Les formes de production d’ignorances dans l’expertise sur la pollution de l’air
Résumé
En s’intéressant à la controverse autour de la qualité de l’air à Saint-Nazaire, cet article analyse la manière dont les revendications locales en faveur de la production de données épidémiologiques se heurtent à plusieurs formes d’ignorances. À partir d’un corpus combinant une dizaine d’entretiens semi-directifs menés auprès des parties prenantes (élus, associations, services de l’Etat) avec une analyse de la littérature grise (rapports officiels, services de l’Etat, DREAL) et de la PQR sur la pollution de l’air, cet article cherche à comprendre comment l’expertise institutionnelle a moins contribué à apporter des réponses aux populations qu’à entretenir l’ignorance sur les origines de la surmortalité par cancer soulevée par l’ORS en 2019. Il tente de saisir ce que les discours des experts révèlent des logiques d’(in)action qui ont pu conduire sur certains territoires à une véritable « culture de la défiance » (Bensaude-Vincent et Dorthe, 2023). L’article met ainsi en exergue quatre processus de production d’ignorance : la foi dans la réglementation, l’absence d’urgence, la globalisation des facteurs de risques, la carence épistémologique concernant l’effet cocktail.
Mots clés
Ignorance stratégique, santé environnementale, pollution, épidémiologie, effet cocktail.
In English
Title
Forms of ignorance production in air pollution expertise
Abstract
Focusing on the controversy surrounding air quality in Saint-Nazaire, this article seeks to understand how local demands for the production of epidemiological data come up against various forms of ignorance. Using a corpus combining a dozen semi-structured interviews with stakeholders (elected representatives, associations, government departments) with an analysis of grey literature (official reports, government departments, DREAL) and regional daily press (RDP) on air pollution, this article seeks to understand how institutional expertise has contributed less to providing answers to populations than to maintaining ignorance about the origins of the excess cancer mortality raised by the ORS in 2019. It attempts to grasp what the experts’ discourses reveal about the logics of (in)action that may have led in certain territories to a veritable “culture of mistrust” (Bensaude-Vincent & Dorthe, 2023). The article highlights four processes that produce ignorance: faith in regulation, non-urgency, globalization of risk factors, and epistemological deficiency concerning the cocktail effect.
Keywords
Strategic ignorance, environmental health, pollution, epidemiology, cocktail effect.
En Español
Título
Las formas de producción de ignorancia en los informes sobre contaminación atmosférica
Resumen
Al abordar la controversia sobre la calidad del aire en Saint-Nazaire, este artículo trata de comprender cómo las reivindicaciones locales a favor de la producción de datos epidemiológicos se enfrentan a varias formas de ignorancia. A partir de un corpus que combina una decena de entrevistas semiestructuradas realizadas a las partes interesadas (representantes electos, asociaciones, servicios del Estado) con un análisis de la literatura gris (informes oficiales, servicios del Estado, DREAL) y de la prensa regional sobre la contaminación atmosférica, este artículo trata de comprender cómo la experiencia institucional ha contribuido menos a dar respuestas a la población que a mantener la ignorancia sobre los orígenes de la sobremortalidad por cáncer planteada por la ORS en 2019. Intenta comprender lo que revelan los discursos de los expertos sobre las lógicas de (in)acción que han podido conducir en algunos territorios a una verdadera «cultura de la desconfianza» (Bensaude-Vincent y Dorthe, 2023). Así, el artículo destaca cuatro procesos de producción de ignorancia: la fe en la regulación, la no urgencia, la globalización de los factores de riesgo y la carencia epistemológica en relación con el efecto cóctel.
Palabras clave
Ignorancia estratégica, salud ambiental, contaminación, epidemiología, efecto cóctel.
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Hadna Saliha « Les formes de production d’ignorances dans l’expertise sur la pollution de l’air », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°25/2, 2025, p.12 à 22, consulté le lundi 8 décembre 2025, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2025/dossier/02-les-formes-de-production-dignorances-dans-lexpertise-sur-la-pollution-de-lair/
Introduction
Cet article porte sur la controverse autour de la qualité de l’air dans le bassin nazairien où une surmortalité par rapport à la moyenne nationale a été identifiée en 2019 par l’Observatoire Régional de la Santé (ORS). Depuis, élus comme associations se mobilisent pour revendiquer la mise en place d’une étude épidémiologique afin de faire la lumière sur cette surmortalité et déterminer quels sont les polluants à incriminer. Notre enquête de terrain 1 qui a commencé en 2024 a articulé une première phase d’entretiens semi-directifs – menés auprès d’une dizaine d’acteurs locaux (élus, militants, services de l’Etat) impliqués dans cette controverse – avec une analyse documentaire (littérature grise, courriers, presse locale).
