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L’indépendance est morte, vive l’indépendance. Entre contraintes matérielles et enjeux symboliques : une analyse de l’évolution de « l’indépendance » dans le rap en France

7 Juin, 2021

Résumé

Cette contribution propose de s’intéresser à l’actuelle hégémonie des « musiques urbaines » dans l’industrie phonographique française en la liant notamment à la notion d’indépendance, mobilisée par un ensemble hétérogène d’acteurs dans le monde social du rap en France. À travers la trajectoire du distributeur français Musicast, mais aussi d’artistes mobilisant la notion d’« indépendance », il s’agira de revenir sur le concomitant développement de la distribution alternative aux majors du disque et des réseaux socionumériques. Ces analyses nous mèneront à esquisser ce qui pourrait être une nouvelle configuration pour les musiques actuelles, entre recentrement des majors sur la distribution et importance croissante des intermédiaires et pure players. Ce faisant, les modalités présentes de « filiarisation » seront étudiées.

Mots clés

« Musiques urbaines », indépendance, distribution, majors, industrie musicale

In English

Title

Independence is dead, long live independence. Between material constraints and symbolic issues: an analysis of the evolution of « independence » in French rap

Abstract

This contribution intends to look at the current hegemony of « urban music » in the phonographic industry by focusing on the notion of independence, mobilised by a heterogeneous group of actors in the social world of rap in France. Through the trajectory of Believe/Musicast, but also of self-identified “independent artists », this paper aims at exploring the concomitant development of independent distribution and social-digital networks. These analyses will lead us to sketch out what could be a new layout for popular music, between the refocusing of the majors on distribution and the growing importance of intermediaries and pure players.

Keywords

« Urban music », independence, distribution, majors, music industry

En Español

Título

La independencia ha muerto, viva la independencia. Entre restricciones materiales y reto simbólicos: un análisis de la evolución de la « independencia » en el rap francés

Resumen

Esta contribución propone examinar la actual hegemonía de la « música urbana » en la industria fonográfica centrándose en la noción de independencia, movilizada por un conjunto heterogéneo de actores en el mundo social del rap en Francia. A través de la trayectoria de Believe/Musicast, pero también de los artistas que se declaran « independientes », el objetivo es echar un vistazo al desarrollo concomitante de la distribución independiente y de las redes sociales-digitales. Estos análisis nos llevarán a esbozar lo que podría ser una nueva configuración para la música actual, entre la reorientación de las majors hacia la distribución y la creciente importancia de los intermediarios y los pure players.

Palabras clave

« Música urbana », independencia, distribución, majors, industria musical

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Garcia Paco, « L’indépendance est morte, vive l’indépendance. Entre contraintes matérielles et enjeux symboliques : une analyse de l’évolution de « l’indépendance » dans le rap en France », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°22/1, , p.19 à 34, consulté le vendredi 15 novembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2021/varia/02-lindependance-est-morte-vive-lindependance-entre-contraintes-materielles-et-enjeux-symboliques-une-analyse-de-levolution-de-lindependance-dans-le-rap-en-france/

Introduction

Un triple constat peut être établi à propos de l’industrie phonographique en France ces dernières années. En premier lieu, le streaming audio, c’est-à-dire l’écoute de musique en flux, est au cœur de la reconfiguration de la filière et à l’origine du retour de sa croissance. Si le principe existe au moins depuis les lancements de Deezer (2007) et de Spotify (2008), ce n’est qu’au 1er janvier 2016 que le Syndicat National de l’Édition Phonographique (Snep) l’adopte comme modèle de consommation, établissant que les streams équivalent à des ventes, comptant de ce fait dans le calcul des certifications d’albums. Cette année-là, l’industrie musicale a retrouvé la croissance, et ce, en grande partie grâce au streaming audio payant [SNE.1] [1], qui représente aujourd’hui 59% du chiffre d’affaires de la musique enregistrée en France [SNE.2]. Le second constat concerne la place centrale des musiques dites « urbaines » dans l’essor du streaming audio en France. En effet, s’il est un genre particulièrement visible dans les charts depuis l’adoption de ce nouveau mode de calcul de la consommation, c’est bien l’« urbain » – comme le nomment les professionnels du disque (Hammou, 2021). Pesant pour un tiers de la consommation sur les plateformes d’écoute en 2016 (Donnat, 2018, p.25), les ventes du genre en furent mécaniquement augmentées dès lors, comme en témoigne le quasi doublement de sa présence dans le « Top 200 » du Snep en une seule année, de 31 albums (2015), à 58 (2016) [SNE.3]. Le retour de la croissance dans l’industrie musicale en France est ainsi marqué par une domination du rap et des genres associés, grâce à un modèle taillé pour les jeunes auditeurs, « surconsommateurs » de musique (Donnat, 2018, p.26), en particulier sur les plateformes numériques (Granjon & Combes, 2007). Troisième constat enfin, cette récente hégémonie commerciale d’un genre auparavant peu présent dans la filière s’accompagne d’un processus d’externalisation, avec l’importance prise des artistes dits « indépendants » lors de la décennie écoulée. Alors que dans les années 1990 et 2000, la majorité des artistes associés aux musiques urbaines connaissant d’importants succès commerciaux était produite par les majors du disque, aujourd’hui, nombre d’artistes se revendiquant « indépendants » dépassent les 50000 ventes nécessaires à la certification d’un album « disque d’or ». Ce processus serait-il l’indice d’un « retournement des rapports de force entre acteurs industriels et créateurs » (Bouquillion, 2012, p.34), ou, du moins, de la désintermédiation promue par les acteurs du « web 2.0 » ? Comment caractériser l’évolution de « l’indépendance » au sein du segment « urbain » depuis ces 20 dernières années et que peut-elle nous apprendre d’une industrie musicale française désormais indissociable du numérique ?

