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Les musées d’art contemporain et l’évolution de la médiation face aux injonctions communicationnelles : le cas de la chaîne YouTube du Centre Pompidou

20 Déc, 2019

Résumé

De nombreux musées d’art contemporain sont présents aujourd’hui de manière importante sur Internet et les réseaux sociaux, comme le Centre Pompidou à Paris qui produit et diffuse des contenus audiovisuels sur sa chaîne YouTube. L’approche sémiologique de ces contenus audiovisuels et de leur contexte en ligne montre comment, dans ces vidéos dont le musée est l’énonciateur, la programmation reproduit celle du musée physique et sa temporalité. Leurs visées communicationnelles répondent à des injonctions issues du marketing culturel visant à promouvoir son identité de marque. Elles opèrent de concert une médiation culturelle des expositions, en encourageant les publics à agir comme des participants actifs et en relayant le positionnement artistique de l’institution. Mais le développement d’une interaction avec les publics reste en réalité très limité.

Mots clés

Art contemporain, médiatisation, médiation culturelle, musées, Internet, YouTube

In English

Title

The YouTube Channel of a Contemporary Art Museum, Between Demands of Communication and of Mediation. The Case of the Centre Pompidou

Abstract

Many museums of contemporary art today mobilize important Internet and social networks, such as the Centre Pompidou in Paris, which produces and distributes audiovisual content on its YouTube channel. The semiological approach of these audiovisual contents and their online context shows how, in these videos of which the museum is the enunciator, the programming reproduces that of the physical museum and its temporality. The communicational aims of these videos respond to demands from cultural marketing strategies to promote its brand identity. They also carry out a cultural mediation of the exhibitions, encouraging audiences to act as active participants and relaying the artistic positioning of the institution. But the development of an interaction with the audience on the YouTube channel remains in fact very limited.

Keywords

Contemporary art, media representation, cultural mediation, museums, Internet, YouTube

En Español

Título

El canal de YouTube de un museo de arte contemporáneo, entre demandas de comunicación y de mediación. El caso del Centre Pompidou

Resumen

Hoy en día, muchos museos de arte contemporáneo movilizan importantes redes sociales y de Internet, como el Centre Pompidou de París, que produce y distribuye contenido audiovisual en su canal de YouTube. El análisis semiológico de estos contenidos audiovisuales y su contexto en línea muestra cómo, en estos videos de los que el museo es el enunciador, la programación reproduce la del museo físico y su temporalidad. Los objetivos de comunicación de estos videos responden a las demandas de las estrategias de marketing cultural para promover su identidad de marca. También producen una mediación cultural de las exposiciones, alentando a las audiencias a actuar como participantes activos y transmitiendo el posicionamiento artístico de la institución. Pero el desarrollo de una interacción con el público en el canal de YouTube sigue siendo de verdad muy limitado.

Palabras clave

Arte contemporáneo, representación mediática, mediación cultural, museos, Internet, Youtube

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

de Montgolfier Clémence, « Les musées d’art contemporain et l’évolution de la médiation face aux injonctions communicationnelles : le cas de la chaîne YouTube du Centre Pompidou », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°20/3, , p.97 à 110, consulté le vendredi 29 mars 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2019/supplement-a/07-les-musees-dart-contemporain-et-levolution-de-la-mediation-face-aux-injonctions-communicationnelles-le-cas-de-la-chaine-youtube-du-centre-pompidou/