En analysant les prises de position des parties prenantes, l’article met en évidence qu’au lieu d’apporter des réponses claires à la population sur les origines de cette surmortalité, les expertises officielles sur la pollution de l’air ont plutôt eu tendance à entretenir l’ignorance sur le sujet en écartant l’approche épidémiologique défendue par de nombreux élus et militants. Ce sont ainsi quatre formes d’ignorance qui contribuent à limiter la portée du discours des élus locaux et des associations qui revendiquent la mise en place d’une étude épidémiologique depuis plusieurs années. Les trois premières formes d’ignorance relèvent de ce qu’on appelle l’ignorance stratégique, et la quatrième, de ce que nous proposons de qualifier d’ignorance technique. Le conditionnement de la gestion des risques au principe des seuils d’exposition et donc de la science réglementaire empêche, selon les militants et les élus locaux mobilisés, une prise en compte de l’évolution de questionnements sanitaires centraux, comme celle de l’exposome ou encore de l’effet cocktail. Par ailleurs, la temporalité de l’urgence qui se dégage du discours associatif se heurte à une temporalité plus lente imposée par les services de l’Etat pour qui la mise en place d’une étude épidémiologique doit être conditionnée par le déploiement d’une étude de zone dont la durée peut excéder trois ans. En outre, la stratégie de globalisation des facteurs de risques, qui consiste à attirer l’attention sur les comportements à risque (alcool, tabac) comme principales causes de mortalité par cancer plutôt que sur les pollutions industrielles, engendre, elle aussi, de l’ignorance sur les causes de cette importante surmortalité révélée en 2019. Enfin, les limites méthodologiques soulevées par les épidémiologistes quant à l’étude et à l’évaluation de « l’effet cocktail » révèlent une forme d’ignorance, cette fois technique puisque relevant d’une carence épistémologique plutôt que d’une stratégie.
La « foi dans la réglementation » comme principe d’évitement de la connaissance sur les pollutions
A Trignac, près de Saint-Nazaire, c’est une controverse autour du chrome 6 utilisé par ALPHA (nom d’emprunt), une usine spécialisée en peinture industrielle pour pièces et sous-ensembles mécaniques qui a créé des tensions en 2015 entre les industriels et les riverains. La réglementation européenne REACH (Registration, Evaluation, Authorization and restriction of Chemicals) avait programmé son interdiction pour 2017 (sauf dérogation) dans un objectif de protection de l’environnement et de la santé (Chaskiel et Klein, 2017). Car, le chrome 6 est classé cancérigène, mutagène et reprotoxique (CMR). Depuis le mois d’octobre 2015, les riverains concernés par l’installation de l’usine et membres de l’association Trignac Environnement (nom d’emprunt), créée la même année, œuvrent localement pour défendre leurs intérêts. Non seulement les militants affirment que les seuils d’exposition ne suffisent pas à garantir l’absence de risque, mais plus globalement ils estiment qu’« historiquement, le droit de l’environnement a été créé pour protéger les entreprises plus que l’environnement » (entretien avec Marine, militante à Trignac Environnement, et riveraine de l’usine). Ce ne sont plus seulement les experts qui sont remis en question, mais bien l’ensemble du dispositif qui encadre la gestion des pollutions, toutes échelles d’action confondues. Et le droit de l’environnement n’échappe donc pas à cette défiance. Au cours d’un entretien 2 , trois militants soulignent le caractère, selon eux, absurde d’une approche du risque fondée uniquement sur des textes de lois. Pour illustrer leur propos, ils s’appuient sur l’absence de règlementation concernant une distance minimale entre l’usine située rue de Trignac et les premières habitations, qui, selon eux, conduit à une situation illogique :
« Marine – […] Nous, on a toujours l’impression que le droit à l’environnement, c’est pour protéger les personnes. En fait, ce n’est pas tout à fait comme ça que ça se passe. […] On a essayé d’attaquer l’autorisation préfectorale d’exploiter cette usine mais si on prend pied à pied par rapport à la législation, c’est dans les clous. Il n’y a pas de distance minimale par exemple pour implanter une usine. […] il n’y a pas de loi par rapport à ça. […] On peut implanter une usine à cinquante mètres d’une école.
Paul – On ne peut peut-être pas installer un café à une certaine distance d’une école, mais pour une usine, ‘y a pas de législation à ce niveau-là, quoi ! » (Entretien avec Marine et Paul, militants à Trignac Environnement)
Ils notent d’ailleurs que la réglementation est un sujet qui a tendance à cliver le débat entre ceux qui estiment que le droit suffit et qui témoignent ainsi d’une certaine « foi dans la réglementation », et ceux qui pensent qu’il est nécessaire de se fonder sur l’esprit de la loi qui est de protéger des polluants en prenant en considération notamment l’effet cocktail.