À mesure de son « omniprésence dans les discours des acteurs des industries culturelles » (Noël & Pinto, 2018, p.7), les recherches académiques sur l’indépendance se sont multipliées ces dernières années. C’est ainsi dans un objectif de systématisation que Olivier Alexandre, Sophie Noël et Aurélie Pinto ont dirigé l’ouvrage « Culture et (in)dépendance. Les enjeux de l’indépendance dans les industries culturelles » (2017) s’inscrivant dans la continuité du colloque éponyme, qui s’est déroulé les 26 et 27 novembre 2015 à Paris (LabEx ICCA, 2015). À défaut d’une définition englobante et définitive de l’indépendance, les auteurs s’entendent pour l’appréhender comme « une construction sociale, dépendante d’environnements institutionnels et marchands singuliers, soumise à des enjeux de luttes, des rapports de pouvoir et des systèmes d’opposition spécifiques » (2017, p.10). En d’autres termes, si l’indépendance caractérise l’organisation socio-économique des conditions de création-production, elle est aussi mobilisée par les acteurs, notamment pour définir les genres ou se différencier. À l’indépendance « juridique et capitalistique » (Noël, 2019, p.14) s’ajoute donc l’indépendance artistique (Ibid., p.18) ayant trait aux contenus, et dont les spécificités dépendent filières et des époques. Cette indépendance artistique, qu’elle soit revendiquée à tort ou à raison, revêt une importance stratégique pour les acteurs et se fait principalement « sur le terrain discursif » (Habrand, 2017, p.193).

Ces réflexions ont été précédées par des travaux plus anciens, dont ceux de Bernard Miège (1984), fondateurs de la théorie des industries culturelles. Plaçant le risque au cœur de l’économie des industries culturelles, ils entérinent le caractère aléatoire de la valorisation des œuvres. De ce fait, les filières sont structurées de manière à faire face à cette incertitude : régies par la dialectique dite « du tube et du catalogue », elles s’appuient sur un large vivier de créateurs et sont organisée en oligopole à franges, où quelques grands acteurs dominent de nombreux petits, dont le dénominateur commun est de « ne pas être » les premiers (Pucheu, 2012). En tenant l’aval des filières, les grands acteurs prélèvent une part significative de la valeur ajoutée sur la distribution de contenus dont les coûts et risques de production sont supportés par des marges « en charge de l’innovation » (Benhamou, 2011, p.70). Dans ce modèle théorique, les grands acteurs se limitent à la production de contenus coûteux et destinés à un vaste marché. Sans mobiliser explicitement la notion d’indépendance, les travaux de la théorie des industries culturelles ont ainsi esquissé cette double opposition économique et symbolique (contenus dits « mainstream » versus contenus destinés à des petits segments) entre les deux types d’acteurs. Celle-ci a été explicitée dans de plus récents travaux en Sciences de l’information et de la communication qui, mettant l’accent sur la notion d’indépendance (Bénistant, 2017 ; Guibert, 2006; Pucheu & Matthews, 2006; Robette, 2016) ou s’intéressant au mirage de la désintermédiation (Bullich, 2019; Debruyne, 2004; Negus, 2014), montrent comment les dimensions symboliques et économiques s’imbriquent dans l’industrie musicale contemporaine.

La présente contribution, qui propose de s’intéresser au segment dit « urbain » francophone de l’industrie musicale, postule que l’indépendance est passée d’une existence dans le cadre de marges de la filière phonographique à une mobilisation généralisée, permise notamment par les évolutions au niveau de la distribution-promotion des œuvres. Plus précisément, que les émergences concomitantes des opportunités de distribution alternative aux majors et des réseaux socionumériques ont permis à une nouvelle génération d’artistes de s’insérer dans l’industrie musicale avec succès, et ce, sans être produits par une grande maison de disques. Nous verrons que ce phénomène a été rapidement suivi d’une « dé-intégration » verticale de la filière, sous la forme d’une convergence des modèles d’affaires, de la production phonographique vers celui des « services aux labels ». Permettant certes à un nombre croissant d’acteurs – même les plus insérés – de se revendiquer « indépendants », cette configuration entérine surtout que le risque inhérent aux coûts de production soit du côté des créateurs. C’est in fine le redéploiement du segment « urbain » de l’industrie musicale en France qui sera étudié.

