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La science est-elle soluble dans des projets techno-industriels ? Querelles autour de la géothermie profonde à l’Eurométropole de Strasbourg (2012-2020)

18 Juin, 2022

Résumé

Cet article analyse les désaccords entre mondes industriel et scientifique dans le champ de la géothermie profonde alsacienne des années 2010. Cette querelle où se croisent interprétations scientifiques et intérêts industriels reflète les divergences de vues entre les mondes sociaux en présence sur la façon dont la science et les scientifiques doivent intervenir dans les projets de géothermie. La notion de paradigme de communication combinée à celle d’ethos discursif permet de saisir les dynamiques qui fondent les discours publics sur la géothermie : du côté des industriels une communication d’acceptabilité insiste sur la maturité du domaine et la maitrise des risques ; du côté des scientifiques, des approches plus pédagogiques pointent les lieux où des travaux sont nécessaires pour optimiser le développement de la géothermie profonde. Les désaccords apparaissent au grand jour suite aux séismes affectant l’Eurométropole de Strasbourg en 2019 et 2020.

Mots clés

Transition énergétique, Alsace, paradigme de communication, ethos discursif et relations science-industrie

In English

Title

Can science be diluted in techno-industrial projects? Disputes over deep geothermal energy in the Strasbourg Eurometropole (2012-2020)

Abstract

This article analyses the disagreements between the industrial and scientific worlds in the field of deep geothermal energy in Alsace in the 2010s. This quarrel, where scientific interpretations and industrial interests overlap, reflects the divergent views between the social worlds involved on the way science and scientists should intervene in geothermal projects. The notion of communication paradigm combined with that of discursive ethos makes it possible to grasp the dynamics behind public discourse on geothermal energy: on the industrial side, a discourse of acceptability insists on the maturity of the field and on the control of risks; on the scientific side, more pedagogical approaches point out the spots where research is necessary to optimize the development of deep geothermal energy. Disagreements appear following the earthquakes affecting the Strasbourg Eurometropole in 2019 and 2020.

Keywords

Energy transition, Alsace, communication paradigm, discursive ethos and science-industry relations

En Español

Título

¿La ciencia diluida en los proyectos tecno-industriales? Disputas sobre la energía geotérmica profunda en la Eurometrópolis de Estrasburgo (2012-2020)

Resumen

Este artículo aborda los desacuerdos entre dos mundos, el de la industria y el de la ciencia, respecto a la energía geotérmica en Alsacia durante los años 2010, en los que las inter- pretaciones científicas se interponen a los intereses industriales. Esta disputa refleja las divergencias de puntos de vista en cuanto al rol de la ciencia y de los científicos en los proyectos de energía geotérmica. Las nociones de paradigma de comunicación y de ethos discursivo permiten analizar las dinámicas que sustentan el discurso público sobre la energíageotérmica:mientrasquelaindustriaimplementaunacomunicacióndeaceptabilidad enfatizando la madurez de la geotermia y el control de riesgos; la ciencia construye un discurso que subraya la necesidad de continuar la investigación para optimizar el desarrollo de la energía geotérmica profunda. Los desacuerdos se evidencian con los temblores de 2019 y 2020 en la Eurometrópolis de Estrasburgo.

Palabras clave

Transición energética, Alsacia, paradigma de la comunicación, ethos discursivo y relaciones ciencia-industria

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Chavot Philippe, Masseran Anne, « La science est-elle soluble dans des projets techno-industriels ? Querelles autour de la géothermie profonde à l’Eurométropole de Strasbourg (2012-2020) », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°22/4, , p.63 à 76, consulté le vendredi 29 mars 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2021/supplement-b/la-science-est-elle-soluble-dans-des-projets-techno-industriels-querelles-autour-de-la-geothermie-profonde-a-leurometropole-de-strasbourg-2012-2020/

Introduction

Cet article a pour terrain les alliances qui se font et défont entre industriels et scientifiques dans le cadre du développement de la géothermie en Alsace [1]. Au début des années 2010, ces deux mondes sociaux sont engagés dans le même effort : participer au développement de la géothermie profonde. La création en 2012 d’un Laboratoire d’excellence dédié au domaine de la géothermie donne un cadre institutionnel à ce travail collaboratif. Or, cette alliance se fissure peu à peu durant la seconde moitié des années 2010, alors que plusieurs projets doivent voir le jour à Strasbourg et dans ses environs. Les points de désaccord concernent notamment l’appui scientifique dont devraient bénéficier les projets. Le 12 novembre 2019, un séisme de magnitude 3,1 affectant le territoire de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) met à jour publiquement les dissensions. Le Réseau National de Surveillance Sismique (ReNaSS) auquel participent les scientifiques strasbourgeois le qualifie de « séisme induit ». Il serait causé par les travaux de géothermie profonde menés sur le site de Vendenheim, au nord de l’Eurométropole. Les industriels contestent cette conclusion et la querelle qui s’en suit fait l’objet de plusieurs reportages dans les médias locaux [2].

Fig 1. Localisation des projets de géothermie profonde en Alsace du Nord et aux alentours de Strasbourg à l’automne 2018. Fond de carte IGN, Corine Land Cover 2015 (taux d’imperméabilisation et forêts) :
les zones urbanisées apparaissent en brun, les zones forestières en vert.

