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La fabrique de l’entretien avec des adolescent•es : méthodologies et éthiques des chercheur•es

19 Déc, 2025

Résumé

Cet article présente une analyse sur les pratiques d’entretien menées par des chercheur·es en Sciences de l’information et de la communication (SIC) auprès d’adolescent·es sur leurs activités numériques. Soulignant l’invisibilisation des aspects méthodologiques de la pratique de l’entretien en SIC, l’étude explore les méthodes et les défis émergeant des expériences d’enquête qualitative auprès de ce public spécifique. Elle mobilise pour cela la méthode de l’entretien compréhensif auprès de onze chercheur·es de cette discipline. L’analyse met en évidence les savoir-faire communs qu’ils déploient pour rencontrer l’adolescent·e en tant qu’acteur·rice-social·e dans un contexte de recherche souvent situé à l’école. 

Mots clés

Méthodologie de la recherche, entretien de recherche, savoir-faire professionnel, éthique de la recherche, adolescence, culture numérique.

In English

Title

The making of interviews with adolescents : methodologies and researcher ethics 

Abstract

This article presents a reflective study of the interviewing practices carried out by researchers in information and communication sciences with teenagers on their digital activities. Highlighting the invisibility of the methodological aspects of the practice of interviewing in information and communication sciences, the study explores the methods and challenges emerging from qualitative survey experiments with this specific audience. It uses the comprehensive interview method with eleven researchers in this discipline. The analysis highlights the common skills they deploy in meeting adolescents as social actors in a research context that is often school-based.

Keywords

Research methodology, research interviews, professional skills, research ethics, adolescence, digital culture.

En Español

Título

La realización de entrevistas a adolescentes : metodologías y ética del investigador

Resumen

Este artículo presenta un estudio reflexivo sobre las prácticas de entrevista llevadas a cabo por investigadores en ciencias de la información y la comunicación con adolescentes sobre sus actividades digitales. Destacando la invisibilidad de los aspectos metodológicos de la práctica de la entrevista en ciencias de la información y la comunicación, el estudio explora los métodos y desafíos que surgen de los experimentos de encuestas cualitativas con este público específico. Utiliza el método de la entrevista exhaustiva con once investigadores de esta disciplina. El análisis pone de relieve las habilidades comunes que despliegan al encontrarse con los adolescentes como actores sociales en un contexto de investigación que suele ser escolar.

Palabras clave

Metodología de la investigación, entrevistas de investigación, experiencia profesional, ética de la investigación, adolescencia, cultura digital.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Valentine Favel-Kapoian, Pauline Reboul, « La fabrique de l’entretien avec des adolescent•es : méthodologies et éthiques des chercheur•es », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°25/3, , p.66 à 78, consulté le lundi 22 décembre 2025, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2025/supplement-a/06-la-fabrique-de-lentretien-avec-des-adolescentes-methodologies-et-ethiques-des-chercheures/

Introduction

Notre article a pour objectif de spécifier des pratiques professionnelles, celles des chercheur·es en SIC, dans un contexte de recherche focalisé sur l’acteur·rice social·e adolescent·e et ses activités dans les environnements numériques, grâce à la méthodologie de l’entretien. Nous avons donc interviewé des chercheur·es rompus à l’exercice de l’entretien, sur des thématiques de recherche qui sont les nôtres, afin de mettre à jour leurs savoir-faire, ces « automatismes […] qui s’obtien[ent] quasiment comme la discipline du corps, uniquement par le travail, par l’exercice répété inévitablement tatillon, fastidieux, stupide » (Latour, 2001, p. 94).

« Rarement technique aussi largement utilisée n’a été si peu définie dans des présupposés, dans son fonctionnement et dans ses effets », écrivait Blanchet en 1985. Est-ce encore le cas en sciences de l’information et de la communication ou bien les chercheur·es de cette discipline ont-elles·ils déployé, depuis, des intentions disciplinaires communes (Paquienséguy et Pélissier, 2021) ? Quelles méthodologies la·le chercheur·e en SIC déploie-t-elle·il pour y parvenir ? Comment leurs ancrages disciplinaires influent-ils sur leur démarche d’enquête et l’analyse des pratiques de ces acteur·rices ? Quelles logiques et quelles motivations sous-tendent le choix de cette modalité de recherche auprès de ces acteur·rices spécifiquement ? Quelles précautions prennent-elles·ils ? Quels atouts et quelles limites identifient-elles·ils dans le déploiement de cette méthodologie au regard de leur objet d’étude ? 

Assumant une mise en abyme dans notre démarche de recherche que nous nommons « l’effet Droste » 1, nous avons opté pour une enquête par entretien auprès de 11 chercheur·es. Nous les avons interrogé·es sur leurs expériences et sur leurs méthodologies de recherche, c’est-à-dire sur l’ensemble des méthodes et des outils déployés au service d’une démarche de recherche ancrée épistémologiquement. Ces paroles donnent à voir leur manière de « diriger [leur] conduite » (petit Robert) et d’analyser ainsi la dimension éthique de leurs pratiques. 

