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Télévision numérique au Sénégal et promesses politiques

25 Sep, 2023

Résumé

Le Sénégal a débuté un processus de passage des techniques analogiques vers les techniques numériques le 17 juin 2015. La transition s’effectue dans un contexte marqué par la notion d’« innovation » dans les discours politiques. Ceux-ci mettent en évidence le fait que le Sénégal est entré dans « l’ère du numérique ». Il s’agit de comprendre en quoi le numérique pourrait être considéré comme un outil au service des politiques, serait porteur d’enjeux communicationnels et favoriserait le développement économique du pays. L’analyse des discours confronte les promesses de la TNT avec les réalisations. Elle met en évidence le fait que les discours politiques sur la TNT sont fondés sur un fort technodéterminisme.

Mots clés

Audiovisuel, Télévision numérique, discours politiques, déterminisme technique

In English

Title

Digital television in Sénégal and political promises

Abstract

Senegal began a process of transition from analog techniques to digital techniques on June 17, 2015. The transition is taking place in a context marked by the notion of “innovation” in political discourse. These highlight the fact that Senegal has entered the « digital age ». It is a question of understanding how digital can be considered as a tool at the service of policies, would bring communication challenges and would promote the economic development of the country. Discourse analysis confronts the promises of digital terrestrial television with the achievements. It highlights the fact that political discourse on DTT is based on a strong technodeterminism.

Keywords

Audiovisual, digital television, political speeches, technodeterminism

En Español

Título

La televisión digital en Sénégal y las promesas políticas

Resumen

Sénégal inició un proceso de transición de técnicas analógicas a técnicas digitales el 17 de junio de 2015. La transición se produce en un contexto marcado por la noción de « innovación » en el discurso político. Estos destacan el hecho de que Senegal ha entrado en la « era digital ». Se trata de entender cómo la tecnología digital puede ser considerada como una herramienta al servicio de las políticas, traería desafíos de comunicación y promovería el desarrollo económico del país. El análisis del discurso confronta las promesas de la télévisión digital terrestre con los logros. Destaca el hecho de que el discurso político sobre la TDT se basa en un fuerte tecnodeterminismo.

Palabras clave

Audiovisuales, televisión digital, discursos políticos, tecnodeterminismo

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Fall Ngagne, « Télévision numérique au Sénégal et promesses politiques », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°, , p. à , consulté le samedi 27 avril 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2023/varia/television-numerique-au-senegal-et-promesses-politiques/

Introduction

Au début des années 1960, l’audiovisuel sénégalais a été considéré comme un outil au service du développement du pays. La télévision mise en place en 1963 avait une mission d’éducation. Elle sera très vite détournée de son objectif principal pour devenir un instrument de propagande au service du pouvoir politique. Dans les années 2000, la télévision a changé de visage. Elle était considérée comme un outil puissant dans la construction d’une société démocratique.

L’arrivée au pouvoir du président Abdoulaye Wade a accéléré le pluralisme médiatique. Le paysage audiovisuel passe d’une seule chaîne de télévision en 2000 à plus de dix en 2010. En 2015, la télévision est entrée dans une nouvelle phase. Le Sénégal a entamé son processus de transition vers le numérique : il consiste entre autres à moderniser et à relancer le secteur audiovisuel. Le contexte socio-politique qui a accompagné l’arrivée de la TNT est marqué par un discours technophile et technodéterministe. Les acteurs politiques prédisent la transformation du secteur audiovisuel comme si la télévision numérique constituait un tremplin pour le développement du secteur de l’audiovisuel. Ces façons d’envisager le numérique aboutit surtout à se contenter de visions technocentrées (Miège, 2020, p.19). La TNT fait partie de la stratégie « Sénégal numérique 2025 » qui est un axe principal du Plan Sénégal Émergent (PSE) [1]. Elle incarne l’ambition du Sénégal de maintenir une position de pays leader innovant en Afrique dans le domaine du numérique. Selon les acteurs politiques, la TNT constitue une opportunité pour dynamiser le paysage médiatique. C’est aussi pour eux un moyen de développer une économie numérique grâce à l’accroissement du réseau internet (George, 2008, vol.2, n°2). Sans aucun recul, les acteurs politiques, avec l’arrivée de la TNT, avaient promis des changements conséquents dans le secteur de l’audiovisuel (Walfquotidien, 29 janvier, 2014). Cet article vise à analyser les discours politiques lors de l’avènement de la TNT au Sénégal en 2015, discours qui annoncent un changement structurel dans le secteur audiovisuel.

Dans plusieurs discours politiques, la TNT est présentée comme une opportunité de croissance économique et de création d’emplois. La question est alors de savoir si l’arrivée de la télévision numérique conduit réellement à créer de nouveaux métiers dans le secteur audiovisuel. Peut-elle dynamiser l’audiovisuel en favorisant la création de nouvelles chaînes de télévision ? Des changements ont-ils été notés dans le secteur de l’audiovisuel après l’arrivée de la télévision numérique en 2015 ? Notre hypothèse centrale est que les acteurs politiques ont profité de l’avènement de la TNT pour annoncer des réformes en trompe-l’œil dans le secteur audiovisuel. Il existe donc un écart entre les discours et la réalité du développement de la filière audiovisuelle. Cette hypothèse renvoie à un cadre théorique centré sur les industries culturelles en général, et les industries audiovisuelles et leur intégration dans les Tic en particulier. Concernant le choix de l’analyse de discours, notre étude s’inscrit dans un cadre pragmatique. Les discours politiques prononcés lors de la mise en place de la télévision numérique terrestre font l’objet d’une analyse contextuelle. La dimension pragmatique analyse les énoncés des discours sous l’angle de la prise en compte des locuteurs et de l’analyse du contexte. Comme le souligne (Metzger, 2019, p. 60), « la pragmatique a ainsi deux objectifs : définir les actes de discours ; autrement dit caractériser le contexte et identifier la proposition formulée par un énoncé déterminé. En ce qui concerne les actes de discours, le problème est d’identifier les conditions nécessaires à leur accomplissement ». Les discours produits dans le contexte d’« innovation » ont pour objectif la crédibilisation des actions politiques. Le discours comme « unité de langage » est un outil de positionnement et de représentation. Il est souvent porteur d’idéologie et d’imaginaire (Charaudeau, 2014, p. 184) d’où l’intérêt de l’analyser. C’est ce qui amène (Dorna ; Georget, 2007, pp. 23-28) à affirmer qu’« un discours politique n’est pas un discours comme les autres. La raison en est simple : l’enjeu essentiel du discours politique est la recherche de l’approbation sous la forme d’une propagande de masses. Le but est de créer les conditions pour installer une idéologie (représentation collective) concernant le changement ou le maintien d’une réalité humaine à un moment donné, ou d’une certaine forme de pouvoir et d’organisation de la cité ». La maîtrise du contexte et l’environnement de production des discours donnent la possibilité d’en saisir le sens et de découvrir les présupposés sous le langage. Comme Gerstlé et Piar (2016, p. 20) le soulignent, « ce n’est pas le contenu du message ni la structure d’un système de communication qui sont ici en cause, mais bien la forme de la relation sociale qui s’établit à l’occasion de la communication ».

La constitution d’un corpus portant sur la télévision numérique terrestre s’est réalisée à partir des discours produits dans une période déterminée, c’est-à-dire celle qui a précédé et celle qui a suivi le lancement de la télévision numérique. Pour la constitution du corpus, nous avons pris en compte les entretiens, les interviews et les allocutions prononcées par les membres du gouvernement, les membres du conseil de régulation de l’audiovisuel et les experts du Comité National de pilotage de la Transition de l’Analogique vers le Numérique (CONTAN). Ainsi, après avoir procédé à un dépouillement des archives de discours sur la TNT, nous avons établi un corpus composé de 15 discours entre 2010 et 2018 (Cf. tableau ci-dessous). Il permet ainsi de faire des allers et retours entre l’observation du corpus global et l’analyse plus qualitative des discours. Nos sources viennent principalement des sites internet (journaux, institutions publiques et privées) et des personnes ressources (rapports, documents). Le corpus de discours politiques est réparti en trois catégories : le discours des autorités politiques, le discours des membres du Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) et le discours des experts du CONTAN. La catégorisation souligne les différences, les ressemblances et les spécificités entre les discours. Pour l’exploitation du corpus, nous avons mobilisé le logiciel libre Iramuteq qui est un outil d’analyse statistique [2].

