Accès à l’information : un enjeu de la participation citoyenne au Québec face aux projets miniers en région éloignée
Résumé
Dans le contexte québécois, bien que le Bureau d’audiences publiques en environnement (Bape) jouisse d’une bonne crédibilité en tant qu’institution de participation citoyenne (Gauthier & Simard, 2011), son efficacité fait curieusement défaut dans le cas de l’industrie minière où, malgré certains cas de forte opposition citoyenne, aucun projet d’exploitation n’a été refusé par le gouvernement (Deneault & Sacher, 2012). Cet article pose un regard critique sur les conditions de la participation citoyenne en regard de l’examen de projets miniers au Québec, particulièrement en région éloignée en analysant la mobilisation citoyenne découlant de l’annonce en 2017 du projet Authier Lithium de la minière Sayona Québec Inc. (SQI) en Abitibi.
Mots clés
Industrie minière, participation citoyenne, transparence, consultations publiques, territorialité.
In English
Title
Access to information: challenge for citizen participation in Quebec in relation to mining projects in remote areas
Abstract
In the Quebec context, although the Bureau d’audiences publiques en environnement (Bape) is considered credible as an institution of citizen participation (Gauthier & Simard, 2011), its effectiveness is remarkably lacking in the case of the mining industry where, despite certain cases of strong citizen opposition, no mining project has been refused by the government (Deneault & Sacher, 2012). This article takes a critical look at the conditions of citizen participation regarding the examination of mining projects in Quebec, particularly in remote regions, by analyzing the citizen mobilization resulting from the announcement in 2017 of the Authier Lithium project of the mining company Sayona Quebec Inc. (SQI) in Abitibi.
Keywords
Mining industry, citizen participation, transparency, public consultations, territoriality.
En Español
Título
El acceso a la información: reto para la participación ciudadana en Quebec en relación con los proyectos mineros en zonas remotas
Resumen
En el contexto de Quebec, si bien el Bureau d’audiences publiques en environnement (Bape) tiene de buena credibilidad como institución de participación ciudadana (Gauthier & Simard, 2011), su efectividad es notablemente deficiente en el caso de la industria minera donde, a persar de algunas fuerte oposiciónes ciudadana, el gobierno no ha rechazado ningún proyecto minero (Deneault & Sacher, 2012). Este artículo hace una mirada crítica a las condiciones de participación ciudadana con respecto al examen de proyectos mineros en Quebec, particularmente en regiones remotas con la analiza del case de la movilización ciudadana resultante del anuncio en 2017 del proyecto Authier Lithium de la empresa minera Sayona Quebec. Inc. (SQI) en Abitibi.
Palabras clave
Industria minera, participación ciudadana, transparencia, consultas públicas, territorialidad.
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Germain Sara, , « Accès à l’information : un enjeu de la participation citoyenne au Québec face aux projets miniers en région éloignée », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°23/2, 2022, p.91 à 104, consulté le mercredi 4 décembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2022/supplement-a/acces-a-linformation-un-enjeu-de-la-participation-citoyenne-au-quebec-face-aux-projets-miniers-en-region-eloignee/
Introduction
« C’est plus qu’une question de logique, c’est une question de culture. C’est une culture économique au sein des gouvernements qui les amènent à voir les choses d’une certaine manière […] ils ne se posent pas la question « est-ce qu’on devrait faire un projet minier ou non » c’est : « s’il y a un investisseur qui est prêt à lancer un projet minier, il faut le soutenir » ». Cette citation issue d’un des entretiens avec un militant abitibien illustre une réalité profondément ancrée dans le contexte canadien et québécois.
Depuis maintenant près de 30 ans, le Canada constitue une figure prépondérante au sein du secteur minier avec plus du trois quarts des sièges sociaux des grandes compagnies minières installés à l’intérieur de ses frontières (Revenue of Canada’s Top Mining Companies 2018, s. d.). Pour sa part, le Québec compte le plus grand nombre de mines de minerais métalliques au pays. En outre, en 2018, près de trente projets miniers étaient à l’étude dans la province (Simard, 2018), dont celui en Abitibi d’Authier Lithium de la minière Sayona Québec inc. (SQI), une filiale de l’entreprise australienne Sayona Mining Ltd.