Dans une première partie, nous poserons les cadres de la recherche en proposant un état de l’art sur la méthodologie et en exposant la nôtre. Dans une seconde partie, nous identifierons des savoir-faire. Leur expression dans la rencontre avec leur objet d’étude sera analysée dans la dernière partie.

Eclairer les pratiques de l’entretien par l’entretien

L’invisibilité des méthodologies de l’entretien

L’entretien comme méthode de recueil de données est largement utilisé en sciences humaines et sociales et fait l’objet de nombreux manuels à l’intention des chercheur·es débutant·es ou confirmé·es (plus de 37 ouvrages disponibles dans le catalogue de la BNF en janvier 2025 2). Majoritairement écrits par des sociologues, ces ouvrages sont aussi une initiation ou une réflexion sur la méthode qualitative. Le cas de l’entretien avec des adolescent·es y est souvent abordé, sous la forme de recommandations sur le déroulement de l’enquête (modalités de recrutement de l’échantillon, conduite et posture durant l’entretien, …) afin d’établir un protocole adapté qui tienne compte des spécificités des acteurs·rices, en portant attention à des enjeux tels que la confidentialité et l’intimité (Amsellem-Mainguy et Vuattoux, 2018, p. 79-80).

Aucun manuel n’est dédié aux méthodologies de l’entretien utilisées en SIC et ceux consacrés aux méthodes de recherche (Olivesi, 2013) n’abordent pas le contexte des entretiens avec les adolescent·es. Nous avons donc réalisé une revue non exhaustive des travaux de chercheur·es en SIC sur les pratiques juvéniles numériques en nous concentrant sur la présentation de leur méthodologie. Ces présentations situent l’entretien dans l’enquête, comme source principale ou complémentaire. Généralement, elles commencent par des épithètes qualifiant l’entretien : « compréhensif », « structuré », « de recherche », etc., autant de « labels » (Olivesi, 2013, p. 35) rarement explicités. Vient ensuite une présentation du protocole : nombre d’adolescent·es enquêté·es, lieux, modalités (individuel ou focus group), cohorte (âge et classe sociale). Parfois, des précisions sont apportées à l’échantillonnage et à la préparation de l’entretien. La phase de déroulement est peu abordée et décrite à l’aide de qualificatifs tels que « semi-directif » ou « approfondi » sans plus de précision. Enfin, la présentation de l’analyse des données est peu développée, tout au plus évoque-t-on l’analyse textuelle. Ces présentations relèvent plus d’une exposition des critères méthodologiques (Bertaux, 2010, p. 16) que d’une mise à disposition d’indicateurs épistémologiques et ontologiques facilitant la lecture des résultats.

Les sections méthodologiques se limitent souvent à l’exposé succinct d’un protocole et à la justification de la technique d’enquête adoptée et de l’échantillon déterminé (Cordier, 2022, p. 411). Cette situation, qui découle sans doute moins d’un manque d’intérêt des chercheur·es pour les questions méthodologiques que d’une concession nécessaire aux normes éditoriales des publications scientifiques, invisibilise la démarche de construction méthodologique de « l’artisan intellectuel » (Wright, cité par Kaufmann, 2011, p. 20), et rend délicate l’identification des principes en action et de l’éthique située qui sous-tendent le travail de recherche. Entre autres, l’absence de précisions méthodologiques empêche d’appréhender des valeurs essentielles telles que la justice sociale et la responsabilité (Domenget et al., 2022, §.3). Dans le cas d’entretiens, ces valeurs pourraient être identifiées grâce à des indications factuelles sur la posture du·de la chercheur·e. De nombreux travaux en sciences humaines et sociales encouragent à clarifier cette posture. Par exemple, dans le cas des entretiens avec les adolescent·es, les anthropologues Hejoaka, Jacquemin et Bouillon évoquent la nécessité de rendre lisible la façon dont ont été gérés les facteurs structurels et les rapports (sociaux, culturels et juridiques) asymétriques entre enquêté·es et enquêteurs·rices (2022, p. 7). Les sociologues de la jeunesse, quant à eux, insistent sur la nécessité d’une posture qui évite les généralisations et rendrait invisible les processus d’individualisation (de Singly, 2006, p. 25). Décrire finement sa méthodologie, au-delà d’être un exercice académique de justification de la scientificité de la recherche, est un élément majeur du contrat moral qui s’instaure entre le ·la chercheur·e et le·la lecteur·rice, et qui permet d’identifier le lien entre enquête, démocratie et public (Le Marec et Molinier, 2015, §.5). Dans le cas de cet article, l’instauration de cette démarche oblige à considérer la mise en abyme intrinsèque à l’objet de recherche.