Nom et Fonction Genre Sources et date
Babacar Touré, président du CNRA et du CONTAN Allocution Source : Cnra, 17juin 2015 (http://www.cnra.)
Macky Sall, président de la République Allocution Source : 17 juin 2015 (Source  http://www.cnra.)
Moustapha Guirassy Ministre de la communication et des Télécommunications Allocution Source : Osiris, 25 octobre 2010 (http://www.osiris.sn/Discours-du-Ministre-de-la.html°)
Amadou Top, Directeur exécutif du CONTAN  Interview Source : Le Soleil, 17 juin 2015 (http://www.osiris.sn/Amadou-Top-Directeur-excecutif-du.html)
Amadou Top, Directeur Exécutif du CONTAN Interview Source : Xalima news30 janvier 2014, (https://www.xalimasn.com/amadou-top-directeur-executif-du-contan-l)
Mamadou Baal, expert audiovisuel et membre du CONTAN Interview Source : Socialnetling, 27 mai 2019 (https://www.socialnetlink.org/2019/05/27)
Amadou Top, Directeur exécutif du CONTAN  Interview Source : Sud quotidien 30 janvier 2014 (https://www.seneplus.com/article/%C2%AB-i)
Babacar Touré, président du CNRA et du CONTAN Allocution Source : Cnra, 13 mai 2015 http://www.cnra.sn/do/remise-du-rapport-annuel-2014-du-cnra-discours)
Babacar Touré, président du CNRA et du CONTAN Allocution Source : Cnra, 7 décembre 2016 (http://www.cnra.sn/do/download/discours-du-president-du-cnra-remise-du-rapport-2015/)
Ibrahima FALL, Coordinateur de la cellule des affaires juridique du ministère de l’économie numérique et de télécommunication Entretien Par nos soins
Ouseynou Dieng directeur de la communication au ministère de la communication Interview Source : Africtelegraph.com, 20 septembre 2018 (https://africtelegraph.com/ousseynou-dieng-nouveau-directeur-de-la-communication-au-senegal/)
Abdou Aziz Wone, expert audiovisuel Interview  Source : Seneweb, 17 mars 2015 (https://www.seneweb.com/news/Technologie/les-non-dits-de-la-tnt-au-senegal-par-ab_n_150529.html)
Mamadou Baal, expert audiovisuel, membre du contan Interview Source : allafrica.com, 6 novembre 2012 (https://fr.allafrica.com/stories/201211070025.html)
Macky Sall, président de la République Allocution Source : presidence.sn, 23 juin 2016 (https://www.presidence.sn/actualites/discours-du-president-de-la-republique-a-loccasion-du-forum-du-numerique_1160)
Amadou Top, Directeur exécutif du CONTAN  Interview (Source : l’Observateur, 9 février 2015) http://www.osiris.sn/Entretien-exclusif-Amadou-Top.html

Tableau n°1- Liste des allocutions et interviews mobilisés pour la constitution du corpus

En plus de ce corpus, nous avons effectué 19 entretiens semi-directifs que nous avons menés auprès des autorités politiques, des experts, des diffuseurs, des producteurs, des universitaires et des journalistes. Sur les 19 entretiens, 10 ont été mobilisés dans le cadre de cet article (cf. tableau ci-dessous).

Prénom, Nom Statut Contexte
Mamadou Baal Expert audiovisuel, ancien membre du Contan

Entretien réalisé fin 2019 début 2020. 

5 ans après le basculement de la télévision sénégalaise de l’analogique vers le numérique.

Ouseynou Dieng Directeur de la communication au ministère de la communication et de la culture
Ibrahima FALL Coordonnateur de la cellule des affaires juridiques du ministère de l’économie numérique et de la télécommunication.
Mountaga Cissé Consultant Web, spécialiste presse en ligne
Jean Meissa Diop Ancien membre du CNRA
Daour Diène Responsable service informatique, Walftv
Mamadou IBRA Kane  Président du patronat de la presse le CDEPS (Conseil des Diffuseurs et Éditeurs de Presse du Sénégal)
Mamadou Ndiaye Enseignant chercheur en SIC au Cesti
Alioune Ndiaye Producteur audiovisuel
Abdoul Ahad Wone Producteur audiovisuel et cinématographique

Tableau n°2 – Liste des entretiens mobilisés

Dans cet article, nous analysons les discours politiques de la TNT. Son objet est ainsi de montrer le fossé entre les promesses et les actes, promesses développées autour de l’idée d’« innovation ». L’objectif est également de déconstruire ces discours politiques qui se présentent comme un « vecteur de positionnement » pour les pouvoirs publics (Bouquillion, 2016, pp. 5-19). Pour ce faire, nous présenterons dans une première partie le contexte socio-économique des industries culturelles au Sénégal. Il s’agit d’avoir une approche globale qui permette de comprendre que les difficultés qui secouent la télévision n’épargnent pas les autres secteurs des industries culturelles notamment le cinéma et la musique. Une seconde partie sera consacrée à l’analyse des discours politiques de la TNT annonçant des changements structurels dans le secteur de l’audiovisuel. En étudiant en profondeur ces discours, il est possible de distinguer le discours sur les promesses de création de nouveaux métiers du discours sur les promesses de l’émergence de nouvelles chaînes de télévision et de nouveaux programmes télévisés.

Le contexte socio-économique des industries culturelles au Sénégal

Dans le domaine de la création culturelle et audiovisuelle, le Sénégal s’est toujours distingué sur le plan national et international. Souvent, l’activité audiovisuelle a tendance à se limiter à la télévision. Pourtant, le modèle de flot a émergé avec l’arrivée des radios privées commerciales en 1994. C’est dans les années 1990 que l’ancien président de la République Abdou Diouf avait autorisé une libéralisation progressive de l’audiovisuel. La première radio privée du Sénégal (Sud Fm) a été inaugurée en 1994. Plusieurs radios seront créées au fil des années (Walf FM, 7 FM, RFM, etc.). Le Sénégal compte à ce jour plus de 200 radios réparties dans l’ensemble du territoire national. La télévision publique, apparue en 1963 était contrôlée par les pouvoirs publics. Financée par l’État, elle avait le monopole de la publicité télévisuelle pendant une longue période. Le cinéma et la musique enregistrée ont connu des débuts prometteurs dans les années 1970, mais ils font face actuellement à de nombreuses difficultés au niveau de la production, la diffusion et la distribution. Les secteurs des industries culturelles n’ont pas connu un bouleversement du contexte de mutation technique. Malgré l’arrivée de la TNT, la télévision est toujours traversée par une crise économique (Djimbira, 2016, p. 71). De plus, les mutations n’ont pas affecté les autres secteurs. Le cinéma et la musique enregistrée peinent à développer une économie viable. Ce point historique permet de comprendre que la rencontre entre les industries culturelles et les industries du numérique est loin d’être effective malgré l’avènement de la TNT et les discours optimistes des acteurs politiques.