Ce projet est un cas particulièrement intéressant à étudier en raison de la mobilisation citoyenne qu’il a engendrée. A la suite de l’acquisition du projet de mine de lithium par Sayona en 2016, de nombreux citoyens ont fait part de leurs inquiétudes face à la proximité de la mine avec l’esker Saint-Mathieu-Berry, qui fournit une grande partie de la région en eau potable (Deshaies, 2020). Les citoyens se sont ensuite organisés sous le groupe Comité citoyen de protection de l’esker (CCPE) pour réclamer une étude du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (Bape) (Deshaies, 2018C). Avec ces nombreuses années d’activités et sa relative autonomie face au pouvoir politique, le Bape se présente effectivement comme une institution forte et légitime qui incarne un véritable idéal participatif au Québec (Gauthier & Simard, 2011). Si cela s’avère exact pour la majorité des industries, il est important de se questionner sur l’efficacité de ce dispositif dans le cas de l’industrie minière. Bien que les recommandations non contraignantes émises par le Bape pèsent généralement dans les décisions gouvernementales, elles semblent inopérantes dans le cas des projets miniers qui ne sont jamais refusés (Deneault & Sacher, 2012). Cette réalité a entraîné une perte de confiance des citoyens vis-à-vis de l’étude des projets miniers par cette institution, faute de suivi de ces recommandations dans le cas des grands projets miniers (Gendron et al., 2016).
Cet article s’interroge sur les enjeux de la transmission de l’information et son impact sur la mobilisation citoyenne dans le cadre de projets miniers en région éloignée 1. Ce qui ressort de cette étude de cas est la présence d’un déficit démocratique marqué dans les processus participatifs institutionnels, fortement lié à un manque d’accès manifeste des citoyens à l’information.
Cadre conceptuel
Participation citoyenne et « recherche du consensus »
Au Canada et au Québec, la démocratie a pris la forme de la représentativité (Gendron et al., 2016). La participation citoyenne s’insère donc dans des rapports de pouvoir entre représentés et représentants. Dans cet article, deux types de participation seront définis, la participation publique et la participation militante. La participation publique correspond à « l’action de prendre part aux décisions collectives au sein du gouvernement, d’une institution publique ou d’un organisme de la société civile » (Thibault et al., 2000, p. 1) où la société civile représente les citoyens d’un territoire donné (Gendron et al., 2016). La participation publique est « encadré[e] formellement par ceux qui ont le mandat de décider par décision, règlement ou loi » (Thibault et al., 2000, p. 11). De ce fait, ce type de participation est inhérente à l’État et répond à plusieurs règles, établies par le pouvoir public qui dirige et en régule le processus. Au Québec, la participation citoyenne est déjà largement institutionnalisée puisqu’elle s’insère normalement au sein de structures officiels tels que les commissions parlementaires ou encore les forums de citoyens (Tremblay, 2006). Le Bape, en tant qu’instrument de type informatif et communicationnel dans le sens où l’État se retrouve dans l’obligation d’informer les citoyens, est un exemple fort de la participation publique institutionnalisée (Gauthier & Simard, 2011).
La participation militante correspond à une mobilisation qui est instiguée et gérée par des citoyens (Thibault et al., 2000). Même si on peut lui attribuer un caractère moins formel que la participation publique, la participation militante demeure essentielle à une saine démocratie. La perte de confiance face aux institutions publiques est l’une des causes de l’émergence ou de la résurgence ce type de participation (Thibault et al., 2000). Les militants, pour leur part, sont définis comme étant « des personnes privées qui se constituent en public pour discuter de leurs intérêts en faisant usage de la raison et en étant animées par la recherche du consensus » (Robineau cité dans Pailliart, 2018, p. 12). Selon la théorie de mouvements sociaux de Tarrow, la plupart des mouvements plus perturbateurs de l’ordre établi, comme l’est souvent la participation militante, vont se radicaliser, s’institutionnaliser ou disparaître avec le temps (2011).
Les comités citoyens informels dits de vigilance ont déjà subi une forme d’institutionnalisation au Québec à travers les comités de suivi. Souvent supervisés et financés par les promoteurs, ces comités de suivi formés pour représenter les citoyens devant un projet ayant un fort impact socio-environnemental sont largement critiqués puisqu’ils n’offrent pas de réelle alternative au discours officiel prôné par l’industrie minière et sanctionnés par l’État, ce qui correspond à un enjeu essentiel pour les comités de vigilance militants (Gauthier & Simard, 2011).