Introduction

Par son célèbre slogan « Broadcast Yourself », le site d’hébergement de vidéos YouTube, créé en 2005, appelle à la créativité et à la diffusion de ses productions auprès de milliers, voire de millions d’internautes. Aujourd’hui, certaines institutions culturelles se l’approprient, comme les musées d’art moderne et contemporain à travers le monde qui, après avoir peu à peu investi le multimédia et le Web depuis les années 1990 (Crenn, Vidal, 2007 ; Schafer, Thierry, 2011), répondent aujourd’hui aux injonctions à la créativité et à la visibilité énoncées par le site. En 2007, à l’occasion de la conférence annuelle Communicating the Museum, Didier Rykner soulignait déjà que « Tous les grands musées réfléchissent à l’impact de leur site Internet sur les visites et sur les nouveaux services qu’ils peuvent offrir aux visiteurs » (Rykner, 2007). Si les sites d’hébergement de vidéos en ligne sont devenus les lieux du développement d’un « capital de visibilité » (Heinich, 2012) en matière de nombre de vues, ils sont également des supports de diffusion pour des vidéos promotionnelles, des vidéos pédagogiques, des œuvres audiovisuelles et des films sur les artistes. Le Centre Pompidou à Paris a ainsi commencé à publier des contenus audiovisuels d’abord sur la plateforme française Dailymotion en 2012, puis sur YouTube à partir de 2015, vidéos qui sont relayées sur Twitter, Facebook et Instagram de manière régulière (1). Les musées comme le MoCA à Los Angeles, le MoMA à New-York ou encore la Tate Modern à Londres ont développé tous trois de manière similaire de véritables contenus audiovisuels sur YouTube qui suivent un rythme de publication souvent soutenu. La chaîne YouTube de la Tate Modern annonce ainsi la promesse : « New films about art every week (2) ! ». Nous chercherons à comprendre, dans cet article, si et comment ces contenus audiovisuels diffusés sur le Web par les musées, pour la plupart brefs, dépassent la simple promotion des institutions et de leurs expositions. En effet, en 2011, Valérie Schafer et Benjamin Thierry notaient que malgré une volonté d’interactivité affirmée avec les publics, les sites Internet des musées et leurs identités sur les réseaux sociaux numériques avaient tendance à se limiter à un usage « vitrine » (Schafer, Thierry, 2011). Quels types de médiation des œuvres et des expositions seraient-ils alors produits par ces contenus audiovisuels dans leur contexte en ligne ? Après avoir observé la chaîne YouTube et ses contenus à partir d’une une approche sémiologique (Jost, 2009 ; Bonaccorsi, 2017), nous examinerons d’abord de quelle manière cet outil est utilisé comme une plateforme de communication de la part de musées d’art contemporain qui appliquent alors des stratégies de marques. Nous nous interrogerons ensuite sur la manière dont ces supports peuvent aussi être des outils de diffusion et de médiation des œuvres d’art. Les questions posées demandent de mobiliser différents champs de recherche : l’étude des médias, l’analyse du Web et des contenus audiovisuels, la médiation culturelle ainsi que le champ des industries créatives et de la création. Le cas d’étude choisi, celui de la chaîne YouTube du Centre Pompidou, constitue  un point d’entrée dans l’étude des relations entre les mondes de l’art contemporain (Moulin, 2009) et les médias, et celle des évolutions des mondes de l’art (Becker, 1988) à l’heure du numérique ; il mériterait dans de futurs travaux une comparaison plus approfondie avec d’autres réseaux sociaux numériques et d’autres musées internationaux d’art contemporain. Nous choisissons pour l’heure de nous limiter à un seul musée d’art contemporain en France, qui a une portée historique et symbolique importante dans le paysage de l’art contemporain, dans le champ des arts plastiques et qui dispose d’une envergure internationale.

Des contenus audiovisuels dont le musée est l’énonciateur

Le centre national d’art et de culture Georges Pompidou, inauguré en 1976, accueille plusieurs institutions culturelles dont le musée national d’art moderne, première collection d’art contemporain et moderne d’Europe, le Centre de Création Industrielle et la Bibliothèque publique d’information. Il est le musée d’art moderne et contemporain le plus important en France mais aussi en Europe, autant par l’envergure de sa collection que par sa fréquentation, et développe une présence en ligne notamment sur YouTube et sur les réseaux sociaux numériques. En ce sens, nous le considérons comme étant un cas significatif de stratégie de visibilité sur Internet des musées dans le champ des arts visuels.

Le contexte de la présence du Centre Pompidou sur YouTube

Le Centre Pompidou est d’abord visible sur Internet à travers son site web. Ce dernier propose en en-tête et sur toutes ses pages des boutons d’accès à sa chaîne YouTube, ainsi qu’à son compte Twitter, Facebook et Instagram. Par le biais de ces signe-passeurs (Jeanneret, Souchier, 1999), les internautes peuvent y accéder à tous moments. Les contenus proposés sur YouTube sont également partagés sur les autres réseaux sociaux, dans un objectif de stratégie qui vise à renforcer la présence de l’institution sur Internet. Les recherches sur les musées et Internet indiquent deux grands types de stratégies existantes (Notebaert, Pulh et al., 2011). D’un côté, il existe des sites « minimalistes » qui visent principalement à informer des visiteurs de musée potentiels des expositions et des horaires, adresses, etc. Leur esthétique est simple et il n’existe pas de contenu spécialement produit pour le site, autre que les informations sur les expositions. D’un autre côté, certains musées ont mis en place des sites dits « amiraux », qui proposent des contenus numériques spécifiques que le visiteur ne va pas retrouver dans le musée physique et dont certains possèdent une dimension participative prononcée. Le site centrepompidou.fr (3) semble être un hybride entre site minimaliste et site amiral participatif : l’apparence du site est visuellement épurée et simple, et les menus proposés sur la page d’accueil visent avant tout à renseigner les internautes sur les visites et la programmation actuelle du musée. Mais l’utilisateur a la possibilité  également d’effectuer des recherches dans les collections du musée dont une partie est accessible en ligne. Le site propose à l’usager des contenus spécifiques (dossiers pédagogiques, podcasts, vidéos, billetterie et boutique) et l’incite à se rendre au musée physique. Certains contenus qui accompagnent la visite des expositions invitent aussi les visiteurs qui se trouvent dans le musée physique à se rendre sur le site a posteriori.