Le cinéma : un marché inexistant

Le cinéma sénégalais est l’un des plus anciens en Afrique. Le premier court métrage « Afrique-sur-seine » est sorti en 1955, avant les indépendances. Le producteur Paulin Soumanou Vieyra avait défié la loi française qui avait formellement interdit aux citoyens des colonies de produire des films. Ce film était l’une des premières fictions qui relatait le mal être des Africains à Paris. Après l’indépendance, le cinéma sénégalais a connu un essor. Le contexte postcolonial a inspiré des producteurs qui ont voulu à travers le septième art régler des comptes avec l’ancien colonisateur. C’est le cas du film « le mandat » du réalisateur Ousmane Sembène, le premier film tourné en langue nationale wolof. Dans les années 1970, c’était l’âge d’or du cinéma sénégalais, qui a connu un grand succès. Les dernières années ont été marquées par l’arrivée d’une nouvelle génération de cinéastes qui ont participé aux plus grands festivals : Cannes, Venise, Ouagadougou, Carthage etc. En 2017, le film, « Félicité », du réalisateur sénégalais Alain Gomis avait remporté le grand prix du jury à la Berlinale, ce même film a remporté l’Étalon d’or de Yennenga, le grand prix du Fespaco (Festival panafricain du cinéma et de l’audiovisuel de Ouagadougou) (TV5.com, Garnier, 2021). Mais malgré ces succès, depuis des années, le secteur du cinéma est en crise. Son financement est marqué par la fermeture des salles. « La filière cinéma connaît une baisse de la fréquentation des salles depuis les années 1990 dans les pays étudiés [Sénégal]. Celle-ci est passée de 3,5 millions d’entrées en 1995 à 1,6 million en 1999 au Burkina Faso, et de 25 millions d’entrées en 1990 à 10 millions en 2002 au Maroc. Les conditions de réception des œuvres sont jugées non satisfaisantes par les consommateurs. L’ouverture d’un multiplexe à Casablanca offre des conditions de projection conformes aux normes internationales mais ne peut à elle seule enrayer le mouvement dû à la dégradation des salles. Le nombre de salles au Maroc est ainsi passé de 230 en 1990 à 150 en 2003 » (Almeida, Alleman, 2004, p. 32).

Le cinéma ne peut, non plus, compter sur la télévision qui est dans une situation financière délicate. L’aide publique au cinéma n’est pas assez conséquente pour tenir l’économie de toute une filière. En réalité, le cinéma sénégalais n’a pas de marché qui fait interagir toute la chaîne des acteurs : concepteurs, producteurs, diffuseurs, distributeurs et consommateurs : « lorsque le marché et ces acteurs existent, il convient que le cadre de leur activité économique soit légal, base minimale afin de permettre un suivi de leur activité. Or l’économie dite « informelle » règne massivement sur de larges zones du continent et interdit tout recensement sérieux et pérenne, aucun des acteurs n’y ayant intérêt » (Porest, 2012, p. 3).

La musique : un marché local malgré l’internationalisation des artistes

La musique enregistrée est l’un des rares secteurs industriels qui a pendant longtemps permis aux acteurs de générer des revenus importants. La musique sénégalaise a connu ses moments de gloire dans les années 1980 avec l’avènement des maisons de production qui donné l’occasion à plusieurs artistes de se produire. C’est l’époque où les musiciens sénégalais ont découvert le monde, en faisant des tournées en Afrique, en Europe et aux États-Unis. Ce qui a valu à beaucoup d’artistes une reconnaissance internationale. Les artistes comme Youssou Ndour, Thione Seck, Oumar Pêne, Coumba Gawlo etc., ont remporté plusieurs fois des disques d’or et de platine (Ndour, 2012, p. 152). La musique était l’un des rares secteurs industriels où les acteurs gagnaient d’importantes sommes d’argent et en même temps avaient une reconnaissance sociale. La partie production était assurée par des maisons de production comme Studio 2000 et Prince Arts qui avaient une grande capacité de production. Il y avait aussi un public réceptif qui permettait aux artistes de vendre des milliers de CD et de cassettes. Même si la chaîne de production semblait suivre la courbe d’une industrialisation avec la présence d’un marché dynamique (des concepteurs des producteurs, des distributeurs et des consommateurs), le contrôle du marché échappait aux pouvoirs publics. Il était miné par des fausses déclarations sur les cassettes, les contrefaçons et les piratages. « Toutefois, il convient de préciser qu’avec l’instauration des hologrammes (des pastilles irisées à reflets multiples accolées sur chaque cassette pressée), les fausses déclarations ont été atténuées. Aussi, la déclaration des ventes est-elle passée, en un an de 250 000 exemplaires à plus d’un 1 250 000 » (Ndour, 2012, p. 152). En outre, la seconde limite de cette musique reste son contenu typiquement local. Elle est la caractéristique d’un rythme traditionnel qui est exclusivement sénégalais. Ce qui fait que le marché est strictement local.

La télévision : le média dominant au plan socio-économique

C’est dans les années 2000 avec l’avènement des chaînes commerciales que la télévision est incontestablement devenue l’industrie culturelle dominante. Au fil des années, elle se présente comme un enjeu d’investissement stratégique pour les hommes d’affaires. Entre 2003 et 2019, une vingtaine de chaînes de télévision ont été lancées, ce qui a amené une forte concurrence entre les acteurs. Ce secteur, qui est essentiellement nourri par les recettes publicitaires, est déficitaire à cause d’un marché restreint. Les difficultés économiques qui frappent de plein fouet le secteur de la télévision se répercutent sur toute la chaîne de valeur qui est marquée par manque de professionnalisme dans la conception des programmes, une production insuffisante et non diversifiée et une consommation majoritairement gratuite. Les faibles subventions publiques et l’absence de modèle économique viable ne favorisent pas l’existence d’une véritable industrie, malgré l’introduction du numérique à la télévision. Il est aujourd’hui impossible d’évaluer le chiffre d’affaires de ce secteur, encore moins d’estimer son impact sur l’économie nationale. Les chercheurs qui s’intéressent à ce domaine font face à deux obstacles : la rareté des données statistiques et un manque de publications scientifiques. B.Miège fait remarquer que « les données sur les industries culturelles africaines sont rares et dispersées. On trouve surtout des monographies, établies le plus souvent par des professionnels ou des responsables administratifs. Ainsi sur la télévision au Maroc, le cinéma au Burkina-Faso, la musique vivante ou enregistrée au Mali ou en République populaire du Congo, l’édition de livres au Sénégal, la presse dans des pays de l’Est africain ; seule ou à peu près l’Afrique du Sud donne à voir une vision d’ensemble de ses industries culturelles » (Miège, 2006, p. 78).

les promesses de création de nouveaux métiers dans le secteur audiovisuel

Pour reprendre l’hypothèse émise en introduction, les discours politiques qui ont accompagné l’implantation de la TNT sont fondés sur une véritable frénésie technique. À l’aide de discours de promesses, les acteurs politiques présentent la TNT comme une réponse aux problèmes d’emplois. Pour vérifier cette hypothèse, nous allons effectuer une analyse lexicométrique avec le logiciel Iramuteq. Il nous permet de mieux circonscrire les caractéristiques des différents discours pour en saisir les dits et les non-dits (Charaudeau, 2014). Notre objectif consiste à montrer la manière dont les acteurs politiques et les experts, travaillant pour le compte du gouvernement ont structuré « les promesses » de la télévision numérique. Le dendrogramme réalisé à partir de la Classification Hiérarchique Descendante (CHD) donne la possibilité de regrouper dans une même classe les mots et les concepts qui traduisent les promesses liées au développement du secteur de l’audiovisuel adossé à l’arrivée de la télévision numérique. Le corpus qui fait l’objet de notre analyse est composé de 15 textes, répartis en trois catégories : les discours des autorités, le discours des experts agents de l’État et le discours de l’instance de régulation (voir tableau ci-dessus). Ces trois acteurs étaient liés pour faire basculer la télévision sénégalaise de l’analogique au numérique. L’objectif de cette analyse est de mettre en évidence les éléments de langage sur lesquels les autorités se sont appuyées pour « faire croire » aux populations que la TNT va accélérer la croissance de l’audiovisuel. C’est-à-dire créer de nouveaux emplois et générer plus de chaînes de télévision avec des programmes de qualité et avec la mise en place d’une industrie de production.

Le corpus qui fait l’objet de notre analyse comporte 22530 occurrences (suite de caractères non-délimiteurs bornée à ses extrémités par deux caractères délimiteurs de forme), 3419 formes (archétype correspondant aux occurrences identiques dans un corpus de textes) et 634 segments de texte (suite d’occurrences consécutives dans le corpus et non séparées par un séparateur, en général : le point, le point d’interrogation, le point d’exclamation.)