Il s’agira pour cela de revenir sur l’émergence de Musicast, le principal distributeur d’artistes « indépendants urbains » depuis la fin des années 2000, acheté en 2015 par le distributeur numérique Believe Digital. À travers l’étude du « haut du catalogue » de Musicast (puis de Believe/Musicast) ainsi que des entretiens menés avec des acteurs de l’industrie musicale, nous verrons comment des « artistes indépendants » associés au rap ont connu des succès commerciaux auparavant inenvisageables, avant d’esquisser les modalités actuelles de filiarisation du segment « urbain » de l’industrie musicale. Mais au préalable, il convient de revenir sur la notion d’indépendance, qu’il s’agira d’appréhender comme une réalité socio-économique teintée d’enjeux symboliques pour le genre rap en France. À travers notamment une étude d’archives (blogs et médias spécialisés), nous verrons que le genre est constitué, comme champ artistique propre dans les années 1990, entre clivages autour de la notion d’« authenticité » et liens forts avec les majors du disque. Puis, que l’indépendance a été mobilisée comme ressource symbolique dans un contexte de raréfaction des opportunités pour les acteurs du rap français au cours des années 2000. En effet, dans un contexte de « crise du disque », la notion a été d’autant plus revendiquée, et ce, par des acteurs aux positions hétérogènes, comme en témoignent les trajectoires croisées de Booba, un des plus illustres rappeurs en France, et de Menace Records, un éphémère label s’étant construit en opposition aux majors.

Entre idéel et matériel, la construction du segment rap de l’industrie musicale en France

Au sein de l’industrie musicale, l’indépendance émerge aux États-Unis, via « la musique underground de la fin des années 1960 » (Hibbett, 2017, p.36), qui inspire le mouvement punk. En France, le punk rock devient visible à la fin des années 1970 : des artistes se revendiquant indépendants développent tant une sonorité particulière – à rebours du son « propre » des artistes mainstream (Guibert, 2006, p.238) – que des réseaux d’organisation alternatifs, s’appuyant sur un label, un distributeur et un disquaire, ainsi que des liens réguliers avec le public local via concerts, fanzines et radios libres (Ibid., p.240-241). S’organisant dans un esprit « do it yourself », ils s’opposent à un « establishment » (Guibert, 2006, p.237) composé des producteurs et artistes de rock, des médias et des majors de l’époque. Revendiquée alors comme gage d’authenticité de la part d’artistes développant une esthétique nouvelle, l’indépendance est ainsi essentiellement définie par une « opposition structurale au mainstream » (Hibbett, 2017, p.48). De la même façon, le segment rap en France s’est construit, pour reprendre l’expression de Maurice Godelier (1984), tant autour d’enjeux idéels (une « authenticité » agonistique) que d’enjeux matériels caractéristiques des industries culturelles (la surpopulation artistique).

Dès la fin des années 1980, Maître Madj, manager d’Assassin, un des premiers groupes français, déclare vouloir faire « quelque chose inspiré de ce qui s’est fait dans le rock alternatif, les illusions en moins, l’expérience en plus » [DUF.1, p.142]. Pourtant, la première génération de rappeurs en France dépend largement des majors du disque de l’époque, qui distribuent, promeuvent, voire produisent les premiers disques à échelle nationale tel que la compilation Rapattitude (1990, Virgin Records). Si les membres d’Assassin produisent leurs propres albums, ceux-ci sont distribués par Delabel (Virgin), tandis que Authentik de NTM, …De la planète Mars de IAM et Qui sème le vent récolte le tempo de MC Solaar, tous trois sortis en 1991, sont respectivement produits par Epic (Sony), Delabel (Virgin) et Polydor (Universal). Selon Karim Hammou, dont le travail doctoral s’est concentré sur la construction d’une culture professionnelle du rap en France, la presse généraliste adopte, dès 1992, une grille de lecture pour saisir ce genre émergent, distinguant rappeurs « cool » et rappeurs « hardcore » (2009, p.341). Ce clivage, repris par les seconds pour justifier de leur authenticité, mène certains artistes tels que NTM à remettre en question la qualité de rappeur d’autres artistes tels que MC Solaar, alors unanimement qualifié de « cool » dans les médias (Ibid.).

À l’éclosion de la deuxième génération de rappeurs, ce clivage se cristallise entre les (nombreux) artistes « indépendants » et les artistes portés par les majors du disque, qui, bénéficiant notamment de larges diffusions en radio, vendent, entre 1994 et 1997, en moyenne sept fois plus d’albums que les premiers (Ibid., p.304). Or, selon Hammou, alors qu’une chanson publiée par un artiste indépendant avait 2,5 fois plus de chances qu’une chanson publiée par un artiste en major de ne pas comporter de refrain, les titres diffusés en radio avaient, eux, un refrain chanté dans 90% des cas et développaient « des thèmes rejoign[ant] les sujets classiques des variétés internationales – la fête et la danse, la musique, l’amour et la séduction » (Ibid., p.340). L’esthétique des morceaux étant corrélée aux relations contractuelles aux grandes maisons de disques et agissant sur la valorisation des œuvres, le clivage moral autour de l’authenticité se durcit. Ainsi, en 1996, Rohff, alors indépendant, « clashe » Ménélik (signé chez Sony) en reprenant le titre « Tout baigne » à sa façon, quand les marseillais de la Fonky Family affirment défendre le « hip-hop de rue », n’affirmant rien avoir en commun avec le « simple et funky » d’Alliance Ethnik, du nom de leur album produit par Virgin (1997).

