La construction des légitimités d’une expertise scientifique au prisme de sa médiatisation : le cas de la « crise requin » à La Réunion
Résumé
Cet article interroge l’évolution des légitimités de l’expertise scientifique qui a eu lieu de 2011 à 2015 dans le cadre de la gestion du risque requin à La Réunion, au prisme de sa construction médiatique. L’analyse d’articles issus de la presse locale en ligne couplée à celle des discours de journalistes locaux et d’experts scientifiques recueillis en entretiens, révèle la façon dont les contraintes des champs scientifique et journalistique, en termes d’enjeux et de pratiques communicationnelles, participent à la dynamique des représentations du rapport entre légitimité médiatique et sociale des experts scientifiques.
Mots clés
Construction médiatique, Controverse socio-scientifique, risque environnemental
In English
Title
Construction of the legitimacies of a scientific research program at the lens of its media coverage: the case of the “Shark crisis” in reunion island.
Abstract
This article questions the evolution of the legitimacies of a scientific research program that was conducted from 2011 to 2015, as part of the shark risk management in Reunion Island, at the lens of its media construction. The analysis of articles from the local online press, combined with that of journalists and scientific experts’ discourses from interviews, reveals how the constraints of the journalistic and scientific fields, in terms of communicational issues and practices, participate to the dynamics of the representations about the link between media and social legitimacy of the scientific experts.
Keywords
Media construction, Socio-scientific controversy, environmental risk
En Español
Título
Construcción de las legitimidades de una investigación científica a través de su cobertura mediática: el caso de la “crisis tiburón” en la isla de la Reunión
Resumen
Este articulo cuestiona la evolución de las legitimidades del proceso de investigación científica que se desarrollada de 2011 a 2015 para la gestión del riesgo de ataques de tiburones en La Reunión, a través de su construcción mediática. El análisis de artículos de la prensa local en línea junto con los discursos de periodistas locales y expertos científicos reunidos en entrevistas, revela como las limitaciones de los ámbitos científico y periodístico, en términos de desafíos y practicas comunicacionales, participan en la dinámica de las representaciones de la relación entre legitimidad mediática y social de los expertos científicos.
Palabras clave
Construcción mediática, Controversia socio-científica, riesgo ambiental
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Losen Barbara, , « La construction des légitimités d’une expertise scientifique au prisme de sa médiatisation : le cas de la « crise requin » à La Réunion », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°22/4, 2021, p.25 à 43, consulté le lundi 23 décembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2021/supplement-b/la-construction-des-legitimites-dune-expertise-scientifique-au-prisme-de-sa-mediatisation-le-cas-de-la-crise-requin-a-la-reunion/
Introduction
L’analyse des controverses s’inspire très souvent d’études de sociologie des sciences plutôt que d’analyses des communications sociales (Le Marec et Babou, 2015). Cependant, les études de science ne décrivent pas suffisamment la diversité et l’importance des pratiques et dispositifs dans la recherche scientifique (Le Marec et Babou, 2015). Aussi, l’approche communicationnelle des controverses donne la possibilité de se focaliser sur les processus communicationnels dans une controverse publique, mais également de tenir compte des logiques propres aux médias ou encore du lien qui existe entre enjeux de performance communicationnelle et processus de production des savoirs dans la recherche (Le Marec et Babou, 2015). Ces différents éléments participent aussi à la construction de la légitimité des acteurs concernés par une controverse socio-scientifique. Le concept de légitimité se rapporte ici principalement à des questions liées au pouvoir (Weber, 1914). La légitimité sociale des acteurs se définit alors au prisme de l’autorité qu’ils incarnent. Cette autorité leur confère un poids dans les rapports de forces qu’ils entretiennent avec d’autres acteurs à propos de l’évolution de la controverse qui les concerne. Cette autorité demeure cependant extrêmement dépendante du contexte, de l’époque et des valeurs qui y sont portées (Habermas, 1978). Afin de saisir les liens entre controverse, communication et construction de la légitimité sociale des acteurs, l’analyse des discours médiatiques portant sur les sciences dans les médias peut être utilisée comme cadre théorique, l’analyse des médias et des sciences dans la société permet de comprendre comment se confrontent différentes constructions de la réalité et comment les rapports de légitimités liés au pouvoir de « dire le vrai sur le monde » s’établissent et évoluent (Le Marec et Babou, 2004).
Dans les controverses environnementales par exemple, ce pouvoir est notamment détenu par les politiques, les scientifiques et les journalistes, qui figurent parmi les premiers co-constructeurs légitimes des risques environnementaux (Allan, Adam, et Carter, 2000). Cependant, ces légitimités sont mises à l’épreuve lors de situation de controverse publique, par des acteurs qui ne font pas l’objet d’une certaine symétrie, en termes de représentation médiatique ou encore de ressources d’influence sur les décisions (Badouard et Mabi, 2015). Cette asymétrie de légitimité est contestée largement, dans un contexte général de défiance des citoyens vis à vis des institutions (Beck, 2001). Ainsi, le monopole donné au processus d’expertise scientifique dans l’aide à la décision politique fait l’objet d’une forte remise en cause (Wynne, 1996 ; Granjou, 2003 ; Beck, 2001)
L’étude de l’évolution de la légitimité sociale d’une expertise scientifique peut être appréhendée à partir d’une approche communicationnelle des controverses et de l’expertise, en analysant le sens que donnent les acteurs aux enjeux de celle-ci. Il s’agit de tenir compte de l’hétérogénéité des acteurs, individuels et institutionnels, présents dans le processus de production des connaissances, de délimiter la situation d’expertise en question et de souligner les séquences d’interactions significatives. Ainsi ce processus de production des connaissances s’effectue-t-il en étroite relation avec les médias, par lesquelles ces résultats sont diffusés et discutés (Bouillon, 2012). Les relations entre le champ journalistique et le champ scientifique sont cependant marquées par des tensions relatives notamment à la confrontation de logiques de profession(Weingart, 1998 ; Bourdieu, 1996) intégrant des valeurs propres à chacune de ces sphères (Le Marec et Babou, 2004). Cesinteractions participent à la construction médiatique de la légitimité des experts, qui donne la possibilité également d’en appréhender la construction sociale (Babou et Le Marec, 2003).
