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Le marché des injonctions : les dispositifs dits « innovants » dans les institutions culturelles

20 Déc, 2019

Résumé

Comment les injonctions à l’innovation et au numérique faites aux institutions culturelles façonnent-elles leurs dispositifs de médiation ? Cette étude porte sur la trivialité des injonctions (Jeanneret, 2008), autrement dit sur la façon dont elles circulent, sont appropriées et recréées par les différents acteurs intervenant dans les phases de co-conception/co-design de ces dispositifs dits « innovants » (institutions culturelles et agences prestataires). Après avoir identifié des caractéristiques propres à ces marchés publics régis par des appels d’offres, nous mettons en évidence l’énonciation éditoriale (Souchier, 1998) et la porosité des rôles à l’œuvre dans ces logiques culturelles et industrielles. Dans cet article, la notion d’innovation est interrogée face à la standardisation de certains dispositifs et aux imaginaires propres à chacun des acteurs à l’origine de leur conception.

Mots clés

Dispositifs, innovation, institutions culturelles, marché, injonctions, trivialité.

In English

Title

The market of injunctions: co-design for so called innovative devices in cultural institutions

Abstract

How the injunctions to innovation and digitalization do sent to cultural institutions design their mediation devices? This study focuses on the “triviality” of injunctions (Jeanneret, 2008), in other words, how they circulate, are appropriated and re-created by the various actors involved in the co-design of these supposedly « innovative » devices (cultural institutions and digital provider agencies). After having identified the specific features of these market of public contracts governed by calls for tenders, we highlight the “editorial enunciation” (Souchier, 1998) and the porosity of the roles of these actors in these cultural and industrial logics. In this article, the notion of innovation is queried towards the standardization of some devices and the specific imaginations of each actor behind their design.

Keywords

Devices, innovation, cultural institutions, market, injunctions

En Español

Título

El mercado de órdenes: co-diseño de dispositivos llamados innovadores en las instituciones culturales

Resumen

¿ Cómo los ordenes de innovación y digitalización recibidos por las instituciones culturales configuran sus dispositivos de mediación? Este investigación se centra en la “trivialidad” de esos ordenes (Jeanneret, 2008), es decir, en la forma en la que circulan, son apropiadas y recreadas por los distintos actores implicados en el co-diseño de estos dispositivos denominados « innovadores » (instituciones culturales y agencias prestadoras de servicios). Después de haber identificado las características específicas de esos contratos públicos regulados por licitaciones, destacamos la “enunciación editorial” (Souchier, 1998) y la porosidad de los funciones en esas lógicas culturales e industriales. En este artículo se cuestiona la noción de innovación frente a la estandarización de ciertos dispositivos y las imaginaciones propias de cada uno de los actores detrás de su diseño.

Palabras clave

Dispositivos, innovación, instituciones culturales, mercado, ordenes

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Aquilina Manuelle , Mahéo Claire , Pasquer-Jeanne Julie, « Le marché des injonctions : les dispositifs dits « innovants » dans les institutions culturelles », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°20/3, , p.67 à 81, consulté le vendredi 15 novembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2019/supplement-a/05-le-marche-des-injonctions-les-dispositifs-dits-innovants-dans-les-institutions-culturelles/

Introduction

Dans un contexte ouvertement orienté vers l’innovation et la créativité, les financements de la culture ont tous encouragé le développement et la mise en place de dispositifs dits « innovants », souvent numériques, au sein des institutions culturelles. De facto, nous faisons le constat que ces dispositifs font partie intégrante de l’offre proposée dans ces lieux, devenant ainsi un argument de communication.

Dans une approche interdisciplinaire, nous questionnons la manière dont les injonctions au numérique et à l’innovation faites aux institutions culturelles façonnent les dispositifs de médiation. Il s’agit d’étudier la « trivialité » (Jeanneret, 2008) de ces injonctions en axant notre travail sur la façon dont celles-ci sont appropriées et recréées par les différents acteurs intervenant dans les phases de co-conception/co-design de ces dispositifs. Quelle est la malléabilité de ces injonctions circulantes et quelle épaisseur sémiotique donnent-elles aux dispositifs ? Comment circulent-elles entre institutions culturelles et agences prestataires ?

En réponse à ces injonctions, nous remarquons une certaine standardisation des dispositifs de médiation culturelle. Ces derniers deviennent ainsi des produits attendus sur un marché, celui de l’innovation, que ce soit par les professionnels, les financeurs et les publics : « L’affirmation de l’innovation fait partie de la rhétorique du marketing (…) La nouveauté semble être l’un des moteurs essentiels de l’économie. » (Ducroquet, Viallon, 2017, p.1). L’innovation se résume ici à un argument techniciste et promotionnel. Cependant, dans une approche scientifique, qualifier l’innovation par le simple fait d’introduire de la nouveauté serait réducteur. Dans notre cas, nous pouvons la considérer également comme une innovation organisationnelle dans la mesure où celle-ci se concrétise par des allers-retours, des négociations entre prestataires et institutions culturelles pour aboutir à un croisement de compétences et à une adaptation rapide (Akrich, Callon, Latour, 1988). Par ailleurs, ces dispositifs, produits en série et par mimétisme, incarnent plus que jamais une rencontre entre culture et logiques industrielles (Bouquillion, Miège, Moeglin, 2013), et par leur conformité, questionnent la notion même d’innovation.