Cependant, la fin des années 1990 voit un nombre important d’artistes – autrefois « indépendants » – être intégrés aux majors, vendant des dizaines voire des centaines de milliers d’albums. Disposant de contrats au sein des majors (Guibert, 2000b, p.56), NTM, IAM et le Secteur Ä cooptent un certain nombre d’artistes de leur entourage (dont la Fonky Family), tandis que Hostile Records, lancé en 1996 par EMI, produit Rohff dès son deuxième album (2001). De ce fait, bien que l’« authenticité » joue un rôle prégnant dans sa symbolique (Jouvenet, 2006, p.265‑272), le monde social du rap en France s’est constitué comme segment de l’industrie musicale grâce à des liens forts avec les grandes maisons de disques.

L’indépendance au centre de la (relative) continuité du genre rap dans les années 2000

Bien que traversant un « âge d’or » [ABC.1], le rap en France est largement dépendant des investissements des majors au début du XXIème siècle. Les grandes maisons de disques assurent une distribution des albums dans les points de vente grand public et soutiennent la diffusion de titres en radio, source de rémunération centrale pour les auteurs-interprètes (Beuscart, 2008a, p.72). Or, dans un contexte de « crise du disque », les majors révoquent, à partir de 2002, un certain nombre de contrats d’artistes francophones (Magis & Perticoz, 2020). Ces décisions touchent d’autant plus le rap, que ce genre, historiquement associé à une altérité postcoloniale fait l’objet de polémiques croissantes (Béru, 2008 ; Kokoreff, 2011).

Dans un contexte de raréfaction des opportunités, la thématique de « l’indépendance » va alors se cristalliser, prolongeant le clivage originel de l’authenticité. Dès lors, la notion est mobilisée par un ensemble d’acteurs qui, n’étant produits par une grande maison de disques, ne peuvent profiter du soutien de Skyrock, principale station nationale programmant du rap. À défaut de jouer un nombre substantiel de rappeurs indépendants en journée, la station leur réservait une place lors d’émissions nocturnes, les « émissions spé », créées à la fin des années 1990 [NOI.1]. Or, au cours des années 2000, Skyrock change progressivement sa programmation en faveur d’autres musiques urbaines, notamment « le ragga et le R&B » (Hammou, 2008, p.136), jusqu’à supprimer les « émissions spé » en 2007. Les artistes « indépendants », à l’instar de Booba ou des artistes du label Menace Records, exclus de la playlist de Skyrock, désignent alors Laurent Bouneau, le programmateur de la station, comme responsable du « formatage » des œuvres de rap au profit des « musiques urbaines » mainstream, notamment portées par les majors.

Booba, qui fait ses premiers pas dans le rap avec le duo Lunatic, au sein du collectif 45 Scientific, a toujours affiché des relations tendues tant avec Skyrock qu’avec les majors du disque. Essuyant les refus de ces dernières pour un contrat d’artiste, les membres du 45 Scientific sont contraints de se constituer en label pour sortir Mauvais œil (2000), seul opus de Lunatic, et Temps mort (2002), premier album solo de Booba. Ne profitant que d’un contrat de distribution avec respectivement Warner Music et BMG, les albums ne peuvent ainsi profiter d’une semaine de promotion à l’influente émission « Planète Rap », tandis que les titres ne sont diffusés qu’après que les albums aient déjà réalisé d’importantes ventes [YOU.1]. Booba et ses producteurs dénoncent à ce propos « les directeurs des différentes multinationales » voulant « changer les paroles, les propos, voire même la musique », ainsi que les artistes en maison de disques, qui, selon eux, « formatent leurs titres pour faire plaisir au D.A [directeur artistique], ou à Monsieur Bouneau » [ABC.2]. Séparé du 45 Scientific en 2003, Booba qui produit alors seul ses albums, profite d’un accord de licence avec la major Universal Music, facilitant sa programmation à « Planète Rap » pour les sorties de Panthéon (2004) et Ouest Side (2006), avant de ne plus jamais y apparaître à la suite d’échauffourées avec le public lors d’un concert organisé par la station [BOU.1]. Dès lors, et malgré la diffusion récurrente de titres sur Skyrock, les albums du rappeur originaire des Hauts-de-Seine seront ponctués d’invectives envers la station et son programmateur. En 2014, Booba annonce explicitement vouloir concurrencer Skyrock en créant OKLM Radio, dont le slogan est « Pour nous, par nous ». Bien que la station ait fermé en mars 2020, Booba continue d’être un artiste-entrepreneur majeur affichant, si ce n’est son indépendance totale, sa mobilité au sein du segment : propriétaire du label 92i, distribué par Universal Music France, il est aussi directeur artistique de Piraterie Music, distribué par Because Music.