La Classification Hiérarchique Descendante répartit les termes en classes. « Les méthodes de classification automatique, constituent à côté des méthodes factorielles, la seconde grande famille de techniques d’analyse des données. Ces méthodes permettent de représenter les proximités entre les éléments d’un tableau lexical (lignes ou colonnes) par des regroupements ou classes » (Lebart, Salem, 1994, p. 131). Ainsi, la classification obtenue sera représentée sous forme de dendrogramme. « La notion de classe est intuitive (groupes d’individus les plus semblables possible). La description des classes fait appel à des classements de libellés complets et donc facile à lire, ces classements étant fondés sur de simples comparaisons de pourcentages. Il est donc plus facile de décrire des classes qu’un espace continu » (Lebart, Salem, 1994, p. 131).

Figure n°1 – Dendrogramme des thèmes du corpus

La classe 5, (16,5%) du corpus correspond aux termes qui évoquent l’effectivité de la transition numérique. Les autorités évoquent l’effectivité de la télévision numérique sur l’ensemble du territoire national. Le président de la République l’a mentionné dans son discours inaugural de la TNT en 2015 : « j’ai fait confiance à l’expertise nationale sénégalaise, pour la conception et la mise en œuvre de bout en bout du processus qui nous vaut d’être aujourd’hui le seul État francophone et parmi les très rares pays africains, moins d’une dizaine sur les 54 que compte le continent qui ont été en mesure de respecter les engagements pris en 2006 à Genève. C’est une prouesse qui fait notre fierté » (Extrait discours, 2015). Cette classe est principalement constituée de mots qui évoquent l’« innovation » et des termes qui justifient la « réussite » de la « transition numérique ». Le président du CONTAN [3] l’a rappelé dans son discours : « ce 17 juin 2015 notre cher pays, le Sénégal, entre de plain-pied dans l’ère nouvelle de la télévision numérique. Il aura fallu une volonté politique forte pour que soit respectée l’échéance du rendez-vous pris devant la communauté internationale en juin 2006 à Genève […] En ce jour mémorable, nous constatons avec satisfaction la réalité des faits : nous y sommes, nous y voilà » (Extrait discours, 2015).

Nous trouvons, dans cette classe, les mots comme « numérique » 159 fois (le plus cité dans le corpus), « analogique »,« déploiement », « extinction », « arrêter », « basculement », « signal », « diffusion », « décodeur » « couverture », etc. Ainsi le discours des autorités met-il en avant le caractère innovant de la TNT par rapport à l’existant. Les termes « analogique » et « basculement » associés à « extinction » et « arrêt » évoquent l’arrivée du « numérique » dans l’audiovisuel sénégalais.

Figure n°2 – Calcul des spécificités : l’emploi du mot numérique par les différents acteurs

L’analyse des spécificités réalisée sur la fréquence des formes met en évidence la prédominance des mots dans la classe lexicale. Sur le tableau ci-dessus, on remarque l’importance du mot numérique (en rouge) qui a été excessivement employé par les différents acteurs (Experts, CNRA et Politiques).

Les classes 2 (13,9%) et 3 (24,7%) du corpus évoquent les différents acteurs de la télévision. Elles renvoient à la télévision, ses acteurs et son public « opérateur », « Excaf », « Canal », « usagers », « téléspectateurs », « chaîne », « programmes ». Le discours à l’endroit des diffuseurs est essentiellement axé sur les avantages en matière de qualité de son et d’image mais aussi sur l’opportunité qu’offre la TNT à toutes les chaînes d’être visibles sur l’ensemble du territoire national. À ce propos le secrétaire exécutif du CONTAN s’adressait aux diffuseurs en leur disant que : « vous n’avez plus besoin de transporter le signal, on va mettre une infrastructure qui transporte ce signal pour vous. Aujourd’hui, vous payez entre trois cents et quatre cents millions de francs CFA pour monter sur le satellite et couvrir une partie du pays » (Extrait d’interview, 2014). Le discours destiné à persuader les téléspectateurs s’est appuyé sur la notion de « qualité » : qualité de la programmation télévisuelle, qualité des contenus, qualité de l’offre, le rapport qualité-prix, qualité de la télévision, etc.
Les classes 1 (15,1%) et 4 (17,2%) du corpus présentent les différentes instances de la TNT

Elles regroupent les instances chargées de mettre en œuvre les aspects techniques et réglementaires de la transition numérique « Contan », « Cnn », « Cnra », « Tds », « exécutif », « loi », « autorité », « président » etc. Le Sénégal a entamé les premières réflexions sur la TNT en 2010 lors de la création par arrêté du Premier ministre d’un Comité National pour le Numérique (CNN) qui avait élaboré et déposé une stratégie nationale avec des recommandations. Un an après son accession au pouvoir, le président Macky Sall a mis en place le Comité de Pilotage de la Transition de l’Analogique vers le Numérique (CONTAN), le 30 décembre 2013, dans la continuité des travaux du CNN. Les missions assignées au CONTAN consistaient à réaliser le basculement de l’analogique vers le numérique à la date du 17 juin 2015. La gestion de la TNT a été confiée à la Société de Télédiffusion du Sénégal (TDS) créée en 2017. L’objectif de la TDS consiste à faire le transport, le multiplexage et la collecte des signaux télévisuels du Sénégal. Le Conseil National de Régulation (CNRA) est né en 2006. La réforme a été instituée par le président de la République Abdoulaye Wade qui a voulu instaurer un nouvel organe de régulation audiovisuelle qui sera en mesure d’encadrer un secteur en plein expansion, surtout avec l’arrivée des télévisions privées.

La classe 6, (12,6%) évoque la TNT comme facteur de croissance économique. Elle montre les avantages et les opportunités de la télévision numérique : « industrie », « économie », « développement », « emploi », « nouveau » « fonds », « démocratie ». Dans son discours lors de la cérémonie de lancement de la TNT, le président de la République disait ceci avec fierté : « la mise en place d’une infrastructure de Télévision Numérique Terrestre sur l’ensemble du territoire national et leur mise à la disposition des opérateurs de télévision vont avoir un formidable impact sur les investissements et les charges d’exploitation des entreprises audiovisuelles. En effet, jusqu’à ce jour, le titulaire d’une autorisation d’exploitation d’un service audiovisuel était soumis à diverses obligations qui se déclinent en importantes charges » (Extrait discours, CNRA, 2015).

Dans cette classe, les promesses de la TNT concernent notamment la création d’emplois et le développement du secteur audiovisuel. Le président de la République l’avait d’ailleurs précisé lors du lancement de la télévision numérique : « nous avons là, le loisir d’utiliser la télévision non plus seulement comme un outil d’information et de détente, mais aussi et surtout comme un support pour le développement de l’économie numérique, vecteur de croissance par excellence » (Extrait du discours, CNRA, 2015). L’amélioration des modèles économiques des médias était au cœur des réflexions. Les discours politiques font comprendre que l’implantation de la TNT allait immédiatement provoquer l’émergence du secteur audiovisuel.

Nous procédons maintenant à l’analyse des spécificités pour mieux comprendre la façon dont les acteurs évoquent la TNT comme facteur de croissance économique.

Figure n°3 – Calcul des spécificités : TNT facteur de croissance économique

Si les formes observées sont inférieures à 0, on conclura que la forme observée est faible c’est-à-dire qu’elle est mal représentée dans le corpus. Si la forme est supérieure à 1, on dira qu’elle est relativement élevée. Ce qui signifie que la forme est bien représentée dans le corpus. La forme peut être banale si elle se trouve entre 0 et 1, elle a dans ce cas une représentation normale (Lebart ; Salem, 1994, p.176). « La première de ces lectures s’effectue à partir de listes dans lesquelles les diagnostics de spécificité sont classés en premier lieu d’après les formes qu’ils affectent. On peut alors obtenir une caractérisation de chacune des formes du corpus par ses spécificités positives ou négatives dans les différentes parties du corpus » (Lebart, Salem, 1994, p. 177).