À partir de trois cas de collaborations entre des institutions et des agences, notre méthodologie qualitative (socio-sémiotique) combine l’étude de documents de cadrage (Assistance à Maîtrise d’Ouvrage (Amo), Appels à financement, Appels d’offres (Ao), Cahier des Clauses Techniques Particulières et Projets d’établissement (Cctp)) et une série de 10 entretiens semi-directifs avec les responsables des institutions culturelles et les concepteurs des dispositifs dans les agences. Enfin, nous avons expérimenté in situ les dispositifs en question. À l’instar de travaux menés précédemment sur les représentations des utilisateurs au moment des phases de conception (Akrich et al., 1990), nous avons cherché à identifier celles des attentes et besoins des publics de l’innovation chez les acteurs en charge de la conception de ces dispositifs. Nous avons ainsi essayé de définir les prétentions communicationnelles (Jeanneret, 2014) et les formes prises par ces injonctions de deux points de vue : au sein des institutions et chez les prestataires : comment s’approprient-ils cette demande ? Quels sont les degrés d’incitation ?

Des dispositifs culturels dit « innovants » au service de la mise en valeur du territoire et du patrimoine

Les dispositifs comme faits de langage du patrimoine : de la médiation culturelle aux industries culturelles

Les objets étudiés seront qualifiés de « dispositifs », envisagés dans leur dimension socio-symbolique (Jeanneret, 2005). Conçus dans le cadre de marchés publics entre institutions culturelles et agences, ces dispositifs incarnent une porosité entre la culture, et plus particulièrement le domaine de la médiation culturelle, et les industries culturelles (Bouquillion, Miège, Moeglin, 2013). La médiation culturelle est ainsi confrontée au marché des industries culturelles qui consiste à produire pour rentabiliser des ventes et élargir continuellement les cibles visées (Rouet, 2001). En dépit de leur sérialité et de leur standardisation, le point de départ de ces dispositifs de médiation culturelle est bien un savoir-faire, une compétence artistique – l’écriture, la scénographie, la réalité augmentée – et donc un moyen d’expression. De plus, les concepteurs de ces dispositifs auraient une fonction éditoriale qui tiendrait justement en leur capacité à concevoir un marché, à assumer un certain nombre de choix et de décisions pour optimiser les ventes – marketing – et à incarner une ligne éditoriale (Ibid.). Pour toutes ces raisons, les dispositifs étudiés ici remplissent une fonction de médiation culturelle (rôle de tiers entre deux parties : les arts et la culture d’un côté, et les publics de l’autre, encourageant plus largement une trivialité, une circulation de savoirs) mais sont également produits dans un contexte industriel. En effet, il existe tout un écosystème d’organisations travaillant sur la conception et le développement de tels dispositifs au niveau national et international, depuis trois décennies pour les plus anciennes (Athem, Groupe F), et développant les mêmes technologies (Histopad, mapping, réalité augmentée…). La longévité, la multiplicité et la croissance même de ces organisations (Artefacto, Spectaculaires, Mazedia, Apperture, Art Graphique et Patrimoine…) témoignent de la standardisation par la diffusion et multiplication de ces dispositifs.

Dans notre cas, ces derniers proposent aux visiteurs de vivre des expériences patrimoniales singulières. Les acteurs intervenant dans leur conception s’appuient ainsi sur l’opérativité socio-symbolique du patrimoine, en tant que « pratique à la fois sociale et de langage » (Davallon, 1999). Dans une approche communicationnelle, Jean Davallon propose justement de s’intéresser aux processus sociaux à l’œuvre dans la construction de ces objets. Ces processus de l’objet patrimonial reposeraient ainsi sur une logique de « filiation inversée », qu’il définit comme : « une transmission qui s’opère à partir de ceux qui reçoivent et non de ceux qui donnent » (Davallon, 2006). Pensé dans sa dimension symbolique, le patrimoine devient ainsi un point de vue, à la fois support de médiatisation et opérateur de médiation : « un processus dans lequel l’objet patrimonial est le support d’une relation entre celui qui le met en valeur et le visiteur (comme un support de médiatisation), tout en étant l’opérateur par lequel se construit un lien entre nous qui en avons l’usage et ceux qui l’ont produit (c’est-à-dire opérateur de médiation) » (Davallon, 2006, p.16 ; Riegl, 1984). Les dispositifs s’appuient sur ces valeurs symboliques du patrimoine pour établir la médiation. Dans notre étude, les publics qui ont vocation à faire usage de ces dispositifs sont larges et assez indifférenciés (les familles, les touristes, les habitants), mis à part le public scolaire, lui bien identifié dans plusieurs lieux.

Injonction à innover : créativité, numérique, standardisation ?

Afin d’interroger l’injonction à innover dans les institutions culturelles, nous avons porté notre regard sur les discours de ces institutions et sur des dispositifs qu’elles-mêmes qualifient « d’innovants », qui se révèlent être très souvent des dispositifs utilisant des technologies numériques (par exemple : la réalité augmentée ou le mapping). Pour les institutions culturelles innover semble se résumer à l’introduction d’un dispositif dont la technicité et/ou le caractère événementiel, constitueraient en eux-mêmes l’innovation. Cette conception de l’innovation par les acteurs se rapprocherait du modèle de la diffusion dans la mesure où ces derniers insistent sur les qualités intrinsèques de leurs propositions dites « innovantes » et sur leur capacité à susciter l’adhésion de nombreux alliés (utilisateurs, intermédiaires) (Akrich, Callon, Latour, 1988). Cette diffusion de l’innovation atteint dès lors sa propre limite lorsqu’elle aboutit à un mimétisme entre les acteurs les concevant et une standardisation des dispositifs comme nous avons pu le constater depuis plusieurs années sur nos différents terrains de recherches précédents (Pasquer-Jeanne, 2016).