« […] je pense qu’un certain nombre de personnes, des décideurs, ou des politiques, des institutions, savent très très bien la dangerosité mais ils ont une espèce de foi dans la réglementation ». (Entretien avec Marine, militante à Trignac Environnement)
En interrogeant les services de l’Etat, nous observons que le rapport au droit et à la réglementation structure fortement les positions dans cette controverse, comme le souligne un entretien avec Henry, cadre à la DREAL :
« Forcément, quand on est riverain de ce type d’installation, ben on ne voit que cette installation-là. Nous, quand on est obligé de raisonner à l’échelle d’un territoire… Et puis qu’on est obligé aussi de prendre en compte la réglementation. C’est quand même la base de dire Bah voilà, on a des normes, une fois qu’elles sont respectées, on s’en arrête là ! Après, s’il faut requestionner les normes… C’est là où on atteint les limites de l’exercice, quoi et où parfois on leur dit, Ben on a fait ce qui est administrativement possible alors. »
Pour la DREAL, la réglementation encadre et surtout limite les actions des services de l’Etat dans cette controverse : tant que les normes sont respectées, ils estiment avoir mobilisé tous les moyens possibles. Or, ce n’est pas l’approche choisie par les associations qui, elles, considèrent au contraire que la réglementation et les normes ne suffisent plus pour répondre à des problèmes urgents, comme l’effet cocktail que nous définissons plus loin. L’analyse de la littérature grise et de la presse quotidienne régionale (PQR) montre que cette controverse globale autour de la pollution de l’air oppose deux échelles d’action : celle des élus locaux et des associations, à celle des services de l’Etat et plus largement du gouvernement pour qui les données épidémiologiques ne seraient pas forcément une solution. Et ce sont également deux visions de la réglementation qui entrent donc en confrontation dans cette controverse. Les industriels, les experts et les services de l’Etat auraient tendance à s’appuyer sur la lettre de la loi, approche dans laquelle les seuils et les règles indiquent ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Alors que pour les élus locaux et les associations, la situation locale est telle qu’il est nécessaire d’appliquer l’esprit de la loi qui consiste avant tout à protéger l’environnement et la santé des populations, et donc de réviser certains seuils de manière à adapter la réglementation aux nouveaux enjeux sociétaux de santé environnementale. Cette question du rapport au droit préoccupe d’ailleurs au plus haut niveau puisque dans le rapport de la commission d’enquête sur les politiques publiques de santé environnementale (Toutut-Picard et Josso, Rapport n°3701, Assemblée nationale, 2020), les conclusions préconisent un regard plus évolutif sur les dispositifs réglementaires qui doivent, selon la rapporteure, « continuer d’évoluer au regard des nouvelles attentes citoyennes » (Toutut-Picard et Josso, Rapport n°3701, Assemblée nationale, 2020, p.71). Le point de vue des services de l’Etat quant au rôle de la réglementation opère ainsi un blocage dans la production de données épidémiologiques en maintenant un état d’ignorance quant à la cause de la surmortalité par cancer mise en exergue par l’ORS en 2019. Comme l’a montré Girel, si l’exemple central de production d’ignorance stratégique reste certainement celui de l’industrie du tabac, d’autres formes se sont développées tel que le déni sur des problèmes environnementaux, comme le changement climatique ou la dangerosité de certains produits chimiques (Girel, 2017, p.84). Derrière cette « foi dans la réglementation », se trouverait donc une volonté de ne pas inquiéter la population et de ne pas incriminer les industries locales en freinant la production de données épidémiologiques.
La production d’ignorance par la négation du caractère urgent
Plus largement, pour lutter contre cette « foi dans la réglementation », les associations revendiquent la production d’une étude épidémiologique à l’échelle locale qui pourrait faire la lumière sur la santé des nazairiens et mettre ainsi en évidence l’impact de certains polluants sur leur santé. Pour les associations de Trignac et de Donges, l’heure n’est plus à se demander s’il y a des polluants pour lesquels l’exposition des populations serait risquée, mais bien d’évaluer l’impact de ces polluants sur la santé des nazairiens, les premières études de l’ORS ayant déjà dressé un constat sanitaire inquiétant. Dans la pétition lancée en 2019 et qui a recueilli 2 500 signataires, les associations de Donges et de Trignac se sont appuyé sur les « chiffres alarmants » communiqués par l’Agence Régionale de la Santé (ARS) en 2017. La population nazairienne est plus touchée que la moyenne nationale par certaines pathologies : +23% pour les affections longue durée pour maladie respiratoire ; +19% de mortalité générale des 15/64 ans ; +22% de mortalité par cancer des moins de 64 ans. C’est donc en prenant en compte l’urgence de la situation sanitaire et les chiffres inquiétants que les associations, soutenues par la mairie de Trignac et par Séverine, députée de Loire-Atlantique, veulent inciter les services de l’Etat à mettre en place une étude épidémiologique. Mais sur les conseils de Santé publique France (SPF), il serait avant tout nécessaire de mettre en place une étude de zone.
