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De la vulgarisation à l’autodiagnostic : une histoire éditoriale des tests dans Psychologies Magazine (1970-2020)

8 Déc, 2025

Résumé

Les tests psychologiques, disponibles aujourd’hui massivement en ligne, sont des objets d’investigation particulièrement intéressants pour réfléchir à la question de la diffusion et de la médiation de la culture psychologique contemporaine. Partant du succès de Psychologies Magazine depuis les années 1970, l’objectif de cet article est d’analyser l’évolution des formes et fonctions des tests psychologiques qui y sont publiés. Nous montrons que leur vocation est à la fois tributaire des dynamiques éditoriales du magazine (de la vulgarisation au développement personnel), mais aussi plus généralement des recompositions de la culture psychologique et de l’espace des professions psychothérapeutiques contemporaines.

Mots clés

Psychologie, vulgarisation, tests, édition, développement personnel. 

In English

Title

From Popularization to Self-Diagnosis: An Editorial History of Tests in Psychologies Magazine (1970–2020)

Abstract

Psychological tests, now widely available online, are notably interesting objects of investigation for examining the dissemination and mediation of contemporary psychological culture. Using Psychologies Magazine, which has thrived since the 1970s, as a case study, this article aims to explore how the forms and functions of the psychological tests it features have evolved. We argue that the role of these tests is shaped not only by the magazine’s editorial strategies (shifting from dissemination to personal development), but also, more generally, the reconfigurations of psychological culture and the landscape of contemporary psychotherapeutic professions.

Keywords

Psychology, Dissemination, Tests, Publishing, Coaching.

En Español

Título

De la divulgación al autodiagnóstico: una historia editorial de los tests en Psychologies Magazine (1970–2020)

Resumen

Los test psicológicos, hoy disponibles masivamente en línea, son objetos de investigación particularmente interesantes para reflexionar sobre la cuestión de la difusión y la mediación de la cultura psicológica contemporánea. A partir del éxito de Psychologies Magazine desde los años 70, el objetivo de este artículo es analizar la evolución de las formas y funciones de los test psicológicos que se publican en la revista. Mostramos que la finalidad de estos test está condicionada tanto por las dinámicas editoriales de la revista (de la divulgación al desarrollo personal) como, de manera más general, por las recomposiciones de la cultura psicológica y del ámbito de las profesiones psicoterapéuticas contemporáneas.

Palabras clave

Psicología, Divulgación, Test, Edición, Coaching.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Tertrais-Flamand Léo, Maignan Alex, , « De la vulgarisation à l’autodiagnostic : une histoire éditoriale des tests dans Psychologies Magazine (1970-2020) », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°25/2, , p.67 à 82, consulté le lundi 8 décembre 2025, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2025/dossier/06-de-la-vulgarisation-a-lautodiagnostic-une-histoire-editoriale-des-tests-dans-psychologies-magazine-1970-2020/

Introduction

De plus en plus de professionnel·le·s de la santé mentale s’inquiètent du recours croissant à l’auto-diagnostic, notamment chez les jeunes (Couppé de Kermadec, 2021 ; Fournier, 2023). Cette pratique, qui consiste à identifier soi-même, et pour soi-même, le nom et les formes de son mal-être, s’appuie notamment sur l’existence de nombreux tests et questionnaires disponibles en ligne. C’est le cas par exemple du site Psychologies.com, qui propose aujourd’hui des centaines de tests gratuitement. En France, la pratique culturelle et ludique du questionnaire auto-administré, à des fins d’introspection et de connaissance de soi, est ancienne – en témoigne le questionnaire rendu célèbre par Marcel Proust durant les années 1920. En miroir, les travaux d’Alfred Binet ont contribué au développement de l’expertise psychométrique : en 1907, à la demande du gouvernement, il a conçu, en collaboration avec Théodore Simon, les premiers tests d’intelligence destinés aux enfants (Paicheler-Harrous, 1985). C’est cette ambivalence du questionnaire psychologique que nous proposons d’interroger, à la fois comme outil de laboratoire interne au champ académique (Martin, 2020), et en tant que vecteurs de diffusion de la « culture psychologique de masse » (Castel et Le Cerf, 1981) auprès de publics non-scientifiques, fonctionnant ainsi comme support de connaissance de soi pour des individus en quête de réponses existentielles.