À la date du 09 octobre 2019, le Centre Pompidou compte plus de 7000 abonnés sur YouTube, environ 9000 sur Instagram et plus de 700000 followers sur Facebook. La chaîne YouTube est donc moins suivie que les autres réseaux sociaux. C’est assez peu si l’on compare également aux autres grands musées internationaux précités dont le nombre d’abonnés sur YouTube varie entre 160000 et 450000 abonnés. Néanmoins, la chaîne comptabilise plus de 3 millions de vues au total. Les contenus postés par l’institution doivent répondre à des critères précis : les sites d’hébergement de contenus audiovisuels en ligne présentent des prescriptions techniques et esthétiques importantes en termes de durée, de formats et de contenus des vidéos qui varient avec le temps (Bullich, 2014). Par exemple, aucun contenu sonore ou vidéo soumis au droit d’auteur ne peut être utilisé et les vidéos enfreignant ces règles sont régulièrement supprimées. Les vidéos peuvent également être monétisées par des publicités ou des bannières, bien que les critères pour accéder à cette monétisation soient de plus en plus restreints (Cherif, 2018). Si YouTube se présente avant tout comme un diffuseur de User Generated Content, en réalité, aujourd’hui il s’appuie aussi sur des contenus produits par des professionnels de l’audiovisuel, et conçoit et diffuse également ses propres contenus (Bullich, 2014). En créant une chaîne YouTube, il est difficile de considérer que le Centre Pompidou se positionne comme un usager mais plutôt comme une marque culturelle qui va ainsi communiquer sur ses activités par la mise en avant de contenus propres. Les vidéos diffusées par le centre d’art et de culture sont produites par son service audiovisuel interne composé de professionnels, comme nous le constatons dans les crédits des vidéos, parfois en collaboration avec une agence de communication ou un producteur externe.

Les contenus audiovisuels diffusés par le Centre Pompidou sur YouTube

Que nous montrent ces vidéos que les internautes ont la possibilité de visionner sur la chaîne du Centre Pompidou ? Comment sont-elles catégorisées et à quels genres audiovisuels peuvent-elles correspondre ? Pour l’analyse des contenus audiovisuels sur la chaîne YouTube, nous mobilisons à la fois des outils de la sémiologie de l’audiovisuel développée par François Jost (Jost, 2007), qui observe, entre autres, la médiation visuelle et sonore de chaque contenu audiovisuel, sa place dans une temporalité et une programmation ainsi que les promesses de son genre et ses visées axiologiques ; nous nous appuyons aussi sur l’analyse sémiologique du Web comme dispositif et sur les travaux sur les « écrits d’écran », prenant en compte la place de ces vidéos au sein du site de diffusion, leur relation aux textes et aux autres contenus visibles, liés ou invisibles (Souchier et Jeanneret, 1999 ; Vitali-Rosati, 2016 ; Bonnaccorsi, 2017). En observant la chaîne et en visionnant les contenus, nous avons d’abord recensé au total 303 vidéos publiées depuis 2015, dont 292 vidéos qui sont éditorialisées en 27 playlists, à la date du 9 octobre 2019. Les dix premières playlists qui apparaissent sur la page d’accueil de la chaîne, dans un ordre qui varie en fonction de l’algorithme de popularité de YouTube (figure1) et qui constituent le corpus sur lequel nous nous appuyons pour l’analyse, sont retranscrites dans le tableau suivant (figure 2).

Figure 1. Capture d’écran de la page d’accueil de la chaîne YouTube du Centre Pompidou.
https://www.youtube.com/user/centrepompidou – Consulté le 24 juin 2019.

 

Titre de la playlist Nombre de vidéos Durée Genre
En ce moment et bientôt au Centre Pompidou  9 Moins d’1 mn Promotion
Parcours d’exposition 19 3 à 19 mn Accompagnement à la visite
Un Podcast, une œuvre 13 Env. 3 mn Pédagogie
Mon œil, une web-série pour les enfants 14 11 à 25 mn Pédagogie / création
Les Cinémas du Centre Pompidou 16 11 mn à 3heures Captation / accompagnement à la visite
Entretiens d’artistes 6 10 à 47 mn Accompagnement à la visite
Les courants artistiques du XXe siècle. Vous voulez un dessin ? 12 2 à 3 mn Pédagogie
Les paroles du Centre Pompidou 17 1 à 2h Captation
Où en êtes-vous ? Une collection de films 12 13 à 23 minutes Création
Dans les coulisses des spectacles vivants 15 5 à 25 mn Accompagnement à la visite

Figure 2. Tableau récapitulatif des dix premières playlists de vidéos, chaîne YouTube du Centre Pompidou, au 24 juin 2019.

