Introduction du dossier 2025 A : dynamiques organisationnelles et professionnelles de la médiation scientifique
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Bordeaux Marie-Christine, Chambru Mikaël « Introduction du dossier 2025 A : dynamiques organisationnelles et professionnelles de la médiation scientifique », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°25/1, 2025, p.5 à 11, consulté le dimanche 9 novembre 2025, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2025/dossier/00-introduction-du-dossier-2025-a-dynamiques-organisationnelles-et-professionnelles-de-la-mediation-scientifique/
Introduction
Ce double dossier thématique est consacré à des recherches récentes sur les usages sociaux des savoirs scientifiques en sciences humaines et sociales, plus particulièrement ici en sciences de l’information et de la communication et en sociologie. Il propose de faire un état des lieux des dynamiques de recherche et des connaissances relatives à la méditation scientifique afin d’en analyser les mutations, les enjeux et les perspectives dans un contexte sociopolitique où l’expression « science-société » tend à remplacer celle de « culture scientifique », à laquelle était consacré, dix ans auparavant, un supplément des Enjeux (Bordeaux et Cartellier, 2015). Ces deux expressions sont convergentes dans les visées qu’elles désignent (diffuser les savoirs, partager l’intérêt pour les sciences, mettre en débat les choix de politique scientifique, etc.) et recouvrent à peu près le même périmètre d’acteurs et de stratégies. Cependant, prendre acte de l’évolution du vocabulaire institutionnel permet de désigner l’apparition de nouvelles préoccupations publiques. Dès lors, il convient d’examiner dans une perspective critique ce champ social et professionnel, sa genèse, ses transformations, ses enjeux actuels et à venir. C’est ce que propose ce double dossier thématique qui fait suite à l’organisation de deux manifestations scientifiques à la MSH Alpes : le colloque Dynamiques des recherches en communication et médiation scientifiques : Transmettre, hybrider, partager, débattre (14-15 novembre 2024) et le séminaire Enjeux et perspectives de la culture scientifique, qui s’est tenu de 2021 à 2025. Cette dynamique scientifique portée par l’Université Grenoble Alpes fait écho à un autre séminaire de recherche organisé, depuis 2017, à la MSH Alpes relatif aux controverses publiques autour des sciences et aux problèmes socio-environnementaux (Chambru, 2021).
Les articles rassemblés dans ce double dossier thématique portent sur une large étendue de pratiques sociales, d’organisations et de dispositifs relatifs à la relation sciences et société. Il regroupe un ensemble de politiques publiques, de structures professionnelles et militantes et de modalités d’action, d’où émergent de nouvelles thématiques et de nouvelles pratiques sous l’influence de questions sociétales, politiques et environnementales. Ces articles prolongent et actualisent ainsi des travaux plus anciens consacrés à la vulgarisation scientifique (Jacobi, 1999 ; Jurdant, 2009), aux institutions et organisations dédiées à la recherche (Vinck, 1995 ; Le Marec, 2010), à la médiation scientifique, aux politiques publiques scientifiques et de culture scientifique (Bensaude-Vincent, 2010 ; Chavot et Masseran, 2015 ; Las Vergnas, 2011), aux musées de sciences (Schiele, 2001), au niveau de culture scientifique des populations (Godin et al., 1998), à l’éducation formelle et non formelle aux sciences (Jacobi et al., 1990), aux enjeux communicationnels des institutions productrices de savoirs et à la publicisation de la science (Pailliart, 2005 ; Chambru et al., 2025).
Interroger les modèles de sociodiffusion des savoirs et de gestion des écarts et des tensions entre sciences et société
La plupart des auteurs s’accordent sur l’idée qu’il existerait trois grands modèles successifs de la relation entre science et société (notamment Bensaude-Vincent, 2010 ; Urbas, 2022 ; Chavot et Masseran, 2015) : Public Understanding of Science (vulgarisation scientifique), Public Understanding of Research (démarche d’expérimentation et d’investigation sur le modèle de la démarche scientifique), Public Engaging with Science (sciences citoyennes, recherche participative, débat public sur les sciences et leurs usages). Si la succession historique de ces modèles est bien attestée, et si les acteurs s’y réfèrent concrètement, les textes rassemblés dans ces deux dossiers thématiques témoignent du fait qu’ils sont simultanément mobilisés dans les actions sciences et société, bien que le troisième soit systématiquement présenté par les acteurs comme contradictoire, voire inconciliable, avec le premier modèle.
