-

JoVE ou l’avènement d’une nouvelle niche d’éditeurs médiatiques

31 Jan, 2020

Résumé

Le marché de l’édition scientifique a connu de nombreuses évolutions avec l’avènement du numérique, du Libre Accès et des nouveaux modèles de publication. Cet article aborde le cas de l’éditeur commercial JoVE (Journal of Visualized Experiments) à l’origine d’un nouveau modèle de publication d’articles scientifiques en Sciences de la Vie, fondé sur la vidéo. Ces articles présentent des méthodes expérimentales développées par les auteurs et mises en média sur la plateforme de l’éditeur. À l’aide d’une méthodologie mixte, l’étude de cas exploratoire menée sur une année (entre 2018-2019), montre que JoVE représente une nouvelle niche pour la publication scientifique et devient un nouveau type d’acteur dans la sous-filière de l’édition scientifique. Le succès de JoVE réside dans le fait qu’il permet aux chercheurs de développer des pratiques de publication qui laissent la place à de nouvelles formes d’écriture, faisant émerger l’article scientifique médiatique. En outre, les articles vidéo circulent sur le Web (YouTube, Réseaux sociaux,…) et véhiculent de nouveaux objectifs (visibilité, ouverture, mise en média…) attendus par les chercheurs et leurs instances d’évaluation pour la reconnaissance de leurs expertises méthodologiques. C’est autour de ce positionnement  que JoVE parvient à s’imposer dans le monde de l’édition scientifique en reconfiguration.

Mots clés

Édition scientifique, revue numérique, revue vidéo, industries culturelles, article médiatique

In English

Title

JoVE or the advent of a new niche of media publishers

Abstract

The scientific publishing market has been at the crossroads of many reconfigurations with the advent of digital media. This article discusses the case of JoVE (Journal of Visualized Experiments) a specific publisher, which created a new category of peer-reviewed scientific journals with video articles. These articles, related to life sciences, focuses on methods experiments. Using a mixed methodology, this exploratory case study conducted over a one-year period (2018-2019) shows that JoVE represents a new niche for scientific publishing and is becoming a new stakeholder in the scientific publishing field. JoVE’s success lies in the fact that it allows researchers to develop new publication practices that leave room for new forms of writing, bringing out scientific mediatization. Video articles circulate on the Web (Youtube, Social Networks,…) and convey new values (visibility, impact, openness, media coverage…) expected by researchers and their evaluation bodies for the recognition of their methodological expertise. It is around these same values that JoVE succeeds in establishing itself in the world of scientific publishing in reconfiguration.

Keywords

Scientific publishing, digital journal, video journal, culturals industries, media article

En Español

Título

JoVE o el advenimiento de un nuevo nicho de editores de medios de comunicación

Resumen

El mercado de la edición científica ha sufrido muchas reconfiguraciones con el advenimiento del acceso abierto digital y sus modelos de negocio. Este artículo analiza el caso de la editorial comercial JoVE (Journal of Visualized Experiments), que creó una nueva categoría de revistas científicas revisadas por pares con artículos en vídeo. Estos artículos en video, en las ciencias de la vida, presentan métodos experimentales desarrollados por los autores. Utilizando una metodología mixta, el estudio de caso exploratorio realizado a lo largo de un año (2018-2019) y presentado aquí muestra que JoVE representa un nuevo nicho para la publicación científica y se convierte en un nuevo intermediario en el subsector de la publicación científica. El éxito de JoVE radica en el hecho de que permite a los investigadores desarrollar nuevas prácticas de publicación que dejan espacio para nuevas formas de escritura, sacando a la luz el artículo científico en los medios. Además, los artículos en vídeo circulan en la Web (Youtube, Redes Sociales,…) y transmiten nuevos valores (visibilidad, impacto, apertura, cobertura mediática…) esperados por los investigadores y sus organismos de evaluación para el reconocimiento de su experiencia metodológica. Es en torno a estos mismos valores que JoVE consigue establecerse en el mundo de la edición científica en reconfiguración.