Transparence et légitimité : l’enjeu de l’accès à l’information
La notion de transparence est comprise dans sa dimension communicationnelle, c’est-à-dire comme « la transmission de l’information » (Allard-Huver, 2013, p. 3). Cette définition est particulièrement intéressante pour le cas étudié puisqu’elle implique aussi la notion de « conditions » et de « qualités » qui seraient essentielles pour la circulation des informations et la souscription d’une institution à ce principe (Allard-Huver, 2013). La notion de transparence est intimement liée à celle de légitimité puisqu’elle se fonde notamment sur l’ouverture à la participation citoyenne en lien avec des projets que des promoteurs soumettent à la population. Pour être légitime, un projet se doit de mettre en avant les informations nécessaires à une pleine participation des différents groupes de la société civile (Gendron et al., 2016). La participation citoyenne s’insère donc aux carrefours de ces deux notions dans le sens où les différents groupes de la société civile cherchent à « modifier les rapports entre différentes catégories d’acteurs, dans une perspective démocratique » (Tremblay, 2006, p. 8). Les médias sont souvent fortement impliqués dans les processus de légitimation de projet ayant un fort impact social (Thibault et al., 2000). Plus récemment, les médias socionumériques se sont aussi placés comme des intermédiaires dans les processus de transmission de l’information essentielle à l’obtention de la transparence (Allard-Huver, 2013).
Pour se revendiquer légitime au sein d’une société démocratique libérale, un projet qui a de forts impacts sur le territoire doit donc répondre à la société civile à travers une certaine forme d’acceptabilité sociale auprès des citoyens. Plus spécifiquement auprès des membres de la communauté qui seront directement touchés par le projet. Cependant, cette acceptabilité ne peut se réaliser qu’à travers un accès non restreint à l’information (Arnstein, 1969; Thibault et al., 2000). Selon l’échelle d’Arnstein, informer les citoyens constitue la première étape vers une participation citoyenne légitime (1969).
Dans le cas de l’industrie minière au Canada, ce prérequis n’est pas aussi manifeste qu’il peut l’être pour d’autres sphères de la société. À titre d’exemple, on peut citer la modification à la loi sur les mines, déposée par le Parti libéral du Québec (PLQ) en 2015 qui veut que les entreprises minières ne soient plus contraintes à divulguer les informations relatives à leurs productions (Simard, 2018). Toujours selon cette loi, les consultations publiques pour les projets d’exploitation des minerais ayant un volume de production de moins de 2000 tonnes métriques doivent être organisées par le promoteur. On se retrouve donc dans une situation où le promoteur, sans avoir à divulguer ses rapports officiels de production, peut déclarer avoir une production inférieure à 2000 tonnes métriques et procéder lui-même aux processus participatifs visant l’acceptabilité sociale de son projet afin d’obtenir son bail minier du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) (2016). Ainsi, dans les circonstances susmentionnées, il est possible de remettre en question la légitimité des mécanismes de participation publique qui ne semble pas adéquatement encadrer ce type de projet en raison d’un cadre légal excessivement permissif face aux entreprises minières. Il permet et perpétue en outre des rapports de pouvoir inégaux entre les représentants de l’industrie et les citoyens (Simard, 2018). Selon l’échelle de la figure 1, les outils de participation citoyenne pour ce type d’industrie se retrouvent dans une situation de tokenism – ou de participation symbolique – dans le sens où, même s’ils sont consultés, ce qui n’est pas toujours le cas, les citoyens ne savent pas si leur opinion sera réellement entendue par les lieux de pouvoir (Arnstein, 1969).