Dans une autre mesure, le label Menace Records a aussi marqué l’histoire du rap en France par sa mobilisation de l’« indépendance », malgré son existence éphémère. Le label se positionne explicitement contre Skyrock via la sortie Interdit en radio (2003) – dont la pochette est un détournement du logo – mais aussi contre les grandes maisons de disques, comme en témoigne le documentaire retraçant la production de la compilation, intitulé Menace sur les majors et offert pour l’achat du CD. À travers ce projet, Bayes Lebli, le fondateur du label, assume « pousser un gros coup de gueule contre des radios comme Ado FM ou Skyrock, qui ne diffusent pas des rappeurs qui ont déjà sorti des albums et se sont déjà fait une place », pointant du doigt « Laurent Bouneau de Skyrock, monsieur Nardone de S.M.A.L.L. [label de Sony Music ayant notamment lancé NTM], ainsi que toutes les majors » [SKY.1]. Porté par la résonance d’Interdit en Radio, et à la faveur d’un contrat de distribution avec Wagram Music, Menace Records se positionne alors comme une alternative aux grandes maisons de disques [VIC.1], accompagnant quelques projets marquants des années 2000. En 2005, le label produit RUE (2005), album commun de LIM et Alibi Montana, chantres du rap indépendant de l’époque, avant de permettre au premier de placer son album solo Délinquant (2007) en tête des ventes, devançant des artistes tels que James Blunt et Christophe Maé. Étant donné ces premiers succès commerciaux et malgré leur véhémence envers Skyrock, les artistes portés par Menace Records ont pu profiter d’une programmation à l’émission « Planète Rap » dans le cadre de leur promotion. En parallèle, le label distribue Jusqu’à la mort (2007), du collectif Mafia K’1Fry, dont les conditions de sortie en font un évènement notable des rapports entre majors et indépendants. Producteurs de l’album, Hostile Records (EMI) et Jive Epic (Sony), demandent, quelques semaines avant la sortie de l’album, de censurer les paroles d’un titre, ce que refuse le collectif originaire du Val-de-Marne, qui se voit « remettre les bandes » avant de signer avec Menace Records [YOU.2].

Si « l’indépendance » désigne initialement le fait de ne pas être produit par une major du disque, elle ne revêt pas une réalité absolue et linéaire. En l’occurrence, bien que largement marquées par des manifestations d’hostilité envers l’industrie musicale – représentée par Skyrock et les majors du disque –, les trajectoires de Booba et des artistes de Menace Records sont aussi ponctuées par des coopérations avec celle-ci. Mobilisée comme « ressource symbolique » (Noël, 2019, p.4) dans un contexte de marginalisation relative du genre par les majors, l’indépendance participe en un sens à la relative continuité du segment au cours des années 2000.

la distribution hors majors et les réseaux socionumériques, facteurs du développement du segment « urbain » : L’exemple du Believe/Musicast

Si dès 1997, les majors du disque ont « entériné le fait qu’elles n’étaient pas les plus compétentes pour définir la direction artistique de la plupart des disques de rap » (Hammou, 2008, p.140), leur quasi-monopole dans la distribution (Lebrun, 2006) leur confère un pouvoir de gatekeeping important. Peu enclines au risque à partir de 2002, elles investissent dès lors, un peu moins chaque année dans les nouvelles signatures francophones et les dépenses marketing associées [SNE.4], impactant directement l’économie d’un genre récent, constitué d’acteurs fragiles. Dès lors, peu d’albums associés au genre rap atteignent le disque d’or – d’autant moins ceux d’artistes émergents, produits et distribués en dehors des grandes maisons de disques.

Cette tendance change à partir de 2014-2015, lorsque Jul et PNL, de jeunes artistes connaissant des succès aussi surprenants que significatifs, font « irruption » dans le Top 200. Surprenants, car le Marseillais et le duo essonnien vendent des centaines de milliers d’albums dans la configuration la plus autonome possible : ils ne disposent « que » d’un contrat de distribution avec Musicast, acteur d’une taille autrement plus modeste que les majors du disque [MOU.1]. Significatifs, car ce qui représentait une anomalie à cette période [JOU.1], est, quelques années plus tard, devenu une norme : aujourd’hui, de nombreux artistes indépendants associés au rap côtoient le haut des charts en tenant à distance majors et médias généralistes. En ce sens, un retour sur la trajectoire de Musicast au cours de la décennie 2010, indissociable du développement des réseaux socionumériques, permet de saisir le développement des artistes « indépendants ».

