur discours, leur ton, et même la forme de leur contenu pour répondre aux exigences spécifiques de la plateforme. La remédiation ici dépasse une simple réécriture ou une adaptation : elle implique une reconfiguration du savoir scientifique qui est reformulé et recontextualisé pour capter l’attention d’un public habitué à une consommation immédiate de contenu. Ainsi, loin de se contenter d’une retranscription, la remédiation numérique permet de remanier non seulement le contenu, mais aussi la forme et la fonction du savoir, dans un environnement où la visibilité, la créativité et l’immédiateté sont des impératifs.

Dans cette dynamique, en nous intéressant aux créateur·rice·s de contenus scientifiques sur TikTok, plusieurs questions émergent : comment les spécificités de TikTok, en tant que plateforme numérique, réactualisent-elles l’activité de médiation scientifique ? La fabrique de soi des créateur·rices de contenus scientifiques sur TikTok influence-t-elle réellement la manière dont les savoirs sont médiés et partagés ? Et dans quelles mesures ces pratiques témoignent-elles d’une remédiation des contenus scientifiques, où la forme et la portée des savoirs sont réadaptées pour répondre aux exigences de la plateforme ? Ce phénomène de remédiation numérique, dépendant des logiques propres à TikTok, nous invite à réfléchir aux conséquences de la plateformisation sur les pratiques de médiation scientifique.

L’objet de cet article est ainsi de comprendre qui sont les acteurs·rices de la médiation scientifique qui investissent TikTok, et de mettre en lumière les processus pluriels de médiation qui redéfinissent les relations entre le public, le ou la créateur·rice de contenus/ médiateur·rice/vulgarisateur·rice scientifique et la plateforme numérique. 

Etats des lieux de la communication numérique scientifique

Vulgarisation, médiation, communication scientifique ?

La communication scientifique distingue les discours produits par les communautés scientifiques et la diffusion des discours sur la science (Jeanneret, 1994). Discours sur la science, communication des sciences (Maillot, 2018), #SciCom, l’enjeu est de réussir à jongler entre des compétences communicationnelles et techniques à des fins de production de contenus pertinents à destination des publics. 

Entre vulgarisation scientifique, médiation scientifique, et communication scientifique, les définitions et les limites sont poreuses. Malgré ses connotations parfois négatives, la vulgarisation dépasse la simple traduction d’un texte scientifique. Il s’agit d’une ré-écriture qui n’est ni en défaut ni en perte par rapport aux textes scientifiques, mais en excès (de questionnements, de contexte, de sens, de désir). 

La vulgarisation est un dispositif de communication scientifique qui contribue à tenir les sciences à la portée du grand public et de surcroit à la critique, sociale et scientifique (Bodin, 2022), en conditionnant la réception des contenus. La vulgarisation scientifique est censée renvoyer à des réalités de communication nuancées, néanmoins, lorsqu’on interroge les chercheur·es sur leurs activités de communication, la vulgarisation semble être la seule et unique issue. « De (fausse) traduction à (vraie) interprétation, la vulgarisation des sciences, qui était machine à transmettre des savoirs, s’est transformée en un fait social et communicationnel total » (Raichvarg, 2010, p. 110). En effet, elle s’érige de plus en plus en pratique communicationnelle située.

La médiation scientifique, quant à elle, joue sur la présence d’une tierce dans le processus de transmission des savoirs scientifiques. Elle est liée à des questions de professionnalisation d’un savoir-faire, mais également à de nouvelles formes d’adresse au public engendrant un engagement plus actif. Dans le domaine de la recherche anglo-saxonne, il s’agit d’imposer une rupture nette à la transmission linéaire de discours scientifique pour s’adresser au public. Le concept de « Public engagement with science » (Zeng et al., 2020) revendique cet état de fait en introduisant une dimension consultative, participative, et productive au public. 

Médiation, remédiation et circulation des contenus scientifiques

La pluralité des médias, les contraintes de l’information en images, les pratiques sociales en mouvement influent sur la communication des sciences et plus largement sur l’ambiguïté des relations entre sciences et société. Il est question dans ce cadre de médiatisation scientifique ou de mise en média de l’information scientifique pour favoriser leur introduction dans le débat public. Plus encore dans l’optique de toucher un large public, des transformations s’opèrent tant sur la dimension textuelle (reformulation) que sur la dimension visuelle (figurabilisation) (Bourgatte et Jacobi, 2019). 