Avant d’être un site Internet, Psychologies.com est un magazine : à sa création en 1970, son titre est Psychologie, puis devient Psychologies en 1983, avant de prendre en 1998 le nom qu’on lui connait aujourd’hui, Psychologies magazine. Ce « projet de journalisme scientifique » (Lemerle, 2014, p. 153) s’inspire de son prédécesseur états-unien Psychology Today, avec qui est signé dès 1970 un contrat d’exclusivité en faveur de Psychologie sur la diffusion de leurs articles en langue française. Des accords similaires existent également avec Psychologie Heute et Psicologia Contemporanea, autant d’intermédiaires culturels (Bourdieu, 1979) européens analogues, à l’avant-garde du phénomène psy anglo-saxon et de son importation (Psychologies magazine -PM-1 , 1978, n° 100, p. 5). Spécificité de la mouture française par rapport à son prédécesseur anglophone, des tests ou questionnaires sont régulièrement proposés au lectorat et ce, dès les premiers numéros du magazine. Cette différence n’est pas anodine. En France, le processus de professionnalisation de la psychologie est étroitement lié au succès, à partir des années 1920, des tests psychotechniques en tant que dispositifs d’orientation scolaire et de sélection professionnelle. S’ils se sont retrouvés sous le feu de la critique à la suite de la Libération, ils sont largement réhabilités à partir de la seconde moitié des années 1950 (Carroy, Ohayon et Plas, 2006, p.209-2013). C’est une forme de psychologie appliquée, pratiquée par des technicien·ne·s pour beaucoup employé·e·s par l’Etat (Le Bianic, 2013, p. 15). Aux Etats-Unis, la professionnalisation des psychologues n’est pas centrée sur la pratique des tests. Elle trouve racine dans la légitimation de savoirs universitaires et est tributaire du rôle prépondérant d’« acteurs privés (universités, associations professionnelles, associations de diplômés) » (Ibid., p. 32).

De « Quelle est votre forme d’intelligence ? » en 1973 à « Savez-vous vous rendre heureux ? » en 2005, en passant par les quiz de culture psychologique, le magazine propose des formes de questionnaires auto-administrés contrastés. Ces tests oscillent entre deux pôles : d’un côté, la vulgarisation des savoirs et techniques psychologiques, de l’autre, une forme de médiation introspective qui aboutit à l’élaboration de connaissances sur soi (Mauger et Poliak, 1998). Depuis la parution de son premier numéro jusqu’à la mise en ligne de son site internet, la rubrique des tests donne la possibilité d’interroger la position d’intermédiaire culturel occupée par le mensuel, au fil des inflexions de sa politique éditoriale et des recompositions du marché des thérapies et du bien-être français. En tant qu’objet d’investigation, la rubrique des tests permet ainsi non seulement de documenter la genèse de la diffusion de cet incontournable genre journalistique contemporain (Ringoot, 2014) à la croisée de Binet et Proust, mais également d’avoir un regard sur le processus de professionnalisation de la psychologie française et les conflits de légitimité qui l’ont traversé.

Après avoir exposé les outils et méthodes employés, nous commencerons par la genèse du magazine et des premiers tests apparus dans ses sommaires. Nous montrerons qu’ils ont autant pour fonction d’accompagner le lectorat dans ses démarches introspectives que, du côté des rédacteur·ice·s, de servir de pivot à l’économie de la maison d’édition du magazine. Ensuite, ce genre éditorial, bien que délaissé durant les années 1980, revient sur le devant de la scène à partir de la fin des années 1990, porté conjointement par la popularisation du développement personnel et par le virage numérique pris par le mensuel.

De la vulgarisation à la connaissance de soi

Le magazine est l’objet d’un double mouvement au cours de ses cinquante ans d’existence : projet de vulgarisation proche des savoirs académiques au départ, il devient ensuite un appui pour la recherche de bien-être, tout en se parant des codes du magazine féminin. Cette évolution est le fruit de ruptures correspondant à l’histoire de ses deux rachats principaux en 1982 et 1998 (Lemerle, 2014). Nous utiliserons cette périodisation pour la suite, telle que : PM1 (1970-1982), PM2 (1983-1997) et PM3 (1998-2020). Nous avons pu consulter 547 des 572 numéros publiés entre 1970 et 2020 à la Bibliothèque nationale de France afin d’examiner leur contenu et de numériser les 342 tests que nous avons trouvés. Nous avons constitué un registre des tests qui compile leur titre, le numéro dans lequel il est publié, l’éventuelle bibliographie qui l’accompagne et son auteur·ice 1. Nous avons ensuite codé l’ensemble des tests selon la fonction principale qu’il est supposé avoir pour le lectorat. Une analyse de contenu systématique permet d’avoir un regard sur l’évolution des façons dont les tests sont investis par la rédaction du magazine en fonction des périodes éditoriales. Par exemple, ont été publiés 6,2 tests par an en moyenne en PM1, 2,9 en PM2 et 8,7 en PM3.

Nous avons identifié cinq fonctions à partir de la lecture de l’ensemble des tests, en combinant à la fois leur contenu et la formulation de leur titre :