Parmi ces dix premières playlists, six types de catégories de vidéos ayant des visées distinctes se dessinent : le premier type concerne des vidéo promotionnelles, visant à annoncer les expositions au même titre que des affiches dans l’espace public. C’est le cas des teasers des expositions et des spectacles vivants dans la playlist En ce moment et bientôt au Centre Pompidou. Reprenant les styles de titrages des affiches des expositions en question, ces courtes vidéos présentent des images d’œuvres, avec travellings avant et arrière mettant l’accent sur certains détails, sur un fond musical. Les images sont accompagnées des dates et lieux de l’exposition, de liens vers la billetterie, et de très courts textes faisant ressortir des aspects importants de l’œuvre (citation de l’artiste, mots-clés). D’autres vidéos, dans cette catégorie, sont consacrées à la promotion d’un MOOC lancé par le Centre Pompidou en 2017 en partenariat avec la Fondation Orange intitulé L’École du Centre Pompidou. La deuxième catégorie de vidéos propose des comptes-rendus des expositions et des spectacles. Ces vidéos accompagnent la visite  avec des contenus qui visent à « l’augmenter » (Schafer, Thierry, 2011, p.104). Elles sont classées par type d’art (visuel, vivant ou cinéma) sans travail de hiérarchisation entre ces arts et dans des formats relativement courts. Ce sont notamment les playlists Parcours d’exposition, Dans les coulisses des spectacles vivants et Les cinémas du Centre Pompidou. Des images filmées au sein de l’espace d’exposition ou de l’espace scénique (plans d’ensembles montés alternativement avec des plans rapprochés sur des œuvres choisies), sont accompagnées d’entretiens avec les artistes ou avec les commissaires qui expliquent leurs choix artistiques face caméra (figure 4). Le troisième type de vidéos englobe les vidéos qui sont pédagogiques, didactiques et qui visent à expliquer et à transmettre des connaissances sur l’art et l’histoire de l’art avec Les courants artistiques du XXe siècle, vous voulez un dessin et Un podcast, une œuvre. Elles s’adressent à des publics connaissant peu l’art contemporain. La dimension ludique y est affirmée : des textes lus en voix-over (4) sur des images d’animations colorées et avec des jeux typographiques, visent à expliciter et à illustrer les concepts et les œuvres évoquées. Ensuite, la quatrième catégorie  désigne les vidéos qui s’adressent à des publics spécifiques et notamment les jeunes publics, par exemple la web-série pour enfants Mon œil. Également en image d’animations, ces vidéos réalisées par des artistes visuels sont des récits fictifs courts et poétiques, présentés par un personnage en forme d’œil.

Figure 3. Préhistoire – Parcours d’exposition – Centre Pompidou, 4 mn 05, publiée le 5 juillet 2019.
https://youtu.be/MFdJtIm-eU0

La cinquième catégorie de vidéos enregistre et conserve les événements éphémères (tables-rondes, projections-débats, festivals, performances…) dans une optique de documentation, avec Les paroles du Centre Pompidou et Les cinémas du Centre Pompidou. Ce sont des vidéos longues (plus d’une heure voire deux) car l’intégralité des événements est captée. Des plans larges sur l’ensemble des intervenants alternent avec certains plans plus serrés. Enfin, la dernière catégorie propose des créations audiovisuelles artistiques, avec Où en êtes-vous ? Une collection de films, où un réalisateur est invité à créer un film court. La série pour les enfants Mon Œil rentre également dans cette catégorie de création audiovisuelle. Ces créations sont produites pour être diffusées sur la chaîne YouTube ainsi que lors de projections dans le musée.

Parmi ces catégories, nous remarquons d’emblée qu’aucune des vidéos ne correspond à une « esthétique du Web » (Louessard, Farchy, 2018) caractéristique du « format YouTube » et du podcast vidéo. Elles ne sont pas assimilables à une esthétique de pratiques amateurs et ne contiennent pas, par exemple, de boutons ou autre signes-passeurs au sein de la vidéo même. Le commentaire ou le like n’est pas incité. Au contraire, la médiation audiovisuelle et le type de discours s’apparentent à des reportages culturels ou à des documentaires institutionnels, dont l’écriture est issue de la tradition du documentaire et du film sur l’art (Michaud, 1997 ; Berdot, 2004) voire parfois du film d’artiste pour les créations audiovisuelles ; elles sont assimilables à des productions vidéos professionnelles sur les collections et les activités du musée. L’interaction avec les usagers, caractéristique des vidéos YouTube, occupe une faible place du dispositif : les commentaires sur les vidéos sont activés mais rares, et le Centre Pompidou y répond peu et succinctement.

Concernant la temporalité de diffusion en ligne de ces vidéos, la programmation  de la chaîne YouTube redouble celle de la programmation du musée et de ses diverses activités : les vidéos sont publiées sur la chaîne aux mêmes dates que les expositions ou les événements du musée qu’elles promeuvent ou qu’elles accompagnent, et certains événements sont en direct ou en livestream. Il n’y a donc pas ou très peu de programmation en propre, à l’instar d’un grand média, de contenus originaux sur cette chaîne. On peut rapporter le genre de ces vidéos aux genres télévisuels que François Jost a défini comme existant au sein de trois « mondes télévisuels » : le monde fictif, le monde réel et le monde ludique (Jost, 1997). Si elles se rapportent au monde réel et parfois au monde ludique (vidéo pédagogiques et pour les enfants notamment), voire fictif pour les essais cinématographiques de la playlist Où en êtes vous ?, les titres des playlists de vidéos, qui sont repris dans le titrage des vidéos elles-mêmes, font appel à des genres qui correspondent pour la plupart à la programmation du musée « physique » : nous retrouvons la répartition entre les différentes disciplines artistiques mettant en avant l’interdisciplinarité et l’horizontalité qui sont le positionnement artistique et idéologique caractéristique du Centre Pompidou. En effet, la médiation des expositions et la pédagogie y ont une place importante, alors que dès son ouverture en 1976, le projet du musée était d’être un centre d’art pluridisciplinaire ouvert à tous les publics (Dufrêne, 2007).