D’un point de vue plus analytique, au-delà de ces trois catégories élaborées par les acteurs, le monde (professionnel et militant) de la culture scientifique s’appuie sur une double genèse historique, adossée à deux grands modèles de sociodiffusion des savoirs et de gestion des écarts et des tensions entre sciences et société : le modèle éducatif d’une part, et le modèle politique critique d’autre part, ailleurs dénommés « didactique » et « idéologique » (Las Vergnas, 2011). Ces deux modèles sont en tension, car ils sont à la fois contradictoires entre eux et mobilisés simultanément dans les discours d’accompagnement et dans les principes posés en amont des actions concrètes de médiation scientifique. Le premier modèle repose sur une vision légitimiste, scolaire ou parascolaire, de la transmission des savoirs : centré sur la transmission et la diffusion, il se réfère à un double paradigme éducatif, ancré dans l’éducation formelle et non formelle. Le second modèle repose sur une vision a-scolaire, voire antiscolaire, de la transmission et de la relation aux sciences, où les savoirs institués n’occupent pas une place centrale : il se réfère à un paradigme critique et transgressif, portant une vision politique de la relation sciences et société sous la forme de contre-modèles de politique publique. En d’autres termes, ces deux modèles génétiques renvoient à des mises en récit distinctes du monde social et à des formes plurielles d’organisation idéale de l’espace public (Bodin, 2022), où se rejouent les tensions entre savoir, pouvoir et démocratie (Chambru et al., 2025). Il s’agit donc d’analyser les effets de la médiatisation des sciences en tant que vecteurs possibles de diffusion, d’éducation et de participation, mais aussi en tant qu’espaces de mise en critique des sciences, de leurs applications et des politiques scientifiques.
Ce premier dossier est consacré à l’étude des acteurs de la médiation scientifique : quels sont-ils, quelles sont leurs identités professionnelles, quels dispositifs mettent-ils en œuvre ? Quels sont les questionnements spécifiques, les enjeux et les tensions qui caractérisent les métiers, compétences et gestes de la médiation scientifique ?
La médiation scientifique est ici envisagée comme un champ professionnel, constitué d’organisations et d’acteurs qui, en France, se présentent et agissent sous la bannière de la culture scientifique, conçue comme un ensemble de stratégies institutionnelles, de métiers, d’activités et de savoir-faire. Cette notion est généralement mobilisée par les professionnels en opposition à celles de vulgarisation et de communication scientifique, pour se positionner comme les défenseurs des intérêts des publics (Bergeron, 2016). Normes d’actions et de valeurs plus ou moins sous-jacentes créent ainsi des confusions, c’est la raison pour laquelle ce volume est consacré, non à la culture scientifique en raison de la multiplicité et de l’ambiguïté de ses significations, mais à la médiation scientifique dans son approche conceptuelle et aux médiations scientifiques en tant qu’actions concrètes et situées.
La médiation scientifique comme champ professionnel spécialisé
Cette médiation, en tant que champ professionnel, s’est historiquement développée en parallèle de la médiation culturelle, et a pour caractéristique d’être portée par des acteurs dont la vocation et la compétence principales sont situées du côté des publics et de la mise en public, dans une relation d’extériorité. Alors que la médiation culturelle est essentiellement exercée au sein des institutions culturelles (musées, centres d’art, patrimoine, et plus récemment spectacle vivant) et qu’il existe très peu d’organisations qui lui soient entièrement et uniquement dédiées, la médiation scientifique s’exerce majoritairement en dehors des institutions productrices de savoirs. Elle a été soit externalisée de manière volontaire (musées émanant de l’activité de centres de recherche, création de centres de culture scientifique à l’initiative d’universités), soit développée au sein de milieux associatifs, dans une filiation directe ou indirecte avec l’éducation populaire et l’action socioculturelle scientifique (Las Vergnas, 2011). Bien que les universités et les centres de recherche aient développé, parfois de longue date, des actions de médiation (Minault, 2021), cette extériorité de la médiation scientifique reste un élément caractéristique par rapport à la médiation culturelle. Certes, les chercheurs, en tant que producteurs de savoirs, sont traditionnellement attachés à leur diffusion et à leur transmission, mais l’examen concret des dispositifs de médiation révèle que les liens sont peu organisés entre laboratoires et structures de culture scientifique (Chambru et al., 2023). Un des défis actuels de la relation sciences et société dans les universités et les centres de recherche est, à cet égard, de passer de l’investissement spontané de chercheurs, sous la forme d’un engagement individuel présenté comme désintéressé, à une institutionnalisation du partenariat mettant en jeu des organisations et non pas seulement des individus.