Comme le souligne Yanita Andonova, l’innovation est assimilée à la référence créative et « inséparable du développement du numérique, elle est une promesse de modernité » (Andonova, Kogan, 2015, p.8). D’ailleurs, toujours selon la même auteure, « l’appel à la créativité s’apparente souvent à une mise en œuvre d’innovations, facteurs déterminants de compétitivité, mobilisant les dispositifs numériques et misant sur l’interactivité avec le public » (Ibid.). Cette recherche de compétitivité de la part des institutions culturelles se traduit, à notre sens, par la structuration d’un marché autour des injonctions à l’innovation dans lequel interviennent les institutions et les agences prestataires des dispositifs. Nous rencontrons donc bien cette tendance à placer « la créativité au service de l’ensemble de l’économie […] dans les politiques culturelles, par l’encouragement d’une orientation marchande de la culture » (Ibid., p.7). Cependant, Yanita Andonova se positionne dans la perspective globale de marchés mondialisés, tout en ne niant pas l’influence de ce contexte global sur les différents acteurs, notre approche propose un focus sur ces nouveaux marchés et une analyse des enjeux de négociation entre les acteurs.

Ces acteurs sont multiples et affirment chacun leurs priorités dans les projets collaboratifs à visée innovante que nous avons étudiés. Nous faisons donc le constat, à la suite de Yanita Andonova, que l’innovation provoque « l’assemblage de nombreux acteurs et contributeurs en provenance d’horizons divers, professionnels de l’art, industriels de contenu, institutions publiques, collectivités territoriales […]  » (Ibid., p.9). Cependant, « en privilégiant la nouveauté technique au détriment du travail artistique et des innovations culturelles », ces différents acteurs nous proposent, en définitive, des dispositifs très semblables. Comment, alors, justifier l’innovation ? Le constat de la standardisation des dispositifs nous amène donc à nous interroger d’une part sur la notion même d’innovation et d’autre part sur la « figure du créateur » (Ibid.) et sa capacité d’expression créative dans le cadre du marché des dispositifs de médiation culturelle. Il nous apparaît que l’innovation présentée dans les dispositifs étudiés relève bien plus d’une innovation de croissance, dans le sens où elle permet de s’adapter à un contexte tout en permettant au système de se reproduire, que d’une innovation de rupture (Rémy, 2005).

Enfin, les dispositifs de médiation, quels qu’ils soient, permettent de partager des représentations communes, notamment pour le patrimoine, « ces systèmes numériques intensifient à n’en pas douter la circulation de mises en scène touristiques et contribuent à requalifier un territoire par sa communication » (Bideran, Fraysse, 2015). Ainsi, le cadre des dispositifs que nous avons étudiés présentent tous un arrière-plan communicationnel avec des visées de rentabilité sur le territoire.

Acteurs du marché : injonctions, attentes et ajustements

Présentation des lieux et dispositifs

Les trois agences choisies pour cette étude exploratoire sont implantées sur le territoire breton mais couvrent un marché national et international, tout en se positionnant sur des projets patrimoniaux (cf. Annexe 1). Les dispositifs étudiés s’articulent à des monuments de patrimoine, le plus souvent classés Monuments Historiques : les Menhirs de Carnac (monument classé MH en 1939 et 1940, mégalithes en limite de l’urbain), la Cathédrale Saint Corentin à Quimper (monument urbain classé MH depuis 1862), le Domaine de Trévarez à Saint Goazec (grand domaine en zone rurale avec un château, monument classé MH depuis 2009) et le site de Vorgium à Carhaix (non classé à l’heure actuelle).

À Carhaix, suite aux fouilles archéologiques menées sur une partie de la ville antique de Vorgium, la ville a bâti un centre d’interprétation archéologique qui propose des dispositifs de médiation, mis en place par l’agence Mazedia : écrans interactifs, vidéos de reconstitution, jeux, manipulation d’objets connectés et tablette de réalité augmentée à utiliser en extérieur dans les vestiges d’un quartier résidentiel et commerçant, avec ses échoppes, ses thermes, ses jardins privés et sa fontaine publique. À la Maison des Mégalithes de Carnac – gérée par le Cmn, où a également officié Mazedia, les dispositifs de médiation consistent en des écrans, un film et un espace d’exposition.

À Quimper, c’est l’agence Spectaculaires qui a été sollicitée pour créer à la fois un événement et un spectacle qualifié d’ « “illumination” de la cathédrale » ou de « scénographie lumineuse », avec intervention d’un conteur. En s’appuyant sur du mapping vidéo, le dispositif est difficilement définissable d’après le commanditaire lui-même : « ce n’est pas facile de traduire le projet pour les personnes qui ne connaissent pas (sous-entendu : le travail de l’agence) » (Quimper, 26/04/2019).

Enfin, au Domaine de Trévarez, l’agence Artefacto a travaillé en concertation avec le site pour proposer des écrans interactifs ainsi qu’une tablette de réalité augmentée pour le grand salon du château afin de faire découvrir au public l’état du monument avant sa destruction en 1945. Le château du Domaine de Trévarez est intégré à l’Établissement Public de Coopération Culturelle (Epcc) « Chemin du Patrimoine en Finistère ».

Les dispositifs mis en place peuvent varier d’un site à l’autre mais conservent des caractéristiques similaires les rattachant à l’innovation : la technologie numérique y est très présente, ainsi que le multimédia, et la participation – ou l’immersion – des publics est également recherchée. Autre particularité à souligner : tous ces dispositifs sont récents (mis en place début ou courant 2018).

Les institutions culturelles commanditaires : injonctions à innover ?