Plus précisément, il s’agit de comprendre comment le lien entre la légitimité « médiatique » et la légitimité « sociale » d’une expertise scientifique est pensé, à la fois par les journalistes et par les experts eux-mêmes. La légitimité « médiatique » des acteurs se définit ici par rapport à la priorité qui leur ait accordée en termes de représentation médiatique sur une ou plusieurs dimensions d’une controverse, par les journalistes. Cet article s’intéresse ainsi à la façon dont les relations entre journalistes et scientifiques participent à la construction de leurs représentations des légitimités d’une expertise scientifique au prisme des jeux et logiques d’acteurs à l’œuvre dans une controverse. L’étude de cas choisie porte sur l’expertise scientifique qui s’est déroulée dans le cadre de la gestion du risque d’attaques de requins à l’île de La Réunion.
La « crise requin » à la réunion
La Réunion, département d’outre-mer français situé dans le sud-ouest de l’océan Indien, est exposée à de nombreux aléas naturels. Depuis 2011, le risque d’attaques de requin a pris une place importante dans la gestion politique des risques du territoire (Taglioni et Guiltat, 2015) et a fait l’objet d’une crise institutionnelle (Lemieux, 2007) baptisée la « crise requin » par les médias. La même année, les autorités étatiques et régionales ont fait appel à l’Institut pour la Recherche et le Développement (IRD) dans le but de mettre en place une expertise scientifique comme aide à la gestion politique du risque. Celle-ci s’est achevée en 2015 et avait pour but de produire des connaissances sur l’écologie de deux espèces de requins impliquées dans les attaques. Cependant, dès 2012, les temporalités scientifique, politique et médiatique sont entrées en conflit. De nombreux usagers de la mer remettent alors en cause l’expertise jugée trop longue et doutent de sa capacité à apporter des mesures de gestion opérationnelle répondant à leurs attentes de sécurisation. La perpétuation des attaques durant le déroulement de l’expertise exacerbe alors les tensions relatives à la gestion du risque, et la légitimité sociale des experts en tant qu’acteurs de la gestion du risque est remise en cause (Thiann-Bo Morel, 2019). L’implication des médias locaux dans celle-ci est alors particulièrement interrogée par certains journalistes eux-mêmes ou encore par certains experts (Jaccoud, 2014).
Une analyse quantitative de discours médiatiques issus de la presse numérique locale a été menée dans un premier temps pour établir les tendances de traitement médiatique du risque requin et la construction médiatique de la légitimité des acteurs (cf. Annexes). L’analyse se focalise sur les articles de presse en ligne publiés de janvier 2011 à décembre 2015, le temps du déroulement de l’expertise. Deux approches chronologiques ont été choisies, l’une sur une échelle pluriannuelle (1376 articles) concernant un seul média d’informations local, Linfo.re, et l’autre sur une échelle événementielle (1037 articles) incluant d’autres médias d’informations locaux : Clicanoo, Zinfos974, Réunion la 1ère, Imaz Press Réunion (IPR) (cf. Annexes). Enfin, des entretiens semi-directifs ont été menés avec différents acteurs (experts scientifiques et journalistes) repérés dans les articles de presse analysés (cf. Annexes).
Stratégies des journalistes face aux contraintes communication- nelles et médiatiques des exPerts
Varier les sources d’informations pour couvrir l’actualité sur le risque requin
L’ensemble des discours médiatiques analysés mobilise une pluralité d’acteurs pour aborder le risque requin. Une préférence à solliciter les représentants institutionnels, à la fois lors d’événements paroxysmiques ou sur échelle pluriannuelle, s’observe. Les usagers de la mer, qui ne jouissent pas d’un statut institutionnel mais le plus souvent associatif, font également partie des acteurs les plus mobilisés par l’ensemble des médias sur une échelle pluriannuelle et événementielle (Figure 1, Tableau 1).
La sollicitation des scientifiques en tant qu’acteurs majoritaires pour aborder le risque requin diffère selon les médias (Tableau 1). A Linfo.re (en 2011), Clicanoo (de 2011 à 2013), et IPR (en 2011) ils figurent parmi les catégories majoritairement sollicitées alors que ce n’est pas le cas chez les autres médias étudiés (Tableau 1). Cependant, aucune différence significative en termes de sollicitation des scientifiques selon les évènements au sein de chaque média ne se note. La sollicitation des acteurs se trouve représenter un critère de légitimation « médiatique » de ces derniers, celle-ci peut témoigner d’une forme de partialité journalistique. A partir des tendances médiatiques de mobilisation des acteurs, les journalistes accordent plus de légitimité aux acteurs politiques et aux usagers de la mer en tant que sources d’informations, s’il est pris en compte la dynamique de leur sollicitation médiatique par rapport à d’autres acteurs, et notamment aux experts scientifiques, qui figurent progressivement au fil du temps parmi les acteurs les moins majoritairement mobilisés (Figure 1, Tableau 1). Cependant, la parole accordée aux interlocuteurs n’est pas à mettre obligatoirement en relation avec la légitimité « médiatique » accordée à ces derniers par les journalistes, mais plus en relation avec leurs disponibilités vis à vis des médias. Ces disponibilités varient en effet d’un acteur à un autre selon différents critères, qui se rapportent notamment à leur adaptabilité à la temporalité médiatique, ou encore aux contraintes communicationnelles auxquelles ils peuvent être soumis.