Les politiques et le Conseil National de Régulation (CNRA) utilisent de manière abondante le vocabulaire de la croissance économique avec l’utilisation de mots tels que « économique », « nouveau », « développement ». Ces mots dépassent la ligne (0) qui correspond à un usage normal. Certains mots comme « économique » et « nouveau » ont atteint la ligne (2) qui correspond à un emploi excessif. Les vocabulaires « nouveau » et « économique » détiennent respectivement les scores de spécificités les plus importants dans le discours du CNRA et celui des politiques. Cela confirme nos hypothèses de départ qui considéraient que les autorités ont recours à une forme de déterminisme technique pour convaincre le public. Selon Mamadou Baal membre du CONTAN, la TNT « est forcément une révolution technologique, cette technologie permet de transporter plusieurs signaux en même temps, 25 images à la seconde, la camera est suffisamment intelligente pour ne pas filmer une image deux fois de suite, la camera ne saisit que ce qui est encourt de mouvement. C’est ça le fort de la technologie numérique, ça te permet de mettre en semble plusieurs images numériques, plusieurs sons numériques. C’est une révolution en soi mais le plus important c’est l’internet, celui qui n’est pas conscient que l’internet va demain mener le monde, il est à côté, demain l’internet sera dans tout. Avec un décodeur le téléviseur va être comme un écran d’ordinateur » (Extrait d’entretien, 2019).

En effet, les autorités n’ont pas tenu compte des incertitudes de l’« innovation ». La teneur des discours révèle une certaine naïveté qui consiste à croire que l’« innovation » technique va transformer le secteur de l’audiovisuel. Pour Rieffel, l’idée que « les technologies numériques déterminent les manières d’agir des individus, mais aussi l’organisation de la société, revient très souvent à tomber dans l’ornière d’une vision mécanique et simpliste des relations entre technique et société » (Rieffel, 2014, p. 39).

Ainsi, sur le même graphique, on constate un sous-emploi des mots « nouveau », « économique », « économie » et « développement », dans le discours des experts. Cela est dû au fait que ces acteurs se donnaient pour rôle d’expliquer la TNT aux citoyens, raison pour laquelle le vocabulaire technique a dominé dans leurs discours.

Figure n°4 – Calcul des spécificités de l’emploi des mots qui font référence aux aspects techniques dans le corpus.

Le tableau révèle que les experts ont utilisé le vocabulaire technique de manière excessive. Les formes observées ont dépassé la ligne (1) ce qui correspond à une utilisation abondante des termes suivants : « Internet », « multiplexeur », « réseau », « débit », « transport signal » et « infrastructure ». Généralement les experts ont eu recours à cette forme de discours pour démontrer l’importance de la TNT. Ils l’ont présentée comme une technique moderne qui va « révolutionner » le secteur médiatique. Par contre, les politiques et le CNRA ont sous-employé le vocabulaire technique comme le montre le schéma ci-dessus.

L’analyse des concordances permet de remarquer avec plus de précision les mots qui accompagnent le vocabulaire faisant référence à la croissance économique. Le concordancier situe les mots dans le texte. « Une concordance est un mode de présentation d’extraits textuels dans lequel est mise en évidence l’unité linguistique recherchée, qu’on appelle le pivot de la concordance. Ce dernier est le plus souvent centré et ses différentes sont alignées verticalement » (Poudat, Landragin, p. 184). Pour mettre en évidence les concordances, nous nous inspirons de l’analyse de Poudat et Landragin, qui ont calculé la concordance à partir de trois éléments : le contexte à gauche, le pivot et le contexte à droite.

Contexte à gauche Pivot Contexte à droite
…créer un environnement propice au développement des tics et des services…
…des sons au niveau de la réception et le développement d’applications interactives de la télévision…
…une grande importance pour le  développement du pays…
…aujourd’hui, si on veut booster le  développement si on veut booster l’émergence… 
…un support pour le  développement  de l’économie numérique…
…sont tout aussi essentiels le développement  de nouveaux services de contenus…
…permettra en partie de financer le développement de la production audiovisuelle…
…chaînes thématiques qui contribuent au développement social et économique…
…orienter vers le développement avec des modèles…
…les médias jouent un rôle dans le développement Économique…
…cela va créer de l’emploi, contribuer au  développement économique et social…

Tableau n°3- Concordance du mot « développement » dans le corpus

Dans le cadre de cet article, le concordancier fournit une visibilité aux mots qui renvoient à l’idée de « croissance économique » dans le corpus. Nous constatons (Tableau n°3) que le terme « développement » est fréquemment utilisé par les acteurs politiques pour montrer que la TNT va accélérer le développement économique des chaînes de télévision ou encore participer activement au développement économique et social du pays. L’audiovisuel n’est plus seulement un instrument au service de la démocratie, il est présenté désormais par les acteurs politiques comme un facteur de développement économique. Le directeur de la communication au ministère de la communication et de la culture estime que la télévision doit être désormais considérée comme un levier économique. La mise en scène du discours politique oscille entre l’ordre de la raison et l’ordre de la passion, mélangeant logos, ethos et pathos pour tenter de répondre à la question qu’est censé se poser le citoyen : « nous avons actuellement 18 chaînes qui se limitaient exclusivement à Dakar avant la TNT. À part la RTS qui avait une couverture totale aujourd’hui la TNT a permis à ces chaînes d’émettre au-delà de Dakar. Nous en réjouissons du point de la contribution à la démocratie, à l’expression des diversités à propager des politiques publiques de développement. Si nous arrivons à réussir la TNT, ça va être une explosion du paysage audiovisuel. La bataille ce n’est pas dans la technologie, c’est aussi dans le contenu. Je suis en train de travailler sur une étude pour arriver à garantir un paysage audiovisuel diversifié qui pourra prévoir de nouvelles chaînes thématiques qui contribuent au développement social et économique, orientées vers le développement avec des modelés économiques adaptés dans le domaine de l’éducation, de la santé, etc. » (Extrait d’entretien, 2019).

Contexte à gauche Pivot Contexte à droite
…des investissements et  emplois dans le secteur…
…un environnement propice à la création d’ emplois
…cela va créer de l’ Emploi Et contribuer à la cohésion sociale…
…pour dire c’est des  emplois qui sont menacés et…
…il y’aura des dizaines voire des milliers d’ emplois qui seront créés…
…on pourra créer des  emplois dans différents domaines
…l’internet haut débit et ça va créer de l’ Emploi parce que c’est des choses fiables…
…les capacités de génération d’ emplois et de richesses sont indiscutable…
…c’est comme ça on va créer de l’ Emploi
…quand on dit, on créera beaucoup d’ Emplois il faut que les gens nous croient…
…créer beaucoup d’ Emplois est une obligation institutionnelle…

Tableau n°4 – Concordance du mot « emploi » dans le corpus

Le problème de l’emploi a été au cœur des discours tout le long du processus de la transition de l’analogique vers le numérique. Ibrahima FALL, coordonnateur de la cellule des affaires juridiques du ministère de l’économie numérique et de la télécommunication souligne l’importance que l’État du Sénégal accorde à l’économie numérique : « la TNT est une révolution, c’est une révolution par rapport à l’analogique. En termes d’opportunité le numérique offre plus que l’analogique. Le numérique peut atteindre des cibles que l’analogique ne peut pas atteindre, c’est ça la révolution. Aujourd’hui, si on prend par exemple notre vécu quotidien, nous sommes submergés par le numérique et tout est en train d’être dématérialisé avec le numérique. Aujourd’hui si on veut booster le développement, si on veut booster l’émergence, il faut que le numérique soit au cœur de tous les projets, au cœur de toutes les politiques publiques de l’État du Sénégal. Donc la télévision numérique terrestre ne peut pas être en reste par rapport à ça. Aujourd’hui l’État a compris que ce cap doit aller de l’avant » (Extrait d’entretien, 2019). Pour convaincre le public de la pertinence du projet, les acteurs politiques ont fait recours à des valeurs de bien-être. La TNT est présentée comme un projet qui pourrait favoriser la croissance économique du secteur de l’audiovisuel, en créant de nombreuses opportunités d’emplois. Dans ce cas, « la vérité ne serait plus un ‘’être vrai’’ mais un ‘’croire vrai’’ qui relèverait non plus de l’évidence mais de la conviction des sujets qui s’y trouvent confrontés » (Charaudeau, 2014, p. 162). La concordance indique que le mot « emploi » a eu droit à tous les attributs dans les discours politiques. L’utilisation de ce terme est déterminante dans ce contexte social difficile pour les acteurs des médias. C’est un discours positif qui écarte toute opposition même chez les détracteurs. Cependant, l’analyse a révélé que la vérité des propos ne se fonde que sur des suppositions. C’est un discours qui est loin d’être pragmatique. Il évoque sans cesse que la TNT va créer de l’emploi, sans jamais prouver de quelle manière les emplois vont être créés. La plupart des discours mettent l’accent sur l’aspect matériel, comme si la réussite de la TNT ne devait dépendre que de la technique. D’ailleurs, à ce propos, B.Miège s’interroge : « dans le travail comme dans la vie quotidienne, peut-on faire dépendre toute une série de mutations sociales de changements majeurs d’un paradigme technique ? L’histoire de l’électricité, comme celle des chemins de fer puis de l’automobile, incitent à quelque prudence méthodologique » (Miège, 2003, p. 211-229).