Les injonctions incarnées par ces dispositifs prennent corps dans un espace sociopolitique complexe lié à la fois à une culture commune chez les acteurs des institutions culturelles (politiques culturelles) et aux différentes conceptions qu’ils peuvent en avoir (imaginaires) (force d’influence et de structuration du modèle central, Arnaud, Guillon, Martin, 2015, p.24). La trivialité des injonctions, autrement dit leur circulation, intervient ainsi à plusieurs échelles que nous pouvons analyser à partir des niveaux de partenariat définis par le Centre d’Études et de Recherches sur les Qualifications (Cereq) et repris par Françoise Buffet (Buffet, 1998). Le niveau institutionnel et stratégique correspond aux directives nationales et prend corps dans les textes de cadrage (lois, décrets) ou les appels (appel lancé par le Ministère de la culture pour les Services numériques culturels innovants). Le niveau de projet convoque les représentants des organismes locaux (comme le représentant du Centre des monuments nationaux (Cmn)) et définit les responsabilités et les cadres matériels pour ancrer les projets, répartir des responsabilités, définir des rôles (concrétisé factuellement dans les Cctp ou les instances de décision -comités de pilotage ou scientifiques). Enfin, le niveau de réalisation correspond pour nos dispositifs aux professionnels de terrain, aux compétences de chacun dans la réalisation, autrement dit la gestion de projet prise en charge par les chefs de projet.

Quand les acteurs culturels interrogés pour l’étude ont ainsi abordé la phase de travail avec les prestataires, ils expriment clairement leur perception du marché des formes de médiation innovantes à destination du public et développées sur les territoires. L’adjoint à la culture de Quimper explique par exemple qu’il est allé voir in situ les productions de l’entreprise Spectaculaires à Nancy et à Sens avant de solliciter l’agence. Le responsable du service culturel et éducatif de la Maison des Mégalithes souligne qu’il ne veut pas de certains outils (comme l’audio-guidage) mais préfère l’écran et le film pour réguler les flux de visiteurs. Enfin, le maire de Carhaix décide quant à lui de faire reproduire les dispositifs de réalité augmentée qu’il a expérimentés lui-même en tant que touriste à Herculanum. Seul le cas du Domaine de Trévarez se présente différemment du fait de la co-construction du dispositif dès l’origine, nous y reviendrons. Nous pouvons donc noter qu’il y a une circulation des différents dispositifs auprès des institutions culturelles et des décideurs locaux. Cette circulation engendre un phénomène de reproduction d’une technologie déjà testée en d’autres lieux et bien rodée. Certains expriment même de la méfiance vis-à-vis d’un éventuel prototype à tester : « Ce n’est pas rassurant du tout le truc qui n’est pas encore utilisé, qui va tomber en rade… faut éviter l’agence qui nous prend pour des labos d’expérimentation. » (Carnac, 04/04/2019).

Soulignons que dès l’écriture des appels à maîtrise d’ouvrage et à projet (Amo et Aap), le rôle décisionnaire de l’institution culturelle s’impose et les arbitrages effectués dès ce moment conditionnent pour beaucoup la suite. Par l’écriture de ces appels, l’institution produit de fait un auto-diagnostic sur sa structure : « Quand il a fallu écrire la médiation de ce bâtiment on s’est posé des questions pour adapter les réponses à la situation et aux espaces dont on a hérité… » (Carnac, 04/04/2019). Plusieurs niveaux décisionnels s’imbriquent alors : « le Cmn nous oblige sur certains cadres, contraintes : c’est le Cmn qui publie le cahier des charges, la rédaction du cahier est intégralement confiée au siège » (Carnac, 04/04/2019). Ce rôle décisionnaire peut même aller jusqu’au choix du scénographe auquel les commanditaires se fient (nous interrogeons plus loin son rôle fondamental). Le système d’écritures à l’œuvre lors de la rédaction des Aap, Ao et Cctp matérialise la négociation et répartition des rôles, les institutions culturelles ayant tendance à considérer les prestataires comme des exécutants souvent sollicités lors de la dernière phase de mise en œuvre ou sur un lot précis.

De plus, pour les institutions culturelles étudiées, les publics visés sont avant tout les habitants et les visiteurs à la journée avant même les touristes. Les institutions sont ainsi partagées quant au choix de l’innovation (prototype) ou de la technologie à visée pédagogique s’appuyant sur l’histoire et le patrimoine local, connus du public (Dalbavie, Da Lage, Gellereau, 2016 ; Andonova,019). Les institutions étudiées expriment aussi une représentation de leurs publics ou des publics attendus sur le territoire. Entrent en jeu également des considérations de communication touristique et des enjeux de communication publique. La Maison des Mégalithes de Carnac se positionne volontairement sur un discours très didactique correspondant au public familial de la structure. À Quimper, le dispositif est un outil de communication locale : il sert à la mise en valeur d’un monument emblématique, propose une approche de la culture « plus populaire, moins élitiste » et anime le centre-ville. Carhaix concentre autour des dispositifs et du site de Vorgium toute sa proposition patrimoniale et son office du tourisme, visant le développement de l’attractivité touristique du territoire. C’est également le cas à Trévarez mais le dispositif vise également à repositionner le lieu pour les habitants qui y voyaient un support événementiel (crèches de Noël).

Les agences : acteurs de l’innovation face aux attentes et contraintes des commanditaires

Les agences concernées par notre étude ont désormais dépassé le stade de start-up. De plus, elles s’inscrivent dans un contexte fortement tourné vers l’innovation caractérisé par la multiplication de lieux, d’événements ou encore de labels dédiés aux fictions créatives et à l’expérimentation (Muséomix, fablab, tiers-lieux, French Tech par exemple). Cet écosystème auquel elles appartiennent, les incite à prospecter via la veille, la recherche et le développement notamment.