Certains experts interrogés reprochent ainsi aux journalistes d’avoir surreprésenté médiatiquement certains acteurs plutôt que d’autres, notamment certains leaders d’associations d’usagers de la mer, plus enclins à parler aux journalistes. En réponse, les journalistes soulignent, pour une majorité d’entre eux, une difficulté à recueillir les discours d’expertise du fait d’une certaine absence de la parole scientifique, qui a pu se transformer à terme en une forme de « mutisme » scientifique. Ce « mutisme » décrit le fait que les experts refusent de répondre aux demandes d’interview des journalistes.
Ce refus de communication est d’autant plus difficile à gérer que les journalistes sont confrontés à des demandes d’informations de la part d’autres acteurs, principalement des usagers de la mer, souhaitant s’informer sur l’avancée des recherches. Les scientifiques sont perçus comme rendant difficile le respect de la règle polyphonique pour les journalistes, qui consiste à mettre en évidence les différentes prises de position divergentes lorsqu’il y a conflit d’interprétations (Lemieux, 2000, p.372). La réticence des experts à parler aux journalistes est perçue par ces derniers comme étant la conséquence d’une demande institutionnelle des services de l’État auprès des experts scientifiques, de limiter leur communication médiatique :
« On essaye d’en savoir un peu plus, on nous balade, on ne nous répond pas. Et comme nous-même on est justement sollicité par les usagers, par les gens qui nous disent : « Bah alors Imaz Press ! Bah vous faites quoi ?! Bah dites-nous ! ».» (L., Journaliste à Imaz Press Réunion, 2019) ;
« C’est une donnée que l’on n’a peut-être pas suffisamment développée le regard scientifique, mais c’est pas faute de pas l’avoir voulu. C’est que parfois les scientifiques étaient peut-être prudents, ou alors qui avaient pour consignes des autorités politiques de ne pas communiquer. » (G., Journaliste à Réunion la 1ère, 2019).
Les experts ont en effet été confrontés à certaines contraintes communicationnelles durant le déroulement de l’expertise, émanant notamment de leur institution. Ces contraintes sont tout d’abord relatives au droit de réserve des fonctionnaires. Ces derniers doivent faire preuve de retenue lorsqu’ils s’expriment publiquement, en restant mesurés dans leurs propos. Le fonctionnaire ne doit pas porter atteinte aux intérêts de son administration, sauf dans certains cas bien définis, où il devient lanceur d’alerte (Laurent, 2008). Aussi, les contraintes communicationnelles des experts de l’IRD sont liées en premier lieu à leur statut d’agent public qui comprend une obligation de retenue, surtout lorsqu’ils s’expriment dans la presse, pour éviter de porter atteinte aux intérêts de leur institut. Ces intérêts se situent, selon certains experts, à un niveau politique, du fait de l’affiliation de l’IRD au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Ces intérêts s’inscriraient dans la dynamique des relations diplomatiques de la France sur la scène internationale et européenne, dans le cadre notamment de ses collaborations liées à la recherche scientifique. Ainsi, selon des experts, le service communication de l’IRD aurait jugé que leurs propos dans la presse en abordant la gestion politique du risque requin pouvaient à terme porter atteinte aux intérêts de l’IRD, et a fortiori à ceux de sa tutelle ministérielle. La communication entre les experts et la presse se serait réalisée alors par le biais des professionnels de la communication de l’Institut :
« Il y a eu […] régulation de la parole ! […] Là c’est le service com de l’IRD qui a dit : « Là il faut arrêter l’hémorragie parce que ça, c’est pas bon pour notre image de marque […] C’est nous qui nous occupons de ça. Vous ne communiquez plus à chaud, vous nous avertissez […]et vous ne parlez que à froid, que si on vous l’autorise ». C’était boulonné ! » (B., Chercheur en écologie, 2019).
Selon des journalistes, la communication peu fréquente des experts est perçue comme un élément ayant participé à la baisse de leur légitimité sociale vis à vis de certains usagers de la mer et journalistes, ainsi qu’à celle des arguments scientifiques dans la gestion du risque :
« C’est des gens qui s’investissent profondément, sauf qu’ils ne savent pas communiquer, mais en même temps, on ne leur demande pas de communiquer, on leur demande de chercher et d’étudier. Mais il y a eu un gros déficit de communication à ce moment-là et ça, ça a créé de la polémique. » (L., Journaliste à Imaz Press Réunion, 2019).
A cela s’ajoute l’incertitude des connaissances établies sur le comportement des requins, dans une situation de crise institutionnelle. En effet, les résultats du programme de recherche indiquaient des tendances comportementales des requins qui contenaient une certaine variabilité biologique. Celle-ci ne permettait pas alors d’établir des directives de gestion du risque en adéquation avec l’acceptabilité sociale du risque d’attaques des usagers de la mer.