Contexte à gauche Pivot Contexte à droite
…la révolution économique sociale et culturelle sont sommes déjà dans…
…aux multiples enjeux économiques Industriels mais aussi socioculturels…
…Excaf avait le meilleur modèle économique
…avec des fortunes sociales économiques et diverses…
…les enjeux  économiques notamment industriels sont primordiaux…
…l’horizon pour les acteurs économiques doit être fixé…
…chaînes thématiques…au développement économique orientées vers le développement…
…avec des modèles  économiques adaptés dans le domaine de l’éducation…
…le numérique est en train de transformer la vie  économique
…les médias jouent un rôle dans le développement économique , c’est vraiment le facteur décisif…
…une nouvelle économie avec de nouveaux marchés…
…l’avènement d’une nouvelle économie dans laquelle l’émergence entre médias…
…pour le développement de l’ économie vecteur de croissance…
…faire tout pour que l’ économie numérique soit une effectivité dans ce pays…
…pour qu’on ait une  économie pour que chaque acteur puisse y trouver…

 Tableau n°5- Discours pourtant sur l’avènement d’une nouvelle économie : concordance des mots « économique et économie » dans le corpus

Le discours des acteurs politiques est marqué par une vision technodéterministe de l’économie numérique. Ils estiment que la TNT va non seulement permettre le développement économique de l’audiovisuel, mais accélérer également le développement socioculturel. L’analyse des concordances nous a permis de démontrer que les arguments des acteurs politiques portent essentiellement sur des promesses liées à ce que la TNT va a priori apporter au pays. L’économie numérique est depuis quelques années un enjeu pour le gouvernement. L’État l’a positionnée comme levier stratégique pour la mise en œuvre du Plan Sénégal Émergent (PSE). Le président de la République réitère son engagement à faire du numérique un vivier économique : « vous êtes nombreux à vouloir faire du numérique une opportunité d’affaire, de création d’emplois et de richesses. Alors, vous trouvez en moi un appui sans réserve. Ainsi, je veillerai au renforcement des capacités des jeunes sénégalais qui interviennent dans le numérique. Le premier levier est la formation pour développer les compétences requises et impulser la créativité et l’innovation. À cet égard, il est prévu, dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie Sénégal numérique 2025, la formation de 3000 personnes, par an, qualifiées dans les métiers liés à l’externalisation ou la sous-traitance ; l’octroi de 300 bourses d’études par an dans le domaine du numérique et la formation de 1000 personnes par an à l’entreprenariat numérique » (Extrait discours, 2016). La politique du gouvernement dans ce domaine est pilotée par le ministère de l’économie numérique. « Il importe aussi de rappeler que le succès de l’expression de société de l’information ne peut pas s’expliquer sans être contextualisé au sein d’un vaste ensemble de discours sur les Tic qui ont annoncé des changements économiques, politiques ou sociaux » (George, 2006, p. 1). Au-delà de l’audiovisuel, le gouvernement souhaite sa généralisation dans tous les secteurs d’activité. La communication autour de l’économie numérique répond donc à un agenda politique. L’argument vise à orienter les systèmes de valeurs vers le tout numérique. Il convient à présent d’analyser les discours sur l’avènement de nouvelles chaînes dans le paysage médiatique dans le contexte TNT.

L’avènement de nouvelles chaînes dans le paysage médiatique : fossé entre les discours et les actes

La possibilité de regarder plusieurs chaînes de télévision est l’un des arguments utilisés pour justifier l’implantation de la télévision numérique. Ainsi, les arguments relatifs à l’élargissement de l’offre audiovisuelle et à l’arrivée de nouveaux acteurs privés dans le secteur audiovisuel sont très présents dans le discours officiel. Les acteurs politiques ont promis au public un plus grand nombre de chaînes généralistes, thématiques, nationales et régionales, ainsi que la télévision connectée. Dans une interview qu’il avait accordée au quotidien Walfadri, le directeur exécutif du CONTAN, Amadou Top, listait les nombreux avantages de la TNT : « On pourra avoir vingt chaînes. Donc, il va y avoir beaucoup de libération de fréquences. Il n’y a que 16 chaînes qui fonctionnent actuellement. Cela veut dire que, sur un seul canal, on peut mettre beaucoup de chaînes. Or, nous avons quatre canaux qui vont être libérés, dans un premier temps, et sur lesquels nous pouvons mettre quatre-vingt chaînes de télévisions. Plus une autre partie que nous allons utiliser » (Walfquotidien, 29 janvier 2014). Malgré les avantages annoncés par les autorités, le secteur de l’audiovisuel n’a pas attiré beaucoup d’investisseurs. Deux chaînes seulement ont fait leur entrée dans le bouquet depuis 2015, date de l’inauguration de la TNT. Il s’agit de la 7TV et d’ITV. Les chaînes thématiques et les chaînes d’information en continu sont pour le moment inexistantes. La TNT permet certes aux groupes audiovisuels de créer des chaînes à moindre coût, mais il ne suffit pas de disposer une technologie pour diffuser plusieurs télévisions. Il faut également que l’environnement audiovisuel offre les garanties pour permettre aux diffuseurs et autres investisseurs de saisir les opportunités.

Les discours politiques insistent sur les changements dans le paysage audiovisuel avec l’arrivée de la TNT. Pour les autorités, l’enjeu est de transformer l’audiovisuel sénégalais. Les discours sur la « nouveauté » abondent. C’est une chose de mettre en place la TNT, mais c’en est une autre d’avoir des résultats probants. F.Jost fait remarquer que « savoir ce qu’une nouvelle technologie change à un média ancien n’est pas simple. D’une part, parce que les effets n’en sont pas forcément immédiatement visibles, d’autre part, parce que les potentialités qu’elle offre ne sont pas toujours celles qui rencontrent du succès auprès des usagers. Par exemple, qu’un téléspectateur accède aujourd’hui à 150 chaînes n’entraîne pas pour autant qu’il les regarde toutes » (Jost, 2019, pp. 17-31).