Musicast s’est constitué comme principal distributeur des artistes estampillés « urbain » au cours des années 2000, en se basant, selon son fondateur Julien Kertudo sur un « modèle économique simple » [RAP.1, p.327] : un paiement en « sortie de caisse » (plus lisible pour les artistes et éliminant certains coûts logistiques), mais aussi et surtout en sélectionnant les artistes par leur seule capacité à produire et promouvoir un album de façon autonome. Ne prenant pas de risque financier, Musicast, qui base sa stratégie sur le volume n’est en ce sens pas guidé par des critères esthétiques, comme en témoigne un ancien employé, prenant l’exemple de Jul : « On peut dire qu’ils prenaient tout le monde, ça ne leur coutait rien […]. Jul il a envoyé [sa maquette] à Musicast parce qu’à l’époque tout le monde le refoulait, et dans les bruits de couloir c’était « tu cherches ta distrib’, tu veux envoyer, va voir Musicast, ils vont te mettre bien » [Extrait d’entretien, 27-03-2021]. C’est ainsi que toute une génération d’artistes mis en marge des réseaux conventionnels de l’industrie phonographique (Brugière, 2018) trouve une solution pour distribuer ses œuvres en grandes surfaces et magasins spécialisés tels que la FNAC ou Virgin Mégastore. Malgré une économie du disque morose, les premiers projets de futurs artistes stars, tels que Mister You, mais aussi Lacrim, Alkpote ou bien la Sexion d’Assaut se vendent, dès la fin des années 2000, à plusieurs milliers d’exemplaires, grâce à une promotion intégralement opérée sur les réseaux socionumériques, et une distribution nationale permise par Musicast. Le distributeur « explose » d’ailleurs – selon les mots de son fondateur – à partir de l’album de Mister You, Présumé coupable (2010), vendu à plus de 25000 exemplaires [RAP.1, p.330]. Or, la particularité du rappeur originaire du 19ème arrondissement est d’être à ce moment-là recherché par la police, ce qui, en plus de rendre impossible sa signature avec une grande maison de disques, lui assure un « buzz », entretenu notamment via YouTube. Mister You met ainsi sa cavale en scène, entre série making-of de la production de Présumé coupable sur sa chaîne personnelle et interviews et freestyles accordés à des divers médias spécialisés principalement présents sur la plateforme vidéo de Google [YOU.3].

Lancée en France en 2007, YouTube est en effet rapidement investie par nombre d’« amateurs passionnés » (Hennion et al., 2000) de rap, qu’ils soient artistes, mais aussi intermédiaires (Booska-P, Daymolition) postant contenus vidéo en tous genres, telle que la mise en scène de la cavale de Mister You. En parallèle, Facebook permet de communiquer directement avec les auditeurs, établissant de véritables stratégies de « marketing relationnel » (Chaney, 2010). C’est ce qui lie les trajectoires des artistes distribués par Musicast au début des années 2010 : l’utilisation quasi-exclusive des opportunités de promotion-diffusion liées au « web 2.0 » (Bouquillion & Matthews, 2010). Au-delà d’un usage « immodéré » de l’Auto-Tune (Cachin, 2018, p.57), les succès de Jul et PNL ont pour point commun d’être basés sur une volonté radicale de n’utiliser que les réseaux socionumériques, refusant les sollicitations des médias généralistes une fois intéressés [CON.1]. Contrairement aux majors déployant d’importants efforts contre la numérisation pour endiguer la « crise du disque » (Vandiedonck, 2007), les « indépendants » tels que Musicast ou Believe Digital ont ainsi accompagné les stratégies des artistes sur le web, entre monétisation des chaînes YouTube et prise en compte précoce du streaming comme opportunité de valorisation (Paris et al., 2021). En parallèle, les intermédiaires amateurs se constituent en véritables pure players spécialisés à plusieurs centaines de milliers d’abonnés, dépassant l’audience de certains médias généralistes [135.1], quand les profils personnels des artistes sur les réseaux socionumériques sont devenus des régies comptant jusqu’à plusieurs millions de « followers » [STR.1].

D’abord réduits à être « entrepreneurs de leur notoriété » (Beuscart, 2008b, p.150) sur les réseaux socionumériques, les artistes indépendants de rap, dont une majorité est distribuée par Musicast à l’aube des années 2010, ont tiré profit d’un modèle alternatif à la promotion traditionnelle. Si les outils du web permettaient déjà un « rattrapage pour le rap » dans la hiérarchie de notoriété entre les genres au début de la décennie, (Bastard et al., 2012, p.38), la tendance va s’accélérer à mesure de la numérisation. Depuis 2016, année effective de la fusion entre Believe et Musicast [ECH.1], Jul, PNL, mais aussi un nombre croissant d’artistes distribués hors des majors (PLK, Naps, Heuss l’Enfoiré, Djadja & Dinaz, Lomepal) réalisent des chiffres de ventes comparables à ceux portés par les grandes maisons de disques.

Tous indépendants ? Vers un redéploiement du segment « urbain » de l’industrie musicale en France

D’abord par défaut, l’« indépendance » dans le rap s’est pérennisée à mesure de l’amélioration des interfaces des réseaux socionumériques [2], devenus des dispositifs majeurs de diffusion-promotion-valorisation des œuvres musicales (Kaiser & Spanu, 2018). De ce fait, cette nouvelle configuration semble être, comme l’analyse David Pucheu, moins assimilable à « une démarche militante qu’une opportunité technique » (2012, p.138), bien loin d’un simple « do it yourself » numérisé (Guibert, 2000a, p.14). Si elle capitalise toujours sur l’image d’une maison de disques « indépendante », Believe s’éloigne toujours plus du petit label « indé » (qu’elle n’a jamais été, mais que fut Musicast) : s’affirmant explicitement comme un « Publicis de la musique » [ECH.2], l’entreprise française prépare une entrée en bourse qui pourrait la valoriser à 2 milliards d’euros. Surtout, la notion semble d’autant moins heuristique que les acteurs du segment, « indépendants » ou non, font désormais face à un modèle commun au sein de la filière, celui du « service » aux labels et artistes.