En outre, l’ensemble de ces termes, communication, vulgarisation, médiation et médiatisation, peut être nuancé mais il faudra retenir que le rapport qu’entretient la société avec le savoir a évolué de la traduction, à l’implication vers la séduction. La communication des sciences contribue à leur reformulation, à leur débat, à leur légitimation ou encore à la critique de leurs applications. Elle n’est jamais unilatérale et implique toujours une tierce qu’elle soit physique, morale voire technique. 

Le dispositif joue aussi un rôle dans ces processus de diffusion de savoirs scientifiques. Une médiation sociotechnique (Miège, 2007) s’opère dans le processus de production, de réception et de circulation de ces contenus. Les contenus de vulgarisation scientifique ne peuvent alors être dissociés des médias qui les relaient, des architextes qui accompagnent leur écriture, des supports et des modes de diffusion. Outre la médiation scientifique, un autre type de médiation se rattache alors : la médiation sociotechnique qui suppose la présence d’une tierce représentée par la plateforme numérique où convergent éléments sémiotechniques, stratégies socioéconomiques et pratiques socioculturelles (Bullich, 2021).

Par ailleurs, cette construction de sens opérée par la médiation sociotechnique se joue et se rejoue au gré des relectures et des réécritures des différentes formes médiatiques. Toute médiation opérée par le dispositif constitue en effet une forme de remédiation, dans la mesure où les médias actuels s’appuient sur la remédiation et exigent une réinterprétation des productions des médias précédents (Bolter et Grusin, 2003). Cette reprise constitue une forme de reconstruction de sens à partir de contenus déjà produits. 

La remédiation produit donc un « supplément de sens » (Colas-Blaise, 2018) déstructurant la linéarité de la réception et de la production de contenus médiatiques. Elle s’inscrit dans une forme de recontextualisation et dans une nouvelle inscription corporelle et incarnée. Le format est repensé et enrichi de modalités d’écriture multimédia réactualisant également les rapports entre production et réception des contenus. C’est en ce sens que nous parlons de remédiation en ce qui concerne la production de contenus scientifiques initiée par des  acteur·rice·s dont les couches identitaires plurielles donnent la possibilité de proposer aux publics des contenus remédiés en référence à d’autres (médiatiques, culturels, scientifiques, organisationnels, performatifs). 

Plateformisation de la communication scientifique

Le développement du web social a conduit à une redéfinition des valeurs structurant la communication scientifique, telles que la participation, la collaboration et le partage de ressources, de savoirs et d’expériences. Une diversification des formes et des formats s’en suit alors et accentue le flou entre les contours des appellations que nous avons préalablement mentionnées.  Le format vidéo enrichit de manière significative la communication scientifique en devenant d’un côté un des leviers permettant à des intermédiaires de se positionner dans la sous-filière de la publication scientifique (Rakotoary, 2019), d’un autre côté, en plébiscitant l’utilisation du média vidéo dans l’enseignement supérieur et la recherche, ce, depuis les années 1990 (Bourgatte et Jacobi, 2019). Le déplacement graduel de la publication scientifique vers des formats de diffusion et des contenus de plus en plus médiatiques est concomitant au développement technique et s’élargit aux réseaux socionumériques grand public.

En outre, les secteurs des techniques numériques et de l’informatique continuent à se positionner comme étant des intermédiaires dans l’accès à l’information individualisée. Les plateformes prennent le pas sur les entreprises productrices d’information en charge notamment de la diffusion de contenus scientifiques. Par conséquent, une diversité d’ acteur·rice·s amateur·es et indépendant·es, travailleur·euses de la connaissance, s’y retrouvent dans une logique de travail ouvert (Flichy, 2019).

De cette diversification émergent les créateur·rice·s de contenus scientifiques, les influenceur·euses scientifiques ou encore les  YouTubeur·euse·s scientifiques. Il s’agit d’ acteur·rice·s aux profils majoritairement académiques et scientifiques qui réactualisent les modalités de transmission des savoirs par le processus de vulgarisation sous format vidéo. Professionnel·les ou pro-am (Adenot, 2016) de la vulgarisation scientifique sur les plateformes numériques, ils ou elles mobilisent une forme d’expertise numérique et communicationnelle en plus de leur propre expertise scientifique. En mobilisant des compétences infocommunicationnelles, ils et elles contribuent ainsi à faire circuler et à rendre visible les savoirs scientifiques. 

Un processus de négociation sous tension entre contraintes initiées par les plateformes et code moral, éthique se met en place du côté des  créateur·rice·s de contenus scientifiques. En ce sens, ces  acteur·rice·s déclinent des modalités de création et de publication particulières, entre connaissance des codes techniques et pratiques individualisées.