La TNT telle qu’elle est présentée cherche l’adhésion des usagers. Ce discours centré sur la nouveauté façonne les réactions du public. Il dispose d’une certaine crédibilité auprès des journalistes qui s’inscrivent dans un temps court rendant difficile la recherche de vérité (Charaudeau, 2006, p. 2). Face à l’« innovation. », les médias sont aussi euphoriques que les politiques, ils relatent les propos de ces derniers sans aucun recul. Le directeur exécutif du CONTAN déclarait ceci : « il n’y aura pas une seule parcelle du pays qui ne sera pas couverte. Il [le public] va avoir une télévision sur laquelle, il va avoir plus de chaînes. Parce que nous allons avoir jusqu’à 40 chaînes et plus. On n’aura plus ce problème de manque de fréquences. Il va avoir des bouquets s’il le désire. Il va avoir la possibilité d’avoir l’Internet sur sa télévision, il va avoir la possibilité de faire de la télévision de rattrapage. Cela veut dire que vous êtes en train de regarder votre télé, il y a une image qui vous a échappé. Si vous voulez la revoir, faites revenir l’image pour mieux la comprendre » (Walfquotidien, 29 janvier 2014).
L’élargissement de l’offre devait permettre aux téléspectateurs de bénéficier de nouvelles chaînes thématiques sur la TNT gratuite. Lors de la cérémonie de lancement de la télévision numérique le 17 juin 2015, le président de la République annonçait ce à quoi devrait ressembler l’audiovisuel sénégalais avec la TNT. « Je souhaite que les capacités d’exploiter de quelques canaux pour diffuser de nombreuses chaînes de télévision, soient judicieusement exploitées pour enrichir le panorama audiovisuel par des chaînes thématiques dans les secteurs de l’éducation, de la santé, du tourisme, de l’agriculture, de l’environnement et de la bonne gouvernance, entre autres » (Extrait discours, CNRA, 2015). Ainsi, 19 chaînes de télévision généralistes et trois chaînes régionales diffusaient en analogique. C’est le même nombre de chaînes qui a intégré le bouquet TNT. Il n’y a pas eu de nouvelles chaînes le jour du lancement de la TNT. Le seul élément nouveau est que les chaînes sont désormais dans un même bouquet. Cependant, il a fallu attendre cinq ans avant qu’une nouvelle chaîne rejoigne le bouquet de la TNT gratuite. « On n’a pas constaté cette évolution. Au Sénégal, on avait, au moins une vingtaine de chaînes avant le lancement de la TNT. Et c’est toujours le cas. On a presque 17 à 18 chaînes de télévision qui sont sur la TNT. Il y a eu une ou deux nouvelles chaînes de télévision entre le lancement en 2015 et aujourd’hui. Il n’y a pas eu d’évolution majeure » (Extrait d’entretien, 2019). Le constat que Jean Meissa Diop, ancien membre du CNRA a fait, est que la TNT n’a pas vraiment créé un engouement auprès des diffuseurs. « Même tous ceux qui se sont précipités pour demander à monter sur la TNT, ils n’ont pas encore répondu à cette question-là. À mon avis, je n’ai pas vu de changement en termes de contenus qui permet de dire que c’est grâce à l’avènement de la TNT. Les télés auraient pu élaborer des contenus qui répondent mieux aux exigences de la TNT. Mais on fonctionne encore comme à l’ancien système. Comme si rien n’avait changé, comme si aucune opportunité n’avait été créée. Les télévisions n’ont pas saisi l’enjeu » (Extrait d’entretien, 2019).
La plupart d’entre eux n’ont pas jugé opportun d’accroître leurs bénéfices en créant d’autres chaînes. Même si c’est possible sur le plan technique grâce à la TNT, mais ce n’est pas faisable pour des contraintes financières. Le responsable informatique de WALFTV estime que la création de chaînes thématiques n’est pas envisageable pour le moment : « il y avait un coût avec la diffusion analogique, il fallait louer des fréquences. Maintenant, la diffusion est moins coûteuse. De plus, c’est plus facile de créer des chaînes de télévisions avec le numérique » (Extrait d’entretien, 2019). Le contexte médiatique n’a pas réellement changé. Entre 2015, date du lancement de la TNT et 2021, deux chaînes de télévision généralistes ont fait leur entrée dans le bouquet TNT. Pourtant, une bonne partie des discours d’actualité produits mettaient l’accent sur la possibilité de créer de nouvelles chaînes de télévision pour favoriser un paysage audiovisuel pluriel. Les chaînes historiques semblent ne pas être séduites par l’offre de la TNT, ou du moins, elles n’en voient pas la nécessité.

Les promesses relatives au renouveau de la programmation télévisuelle

Dans son discours au moment du lancement de la télévision numérique, le président de la République Macky Sall avait beaucoup insisté sur la programmation télévisuelle. Il affirmait fièrement que « l’enjeu des infrastructures étant pour l’essentiel maitrisé, il nous faut à présent nous engager résolument dans la perspective de la production de contenus audiovisuels de qualité, conformes aux attentes de nos populations et apte à propulser l’industrie prometteuse de l’audiovisuel, dont les capacités de génération d’emplois et de richesse sont indiscutables » (Extrait du discours, CNRA 2015). Les changements dans l’offre de programme ont fait l’objet de nombreuses promesses dans les discours d’accompagnement dans le contexte de la TNT. Les acteurs politiques considèrent que la télévision numérique doit de facto, dès son installation, transformer l’audiovisuel sénégalais. L’objectif consiste à faire croire que la TNT va amener de la qualité dans le secteur audiovisuel. Selon le président du CONTAN, Babacar Touré, c’est « moins que la technologie ou le procédé de diffusion, ce qui reste déterminant, ce seront les contenus, la qualité et la pertinence des programmes que les chaînes de télévision proposeront au public » (Extrait du discours, CNRA, 2015). En mettant en place la TNT, les acteurs politiques pensaient effectuer la partie la plus difficile. Ils exigeaient en retour de la qualité.

Contexte à gauche Pivot Contexte à droite
…une génération de  nouveaux  producteurs qui arrivent sur le marché…
…une nouvelle économie avec de  Nouveaux marchés à très fort potentiels de croissance…
…nous allons vers un  Nouveau paysage audiovisuel…
…c’est un challenge  Nouveau , un nouvel avenir…
…le développement de  Nouveaux services de contenus…
…les  Nouveaux médias qui désormais vont…
…de plus les Nouvelles chaînes de télévision vont…
…la possibilité de développer de Nouveaux services à fort potentiels
…à travers les  Nouvelles Chaînes free to air…
…la qualité et la pertinence des programmes que les chaînes proposeront…
…offrir à leurs téléspectateurs des programmes de haute définition…
…avec une variété de programmes
…les téléspectateurs vont faire leurs programmes
…très bientôt tous les  programmes Seront accessibles sur tous les réseaux…

Tableau n°6- Calcul des concordances des mots « nouveau et programme » dans le corpus

Les programmes télévisés à « l’heure du numérique » : peu de changement

La TNT offre certes des opportunités, mais son développement n’a pas « transformé » le secteur audiovisuel. Les changements annoncés au niveau de la programmation et de la production de nouveaux contenus ne sont pas encore effectifs. Jean Meissa Diop ancien membre du CNRA constate que l’arrivée de la TNT n’a pas opéré de changement. « À mon avis, je n’ai pas vu de changements en termes de contenus qui permettent de dire que ça au moins c’est l’avènement de la TNT qui l’a permis. Les télévisions auraient pu élaborer des contenus en fonction du nouvel avènement mais on a fonctionné, fonctionne encore comme à l’ancien comme si rien n’avait changé, comme si aucune opportunité n’avait été créée, les télévisions n’ont pas saisi les enjeux » (Extrait d’entretien, 2019).

Pour les acteurs politiques, la modernité est synonyme de pluralité de l’offre au niveau des programmes. Contre toute attente, l’offre de programme n’a pas suscité beaucoup d’intérêt auprès des diffuseurs. Contrairement à ce qui a été observé en France lors du lancement de la TNT en 2005. La concurrence était rude entre les chaînes de télévision, notamment les chaînes nouvellement autorisées à émettre et les chaînes historiques. La TNT a été pour ces chaînes une occasion de conquérir un nouveau public. Au-delà du message concernant la programmation, le discours d’autopromotion construit simultanément l’identité éditoriale de la nouvelle chaîne et la figure de son public (Ferjoux, 2016, p. 80). Pourtant la programmation à l’heure des techniques numériques pourrait être une véritable préoccupation pour les chaînes de télévision. La situation est difficile surtout si l’on s’en tient au constat que fait Djimbira. Il estime que « le logiciel de production de nos chaînes de télévision repose aujourd’hui sur un système de diffusion de contenus audiovisuels d’une légèreté intellectuelle indescriptible. Il est alimenté par trois rames de mémoire de faible vitesse : la lutte, la danse et la musique » (Djimbira, 2016, p. 11).
La programmation a toujours été le maillon faible de l’audiovisuel sénégalais. Les promesses de programmes de qualité formulées lors de l’avènement de la télévision numérique sont loin d’être réalisables au vu de ce qui se fait actuellement. « Nous avons beaucoup de chaînes de télévision avec peu de nouveaux programmes » (Entretien, 2019). À l’heure actuelle, aucune chaîne ne propose des services « hbbtv » [4] qui offrent la possibilité aux téléspectateurs de bénéficier du guide électronique des programmes, un service d’aide qui devrait être accessible à partir de la télécommande. Les autorités avaient aussi évoqué la mise en place d’un service de vidéo à la demande, une application de retour au début du programme en cours (ou Start-over), des web-radios, des jeux ou un accès aux réseaux sociaux. Six ans après le basculement, les téléspectateurs attendent toujours les premiers services offerts par la télévision. Ils regardent les chaînes de la TNT sans avoir la possibilité d’avoir recours à un service. Or la télévision numérique ne se résume pas à une meilleure qualité de l’image et du son, elle se distingue aussi par les possibilités d’interactivité offertes aux usagers. Mountaga Cissé, spécialiste de la presse en ligne souligne ces manquements : « la TNT ne se limite pas seulement à la diffusion, les acteurs en parlent comme si la TNT doit se limiter uniquement à l’accès au terminal, c’est-à-dire le fait d’avoir la possibilité de regarder la télévision. Il y a pas mal de choses qui doivent accompagner la TNT il y a ce qu’on appelle le guide programme électronique aujourd’hui aucun sénégalais n’a la possibilité de bénéficier de ce service, la possibilité également d’enregistrer un programme ou de programmer l’enregistrement d’un contenu à diffuser donc c’est des choses qui peuvent être utilisées pour la TNT mais qui ne sont pas accompagnées de l’offre actuelle au Sénégal » (Extrait d’entretien, 2019).