Cette querelle où se croisent interprétations scientifiques et intérêts industriels reflète, telle est notre hypothèse, les divergences de vues entre deux mondes sociaux (Strauss, 1978) en présence, sur la façon dont la science et les scientifiques devraient intervenir dans les projets de géothermie profonde. Tout se passe comme si chaque groupe d’acteurs était embarqué dans un paradigme de communication orientant les actions qui confortent leur légitimité et leur crédibilité, selon des modalités propres à leur monde (Chavot ; Masseran, 2010). Les buts et valeurs associés à ces paradigmes sont en effet chargés d’implicite, généralement non questionnés par les protagonistes. Des différences apparaissent notamment dans la façon dont chacun envisage la communication avec le grand public, dans les valeurs qu’ils mettent en avant, dans la hiérarchisation du questionnement et les médias mobilisés. Dans le cadre de cet article, nous analyserons l’expression de paradigmes de communication en y associant la notion d’éthos discursif (Amossy, 2014). En effet, chaque acteur construit une image de soi à travers son discours dans l’objectif d’assurer sa crédibilité et d’être plus persuasif (autant à travers la forme que par le contenu). Cette construction varie selon la situation de communication, les contraintes imposées et les caractéristiques de l’auditoire (Maingueneau, 2002).

Pour ce faire, nous avons procédé à l’analyse qualitative de contenu sur différents corpus : un ensemble d’articles publiés par la presse quotidienne régionale entre janvier 2014 et décembre 2020 ayant pour objet les projets de géothermie de l’EMS (n= 406) ; des interventions durant lesquelles les opérateurs et les scientifiques s’expriment publiquement sur le développement de la géothermie entre 2015 et 2020 (MOOC, tables rondes, Facebook live, conférences) ; et enfin une série d’entretiens réalisés sur la même période avec des représentants des opérateurs concernés par les projets de géothermie et des scientifiques strasbourgeois (n= 14). Cette analyse permet d’identifier l’ethos des opérateurs et des scientifiques et de rendre compte de leur évolution durant la controverse. En parallèle, nous avons utilisé un ensemble d’indicateurs discursifs permettant de préciser, dans les récits portés par les différents protagonistes, les places respectives qu’ils attribuent à la science et à l’industrie dans le développement de la géothermie profonde.
Dans ce qui suit, nous interrogeons d’abord la nature de la collaboration entre scientifiques et industriels qui se met en place au début des années 2010 autour de la géothermie profonde. L’analyse des stratégies communicationnelles qui apparaissent face à un contexte de controverse publique concernant les projets eurométropolitains permettra ensuite d’examiner les points de dissension opposant les deux groupes d’acteurs. Enfin, nous analyserons la façon dont chaque monde s’est saisi des événements sismiques qui ont touché l’Eurométropole en 2019 et 2020.

Le labex G-EAU-Thermie profonde, une collaboration prometteuse ?

L’alliance scientifiques-industriels dont il est question ici a été initiée à partir des travaux scientifiques menés dans les années 1980 et 1990 à Soultz-sous-Forêts (Soultz), au nord de l’Alsace. L’idée initiale, qualifiée de Hot Dry Rock (HDR), était de créer par fracturation, en injectant de l’eau à forte pression, un réservoir géothermique artificiel à plusieurs kilomètres de profondeur, puis d’extraire l’eau chauffée par la roche. Au départ franco-allemand, et impliquant essentiellement des scientifiques, le projet passe ensuite sous gouvernance européenne dans les années 1990. Au début des années 2000, la filiale d’EDF Électricité de Strasbourg (ÉS) entame une collaboration avec le consortium qui devient vite fructueuse. Le projet est repensé à la suite de la découverte en profondeur d’un réseau de failles hébergeant un fluide très salé. On cherche alors à optimiser la circulation de cette eau dans la roche par « stimulation » qui peut être hydraulique ou chimique. Cette nouvelle approche est qualifiée d’EGS (Enhanced Geothermal System) par les scientifiques et les industriels. Les premiers kWh électriques sortent de la centrale de Soultz en 2008. La même année, ÉS créée la filiale ÉS Géothermie (ÉSG) qui se consacre au développement de la géothermie avec le projet d’une nouvelle centrale à Rittershoffen, située non loin de Soultz.

L’inauguration du Labex G-EAU-Thermie profonde le 1er janvier 2012 concrétise l’alliance scientifiques-industriels. Son directeur le décrit comme la réunion de deux start-up. D’un côté, ÉSG s’engage dans la conception de projets de géothermie profonde, dont celui de Rittershoffen, pour le compte d’ÉS. De l’autre, les scientifiques strasbourgeois – jouant un peu le rôle de bureau d’étude – mettent à profit leurs compétences en géophysique, hydrogéologie et sismologie pour mener les travaux préalables à la réalisation du projet [3]. Les premières années de vie du Labex sont marquées par une véritable effervescence scientifique autour des projets de Soultz et de Rittershoffen. Le Labex devient, en outre, un levier pour obtenir des contrats de recherche financés par l’ADEME et l’Europe dans le but d’affiner les connaissances sur la technologie EGS.

La collaboration scientifiques-industriels s’avère cependant compliquée sur le long cours. Une fois le projet de Rittershoffen finalisé, ÉS aura tendance à considérer les scientifiques du Labex comme des prestataires, notamment pour la surveillance sismologique des sites, cassant ainsi la symétrie de la relation. Des différences apparaissent également dans la façon dont chacun envisage la communication autour des projets et de la géothermie profonde en général.