Palabras clave

Edición científico, revista digital, revista video, industrias culturales, artículo mediático

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Rakotoary Sarah, « JoVE ou l’avènement d’une nouvelle niche d’éditeurs médiatiques », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°20/2, , p.73 à 88, consulté le jeudi 5 décembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2019/dossier/05-jove-ou-lavenement-dune-nouvelle-niche-dediteurs-mediatiques/

Introduction

Le marché de l’édition scientifique est en pleine reconfiguration depuis l’arrivée du Web et le développement des revues numériques. De nouveaux modèles de diffusion de la publication ont vu le jour depuis la fin des années 1990 et continuent à se développer aujourd’hui (Boukacem-Zeghmouri, Dillaerts, 2018).

Une des innovations du début des années 2000, est l’apparition d’une offre de revues « vidéo ». Il s’agit de revues à comité de lecture, évaluant en double aveugle les articles, complétés d’une vidéo présentant le protocole des méthodes et des manipulations opérées par la recherche (Baillard, 2015). Néanmoins, la littérature scientifique (francophone et anglophone) axée sur les évolutions de la publication scientifique aborde encore peu la place et le positionnement de ces revues. Or, même si les revues vidéo ne dominent pas le marché de l’édition scientifique, elles représentent aujourd’hui une catégorie d’offre identifiée qui mérite que l’on se penche sur son développement.

L’objet de cet article consiste donc à interroger la dimension médiatique qui se dégage de l’approche et des stratégies d’un jeune éditeur (JoVE), qui s’appuie sur les caractéristiques contemporaines de l’édition scientifique numérique. Plus particulièrement, il s’agit d’analyser la manière avec laquelle les auteurs appréhendent et mettent en pratique cette expérience de publication vidéo et de saisir l’apport que cela représente pour leur communication scientifique. Notre analyse portera un regard attentif sur les significations du développement de la dimension médiatique dans la communication scientifique telle que proposée par JoVE.

L’article rend donc compte d’une étude exploratoire qui s’est penchée sur ce nouveau modèle de diffusion de la publication, appuyé à la vidéo et à sa circulation sur les médias du Web. A partir d’une lecture infocommunicationnelle du cas de l’éditeur JoVE (Journal of Visualised Experiments) et outillés d’une méthodologie mixte, nous analyserons les enjeux médiatiques d’un éditeur scientifique.

Notre travail, permettra ainsi de rendre compte de manière documentée des logiques infocommunicationnelles qui ont permis à JoVE de prendre pied dans le marché de l’édition scientifique à travers le maintien de la fonction éditoriale de l’article scientifique, couplée à la mise en média de l’expertise méthodologique des chercheurs.

La publication scientifique en reconfiguration

Une lecture socio-économique de la sous-filière de la revue scientifique nous permet de comprendre que, outre la financiarisation, la généralisation du modèle de la plateforme numérique constitue un des aspects majeurs des reconfigurations en cours (Boukacem-Zeghmouri, 2015a) (Ware, 2015). Les travaux en SIC ont en effet montré que les techniques numériques concèdent à un processus marchand de contenus mais également de contenants en investissant dans la multiplicité des supports de consommation de l’information, mais aussi dans le renouvellement des offres industrielles au regard des comportements des consommateurs (Rakotoary, 2018).

Dans la sous-filière de la publication scientifique, le modèle éditorial, offrant un rôle central à l’éditeur pour la reproduction de marchandises culturelles sous l’égide des droits d’auteur (Miège, 1997) reste à ce jour valide, même s’il est régulièrement questionné. Or, après plus de 350 ans d’histoire, la revue scientifique répond toujours à quatre fonctions principales dans le processus de la communication scientifique : l’enregistrement, l’évaluation, la diffusion et l’archivage (Ware, 2015).

Devenue le vecteur privilégié de la publication des résultats de la recherche dans les domaines des Sciences de la vie, elle prend une place de plus en plus importante dans les domaines des Sciences Humaines et Sociales (SHS) en raison des politiques d’évaluation de la recherche qui tendent à privilégier le statut de l’article scientifique (Bonaccorsi, 2018).

Nous comptons aujourd’hui dans le monde près de 40 000 revues à comité de lecture, tous domaines confondus, dont une grande partie est diffusée selon différents modèles d’affaires et de diffusion : l’abonnement, le modèle doré du Libre Accès avec la formule auteur payeur (communément désigné Gold auteur payeur) ou l’embargo (Ware, 2015). Ces modèles se généralisent avec la généralisation du modèle de la plateforme (Björk, 2016).