  • Vulgarisation, lorsque l’objectif est de rendre accessible des connaissances académiques. Par exemple, « Connaissez-vous Freud ? » (PM1 1971, n° 20) prend la forme d’un quiz de culture psychanalytique détaillant l’œuvre de Freud, avec pour vocation d’améliorer les connaissances du lectorat sur le sujet.
  • Ludique, lorsque c’est un simple jeu de magazine. Par exemple, « Des lettres et des chiffres » (PM1 1980, n° 123) est une succession d’exercices cognitifs littéraires et mathématiques ;
  • Connaissance de soi, lorsque le dispositif sert de support à l’introspection. Par exemple, « Êtes-vous vous-mêmes ? » (PM3 2002, n° 211) propose de répondre à des questions à choix multiples qui sont autant de réactions émotionnelles possibles à une situation donnée. Une fois les choix scorés, la conclusion révèle au lectorat s’il est plus ou moins authentique avec lui-même ;
  • Connaissance d’autrui, quand il s’agit de comprendre son entourage. Par exemple, « Connaissez-vous les vrais désirs de l’autre ? » (PM3 2006, n° 254) propose à un couple de répondre au questionnaire à deux pour faire le bilan de leur intimité sexuelle ;
  • Résoudre un nœud existentiel, lorsque le questionnaire vise à identifier et résoudre un problème personnel. Par exemple, « Qu’est-ce qui vous bloque ? » (PM3 2019, n° 401) consiste à cocher parmi quarante phrases affirmatives celles qui correspondent le mieux. Un système de score permet ensuite d’identifier d’éventuels nœuds psychiques, en l’occurrence avoir tendance à l’inhibition, à sur-réagir ou à manquer d’empathie.

Figure 1 : Proportion des fonctions des tests pour le lectorat durant chaque période éditoriale de Psychologies Magazine

Sans surprise, la fonction « connaissance de soi » domine largement toutes les autres (69 % des tests toutes périodes confondues). En première période, les fonctions endémiques « ludiques » et de « vulgarisation » renvoient à l’ambition pédagogique du périodique. Ce sont des quiz de culture psychologique et des exercices cognitifs qui visent par exemple à entraîner la mémoire. Nouveauté de la troisième période éditoriale, émerge la fonction « résoudre un nœud existentiel ». Elle se distingue de la « connaissance de soi » par l’ajout d’une dimension problématique (quelque chose fait problème) et bien souvent négative dans la formulation : désormais le lectorat a des difficultés que le test permet de dévoiler.

Pour chacune des périodes nous avons mené un travail de prosopographie des auteur·ice·s des tests. L’accessibilité des sources pour la troisième période nous a permis de véritablement systématiser la collecte d’informations et de constituer une base de données à partir de laquelle on peut obtenir certaines statistiques de comptage. Cela est d’autant plus essentiel que seulement 8 des 86 auteur·ice·s sont membres de la rédaction à proprement parler. Le magazine a ainsi largement recours à des professionnel·le·s extérieur·e·s, plus ou moins actif·ve·s dans le champ médiatique. En revanche, pour les périodes antérieures nos sources sont plus parcellaires, mais permettent néanmoins de reconstituer la trajectoire des figures clés de la rédaction du magazine (p. ex. François Richaudeau, fondateur du magazine). Enfin, pour documenter le tournant numérique nous avons eu recours au service Wayback Machine proposé par web.archives.org. Nous avons compilé l’ensemble des versions disponibles de la page d’accueil générale du site, ainsi que de la page d’accueil de la section test, afin de pouvoir conjointement mener une analyse lexicométrique du contenu (n=2051) et visuelle de l’interface en fonction des années (2000-2020). Cela permet d’avoir un regard sur la façon dont les tests sont mis en valeur sur le site internet.

Pédagogie, introspection et publicité : le triple visage des tests

Figure 2. Couverture et sommaire du premier numéro de Psychologie (1970)

De son nom initial Psychologie, le magazine est un projet porté par François Richaudeau, docteur en communication sur le tard (1988) et spécialiste de la lecture. Fort de son succès éditorial, il fonde également en 1966 le Centre d’étude et de promotion de la lecture (CEPL), qui se structure ensuite par la création des éditions Retz en 1975. Dès sa création, le magazine oriente ses tests autour de trois fonctions principales, qui reflètent son positionnement éditorial et fondent l’identité de la rubrique. La première est de vulgariser les sciences humaines de façon ludique, la deuxième est de servir de support d’introspection et de connaissance de soi, la troisième est consacrée à la promotion d’ouvrages.

La chaîne de production éditoriale et l’économie circulaire des tests

Figure 3. Première et dernière page du premier test publié dans Psychologie (1970, n° 2)

La rubrique quiz apparaît dès le second numéro du magazine, par un questionnaire intitulé « Êtes-vous en accord avec vous-même ? » (Figure 3). Derrière ce titre se cache une forte empreinte jungienne, et le lectorat est amené à vérifier s’il peut se considérer comme un « homme plein » ou si une facette de sa vie lui provoque de l’insatisfaction. Il faut se lancer dans une série de soixante questions à choix multiples à l’issue desquelles le·la lecteur·ice obtient ses résultats grâce à un tableau de correspondance qui les associent à une explication textuelle. Dans le numéro suivant, « Êtes-vous un extraverti ou un introverti ? » entre plus explicitement dans des logiques de vulgarisation. Au-delà du résultat, c’est aussi l’occasion de lire une présentation efficace de ces deux concepts de Carl Gustav Jung « presque passées dans le langage courant » (PM1 1970, n° 3, p. 5). Les dernières lignes invitent le·la lecteur·ice à continuer de se renseigner sur le sujet car « ces quelques touches psychologiques sont insuffisantes » (Ibid., p. 67). On lui conseille de se procurer Psychologie moderne de A à Z publié en 1967 par le CEPL ou bien de se plonger directement dans l’œuvre du maître.