Nous pouvons également nous demander « qui parle » à travers ces contenus audiovisuels et quel est le point de vue axiologique exprimé. Les auteurs et les sources de l’énonciation que nous avons identifiés dans ces vidéos sont des représentants de l’institution, des artistes invités à y exposer, des commissaires d’exposition y travaillant, des intervenants et des experts invités à participer à des tables rondes, tous s’exprimant si ce n’est « au nom » de l’institution, du moins dans son cadre. Par exemple, dans la vidéo précitée intitulée Préhistoire – Parcours d’exposition – Centre Pompidou, publiée le 5 juillet 2019, Cécile Debray, co-commissaire de l’exposition nous présente cette dernière, suivie de Maria Stavrinaki, autre co-commissaire. À travers cette chaîne, le Centre Pompidou organise et propose un discours sur l’art, en même temps que les acteurs des mondes de l’art qui s’expriment en leur nom propre. Si le musée dispose d’une « manière de regarder » (Bernier, 2011, p. 84-89), à travers la muséographie et le travail des commissaires d’exposition, ce sont aussi ces manières de regarder propres au Centre Pompidou et à sa programmation qui sont explicitées et reprises dans l’énonciation audiovisuelle des vidéos et dans leur « éditorialisation » (Vitali Rosati, 2016) sur sa chaîne YouTube.

Visées communicationnelles et médiation culturelle

À quelles injonctions de communication répond cette diffusion de contenus audiovisuels du Centre Pompidou sur cette plateforme d’hébergement de contenus audiovisuels ? La chaîne YouTube s’inscrit dans la continuité de ce que Davallon a nommé le « tournant communicationnel des musées » (Davallon, 1992), où ces derniers cherchent à transmettre un discours sur l’œuvre d’art en même temps qu’ils doivent répondre à des problématiques de gestion et de rentabilité en investissant le Web (Schafer, Thierry, 2011). Cette chaîne semble répondre également à une injonction des musées à adapter leurs activités de promotion, de documentation audiovisuelle et de médiation culturelle aux nouveaux médias, et à prendre en charge leur propre médiatisation à travers un « devenir-média », suivant en cela la Tate Gallery qui lançait en 2006 la structure Tate Media chargée de porter la stratégie sur le Web de l’institution et de produire des contenus audiovisuels (Rykner, 2007). Les plateformes en ligne de diffusion de contenus audiovisuels se présentent également, pour les institutions culturelles, comme des alternatives aux médias traditionnels et notamment, la télévision où les émissions sur les arts sont devenues peu fréquentes et diffusées à des heures creuses de la programmation depuis la fin des années 1980 (Clément, 2003 ; de Montgolfier, 2017). En France, les musées membres de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais disposent, pour beaucoup, d’un service audiovisuel interne depuis les années 1980 ; certains produisaient des films documentaires sur leurs collections et sur les expositions et les éditaient à l’époque en cassettes VHS puis plus récemment en DVD. Plusieurs dispositifs, comme la Mission audiovisuelle au sein de la Délégation aux arts plastiques du ministère de la Culture créée en 1982 (Goyetche, 1997) existaient alors pour soutenir la production audiovisuelle sur les arts plastiques afin qu’elle soit diffusée à la télévision, dans des festivals ou éditée pour être vendue. Aujourd’hui, les collaborations entre musées d’art contemporain et chaînes de télévision se font rares : les musées, par l’intermédiaire du Web, trouvent un espace propice à la diffusion de ces contenus, gagnant ainsi en visibilité et prenant en charge eux-mêmes leur présence médiatique, avec une production et une diffusion beaucoup plus légère.

Les visées communicationnelles de la chaîne YouTube et ses contenus

Quelles sont alors les visées communicationnelles de ces vidéos sur YouTube ? Une grande partie des vidéos ont des visées, comme nous l’avons dit, promotionnelles : elles cherchent à donner une visibilité aux collections et aux activités du musée sur Internet, permettant à la fois de les faire connaître et de les diffuser auprès d’un public potentiellement plus large que celui des visiteurs habituels, non seulement sur YouTube mais aussi sur Instagram, Facebook et Twitter. Le choix d’héberger ces vidéos sur YouTube, et non pas directement sur le site Internet du musée par exemple, offre la possibilité de faire circuler ces vidéos sur les réseaux sociaux numériques et d’encourager leur partage par des usagers eux-mêmes. Par exemple, la vidéo au format carré Octobre au Centre Pompidou (5) qui dure 2 minutes et 30 secondes et qui résume tous les événements d’octobre a été publiée le 3 octobre 2019 sur YouTube, mais aussi sur Twitter. Plusieurs vidéos s’apparentent ainsi à des campagnes promotionnelles sur le musée et sur ses activités.