La catégorisation des acteurs du marché de l’édition en quatre grands groupes, proposée par Ghislaine Chartron (Chartron, 2010), et qui comprend les grands éditeurs internationaux, les maisons d’édition nationales, les sociétés savantes, les associations scientifiques, et les établissements publics de recherche s’est élargi. Depuis une dizaine d’années, on compte de nouvelles catégories d’acteurs qui ont investi la sous-filière de l’édition scientifique grâce à la diversification des modèles de diffusion.

Il s’agit des agrégateurs de contenus (ex. Cairn), des moteurs de recherche (ex. Google et Google Scholar), des réseaux sociaux (ex. Academia.edu) qui sont autant d’info-médiateurs ou d’intermédiaires dans le monde de l’information scientifique (Boukacem-Zeghmouri, 2015b).

Dans ce monde en reconfiguration, la publication vidéo a été un des leviers permettant à des intermédiaires de se positionner dans la sous-filière de la publication scientifique. En effet, les méthodes vidéo ont commencé à prendre de l’ampleur dans le courant des années 1990, période durant laquelle des chercheurs se sont adonnés à l’étude comportementale complexe de l’activité humaine. « Indeed, video offers unparalleled opportunities for detailed observations while providing unique insight into the complex transactional relationships joining humans, occupations, and the multilayered sociocultural and spatiotemporal environments through which they operate » (Baillard, 2015, p.2).

Dans le courant des années 2010, The Journal of Physical Chemistry Letters propose déjà de diversifier son contenu en ayant recours à des formes multimédia. En ce sens, la revue utilise des productions vidéo appelées aussi Perspective videos qui permettent aux auteurs de fournir de nouveaux contenus (expérimentation, matériels, simulation, démonstration) sur des thématiques émergentes et par la même occasion d’inciter les échanges : « The way that we communicate scientific research is changing, and these additional platforms allow authors to showcase their work and engage readers in informal discussions » (Kamat, Schatz, 2014, p.233).

JoVE fait donc ainsi partie de cette nouvelle catégorie d’acteurs, qui va fonder sa valeur ajoutée et sa singularité sur l’article vidéo.

JoVE : la genèse

JoVE est un des premiers éditeurs qui a investi le marché de l’édition scientifique par le biais de la publication vidéo. Créé en 2006 sur le modèle de la Start-Up par un jeune chercheur, Moshe Pritsker, JoVE visait à mettre en valeur et en visibilité les protocoles expérimentaux mis au point par les chercheurs. En effet, M. Pritsker avait observé que, par rapport à la place importante accordée aux “Résultats” dans les articles scientifiques, les “Méthodes” elles, bénéficiaient d’une place de plus en plus réduite, ne permettant pas toujours aux auteurs d’y transcrire la totalité des étapes et des détails du protocole. De ce fait, les lecteurs souhaitant reproduire le protocole ne parvenaient pas toujours à refaire l’expérience. Ce phénomène pose un véritable problème de reproductibilité de la science moderne en prise avec les questions d’intégrité (Munafò, 2017).

Aujourd’hui, dans certains cas, pour gagner de l’espace sur l’article, les revues déplacent, via un lien hypertexte la section “Method” vers la plateforme de l’éditeur : le lecteur du PDF de l’article doit donc se connecter à la plateforme pour prendre connaissance du contenu du protocole expérimental. C’est sur ce même constat que la désormais prestigieuse revue Nature Methods a vu le jour mais sans pour autant proposer la vidéo.

Après près de quinze années d’existence, JoVE compte des bureaux aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et en Inde.

JoVE : la « guerre » bibliométrique

Avec un catalogue de près de 12 000 articles vidéos, publiés en gardant le principe du comité de lecture, JoVE est indexé dans les bases de données internationales de référence (Web of Science, Scopus, PubMed). Dans le Web of Science, JoVE enregistre un Facteur d’Impact de 1.108 pour l’année 2018. Cet indicateur décrié, mais qui continue à orienter les stratégies de publication des chercheurs en sciences (Bohannon, 2016), classe JoVE 41ème sur les 69 sources de son domaine. Il le positionne au 3ème quartile (qui en compte 4). JoVE est donc un lieu de publication reconnu. Néanmoins, il ne bénéficie pas du prestige des revues du premier quartile, telle que Nature Methods.