« Le but de l’étude de zone, c’est d’essayer de regrouper l’ensemble des connaissances. Et voilà, on va dire, si je dois me permettre un commentaire, c’est que pour moi, c’est un outil pour rassurer les populations. Quelque part, boucher les petits trous qu’on aurait dans la raquette et améliorer l’état des connaissances pour voir si on n’a pas loupé des choses. Est-ce que, à l’échelle du territoire, on ne peut pas encore améliorer les données ? […] Mais voilà, il y a toujours ce climat de dire, […] vous n’allez pas assez loin, il manque des substances… Enfin, voilà ce sentiment de dire, on remet en cause l’expertise. » (Entretien avec Henry, cadre à la DREAL)
Pilotée par la DREAL et la sous-préfecture de Saint-Nazaire, cette étude de zone a commencé en mars 2021 et devrait durer entre 3 et 5 ans. Lancée sur l’avis de SPF, elle a été présentée comme un préalable à une éventuelle étude épidémiologique. SPF estime que : « les résultats de l’étude de zone sont indispensables pour décider, ou non, la mise en place d’une étude épidémiologique et de ses modalités ». La production d’ignorance par l’absence d’urgence via le choix d’une étude de zone – au détriment d’une étude épidémiologique –représente une deuxième forme de production d’ignorance. La production d’ignorance par l’absence d’urgence consiste à ralentir le rythme de la controverse en déconstruisant l’urgence défendue par certains acteurs, dans ce cas précis en mettant en place un dispositif préalable à l’étude épidémiologique réclamée par les associations et les élus locaux. Ce sont trois à cinq années qui s’écouleront sans que des données épidémiologiques ne puissent voir le jour. Pourtant, des agences publiques comme France Stratégie, déplorent depuis des années le manque de données épidémiologiques en France « permettant d’étudier la répartition géographique de maladies susceptibles d’être induites par certains polluants » (Fosse, Salesse et Viennot, 2022, p.16).
Bien qu’elle puisse être présentée scientifiquement comme un préalable à une démarche d’étude épidémiologique (Gillette, Roudier et Kairo, 2023 : 16), l’étude de zone ne répond cependant pas aux mêmes enjeux. Telle qu’elle est décrite par les services de l’Etat, l’étude de zone est une « démarche d’évaluation des impacts des activités humaines sur l’état des milieux et des risques sanitaires inhérents pour les populations » (ARS des Pays de la Loire, communiqué de presse du 27 mai 2025), alors que l’étude épidémiologique analyse « les facteurs qui influencent la fréquence ou la distribution de maladies et d’autres phénomènes de santé dans les populations exposées à ces facteurs. Son objectif est de tenter d’établir une association entre l’exposition à certaines substances et la survenue de maladies » (Département Prévention Cancer et Environnement, Centre Léon Bérard, 2022). En opposant à l’urgence défendue par les associations une forme plus ralentie de la controverse, les services de l’Etat contribuent au retard dans la production de données épidémiologiques, voire à leur absence.
La production d’ignorance par la globalisation des facteurs de risques
L’analyse des entretiens et de la PQR met en exergue une troisième forme de production d’ignorance : l’ignorance par la globalisation des facteurs de risques qui consiste dans le discours à noyer les facteurs environnementaux avec d’autres facteurs comme les comportements individuels à risques, notamment ceux liés à la consommation d’alcool et de drogues. Ainsi, dans un article paru en 2022, il est signalé qu’une députée s’est vu confier une mission de prévention des comportements à risques destinée aux 8-11 ans avec l’objectif de sensibiliser ces derniers aux risques de consommation de l’alcool et de drogues (France Bleu Loire Océan, 4 février 2022). Pour les associations comme pour les élus locaux, cette démarche en plus d’être stigmatisante pour les nazairiens viserait à confondre la question des comportements sociaux avec celle de la pollution industrielle. Le maire de Saint-Nazaire, David Samzun s’est d’ailleurs publiquement exprimé à ce sujet :
« […] Non, tous les nazairiens ne sont pas des alcooliques ou des fumeurs ! Cela ne peut pas être la seule explication et je me battrais pour que cette étude de zone, et l’étude épidémiologique aillent au bout. […] Et là entre certains industriels qui ne jouent pas le jeu et ne respectent pas les normes et l’Etat qui traîne des pieds, on n’est pas aidés ». (France Bleu Loire Océan, 4 février 2022).