Appartenant au domaine des industries culturelles et créatives, elles revendiquent ainsi leur créativité : « On ne se définit pas comme une agence, plutôt des artisans qui utilisons des technologies » (Spectaculaires, 07/04/2019) ; « dans un projet, soit on réalise les contenus (donc on a une responsabilité) soit on vérifie un peu le contenu si on détecte des incohérences » (Mazedia, 01/04/2019). En effet, selon le système d’écriture normatif évoqué plus haut, les agences intègrent l’innovation technologique afin de proposer un produit techniquement fini et vendu clef en main qui pose la question de la place laissée à la création. Une adaptation des contenus s’effectue sur le fond (où peut se déployer une grande créativité en effet) mais dans des cadres technique et médiatique déjà fixés. Cela peut néanmoins varier selon les projets : « pour Vorgium le document était très cadré, très précis » (Mazedia, 01/04/2019) ; pour Quimper, le cahier des charges demandait de répondre à des critères généraux : « spectacle de mise en valeur de la cathédrale, son histoire, son architecture… les légendes qui vont autour (ville d’Ys) et son rayonnement sur Quimper et la Cornouaille… spectacle avec des effets spéciaux » (Quimper, 26/04/2019).

En revanche, toutes les agences soulignent qu’elles ne sont sollicitées que très tardivement dans les processus de mise en place des dispositifs. Ainsi à Vorgium, le projet (suivi par le comité scientifique de l’Inrap) a duré quatre ans, mais l’entreprise Mazedia n’est intervenue qu’à l’automne 2017 avec comme contrainte la nécessité d’être prête pour la saison touristique (inauguration en juin 2018) (Carhaix, 02/05/2019). Le temps dont elles disposent afin d’élaborer le dispositif est ainsi très/trop court, cette contrainte temporelle nuisant également au développement de processus créatif. Pour ces raisons, l’innovation organisationnelle à l’œuvre dans cette co-conception doit être relativisée par les lourdes contraintes imposées par les marchés publics propres au secteur culturel. Cette forme de rigidité dans les négociations et in fine dans les phases de conception peut en effet aller à l’encontre du concept même d’innovation organisationnelle davantage caractérisée par l’agilité : « Pour innover il faut donc éviter les modèles rigides, mécaniques, les définitions trop précises des tâches et des rôles ainsi que les programmes trop contraignants » (Akrich, Callon, Latour, 1988, p.4). Les études des publics, de leurs usages et de leurs pratiques encore trop peu intégrées dans les processus d’innovation, présenteraient l’avantage de rendre plus agiles les processus d’innovation et d’éviter certains écueils (le Château de Trévarez s’inscrit ainsi dans cette démarche d’expérimentations et d’itérations (op. cit.)).

Les imaginaires de la co-conception de dispositifs dits innovants

Le marché des injonctions : un processus et un système bien rôdés

Les injonctions faites aux institutions culturelles relèvent de marchés publics imprégnés de rapports de force. Il convient à présent d’identifier les caractéristiques de ce marché et de qualifier plus précisément les relations qui sont à l’œuvre dans ces phases de co-conception.

Point d’achoppement de ces marchés, la question du budget se révèle centrale. Les montants engagés et l’implication de l’autorité publique en charge du budget témoignent de l’importance accordée aux projets et de l’investissement qu’ils représentent pour le développement des territoires. Le Cmn préside ainsi aux travaux de rénovation et réaménagement de la Maison des Mégalithes à Carnac (budget global de 3,5 millions d’euros). Cependant, « il faut justifier le budget pour des outils technologiques coûteux » (Carnac, 04/04/2019) et la contrainte budgétaire a limité les choix des dispositifs (Mazedia, 01/04/2019). Comme dans toute mise en œuvre d’actions publiques, les décideurs, s’ils n’en sont pas à l’origine, doivent être convaincus voire séduits, par les projets proposés par les chargés de projet. De plus, les agences sont parfaitement conscientes de ces enjeux autour des « attentes en termes de fréquentation » et de la dualité des clients finaux (les publics et le commanditaire qui paye).

Plusieurs temporalités peuvent être relevées dans le protocole du marché à l’œuvre. Le temps de « l’avant-vente » est celui où les deux parties du marché (institutions culturelles et agences) sont en négociation. Les agences doivent se positionner pour répondre au mieux à un marché public (ao, aap), pour ce faire, elles mettent en œuvre des compétences spécifiques (veille et R&D). Elles possèdent ainsi une vision stratégique du marché : « on a un pôle R&D, ingénieurs de recherche qui sont là pour vraiment tester toutes les nouvelles technologies qui sortent pour pouvoir nous permettent de rester à la pointe » (Artefacto, 02/04/2019). Les agences remplissent pleinement, face aux commanditaires, une fonction éditoriale propre aux industries culturelles (Rouet, 2001). Artefacto précise qu’ils ont des critères pré-établis pour identifier s’ils se positionnent ou non sur un appel d’offre : « soit on connaît la personne, soit on connaît le secteur, soit on connaît la demande ou c’est une sollicitation directe » (Artefacto, 02/04/2019). Le côté technique ne suffit pas pour être lauréat d’un appel, cela impose plus de subtilité pour toucher le client dans ses aspirations et ses attentes : « mon travail c’est de lire entre les lignes des fois, parce qu’il y a beaucoup de choses qui sont écrites dans les cahiers des charges parfois, mais il y a beaucoup de choses qui sont de l’ordre de l’implicite, […] du coup le fait d’avoir une bonne connaissance de l’écosystème, même des thématiques, […] y a beaucoup de thématiques, très différentes avec des imaginaires, des contraintes, des attentes, très différentes […] voilà faut faire comprendre aux clients qu’on a compris leurs fonctionnements, […], j’essaie de faire une petite enquête sur le client pour être le plus pertinent possible » (Mazedia, 01/04/2019).