TikTok et la diffusion de contenus scientifiques

TikTok est un réseau social qui totalise environ 1,7 milliard d’utilisateurs actifs en 2022, demeurant ainsi l’application la plus téléchargée depuis 2020 avec un total de 987 millions de téléchargements 1. En effet, la période de la pandémie a favorisé une accélération de la production et de la consommation de vidéos courtes 2. L’appropriation de la plateforme est aussi encouragée par l’accès à une médiathèque vernaculaire (Allard, 2021) favorisant les initiatives expressives individuelles localisées en cohabitation avec des contenus iconiques ou audiovisuels. À cela s’ajoutent des facilités d’export et de partage sur d’autres plateformes qui réagencent la circulation des contenus sur les réseaux socionumériques et l’accès à une bibliothèque de ressources techniques (montage, sonorisation) intuitive.

TikTok a introduit un fil d’actualité dédié aux STEM (Science, Technology, Engineering, and Mathematics) lancé initialement aux États-Unis, puis étendu à la France et à l’Europe en avril 2024. Ce flux est spécifiquement conçu pour un public jeune, mettant en avant des contenus éducatifs visant à promouvoir l’apprentissage et l’intérêt pour les disciplines scientifiques et techniques, d’ingénierie et de mathématiques 3. De même, des espaces privilégiés émergent dans cet objectif éducatif avec le #ApprendreSurTikTok qui a cumulé plus de 3 milliards de vues entre 2020 et 2023 4 et qui regroupe des usagers ou des créateur·rice·s de contenus autour de 5 thématiques principales : français, sciences, histoire-géographie, culture générale et langues 5. Le #TikTokAcadémie a également sa place dans les contenus éducatifs proposés par des professeurs de collège ou de lycée. 

La thématique des sciences est celle qui regroupe le nombre le plus conséquent de vues sur TikTok (40%) 7 grâce à des vidéos informatives ou à des expériences scientifiques filmées. Les questionnements autour des relations entre TikTok et la recherche, puis la vulgarisation scientifique se sont ainsi posés naturellement à travers plusieurs entrées : le lien avec l’apprentissage, la valeur ajoutée, les dérives (comme la désinformation) ou encore l’appropriation et l’influence sur des publics divers. Les «  TikTokeur·euse·s scientifiques » ont déjà fait l’objet d’études notamment à travers des enjeux de catégorisation : des comptes individuels, des comptes organisationnels, des comptes d’agrégateurs (Exaltia) et d’autres comptes sans thème scientifique (Zeng et al., 2020). Ces mêmes comptes naviguent entre plusieurs points de vue : le divertissement, l’éducation et la science.

Il est également important de noter les controverses qui entourent TikTok et qui peuvent être à l’origine de certains biais tacites, notamment en lien avec la protection des données personnelles, la santé mentale des jeunes usagers ou encore les risques liés à la désinformation 8.

Sur TikTok, nous nous sommes ainsi intéressée aux créateur·rice·s de contenus qui mettent en valeur leur « passé scientifique », et qui construisent au fil de leurs interventions leur individualité scientifique oscillant entre la figure savante légitimée et la construction d’une « figure d’autorité numérique ». Cette étude qualitative repose sur une analyse de contenus vidéos. TikTok a été retenu pour ses formats de participation codifiés et pour son rôle dans la diffusion de savoirs. Les critères de sélection incluent l’analyse des 10 dernières vidéos les plus populaires de six créateur·rice·s de contenus scientifiques avec un parcours académique. Au total, 60 vidéos ont été recueillies oscillant entre 2 000 et 3 millions de vues et publiées entre décembre 2021 et mai 2024. En parallèle, six entretiens semi-directifs ont été réalisés pour obtenir des données qualitatives sur les pratiques de création des contenus scientifiques. 

Compte TikTok

Nombre d’abonnés

Nombre de j’aime

Biographie

Activité scientifique

brusicor02

141 700

2 400 000

La chimie, c’est la vie ! 🧪
Prends ta blouse, on file au labo ! 🧑🔬

Assistant ingénieur/ Technicien RMN

sciencebestiale

520

10 200

Sur YouTube @Sciencebestiale

Enseignant-chercheur

tangleroux

265 800

2 000 000

Enfilez votre blouse et entrez dans mon laboratoire ! Mon métier ? La FAQ ici

Pharmacien biologiste

pierrekerner

723

3 310

Auteur de Strange Stuff And Funky Things #SSAFT et Moi, Parasite. #Evolessons

Enseignant-chercheur

yanntoutcourt

781 400

29 700 000

Histoire feat. esprit critique

Enseignant

laquestionquetutposespas

26 100

309 200

Diététicienne nutritionniste et apprentis chercheur en psychologie cognitive 👀

Doctorante

Tableau 1 : Répartition des entretiens semi-directifs

En ce qui concerne l’analyse de contenu des vidéos, la grille d’analyse a été construite en fonction de trois entrées : les métadonnées (date, légende, hashtags, vues, mentions j’aime, commentaires), la construction discursive (thématiques ou sujets, argumentaires, prise de position) et les marqueurs scripto-audiovisuels en référence à la plateforme, à l’identité ou au contenu scientifique (images, son, mentions écrites, modalités d’interaction).