Une expérience de « l’effet Droste » en recherche

Pour saisir les savoir-faire qui nous intéressent, il nous a semblé nécessaire de nous rapprocher le plus possible de l’activité au travail (Licoppe, 2008). Cet ancrage épistémologique, appliqué en SIC dans le champ des communications organisationnelles (Delcambre, 2016), invite à étudier ce qui fait « cadre » pour les acteur·rices d’un groupe social donné (Goffman, 1991). Pour cela, nous devons identifier, dans les situations ordinaires et dans les interactions qui s’y déroulent, des éléments de stabilité repérables par leur régularité et par l’allant de soi qui accompagne leur description (Garfinkel, 2020). L’identification de ces logiques pratiques semble ainsi à même de nous éclairer sur ce qui constitue les savoir-faire des chercheur.es en SIC, c’est-à-dire la manière dont ils·elles s’y prennent pour atteindre leurs objectifs dans le cadre de leurs activités de recherche. 

Pour accéder au sens donné et construit dans les situations de travail, nous avons retenu la méthode de l’entretien compréhensif (Kaufmann, 2016). Ce choix donne la possibilité, dans le même temps, de nous confronter, par l’expérience, à notre objet d’étude. Notre propre vécu de la méthode de l’entretien et notre appartenance au monde social étudié ont permis, par la réflexivité, de construire une grille d’entretien commune invitant les chercheur·es interrogé·es à raconter chronologiquement une expérience de recherche en particulier. Cette organisation structure une dynamique de conversation à partir d’un cadre logique et souple conduisant finalement à « oublier la grille » durant l’entretien (Kaufmann, 2016, p. 44).

Pour constituer notre corpus, nous avons choisi de nous intéresser aux pratiques de chercheur·es qualifié·es en SIC, dont l’expertise sur le sujet des rapports que les adolescent·es entretiennent avec le numérique est reconnue. Nous avons établi une liste de dix noms en nous fondant sur la programmation des rencontres professionnelles concernant l’éducation aux médias et à l’information proposées par l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib). Cette liste a été enrichie progressivement grâce aux suggestions des enquêté·es.

Le corpus final se constitue de 11 entretiens menés par visioconférence. Il est composé d’une majorité de femmes (9/11) s’intéressant aux pratiques informationnelles de la jeunesse (7/11). L’étude des usages numériques des adolescent·es, de leurs pratiques médiatiques, de leur appropriation des techniques et de l’usage des dispositifs numériques en éducation viennent compléter ce domaine central du corpus. Nous notons également une place importante de l’éducation aux médias dans les domaines de recherche ou dans les pratiques d’enseignement (5/11) ce qui s’explique aisément par la façon dont le corpus a été constitué. Afin de respecter un principe d’anonymat, discuté avec chacun·e. des enquêté·es, nous ne développerons pas davantage les recherches menées par les participant·es renonçant ainsi à rendre compte de nombreux détails sur les contextes des études ou sur les objets étudiés.

Les 11 entretiens du corpus se sont déroulés sur une période de trois mois, menés tantôt par l’une ou l’autre des deux autrices. Un climat de bienveillance confraternelle a donné à ces entretiens une forme d’échange entre pairs orientée par un intérêt partagé pour la réflexivité sur nos pratiques. Dans le même temps, cette proximité portant à la fois sur nos méthodes et sur nos objets a parfois fait perdre le cap de l’étude des pratiques pour nous amener à nous focaliser sur les résultats de ces enquêtes. Au fil des entretiens, nous avons dû parfois ramener nos interlocuteur·rices à notre questionnement initial. Nous avons nous-mêmes opéré un glissement en focalisant, dans un premier temps, notre analyse sur la façon dont les pratiques de l’entretien façonnent l’objet des pratiques numériques adolescentes. L’évaluation de cet article a finalement permis de recentrer nos analyses sur la façon dont cet objet façonne les pratiques de l’entretien en SIC. Les liens entre proximité et réflexivité dans le travail d’enquête de terrain sont donc au cœur de cette expérience (Escande-Gauquié, P. et Brouard, 2023, p. 19). 

Pour structurer les nombreux résultats obtenus, nous avons mis l’accent sur les éléments les plus déterminants décrivant les dynamiques en SIC de co-détermination entre la pratique de l’entretien et l’étude du vécu numérique des adolescent.es. Cela nous donne la possibilité de discuter de la présence de savoir-faire propres à ce domaine d’étude.

L’ajustement au cœur des savoir-faire méthodologiques

S’engager en recherche par l’entretien

La méthodologie de l’entretien est utilisée de façon récurrente par les chercheur·es de notre corpus, et souvent depuis le travail de thèse. Ils·elles revendiquent un attachement fort à celle-ci, « l’entretien, c’est ma méthode ! », (sujet 5), et assument majoritairement de n’utiliser que celle-ci, En raison de la confiance accordée à son efficacité, mais aussi parce qu’ils·elles la maîtrisent : « J’avoue que j’en ai pas tellement considéré d’autres » (sujet 10), La pertinence de cette méthodologie se manifeste, pour eux·elles, dans sa capacité à saisir ce qui fait sens pour l’adolescent·e : « je cherchais à comprendre un peu le sens que les acteurs donnaient à leur pratique. Je me suis dit que c’est en les interrogeant et que j’allais peut-être y arriver » (sujet 10). L’entretien offre la possibilité de recueillir des récits personnels riches et détaillés, « rentrer dans le détail, vraiment, d’une expérience » (sujet 9). Ils·elles revendiquent cette méthodologie comme parfaitement adéquate pour rendre compte de la diversité des expériences et déclarent des approches épistémologiques variées empruntées à la sociologie, l’ethnographie, l’anthropologie ou la phénoménologie. Les travaux de Michel de Certeau, notamment les deux tomes de L’invention du quotidien (1990), sont des références incontournables pour la majorité d’entre eux·elles. La sociologie des publics et des usages, avec les recherches menées par Serge Proulx, Josiane Jouet ou Bernard Lahire, est également citée. Les méthodologies des chercheur·es interviewé·es s’inspirent aussi des travaux de Laurent Mucchielli et d’Olivier de Sardan sur la démarche qualitative, ou encore de ceux de Blanchet et Gotman sur l’entretien et ses méthodes.