Le deuxième temps de réalisation induit la mise en place d’un processus de gestion de projet classique allant du concept à la maintenance du dispositif (l’évaluation de celui-ci étant très souvent éludée). Cette gestion de projet est cadrée de fait par le cahier des charges (Cctp) prenant une forme injonctive sans équivoque et insistant lourdement sur les obligations de l’agence lauréate de l’appel (ici appelée « titulaire ») : « Le Titulaire est lié par une obligation de résultat, dans le respect du cahier des charges. Il ne pourra se prévaloir de difficultés liées à l’installation sur site, à des réserves non levées, pour dégager sa responsabilité qui sera entièrement engagée » (Extrait Cctp, Site des mégalithes de Carnac). Ces logiques de rationalisation, à peine dissimulées, « brident souvent la créativité et la cantonnent à des applications informatiques » (Andonova, Kogan, 2019). Notons que dans le Cctp la figure du scénographe est omniprésente : « Le travail s’appuiera sur les scénarii élaborés par la scénographe, tant pour l’organisation des contenus que pour la navigation. » (Extrait Cctp, Vorgium) De plus, nous émettons l’hypothèse d’une forme de starification du scénographe dans la mesure où certains noms sont cités très fréquemment dans les entretiens et in fine sur le territoire (hypothèse que nous souhaitons vérifier à partir d’entretiens prévus prochainement avec des scénographes). La structuration du marché en processus de gestion de projet induit ainsi la mise en œuvre effective des rôles négociés lors de l’avant-vente. Il s’agit pour chacun des intervenants de prendre part à un écosystème dans lequel certaines agences peuvent définir leur rôle de médiateur : « on est médiateurs, à notre façon aussi, on pilote par la contrainte beaucoup […]. On fait beaucoup de médiation entre les clients, au sens large de l’assistance à maîtrise d’ouvrage le client lui-même, les médiateurs chez le client quand c’est du musée, comité scientifique, les autres prestataires éventuels, nos équipes de production, tout ça c’est un peu un écosystème et on est au centre de ça […] pour faire en sorte que le projet réponde aux contraintes de départ » (Mazedia, 01/04/2019). Pendant la production des dispositifs, une tension persiste pour valider les étapes d’élaboration des dispositifs avec des échanges (parfois longs) sur le fond. Ces différentes interventions donnent une épaisseur sémiotique aux dispositifs conçus dans une forme « d’énonciation éditoriale » (Souchier, 1998).

Par ailleurs, cette répartition des secteurs d’intervention de chacun des acteurs s’organise à partir d’une interconnaissance entre eux, notamment des agences entre elles. Elles peuvent ainsi travailler ensemble sur un même projet ou sous-traiter des parties de projet entre elles. Comme pour tout projet, les acteurs s’organisent en interne en constituant une équipe projet avec un chef de projet qui sera en relation avec le scénographe et l’institution culturelle : « on a des profils de chefs de projet différents chez nous » (Mazedia, 01/04/2019).

Enfin, en troisième temps, vient le temps de la post-production. Ce temps peut inclure, par exemple, la maintenance et la mise à jour des équipements. Cependant, la post-production peut concerner aussi la reprise de certains dispositifs, comme la remise au goût du jour sur le plan graphique ou le changement d’interface du dispositif. La tendance est aujourd’hui à prendre davantage en compte la gestuelle, les corps des visiteurs, les dispositifs deviennent mixtes, intégrant la réalité augmentée. Parfois, l’agence est sollicitée en post-production pour ajouter ou compléter le dispositif existant par un nouveau dispositif (c’est le cas à Quimper où, suite au succès de la première édition centrée sur la cathédrale, la ville a souhaité ajouter un parcours dans les rues anciennes (Spectaculaires, 17/04/2019). Cependant, la post-production peut aussi consister à former le personnel de l’institution aux technologies des dispositifs. Enfin, étant donné que la technologie mobilisée est souvent complexe, il existe des garanties qui jouent lorsque le dispositif nécessite une révision afin d’être mieux adapté et parfaitement opérationnel – c’est le cas à Vorgium où le manque de temps pour la production des dispositifs a impacté leur performance et nécessite une nouvelle intervention de l’agence.

Notons que les agences soulignent que la post-production n’est pas systématiquement prévue dans les projets. Les évaluations des dispositifs ne sont ainsi, la plupart du temps, pas intégrées dans les budgets, et rarement mises en place même quand il est prévu de le faire. En général, le succès des dispositifs semble surtout être évalué via la hausse de la fréquentation. Le domaine de Trévarez est une exception à cet égard puisque la mise en place de la tablette de réalité augmentée intègre dès l’origine l’évaluation du dispositif. Enfin parfois, les commanditaires donnent aux agences la compétence des usages des publics : « Le prestataire proposera des principes d’interactivité et d’ergonomie respectant les besoins exprimés dans les scénarii et en adéquation avec les usages des publics cibles (scolaires, familles, étudiants, visiteurs en situation de handicap, etc.) » (Extrait Cctp, Vorgium). Mais ces dernières ne semblent pas toujours avoir le temps d’intégrer cette dimension au moment de la conception des dispositifs (par exemple, via l’UX design) et souvent ne disposent pas des compétences pour mener à bien des études des publics.

Par conséquent, les négociations à l’œuvre dans le cadre de la co-conception de ces dispositifs relèveraient bien de relations commerciales fondées essentiellement sur l’équilibre des achats et des ventes, sur l’état de l’offre et la demande, propre à tout marché.

Porosité des rôles entre les parties prenantes (veille, r&d, relationnel, scénographe)

L’objectif ci-après est de s’intéresser à la trivialité de l’injonction pour reprendre le concept d’Yves Jeanneret. En effet, au cours de notre analyse, il est clair que dans les différentes phases de co-conception, il existe une malléabilité des processus et des engagements malgré la standardisation certaine observée (nous l’avons abordé précédemment) liée à la rigidité du système de marché. Entre les différents acteurs et durant les différentes phases, nous observons une circulation dynamique, de constantes négociations une porosité des rôles (veille, R&D, relationnel, scénographe) développées ci-dessous.