Mettre en œuvre une communication d’acceptabilité pour rassurer les publics concernés

L’adoption des lois Grenelle en 2010 rend le contexte très favorable à la géothermie de grande profondeur (Chavot et al., 2019). D’autres entreprises qu’ÉS investissent le domaine. C’est notamment le cas du groupe aquitain Fonroche qui obtient en 2013 plusieurs permis exclusifs de recherche dont un situé sur le territoire de l’Eurométropole. Ainsi, pas moins de six projets de géothermie profonde sont envisagés sur le territoire de l’EMS en 2014. Cinq de ces projets de très grande profondeur visent, sur le modèle de la centrale de Soultz, la production de chaleur et d’électricité. A l’automne 2014, une controverse publique se cristallise autour de plusieurs de ces projets. Les opposants – riverains et élus de l’opposition [4] – craignent que des incidents se produisent, comme en Suisse ou en Allemagne où la terre a tremblé à cause de travaux de géothermie profonde (Ineris, 2017). Ils n’accordent aucune confiance à Fonroche, une entreprise inconnue dans la région et, à leurs yeux, trop peu expérimentée pour mener à bien des projets potentiellement impactants pour l’environnement (Chavot et al., 2018).

C’est dans ce contexte qu’apparaissent de premières divergences dans la façon dont scientifiques et industriels s’engagent dans la communication. Alors que les scientifiques restent discrets et s’expriment très rarement sur les projets en cours, les opérateurs investissent très largement la scène médiatique locale via leurs relations presse. Ils mettent en œuvre une communication d’acceptabilité incarnée par les dirigeants des deux entreprises.

Cette communication repose d’abord sur la construction d’une image positive des entreprises. Dans les médias, elles paraissent transparentes, humaines et à l’écoute des résidents. Elles affichent des promesses fortes : les centrales géothermiques irrigueraient en chaleur – à hauteur de 80% – les réseaux de chauffage urbains, les bâtiments publics ainsi que des serres et des industries ; les tarifs seraient 30 à 40 % inférieur à celui du gaz naturel (DNA, 20.11.2014) ; et les projets reposeraient sur « un modèle économique de territoire et de long terme » (DNA, 10.01.2015). Ces promesses semblent s’appuyer sur un soutien sans faille des collectivités et du tissu industriel local, alors qu’à l’époque aucun protocole d’achat de la chaleur n’avait encore été clairement défini avec les acteurs territoriaux [5].

Ensuite, les opérateurs veulent s’imposer auprès des médias comme des acteurs légitimes et crédibles en affichant un ethos de scientifiques-industriels. Ainsi, ÉS vante une success story en se présentant comme un des acteurs majeurs des travaux scientifiques menés en géothermie. Dans ce cadre, elle se réapproprie le statut et le rôle jusque-là dévolus aux scientifiques : elle est, à elle seule, l’expérimentateur et l’industriel compétent. Le Président d’ÉSG souligne : « Après près de trente ans de recherches et d’expérimentation […], ÉS a développé une compétence réelle dans la géothermie profonde, pour contribuer à la valorisation des potentiels énergétiques de notre région […]. Fort de ces enseignements, ÉS est passée de l’expérimentation à l’exploitation » (DNA, 27.01.2016).

Les inaugurations de la centrale de Rittershoffen et de la nouvelle unité de production d’électricité de Soultz en juin et septembre 2016, sont scénarisées comme deux événements attestant de cette success story. Ils « marque[nt] le passage de l’ère de la recherche à l’ère industrielle » (DNA 24.09.2016). Cette narration veut démontrer que la géothermie profonde est devenue « mature », un qualificatif souvent utilisé par les opérateurs dans leur communication [6]. Dans ce cadre, la technologie EGS est mise en avant. Elle garantit à la fois l’efficacité et la sécurité des sites et permet d’asseoir l’autorité d’ÉS dans ce domaine. Le directeur général d’ÉS raconte « C’est ici [à Soultz] que nous avons développé, avec nos partenaires, la technologie EGS […] qui a fait la renommée du site » (Ibid.). Fonroche, entreprise extérieure à l’Alsace, n’est pas en mesure de construire dans sa communication un éthos fondé sur une expérience locale. L’entreprise fait alors valoir les experts qu’elle a recrutés : des spécialistes en géophysique, en géologie et en forage (DNA, 28.05.2015).

Cette communication visant à accroitre la légitimité et la crédibilité des opérateurs est à son apogée au moment de la tenue du Congrès européen de la géothermie à Strasbourg en septembre 2016. Selon les médias, cet événement démontre que les travaux menés en Alsace sont « à l’avant-garde du développement géothermique » (DNA 23.09.2016). L’EMS, qui entend désormais apporter un soutien sans faille à la géothermie, communique largement sur le sujet. Elle organise en marge du Congrès une table ronde et met en ligne une plateforme web dédiée. On y trouve, entre autres supports d’information, une vidéo, au titre évocateur « La géothermie profonde, un écosystème d’innovation [7] ».

Les séquences de la vidéo distribuent les rôles. On y voit le scientifique se limiter à assurer un rôle de surveillance des sites, pour pallier les risques. Le Directeur général d’ÉS revient sur la success story de l’industrie de la géothermie alsacienne en insistant sur la maturité de cette technologie. Élus et opérateurs présentent les projets et détaillent les plus-values qu’ils apportent au territoire. Le président de l’Eurométropole, enfin, explique comment cette énergie verte contribuera à la mise en œuvre du plan climat local. En conclusion, cette vidéo promotionnelle glorifie le rôle des industriels, proclame l’utilité industrielle et écologique des projets et limite le rôle des scientifiques.