La forme des tests et leurs ambitions peuvent être comprises en prenant en compte la trajectoire de Françoise Gauquelin qui assure avec son mari la direction scientifique du magazine. Spécialisé·e·s dans la lecture et membres fondateurs du CEPL, il et elle co-signent avec Richaudeau plusieurs guides sur la lecture avant la création de Psychologie. Françoise Gauquelin est psychologue et statisticienne, formée à la psychotechnique à la Sorbonne durant les années 1940. Cette spécialité fonde la légitimité de son expertise sur la quantification par l’usage de tests et emploie un contingent de praticien·ne·s qui « présentent le plus souvent des profils hybrides, aux frontières du monde académique et des applications » (Le Bianic, 2013, p. 185). Elle s’est imposée en France depuis les années 1920, notamment en tant que dispositif d’orientation scolaire permettant de repérer les enfants les plus aptes. C’est également en tant qu’outil de sélection professionnelle (PM1 1974, n° 40, p. 53) que les tests psychotechniques ont trouvé leur succès, au service de l’organisation scientifique du travail (à chacun·e ses compétences, à chacun·e son poste). Ils sont devenus incontournables au point de ternir leur image. Plusieurs articles (PM1 1973, n° 40 et PM1 1978, n° 104) font en effet état du ras le bol des candidat·e·s à l’embauche. Ils·elles sont appelé·e·s à se soumettre à une batterie de tests laborieux et parmi ceux-là, le test du village, consistant à construire son village idéal en piochant dans une boîte de jouets, est réputé particulièrement infantilisant. C’est par ailleurs là que réside la spécificité des tests proposés par le magazine français. Les questionnaires auto-administrés rompent, au moins en partie, avec la relation d’expertise psychotechnique traditionnelle, non pas sur le plan des savoirs scientifiques mobilisés, mais en termes de déroulement pratique. Ce support de médiation est en effet bien plus horizontal que la situation clinique traditionnelle, car il n’implique pas la présence de l’analyste. Celle-ci n’est médiée que par les interprétations typifiées en fin de rubrique, qui restent néanmoins largement ouvertes à l’interprétation. On considère que le sujet a parfaitement la capacité de produire des connaissances introspectives, pourvu qu’on lui fournisse des clés et des outils d’interprétation psychologique suffisamment pédagogiques. Le magazine promulgue l’autonomie des individus, en participant à semer les graines de la légitimation des savoirs psychologiques expérientiels et de l’autodiagnostic, qui germeront par la suite.

En 1974, Retz publie 20 tests pour se connaître, co-signé par les Gauquelin. Le livre rassemble des tests déjà publiés dans le magazine pour la plupart et nous renseigne sur la conception de ces dispositifs. Le but pour le lectorat est de se départir de la vision fixiste et réductionniste que son entourage peut donner de sa personnalité et d’embrasser la complexité de son intériorité. Toutefois, si le test est un outil « pour atteindre la personnalité consciente », il faut « d’autres techniques pour atteindre la personnalité inconsciente » (p. 12). Par ailleurs, ce livre ne s’adresse pas à un public en grande souffrance psychique, la « seule ambition » est de « faire réfléchir à votre manière d’être » (p. 223). Les tests publiés dans le livre ont subi quelques amendements car ils « ont été revus et corrigés en fonction des réponses de nombreux lecteurs » du magazine, puis « ils ont subi un examen final sur un groupe de cinquante sujets des deux sexes, de tous âges et de toutes conditions » (p. 14). Se retrouve là la casquette de statisticienne de F. Gauquelin. Cet effort empirique a deux fonctions : calculer la moyenne et l’écart type des réponses afin que le·la lecteur·ice puisse comparer ses résultats avec le « groupe de sujets normaux » (p. 234) et en déduire des coefficients de corrélations entre les résultats des différents tests. Par exemple, le score d’extraversion est positivement corrélé à l’adaptation au monde moderne, l’attitude de chef ou encore l’absence d’anxiété. Certaines corrélations sont également l’occasion de commenter les rapports de genre contemporains : « la comparaison du questionnaire ‘masculinité-féminité’ avec le questionnaire « Êtes-vous victime ou bourreau ? » n’indique pas de corrélation significative entre le pôle « masculinité » et le pôle « bourreau » (heureusement, nous vivons dans un monde civilisé !), mais une corrélation légèrement significative entre le pôle ‘féminité’ et le pôle « victime » » (p. 234). Cette empreinte psychométrique indique à quel point la rédaction de Psychologie se positionne du côté des normes de scientificité, durant une période où les psychologues « revendiquent le monopole des tests et examens psychotechniques et entendent se démarquer des « charlatans » qui font un usage commercial de la psychologie, usurpent le titre et emploient des méthodes d’évaluations sans valeur scientifique attesté » (Le Bianic, 2013, p. 10). Chacun des tests est associé à une bibliographie et parmi les travaux hétéroclites mobilisés, il y a l’incontournable Jung et certaines de ses collaboratrices comme Jolande Jacobi, mais également Hans Eysenck (à qui est emprunté son test de Q.I.), Alfred Adler, Sigmund Freud ou encore de manière plus surprenante Michel Foucault. Ces dispositifs ne sont pas conçus comme des rubriques de magazines simplement divertissantes mais comme des dispositifs de médiation et de création de savoirs psychologique à part entière. À la façon des kits d’apprentis chimiste, la forme du test donne la possibilité de se familiariser avec les méthodes usuelles de la recherche psychologique. Cependant, plutôt que de reproduire des résultats déjà connus en maniant des liquides bariolés, ici la situation d’expérimentation a pour ambition d’engendrer des connaissances nouvelles par un effort d’auto-analyse.