Ce contrôle de la communication des experts scientifiques serait un des éléments à l’origine des conflits entre eux, la presse et les usagers de la mer. Les experts auraient alors été privés d’un droit de réponse médiatique aux attaques à leur encontre, puisque seule la communication des résultats de l’expertise aurait été autorisée par leur institut. D’un autre côté, le « mutisme » scientifique face aux demandes de communication médiatique est envisagé par d’autres experts comme une contrainte nécessaire pour apaiser la situation sous tension. Enfin, la baisse d’apparition médiatique des experts dans les médias à partir de 2014 jusqu’en 2015 est liée en partie à la fin du programme d’expertise (Figure 1, Tableau 1). Cette diminution est significative à une échelle pluriannuelle pour Linfo.re (χ2 = 17,93 ; p=0,001) mais pas à une échelle événementielle au regard de l’ensemble des médias étudiés. Les experts désabusés décident de ne communiquer que sous forme de rapports en ligne. Les interactions avec des interlocuteurs, quels qu’ils soient, sont évitées le plus possible. Aussi, face à un certain refus des scientifiques à communiquer dans les médias, les journalistes se seraient alors tournés vers d’autres sources d’informations sur l’actualité du risque requin, au cours de l’expertise et après :
« Mais il n’y avait pas de volonté de la part de Réunion la 1ère, des médias en général de créer une polémique, il y a simplement des interlocuteurs qui veulent bien parler[…], on peut dire que c’est facile de tendre un micro, mais quand personne ne parle, on tend le micro à celui qui veut bien parler. C’est une logique assez implacable, mais il n’y a pas de désir de créer une polémique pour autant. » (G., Journaliste à Réunion la 1ère, 2019).
D’un autre côté, certains journalistes n’hésitent pas à accepter les conditions demandées par les experts concernant leur contrat de communication avec la presse.
L’anonymisation comme aide à la communication médiatique des scientifiques
De façon générale, les cadrages médiatiques utilisés par les journalistes correspondent aux champs de préoccupation ou d’expertise de leurs interlocuteurs (principalement social pour les usagers de la mer et les journalistes, scientifique et technique pour les experts, etc.) (Tableau 2).
A l’échelle évènementielle, la tendance de certains médias à utiliser un cadrage médiatique scientifique et technique est significative (Linfo.re : χ2=9,68 ; p=0,046 ; Zinfos974 : χ2=11,46, p=0,02 ; Réunion la 1ère : χ2=7,5, p=0,02) et visible principalement en février 2015 (Tableau 3). Celle-ci est également significative à l’échelle pluriannuelle pour Linfo.re (χ2=12,00 ; p=0,017) et visible principalement en 2014 (Figure 2).
L’utilisation de ce cadrage par les différents médias à l’échelle évènementielle en février 2015 peut s’expliquer par le début de restitution des connaissances acquises lors du programme de recherche ce même mois sous la forme d’un rapport d’expertise publié en ligne sur le site internet de l’IRD, et d’une communication orale dans le cadre d’une conférence de presse à l’Université de La Réunion.
L’analyse à une échelle pluriannuelle de Linfo.re met cependant en évidence quatre tendances. La première montre une différence significative de la fréquence d’apparition des journalistes ne mentionnant pas leurs sources et constitués en tant que sources d’informations (χ2=160,54 ; p<0,001) avec une augmentation de leur apparition en 2014 et 2015 (Figure 1). La deuxième met en évidence une évolution significative des cadrages médiatiques utilisés par Linfo.re, où l’on passe d’un cadrage principalement social de 2011 à 2014 (χ2=43,15 ; p<0,001 ; Figure 1) à un cadrage scientifique et technique en 2014 (χ2=12,00 ; p=0,017 ; Figure 2). La troisième indique cependant une différence significative d’apparition médiatique des scientifiques (χ2=17,93 ; p=0,001), avec une diminution visible en 2014 et 2015 (Figure 1). La quatrième donne à voir une différence significative sur l’utilisation du cadrage médiatique scientifique et technique par les journalistes lorsqu’ils ne mentionnent pas leurs sources (χ2=20,34, p<0,001) (Tableau 2). Ces derniers alors accoutumés à utiliser un cadrage médiatique principalement social, en 2011, 2012, 2013 et 2015, privilégient en 2014 un cadrage médiatique scientifique et technique (Tableau 2).
Ces tendances observées à Linfo.re peuvent s’expliquer par plusieurs éléments à la fois contextuels mais également issus de l’analyse des entretiens. Le premier élément, d’ordre contextuel, est relatif au changement d’orientation de gestion du risque requin en 2014. En effet, une attaque de requin mortelle s’est produite sur une baigneuse en juillet 2013 et confère une autre dimension au risque à cause de par l’évolution de la catégorie d’usagers habituellement exposés aux attaques. En effet, les attaques de requins ont eu lieu principalement sur des sportifs de glisse (Lagabrielle et al, 2018). Peu après cet événement, les services de l’État ont effectué un changement dans la gestion du risque. Un programme opérationnel de réduction du risque requin baptisé « Cap requins » a donc été mis en place et commença à être effectif en 2014, en parallèle au programme de recherche toujours en cours. Le programme comprenait la mise en place d’une pêche préventive ciblée sur la capture de requins tigres et bouledogues à la différence du programme d’expertise qui consistait à les capturer, marquer et relâcher afin de suivre et d’analyser leurs déplacements. Aussi, les journalistes décrivent principalement les as- pects scientifiques et techniques de ce programme, sans mentionner systématiquement leurs sources d’informations. Ils décrivent alors dans leurs articles les techniques de pêche utilisées, leurs améliorations, les espèces de requins capturés, leur taille et leur sexe.