Cette communication d’acceptabilité prend place, nous l’avons dit, sur fond de controverse publique (Chavot et al., 2018). Les riverains, parfois constitués en collectifs, tentent de réfuter les propos des industriels tout en critiquant les élus majoritaires de l’EMS, incapables selon eux de construire un schéma directeur des énergies cohérent et d’organiser une concertation sur la question de la géothermie (Chavot et al., sous presse).

Dans le cadre de cette controverse, les médias locaux semblent privilégier la communication des opérateurs et de l’eurométropole. Si les riverains trouvent une place dans cette couverture médiatique, les scientifiques sont encore beaucoup moins visibles (Graphique 1).

Graphique 1. Occurrences des sources citées dans les articles portant sur la géothermie profonde publiés la presse quotidienne régionale de 2014 à 2020 (n=406)

Leur quasi-absence de la scène médiatique s’explique par différents facteurs. Tout d’abord, la relation contractuelle qui les lie au monde industriel les contraint à s’en tenir à leur devoir de réserve. De plus, en règle générale et en cas de doute, ils en réfèrent à leurs organismes de tutelle avant d’apporter ou non leur éclairage aux médias. Enfin, les scientifiques strasbourgeois n’étaient pas vraiment en mesure de s’exprimer sur les projets. En effet, la narration médiatique dominante trace une frontière rhétorique entre les acteurs qui dirigent et décident – les opérateurs et l’Eurométropole – et ceux qui semblent jouer un rôle secondaire – les scientifiques (Gieryn, 1999). Ces derniers sont ainsi situés hors du champ de la géothermie industrielle.

Cette mise en scène médiatique, qui ignore en grande partie une catégorie d’acteurs, concorde avec la réalité du montage des projets de l’Eurométropole et des instances décisionnaires : les industriels ont élaboré les projets de géothermie eurométropolitains indépendamment des scientifiques [8]. Les expertises en amont des enquêtes publiques ont été menées par les organismes d’État habilités, la DREAL et l’INERIS.

Toutefois, les scientifiques sont présents sur des scènes publiques autres que les médias. Entre 2014 et 2018, les directeurs du Labex et de l’EOST donnent des conférences publiques et collaborent à des MOOC. Ils contribuent ainsi à la diffusion des savoirs se rapportant à la géothermie et à leur discipline, la géophysique pour le directeur du Labex et la sismologie pour le directeur de l’EOST. Dans ce cadre, ils mettent en œuvre une approche didactique et explicative prenant la forme d’une vulgarisation de haut niveau. Lorsque les médias couvrent ces événements, certes rarement, ils évoquent le rôle que devraient jouer les scientifiques selon eux. L’éthos qui se dégage de cette couverture médiatique est très différent de celui qui est attaché aux industriels. Par exemple, lors de l’annonce des Alsasciences 2016 (cycle de conférences organisé par l’Université de Strasbourg dans plusieurs villes du nord de l’Alsace), les DNA leur donnent le rôle « d’éclairer le grand public sur cette technique [la GP], son utilité, ses enjeux, les problématiques qu’elle soulève et les perspectives qu’elle offre pour le développement des énergies renouvelables » (DNA 12.11.2016). De plus, les paroles que les médias sélectionnent dans les interventions des scientifiques soulignent leur engagement dans la promotion de la science et des valeurs qui lui sont associées. Ainsi, le Directeur du Labex est cité par les DNA : « Certains parlent de nuisances suite au bruit ou aux séismes. Mais ces scénarios alarmistes sont à relativiser. Car toutes les recherches sont responsables, avec des surveillances constantes, des études comparatives » (Ibid.). Le scientifique s’exprime moins sur les projets que sur le rôle joué par la science dans le développement raisonné de la géothermie.

Inclusion/exclusion de la science de la géothermie industrielle

Le rôle que devrait jouer la science dans la géothermie industrielle constitue précisément un point d’achoppement entre industriels et scientifiques. Le directeur d’ÉSG, s’exprimant en avril 2015 lors d’un congrès organisé par l’ADEME [9], assure que les conditions seraient réunies pour une exploitation industrielle mature dans le bassin rhénan, puisqu’il existe en profondeur une ressource en eau directement exploitable. De fait, le champ d’action des scientifiques devrait, selon lui, se limiter aux cas plus expérimentaux, par exemple lorsqu’il est nécessaire d’injecter de l’eau à de fortes pressions pour créer un système de failles et une aquifère artificielle. Ainsi, la science n’est guère concernée par la géothermie rhénane – et donc par les projets eurométropolitains –, mais devrait plutôt préparer le terrain pour que de nouvelles applications industrielles puissent voir le jour dans d’autres contextes géologiques.

Ce récit est cohérent avec celui repris par les médias, qui oppose bonne et mauvaise géothermie. Dans une volonté de rassurer les habitants de l’Eurométropole, le président d’ÉSG soutenait en 2015 par exemple que : « les projets actuellement à l’étude ne peuvent pas se traduire par un accident de type Lochwiller, Landau ou Bâle [10]. Ces aléas seraient, selon l’opérateur, le produit d’erreurs ou de technologies aujourd’hui abandonnées » (DNA 10.01.2015). Ainsi, la « mauvaise géothermie » serait le fait de « mauvais industriels » n’ayant pas voulu rompre avec l’ancienne pratique de fracturation responsable d’accidents industriels. Recourant à la même rhétorique, le directeur de Fonroche géothermie affirme de son côté que : « Les ouvrages que nous allons construire […] seront les plus sûrs d’Europe » (DNA 07.02.2015). Or, ces récits – destinés à renforcer la légitimité et la crédibilité des opérateurs – tranchent nettement avec les lectures que les scientifiques proposent des développements de la géothermie profonde.