Dans le cas des mobilisations régionales, les militants doivent souvent remplir le rôle qui incombait précédemment aux médias, c’est-à-dire informer les populations locales des débats publics. Cette réalité se justifie notamment par l’absence de couverture par les médias à l’extérieur de la région, qui pourraient porter ces enjeux à une plus grande portion de la population et ainsi permettre une déterritorialisation des luttes (Flaminio et al., 2018). Le sous-financement chronique des médias régionaux, qui entravent leur capacité à couvrir les actualités, est également un facteur aggravant (Bizamana et Kane, 2019). En effet, en tant que secteur le plus touché économiquement, la presse régionale québécoise arrive difficilement à répondre aux exigences démocratiques. Le Québec est donc aux prises à une forte concentration médiatique dans les grands centres (Bizimana, 2020). De ce fait, les enjeux régionaux qui veulent percer dans la sphère médiatique doivent passer par les centres urbains, généralement Montréal, qui ne sont pas réceptifs face à ces questionnements (Simard, 2018). Cela est principalement dû au fait que les régions éloignées sont très peu peuplées et, par définition, géographiquement très distantes (Bizimana, 2020). De plus, il faut souligner la réticence des militants à médiatiser leurs luttes, particulièrement à travers des médias urbains, en raison du risque de déformation de leurs paroles (Pailliart, 2018). Face à ces obstacles, les citoyens ont souvent recours aux réseaux socio numériques, pour faire part de leurs revendications (Matteau, 2018).
Méthode et corpus
Cet exemple et les observations qui en découlent se fondent sur une recherche documentaire qui couvre la période de février 2018 à mars 2019 – soit du début de l’intensification de la mobilisation citoyenne jusqu’à l’annonce du Bape –, ainsi que sur la réalisation de trois entrevues semi-dirigées avec des membres actifs du CCPE. Dans un premier temps, la recherche documentaire s’est portée sur la couverture médiatique du Projet Authier. Elle s’est réalisée à partir du moteur de recherche Eureka.cc et recueillait les articles de la presse écrite rédigés en français et publiés par un média québécois. Un total de 221 articles a été étudié en fonction de la provenance du média afin d’évaluer plus spécifiquement la couverture médiatique de ce cas selon s’il s’agit d’un média local, régional ou encore provincial.
Les entrevues ont été interprétées à partir d’une démarche d’analyse qualitative de contenu thématique telle qu’elle est entendue par Paillé et Mucchielli, c’est-à-dire comme une technique de « réduction des données ». Par conséquent, sa tâche principale a été de fournir le plus d’informations pertinentes possible sur un phénomène en se concentrant sur l’expérience vécue et non sur sa récurrence (Paillé & Mucchielli, 2012).
Pour ce qui est des thèmes, ces derniers correspondent aux différentes notions abordées dans le cadre conceptuel : la participation publique, la participation militante, la légitimité et la transparence (voir fig. 2). Le logiciel NVivo a été utilisé pour organiser, analyser et codifier les données.
Présentation du cas
Le CCPE a été lancé en 2018 à la suite de la sortie publique d’un lanceur d’alerte qui avait fait part de ses inquiétudes pour la proximité entre le projet d’exploitation minière et l’esker Saint-Mathieu-Berry (Deshaies, 2018A). Malgré le fait que les études pour la mine de SQI – une compagnie junior 2 – aient débuté en 2016, il a fallu attendre deux ans pour que les citoyens soient informés de sa proximité avec l’eskeret ces informations n’ont pu être découvertes que grâce à l’insistance d’un petit groupe de citoyens. Déplorant dès lors le manque de transparence de la minière face à la population de la région de l’Abitibi, ce groupe en appelle à une mobilisation citoyenne.
Les résidents de la région s’inquiètent aussi du fait que, de prime abord, le projet ne passera pas par le processus du Bape puisque le volume d’exploitation déclaré par l’entreprise est de 1900 tonnes métriques de minerais par jour. Ce volume est à peine en dessous de la limite de 2000 tonnes établie dans le Règlement relatif à l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement de certains projets (Règlement québécois LégisQuébec, 2018). De son propre aveu, les responsables de la minière souhaite éviter le Bape en raison des délais que cela entraînerait ; ils soulignent également la nécessité d’aller en opération rapidement, compte-tenu de la volatilité du marché du Lithium (Deshaies, 2018B). Malgré les inquiétudes citoyennes montantes, le projet va de l’avant et le promoteur poursuit son processus d’obtention de son autorisation auprès du MERN. Du 18 mai au 20 août 2018, SQI amorce sa période de consultations publiques sur le projet Authier (MERN, 2016). Au cours de cette période, trois consultations publiques gérées par la compagnie sont organisées auprès des « utilisateurs du territoire » (Sayona Québec Inc, 2018). Les citoyens qui ont pris part aux entrevues font mention de certaines « tactiques d’évitement de la discussion » (intervenant 1) utilisées par le promoteur pendant ces consultations. Parmi celles-ci, les intervenants ont noté la division des questions ainsi que la stratégie des kiosques (voir fig. 3).