Modèles traditionnels et modèles émergents des usages sociaux des savoirs
Par-delà la très grande hétérogénéité des acteurs et des activités de la culture scientifique, soulignée par l’ensemble des auteurs qui ont étudié ce domaine, la médiation scientifique se situe à un point de tension entre les conceptions à visée émancipatrice de l’animation socioculturelle et les conceptions instrumentales de la vulgarisation (Jurdant, 2009). Elle se conçoit et se diffuse dans des formats qui sont le plus souvent culturels, agissant ainsi « par le détour de la culture » (Urbas, 2022) : expositions, festivals, bande dessinée, etc. La notion de culture scientifique peut aussi être saisie comme catégorie sociologique d’analyse des rapports sociaux aux sciences (Perronnet, 2021) plutôt que dans son usage habituel désignant simultanément les connaissances scientifiques des publics et les actions qui visent à les développer. En d’autres termes, comme dans d’autres activités sociales liées à la transmission et à l’éducation non formelle, la référence aux publics sert de justification à la reconnaissance des acteurs et à leurs modalités d’action.
Celles-ci évoluent au rythme de l’évolution de la représentation des publics. Pour utiliser la terminologie en langue anglaise et les recherches menées notamment aux États-Unis, il y aurait une évolution historique entre le modèle d’action publique du Public understanding of science, celui du Public understanding of research et celui du Public engaging with science et ses corollaires (Citizen science, Dialogue model). En France, la terminologie est différente et les modèles sont plus ambigus, à divers titres, toutefois, deux modèles successifs dominent l’action publique : la vulgarisation scientifique et le diffusionnisme d’une part, la culture scientifique d’autre part. Le premier modèle, bien que majoritairement mis en œuvre dans les actions de médiation, n’est plus revendiqué par les acteurs, qui portent une forte critique en l’associant au Deficit model, c’est-à-dire à l’idée que le manque de confiance et la défiance des individus vis-à-vis des sciences ne proviendraient que de leur ignorance dans ce domaine. Quant au modèle de la culture scientifique, il s’est progressivement vidé de son sens, utilisé indifféremment pour désigner une politique publique, un certain niveau de savoirs synonyme de culture générale, une action socioculturelle scientifique, une labellisation de certains acteurs, etc. Un troisième modèle pourrait être discerné autour de l’émergence récente en France des sciences dites participatives (Houillier et Merilhou-Goudard, 2016). Toutefois, ce n’est pas un modèle récent du point de vue du monde académique, car il est pratiqué de longue date par les sciences du vivant et s’est développé plus largement avec les potentialités des outils numériques. En revanche, c’est une aspiration récente dans les milieux professionnels de la médiation scientifique. Plus globalement, ce que recouvre la notion de Public engaging with science peut être exploré dans différentes directions qui sont plus larges que la seule question d’établir la participation de non-professionnels de la recherche à l’activité scientifique : en particulier dans le domaine de la démocratie technique et des sciences citoyennes (Callon, Lascoume et Barthe, 2001).
Rôles et postures des professionnels de la recherche face à l’injonction de la relation sciences et société
Alors qu’il existe des traditions de recherche sur l’écriture de la vulgarisation comme genre littéraire, la conception et la réception des expositions scientifiques, les politiques publiques de culture scientifique, peu de travaux, en dehors de Jensen et Croissant (2007) et Maillot (2018), ont été consacrés au rôle et à la posture des chercheurs et des organisations en charge de la recherche. Le premier volume de ce dossier apporte de nouveaux regards sur ce domaine d’activité et ses enjeux, liés à l’émergence de nouveaux acteurs et de nouvelles démarches.