Concernant les enseignements à tirer des travaux menés à Soultz, tout d’abord. Lors d’un cycle de conférence sur la géothermie en 2016, le directeur du Labex affirme que Soultz est le lieu où tout un pan de recherches sur les sous-sols fracturés a été initié. De prime abord, la success story vantée par les industriels serait ainsi partagée par les scientifiques. Cependant, le scientifique affirme que le contexte géologique de Soultz ne serait pas aussi favorable que les opérateurs pourraient le penser. Il précise, lors de la même conférence, que les industriels français ont souvent eu recours à des injections d’eau proches de la fracturation afin de faciliter la circulation et la valorisation de l’eau chaude présente en grande profondeur. La stimulation ne s’opposerait donc pas franchement à la fracturation hydraulique, ce qui nuance fortement la partition entre « bonne » et « mauvaise » géothermie [11].

La maturité de la GP est également questionnée. Lors de plusieurs conférences données en 2015 et 2016, dont on retrouve les contenus dans des MOOC mis en ligne en février 2015, le directeur du Labex réaffirme le rôle et la place indispensables de la science dans le domaine de la géothermie industrielle. En effet, dès lors que les forages dépassent une profondeur de 2 km – comme c’est le cas à Soultz et dans les projets envisagés au sein de L’EMS – on entre dans le domaine de la géothermie haute température non-conventionnelle [12]. De nombreuses inconnues subsistent concernant les délais de réalisation, les retours sur investissement et la maîtrise des risques. Selon lui : « pour qu’un projet comme celui de Soultz atteigne un débit commercial de l’ordre de 100 l/s, qui est l’objectif visé par les opérateurs, il faudra réinjecter le fluide à une pression de 200 bar [soit deux fois la pression autorisée en France], ce qui posera de toute évidence des problèmes de sismicité ». Cette géothermie non-conventionnelle serait donc non mature, dans le sens où de nombreux travaux de recherche doivent encore être réalisés afin d’aboutir à des projets permettant un retour sur investissement sans générer trop de risques [13].

Après l’achèvement du projet de Rittershoffen en 2016, les relations entre industriels et chercheurs au sein du Labex se tendent. Un premier sujet de mésentente concerne la confidentialité des données relatives aux projets. ÉS entend limiter la diffusion de ces données, pour protéger ses intérêts, allant ainsi à l’encontre de l’éthos scientifique – au sens mertonien du terme (1973) – qui privilégie la mise en commun des observations et des résultats. Les thématiques de recherche envisagées au sein du Labex constituent un second point de tension. ÉS enjoint les scientifiques à ne pas mener de recherches autour des sujets sensibles comme la sismicité induite, craignant sans doute que de façon indirecte l’acceptabilité sociétale des projets soit menacée. Ainsi, en 2017, l’entreprise s’oppose à l’implication des chercheurs du Labex dans des travaux concernant les origines du séisme de Pohang en Corée du Sud, considéré comme un des plus gros séismes induits par des activités industrielles en lien avec la géothermie [14]. En 2019, un accord est trouvé pour qu’ÉS quitte le Labex de manière anticipée. Son départ du consortium sera effectif le 31 décembre 2019.

Querelle d’experts autour des séismes de Strasbourg

En novembre 2019, un événement inattendu bouscule les relations déjà difficiles entre scientifiques et industriels : un séisme de magnitude 3,1 secoue l’Eurométropole. Le site du ReNaSS le qualifie le jour même de « séisme induit » causé par les activités géothermiques de Fonroche à Vendenheim, au nord de L’EMS. Cette affirmation est aussitôt démentie par l’entreprise, arguant que l’épicentre est situé à 5 km du site de forage. Toutefois, par précaution, Fonroche est sommé par la DREAL de stopper temporairement toute activité impactante.

Ce séisme, qui fragilise l’image sociale des entreprises de géothermie profonde, transforme également leurs relations avec les scientifiques. Dans leur communication, les opérateurs réaffirment un éthos de scientifique-entrepreneur : ils proposent d’aider les scientifiques à rechercher les origines de cet événement sismique et mettent leurs données à disposition du ReNaSS (DNA 14.11.2019). Redoutant que des parallèles soient établis avec des incidents ayant affecté des projets suisse et allemand, l’Association des professionnels de la géothermie (AFPG) met en avant la qualité et le bon encadrement dont bénéficie la géothermie française. Selon elle, « Les opérateurs français sont tenus de respecter des seuils d’injection dans la roche réservoir inferieurs à 100 bars, tels que l’exigent les arrêtés préfectoraux ». L’association exhorte les scientifiques à s’en tenir aux conclusions de la Préfecture, soulignant que rien ne permet d’incriminer le projet de Fonroche (DNA 16.11.2019).

Les scientifiques strasbourgeois, fortement impliqués dans le fonctionnement du ReNaSS, se retrouvent au cœur du conflit. Ils se justifient en détaillant le protocole qui permet d’établir la qualification de séisme induit. Il s’agit d’un « choix humain », précise le directeur de l’EOST, « fait sur la base d’un certain nombre d’éléments : profondeur faible, sismicité importante à un endroit où il n’y avait pas eu d’activité sismique depuis plus de 50 ans, proximité de l’activité de géothermie […]. À partir du moment où on travaille dans le sous-sol, on peut générer des séismes par transfert de contraintes » (DNA 15.11.2019). L’éthos du scientifique apparaît dans ce cas comme un éthos distancié. Il émet des hypothèses qui sont testées, sans certitudes préalables : « «Nous n’avons pas de preuve absolue que c’était induit», […], et l’étude menée par la DREAL doit aboutir à une conclusion » (Ibid.).