Le second élément qui explique les tendances observées est mis en évidence par les discours des journalistes et des experts recueillis en entretiens. Bien que l’on puisse se diriger vers l’hypothèse d’une « autoréférence médiatique » [1] de la part des journalistes (Babou et Le Marec, 2003) lorsqu’ils se constituent en tant que sources d’informa- tions, d’autres éléments peuvent expliquer les tendances observées. Tout d’abord, lesinformations sur les pêches émanaient en grande partie de la préfecture, dont les journalistes reprenaient les communiqués sans mentionner systématiquement leurs sources. Les opérateurs du programme « Cap Requins » communiquant très peu dans les médias en 2014, leur fréquence d’apparition médiatique était inévitablement faible. Enfin, certains journalistes expliquent que dans le contexte socialement vif dans lequel la gestion du risque requin évoluait, certains experts auraient demandé l’anonymisation de leurs témoignages dans la presse : « Il y a toujours des gens, des scientifiques je parle, pour des raisons qui leur sont propres et c’est plutôt sain je trouve, qui disent : « bah écoute moi je vais te dire, ça ça veut dire telle chose, et ça ça veut dire telle chose ». La source requiert l’anonymat et nous on sait qu’elle est vérifiée, qu’elle est sûre, que ce n’est pas un farfelu qui a parlé et que c’est vraiment un scientifique qui a parlé mais qui, pour différentes raisons, ne veut pas apparaître. » (L., Journaliste à Imaz Press Réunion, 2019)
L’anonymisation des sources scientifiques par les journalistes semble être un point révélateur des contraintes communicationnelles réelles ou représentées, auxquelles sont soumis les experts. Afin de pallier cette appréhension portant sur la réappropriation de leurs discours par les médias dans un contexte de crise institutionnelle (Lemieux, 2007), leur anonymisation se révèlerait comme un élément permettant, d’une part d’éviter une potentielle mise en jeu de la crédibilité scientifique dans l’arène médiatique, d’autre part, de contourner les contraintes communicationnelles liées aux institutions et à l’obligation de réserve des fonctionnaires auxquels les scientifiques sont soumis. Aussi, la plupart des journalistes n’usent pas de l’autoréférence médiatique dans le but de nuire à la légitimité médiatique des experts. Cependant, ils peuvent contribuer autrement à la construction des représentations relatives au lien entre légitimité médiatique et sociale des experts, à travers notamment la forme et le contenu de leurs articles.
De la légitimité « médiatique » des experts
L’utilisation prépondérante d’un mélange de description de faits et de commentaires par l’ensemble des médias d’informations étudiés est marquante (Figure 3, Tableau 4) et assez caractéristique du journalisme réunionnais (Almar, 2008 ).
Aussi, cette tendance marque l’investissement des médias locaux réunionnais en tant qu’acteurs de la controverse. Celle-ci est visible sur une échelle pluriannuelle et encore plus sur une échelle évènementielle, où les genres journalistiques utilisés relèvent du commentaire ou encore du point de vue et du positionnement d’acteurs, pour problématiser les informations. Les discours recueillis en entretien indiquent une tendance, chez certains experts, à penser l’activité journalistique comme devant appliquer certaines règles, liées notamment à la neutralité et à l’impartialité, qui rappellent la façon dont les normes de scientificité sont censées encadrer la logique de l’activité scientifique. Pour la plupart des journalistes, la neutralité journalistique n’existe pas en tant que telle, en revanche ces derniers soulignent une volonté d’atteindre une forme d’objectivité dans leur travail. Celle-ci est mise en œuvre à travers un procédé où le journaliste s’applique à décrire les faits le plus fidèlement possible en suivant quelques règles de vérification. Ce qui l’autorise alors dans un second temps à exprimer son opinion :
« Non, ça n’existe pas une information neutre. Par contre ce qui existe […] c’est de faire une infor- mation objective […] ça veut dire qu’on a un traitement des faits totalement factuel […] on n’a pas encore été privé de nos droits de citoyens, donc on a le droit de donner notre avis […] le commentaire et l’analyse sont libres » (L., Journaliste à Imaz Press Réunion, 2019)
Ainsi, l’utilisation prépondérante du commentaire et de la description de faits observée dans l’ensemble des médias analysés (Figure 3, Tableau 4) est en partie la résultante de la perception des journalistes de leur rôle qui consiste notamment en une sorte « d’engagement citoyen » et un devoir démocratique de mettre en perspective les discours des acteurs investis dans la controverse, de « faire la lumière sur les zones grises » (extrait d’entretien avec M., ancien journaliste au JIR, 2019) de ces discours, des intérêts et des logiques d’actions qui s’en suivent, ceci afin d’éclairer leurs lecteurs :
« J’ai essayé de déconstruire les discours et d’essayer de mettre au jour les intérêts qui pouvaient guider les paroles des uns et des autres. Y compris chez les scientifiques, parce qu’il pouvait y avoir aussi des inté- rêts de certains à défendre la Réserve Marine parce qu’ils étaient au conseil d’administration […] » (M., ancien journaliste au JIR, 2019)
Au même titre que les experts remettent en question la neutralité et l’impartialité journalistique, les journalistes n’hésitent pas à remettre en question la neutralité et l’objectivité des experts dans leur positionnement sur la gestion du risque requin. Aussi, l’impact de la critique journalistique sur la dynamique des représentations des légitimités des experts fait l’objet d’une perception différente selon les acteurs. Pour la plupart des journalistes, les scientifiques demeurent légitimes, à la fois médiatiquement et socialement. Selon les journalistes, la légitimité « médiatique » des acteurs, dont celles des experts, relèverait principalement de leur droit d’expression médiatique en tant que sources d’informations. Cette légitimité est en relation avec la perception de leur légitimité « sociale » qui relève du droit des acteurs et de leur autorité, à participer à la gestion du risque, selon leur statut, et reconnue socialement. L’autorité et la légitimité « sociale » des experts scientifiques, en tant que producteurs de connaissances scientifiques et acteurs de la gestion du risque ne sont pas, pour la plupart des journalistes, remises en cause. Du point de vue des scientifiques, la critique journalistique sur l’expertise scientifique peut participer en partie à la diminution de leur crédibilité et de leur légitimité « sociale » en tant qu’acteurs de la gestion du risque. Leur légitimité « médiatique » relèverait alors en partie du caractère positif ou négatif de la critique journalistique à leur égard.