Sept ans après la publication de la première compilation, Retz réitère avec Des tests pour mieux communiquer. Le principe est le même mais la stratégie est cette fois-ci plus rodée. En effet, la maison d’édition lance en 1975 une nouvelle collection baptisée « Savoir communiquer » qui accueille une salve de guides. Dans chacun, le lectorat trouvera un test introductif pour dresser le bilan. Ce test est reproduit peu de temps après dans Psychologie, ce qui permet de faire la publicité de l’ouvrage et de fournir une rubrique à peu de frais. Enfin, ces tests sont compilés dans un livre dédié dont la parution est publicisée dans le magazine. Le tout forme une économie circulaire des tests, qui profite d’un bout à l’autre de la chaîne de production éditoriale à l’écosystème Retz. Par exemple, Michel Grenouilloux, responsable pédagogique en formation journalistique, est missionné d’écrire pour cette collection Savoir écouter, comprendre, noter, retenir (1976). Elle contient le test « Savez-vous écouter ? » qui est reproduit dans le magazine la même année puis dans la compilation finale.

Au-delà des tests qui visent à se connaître soi-même, certaines personnes signent à plusieurs reprises des quiz de culture psychologique pour le magazine. C’est le cas de Claude Bonnafont qui est employée entre 1971 et 1972 pour en écrire sur Freud, Piaget, Jung, Lorenz, Pavlov et Adler. Le premier de la série indique : « à partir de ce numéro, nous faisons varier la formule du Quiz qui traditionnellement ouvre chaque numéro de « Psychologie ». Notre jeu ne se borne plus à la question : vous connaissez-vous vous-même ? Il s’étend au domaine : connaissez vos connaissances » (PM1 1971, n° 20, p. 4). Une partie de ces quiz font suite à la précédente publication d’un dossier dédié et font office de contrôle de connaissance « sous une forme amusante » (PM1 1971, n° 20, p. 4). En parallèle, Bonnafont sera invitée à participer à un ouvrage collectif du CEPL publié en 1972 intitulé Les 10 grands de la psychologie et à nouveau l’économie circulaire de Retz fait montre de son efficacité.

La légitimité et l’usage des tests en question

Durant la première période du magazine, de nombreux articles reviennent sur l’histoire et l’actualité des tests. Ce type de texte offre parfois un contrepoint critique face à l’engouement positiviste de la rubrique dédiée. Dans un article provenant de Psychologie Today, Franck McMahon, un psychologue anglophone, se montre particulièrement sévère avec la pratique (PM1 1972, n° 26). Il revient d’abord sur le test de Rorschach qu’il estime peu fiable, notamment car son interprétation est généralement biaisée. Il considère également que la profession stagne à surinterpréter à partir des informations lacunaires données par les tests de personnalité. Selon lui, « afin de maintenir le mythe du professionnalisme, nous surinterprétons […] et craignons par-dessus tout de ne pas voir quelque chose dans le dépouillement d’un test » (Ibid., p. 46). Cela est d’autant plus prégnant en France, où le processus de professionnalisation des psychologues a largement reposé sur le succès de l’expertise psychotechnique. Cet article anticipe la période éditoriale suivante, durant laquelle les tests proposés dans le magazine sont nettement moins pris au sérieux.

À suivre McMahon, le test ne peut pas être considéré comme un outil autonome, il prend nécessairement sens dans une situation d’échange clinique. « Nous autres, psychologues, craignons de perdre le pouvoir que nous avons sur notre patient en faisant appel à l’aide que cet être doué d’intelligence pourrait nous apporter » (Ibid., p. 45). Pour bien faire, il faudrait désormais plutôt travailler main dans la main avec le·la patient·e afin de coconstruire un discours véritablement signifiant. On assiste en ce sens en France à une progressive reconfiguration de la profession. Les nouvelles générations de psychologues, formée à la méthode clinique, ont tendance à rejeter la désuète psychotechnique, « l’exploration en profondeur de cas individuels » est ainsi de plus en plus préférée à « la mise en équivalence des individus par le recours à des tests psychotechniques standardisés » (Le Bianic, 2013, p.17).