La plus notable est celle datant du 15 novembre 2018, vidéo promotionnelle en langue anglaise destinée aux touristes visitant Paris, et utilisant le hashtag #SouvenirsDeParis (figure 4). Cette campagne en ligne a été conçue par une équipe externe au Centre Pompidou, l’agence de communication Marcel et produite par Les Artisans du film. Partant du constat que les touristes à Paris ne connaissent pas le Centre Pompidou, elle met en scène un scénario où l’équipe du musée (« nous », dit une voix-over masculine) décide de se faire connaître auprès des touristes en fabriquant une figurine du musée en métal, similaire aux figurines souvenir de monuments vendues dans les boutiques touristiques. Des vendeurs de rue formés par le Centre incitent les passants à visiter le musée. Au dos des figurines, un QR code renvoie les passants à un itinéraire géolocalisé pour se rendre sur place accompagné du hashtag #SouvenirsdeParis. Des navettes gratuites sont même dépêchées pour faciliter la venue des visiteurs sur place. Mettant en scène une opération de street marketing sur le principe de la caméra cachée, les visages de certains passants étant floutés, la vidéo revendique le statut de marque culturelle du musée et une démarche active de rencontre de nouveaux publics, à l’aide d’outils à la fois traditionnels (les figurines) et innovants (le QR code, le hashtag, la vidéo elle-même). Un certain humour, la capacité à l’autodérision et une proximité avec les publics sont affichés. Le choix de diffuser cette campagne promotionnelle sur YouTube et sur les autres réseaux sociaux numériques participe à l’image innovante du musée.

Figure 4. Capture d’écran de la vidéo promotionnelle #SouvenirsDeParis sur la chaîne YouTube du Centre Pompidou.
https://www.youtube.com/watch?v=AP5GoR6e_EQ – Consulté le 24 juin 2019.

Enfin, la chaîne propose une publication régulière de contenus vidéo qui parviennent aux usagers dans leur boîte mail, au gré des notifications, et sur leur téléphone portable, chaque dimanche, chaque semaine ou chaque mois par exemple. Ainsi, les vidéos Un podcast, une œuvre étaient pendant un temps intitulées Un dimanche, une œuvre et publiées chaque dimanche sur YouTube et l’ensemble des réseaux sociaux numériques. Une fidélité et un suivi des activités du musée se renforcent alors. Les vidéos doivent retenir l’attention fluctuante de l’internaute, lui plaire en un temps court, d’une certaine façon « faire du teasing » c’est-à-dire lui donner envie d’en voir plus, et le renvoyer vers le lieu physique du musée. Enfin, elles possèdent une identité visuelle, graphique et sonore reconnaissable, en cohérence avec l’identité visuelle et graphique préexistante du musée. Les titrages et styles typographiques reprennent la signalétique de Ruedi Baur et le graphisme des affiches de Pierre Bernard, le logo de Jean Widmer est présent à la fin des vidéos, lequel reprend le projet architectural de Rogers et Piano (Dufrêne, 2007, p. 29). Les vidéos participent alors à l’extension de l’identité du musée dans l’espace numérique, à l’instar d’une identité de marque.

Ces différentes visées communicationnelles répondent en partie à des stratégies et à des méthodes qui sont utilisées et encouragées dans le champ du marketing culturel. Les acteurs des industries culturelles et créatives font usage de ces stratégies à des niveaux plus ou moins développés en fonction de leur échelle et de leur positionnement, oscillant entre acteurs « majors » ou « indépendants » dans leurs secteurs culturels respectifs. Bien que le monde de l’art contemporain utilise très peu le terme d’entreprise  culturelle pour se définir, nous constatons ici que des formes de marketing culturel y sont bien d’usage lorsque ce dernier est défini comme « ce que les organisations et les acteurs du monde de l’art mettent en place pour gérer, à leur profit, les relations qu’ils entretiennent avec leurs multiples publics » (Bourgeon-Renault, Debenedetti et al., 2014). Selon les auteurs, si chaque organisation culturelle choisit son propre positionnement et définit ses objectifs artistiques et culturels, mais aussi sociaux et financiers, alors les stratégies de communication et de promotion font partie des leviers d’actions pour mettre en place une stratégie marketing globale. Ils soulignent que la communication et la promotion doivent apporter « visibilité, accessibilité, attractivité et fidélité », quatre éléments que l’on retrouve effectivement dans les objectifs des vidéos de la chaîne YouTube du Centre Pompidou que nous venons d’énoncer. Ainsi, la chaîne s’inscrit en premier lieu dans une stratégie de marketing en ligne, qui préconise d’utiliser le Web comme un lien avec le musée physique, vecteur de confiance et de satisfaction, mais aussi d’utiliser les contenus sur Internet comme des prolongements après la visite physique, pour fidéliser les visiteurs.

Quelles formes de médiation des œuvres et des expositions ?