Comme pour toute négociation commerciale, le relationnel est en effet prépondérant dans le travail des agences dont une part passe en amont par la sollicitation directe. Cette dernière est double : certaines agences démarchent directement les institutions culturelles en se déplaçant directement in situ (rendez-vous commercial visant à présenter leur prestation) ou bien les institutions culturelles contactent directement les agences en amont de l’écriture des ao : « la sollicitation directe, des fois ce sont des décideurs qui viennent nous voir pour dire voilà j’ai fait une recherche sur internet j’ai trouvé votre entreprise est-ce qu’on peut discuter ? C’est pas parce qu’ils nous contactent directement que le projet passe chez nous parce que comme c’est justement contraint par des marchés, ils nous contactent mais au moins eux ça leur permet d’avoir un premier échange, d’écrire un cahier des charges, en général ils contactent plusieurs prestataires et après ils lancent un appel d’offre » (Artefacto, 02/04/2019). Ce verbatim montre une évidente porosité des rôles, le commanditaire pouvant chercher l’inspiration auprès de l’agence pour écrire des ao. Il semble clair ici que des stratégies implicites sont mises en place de part et d’autre dans la co-rédaction des ao afin d’être en mesure de se positionner parfaitement pour y répondre. De plus, « les projets culturels fonctionnent beaucoup sur le relationnel » (Artefacto, 02/04/2019). Cette part commerciale devient d’ailleurs un enjeu concurrentiel pour les agences et certains collaborateurs ont de plus en plus cette fonction dédiée. Il est d’ailleurs à souligner que cet aspect peut entrer en contradiction avec la culture organisationnelle des acteurs culturels.

Pendant la réalisation, le relationnel souligne plutôt la co-action des prestataires et commanditaires dans la mise en œuvre de l’innovation. Cette dernière pourrait même caractériser ces relations qui renouvellent les codes classiques de la prestation de services et témoignent d’une circulation des savoirs et des compétences. Pour illustrer cet aspect, nous avons choisi l’exemple de Trévarez dont le projet a été d’emblée très ouvert à la discussion, car dès 2011, il s’est agi de repenser la problématique d’un ancien parcours d’interprétation très traditionnel, basé sur une exposition (Trévarez, 02/05/2019). L’installation du dispositif s’est ainsi effectuée en deux temps : le dispositif a tout d’abord été testé lors des journées du patrimoine. Les porteurs du projet souhaitaient évaluer son utilisation par les visiteurs via des questionnaires et entretiens. Ces retours des utilisateurs ont ensuite été intégrés pour installer définitivement le dispositif. Ici la post-production est complètement intégrée dans le projet lui-même et l’évaluation constitue une des phases du projet (Artefacto, 02/04/2019).

Parfois, comme en témoigne Mazedia, l’agence prestataire s’appuie sur son expérience pour expliquer qu’il y a trop de contenu, qu’il faut alléger les dispositifs. Elle a donc un rôle actif de conseil et non plus seulement d’exécutant. Comme nous l’avons souligné plus haut, les institutions ont déjà une idée de ce qu’elles veulent, ainsi les dispositifs relèveraient plus de la reproduction que de l’innovation, mais les agences interviennent parfois en amont : « ils arrivent avec une idée, et le problème c’est que techniquement même si y a beaucoup de choses faisables, y a pas tout qui est faisable non plus, et des fois nous on va déconseiller des choses en disant on a déjà testé ça et ça ne marche pas terriblement, ou alors à l’usage on s’est rendu compte qu’il fallait plutôt faire différemment » (Artefacto, 02/04/2019). De ce point de vue, la sollicitation directe en amont des appels témoigne de la porosité dans les écritures, l’agence adoptant un rôle de consultant.

Cependant, la diffusion de l’innovation ne peut se résumer aux seules propositions et mises en place d’une technologie. Les agences réalisent d’ailleurs tout un travail collaboratif de concertation et de veille en marge des appels et des réalisations comme en témoigne par exemple le groupement de scénographes dont fait partie Vincent de Mazedia pour faire connaître les nouvelles technologies et dispositifs (l’objectif affiché étant que ces nouveautés soient traduites dans les appels). Les agences de point de vue sont dans une logique d’incitation et représentent bien un moyen de diffuser l’innovation, les injonctions deviennent alors implicites.

Conclusion

Issues de prescriptions industrielles, médiatiques, institutionnelles et, in fine, politiques, les injonctions façonnent les figures du public. Que ce soit en termes de compétences ou au regard de comportements, les publics semblent être sollicités très fortement pour participer au projet d’un changement de paradigme, souvent fait en leur nom, au sein des institutions culturelles. Nous souhaitons poursuivre cette étude jusqu’à l’analyse des publics en questionnant les appropriations. De plus, les entretiens menés nous ont montré que l’innovation oscillait entre fantasmes et réalités et que les dispositifs dits « innovants » étaient en prise avec les imaginaires des acteurs à l’origine de leur conception. Les prétentions communicationnelles varient selon les acteurs entre la visibilité, l’enjeu économique et la prise en compte des publics. Relevant d’enjeux vifs de la communication des institutions et des industries culturelles, cette circulation de savoirs implicites (Jacobi, 2001) mérite pleinement d’être interrogée et la recherche offre l’espace idéal à cet effet.

Références bibliographiques

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Sites web des institutions culturelles et agences

Agence Mazedia, Nantes, https://www.mazedia.fr/

Agence Spectaculaires, Rennes, https://www.spectaculaires.fr/

Agence Artefacto, Rennes, https://www.artefacto-ar.com

Domaine de Trévarez : www.cdp29.fr/

Centre archéologique de Carhaix : https://www.vorgium.bzh/

Maison des Mégalithes : http://www.menhirs-carnac.fr/

Ville de Quimper : www.quimper.bzh/actualite/21320/3-actualites.htm

Annexe

Nom

ARTEFACTO

SPECTACULAIRES

MAZEDIA

Date de fondation

1998

1987

1994

Historique

Fondé par Valérie Cottereau, architecte DPLG. Conception et production d’outils de communication 3D. Précurseurs en 2009 de la réalité augmentée.