Cependant, les élus de l’EMS n’adhèrent pas à cette argumentation réservée, ils requièrent des certitudes que la science ne peut pas, à ce moment, leur offrir. Durant la séance du Conseil de l’EMS du 29 novembre, les hésitations des scientifiques sont très critiquées [15]. La prudence scientifique ne semble pas s’accorder avec le monde politique qui doit prendre des décisions sur des bases fiables et sûres. De plus, dans ce cas, la science remet en cause des projets planifiés de longue date. Pour trouver une issue à cette querelle, la Préfecture demande au BRGM et à l’INERIS de mener une tierce expertise. L’EOST, considérée comme partie prenante dans la controverse, n’est pas intégrée dans le comité. Fonroche est autorisé dès janvier à réaliser des nouveaux forages non-impactants. Et un « test de traçage » est envisagé en septembre 2020, sur les recommandations de la tierce expertise, qui vise à comprendre le cheminement de l’eau dans la roche.

Tout bascule fin octobre, avec la survenue d’une nouvelle séquence sismique de magnitude supérieure à 2 à proximité du lieu de forage, elle durera jusqu’à janvier 2021. Face à cette situation, les opérateurs revoient leur façon de communiquer. Lors des réunions des Comités de suivi de site (CSS) mis en place par la Préfecture, Fonroche et la DREAL, affichant l’éthos d’expert qu’ils ont construit, soulignent la normalité du phénomène : selon eux, toute géothermie induirait une sismicité qui serait acceptable dès lors qu’elle ne dépasserait pas une magnitude de 2,5 (CSS du 10.11.2020). Or, ces propos, repris par les médias, sont mal acceptés par les maires des communes impactées (DNA 11.11.2020). Le 4 décembre, un séisme de magnitude 3,5 conduit la Préfecture à ordonner l’arrêt définitif des travaux menés à Vendenheim. Un moratoire sera appliqué pour l’ensemble des projets en cours au sein de l’Eurométropole.

Une nouvelle dimension s’ajoute alors à l’éthos que présentent les opérateurs aux publics : ils semblent plus humbles. Juste avant l’annonce de l’arrêt définitif de la géothermie à Vendenheim, le président d’ÉSG souligne : « Nous souhaitons continuer de contribuer au développement économique du territoire, en travaillant avec les collectivités, et l’adhésion de la population ». Il en profite pour souligner que les travaux menés par son groupe n’ont généré « que de «très faibles» évènements sismiques non perceptibles par l’homme » (DNA 10.12.2020).

Pour autant, les industriels n’entendent pas laisser les scientifiques s’ingérer dans leurs affaires. Un événement qui est organisé par l’Eurométropole le 11 décembre 2020 en Facebook live, en témoigne [16]. Le directeur de Fonroche Géothermie et le directeur du Labex débattent. L’opérateur soigne son image. Il veut apparaître humain et responsable. Il affirme qu’il partage l’émotion exprimée après le séisme et souligne que la procédure d’arrêt a été déclenchée immédiatement après l’événement. Il prône ensuite une approche résiliente : « c’est une des énergies qui est prioritaire en Europe, […] il faut la sécuriser pour lui donner un avenir et un développement important (min. 48:23) ». Et seuls les opérateurs peuvent, selon lui, assurer cet avenir : « [Ce] sont des énergéticiens, qui savent appréhender le risque géologique et qui sont prêts à investir par rapport à ce risque et qui vont amener cette énergie au territoire » (min. 55:20). Les scientifiques ne sont pas évoqués. Durant tout le débat, l’industriel expose son éthos d’entrepreneur-scientifique. Son objectif est de « comprendre ce qu’il s’est passé pour en tirer des leçons, pour le futur […] il faut absolument que ces autres projets bénéficient de ce retour d’expérience, pour « se dérisquer» par rapport à ce risque sismique » (min. 45:49).

En face de lui, le directeur du Labex met en avant son éthos de « sachant », capable de vulgariser ses travaux et d’expliquer ce qui s’est passé. Il utilise un ensemble de métaphores. Pour expliquer les effets de l’injection de fluide sous pression, il parle de frein constitué par « un chargement tectonique qui appuie sur ce système » et qui peut être supprimé « par effet de vérin » avec l’injection (min. 51:38). Il revient sur la distinction géothermie mature et non mature. La géothermie conventionnelle aurait, selon lui, fait ses preuves et produit, dans le monde, l’équivalent de 12 centrales nucléaires. Toutefois, il précise que l’Alsace est un terrain très particulier où la circulation des fluides en profondeur est plus limitée. Pour surmonter cette contrainte, « il y a d’autres techniques [que celle de la stimulation hydraulique] qui émergent aujourd’hui. Que ce soit avec de la chimie ou par d’autres moyens […]. Ça c’est une frontière de la recherche, on a des projets pour essayer de faire ça aujourd’hui. […]. (min. 59:32) »

Le débat prend ainsi la forme d’une opposition terme à terme, révélatrice des paradigmes qui sous-tendent les positionnements des acteurs. Chacun s’approprie un rôle d’expert, mais les compétences manifestées sont opposées : l’industriel s’appuie sur le bien-fondé économique et écologique de la géothermie profonde, alors que le scientifique met en avant ses connaissances du sous-sol local. La maturité et l’absence de maturité de la géothermie profonde constituent un terrain d’affrontement : pour l’un la technique ne demande qu’à être perfectionnée pour éviter tout risque ; pour l’autre, le contexte dans lequel elle sera peut-être implémentée doit encore faire l’objet de recherches, afin de trouver notamment des alternatives à la stimulation hydraulique. Enfin, la question des risques est au centre de la controverse, puisque l’opérateur compte sur les habitants pour accepter une technique risquée tandis que le scientifique cherche encore à déterminer quelle sera la technique la moins risquée dans un contexte local particulier. Ces deux positionnements rendent, pour l’instant, le dialogue et la coopération entre les industriels et les scientifiques très difficile, voire impossible.