C’est lors de ces rencontres que, sous la pression citoyenne, certaines incohérences face au projet commencent à faire surface. Par ailleurs, un mémoire du conseil régional de l’environnement de l’Abitibi-Témiscamingue (CREAT), publié à l’attention des consultations publiques de Sayona, questionne les responsables de la minière sur la divulgation de son évaluation environnementale sans avoir préalablement publié une étude de faisabilité concluante. Selon eux, sans la divulgation de ces résultats, une étude environnementale est obsolète (Bédard et al., 2018). C’est ce manque de transparence, cet « amateurisme », qui encourage les citoyens à s’organiser pour réclamer des réponses :
Mais ce qui a vraiment été l’élément déclencheur, c’est l’amateurisme de Sayona à ce moment-là qui a très mal répondu à nos questions quand il y a eu des assemblées publiques. On voulait avoir des réponses et ils ont évité tout ça […] Ils ne sont pas habitués à se faire questionner en fait. Ils prenaient pour acquis que personne n’allait rien dire (intervenant 2).
C’est au cœur de cette situation que le CCPE s’organise pour réclamer un Bape pour le projet Authier sous l’argumentaire que le projet ne possédait pas l’acceptabilité sociale (Deshaies, 2018B). D’ailleurs, pour les membres du comité, un Bape est une exigence minimale pour les projets miniers, en considérant que les recommandations qui sont émises par cette institution ne sont nullement contraignantes puisque le gouvernement n’est pas dans l’obligation de les suivre pour accepter un projet (Gauthier & Simard, 2011). Selon les trois intervenants, cette demande d’étude indépendante est particulièrement nécessaire dans ce dossier si l’on considère que les trois organismes scientifiques qui ont examiné l’étude environnementale effectuée par le promoteur, parmi lesquels on compte le CREAT, ont jugé que celle-ci présentait « d’importantes lacunes » en plus d’un « manque de rigueur et d’informations » (Bélanger Avocats, 2018).
Le 20 décembre 2018, Sayona dépose officiellement sa demande de certificat d’autorisation auprès du MERN, enclenchant ainsi la période de trois mois accordés à la ministre de l’Environnement pour décider si elle soumettait le projet au Bape en vertu de son pouvoir discrétionnaire (Deshaies, 2018D). À peine 24 heures plus tard, le CCPE faisait une demande d’accès à l’information au ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) dans le but d’obtenir tous les documents visés par la demande de certificat d’autorisation de SQI. C’est en analysant ces documents confidentiels, arrivés deux mois après la demande d’accès à l’information, que le regroupement a découvert que la minière prévoyait de dépasser la limite de 2000 tonnes métriques de minerais par jour lors de sa septième année d’activité, ce qui la rendait automatiquement sujette au Bape. Fort de leur découverte, le comité envoyait une mise en demeure au ministre de l’Environnement le 26 février 2019, l’exhortant à respecter la loi ainsi que la volonté des citoyens qui l’ont élu au pouvoir (Deshaies, 2019). Le ministre avait dix jours pour soumettre le projet Authier au Bape, sans quoi le comité était prêt à enclencher une poursuite judiciaire. Le 5 mars 2019, huit jours après la mise en demeure, le projet Authier était assujetti aux procédures du Bape. Vers la fin du mois de mars, moins d’un mois après l’annonce du Bape, SQI faisait part au gouvernement de son intention d’augmenter ses projections de tonnage à 2600 tonnes métriques de minerais par jour (Paquin, 2019).