Nous supposons qu’au-delà du risque de voir les activités industrielles pointées du doigt, l’étude épidémiologique, si elle démontrait un lien de causalité entre des pathologies et l’exposition à certains polluants, pourrait donner lieu à des contestations voire, comme ce fut le cas pour l’amiante, à des demandes d’indemnisations (Pillayre, 2023, p.140). Le maire de Trignac est du même avis que celui de Saint-Nazaire, et ajoute qu’il aimerait que les députés de la majorité « fassent plutôt pression sur le gouvernement pour obtenir enfin des résultats » (France Bleu Loire Océan, 4 février 2022). Si initialement l’étude de zone a été présentée comme une première étape vers l’étude épidémiologique, les entretiens expriment qu’élus et associations ont aujourd’hui l’impression que l’Etat « joue la montre » afin d’éviter la mise en place d’une étude épidémiologique. Et l’analyse de l’actualité semble le démontrer.
« L’effet cocktail » et la carence épistémologique comme sources d’ignorance
Mercredi 18 octobre 2023, se tenait une réunion organisée par le sous-préfet de Saint-Nazaire Eric De Wispelaere et le président de Saint-Nazaire agglomération David Samzun, à laquelle ont été conviés élus, professionnels de santé, associations et industriels. Un rapport intermédiaire de l’étude de zone y a été présenté par la DREAL, rapport dont certaines conclusions ont fait réagir les représentants des riverains. La DREAL a tout d’abord présenté les « limites de l’étude de zone » pour laquelle il a été précisé qu’elle ne « s’apparentait pas à un programme de recherche ». La DREAL souligne ainsi qu’il n’y aura « pas de prise en compte des effets cocktails ni de l’exposome ». Cette première limite évoquée correspond à la quatrième forme de production d’ignorance : elle concerne la carence épistémologique liée ici aux connaissances relatives à l’effet cocktail. Comme le rappelle Gillot, « l’effet cocktail » « désigne le fait qu’associées, deux molécules (ou plus) présentent un effet toxique, là où elles sont inoffensives ou avec un effet moindre prises individuellement » (Gillot, 2017, p.26). Or, comme l’ont souligné plusieurs sénateurs chargés de la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, les méthodes toxicologiques pour évaluer cet « effet cocktail » » et ses conséquences sur la pollution de l’air restent très limitées conduisant ainsi à une « carence épistémologique ». Citant l’épidémiologiste environnemental Rémy Slama, Gillot précise que la toxicologie réglementaire ne prend pas en compte dans ses mesures la « synergie entre substances » (Gillot, 2017 : 27), mais les mesures une à une. Dans le rapport de la commission d’enquête sur l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale (Toutut-Picard et Josso, Rapport n°3701, Assemblée nationale, 2020), plusieurs scientifiques dressent le même constat. Auditionné dans le cadre de la commission d’enquête, Bertrand Schwartz, adjoint à la directrice scientifique biologie et santé à la direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI) reconnaît : « aujourd’hui, nous rencontrons des difficultés pour modéliser la présence de cocktails » (Toutut-Picard et Josso, 2020 : 28). Olivier Toma, porte-parole du Comité du développement durable en santé, également auditionné, précise : « Même si tous les industriels sont de bonne foi en respectant les seuils, si vous accumulez à la fin de votre journée ce que vous avez bu, mangé, respiré et mis sur votre peau, vous avez un effet cocktail et une multi-exposition qui n’en finit pas » (Toutut-Picard et Josso, 2020 : 28). Le constat dressé par Robert Barouki n’est pas moins rassurant puisqu’il reconnaît au cours de son audition :
« Nous ne savons pas gérer le problème des mélanges de substances qui est pourtant une grave question, même en termes de santé publique. Nous continuons à faire comme si la question se posait substance par substance. Les organismes de recherche s’intéressent au problème des mélanges, mais nous n’avons pas suffisamment de connaissances » (Toutut-Picard et Josso, 2020 : 28).
Dans son article sur les pollutions chimiques, Jas parle de stratégie d’ « hyper-segmentation des problèmes » qui consiste notamment à construire des dispositifs de régulation « substance par substance » au détriment d’une approche plus complexe des pollutions (Jas, 2017, p.49). Emmanuel Henry (2021) en s’appuyant sur la sociologie de l’Etat d’Alain Desrosières (1993) rappelle que la mise en place de politiques publiques en santé environnementale donnait souvent lieu au développement de « dispositifs de quantification permettant d’avoir une vision transversale des enjeux à traiter » (Henry, 2021, p.80). Si cette approche « substance par substance » trouve une explication scientifique, la littérature scientifique témoigne bien qu’elle est aussi parfois mobilisée par les dispositifs pour maintenir un état d’ignorance. Le rapport de la commission d’enquête accable plus particulièrement la toxicologie réglementaire adoptée par les agences publiques de santé chargées d’établir des évaluations qui s’appuieraient encore, à tort, sur le principe de Paracelse selon qui « c’est la dose qui fait le poison ». Il les invite à « revoir leur système d’évaluation » ou à « renoncer à leur mission de service public, qui consiste à garantir la sécurité sanitaire de la population et de protéger l’environnement ».