Si elles·ils regrettent que les contraintes liées à la recherche ne leur permettent pas de développer davantage des approches anthropologiques plus longitudinales et mieux adaptées à l’appréhension des acteur·rices en mutation que sont les adolescent·es (Cordier, 2023), elles·ils mettent en avant l’intérêt de cette méthodologie pour identifier les émotions éprouvées dans les expériences numériques : « On voulait du récit pratique, (…) y compris pour pouvoir avoir des choses assez émotionnelles » (sujet 6). L’entretien favorise des récits plus personnels, mais aborde également des sujets intimes, non sans dommage parfois. Trois d’entre eux·elles ont partagé des expériences éprouvantes au cours desquelles des adolescent·es leur ont confié des traumatismes tels que le harcèlement, les violences familiales ou l’inceste. Nombreux·euses sont ceux·celles qui interrogent les limites de ces échanges, soucieux·euses de préserver tant l’intervieweur·euse que les jeunes eux-mêmes : « Pendant l’entretien, c’est hyper douloureux et j’en pleure, j’ai les larmes aux yeux. Donc on a peur d’aller trop loin pour eux, mais en même temps pour nous » (sujet 9). S’engager dans l’entretien nécessite de respecter l’intégrité des deux interlocuteurs·rices. Cette crainte, partagée par toutes et tous, s’exprime dans le champ lexical de la prévention et de la protection (barrières, limites, prudence, nécessité de se protéger, pudeur, peur d’être intrusive, de trop creuser, de créer un malaise, etc.). Pour deux d’entre eux·elles, cette crainte est d’autant plus forte qu’elles·ils ne se sentent pas formés en psychologie.

Afin de dépasser ces craintes et également de recueillir une parole plus authentique (c’est-à-dire plus proche de leurs pratiques et non émise pour répondre aux attentes supposées des adultes), elles·ils recourent souvent à des artefacts (Rabardel, 1995) durant l’entretien pour faciliter l’explicitation : photo-élicitation, copie d’échange numérique ou d’activité sur ordinateur, production réalisée dans le cadre d’un travail scolaire, photo prise par les enquêté·es elles·eux-mêmes dans le cas de l’usage de la photographie réflexive (Harrington, Schibik, 2003). L’entretien s’organise aussi autour de l’auto-confrontation de l’adolescent·e à sa pratique, à l’aide d’une vidéo enregistrée durant l’activité (Schmitt, Aubert, 2017). Mais de manière générale, l’utilisation de la vidéo reste rare, principalement en raison des obstacles liés à l’obtention des autorisations de droit à l’image.

La variété des options envisagées pour soutenir leur démarche d’enquête qualitative à l’aide de traces d’activités numériques met en évidence « le rapport créatif à l’enquête » que la recherche en contexte numérique suppose (Millette, Millerand, Myles et Latzko-Toth, 2020, p. 15). Cette opportunité offerte par la numérisation des activités quotidiennes et par l’accès qu’elle permet à de nouveaux matériaux et objets d’étude (idem) n’est pas spécifique aux SIC et concerne l’ensemble des SHS. Les pratiques révélées par notre échantillon mettent en évidence un usage circonstancié de ces traces, certain·es précisant d’ailleurs ne pas les utiliser pour des raisons techniques, éthiques ou méthodologiques. Elles appellent notamment des compétences techniques nouvelles comme le moissonnage de données ou l’analyse textuelle automatisée supposant un apprentissage fastidieux ou des budgets faisant appel à des ingénieurs de recherche spécialisés.

Par ailleurs, pour saisir les interactions entre les adolescent·es, les chercheur·es recourent à la méthode de l’observation qu’elles·ils qualifient « d’immersion » (sujet 11) ou « participante » (sujet 11) lors d’une séance ou d’un atelier. De fait, il s’agit d’observer les élèves durant une activité scolaire ou pendant un travail de troupe, avec une participation plus ou moins active du chercheur·e (de simple observateur à accompagnateur ou encadrant, voire substitut de l’enseignant). Loin d’être formalisée, cette méthodologie intuitive rend compte de la dimension de bricolage et de créativité de l’entretien (Jouët et Le Caroff citées par Millette, Millerand, Myles et Latzko-Toth, 2020, p. 148). Cet engagement entretient une sorte de confusion, la·le chercheur·e étant alors assimilé à un personnel du système scolaire, ce qui peut entraver la liberté de la parole durant l’entretien. Pour éviter cela, plusieurs chercheur·es placent l’observation après l’entretien, temporalité impossible dans une démarche inductive où l’observation définit les objets des entretiens.