La controverse sur la gestion du risque requin met ainsi en évidence un conflit entre certains journalistes et des experts. Bien que les journalistes décrivent le déroulement de l’expertise de façon globalement très factuelle (avancées dans le protocole, résultats intermédiaires, etc.), certains d’entre eux font preuve de critiques sur les objectifs de l’expertise, le positionnement des experts sur la pêche des requins et sur leurs intérêts, autant de points sont discutés selon la ligne éditoriale du journal. Pour exemple, deux sites d’informations se distinguent dans leurs critiques de l’expertise scientifique : Clicanoo (JIR) et Zinfos974. Entre 2011 et 2015, la ligne éditoriale de Clicanoo indique qu’une forte légitimité médiatique, mais aussi sociale, est accordée à l’expertise scientifique comme aide à la gestion du risque requin [2], avec un positionnement du journal assez défavorable à la pêche comme dispositif de gestion. A partir de 2016 cependant, la ligne éditoriale change avec l’arrivée d’un nouveau rédacteur en chef qui se positionne en faveur de la pêche raisonnée. Il attaque dans certains de ses éditoriaux la réglementation de la Réserve Naturelle Marine de La Réunion (RNMR) qui n’autorise pas la pêche des requins ciblés dans certaines zones de protection renforcées [3]. Les légitimités sociale et médiatique des scientifiques ne sont cependant pas remises en cause, mais leur point de vue sur la pêche aux requins (plutôt défavorable globalement) y est fortement critiqué. À Zinfos974, la légitimité des experts est fortement remise en question par le rédacteur en chef. Celui-ci s’exprime en défaveur de la gestion du risque adoptée par les autorités publiques priorisant l’expertise scientifique. Il s’attache à dénoncer le fonctionnement de l’activité scientifique qu’il juge « en réseau » [4]. Plus précisément, la communauté scientifique à La Réunion est considérée comme entretenant des relations mutuellement bénéfiques, par l’usage de différentes « casquettes » (Ronsin, 2018) (conseils scientifiques, associations environnementales, directions de laboratoires, etc.). Celles-ci leur confèreraient alors un certain pouvoir sur les décisions d’orientation de gestion du risque requin, ceci grâce à l’entretien d’un capital de ressources d’influence, selon certains journalistes. Cette tendance à la dénonciation du « pouvoir » de ceux considérés comme faisant partie d’une certaine élite locale par des journalistes locaux, s’explique notamment par la sociohistoire du journalisme marquée par des tensions politiques entre nationalistes et indépendantistes après la départementalisation de l’île en 1946 (Idelson, 2014).
La presse réunionnaise, et particulièrement la presse écrite et les pure players, conserve une tradition de presse d’opinion et un habitus éditorial de débats et de commentaires (Idelson et Lauret, 2020). Aussi, les traditions éditoriales des médias héritées de leur histoire constituent un des éléments qui montre que ces derniers sont bien actants d’une controverse.
Conclusion
Dans le cadre du traitement médiatique de la gestion du risque requin à La Réunion, face aux contraintes communicationnelles des experts émanant notamment de leur hiérarchie et de leur statut d’agent public, certains journalistes s’adaptent en cherchant d’autres interlocuteurs pour couvrir l’actualité sur la gestion du risque requin ou encore en accédant aux demandes d’anonymat des experts. Pour la plupart des journalistes, la légitimité « médiatique » des experts scientifiques relève de leur légitimité sociale en tant qu’acteurs de la gestion du risque qui ne peut réellement être remise en cause malgré les critiques négatives qu’ils émettent à leur égard, notamment sur leur objectivité dans la gestion du risque. A l’inverse, du point de vue des experts, ces critiques remettent en cause leur légitimité médiatique, en fonction de leur caractère positif ou négatif, et questionnent leur légitimité sociale en tant qu’acteurs de la gestion du risque. Cet article analyse la façon dont les journalistes et les experts se représentent le lien entre légitimité médiatique et légitimité sociale d’une expertise scientifique, cependant il comprend quelques limites.