Créateur·rice·s de contenus scientifiques et écriture « plateformisée » 

L’appropriation d’une écriture scientifique « plateformisée »

La politique de TikTok repose sur les tendances et la création de mèmes, ce qui signifie que l’écoute et l’imitation constituent une composante essentielle des contenus scientifiques présents sur TikTok (Zeng et al., 2020). Il s’agit d’une architecture composée de codes numériques et de pratiques techno-sémiotiques qui sont réappropriées par les créateur·rice·s de contenus scientifiques (Grison et Bolz, 2023).

TikTok promeut un cadre architextuel qui est celui des vidéos courtes qui tournent en boucle. Ces mêmes vidéos sont ensuite soumises à des canons d’expression qui homogénéisent les formats, notamment à travers la présence d’un métatexte : sous-titre, hashtag, retranscriptions, émoticônes. Sur les différentes publications qui ont été analysées, un quart d’entre elles utilisent le #science ou encore le #tiktokacademie 6 comme nous l’indique la capture d’écran ci-dessous. 

Figure 1 : Capture d’écran avec hashtag

Le reste des hashtags fait ensuite référence à des informations disciplinaires (chimie, physique, biologie, médecine) ou encore au matériel scientifique (microscope, lab).

TikTok favorise les comportements mimétiques et contribue à populariser des formats spécifiques : challenge, duo, collage, réponse@, tendances, # etc. mais également des gestes et des mouvements tout autant que des contenus orientés. « Les pratiques sur TikTok permettent et encouragent de re-dire ou re-jouer les vidéos, de se servir de l’extrait audio, de faire des duos, etc. » (Grison et Bolz, 2023)

Figure 2 : Capture d’écran avec hashtag

Plusieurs formulations propres aux réseaux socionumériques circulent également au sein des vidéos et renvoient le plus souvent à des formulations en lien l’interaction créateur-usager : « Dis-moi en commentaire… », « Laissez-moi un petit commentaire », « Abonne-toi pour plus de vidéos », « abonne-toi » etc. 

Au-delà de cet architexte précis proposé par TikTok, les créateur·rice·sde contenus scientifiques s’approprient et enrichissent les formes d’écriture de manière à jouer sur leur identité et donc sur leur légitimité. « […] ces agencements scripto-audiovisuels forment des contenus au sein desquels se mixent des signes et se créolisent des écritures ; ils relèvent d’une « seconde visualité » en ce sens qu’ils sont bien plus que de simples images […] » (Allard, 2021, p.69). 

Concernant les mentions écrites sur les vidéos, certain·es créateur·rice·s de contenus vont préférer des transcriptions complètes, d’autres préféreront mettre en lumière les points clés et d’autre emprunteront des formats comme les « compteurs de bugs ». La même situation est observée en ce qui concerne le son, certain·es créateur·rice·s de contenus jouent avec les trend tandis que d’autres préfèrent uniquement mettre une voix off. Ici encore ces choix d’écriture reflètent des marqueurs identitaires spécifiques. Cette double appropriation (des architextes et des contenus scientifiques) est traduite par une prise de parole distanciée des normes, motivée par l’auto-publication ou par la sollicitation (réactions, commentaires).

La question de l’autorité 

Les chercheur·e·s et les universitaires qui communiquent sur les réseaux socionumériques bénéficient préalablement d’une autorité cognitive dépendante de la crédibilité, de la réputation (Broudoux, 2007, p. 3) et de la légitimité du.de la chercheur·e. L’autorité cognitive acquise a      priori par le.la chercheur·e lui donne la possibilité de se positionner en tant qu’expert de sa discipline vis-à-vis de ses pairs et du grand public. 

À cela s’ajoute la capacité de ces chercheur·e·s à produire de la connaissance scientifique, des discours scientifiques qui impliquent la mise en place d’un protocole de tri de l’information, d’une mise en mémoire et d’une discussion. Pourtant, sur les réseaux socionumériques, l’autorité cognitive seule ne suffit plus, et le.la chercheur·e doit adapter la production de ses contenus (scientifiques) aux spécificités des plateformes pour garantir leur visibilité. 