Au-delà de l’aspect technique, la TNT présente aussi un enjeu au niveau de la programmation télévisuelle. Elle a été annoncée pour améliorer la programmation. Mais les diffuseurs n’ont adopté aucune stratégie nouvelle. Comme le rappelle Bilé, « le secteur des programmes représente incontestablement la clé de voûte de tout édifice télévisuel quelle que soit la nature de la chaîne. Les autres services de la structure télévisuelle sont mobilisés afin de favoriser la meilleure offre des programmes possibles » (Bilé, 2015, p. 127). Ainsi, malgré l’arrivée de la TNT, les chaînes de télévision perpétuent leur tradition, celle qui consiste à améliorer légèrement chaque année la grille des programmes. Le responsable technique à WALFTV a fait savoir que la TNT n’a aucune influence sur leur façon d’établir les programmes. « Chaque année on essaie d’améliorer le programme. Mais ça n’a rien à voir avec la diffusion sur le numérique ou analogique. C’est un programme que nous utilisons 24h sur 24h, donc ce programme tous les ans, il faudra l’améliorer même sans la TNT, peut-être ce que la TNT pourra offrir en plus c’est la facilité de créer d’autres services supplémentaires » (Extrait d’entretien, 2019).

Contrairement à ce qui a été annoncé par les acteurs politiques, la TNT n’a pas eu d’effet sur l’offre de programme des chaînes de télévision. Le CNRA constate que « notre paysage audiovisuel se révèle riche d’un nombre significatif de chaînes de radiodiffusion mais accuse un manque structurel de diversité et de créativité dans les programmes. Cette situation n’est pas favorable à une saine et stimulante émulation entre les professionnels, au grand dam du public destinataire de l’offre de contenus. L’énergie déployée par ces professionnels est uniquement utilisée à alimenter et à agrémenter des conflits et divergences sur fond d’accusations mutuelles de plagiat et/ou de vol de concepts audiovisuels, au grand détriment des téléspectateurs » (CNRA, 2015, p. 32). Les changements tant annoncés n’ont pas eu lieu. De toute façon, rien ne pourrait augurer de telles mutations dans le secteur audiovisuel sénégalais d’autant que les arguments ont été formulés dans l’incertitude totale. B.Miège défend l’idée selon laquelle les promesses de changement dans les industries culturelles sont souvent alimentées par des suppositions : « d’une part, l’idée que de « nouvelles » industries de la culture et de l’information sont en train où vont se substituer aux « anciennes », voire qu’elles vont les remplacer assez brutalement à l’issue de ce que l’on qualifie parfois d’une « révolution informationnelle, n’est pour l’instant qu’une perspective parmi d’autres, agitée régulièrement par quelques experts ou essayistes répétant à loisir des croyances ou des pronostics, mais sans argumentations assurées » (Miège, 2017, p. 87).

Conclusion

L’analyse que nous avons effectuée à partir d’un corpus de discours officiels a mis en évidence, dans un premier temps, le fait que les promesses ont juste permis de légitimer un dispositif technique. L’arrivée de la TNT n’a pas bouleversé le paysage audiovisuel. La TNT n’a pas intéressé les éditeurs. De plus, seulement deux chaînes ont été créées après le lancement de la TNT en 2015. Par rapport aux chaînes historiques, aucun changement n’a été constaté dans leurs politiques stratégiques. Contrairement à ce que les autorités avaient annoncé, la TNT n’a pas dynamisé l’économie des chaînes de télévision. Elle n’est pas devenue non plus un secteur pourvoyeur d’emplois. A travers la TNT, le pouvoir a voulu montrer que son plan de relance de l’économie fondé sur le numérique est en marche. Pour toutes ces raisons, les autorités ont décidé de développer les techniques numériques. Ainsi, comme c’est souvent le cas pour l’émergence d’une nouvelle technique, l’avènement de la TNT dans le secteur audiovisuel a été ponctué de discours d’accompagnement centrés sur l’innovation. À ce propos P. Bouquillion et I. Pailliart soulignent que « les techniques, les TIC en l’occurrence, sont vues comme ayant des « impacts » sur la vie économique, sociale et politique, comme si le « social » était une matière malléable façonnée par des techniques. Les discours qui envisagent le développement des TIC en termes de « diffusion » ou « d’adoption » s’apparentent à une variable du déterminisme technique » (Bouquillion, Pailliart, 2003, p. 8).

Notes

[1] Le Plan Sénégal Émergent (PSE) est une stratégie décennale sur la période 2014-2023, adossée à une vision, celle d’un Sénégal émergent à l’horizon 2035 à travers trois axes stratégiques qui sont (i) la transformation structurelle de l’économique et de la croissance, (ii) le capital humain, protection sociale et développement durable et (iii) la gouvernance, institutions, paix et sécurité.

[2] Iramuteq est une Interface de R pour les Analyses Multidimensionnelles de Textes et de Questionnaires, son fonctionnement consiste à préparer les données et écrire des scripts qui sont ensuite analysés dans le logiciel statistique R. Les résultats sont finalement affichés par l’interface.

[3] CONTAN, Comité National de Pilotage de la Transition de l’Analogique vers le Numérique, mise en place le 30 décembre 2013.

[4] HbbTV (pour Hybrid Broadcast Broadband TV) « est à la fois un standard industriel et une initiative de promotion d’harmonisation de la diffusion de la télévision et de l’accès internet dans la fourniture de programme au consommateur final à travers les télévisions connectées et les terminaux numérique. HbbTV permet aux chaînes de télévision de publier en plus et en accompagnement de leurs programmes télévisés, des contenus additionnels. Grâce à l’adoption de HbbTV, les téléspectateurs seront en mesure d’accéder à de nouveaux services dont des services de télévision de rattrapage, vidéo à la demande (VoD). » Cf. telesatellite.com URL : https://www.telesatellite.com/lexique/hbbtv/

Références bibliographiques

Bilé, Olivier (2015), Les télévisions africaines face aux défis de la modernité, l’expérience de la CRTV, Paris : L’Harmattan.

Chaniac, Régine ; Jézéquel, Jean-Pierre (2005), La télévision, La Découverte.

Charaudeau, Patrick (2014), Le discours politique les masques du pouvoir, Limoges, Éditions Lambert-Lucas.

Djimbira, Cheikh Mouhamadou (2016), Télévision au Sénégal, entre désert de contenu et richesse intellectuelle, Paris, L’Harmattan.

Boullier, Dominique (2019), Sociologie du numérique, France, Armand Colin.

Flichy, Patrice (2003), L’innovation technique. Récents développements en sciences sociales. Vers une nouvelle théorie de l’innovation, Paris, La Découverte.

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Auteur

Ngagne Fall

Docteur en Sciences de l’information et de la communication, Ater à l’Université Grenoble Alpes, rattaché au laboratoire Gresec (Groupe de recherche sur les enjeux de la communication). Ses travaux portent sur les industries culturelles, les industries audiovisuelles et leur intégration dans les techniques d’information et de communication.
ngagnefall5@yahoo.fr