L’enjeu de légitimation des experts scientifiques rejoint, dans un contexte plus global, les enjeux de la recherche, et notamment ceux liés à la fragmentation des formes de médias, Internet offrant, en plus, un accès rapide aux ressources d’informations, d’opinions et de débats (Hansen, 2009). Quant aux journalistes, ils sont confrontés à des contraintes relatives au modèle économique de la presse en ligne qu’ils ont choisi. Ces contraintes participent, dans une certaine mesure, aux processus de production et de diffusion de l’information. La façon dont les logiques des professions scientifique et journalistique se confrontent au prisme des enjeux qui pèsent sur leur champ, souligne l’importance d’approfondir les logiques des acteurs, en les mettant en relation avec les différentes dimensions du contexte dans lequel elles sont actives et qui en constituent leurs singularités.
Le contexte réunionnais dans lequel se déroulent ces interactions entre scientifiques et journalistes devrait être mis en relation avec les représentations plus approfondies des acteurs sur ce qui constitue et fait évoluer les rapports de légitimités qu’ils entretiennent. Des pistes de réflexion sont envisagées telles que l’analyse de l’approche épistémologique de l’expertise scientifique et les conflits de valeurs qu’elle peut engendrer (Yearley, 1995) ; celle de la dynamique des relations de confiance entre journalistes et scientifiques qui intègre leur logique professionnelle, leurs valeurs, ou encore leurs origines sociales et culturelles. Enfin, la façon dont les journalistes locaux négocient la définition médiatique du risque requin avec les autres acteurs, au sein d’une société réunionnaise marquée par l’interconnaissance, pourra constituer un autre axe d’analyse.
Notes
[1] L’« autoréférence médiatique » désigne le fait que les journalistes utilisent des sources d’informations médiatiques en interviewant par exemple d’autres journalistes, en se référant à des citations dans la presse (Babou et Le Marec, 2003) mais aussi en faisant référence à eux même en tant que source d’information.
[2] « Crise requin : la stratégie de l’échec », publié dans Clicanoo le 14/04/2015 : https://www.clicanoo.re/node/327350
[3] « La danse macabre »,publié dans Clicanoo le 27/02/2017 : https://www.clicanoo.re/Editorial/Article/2017/02/22/La-danse-macabre_455797
[4] « A qui profite la ferme aquacole et le projet CHARC ? », publié dans Zinfos974, le 31/08/2012 : https://www.zinfos974.com/A-qui-profitent-la-ferme-aquacole-et-le-projet-CHARC_a45924.html?preview=1
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Annexes
Analyse d’un média d’informations local sur une échelle pluriannuelle : Linfo.re
L’analyse quantitative de la presse en ligne sur une échelle pluriannuelle a tout d’abord permis de mettre en évidence une dynamique de publication médiatique ayant trait à la thématique du risque requin. Le paysage médiatique réunionnais étant constitué de plusieurs médias d’information, le choix du média Linfo.re pour illustrer l’évolution des publications entre 2011 et 2017 a été fondé sur son taux d’audience web plus élevé par rapport à d’autres médias locaux en ligne (Idelson et Lauret, 2020). Ce paramètre suggère en effet une diffusion plus large de l’information auprès du public, sans prétendre cependant en déduire des effets sur sa réception. La dynamique de publication mensuelle de Linfo.re de 2011 à 2017 sur le risque requin a mis en évidence cinq événements paroxysmiques de couverture médiatique qui correspondent à des attaques de requin ayant fait l’objet d’une importante médiatisation. Les articles ont été collectés via une requête par mots-clés dans le moteur de recherche du site, tels que: « requin », « squale », « CHARC », « IRD », « experts », « scientifiques », « Réserve marine ». Le nombre total d’articles collectés est de 1752. Cette temporalité médiatique a permis d’identifier, en termes d’intensité, différents moments du traitement médiatique de la controverse, selon le modèle de Véron utilisé dans son étude sur la construction médiatique de l’événement de Three Mile Island (Véron, 1981). Des phases de creux et de pics de publications apparaissent, où les événements paroxysmiques correspondent aux phases de pics (Figure A1). Depuis 2015, une diminution du nombre d’articles publiés a été observée, avec l’apparition de phases de pic d’une amplitude plus faible (Figure A1).
L’analyse quantitative a été centrée sur trois indicateurs empruntés à la méthode d’analyse quantitative de la presse de Lochard et Soulages, sous la direction de Charaudeau (2008a). Afin d’examiner la façon dont quatre grands journaux de la presse quotidienne nationale ont traité la thématique du Clonage ou encore celle des OGM, les auteurs ont quantifié les domaines scéniques (cadrages médiatiques), les locuteurs, ainsi que les types de texte (genres journalistiques) utilisés par les journalistes (Lochard et Soulages, 2008). Bien que ces indicateurs définis par Charaudeau (2008b) n’aient pas été utilisés pour le même objectif de recherche, ils ont été réinvestis dans cette étude dans le but d’appréhender l’évolution de légitimité des acteurs de la controverse étudiée, au sens médiatique. La totalité des articles publiés sur la période 2011-2015 a été analysée, soit 1376.
Chaque article a été téléchargé puis codé en fonction de ses métadonnées (titre, date de publication, média) et des indicateurs explicités précédemment, dans une base de données Excel (Tableau A3). Ces derniers ont ensuite été comptabilisés à l’aide de l’outil « tableau croisé dynamique » et représentés sous forme de pourcentage. Les catégories d’acteurs ont également été associées aux cadrages médiatiques utilisés (Tableau 2).