Tout au long de ce processus, les citoyens membres du comité se sont heurtés à un manque de transparence de la part des responsables de la minière, mais également des institutions étatiques comme le MERN. Cette opacité des processus est venue remettre en question la légitimité de ce projet, mais aussi de toute l’industrie –les mécanismes mentionnés pour éviter les revendications et les questions des citoyens étant largement institutionnalisés (Deneault & Sacher, 2012). En outre, face à l’absence de réponse de la minière et de l’État, ces citoyens engagés ont dû prendre en charge le rôle de sensibilisation et de relai de l’information. Ce rôle a été d’autant plus critique en raison de l’absence de couverture de cet enjeu par les médias. À cet égard, la page Facebook du comité citoyen, créée en partie pour « informer sur les développements du dossier Authier » (CCPE, 2018), s’est présentée comme un outil important pour la mobilisation citoyenne.
Discussion
Un groupe militant
Dans un premier temps, par sa structure informelle, le CCPE s’inscrit dans une démarche qu’on pourrait qualifier de militante. En effet, même si la revendication première du comité était de soumettre le projet Authier de SQI au Bape, qui constitue lui-même un mécanisme de participation publique (Gauthier & Simard, 2011), le CCPE partait d’une initiative purement citoyenne et est géré entièrement par des citoyens. Cette forme d’indépendance était d’ailleurs un aspect important pour les membres interrogés qui se définissent comme étant « une plateforme citoyenne d’échanges et d’informations, de discussions. Une voix en fait citoyenne » (intervenant 3). C’est pour la réalisation de cet objectif que le CCPE a consacré une bonne partie de son temps à la tenue de sa page Facebook qui permettait d’informer la population ainsi que de coordonner leurs activités. Cette plateforme, qui fonde son modèle sur la gratuité et l’interactivité (Matteau, 2018), a permis aux citoyens de pallier certaines lacunes institutionnelles. Il a été mentionné par l’un des intervenants que l’un des rôles primordiaux du CCPE était la « diffusion de l’information » (intervenant 1). Cet usage de Facebook est aussi intéressant si on prend en compte le vide laissé par les médias dans la couverture de ce cas. Sur plus de 200 000 articles de presse écrite rédigés au Québec et recensés sur la plateforme Eureka.cc pour la période observée, seuls 221 mentionnaient à un certain degré le projet Authier de Sayona Québec. Parmi celles-ci, seuls 68 articles mentionnaient spécifiquement le CCPE alors qu’il s’agissait d’une période d’engagement de haute intensité pour la région et le comité.
Les motivations des instigateurs de ce regroupement sont également propres à une participation plus militante du fait que le CCPE a été lancé parce que ses membres ne croyaient ni en la capacité du promoteur ni en celle du gouvernement d’assurer leurs intérêts.
Accès à l’information : un « enjeu permanent »
A la suite de l’annonce du projet Authier Lithium, la mobilisation citoyenne s’est organisée autour du manque de transparence qui entourait le projet, mettant en évidence le déficit démocratique dans le processus :
Le processus semblait excessivement soumis au cadre du promoteur finalement […] c’était un peu lui qui décidait des règles du jeu. Donc c’était surtout des assemblées publiques où on faisait directement face au promoteur. Où on dépendait pour obtenir l’information
strictement de sa bonne volonté. Et de sa transparence. Et la transparence dans ce dossier-là a été un enjeu permanent à mon avis et à l’avis de plusieurs (intervenant 1).
Les diverses tactiques d’évitement, employées par le promoteur lors des consultations publiques mentionnées précédemment, témoignent effectivement d’un problème plus large lié à un manque de considération de la part des représentants du secteur minier à l’égard des populations locales. En reprenant l’échelle de la participation citoyenne d’Arnstein illustrée à la figure 1, on s’aperçoit que beaucoup des tactiques employées par SQI étaient en fait des formes de participations symboliques qui se caractérisent par une absence de pouvoir pour les citoyens (Arnstein, 1969). Dans ce contexte, « le décideur use d’une autorité totale et […] le contact avec les citoyens n’existe qu’aux seules fins de promouvoir son projet ou d’étudier les citoyens comme des objets ou des clients » (Thibault et al., 2000, p. 13). Considérant que la réussite d’un « processus d’acceptabilité sociale » repose sur le respect de « plusieurs conditions et critères tels que la transparence ainsi qu’une large participation des citoyens concernés » (Gendron et al., 2016, p. 7), on peut remettre en question l’affirmation des promoteurs du projet Authier qui soutenaient que leur projet avait réellement obtenu l’acceptabilité sociale (Deshaies, 2018C).