La fabrique de l’entretien se réalise donc par ajustement et parfois bricolage. Ce « savoir-faire artisanal » (Kaufmann, 2011, p. 9) est peu visible dans les productions scientifiques. À l’instar de Kaufmann qui regrette que « les chercheurs exposent rarement les tâtonnements de leur démarche » (2011, p. 9), nos enquêté·es expriment l’importance de donner accès à « l’arrière-cuisine » (sujet 11). Dans celle-ci, la thématique de la confiance occupe une place essentielle.

Établir la confiance, moduler l’engagement

Qu’il s’agisse de convaincre des participant·es et leurs responsables légaux de libérer la parole pendant l’entretien ou finalement de se fier à ce que l’enquêté·e exprime dans le cours de l’échange puis durant l’analyse, à chaque étape, ce qui est en jeu, ce sont l’établissement et le maintien d’une relation de confiance. Louis Quéré rappelle qu’en sciences sociales, ce « mécanisme informel, infra-institutionnel, de coordination des actions » intervient lorsqu’il s’agit pour un·e acteur·rice de gérer des situations d’incertitude et d’ignorance (Quéré, 2001, p. 127). Ce mécanisme, que ce chercheur appréhende à la fois comme une gestion de la modulation de l’engagement et comme une attitude, rend ainsi possible la délégation réciproque de pouvoir que constitue la situation de l’entretien. Ces deux dimensions semblent particulièrement éclairantes pour comprendre les logiques communicationnelles à l’œuvre dans les expériences d’entretiens racontées par les chercheur·es de notre corpus. 

La confiance comme attitude permise par une évaluation tacite et non consciente des circonstances est particulièrement lisible lorsque les chercheur·es se rappellent ne pas avoir particulièrement réfléchi à leur posture, avoir été « à l’aise » (sujet 3), avoir adapté « naturellement » (sujet 9) leur langage ou leur attitude à la situation. Notre étude a ainsi créé une dynamique de réflexivité chez les chercheur·es interrogé·es qui conscientisent a posteriori une forme d’assurance facilitée par les circonstances de l’enquête et par les affordances qu’elle présente : des similarités avec des expériences professionnelles antérieures, un cadre institutionnel protecteur, un échantillon garantissant a priori le volontarisme des participants… Cette situation s’observe également en creux lorsque les chercheur·es évoquent l’inconfort de démarches d’enquête les mettant en relation avec des adolescent·es dans des contextes moins connus d’eux.

Les chercheur·es effectuent également un travail communicationnel sciemment organisé permettant d’établir et de maintenir la relation de confiance. Tous·tes évoquent leurs soucis d’apporter aux adolescent·es comme aux adultes qui les entourent un maximum de connaissances sur leurs motivations et leur intérêt personnel, mais aussi sur le déroulement de l’entretien en donnant parfois des exemples. Tous·tes s’assurent également du libre choix de participer des adolescent·es en leur demandant leur consentement à l’écrit. Conscient·es que la confiance n’est jamais complètement acquise, certains chercheur·es (4/11) expliquent structurer leur guide d’entretien afin d’engager progressivement les adolescent·es qu’elles·ils rencontrent. Deux d’entre eux·elles précisent qu’elles·ils posent les questions les plus à même de faire reculer l’engagement des adolescent·es à la toute fin de l’échange. Cet engagement est par ailleurs repéré dans le cadre de l’entretien à l’aide d’indices d’énonciation laissant penser que les réticences à dire ce que l’on pense vraiment sont levées.  

La modulation du choix d’engagement accompagnant tout acte de confiance est par ailleurs au cœur des tensions éthiques évoquées par les chercheur·es et constitue de ce fait une grille de lecture pertinente pour penser ces questions. Cela se manifeste particulièrement par la façon dont elles·ils ajustent le cadre de l’échange lorsqu’elles·ils sont confronté.es à une parole sensible, touchant à l’intimité et à l’identité de l’adolescent·e. Le principe de consentement peut alors être explicitement rappelé et renouvelé ou être suspendu le temps d’une question à laquelle l’adolescent·e ne souhaite pas répondre. Ce qui fait la spécificité de l’entretien avec les adolescent·es repose peut-être sur l’idée que, dans cette forme de transaction, la·le chercheur·e se sent responsable d’effectuer lui-même le travail d’évaluation des risques que court l’adolescent·e en livrant sa parole.