Secteur historique : immobilier, mais dès l’origine secteur culturel important (8 à 10% du CA aujourd’hui)

Fondé par Benoît Quero

Mise en lumière de monuments, de lieux, événementiel, création de spectacles originaux, poétiques et spectaculaires.

Fondé par Vincent et Nathalie Rouaran.

Utilisation des technologies digitales pour favoriser l’expérience transmédia.

Secteurs de la culture, de la vente et de la communication

70 à 80 % de son CA est dédié à la culture

Positionnement et clientèle

Réalité virtuelle, Réalité augmentée, modélisation 3D

 

Immobilier (Giboire -Espacil – Eiffage – Paredev – CEFIMMO Cardinal – Izimmo -Bouygues)

Industrie (Art et portail, Euronaval, F2O, Traou mad, SNCF)

Acteurs de la culture et du patrimoine

Événement institutionnel et d’entreprise Conception et écriture concertées, mise en scène, en lumière, en son, en images, création scénographique, habillage des lieux, réalisation de show spectacles, animations

EDF – Lactalis…

Ville et monuments représentent 50 à 60% de son CA

Sites web, extranet, Table Multitouch, Réalité Virtuelle & Réalité Augmentée

Trois logiciels CMS (WordPress, Drupal, Wezit)

Solutions croisant les besoins du monde de la culture, des entreprises et des institutions, autour de la ville intelligente.

En exploitation : + de 200 sites internet, de 100 applications mobiles, 100 bornes et tables tactiles

Fonctionnement pour la culture

Marché français (musée, mairie, OT, CC) : conservateurs de musée, maires et élus, directeurs OT, chargés de projet sur les grosses structures culturelles – réponse à des appels d’offre ciblé

Marché français et international (monuments, villes) 

Marché français et européen (centre des monuments nationaux – acteurs culturels) : réponse à des appels d’offre

Équipe et collaborateurs

40-45 personnes : infographistes 3D, développeurs

Pôle marketing et DSI

Volonté de développer à l’international

32 personnes en emploi CDI permanents (équipe technique, équipe créative et volonté de développer l’équipe commerciale)

 

40 personnes : conseil stratégie, graphic design, ingénierie et développement, mobilité, audiovisuel 

Recherche et développement

3 personnes au R&D (projet sur la réalité diminuée)

Veille et amélioration technique des mappings existants

10 personnes en R&D + 1 pour la veille

Projets développés dans le domaine culturel

Opéra de Rennes, Saint Omer, Atelier Picasso, Museum d’histoire naturelle, Maison Louis Pasteur, Lunéville (tous à table), Flers, Manoir de Kernault, Motte de Chevré, Espace des Sciences (Rennes), Cuisines Château Thierry, Domaine de Trévarez, Abbaye de Bon Repos, Biotopia

Spectacles et mise en lumière : château de Combourg (35), mégalithes de Carnac (1994), Parlement de Bretagne, Abbaye de Beauport, Le « Petit Géant « créé pour la Fête des lumières de

Lyon, « Rendez-vous Place Stanislas » à Nancy, les Calvaires Monumentaux de Bretagne, Notre Dame de Paris, « Petit Géant 3 » à Rennes, Cathédrale de Nantes, cathédrale de Quimper, Villa Médicis (Rome), Palais de la Réunification au Vietnam

Archives du Morbihan, Musée des mégalithes de Carnac, Tour Vauban (Camaret), Vorgium (Carhaix), Château de Dinan, musée des beaux arts de Dijon, musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux, site internet et application mobile Le Puy du fou, Musée de Cluny, musée de la piscine de Roubaix, application mobile RMN Grand Palais, océonarium du Croisic, Musée Lorrain, Chemin des Dames (Aisne), Mémorial d’Alsace Moselle, Cité du vin (Bordeaux), zoo de Paris, Musée Cernuschi, Abbaye de Maillezais, Musée des BA de Calais, Musée des confluences de Lyon, Chateau de Versailles, etc.

Dispositifs et Lieux retenus pour l’étude

Domaine de Trévarez, tablette de réalité augmentée

Cathédrale de Quimper, spectacle-événement de mapping vidéo et d’art vivant

Vorgium (tablette de réalité augmentée) et Carnac (écrans)

Auteurs

Manuelle Aquilina

.: Maître de conférences en Histoire à l’Université Catholique de l’Ouest Bretagne Sud / LEGO (UBS-UBO) EA 2652. Ses thèmes de recherche sont : Histoire du patrimoine et patrimoines urbain, médiéval et militaires (France, Bretagne) ; Histoire du tourisme et tourisme culturel (en particulier urbain et en Europe) ; Communication patrimoniale et touristique (des villes et des territoires) ; E-tourisme et comportement des clientèles touristiques. Contact : manuelle.aquilina@uco.fr

Claire Mahéo

.: Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Catholique de l’Ouest Bretagne Sud / Prefics EA 7469, UBS/Rennes 2. Ses thèmes de recherche sont : Sociologie des pratiques touristiques et culturelles, Communication touristique, influence du marketing territorial sur la communication des collectivités locales, la médiation culturelle, les usages et pratiques des outils participatifs et du e-tourisme. Contact : claire.maheo@uco.fr

Julie Pasquer-Jeanne

.: Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Catholique de l’Ouest Bretagne Sud / Prefics EA 7469 UBS/ Rennes 2. Ses recherches portent sur la circulation des savoirs dans la société, le numérique, l’intertextualité entre les dispositifs de communication, la fiction et la sociologie des publics de la culture. Contact : julie.pasquer@uco.fr