Si le cas a été somme toute bien couvert par les médias régionaux et locaux, sur les 221 articles de presse observés, seuls 16 provenaient d’un média provincial. Cela démontre que les questions liées à l’industrie minière ne sont que très peu considérées hors de l’échelle locale. Dès lors, la place, dans l’espace public, des enjeux extractifs régionaux se voit grandement réduite :
Mais on a de la difficulté en tant que groupe militant régional à se faire considérer sur la scène québécoise alors que je pense que c’est dans les régions ressources que le pire se produit […] il y a peut-être un travail d’éducation à faire auprès des organismes et juste de la pensée collective citadine (Intervenant 3).
Il importe aussi de préciser que l’Abitibi a été particulièrement touchée par la crise médiatique qui sévit au Québec (Bizimana, 2020). Cela peut s’observer dans la mise à pied de 60% des journalistes qui contribuaient au journal Le Citoyen en 2020 (Parent- Bouchard, 2020). L’analyse des sources documentaires a démontré que la grande majorité des articles traitant du Projet Authier étaient à l’échelle locale, soit 63,8%. Il est à noter que les articles des différentes éditions du journal Le Citoyen ont compté pour 73 des 141 articles traitant du Projet Authier publié à l’échelle locale (voir fig. 4).
Dans ce contexte, il devient considérablement plus difficile pour les citoyens à l’extérieur de la région d’avoir une réelle appréhension des enjeux entraînés par les projets miniers sur le territoire québécois. Au-delà de cette dimension, d’un point de vue local, les difficultés vécues par les médias entravent la diffusion de l’information et cette tendance semble s’aggraver (Bizimana et Kane, 2019). Comme une proportion non-négligeable de la couverture relative au projet Auther a été assurée par Le Citoyen et que le journal a perdu plus de la moitié de ses effectifs, sa capacité à couvrir de futurs projets et mobilisations constitue un réel problème pour les futures mobilisations citoyennes qui surviendront face à des projets miniers en Abitibi.
Conclusion
Il est ressorti de cette recherche que la mobilisation citoyenne dans le cadre de projets miniers en région éloignées est fortement affectée par un accès fortement restreint à l’information. Malgré cet obstacle, les mobilisations citoyennes perdurent tout de même en région. Elles ont même crû en nombre et en intensité au cours des dernières années (Lapierre & Izaguirré-Falardeau, 2020). Ces étapes sont incontournables pour bâtir une réelle intelligence citoyenne et ainsi contribuer à l’émancipation de la région face aux intérêts des entreprises privées (Hansotte, 2004). Cette émancipation ne pourra pourtant pas avoir lieu sans l’instauration d’une plus grande transparence dans l’administration de ce type de projet. Tant que les processus d’acceptabilités sociales seront entravés par un accès à l’information déficitaire, comme ce fut le cas pour le projet Authier, la légitimité de ces projets pourra être remise en cause. Face à ces constats, un ajustement semble nécessaire pour s’assurer d’une plus grande place dans l’espace public des questions liées aux projets miniers en région éloignées.
Mais ce dont cette situation témoigne après tout, c’est surtout d’un attachement profond des citoyens à leur territoire. Un lien qui mérite d’être valorisé et reconnu par la société dans laquelle ils évoluent : « Si on essaie de défendre ce territoire-là, c’est parce qu’on l’aime avant tout » (Intervenant 1).
Notes
[1] Au Québec, les régions éloignées sont déterminées en fonction de l’accès au territoire et la densité de population.
[2] Contrairement à une compagnie minière dûment établie, une mine junior n’a généralement pas sa propre exploitation minière. Il s’agit d’une société qui s’appuie principalement sur le capital-risque pour sécuriser son financement et entreprendre ses opérations minières. Ce type de mine est généralement plus vulnérable financièrement (Deneault & Sacher, 2012).
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Auteure
Sara Germain
Sara Germain est étudiante à la maîtrise en communication (médias socionumériques) de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) et travaille pour l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM). Ses intérêts de recherche sont principalement liés aux techniques numériques, à l’accès à l’information et à la participation citoyenne.
germain.sara@courrier.uqam.ca