La construction de la légitimité scientifique numérique devient ainsi un processus continu pour le.la chercheur·e qui tente de concilier son autorité cognitive acquise avec son expérience et sa pratique des modes d’expression propres aux réseaux socionumériques. Cette forme émergente de légitimité requiert la prise en compte de trois enjeux principaux : la production d’un discours scientifique adapté aux médias, la mise en scène de la crédibilité, de la légitimité et de l’autorité scientifiques, ainsi que la co-construction collective des connaissances à travers les interactions.

La question de la reconnaissance et de la visibilité 

« Se rendre socialement visible » (Honneth, 2004) est l’apanage des chercheur·e·s dès le début de leur carrière. Les discours sont maniés et remaniés de manière à susciter des réactions positives de la part des communautés de pairs. 

De ce fait, les profils académiques sur les réseaux socionumériques sont souvent organisés selon des critères clairement définis. L’identité numérique du.de la chercheur·e repose sur une présentation de soi stratégique, ayant pour objectif de lui faire gagner sa place dans l’espace compétitif de la recherche académique. X par exemple, avant son rachat en 2022, a été utilisé pour promouvoir et obtenir des publications, des communications scientifiques ou des projets de recherche. 

Dans le cadre de leurs activités, les créateur·rice·s de contenus scientifiques n’hésitent pas à mettre en avant des signes qui les relieraient à leurs compétences académiques de manière à asseoir la crédibilité et la légitimité de leurs propos. Les personnalités scientifiques participent ainsi à un entrecroisement de leurs identités déclaratives en ligne à dimensions personnelles et professionnelles. En l’occurrence, il peut s’agir d’indices en lien avec l’activité de recherche, l’activité de vulgarisation sur d’autres plateformes et les autres productions, ou encore la dimension disciplinaire du compte. Voici quelques exemples de biographies de ces créateur·rice·s de contenus en ligne dénotant cet entrecroisement des identités.

« Diététicienne nutritionniste et apprentis chercheur en psychologie cognitive 👀»
« Enfilez votre blouse et entrez dans mon laboratoire ! Mon métier ? La FAQ ici ️ »
« Auteur de Strange Stuff And Funky Things #SSAFT et Moi, Parasite. #Evolessons »
« Histoire feat. esprit critique »

Plusieurs comptes analysés font également mention dans leur biographie ou dans les liens externes du « Café des sciences 9 ». Il s’agit d’une communauté de vulgarisateur·rice·ss scientifiques, qui fédère et diffuse les contenus produits par ses membres. En outre, il mène des initiatives collectives telles que la participation à des festivals scientifiques et est régulièrement reconnu comme une référence dans le domaine de la vulgarisation scientifique amateur. Les membres s’appuient sur une légitimité de corporation (Mansier, 2019) et d’appartenance à une communauté reconnue pour cadrer leurs activités. Ils en font également mention dans les entretiens qui ont été menés :

« Puis est venue la montée des YouTubeurs scientifiques, et j’ai rejoint le collectif « Café des sciences ». C’est en voyant des créateurs que j’ai fini par passer à la vidéo. »

« Grâce au café des sciences, on a pu, par exemple mettre un pied dans l’édition. Moi, j’ai participé à un livre qui s’appelle la science à contre-pied. »

L’enjeu de performance

La mise en média des sciences a eu pour conséquence directe, une croissance de la présence des chercheur·e·s à l’écran voire à l’image. En les mettant à l’honneur, les discours télévisuels ont contribué à développer des enjeux liés à la performance (Mansier, 2019) : exploit technique, idée innovante, ouvrage récent, expertise etc. 

Au-delà de la question de la légitimité, la performance du.de la chercheur·e est également porteuse d’enjeux. Les vidéos TikTok issues de notre corpus sont mises en scène pour la plupart dans des lieux de performance des chercheur·e·s (laboratoires, bibliothèques, musées etc.). Les lieux, les objets et les acteur·rice·s sont choisis de manière intentionnelle pour reconstituer des représentations en lien avec la science.

Une approche intéressante de la « représentation » scientifique consiste à expliciter des concepts par le biais de sketches illustrant des jeux de rôles. L’humour ne se réduit pas à un simple acte langagier visant une réaction précise, ainsi performé dans les sphères publiques notamment médiatiques et numériques il permet de se positionner sur des sujets fictifs ou d’actualité, en jouant sur des registres tels que l’ironie, la moquerie ou l’autodérision. Dans le cadre des entretiens, il est ressorti une appétence individuelle et identitaire pour l’humour et le second degré lors de la conception des scripts vidéos de communication des sciences.