« La non-prise en compte des nouvelles connaissances sur la toxicité chimique rend caduques et inappropriées les évaluations du danger et du risque telles qu’elles sont pratiquées par les agences responsables de la réglementation : la « science réglementaire » n’est plus une science quoi qu’elle en dise ». (Toutut-Picard et Josso, Rapport n°3701, Assemblée nationale, 2020 : 202)
Ce débat autour de « l’effet cocktail » met en évidence une tension entre la toxicologie, souvent mobilisée par les agences sanitaires publiques, et l’épidémiologie, qui tend à devenir une revendication majeure des associations dans les controverses en santé environnementale comme l’ont montré les travaux autour de l’épidémiologie populaire (Brown et Mikkelsen, 1990 ; Calvez, 2009). Les travaux de Jean Jouzel sur l’exposition aux pesticides et l’hygiène agricole ont d’ailleurs expliqué de quelle manière les modèles toxicologiques « traditionnels », qui ont consisté à attirer l’attention sur les pratiques jugées inappropriées des agriculteurs et à y apporter une politique de recommandations d’usage par de nouvelles normes et de nouveaux équipements, ont contribué à invisibiliser les recommandations et travaux des épidémiologistes (Jouzel, 2019 ; Boullier, 2023).
Conclusion
Si la production de fake science qui constitue une forme d’ignorance stratégique (Girel, 2017 ; Hadna, 2017) est parfois mobilisée par certaines industries – comme l’a illustré l’ouvrage de Proctor sur l’industrie du tabac et le développement de l’agnotologie (Proctor, 2011) – d’autres stratégies peuvent être observées à des échelles plus locales. C’est ce que l’article a pu exposer à travers le cas de Saint-Nazaire et la mise en évidence de quatre formes de production d’ignorance.
La foi dans la réglementation et le conditionnement du traitement des enjeux de santé publique à la disponibilité des textes constitue une première forme de production d’ignorance par l’évitement d’une meilleure prise en charge de l’exposition aux pollutions. Pour lutter contre cette forme d’ignorance, une approche critique et réformiste des textes existants ainsi que des seuils d’exposition s’avère nécessaire.
La production d’ignorance par le refus de la prise en compte du caractère d’urgence constitue une deuxième stratégie mobilisée dans cette controverse locale pour éviter de donner au dossier une certaine gravité. Ici, face aux revendications locales en faveur de la mise en place d’une étude épidémiologique, les services de l’Etat ont mis en avant la nécessité préalable de réaliser une étude de zone, pouvant durer trois à cinq ans, période durant laquelle la dimension épidémiologique du dossier sera donc mise entre parenthèses. Dans cette mesure, repousser la décision relative à la réalisation d’une étude épidémiologique consiste dans le même temps à « désurgentiser » la controverse.
La globalisation des facteurs de risques pour expliquer la survenue de maladies représente la troisième forme de production d’ignorance dans la mesure où, dans ce cas précis, elle met en évidence des comportements individuels liés à la consommation de tabac et d’alcool, plutôt que de s’intéresser aux effets sanitaires de la pollution industrielle.
Enfin, la carence épistémologique relative à l’étude de « l’effet cocktail » constitue la quatrième forme de production d’ignorance dans cette controverse. Contrairement aux trois premières, nous la qualifions de « technique » plutôt que de « stratégique » car elle renvoie à des limites épistémologiques et méthodologiques dans l’évaluation de l’effet cocktail. A cette problématique reconnue comme centrale par les experts et les scientifiques en épidémiologie vient s’ajouter celle de la quasi-systématicité de la démarche toxicologique dans les expertises réalisées par les services de l’Etat au détriment d’une approche épidémiologique.
Si l’image de l’expert scientifique a souffert d’une décrédibilisation depuis les années 1990 avec la gestion chaotique de l’après-Tchernobyl, donnant lieu à une cristallisation de la défiance citoyenne (Rosanvallon, 2006), force est de constater que de nouveaux « régimes de production et de régulation des sciences en société » (Pestre, 2006) se sont en parallèle développés. Dans le cas de la pollution de l’air, cette défiance a donné lieu au développement de contre-expertises (Topçu, 2006) comme avec la mise en place de l’Institut Ecocitoyen pour la Connaissance des Pollutions (IECP) en 2010 à Fos-sur-Mer (PACA), ou encore avec le développement de l’Institut Citoyen de Recherche et de Prévention en Santé Environnementale (ICRePSE) né en 2023 à la suite du cluster de cancers pédiatriques observés à Sainte-Pazanne (Loire-Atlantique).