En outre, cette indexation fait entrer JoVE dans la cour des revues visibles et “légitimes” pour les stratégies de publication des chercheurs soumis aux politiques d’évaluation.

Dans une étude effectuée sur le contexte de citation des articles vidéos de JoVE (Jamali, Nabavi, Asadi, 2018), une recherche bibliographique a permis de recenser 5 907 articles publiés par l’éditeur entre 2011 et 2018. Ces articles ont fait l’objet de 9 077 citations, ce qui fait de JoVE un éditeur qui “compte” dans cette offre des nouveaux acteurs de l’édition scientifique.

JoVE : la diversification des contenus

JoVE s’éloigne des formes de standardisation de la production scientifique, se détachant du modèle IMRED (Introduction, Méthodes, Résultats et Discussion) de la science (Bertin, 2013) pour se rapprocher d’un modèle didactique détaillant la méthode (Introduction, Protocol, Representative Results, Materials, References) et présentant la vidéo du protocole méthodologique.

En accord avec sa politique de communication, l’éditeur s’engage ainsi à l’amélioration de l’enseignement universitaire par le biais de son corpus de vidéos. Deux types de ressources peuvent effectivement être retrouvées au sein de JoVE : JoVE Video Journal (pour les chercheurs) et JoVE Science Education Library (pour les enseignants et pour les étudiants). Dans sa catégorie dédiée à l’enseignement, l’éditeur compte actuellement plus de 2 000 vidéos, avec une moyenne de publication d’environ 100 vidéos par mois.

JoVE : de la revue à la plateforme

A partir de 2013, la croissance du nombre d’articles vidéo sur la plateforme JoVE décide l’éditeur à abandonner la revue comme modèle d’organisation des articles au profit de la plateforme. Ces articles vidéo sont publiés à travers des catégories disciplinaires (13) et non plus des titres de revues.

Les articles sont organisés, moissonnés et recherchés à partir de leurs thématiques, mots clés et métadonnées. Ce choix stratégique rejoint une tendance déjà présente dans l’édition Gold auteur payeur, lancée par la revue Plos One (Spezi, 2017). Dans le cas de JoVE, ce choix devient possible car il n’est question que d’articles de méthodes ; la ligne éditoriale de JoVE se limite aux méthodes et non aux thématiques ou aux spécialités disciplinaires.

Ainsi, les articles publiés sur la plateforme JoVE ne comptent pas dans leurs références bibliographiques de “Volume” ou de “Numéro”, comme cela est le cas pour les articles rattachés à une revue, mais uniquement un titre, un DOI (Digital Object Identifier) et une date de publication. Les repères historiques de la revue papier sont donc remplacés par les standards technologiques de l’édition scientifique. La plateforme JoVE gère donc les flux d’articles, tel un média. L’accès à ces articles, leur diffusion, leur circulation sur les réseaux peut tout à fait s’apparenter à ce qui peut s’observer dans le cas d’un média comme la télévision. Ce choix de l’éditeur, fondé sur le potentiel médiatique de la plateforme, constitue un tournant décisif dans le développement de sa stratégie qui lui permet de se distinguer dans le paysage de l’édition scientifique numérique.

JoVE : la plateforme

A l’instar de l’ensemble des acteurs de l’édition scientifique, couvrant des domaines similaires, JoVE a développé sa plateforme, qui agrège des contenus, des services et qui accueille la soumission des articles des auteurs. Tout le travail interne à l’éditeur est consacré au développement de cette plateforme, qui est accessible 24h/24 dans le monde entier. A la fois vecteur de contenus, la plateforme JoVE est également un outil de communication et d’internationalisation. Elle a été précieuse pour l’éditeur lorsqu’il a pris l’initiative de sillonner les marchés indien et asiatique.