Alors que l’industrie musicale est historiquement organisée autour du contrat d’artiste, contrat de travail impliquant la cession de droits d’enregistrements auprès d’une maison de disque, Believe Music a, dès sa fondation, concentré son activité sur la promotion [et] la diffusion numérique (Pucheu, 2012, p.142), tout en proposant un ensemble de services « à la carte » (relations presse, merchandising, tour, etc.). Ce modèle, non plus basé autour de la propriété des phonogrammes mais des services autour de la musique, implique que les artistes restent propriétaires de leurs productions, pour ensuite choisir (et payer) « à la carte » les prestations dont ils ont besoin, de la simple distribution, à la « distribution améliorée » [ECH.3]. De ce fait, à défaut d’investir dans des phonogrammes ou dans la production telle que le feraient les majors, la start-up française a acheté son principal concurrent l’américain Tunecore, ainsi que le distributeur Musicast, afin de disposer d’une solution physique et du large catalogue « urbain » de ce dernier. Comme l’analyse une ancienne directrice artistique de chez Believe, la distribution est « un matelas de sécurité financier », n’engageant que « très peu d’investissements humains et de time consuming, pour [les] équipes », représentant une « rentabilité maximale pour un temps de travail minimal » [Extrait d’entretien, 02-04-2021].

Ce modèle, qui a notamment caractérisé les succès de Jul et PNL chez Believe/Musicast, s’est généralisé au sein de la filière, comme en témoigne le directeur de Capitol, principal label « urbain » d’Universal Music France : « On ne signe quasiment plus en contrat d’artistes, on ne prend pas ce risque. Il y a trop de travail, moi j’ai quatre personnes pour quinze artistes » [Extrait d’entretien, 23-01-2020]. Autrefois peu intéressée par la distribution, Universal Music s’est en effet ouverte au principe, entre importance croissante de Caroline France, structure spécialisée dans l’artist services [VEN.1], et contrats de distribution via ses labels « en propre » (Island/DefJam, Capitol). Sony Music, relativement attentiste depuis son entrée au capital de Wati B en 2012, a entamé son virage urbain en 2019, en lançant notamment le label A.W.A dont les principaux artistes (Zola, Nahir, Diddi Trix) sont signés en licence, quand Hall Access distribue Larry et Vald. Plus récemment, Sony a relancé la marque Epic Records, dont le principal artiste, le dyonisien Gazo, est signé en contrat de distribution. Si Soprano et SCH, deux artistes majeurs de Rec.118, principal label « urbain » de Warner Music France, ont un contrat d’artiste, les fonctions centrales (et coûteuses) de direction artistique sont assurées par des sociétés dont ils sont actionnaires (Only Pro et Maison Baron Rouge). Outre les nombreux contrats de distribution chez Rec.118 (Sadek, Ninho, Hamza, Hornet la Frappe), la major américaine a lancé, en décembre 2020, la mouture française Alternative Distribution Alliance (ADA). Dirigée par Alassane Konaté, fondateur du label indépendant Din Records, ADA revendique « la puissance d’une major » et « l’agilité d’un indépendant » [YOU.4]. Dans cette configuration, outre les historiques « gros indépendants » (Pias, Because Music, Wagram) et les acteurs nés du numérique (Believe, Idol), un nombre croissant de structures se revendiquent « indépendantes » malgré leurs liens forts avec les majors [3].

Après avoir désinvesti la musique francophone dans un contexte de « crise du disque », les grandes maisons de disques sont désormais désireuses de prendre la vague de retour de la croissance, principalement tirée par « l’urbain ». Cependant, entre le desserrement du « goulet d’étranglement au niveau de la distribution-diffusion » (Rebillard & Smyrnaios, 2010, p.160) et la capacité des indépendants à établir une stratégie promotionnelle autonome, les majors semblent moins enclines à « négocier l’internalisation » (Hammou, 2008, p.140) de la frange. Cette généralisation du label services peut certes être appréhendée comme une mise à distance des maisons de disques par les artistes à succès, mais elle peut aussi être considérée comme le recentrement réussi des majors sur la distribution : en 2020, 75% des albums estampillés « urbain » présents dans le Top 200 étaient distribués par les majors, dont une part importante d’artistes « indépendants » [SNE.3].