Ces mouvements citoyens se heurtent aux diverses stratégies de production d’ignorance retardant le traitement politique des conséquences sanitaires de l’exposition aux polluants, et sont également confrontés à la question des moyens financiers nécessaires aux études épidémiologiques jugées coûteuses, argument souvent mobilisé pour justifier l’absence de données. Mais cette vision administrative du problème paraît court-termiste dans la mesure où plusieurs rapports publics font état de la nécessité d’adopter une logique économique dans la gouvernance des risques sanitaires liés à la pollution, comme le Sénat qui, en 2015 a lancé une Commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, présidée par Jean-François Husson et dont Leïla Aïchi alors sénatrice en était la rapporteure. Considérée comme l’une des plus graves menaces pour la santé mondiale par l’Organisation Mondiale de la Santé, la pollution de l’air est devenue un enjeu majeur à l’échelle mondiale. Selon l’Agence Européenne de l’Environnement, en 2021, 253,000 décès en Europe étaient imputables à l’exposition aux particules fines (PM2,5) (European Environment Agency, 2023). L’imputabilité des pathologies et des décès à la pollution de l’air est soulevée comme une situation majeure par les organisations mondiales et revêt un enjeu sanitaire et économique de plus en plus important pour les Etats. En 2007, l’agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFFSET) publiait un rapport intitulé « Coûts des effets de la pollution sur certaines pathologies pour l’Assurance maladie ». Il indique qu’une part des coûts de l’Assurance maladie étaient attribuables à l’environnement (entre 0,1 et 0,5 milliards d’euros en 2004) dans la mesure où ce dernier peut être la source de pathologies telles que l’asthme ou encore le cancer. En outre, la commission d’enquête du Sénat a montré que la pollution de l’air engageait des coûts sanitaires et non sanitaires en France. Parmi les coûts non sanitaires, on compte les dépenses et les manques à gagner liés aux conséquences des polluants sur les rendements agricoles ou encore sur l’érosion des bâtiments. Ces coûts « cachés » sont estimés à 4,3 milliards d’euros par an selon le rapport. Parmi les coûts sanitaires, il convient de distinguer d’abord les coûts « tangibles » qui sont mesurables en prenant en compte les dépenses de santé remboursées par l’Assurance maladie pour les pathologies imputables à la pollution de l’air. Ces coûts sont estimés à 3 milliards d’euros par an. Il y a ensuite les coûts sanitaires dits « intangibles » qui sont associés « à la mortalité et à la morbidité imputables à la pollution de l’air » : « Selon l’étude menée dans le cadre du programme européen en 2005 « Air pur pour l’Europe », ce coût s’établit entre 68 et 97 milliards d’euros par an pour la France ».
Bien qu’elles fassent l’objet de différentes stratégies de production d’ignorance, les connaissances épidémiologiques sur les pollutions environnementales pourraient à la fois satisfaire les attentes locales dans les zones particulièrement touchées par la pollution, comme à Saint-Nazaire, tout en répondant à l’objectif récurrent des dirigeants politiques depuis le milieu des années 1970 consistant à une réduction des dépenses de protection sociale (Barbier, Zemmour et Theret, 2021). Mais pour que cette vision à long terme puisse voir le jour, une gouvernance par la connaissance, notamment épidémiologique, devra nécessairement remplacer ce qui semble relever d’une gouvernance par l’ignorance.
Notes
[1] Cette enquête de terrain est issue du projet « Connaissances sur les Inégalités Environnementales et Protection Sociale » (CIEPS, 2024-2026). Ce projet a été financé par la DREES dans le cadre de l’appel à projets de recherche « repenser la protection sociale à l’aune des crises environnementales » conduit par la Mission Recherche de la DREES, en partenariat avec la CNAF, le HCAAM, l’IERDJ, le PUCA, la DGCS, France Stratégie et le CGDD.
[2] Issu du projet « Les enjeux de la santé-environnement dans un contexte de développement industriel » (2021-2023) financé par la Communauté d’agglomération de la Région nazairienne et de l’Estuaire (CARENE).
Références bibliographiques
ARS des Pays-de-la-Loire (2025), L’étude de zone sur 5 communes de Saint-Nazaire Agglo se poursuit, Communiqué de presse publié le 27 mai 2025.
Barbier, Jean-Claude ; Zemmour, Mickaël ; Théret, Bruno (2021), Le système français de protection sociale, La Découverte, 128 p.