« Mais si on peut parler d’une ligne éditoriale, moi ce que j’aime bien, c’est quand même l’humour, c’est quand même une des choses sur lesquelles je tombe très très facilement. »

« Et par contre au niveau des animations un peu humoristiques ou des animations de schémas, ça c’est moi qui le fais derrière depuis septembre dernier. »

Stratégies identitaires, médiation et remédiation de contenus scientifiques sur TikTok

Remédiation et circulation des contenus médiatiques et culturels

Les extraits audiovisuels sont également essaimés sur TikTok qu’il s’agisse d’extraits de téléréalité (Grison & Bolz, 2023), d’expressions virales, de scènes « cultes » ou encore de formats précis. Les contenus audiovisuels, initialement produits en dehors de TikTok, sont non seulement redistribués, mais aussi réinterprétés et réappropriés par les utilisateurs. En outre, des références cinématographiques sont parfois présentes à travers la diffusion de courts extraits (Alien, Tchernobyl), des formats sont réutilisés (documentaire animalier, documentaire d’enquête) et les aspects visuels et esthétiques sont aussi parfois travaillés de manière à obtenir un contenu plus qualitatif.

De plus, certain·es créateur·rices de contenus scientifiques présents sur TikTok diversifient également leurs activités et surtout leurs supports de diffusion des sciences. En outre, il y a la participation et la conception de podcasts dédiés à la science (comme Podcast Science, Futura Science), ou encore l’édition d’ouvrages thématiques dédiés à la vulgarisation scientifique, mais aussi la tenue de blog scientifique. À cela s’ajoute la participation à des ateliers grand public et à des festivals (comme la Fête de la Science) pour effectuer des interventions beaucoup plus centrées sur la médiation scientifique. Bien que ces activités restent accessoires face à l’activité principale sur les réseaux socionumériques, elles illustrent la manière dont la remédiation favorise la circulation des contenus à travers des environnements médiatiques multiples, chacun redéfinissant les rapports entre les producteur·rices de contenus, les supports et les publics.

Recontextualisation des contenus scientifiques

Les références scientifiques ne sont pas uniquement factuelles, mais parfois aussi présentes dans des méthodes de travail, des valeurs individuelles ou encore dans la structuration de propos. Il est en effet beaucoup question de liberté, mais aussi d’intégrité scientifique dans les entretiens. En effet, les choix éditoriaux et les méthodes de production de contenus sont souvent ralliés à ces valeurs initialement présentes dans le monde scientifique et académique. 

En ce qui concerne la structuration du propos, les argumentaires en lien avec les modèles didactiques sont aussi présents. Plusieurs éléments agencés de manière individuelle sont présents dans les propos portés dans les vidéos sélectionnées : une question (une problématique ou un problème), une explicitation, une démonstration, une série d’arguments (contradiction, preuve par l’étonnement, références théoriques), une solution. Les créateur·rice·s de contenus restent également très en alerte face à cette structuration comme le montre ces extraits : 

« Les compétences qui sont très utiles quand on veut perdurer ? Pour moi bah c’est l’intégrité scientifique quand même. Oui, c’est vraiment le plus important à mon avis à mes yeux, pour pouvoir vraiment se faire une place respectée parmi les vulgarisateurs scientifiques francophones, ben voilà, on fait un contenu, on le source, on le vérifie et si on s’est trompé, on corrige. »

« […] c’est que le début de la vidéo va être très rythmé et plus on avance dans la vidéo et moins sur cet hyper rythme en fait, et plus on est sur quelque chose de peu plus humain. Oui, mais je voudrais qu’il y ait une contradiction évidente car d’un point de vue scientifique, on sait que les pauses sont hyper importantes dans la compréhension d’un, d’une vidéo ou d’un texte. »

Dans leur discours, il y a le plus souvent des références scientifiques que ce soit à travers des noms d’autres chercheur·e·s, l’usage du jargon scientifique matériel et conceptuel (fluoréscéine, acides aminés, cellule de conway, hypothalamus, cortex préfrontal, etc.), mais aussi la présence d’objets en lien avec le savoir scientifique (matériel de laboratoire, structure moléculaire, moniteur, fossiles, carte, ouvrages, etc.). Un des éléments clés reste également la présence d’images dans les vidéos postées. Images qui renvoient à des diagrammes, des schémas de structure chimique, des schémas anatomiques ou à des images d’illustrations (images de synthèse, mêmes, portraits d’ clés). Les contenus scientifiques sont recontextualisés et adaptés aux spécificités des plateformes numériques et enrichissent un discours distancié de la publication scientifique traditionnelle.