En effet, le développement récent d’actions de médiatisation et de spectacularisation des sciences (par exemple, le concours Ma thèse en 180 secondes, organisé par le CNRS), et les inflexions des politiques publiques, en particulier le programme « Sciences avec et pour la société » lancé en 2021 par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dans le sillage de la Loi de programmation de la recherche, ont apporté des moyens inédits et ont mis en visibilité le rôle des chercheurs, des universités et des organismes de recherche. Soumis, comme les acteurs spécialisés dans la culture scientifique, à la prospection de fonds et aux injonctions institutionnelles, mais aussi à l’évolution de l’économie du secteur qui a vu se multiplier les acteurs indépendants (vidéastes, youtubeurs, etc.), les acteurs de la recherche doivent non seulement prouver qu’ils agissent, mais aussi démontrer leur capacité à innover. Autant de terrains d’enquête explorés dans plusieurs contributions de ce volume.
En parallèle, la revendication récente des professionnels de la culture scientifique d’être davantage reconnus comme acteurs du champ culturel, au-delà de l’appellation convenue « culture scientifique » et par-delà leur rattachement traditionnel au ministère en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche, a suscité de nouvelles formes d’action. Ce fut le cas précédemment autour du spectacle vivant et de la création artistique numérique, où se sont développées des créations et des programmations « art et science », souvent au nom de la médiation scientifique (Bordeaux, 2022), et c’est le cas, plus récemment, dans le secteur des médiathèques, au-delà de leurs missions traditionnelles de diffusion d’ouvrages de vulgarisation scientifique pour la jeunesse.
Dispositifs, identités et dynamiques socioprofessionnelles des acteurs de la médiation scientifique
Le rôle des universités et des personnels de recherche est au cœur des quatre premières contributions. Muriel Lefebvre a enquêté simultanément en France et au Québec auprès de chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales impliqués dans la médiation scientifique. Elle analyse les expériences collaboratives mises en œuvre, qui se déroulent selon des logiques souvent éloignées des modèles de diffusion habituellement proposés par les acteurs de la culture scientifique. Les trajectoires professionnelles de ces universitaires et la place que les activités liées aux relations sciences et société occupent dans leur quotidien professionnel sont mis en évidence, ainsi que leurs liens nombreux avec des acteurs très variés, au rebours d’une vision traditionnelle qui oppose les chercheurs peu expérimentés ou peu impliqués en médiation et les spécialistes de la médiation à travers une représentation séparée de leurs mondes professionnels. Erika Riberi analyse les représentations de la médiation scientifique qu’ont les personnels de recherche. Elle identifie les freins à cette activité, du point de vue des individus et de leurs institutions, ainsi que les enjeux, historiques et plus récents auxquels ils sont confrontés, dans un contexte où émergent de nouvelles stratégies et de nouvelles injonctions. Elle ouvre ainsi des pistes de réflexion et d’actions collectives liées aux dynamiques étudiées. Claudia Adrianzen-Lapouble, Laure Bolka-Tabary et Eric Kergosien étudient la construction éditoriale, la médiation et la médiatisation des savoirs scientifiques dans une émission télévisée co-réalisée par une université, dans le cadre d’un partenariat entre université, chaîne de télévision et association de médiation scientifique. L’émission réalisée porte la marque des tensions, des attributions de rôles plus ou moins négociées, et des savoir-faire préalables des acteurs impliqués, dans un contexte où s’opposent, de fait, un modèle de communication promotionnelle et un modèle de médiation revendiquant non seulement une distanciation, mais également des logiques propres au média et à la médiation. Marie-Noëlle Doutreix, Simon Gadras, Isabelle Hare et Anne-Lise Touboul se sont intéressés à une résidence croisée journaliste-chercheur·e et questionnent les représentations en jeu dans un dispositif de médiation scientifique présenté par ses créateurs comme inédit et innovant. Le dispositif résidentiel est familier dans le secteur culturel, mais représente une certaine nouveauté non seulement dans la culture scientifique, mais également dans une université. Il vise à améliorer le dialogue entre médias et scientifiques, présenté comme largement déficitaire dans la France de l’après Covid-19, et à tout le moins à établir des passerelles entre ces mondes séparés par l’hypothèse d’un malentendu supposé ou d’une incompréhension voire d’un rejet. L’enquête menée dépasse les enjeux de conflictualité et de partenariat entre des acteurs de mondes qui, de fait, communiquent peu, par la prise en compte du rôle des personnels organisateurs de la résidence en tant qu’acteurs intermédiaires, chargés d’une médiation opérationnelle et stratégique liée à la construction du projet plus qu’à la diffusion de savoirs.