Conclusion

Une controverse publique amène généralement chacune des parties à s’engager dans une communication visant à renforcer sa légitimité et sa crédibilité. Le recours aux notions combinées de paradigme de communication et d’éthos discursif a permis d’analyser les stratégies discursives de légitimation des mondes industriel et scientifique dans le cadre des développements de la géothermie alsacienne. Désireux d’asseoir leur position dans le champ, les industriels ont mis en place une communication d’acceptabilité axée sur un éthos de scientifique-entrepreneur. Se présentant comme capables de concevoir et mener à bien des projets, ils construisent un récit vantant les mérites d’une géothermie EGS mature et sans risques qu’ils auraient contribué à façonner. Cette communication et les relations publiques qui lui sont associées leur ont valu le soutien de l’EMS pour implanter de nouveaux projets. Toutefois, en insistant, dans leur discours, sur la maturité de leur approche, ils n’ont pas préparé les populations et les élus à la survenue de risques éventuels. Aussi, les épisodes sismiques de 2019 et 2020 contredisent cinq années de discours d’acceptabilité, tout en fragilisant la crédibilité publique des industriels. Ainsi, l’Eurométropole, à l’issue des événements sismiques, remet en cause la place dévolue à la géothermie dans son schéma directeur des énergies.

Les scientifiques de l’EOST, quant à eux, étaient liés par des relations partenariales au sein du Labex. Cette alliance les a « invisibilisés » en tant qu’acteurs clés de la géothermie profonde et a limité leur possibilité d’expression : ils n’ont pas pu apporter leur regard critique et scientifique sur les projets menés en Alsace. Ils se sont alors engagés dans une communication visant à réaffirmer le rôle et la place que devrait occuper la science dans le domaine des projets de géothermie en exposant aux publics un éthos de scientifique responsable, distancié. Cependant, si certaines de leurs analyses ont été reprises par les associations opposantes, elles n’ont pas été véritablement prises en compte par les pouvoirs publics. En effet, leur discours, porteur d’incertitudes, n’était guère compatible avec l’urgence des décisions en charge du développement du territoire et de transition énergétique. Il aura fallu que se produise une succession d’événements sismiques pour que la légitimité des chercheurs soit rétablie. Ce n’est qu’à ce moment qu’ils ont été invités à siéger au Comité d’expert et à la Commission d’information et d’évaluation respectivement mis en place au début de l’année 2021 par la Préfecture et l’Eurométropole de Strasbourg.