Conclusion

Si « l’indépendance » ne renseigne a priori pas sur une esthétique particulière, la marginalisation des acteurs du rap par les majors dans les années 2000 fut l’occasion, pour un nombre conséquent d’acteur, de revendiquer une forme d’autonomie « artistique et intellectuelle » (Noël, 2019, p.18). Cependant, la réalité derrière la notion a évolué, et ce, d’autant plus que le segment a connu une forte croissance et que les opportunités de valorisation se sont multipliées. Bien que l’authenticité garde une dimension agonistique dans ce qui peut être appréhendé comme un champ artistique (Bourdieu, 1992), la définition du genre ne cristallise guère plus de conflit. Dans un contexte autrement plus faste que les années 1990-2000, le clivage rap/variété semble de surcroît avoir été édulcoré par l’adoption, bon an mal an, du terme « urbain » par un nombre croissant d’acteurs (plateformes de streaming, labels, médias).

Le développement de Believe/Musicast peut être considéré comme initiateur de ce qui semble être un changement de paradigme pour l’industrie musicale en France. En effet, les opportunités de distribution alternatives, indissociables du développement des réseaux socionumériques, ont permis à des artistes autoproduits de connaître des succès nationaux importants en dehors des majors. Sans pour autant faire table rase d’un l’oligopole à frange vieux de plusieurs décennies, ces récentes évolutions dans la filière ont établi une configuration différente de celle des années 1990. Cette nouvelle configuration remet notamment en question le caractère « souvent éphémère » (Guibert, 2006, p.322) des labels indépendants de rap, tout en se manifestant à l’échelle des gros acteurs, comme en témoigne la quasi-disparition du contrat d’artiste. S’éloignant de leur activité historique qu’est la production phonographique, les majors se recentrent désormais sur la distribution et les services associés, autrement moins coûteux et risqués, quand les distributeurs d’hier proposent un nombre croissant de services. Ainsi, la logique d’une opposition entre majors du disque et indépendants, déjà analysée comme artificielle (Hesmondhalgh, 2007; Pucheu, 2012), est de moins en moins heuristique pour le segment « urbain » aujourd’hui.

En outre, si être indépendant, c’est se « définir négativement : [c’est-à-dire] “ne pas être dépendant“ des majors et par extension des logiques de marché » (Pucheu, 2012, p.131), alors le qualificatif peut sembler inadapté pour caractériser des acteurs si insérés dans l’industrie musicale actuelle. L’abaissement effectif des « barrières à l’entrée de la diffusion et de la distribution de contenus musicaux » (Costantini, 2014, p.94), ne semblent que déplacer – si ce n’est favoriser – le problème insoluble de la surproduction artistique (Hesmondhalgh, 2007) de la distribution vers la promotion. En effet, si elles pouvaient se rapprocher d’un « artisanat numérisé » il y a quelques années, les stratégies de notoriété sur le web sont aujourd’hui le fait de tiers dont c’est la spécialité, entre big data et marketing d’influence. Ainsi, bien que plus autonomes des maisons de disques, les artistes pourraient avoir noué des relations de dépendance avec des acteurs tout aussi puissants [4]. Les récents débats autour de la répartition de la valeur créée par la musique en régime numérique [MON.1 ; SEN.1] illustrent d’ailleurs bien que le (relatif) recul des majors du disque ne se fait pas forcément au profit des artistes mais de « nouveaux entrants » (Magis & Perticoz, 2020, p.21) que peuvent être Google, Facebook et Spotify mais aussi des intermédiaires spécialisés dans la communication, le traitement des datas ou la publicité ciblée sur le web.

Notes

[1] Les références mobilisées comme matériau empirique (littérature grise, articles de presse, essais, blogs) sont disponibles dans l’annexe « Autres références »

[2] Il est intéressant de noter que 45 Scientific et Menace Records sont en quelques sortes pionniers de ces stratégies de promotion alternatives, précédant les lancements de YouTube et de Facebook. 45 Scientific crée, dès la fin des années 1990, un site internet pour « contrer l’absence de couverture médiatique » [TEL.1], tandis que les artistes de Menace Records seront parmi les premiers à être mis en avant sur le site internet de Booska-P.

[3] Artside, Play Two et Argentic Music sont de bons exemples de labels revendiqués « indépendants » profitant des moyens de distribution d’une multinationale. Pour une cartographie des principaux artistes et labels associés aux musiques urbaines en fonction des contrats les liant aux maisons de disques, voir notamment [VEN.2]

[4] Par exemple, si les conditions de programmation en radio ne dépendent plus des maisons de disques de rattachement, le directeur des programmes de Skyrock assumait récemment se fier aux classements édités par les plateformes streaming [YOU.5].

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[YOU.5] Konbini (31 août 2020), « Clash avec les artistes, copinage : le patron de Skyrock nous dit tout sur la radio culte », YouTube, [en ligne], consulté le 5 mai 2021, https://www.youtube.com/watch?v=WVt2H_dcPWo

Auteur

Paco Garcia

.: Paco Garcia est doctorant à l’Université Sorbonne Paris Nord (USPN), sous la direction de Philippe Bouquillion (LabSIC) et de Gérôme Guibert (Sorbonne Nouvelle, IRMECCEN). Titulaire d’un contrat doctoral du LabEx ICCA, son travail de thèse porte sur la reconfiguration du segment « urbain » de l’industrie musicale en lien avec la numérisation de la filière phonographique, entre nouvelles formes de valorisation et insertion dans « l’économie créative »
paco.garcia@sorbonne-paris-nord.fr