La catégorisation des acteurs est fondée sur des critères qualitatifs, principalement liés à leur identité donnée par le journaliste et au cadre médiatique utilisé. Cependant, cette catégorisation reste dynamique. Les catégories associées aux acteurs sont poreuses et flexibles, selon le contexte ou leur « casquette » (Ronsin, 2018), et spécifiques à cette étude. Les cadrages médiatiques sont définis à la fois sur des critères d’énonciation et d’identité des acteurs. La quantification des cadrages médiatiques utilisés permet de comprendre dans un premier temps le champ de préoccupation des acteurs ou leur champ d’expertise, lorsqu’ils interagissent avec des journalistes (Tableau 2). Les cadrages médiatiques décrits par Charaudeau (2008b) retenus sont décrits en Tableau A1. Enfin, les genres journalistiques utilisés pour rédiger les articles sont définis en Tableau A2.
Analyse des médias d’informations locaux sur une échelle évènementielle
Les attaques de requins constituent des évènements paroxysmiques de la controverse sur la gestion du risque qui peuvent être mis en relation avec des pics de publication d’articles (Figure A1). C’est lors de ces événements précisément (Figure A1), que nous supposons que la légitimité des acteurs investis dans la gestion du risque est particuliè- rement éprouvée. Cette supposition est fondée sur le ressenti des acteurs eux mêmes, que nous avons interrogés lors d’entretiens exploratoires, pour lesquels les attaques de requins représentent des événements exacerbant les tensions déjà existantes entre eux, relatives à la gestion du risque. Leur légitimité en tant qu’acteurs de cette gestion peut y être fortement remise en cause.
La totalité des articles publiés lors de ces événements a été collectée par la même recherche de mots-clés effectuée que pour l’analyse à une échelle pluriannuelle de Linfo. re, sur les moteurs de recherche des sites internet des autres médias d’informations locaux : Zinfo974, Clicanoo, Réunion la 1ère et Imaz Press Réunion (IPR). Pour Réunion la 1ère, les articles ont été collectés à partir de 2013, sa plateforme web ayant été mise en place à partir de 2012. Par la suite, au moins 25% des articles collectés ont été sélectionnés pour chaque média (Tableau A4) aléatoirement (Riff et al., 2019) pour être analysés en appliquant la même méthode d’analyse quantitative mobilisant les indicateurs de Charaudeau (2008b) explicitée précédemment. Le nombre total d’articles analysés est de 1037. En revanche, les catégories d’acteurs n’ont pas été associées aux cadrages médiatiques comme cela a pu être réalisé pour l’analyse à une échelle pluriannuelle. L’échantillonnage d’articles sélectionnés étant plus faible, celui-ci ne permettait pas de dégager des tendances associant cadrages médiatiques et catégories d’acteurs.
Analyses statistiques
Pour l’analyse à une échelle pluriannuelle, un test du khi deux a été réalisé pour les indicateurs « catégorie d’acteurs » et « cadrage médiatique » afin de repérer si des différences significatives apparaissaient selon les années, au seuil α=0,05, en ce qui concerne : 1/l’apparition des scientifiques, 2/celle des journalistes en tant que sources d’informations (c’est-à-dire lorsqu’ils ne mentionnent pas leurs sources), 3/l’utilisation d’un cadrage médiatique scientifique par ces mêmes journalistes, et 4/ celle d’un cadrage médiatique scientifique quelle que soit la source. Pour l’analyse à une échelle évènementielle, le même test a été réalisé pour les mêmes indicateurs en ce qui concerne : 1/l’apparition des scientifiques 2/celle des journalistes constitués en tant que sources d’informations et 3/l’utilisation d’un cadrage médiatique scientifique quelle que soit la source. Les analyses ont été réalisées avec le logiciel R version 4.0.3.
Qualitative d’entretiens semi-directifs
Dans un deuxième temps, une approche sociologique a été adoptée afin de mieux comprendre les jeux et logiques d’acteurs à l’œuvre. Il s’agit alors de donner du sens aux tendances médiatiques mises en évidence en première partie d’analyse, à travers les représentations des acteurs sur ces discours médiatiques. Aussi, le choix des acteurs interviewés repose sur un repérage de leur apparition dans les articles de la presse locale analysés précédemment. Six chercheurs en sciences expérimentales ayant participé au programme d’expertise ainsi que six journalistes affiliés aux journaux locaux étudiés, ont été interviewés. Les entretiens ont été enregistrés par dictaphone puis transcrits dans leur totalité. Les thématiques abordées avec les acteurs en entretiens portaient sur leur lecture générale de la controverse, leur représentation du travail des experts et des journalistes, le contexte dans lequel se sont déroulés leurs échanges, ainsi que la perception de leur rôle dans la controverse sur la gestion du risque requin. Une analyse thématique des entretiens a ensuite été effectuée dans une visée comparatiste des représentations des acteurs. Ainsi, leurs discours sur leurs pratiques communicationnelles liées à leurs représentations construites en relations avec leurs habitus, leurs capitaux, mais aussi avec leurs interactions avec d’autres acteurs, ont-ils été utilisés dans l’analyse afin de les associer aux tendances médiatiques dégagées par l’analyse quantitative.
Auteur
Barbara Losen
Doctorante en Sciences de l’information et de la communication, laboratoire LCF, Université de La Réunion. Ses travaux de recherche portent sur l’analyse des processus médiatiques qui participent à la construction des représentations de la légitimité sociale d’une expertise scientifique en situation de controverse à l’île de La Réunion.
barbara.losen@univ-reunion.fr