Toujours dans le champ scientifique, Cherifa Boukacem Zeghmouri met en évidence une pratique récente dans l’édition académique, au sein de grands groupes occupant une position éminente dans ce domaine : l’Outreach, ou comment ces groupes investissent la vulgarisation scientifique sur le plan éditorial pour revendiquer un surcroît de légitimité lié à leur affichage d’engagement lié aux rapports sciences et société. Bien que représentant, à l’échelle de ces géants éditoriaux, une part infime de leur production éditoriale, l’Outreach peut être considéré comme un marqueur du rôle de la communication scientifique dans la légitimation d’une édition scientifique confrontée à la critique et soucieuse d’afficher son rôle au service de la société, dans une forme de contribution à la restauration de son image symbolique.
Marie Després-Lonnet revisite, dans l’étude de la fabrication de masques en tissu pendant la pandémie de Covid-19, deux notions et modèles qui ont une importance historique dans la recherche sur la relation sciences et société : la distinction entre experts et profanes, et l’opposition entre démarche scientifique raisonnée et bricolage technique. Des couturières bénévoles sont confrontées aux normes de documents de cadrage officiels fondés sur un substrat scientifique, et l’analyse met en évidence les tensions, accommodements et détournements entre savoirs institutionnels et savoirs pratiques. Plus largement, elle relève le rôle de groupes de non-professionnels de la recherche, ici des femmes, dans la diffusion, l’appropriation, la négociation et la stabilisation des connaissances en temps de crise.
Trois articles présentent des recherches sur les médiateurs professionnels. Sébastien Lemerle revient sur une enquête dans le domaine de la médiation des neurosciences pour mettre en évidence les questionnements liés à l’identité professionnelle des médiateurs. Alors que les médiateurs culturels sont généralement présentés comme pratiquant un métier en tension entre intérêts des institutions culturelles et intérêts des mondes sociaux visés par la médiation, les médiateurs scientifiques sont à l’intersection de trois pôles, également en tension : recherche, culture et enseignement. L’approche relève de la sociologie des conventions, au sens de Becker, et la sociologie des professions, dans la perspective d’Abbott. La médiation scientifique est présentée comme une activité́ semi- autonome prenant en compte une pluralité de réalités sociales et de contraintes liées aux mondes mobilisés. Anna Mesclon enquête auprès d’agents d’un Muséum, pris eux aussi en tension entre goût pour la nature et défense de la science face aux visiteurs, et met en évidence la redistribution sociale des visées de la médiation qu’ils exercent. Cette tension s’inscrit dans le cadre plus large de la double visée du musée de science, entre approches « scolastique » et approche « naturaliste », et de son rôle dans la transmission des sciences. Emilie Kohlmann, Aude Inaudi, Amélie Coulbaut-Lazzarini, à partir d’une étude sur l’usage du livre dans la médiation scientifique, interrogent le statut du livre dans sa dimension à la fois symbolique et fonctionnelle. Sur le plan symbolique, le livre est un élément de légitimation pour les médiateurs scientifique, non seulement par son contenu, mais par le fait qu’il matérialise des sciences fiables et stabilisées. L’objet-livre est saisi par le prisme du concept d’objet-frontière, avec sa double dimension d’objet banal et d’objet relié à la légitimité du champ scientifique, donnant la possibilité d’articuler différents métiers et compétences de la médiation scientifique.
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Auteurs
Marie-Christine Bordeaux
marie-christine.bordeaux@univ-grenoble-alpes.fr
Mikaël Chambru
Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université Grenoble Alpes, laboratoire Gresec, co-directeur du labex ITTEM. Ses travaux de recherche portent sur la mise en public des sciences et sur les controverses publiques dans les territoires de montagne.
mikael.chambru@univ-grenoble-alpes.fr