Bensaude-Vincent, Bernadette ; Dorthe, Gabriel (2023), Les Sciences dans la mêlée : Pour une culture de la défiance, Editions du Seuil, 272 p.
Boullier, Henri (2023), « Pour une sociologie politique de la méconnaissance réglementaire », Gouvernement et action publique, 12(4), p.139-146.
Brown, Phil ; Mikkelsen, Edwin J. (1990), No Safe Place. Toxic Waste, Leukemia, and Community Action, Berkeley, University of California Press.
Calvez, Marcel (2009), « Les signalements profanes de clusters de cancers : épidémiologie populaire et expertise en santé environnementale », Sciences sociales et santé, vol. 27, no. 2, p. 79-106.
Centre Léon Bérard (2022), Mieux comprendre les études épidémiologiques, Département Prévention Cancer et Environnement, IRSN ; Goldberg M., Inserm Unité 687, La causalité en épidémiologie ; Santé Publique France.
Chaskiel, Patrick ; Klein, Etienne (2017), « Un « effet Reach » dans l’industrie aéronautique L’obsolescence réglementaire du chrome VI », Environnement, Risques & Santé, 16(5) : 472-478.
European Environmental Agency (2023, 24 novembre), « Les niveaux de pollution atmosphérique restent trop élevés en Europe et constituent le principal risque environnemental pour la santé ».
Fosse, Julien ; Salesse, Camille ; Viennot, Mathilde (2022), Inégalités environnementales et sociales se superposent-elles ?, France Stratégie.
Gillette, Solène ; Roudier, Candice ; Kairo, Cécile (2023), « Études de zone en France : bilan et perspectives pour la mise en place d’une surveillance épidémiologique autour des zones industrielles », Environnement, Risques & Santé, Vol. 22.
Gillot, Laurence (2017), « Perturbateurs endocriniens. Une évaluation bien empoisonnante… », Sésame, 1, 24-28.
Girel, Mathias (2017), « Ignorance stratégique et post-vérité », Raison présente, 2017/4 N° 204. pp. 83-96.
Hadna, Saliha (2017), « The Nuclear Safety Authority in France: A Dogma of “Independence” and Institutional Fragility », Journal of Innovation Economics & Management, 22, 119-144.
Henry, Emmanuel (2021), « II. Ignorance », In La fabrique des non‐problèmes. Ou comment éviter que la politique s’en mêle, Presses de Sciences Po, p. 53-94.
Husson, Jean-François : Aïchi Leïla (2015), Pollution de l’air : le coût de l’inaction. Commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, rapport n°610, Tome 1.
Jas, Nathalie (2017), « Millefeuilles institutionnels et production d’ignorance dans le « gouvernement » des substances chimiques dangereuses », Raison présente, vol. 204, no. 4, pp. 43-52.
Jouzel, Jean-Noël (2019), Pesticides. Comment ignorer ce que l’on sait, Paris, Presses de Sciences Po, 261 p.
Pestre, D. (2006), V,. « Régimes de production et de régulation des sciences en société, Introduction aux Science Studies (p. 94-107). La Découverte.
Pillayre, Héloïse (2023), « Le rôle des associations locales d’aide aux victimes de l’amiante dans l’accès au droit. Transferts de responsabilité et choix des dispositifs d’indemnisation », Sociologies pratiques, N° 46(1), p.77-86.
Proctor, Robert N. (2011), Golden Holocaust: Origins of the Cigarette Catastrophe and the Case for Abolition, Berkeley: University of California Press.
Rosanvallon, Pierre (2006), La contre-démocratie, la politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil, 345 p.
Roussel, Hélène (2022, 4 février), Surmortalité dans le bassin nazairien : étude de zone et polémiques, France Bleu Loire Océan.
Topçu, Sezin (2006), « Nucléaire : de l’engagement « savant » aux contre-expertises associatives », Natures Sciences Sociétés, 14, 249-256.
Toutut-Picard, Elisabeth ; Josso, Sandrine (2020), Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale n°3701, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 décembre 2020.
Auteure
Saliha Hadna
Saliha HADNA est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Toulouse 3 Paul Sabatier et directrice de l’axe TERNOV du laboratoire CERTOP UMR 5044. Ses travaux de recherche sont au croisement des SIC, de la sociologie de l’expertise et des STS pour étudier l’évolution des formes de production des connaissances et d’ignorances dans des contextes de controverses.
saliha.hadna-bremand@univ-tlse3.fr
Plan de l’article
La « foi dans la réglementation » comme principe d’évitement de la connaissance sur les pollutions
La production d’ignorance par la négation du caractère urgent
La production d’ignorance par la globalisation des facteurs de risques
« L’effet cocktail » et la carence épistémologique comme sources d’ignorance