Diffusion des savoirs sur les plateformes : travail, rémunération et logiques croisées

Les créateur·rices de contenus dépendent de cette forme de contrôle technicisée pour pouvoir générer des revenus. « Les plateformes de produits culturels calculent d’autres métriques venues du monde des médias, basées sur la popularité » (Flichy, 2019, p. 178). Un travail de calcul opaque hiérarchise les offres sur les plateformes privilégiant ainsi certain·es créateur·rices au détriment des autres. Face à cela, ils tendent à diversifier leurs activités et leurs revenus de manière à garder la maîtrise éthique et scientifique sur le contenu produit. 

Plusieurs alternatives s’offrent ainsi aux créateur·rices de contenu scientifique : exercer deux activités à temps complet chacune, exercer chaque activité à temps partiel, n’exercer que l’activité de création de contenus, n’exercer que l’activité de recherche ou professionnelle. Recourir au travail de plateforme permet en outre de s’affranchir des formes canoniques du travail et de s’engager dans des activités pour le plaisir (Flichy, 2019).

« Depuis deux ans, je suis à mi-temps en laboratoire et le reste de mon temps est consacré à la création de vidéos et à l’animation de mes réseaux sociaux. »
« Oui, j’ai un emploi du temps flexible, mais je considère la vulgarisation comme une partie de mon travail. »
« Comme je suis fonctionnaire à temps plein, je ne peux pas avoir d’activité annexe rémunérée. Si je veux être rémunéré, je devrais entreprendre des démarches administratives pour une activité secondaire. »

La rémunération sur TikTok est le plus souvent corrélée au nombre de vues que peuvent faire les différentes vidéos des créateur·rices de contenus. Néanmoins, ce modèle économique n’est pas toujours viable, ce qui pousse les différents acteur·rice·s à varier leurs sources de revenus sur la plateforme en ayant dans un premier temps recours aux collaborations et partenariats. Ici encore, le propre des créateur·rices de contenus scientifiques est de garder une certaine liberté dans le choix des partenariats : en favorisant les organismes publics en lien avec l’enseignement supérieur et la recherche, ou avec la culture et la connaissance. De même, une autre alternative reste le fait de favoriser les collaborations avec d’autres créateur·rices de contenus ou avec des médias curateurs de contenus de vulgarisation scientifique (comme Exaltia). Dans ce cadre, hormis l’aspect financier, gagner en visibilité reste l’objectif majeur. De manière plus directe, ils ou elles n’hésitent pas à transmettre le lien de leur plateforme de financement participatif.

« Oui, c’est pour ça que je préfère rester dans mon poste actuel. Cela me permet de ne pas dépendre financièrement de mes vidéos et de garder une certaine liberté quant aux sponsors. »
« J’essaie de ne pas faire trop de placement de produits. Je préfère travailler avec des institutions comme le CNRS, Sidaction ou l’Inserm pour faire des vidéos sur des sujets qu’ils souhaitent aborder. Ça passe mieux auprès du public. »
« Je privilégie les partenariats avec des institutions comme des musées. Je fais essentiellement ça quand même, hein, essentiellement ça va être des musées. Ça peut être aussi des médias là par exemple, le prochain qui va arriver, je vais faire un partenariat pour communiquer sur un programme historique qui va bientôt passer sur France 2. Ok c’est pareil, je privilégie plus la télé publique »

La remédiation englobe donc également une forme d’hybridation des pratiques professionnelles des créateur·rices de contenus, des stratégies socio-économiques nuancées qui influent sur les processus de production et de diffusion des contenus scientifiques.

Réajustement des compétences du·de la créateur·rice de contenu scientifique

Être créateur·rice de contenus sur une plateforme favorisant les contenus audiovisuels est un défi de taille qui implique l’acquisition de certaines compétences. Les créateur·rices de contenus deviennent en effet « multi casquettes » et se forment en entrepreneuriat, en communication, en gestion des réseaux sociaux, mais aussi dans des compétences plus techniques, comme l’éclairage ou le montage vidéo. L’objectif est ici de naviguer entre les différents aspects de l’écriture sur les réseaux socionumériques de manière à avoir des retombées positives. La question de la performance est finalement au cœur des stratégies de production de contenus : entre compétences propres à des créateur·rices de contenus scientifiques et mise en exergue d’une identité performée dans l’objectif de « séduire » sa communauté. 