Le savoir-faire communicationnel est régulièrement associé à une « éthique personnelle » (sujet 8) mise au service de la rencontre et de la relation avec les adolescent·es. Elle peut être envisagée en lien avec le regard critique que certain·es chercheur·es rencontré·es·(4/11) portent sur la standardisation des pratiques de recherche, justifiée par des principes éthiques tels que l’obligation de soumettre les projets à des comités d’éthique ou de respecter des plans de gestion des données de plus en plus rigoureux. L’intensification des dispositifs technicisés, au détriment des ajustements opérés par les acteur·rices en situation (Durampart, 2019), est largement documentée par de nombreux chercheur·es en communication organisationnelle. Certains des chercheur·es rencontrés expriment d’ailleurs leur inquiétude face à cette évolution, redoutant qu’elle finisse par restreindre l’expression des adolescent·es mineur·es et qu’elle ne compromette la compréhension de leur vision du monde.

Il apparaît ainsi que la conduite des entretiens s’appuie sur des savoir-faire profondément ancrés, dont les personnes interrogées n’ont pas toujours pleinement conscience. Par ailleurs, elle n’est pas opérationnalisée avec le même degré de maîtrise ni aux mêmes moments. Le retour sur la pratique proposé à travers notre guide d’entretien permet à certain·es de prendre conscience de ces savoir-faire : « J’aime bien faire les entretiens avec des collègues aussi, parce que ça permet de… on est dans une démarche réflexive » (sujet 9). La forme de l’entretien de recherche entre pairs pourrait ainsi venir compléter la panoplie des situations de travail au cours desquelles notre « communauté empirique » (Le Marec et Molinier, 2014, §.4) élabore, discute et actualise ces savoirs pratiques. Examinons maintenant les fondements de ces savoir-faire mis en lumière lors des entretiens que nous avons réalisés.

La rencontre de l’adolescente·e comme acteur·rice social·e

Légitimer leurs pratiques expertes

Les chercheur·es interrogé·es souhaitent donner la parole aux adolescent·es pour comprendre ce que leurs pratiques numériques – réseaux sociaux, jeux vidéo, recherche d’information, etc. – signifient pour elles·eux au quotidien et dans leur parcours de vie. Ils souhaitent révéler les logiques sociales sous-jacentes (sujet 4) et dépasser les stéréotypes qui circulent sur certaines pratiques numériques (sujet 9). Cependant, cette démarche scientifique, qui repose sur le recueil des points de vue (Bourdieu, 1993), se heurte à des discours médiatiques alarmistes qui compliquent la collecte de témoignages.

Confronté·es à ces discours médiatiques, les adolescent·es craignent le jugement de l’adulte, et rechignent à se confier. Ces craintes peuvent inciter les adolescent·es à donner à entendre ce qu’elles·ils pensent que l’adulte souhaite entendre, soit une « vérité possible » (Bourdieu, 1993, p. 132). Pour dépasser cela, certains chercheur·es déploient des stratagèmes : Je « leur envoie plein de signaux comme quoi, en fait, moi, c’est leurs pratiques à eux qui m’intéressent et même si elles ne sont pas légitimes » (sujet 11). Par ailleurs, ces représentations médiatiques « disqualifiantes » (sujet 11) peuvent conduire à une forme d’auto-censure durant l’entretien : l’adolescent·e n’évoque pas certaines pratiques (comme la pornographie) ou certaines réflexions (surtout si celles-ci diffèrent du groupe), car elle·il les pense insignifiantes ou méprisables, non pas parce qu’elles le sont pour lui·elle, mais parce qu’elles sont présentées comme telles dans les médias.

Pour contourner ces écueils sans doute inhérents à l’entretien en particulier avec les adolescent·es, les chercheur·es développent une posture compréhensive : « arriver à mettre en œuvre cette posture compréhensive, quelle que soit la méthodologie, (…), je pense que c’est vraiment ça l’enjeu.(…) Oui, c’est facile à écrire, mais beaucoup moins facile à faire ! » (sujet 3). Cela passe par la reconnaissance de leur droit à exercer des activités numériques choisies et par une démarche émique (Caron, 2017) qui légitime leurs pratiques par la reconnaissance de la valeur que celles-ci ont pour elles·eux. Par la même, ils reconnaissent la « capacité d’agir » ou « puissance d’agir » des enfants (Octobre & Sirota, 2011, p. 24).

Cette légitimation nécessite d’être attentif à la question de la représentativité de la parole recueillie. Malgré cette attention, les chercheur·es reconnaissent qu’il est difficile d’accéder aux publics les plus démunis et les moins à l’aise avec l’institution (l’école dans le cas présent) ou la·le chercheur·e. Elles·ils craignent d’invisibiliser ces adolescent·es et de participer de fait, eux aussi, à la diffusion de généralités, voire de préjugés. Lors de la publication des résultats, le choix des verbatims soulève la question de la représentativité. Certain·es chercheur·es admettent qu’il est tentant de retenir des extraits où les adolescent·es s’expriment de manière fluide et compréhensible qui ne nécessitent pas d’expliquer le contexte d’expression. Ils déplorent que les formats scientifiques obligent à limiter les explicitations. Certain·es chercheur·es en SIC, dans d’autres contextes de recherche, ont aussi évoqué la nécessité d’une réflexion méthodologique intégrant la question des choix de verbatims (Domenget et al., 2022, §. 18), éléments symptomatiques de la fabrique de l’entretien.