Figure 4. Couverture et sommaire du premier numéro de la nouvelle formule de Psychologies (1983)

En 1983, le premier numéro du désormais Psychologies au pluriel est dédié au pouvoir tel qu’en parlent des figures comme Jean Baudrillard ou Jacques Séguéla. Le premier éditorial signé par le rédacteur en chef annonce la couleur : « Les certitudes sont mortes. Les idéologies ont pris un coup de vieux », l’heure est au postmodernisme, à ceux « qui ne croient plus à rien, même à la psychanalyse » (PM2 1983, n° 1, p. 3). La nouvelle rédaction ne paraît pas non plus croire aux vertus des tests, et de plus de six par an en moyenne entre 1970 et 1982, le magazine passe à moins de trois tests entre 1983 et 1997. Cette rubrique n’est plus une préoccupation centrale et désormais l’équipe propose ponctuellement des psycho-jeux (p. ex. figure 5) sous l’impulsion de sa nouvelle rédactrice en chef Michèle Costa Magna, docteure en sociologie et psychanalyste. Elle tirera de cette expérience un livre compilant cinquante de ces « petits cousins divertissant des tests », à destination des enfants en 2000. Les bibliographies disparaissent et le ton est plus léger. Par ailleurs, contrastant avec l’empreinte psychotechnique et psychanalytique de la période précédente, les tests commencent plus régulièrement à se rapprocher des études sur la personnalité anglo-saxonnes (Parker, 1997). Le peu d’incursion dans ce domaine était précédemment le fait de traductions issues de Psychology Today, par exemple Raymond Cattell, psychologue états-unien, qui écrit sur la quantification de la personnalité (PM1 1974, n° 50). L’équipe mobilise notamment en 1984 des éléments des travaux du psychiatre britannique Peter Tyrer pour proposer de déterminer la personnalité du lectorat en quinze questions seulement. C’est d’ailleurs là l’un des tests se voulant le plus proche de la recherche scientifique de la période.

Figure 5. Première page du test du cadeau magique (PM2 1983, n° 6)

Des tests en développement (personnel)

Avec l’avènement des logiques du développement personnel à la fin des années 1990, les tests de Psychologies Magazine retrouvent une place centrale. Ce renouveau s’accompagne d’un tournant numérique, offrant au magazine une plateforme qui élargit considérablement la portée et l’accessibilité de ses tests.

Résoudre des nœuds existentiels

Figure 6. Couverture et sommaire du premier numéro de la nouvelle formule de Psychologies Magazine avec un macaron test (PM3 2001, n° 199)

Alors que Bernard Pivot remet au goût du jour le questionnaire de Proust dans Bouillon de Culture depuis 1991 sur Antenne 2, les tests retrouvent leur place centrale dans le magazine à partir de la fin des années 1990, avec près de neuf tests par ans en moyenne entre 1998 et 2020. Ils reparaissent sous un jour nouveau, ni alignés sur les attentes académiques de la psychotechnique ou théorique de la psychanalyse comme en première période, ni pour autant aussi légers que les psycho-jeux de la seconde. Ils n’ont par ailleurs pas ou peu vocation à vulgariser des résultats académiques non plus, mais proposent davantage de servir de support de médiation des logiques du développement personnel (Marquis, 2014). Ce changement est notable car il est le reflet d’une ligne éditoriale qui s’adresse désormais directement aux souffrances et difficultés de leur lectorat (p. ex. Qu’est-ce qui vous empêche de savourer le quotidien ?, PM3 2020, n° 408). Celui-ci peut ne pas nécessairement se rendre compte du problème existentiel qui l’encombre, le test agissant alors comme un révélateur. Dans le même temps, l’objectif est de fournir des clés et des solutions à ces souffrances, en montrant qu’il est possible d’agir (à condition d’en prendre conscience). Ces tests sont ainsi orientés vers un objectif pratique : à chaque problème sa solution individualisée.

Qui écrit les tests ?

Un rapide coup d’œil sur les professions des auteur·ice·s des tests de la période nous apprend que bien que les psychologues soient encore fortement représenté·e·s (36 %), accompagnés par un nombre limité de psychiatres (14 %), on assiste également à l’apparition de la nébuleuse des psychothérapeutes (28 %) et coachs (9 %). Par suite de l’explosion de l’offre des psychothérapies contemporaines (Garnoussi, 2008), les praticien·ne·s sont généralement conduits à se spécialiser pour pouvoir mettre en avant une technique (p. ex. Gestalt, PNL ou hypnose) ou un domaine d’expertise (p. ex. éducation, sexualité ou nutrition) qui leur permettent de se démarquer. Les auteur·ice·s de tests sont généralement sollicité·e·s au titre de leur domaine de spécialité, ou des thèmes qu’ils·elles traitent sur le moment (souvent en lien avec la publication d’un livre). Par exemple, Saverio Tomasella, psychanalyste et auteur important de la littérature sur l’hypersensibilité, donne sept tests pour le magazine dont « Quel calimero êtes-vous » (PM3 2017, n° 374) et « Quel sensible êtes-vous ? » (PM3 2019, n° 399).