« Au début, je pensais naïvement qu’il suffisait d’allumer la caméra et de poster. Mais j’ai vite compris qu’il fallait apprendre beaucoup de choses : les réglages de la caméra, l’installation d’un studio, la captation du son, l’écriture de scripts, le montage, la création de miniatures. Je me suis donc payé une formation en ligne en janvier, que j’ai finie en février. »
« Après, c’est aussi de l’incarnation. Moi, je crois que je récolte aussi le fruit d’années d’activités annexes, des années de pratique théâtrale, de tournage détourné dans des cours et dans des moyens métrages. »

Comme le montre ces extraits, le ou la créateur·rice de contenu scientifique performe et s’adonne à des stratégies de mise en scène et d’exposition de soi (Hogan, 2010) en éditant et en ré-éditant des formats et des contenus de manière à faire perdurer une image de soi légitime, crédible, mais également visible. 

Conclusion

La vulgarisation scientifique est un processus dynamique et évolutif, influencé par les avancées techniques et les contextes culturels. Loin d’être une simple traduction des concepts scientifiques en termes accessibles, elle intègre des outils et des pratiques, comme les plateformes de réseaux socionumériques, et s’adapte aux habitudes des publics. Tout ceci enrichit la manière dont la science est expliquée, rendant la communication scientifique plus créative. Le recours aux plateformes numériques remodèle ces aspects de la communication des sciences et renégocie les termes de la médiation, de la médiatisation et de la vulgarisation. 

Par ailleurs, TikTok s’est érigé, parmi les différents réseaux socionumériques, comme un terrain fertile pour une consommation croissante d’informations variées, diffusées sous forme de courtes vidéos. L’apprentissage et l’éducation aux sciences font partie des prérogatives de cette plateforme malgré les biais présents. Ainsi, un nombre croissant de créateur·rices de contenus scientifiques issus de profils académiques a émergé sur cette plateforme. 

Les formes identitaires numériques de ces créateur·rices de contenus peuvent alors être questionnées. En effet, l’ethos du.de la chercheur·e qui fait de la vulgarisation se construit ici de manière stratégique (Adenot, 2016) en faisant appel à une forme d’autorité cognitive et informationnelle (Broudoux, 2007), qui contribue à mettre en avant des enjeux de légitimité, de crédibilité ou encore de notoriété. De même, la création de contenus scientifique sur TikTok repose sur la diffusion et la remédiation de contenus scripto-audiovisuels variés, de formats d’écriture multiples allant des références culturelles aux formats les plus scientifiques. 

Cette relecture permanente des contenus contribue à une redéfinition des rapports entre science, médias, dispositifs techniques et société, où la forme et le fond convergent pour capter l’attention et encourager l’engagement. Au-delà de cet aspect, elle interroge les logiques socio-économiques sous-jacentes et redéfinit les compétences requises pour la diffusion des savoirs scientifiques. Pour ouvrir sur de nouvelles perspectives néanmoins, la compréhension des publics, voire la perception publique de la science face à cette multiplication de formats et d’identités mérite également d’être étudiée. 

Notes

[1] Digimind, https://blog.digimind.com/fr/agences/tiktok-chiffres-et-statistiques-france-monde-2020, consulté le 9 mars 2025.

[2] De manière factuelle un enseignant nous a indiqué lors des entretiens, que ses vidéos TikTok ont vraiment été développées à partir du premier confinement : « Et à ce moment du premier confinement 2020 j’ai commencé à me dire allez, je vais faire ces vidéos d’histoire. Parce qu’on entendait parler du fait que des élèves passaient trop de temps sur TikTok et pas assez à aller voir les vidéos de cours de rattrapage faites par les enseignants. »

[3] https://newsroom.tiktok.com/fr-fr/fil-stem-fr

[4] https://newsroom.tiktok.com/fr-fr/apprendre-sur-tiktok

[5] https://newsroom.tiktok.com/fr-fr/apprendre-sur-tiktok

[6] https://blog.workyt.fr/tiktok-peut-elle-devenir-une-plateforme-dapprentissage-de-reference/

[7] https://newsroom.tiktok.com/fr-fr/apprendre-sur-tiktok 

[8] https://www.publicsenat.fr/actualites/international/le-senat-appelle-a-suspendre-tiktok-si-le-reseau-ne-se-met-pas-en-conformite-avec-certaines-demandes

[9] https://www.cafe-sciences.org/

Références bibliographiques

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Auteure

Sarah Rakotoary

Maîtresse de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, Université Bourgogne Europe, laboratoire CIMEOS UR 4177. Ses travaux de recherche portent sur les usages du numérique dans la communication scientifique. Elle s’intéresse notamment à la circulation des formats numériques de la publication et de l’information scientifiques, aux enjeux de l’appropriation des réseaux socionumériques par la sphère académique, et aux stratégies d’acteur·rice·s qui en découlent.

Sarah.rakotoary@u-bourgogne.fr