Par ailleurs, la posture compréhensive du chercheur·e repose sur une volonté de ne pas se positionner comme un·e expert·e des environnements numériques. Tous·tes reconnaissent la difficulté de suivre l’évolution constante des pratiques et des outils techniques, ce qui peut parfois leur donner l’impression d’être dépassé·es (sujet 5). Cependant, loin d’être un handicap, cette posture devient un atout en favorisant la médiation durant l’entretien : « j’ai le réflexe de dire, attends :  ça je ne connais pas. Tu peux m’expliquer c’est quoi ? » (sujet 4) ; « je demande beaucoup d’explicitation… montre-moi ! Et ça, pour le coup ça marche très bien, ils sont très contents d’expliquer … moi je me sens très à l’aise de demander et j’ai toujours eu l’impression que c’était plutôt valorisant pour les ados et spécialement les plus jeunes parce que finalement (pouvoir) expliquer vraiment à des adultes ce qu’on fait, pourquoi est-ce qu’on le fait, comment est-ce qu’on le fait c’est valorisant » (sujet 6). Cette reconnaissance de leur qualification légitime leurs pratiques et libère la parole.

Le savoir-faire observé rend compte ici du souci de rompre avec une double hiérarchie, celle inhérente à la situation de l’entretien (Kaufmann, 2016), et celle caractérisant le regard disqualifiant que portent les adultes sur les activités de loisirs des adolescent.es qui focalisent « les discours alarmistes qui ricochent de génération en génération » (Détrez, 2017, p. 23). Ce travail est d’autant plus crucial que la rencontre avec les adolescent·es se situe le plus souvent dans un contexte scolaire.

Dépasser l’enquêté·e-élève

Parmi les 25 enquêtes menées auprès des adolescent·es, 18 ont été réalisées exclusivement dans des établissements scolaires, trois se sont déroulées simultanément en milieu scolaire et dans d’autres lieux de socialisation, tandis que quatre ont eu lieu uniquement en dehors du cadre scolaire. Cette omniprésence de l’établissement scolaire dans notre corpus est évidemment à mettre en parallèle avec les objets de ces études qui pour la plupart s’intéressent aux dispositifs numériques en éducation. En donnant la parole aux adolescent·es dans leur environnement scolaire, ce domaine de recherche permet notamment d’étudier le terrain de l’école comme un espace d’action dévoilant les imbrications entre logiques individuelles et collectives, y compris celles de la jeunesse (Cordier, 2020).  

Le rôle de l’institution scolaire se manifeste également dans la manière dont elle structure le travail de recherche, en particulier l’élaboration du terrain d’étude. Elle permet aux chercheur·es d’entrer en relation avec les adolescent·es tout en participant à la définition de l’échantillon (Amsellem-Mainguy et Vuattoux, 2018), y compris quand l’école n’est pas au cœur du questionnement. Le niveau, collège ou lycée, détermine les tranches d’âges étudiées et la diversité des implantations géographiques des établissements caractérise les profils des adolescent·es étudiés. Enfin, l’école offre un cadre propice à l’établissement d’une relation de confiance, puisqu’elle confère une légitimité aux sollicitations des chercheur·es auprès des élèves et de leurs familles. Nos enquêté·es sont familier·ères de ces cadres scolaires (d’autant que 5/11 ont eu une expérience d’enseignement dans le secondaire) et ils·elles ont développé des habiletés de recherche propres à cet environnement. Une première concerne l’instauration de relations de proximité avec certains des membres de l’institution scolaire. Celles-ci peuvent s’instaurer durant une première phase d’enquête visant à rencontrer d’abord les adultes (enseignants, chefs d’établissement, infirmier·ières scolaires…) afin de « pénétrer le secondaire, les collèges et les lycées » (sujet 9). Parfois, ces adultes-relais sont déjà connus et font partie d’un réseau « d’enseignants sympas » (sujet 8) alimenté et entretenu par le.la chercheur·e pour faciliter la construction de son terrain. Cette relation de proximité dépend d’ailleurs de la reconnaissance de l’intérêt de la recherche par les acteurs·rices de l’école.