Les tests sont à l’image des tendances des professions thérapeutiques : l’affiliation à de grands systèmes théoriques (psychanalyse en tête de liste) laisse sa place à une tendance au pragmatisme, au whatever works (Forner-Ordini, 2019). En ce sens, seuls 28 % des auteur·ice·s de tests de la période se positionnent comme psychanalystes. Les tests sont désormais conçus comme des outils qui se veulent athéoriques, en proposant des réponses concrètes à des interrogations tout aussi concrètes. Les références académiques mobilisées par leurs auteur·ice·s et leurs affiliations professionnelles, qui étaient auparavant au fondement de la légitimité du dispositif, sont remplacées par les compétences individuelles affichées et leur capital symbolique.

Le rayonnement des praticien·e·s, en majorité des femmes (66 %), est fonction de la distribution de certains atouts extra-thérapeutiques qui permettent de se distinguer dans un marché saturé. Pour commencer, la publication d’un livre est une source de légitimité importante, quitte à l’auto-publier. Seul·e·s 14 % des auteur·ice·s du panel n’ont publié aucun livre pour 44 % qui ont publié plus de 10 livres. Cependant la crédibilité est dépendante de la renommée de la maison dans laquelle l’auteur·rice parvient à faire publier son manuscrit. Les psychiatres de notre panel qui publient la plupart chez l’éditrice Odile Jacob profitent d’une mise en avant autrement plus importante que ceux et celles qui doivent se contenter de maisons moins dotées en capital symbolique, comme Eyrolles. Rares sont celles et ceux qui ont une couverture médiatique importante, même si certaines de ces nouvelles célébrités de la culture psychologique médiatique viennent régulièrement écrire des tests, tout particulièrement le psychiatre Christophe André qui livre 29 tests durant la période. L’équipe du magazine a tout intérêt à demander à ces figures d’écrire un test pour elle, qui sert de produit d’appel, et les praticien·ne·s profitent de l’audience du magazine en retour.

Les tests 2.0

Dès l’an 2000, l’équipe de Psychologies lance son site internet et prend le nom de domaine psychologies.com. C’est sur cette plateforme que les tests rédigés pour le magazine profitent d’une seconde vie. Ils gagnent en longévité, une multitude de ces dispositifs deviennent aisément accessibles, parmi lesquels le public navigue au gré de ses envies et préoccupations actuelles. De plus, la grammaire HTML crée des interfaces autrement plus efficaces que des cases à cocher sur le papier d’un magazine, qu’il faut ensuite comptabiliser pour se référer aux résultats cachés quelques pages plus loin. Tout est automatisé, le test peut être passé en quelques minutes et le résultat apparaît instantanément.

Figure 7. Capture d’écran de la page d’accueil du 9 novembre 2000

La rubrique des tests n’est au départ pas particulièrement mise en valeur, ni sur l’interface du site (figure 7), ni dans les publicités du magazine papier (p. ex. PM3 2001, n° 199, p. 115). Ce sont plutôt le forum, les articles et les permanences proposées par les grandes figures de la revue (le 11 juillet 2000, l’internaute avait la possibilité par exemple de se connecter sur le site pour que Christophe André réponde à ses questions entre 16 et 18 heures) qui sont mises au centre de la stratégie de communication. Lorsque le portage des tests sur le site est mentionné à la toute fin des rubriques dédiées du magazine, c’est l’argument quantitatif qui est mobilisé : 40 tests en ligne en mars 2002, 70 en septembre 2002, la barre des 100 est passée en 2004 (fêtée par une page entière de promotion dédiée dans le magazine papier) et il existe aujourd’hui plus de 600 tests en libre accès sur le site. Aux alentours de la moitié des années 2000, l’équipe propose de rendre certains tests payants à raison de deux euros par questionnaire, mais cette stratégie est rapidement abandonnée.

Figure 8. Évolution de la fréquence relative des mots-clés liés aux « tests » (% du total de mots des pages d’accueil) par année

En 2008, Psychologies est racheté par Hachette, ce qui conduit à un développement significatif de leur stratégie numérique. Dans ce contexte, les tests occupent une place croissante à partir de l’année 2010, particulièrement sur la page d’accueil. La fréquence relative des mots-clés liés aux tests (« test », « tests », « quiz », « questionnaire », « questionnaires ») représentait 4,0 % de l’ensemble des mots extraits des pages d’accueil archivées en 2009, avant de s’élever à 25,39 % en 2010. De même, dès janvier, le lien vers la page des tests obtient une centralité et une visibilité plus importante après une mise à jour du site (Figure 9).