Notes

[1] Recherche soutenue par le Labex G-Eau-Thermie Profonde (Unistra/CNRS) et réalisée dans le cadre du projet H2020 Destress (projet n° 16/309/E05, WP 3.3).
[2] Un nouveau séisme de magnitude 3,5 le 4 décembre 2020, conduit la Préfecture à ordonner l’arrêt définitif des travaux menés à Vendenheim et un moratoire pour tous les autres projets en cours au sein de l’Eurométropole.
[3] C’est là un des motifs importants de création du Labex. ÉS n’ayant pas de département R&D, elle a abondé le consortium de 2 millions d’euros pour bénéficier des compétences des chercheurs strasbourgeois. Trois laboratoires strasbourgeois sont impliqués dans la création du Labex ce qui permet d’apporter les compétences qui manquaient à l’époque à l’industriel : l’Institut de Physique du globe, le Laboratoire d’Hydrologie et de Géochimie et l’Institut de mécanique des fluides et des solides.
[4] L’Eurométropole et la Ville de Strasbourg étaient, à ce moment, sous gouvernance d’une coalition socialiste-EELV plutôt favorable à la géothermie profonde. Une partie des élus, notamment issue de la droite traditionnelle, s’opposait aux projets. L’espace consacré à cet article ne nous permet pas d’analyser plus avant les positionnements et l’influence de ces acteurs, points qui font l’objet d’une publication à paraître (Chavot et al., sous presse).
[5] La vocation première des centrales envisagées par Fonroche est de produire de l’électricité, approche jugée la plus rentable par ses dirigeants. Cependant, les projets d’ÉS et de Fonroche n’excluent pas de valoriser la chaleur résiduelle. Or, pour utiliser cette chaleur, des travaux de raccordement onéreux doivent être envisagés pour la collectivité : l’Eurométropole de Strasbourg n’était pas prête à s’y engager en 2015. De plus, les lieux d’implantation des centrales, loin des entreprises gourmandes en énergie, rendaient difficile une utilisation industrielle de la chaleur produite. La situation évoluera en 2016-2017, lorsque l’Eurométropole décide d’intégrer les projets de géothermie profonde dans son schéma directeur des énergies.
[6] Cette prétention à la « maturité » de la géothermie profonde répond et s’oppose à l’analyse d’un scientifique strasbourgeois qui démontrait que cette technologie n’est « pas [encore] mature », nous y reviendrons. Cette dernière formule a été largement reprise par les riverains, associations et élus qui contestent les projets (Serrano et al., 2019).
[7] URL : https://videos.strasbourg.eu/video/-/entity/id/1080746 [consulté le 31.03.2021].
[8] Ils ont été sollicités pour le projet d’Illkirch uniquement sur des questions de surveillance sismique. Une collaboration avec Fonroche avait été envisagée, mais s’est avérée impossible du fait de la relation contractuelle qui liait les scientifiques strasbourgeois à ÉS.
[9] Soulignons que durant ce colloque réunissant pour majorité des industriels, il s’agissait de s’entendre sur les procédures à mettre en œuvre pour accompagner les développements des énergies vertes en France. Les enjeux en termes de politique énergétique étaient donc importants. URL : https://www.ademe.fr/transition-energetique-energies-renouvelables-mix-electrique-francais-entre-volonte-nationale-gouvernance-regionale [consulté le 31.03.2021].
[10] En Suisse et en Allemagne, plusieurs projets de forage utilisant la technologie EGS induisirent des séismes d’une magnitude supérieure à 2 : à Bâle (2006), à Landau (2009), à Insheim (2010) et à Saint Gall (2013). A Lochwiller, en 2012, un forage géothermique de faible profondeur génère des déformations de sol du fait du contact d’une couche d’anhydrite avec de l’eau puisée dans la nappe phréatique (Ineris, 2017).
[11] Il en est de même pour la frontière entre technologie EGS et fracturation via l’approche Hot Dry Rock. Dans une synthèse portant sur la technologie EGS, Gentier souligne que le spectre des usages de la stimulation hydraulique est très large, pouvant aller jusqu’à la fracturation (Gentier, 2013).
[12] Ces propos sont tirés de deux MOOC de la même série : « Les différents types de géothermie et leur maturité » et « Comment aller vers la maturité de la géothermie haute température non conventionnelle ? ». URL : https://labex-geothermie.unistra.fr/la-geothermie-profonde/mooc-sur-la-geothermie-profonde/ [consulté le 31.03.2021].
[13] D’autres types de centrales exploitant des aquifères présentes à moins grande profondeur, mais sans pro- duire d’électricité, semblent fonctionner sans générer de risques. C’est le cas de la centrale de Rittershoffen dédiée à la production d’eau chaude pour le secteur industriel, ou encore de centrales installées de longue date dans le Bassin parisien.
[14] Alors que le sujet était en débat au sein du consortium d’un projet européen dans lequel ÉSG et l’EOST étaient impliqués. Ces débats ont ouvert sur un article publié dans la revue Science : https://science.sciencemag.org/content/360/6392/1003 [consulté le 18.07.2021].
[15] Conseil de l’EMS du 29 novembre 2019. URL : https://www.creacast.com/channel/strasbourg/?sid=241&iid=7394 [consulté le 31.03.2021].
[16] « Parlons-en. La géothermie dans l’Eurométropole de Strasbourg », Facebook live, 11 décembre 2020. URL : https://www.facebook.com/161360213882507/videos/175889007581807 [consulté le 31.03.2021].

Références bibliographiques

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Gentier, Sylvie (2013), « Les EGS : une méthode d’exploitation géothermique généralisée pour les températures de 130 à 180 °C », Géosciences, p.54-63.

Gieryn, Thomas (1999), Cultural Boundaries of Science. Credibility on the Line, Chicago/London: The University of Chicago Press.

Ineris (2017), « État des connaissances sur les risques, impacts et nuisances potentiels liés à la géothermie profonde », Rapport d’étude DRS-16-157477-00515A, Nancy.

Maingueneau, Dominique (2002), « Problèmes d’ethos », Pratiques, vol. 113, n°1, p.55–67.

Merton, Robert K. (1973), « The Normative Structure of Science » (p. 267-278), in Storer, Norman W. (dir.), The Sociology of Science, Chicago : University of Chicago Press,

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Strauss, Anselm (1978), « A Social World Perspective », in Denzin, Norman (dir.), Studies in Symbolic Interaction, vol. 1, p. 119-128.

Auteur

Philippe Chavot

Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de Strasbourg / LISEC. Ses travaux s’inscrivent dans le domaine Sciences-Technologies-Sociétés. Ils portent sur les sciences citoyennes, les disposi- tifs de concertation et leur mobilisation dans le cadre de controverses scientifiques et sociotechniques.
philippe.chavot@unistra.fr

Anne Masseran

Maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de Strasbourg / CREM. Ses travaux portent sur les controverses technoscientifiques publiques, les dispositifs de concertation publique et l’évolution de la représentation médiatique des technologies médicales. Ses recherches s’inscrivent dans le domaine STS avec une optique critique.
masseran@unistra.fr

Yeny Serrano

Maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de Strasbourg / LISEC. Ses travaux de recherche portent sur le rôle des médias de masse dans les sociétés démocratiques. Elle s’intéresse à la façon dont les médias informent la société, favorisent le débat d’opinions contradictoires et la participation citoyenne.
yeny.serrano@unistra.fr

Jean Zoungrana

Maître de conférences associé en sociologie, Faculté des Sciences Sociales à l’Université de Strasbourg / SAGE. Ses travaux portent sur les dispositifs participatifs au regard des controverses scientifiques : formes d’expres- sion de la citoyenneté dans la société.
zoungrana@unistra.fr