L’entretien de recherche en contexte scolaire, même s’il est justifié par l’objet de l’enquête, s’accompagne de difficultés que le·la chercheur·e doit dépasser. Ainsi, pour contourner les biais d’un recrutement effectué par un membre de l’institution scolaire, les chercheur·es instaurent des phases d’observation où ils·elles recrutent directement les élèves (sujet 8). Ils·elles recourent aussi à des « recrutements sauvages » dans l’enceinte de l’établissement (sujet 11) ou encore à un échantillonnage constitué à partir des données scolaires de l’établissement comme l’assiduité (sujet 10)· Pour déjouer l’assimilation du·de la chercheur·e au personnel scolaire, celui·celle-ci émet le souhait de faire l’entretien dans un « lieu informel » au sein de l’établissement (sujet 5), stratégie jugée peu efficace pour certain·es : « Quoi que je fasse, je suis mise dans la case prof » (sujet 11). Sur ce point, bon nombre de stratégies évoquées par les chercheur·es rencontré·es font écho aux conseils proposés par Danic, Delalande et Rayou dans leur ouvrage consacré à l’enquête auprès d’enfant et de jeunes (ouvrage cité par l’un·e des chercheur·es rencontré·es)  : « présenter le statut original [du chercheur], souvent inconnu des enfants » (Danic, Delalande, Rayou, 2006, p. 106), se positionner comme un apprenant face au savoir de l’enquêté, un renversement de situation peu habituel dans un contexte scolaire, gagner la confiance « à l’épreuve des faits » (idem, p. 109) à travers une présence renouvelée du·de la chercheur·e dans l’établissement scolaire. Cependant, une partie des chercheur·es rencontré·es (4/11) considère que la contrainte exercée par l’environnement scolaire sur la parole des adolescent·es les moins à l’aise avec les cadres scolaires est importante. Ce constat s’accompagne alors d’une réflexion sur l’intérêt de mener les entretiens dans d’autres environnements que l’école, à domicile ou dans des lieux d’éducation populaire, à partir d’un premier contact en milieu scolaire (sujet 1 et sujet 8). De ce point de vue, les chercheur·es en SIC partagent leur savoir-faire avec la sociologie de l’enfance et de la jeunesse et avec la sociologie de la culture.

Conclusion

Donner à voir la fabrique d’une méthodologie de recherche, ici, celle de l’entretien, est un exercice délicat, qui oblige à repositionner l’attention du·de la chercheur·e sur le sens des choix et des mises en œuvre déployés durant l’étude. Souvent, celles-ci sont peu explicitées alors qu’elles relèvent de valeurs qui sont, quant à elles, affirmées. En menant notre recherche auprès d’expert·es engagé·es dans des projets de recherche sur les adolescent·es et leurs activités numériques, nous avons identifié un certain nombre de savoir-faire partagés comme celui d’un bricolage méthodologique. Cela leur donne la possibilité d’adapter leur protocole d’enquête à leur thématique de recherche tout en privilégiant l’entretien. Cette méthodologie reste pour eux·elles la plus adéquate pour cerner les activités numériques juvéniles. Elle est revendiquée comme la plus efficace pour obtenir une parole libre, alors que, paradoxalement, c’est sans doute la plus chronophage. Mais, pour gagner cette parole porteuse de sens, les chercheur·es déploient un travail communicationnel sciemment organisé qui permet d’établir et de maintenir la relation de confiance. Dans le cas d’une recherche avec les adolescent·es, ces savoir-faire s’appuient sur une légitimation de leurs pratiques et sur leur capacité à déjouer les cadres scolaires qui pèsent souvent sur l’enquête. 

Ainsi, ce qui nous semble constituer le noyau commun des savoir-faire se situe au niveau des stratégies mises en œuvre pour rompre une hiérarchie aux multiples facettes : il s’agit non seulement de l’ascendant du·de la chercheur·e sur l’enquêté·e, mais aussi de celui de l’adulte sur l’adolescent·e. A cette double ascendance se greffe des asymétries inscrites dans le cadre scolaire d’une part et dans le regard disqualifiant que les adultes portent sur les activités numériques de la jeunesse d’autre part. La diversité des ancrages théoriques et des emprunts méthodologiques évoqués pour résoudre ce problème ne donne pas la possibilité de circonscrire une spécificité des SIC mais témoigne une fois encore de leur identité inter-disciplinaire.

À la périphérie de nos résultats, nous interrogeons la notion d’expertise, ici révélée comme un état en devenir souvent peu pris en compte par les acteurs·rices. En acceptant d’inverser les rôles et en devenant enquêté·es, nos expert·es de l’enquête ont appris sur leurs pratiques, et nous ont permis de prendre le temps d’une analyse critique des nôtres. Mobilisée initialement comme une méthodologie créative de recherche, cette forme de « confrontation croisée » (Clot et al., 2000) témoigne in fine de son intérêt pour le développement professionnel des chercheur·es.

Notes

[1] L’effet Droste, popularisé notamment par la publicité de La Vache qui rit, constitue une représentation graphique de la mise en abyme. Ce procédé visuel récursif évoque l’effet produit par deux miroirs se faisant face, où l’image se répète à l’infini.

[2] Résultat obtenu avec l’équation de recherche suivante : “méthodologie de l’entretien de recherche”.

Références bibliographiques

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Auteures

Valentine Favel-Kapoian

Maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’université Lyon 1, membre du laboratoire Elico (UR 4147). Ses recherches portent sur la médiation des savoirs, l’éducation aux médias et à l’information, la littératie numérique et les pratiques informationnelles et médiatiques.
valentine.favel-kapoian@univ-lyon1.fr

Pauline Reboul

Chercheuse en Sciences de l’information et de la communication au sein du pôle recherche de l’association Fréquence écoles, associée au laboratoire IMSIC (UR 7492). Ses recherches portent sur les dynamiques organisationnelles accompagnant l’action éducative territoriale, la parentalité numérique et l’éducation aux médias.
paulinereboul@frequence-ecoles.org