Figure 9. Capture d’écran de la page d’accueil le 11 et 28 janvier 2010

Cette mise en valeur coïncide avec l’arrivée de Flavia Mazelin Salvi, rédactrice qui prend en charge la rubrique pour le magazine papier. Entre 2009 et 2020, elle est créditée sur 80 % des tests publiés, généralement en collaboration avec des praticien·ne·s extérieur·e·s (p. ex. Isabel Korolitski ou Gérard Bonnet). « Spécialiste en développement personnel », elle est également la créatrice d’une application de gestion du stress pour le compte de Psychologies. Cet investissement supplémentaire exerce une influence sur le type de test qui est mis en avant sur leur page d’accueil. Avant 2010, les tests sont plutôt cantonnés à la personnalité (p. ex. Êtes-vous influençable ?) et on assiste ensuite à une mise en ligne massive de questionnaires divers et variés où se côtoient tous les types que l’on a pu mettre en valeur précédemment : des quiz de culture ; des exercices cognitif associés au Q.I. ; des tests associés au bien-être qui visent à résoudre un nœud existentiel ; et également des questionnaires plus légers sur la nutrition ou le rapport à la beauté.

Conclusion

Cet article porte sur l’évolution de la forme des tests psychologiques proposés par un des principaux magazines français de diffusion culturelle de la psychologie depuis sa création en 1970. Nous avons montré qu’à chaque configuration éditoriale, les usages, les fonctions et les fondements des tests peuvent varier. Les tests proposés par le magazine sont d’abord des supports de médiation scientifique qui profitent de leur vertu ludique. La médiation s’opère à deux niveaux : ils permettent de se familiariser avec les savoirs psychologiques et ils légitimisent l’une des techniques empiriques centrales de la discipline. Le tout permet « d’installer dans l’horizon de pensée légitime, un système de représentation déterminé (de l’homme, de la causalité psychologique et des comportements, de l’évaluation quantifiée de soi) » (Lemerle, 2014, p. 230). Par ailleurs, le test du mois est régulièrement adapté d’un ouvrage récemment paru pour en faire la promotion. Enfin, ces tests peuvent avoir vocation à servir de support existentiel au lectorat. Ils sont présentés comme des outils d’introspection, sources de réponses personnalisées à des problématiques du quotidien. Typiquement, est charriée la promesse d’augmenter ses chances de succès dans le domaine concerné (amour, travail, sexualité, parentalité…). Sur ce plan, ils s’éloignent des savoirs académiques pour s’inspirer des logiques pragmatiques du développement personnel.

Suivre la trajectoire des tests permet également de s’intéresser au processus de professionnalisation des métiers de l’accompagnement psychologique. La première période témoigne de l’importance historique de la psychotechnique dans la légitimation de la psychologie, tiraillé entre normes de scientificité d’une part et pratiques de diffusion à grande échelle de l’autre. La deuxième période, de 1983 à 1997, fait état de la perte de légitimité des tests, tendanciellement remplacée par l’idéal thérapeutique de la nouvelle génération de psychologues formé·e·s à l’approche clinique. Enfin, à partir de 1998, les tests de magazine reviennent à la mode, revitalisés par le succès des logiques de développement personnel. L’éclatement du marché des thérapies et du bien être provoque une multiplication des statuts des auteur·ice·s de tests (psychiatre, psychologue, psychothérapeutes, coach…) et une spécialisation accrue de leurs pratiques professionnelles (émotions, sexualité, nutrition…).

L’existence du site Internet modifie en profondeur l’usage que l’on peut faire des tests. Alors qu’auparavant, avec le magazine, le lectorat n’avait accès qu’aux tests des numéros possédés, désormais les internautes peuvent profiter de l’ensemble des tests disponibles, et cela gratuitement. Il est ainsi intéressant de suivre la trajectoire du site internet lui-même, où l’on voit la manière dont les tests prennent une importance croissante, voire essentielle, au sein de ce segment de la culture psychologique. Toutefois, la limite de cette approche est qu’elle ne permet pas d’avoir accès à leur réception concrète. Il resterait ainsi à analyser la façon dont les individus réceptionnent et se réapproprient ce type de dispositifs de quantification de soi, alors qu’en parallèle, nous assistons à une explosion du nombre de tests disponibles en ligne. Cela demande de réussir à naviguer dans un univers contrasté, qui agglomère les autotests de dépistage de maladies mentales avec des propositions aussi triviales que « Quel Pokémon êtes-vous réellement ? ».

Notes

[1] Ce registre, ainsi que l’ensemble des données produites pour cet article, est mis à disposition sur notre carnet Hypothèses Idéal Atypique (cf. Tertrais-Flamand, 2025).

 

Références bibliographiques

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Auteurs

Léo Tertrais-Flamand

Doctorant en sociologie à l’Université Paris Nanterre, membre du CRESPPA-CSU et de l’IRIS. Ses recherches portent sur l’histoire et la diffusion des catégories de santé mentale, particulièrement celle de « psychopathe », et des dispositifs de quantification de la personnalité. tertraisflamandleo@protonmail.com

Alex Maignan

Doctorant en sociologie à l’Université Paris Nanterre, membre du CRESPPA-CSU et de l’IRIS. Ses recherches portent sur l’importance croissante des problématiques de santé mentale, en lien avec la diffusion de catégories psychologiques à l’existence contestée quoique largement mobilisée (en l’occurrence celle d’hypersensibilité).
alex.maignan@parisnanterre.fr