Au-delà du fait qu’elles répondent à des injonctions liées au marketing, dans quelle mesure ces vidéos sont-elles aussi des formes de médiation culturelle et à quelles injonctions font-elle appel dans ce cadre ? Quelles relations avec le public configurent-elles ? Avec les vidéos pédagogiques et la promotion du MOOC « L’École du Centre Pompidou » et d’événements type masterclass sur la chaîne YouTube, l’internaute et potentiel visiteur est mis dans une position d’apprenant. Le rôle de l’éducation artistique est mis en avant. L’internaute doit alors répondre à des injonctions de se comporter en « public-modèle » (Davallon, 1992 ; 1999 ; Alexis, Appiotti, Sandri, 2018) avec trois demandes identifiées : connaître l’art, aimer l’art et participer. En effet, en premier lieu, l’internaute est incité à connaître l’art contemporain, à apprendre et à acquérir les compétences pour « lire » les œuvres artistiques. Jean-Max Collard, directeur éditorial de l’École du Centre Pompidou déclare dans une vidéo : « Avec l’École du Centre Pompidou, nous voulons vous faciliter l’accès à ce haut lieu de la création et de la culture. Par le biais d’un MOOC et donc d’une formation en ligne, nous voulons vous donner des clés de compréhension de l’art moderne et contemporain(6) ». Dans un deuxième temps, l’internaute est incité à aimer les œuvres d’art : ne pas aimer l’art moderne et contemporain est souvent associé à un manque de « culture » ou à une forme de conservatisme culturel. Il n’y a pas vraiment d’incitation à développer un regard critique sur les œuvres, mais plutôt un encouragement consensuel à les apprécier. La médiation audiovisuelle vise à faire adhérer le public aux œuvres d’art, et plus largement à l’art contemporain. Dans un troisième et dernier temps, le visiteur-internaute doit répondre à différentes injonctions de participation qui l’invitent à être créatif. Il est encouragé à être un acteur du musée, des œuvres et de sa culture. Sur la chaîne YouTube, il est incité à prendre part aux différents contenus pédagogiques : s’inscrire au MOOC, participer aux événements. Sur les autres réseaux sociaux, il est incité à commenter, partager, retweeter, photographier sa visite sur smartphone et à poster les clichés sur Instagram. Par exemple, le hashtag #LeCentrePompidouVuParVous permet au compte Instagram officiel du musée d’identifier et de se réapproprier les photos prises par des visiteurs dans le musée lors de leur visite. « À vous d’apprendre, à vous de jouer, à vous d’entrer dans l’École du Centre Pompidou », déclare encore Jean-Max Collard. La responsabilité de comprendre et d’aimer les œuvres d’art exposées au Centre Pompidou relève alors des usagers qui doivent se saisir des outils et des savoirs mis à leur disposition.

Si l’exposition « organise l’espace d’une rencontre, permet et à la fois règle la relation qui s’établit entre les objets et le public » (Davallon, 1992), les vidéos consultables sur la chaîne YouTube du Centre Pompidou participent de cette configuration de la relation entre les objets – les œuvres artistiques montrées et les publics des internautes et des visiteurs. Une médiation culturelle (Chaumier, Mairesse, 2013) est opérée entre les expositions présentées dans le musée et les publics, mais aussi avec d’autres œuvres qui ne sont pas forcément visibles dans le musée au moment du visionnage des vidéos, et avec des événements éphémères ayant eu lieu dans le passé. Ceux-ci gagnent alors en accessibilité et en temps de conservation en étant archivés sur la chaîne. S’ils ne répondent pas directement à une « injonction au numérique » dans la médiation culturelle (Sandri, 2016), étant peu directement présents dans le musée, ces contenus permettent de montrer que le Centre Pompidou accueille le numérique et innove par la production et la diffusion en ligne de contenus audiovisuels. Certains objectifs qu’elles opèrent relèvent de la médiation culturelle, selon nous, de quatre manières. D’abord, elles permettent de documenter, conserver et archiver les activités du musée, les expositions mais aussi tous les événements éphémères (conférences, workshops, performances…). Les activités de conservation et de recherche du musée trouvent ici une place importante, notamment dans la captation, l’archivage et la diffusion des conférences, tables rondes, performances et débats et augmente leur accessibilité envers les publics. Ensuite, elles proposent un « accompagnement à la visite », à travers les vidéos des catégories Parcours d’exposition et Les spectacles du Centre Pompidou. Leur contenu est ainsi didactique, à la manière des audioguides ou des contenus audio et audiovisuels qui au sein même des musées proposent des parcours de visite, des commentaires et des informations historiques et contextuelles sur les œuvres. Puis elles prennent en compte des publics spécifiques : jeunes publics, publics connaisseurs (entretiens longs et débats), publics avec peu de connaissances sur l’art (série de vidéo Vous voulez un dessin qui propose une introduction aux grands mouvements artistiques du XXe siècle). La chaîne YouTube pourrait ainsi faire découvrir des œuvres à un public qui connaît le musée mais n’a pas pour habitude de s’y rendre. La recherche de nouveaux publics qui fait partie du champ de la médiation culturelle se trouve ainsi mobilisée. Néanmoins, en pratique, un usager de YouTube qui n’a pas l’habitude de visionner de vidéos sur les arts ne tombera pas par hasard sur la chaîne du Centre Pompidou en raison de l’algorithme de recommandation de la plateforme. Enfin,  ces vidéos explicitent et renforcent le positionnement artistique de l’institution. Elles sont un support supplémentaire pour argumenter les choix artistiques de l’institution culturelle auprès des publics : les choix curatoriaux des commissaires d’expositions, et au-delà les choix de la programmation du musée et son biais interdisciplinaire fort en montrant les relations et en traitant sur le même plan les différentes activités du musée. Le projet idéologique d’une vision de la culture propre au Centre Pompidou est incarné dans les catégorisations des vidéos, dans leurs contenus et dans leurs visées.

Ces contenus audiovisuels sur la plateforme YouTube pourraient alors surtout incarner un lieu supplémentaire de formation et de diffusion d’un « discours du commentaire » sur les œuvres d’art, défini par Jean Davallon comme « l’incorporation du discours savant dans une présentation des objets muséaux qui cherche à régler et à préfigurer le discours des visiteurs » (Davallon, 1992). Cette dimension de commentaire sur les objets présentés participe selon lui à la dimension communicationnelle de l’exposition, où cette dernière présente les objets en communiquant un discours savant à propos de ces objets et comporte donc une transmission de savoirs. C’est bien là aussi l’objectif des activités relevant de la médiation culturelle que de transmettre des savoirs sur les œuvres et sur l’expérience artistique. L’aspect communicationnel de l’exposition et sa dimension de médiation culturelle paraissent alors, dans ces vidéos, intrinsèquement liés.

Conclusion

La dimension de communication et celle de médiation culturelle de l’institution et les injonctions qui en sont issues se trouvent articulées dans ces contenus audiovisuels qui portent cette double visée : promouvoir les activités du Centre Pompidou tout en créant des relations entre les œuvres artistiques et les publics. Nous mettrons pour finir en évidence les limites de la visibilité de cette page YouTube et sa faible dimension participative. En effet, les vidéos les plus vues sont les « teasers » promotionnels très courts destinés aux réseaux sociaux numériques, et la plupart des vidéos publiées comportent moins de 100 vues chacune. La majorité des contenus et leur circulation restent pour l’heure dans un usage « vitrine » de la plateforme YouTube. Il n’est pas donné d’importance à la parole des publics ou à des discussions avec les publics, ni au sein des contenus des vidéos ni au niveau des commentaires sur le site qui les héberge. Ainsi, la chaîne n’est pas mobilisée par le Centre Pompidou comme un « espace de formation des opinions » (Davallon, 1992), dispositif médiatique qui permettrait la rencontre de publics avec les œuvres, ni dans sa dimension de « communauté de créateur » (Louessard, Farchy, 2018). Cela est peut-être davantage le cas des comptes Facebook, Twitter et Instagram, ce qui reste encore à examiner. Pourtant, Crenn et Vidal écrivaient en 2007 à propos de l’inscription des musées dans le Web 2.0 que « […] l’autorité de l’institution, détentrice exclusive du savoir autorisé, peut être remise en question par la collectivité des usagers créateurs de contenus » (Crenn, Vidal, 2007). Nous constatons ici que ce déplacement de l’autorité n’a pas lieu dans ces vidéos et leur chaîne YouTube, qui ne font que relayer le point de vue de l’institution et ne s’inscrivent pas dans une esthétique de l’amateurisme propre aux YouTubeurs ni dans une vraie collaboration ou un dialogue avec des usagers. Les questionnements auxquels font face les politiques culturelles depuis plusieurs années se retrouvent alors dans le dispositif de la chaîne YouTube (Donnat, 2003), à savoir : le musée d’art contemporain peut-il se représenter et s’organiser comme une entreprise culturelle tout en maintenant ses missions de service public ? Mais aussi le musée est-il capable de reconfigurer ses relations aux publics, pour contrer une vision hiérarchique de la culture qui y reste encore souvent présupposée ?

Notes

(1) Les vidéos les plus anciennes publiées sur un compte officiel du Centre Pompidou sur Dailymotion datent de 2012. Le musée y compte 1500 abonnés avec 1800 vidéos disponibles. Le site indique à la date du 9 octobre 2019 que les publications sur Dailymotion se sont arrêtées depuis deux ans. Si le compte YouTube du musée a été créé en 2007, des vidéos y ont été publiées à partir du 23 février 2017 jusqu’à la date de rédaction de cet article. Par ailleurs, le Centre Pompidou dispose d’un compte Twitter créé en août 2008 avec plus d’1 million d’abonnés, et d’un compte Instagram créé en novembre 2013 avec 976 mille abonnés et 1991 publications (L’ensemble des sites a été consultés le 9 octobre 2019).

(2) Que l’on peut traduire par « de nouveaux films sur l’art chaque semaine ! ». Disponible en ligne : https://www.youtube.com/user/tate?hl=fr. Consulté le 24 juin 2019.

(3) URL : https://www.centrepompidou.fr/ Consulté le 10 octobre 2019.

(4) Jérôme Bourdon rappelle la distinction entre voix-in, située dans l’image, voix-off synchrone « qui est hors l’image, mais a été enregistrée dans le champ des caméras » et voix-off non synchrone ou voix-over, qui est « ‘sur l’image’[et] a été ajoutée ‘après coup’ » (Bourdon, 1997, p. 67). Nous faisons cette distinction dans l’analyse.

(5) Consultée le 9 octobre 2019. URL : https://youtu.be/J2BoP1uNVel

(6) Bande annonce, MOOC, L’Ecole du Centre Pompidou, vidéo publiée le 17 avril 2018. Disponible en ligne. URL : https://youtu.be/652fwxWoKW0. Consulté le 10 mai 2019.

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Auteur

Clémence de Montgolfier

.: Docteure en Sciences de l’information et de la communication, Clémence de Montgolfier a soutenu sa thèse intitulée Représentations des mondes de l’art contemporain à la télévision française de 1960 à 2013. De la médiatisation à la médiation en 2017 au sein du CIM-CEISME (Paris 3 et Labex ICCA) et obtenu le Prix de la recherche de l’Inathèque en 2018. Également artiste plasticienne, ses recherches portent sur les relations entre art contemporain et médias. c.montgolfier@gmail.com