Nous parlons d’une plateforme comme d’un système de circulation de biens et de services immatériels trouvant leur existence nécessairement en ligne (Bullich, Guignard, 2011). En lien avec notre étude, les travaux d’HDR de Vincent Bullich (Bullich, 2019) soutenus récemment, traitent du rôle de la médiatisation associée aux plateformes numériques. Cette analyse de l’auteur se confirme dans le cas de la plateforme JoVE qui porte toutes les étapes de conception, de production, de diffusion ou d’accès à l’article et à la revue et va jusqu’à représenter un outil de mise en média des contenus (articles et vidéos).

En effet, le processus de publication tel que explicité par la revue comprend cinq (5) étapes principales : 1/la soumission de l’article et des fichiers liés aux normes éditoriales de la revue, 2/ la relecture de l’article par le comité éditorial qui vérifie qu’il est conforme aux standards de forme de l’édition scientifique (editorial review), 3/ la relecture scientifique assurée par deux experts en double aveugle (peer review), 4/ l’écriture du script pour le tournage de la vidéo et 5/ le tournage de la vidéo et son montage.

C’est donc un circuit similaire à tout autre article scientifique, mis à part une entité tierce pouvant être mandatée par JoVE pour produire la vidéo (video maker). Il s’agit en l’occurrence de journalistes ou encore de techniciens travaillant pour l’éditeur, et pouvant se déplacer au sein des différents laboratoires et différents pays dans le monde. JoVE a en effet mis en place des partenariats avec 25 pays (Hafner, 2018).

Dans certains cas, l’auteur lui-même peut proposer de produire sa vidéo, et dans ce cas il est obligé de respecter les consignes de JoVE. Autrement, les auteurs peuvent faire appel à une équipe de journalistes se référant ainsi à une écriture collaborative : “collaborative authorship” (Hafner, 2018). La mise en média est ainsi effectuée via une entité extérieure au milieu scientifique, dont le rôle est en outre de valoriser le processus ou la méthode expérimentale des chercheurs. La publication de l’article et de sa vidéo se fait dans un délai d’un mois après la 5ème et dernière étape.

Enfin, JoVE est présent et permet le partage de ses articles sur trois réseaux socionumériques principaux : Facebook, Twitter (#jovejournal) et LinkedIn. Sur sa plateforme, l’éditeur présente également une section blog : JoVE Blog qui agrège deux types de contenus : Science Blog dont les articles sont rédigés par les membres de l’équipe JoVE et Librarian Blog, dont les articles sont écrits par des documentalistes issus de différentes disciplines. Les articles publiés ont la possibilité d’être partagés sur les réseaux socionumériques (Twitter, Facebook et LinkedIn) mais les commentaires sont par contre réservés aux abonnés.

JoVE : un modèle d’affaire pour la diffusion

La diffusion de l’article et de sa vidéo dépend du modèle d’accès choisi par les auteurs. Si ces derniers publient leur article selon le modèle “doré, auteur payeur” (Gold Author Pay Model), le prix de l’Article (Processing Charge) peut aller jusqu’à 6 000 dollars, et la diffusion de la vidéo sera en Libre Accès.

C’est ce modèle que l’éditeur privilégie pour développer et renforcer sa dimension médiatique, en cohérence avec la large diffusion de ses articles vidéo. L’analyse statistique que nous avons effectuée sur l’échantillon de publications issues d’institutions françaises sur JoVE, nous montre que 20,70 % des publications relèvent du modèle Gold auteur payeur, soit un cinquième des contenus.

Mais l’éditeur ne peut se reposer sur le seul modèle Gold auteur payeur car les auteurs ne sont pas toujours prêts ou capables de fournir de telles sommes pour le coût de la publication en Open Access. Dans le cas du choix d’un modèle d’accès via l’abonnement (modèle historique), la vidéo ne sera accessible qu’aux usagers bénéficiant d’un accès institutionnel, porté par la bibliothèque. En ce qui concerne JoVE, plusieurs formules d’abonnement sont proposées directement sur le site. Plus encore, il est possible de passer par des plateformes telles que : « EBSCO Information Services » qui apporte des ressources aux bibliothécaires ou encore « PMC US National Library of Medicine ».

JoVE dépend donc encore en grande partie du modèle de l’abonnement pour lequel il déploie une stratégie commerciale agressive en direction des bibliothèques. Mais il maintient ses efforts pour le modèle Gold auteur payeur, plus en phase avec ses stratégies médiatiques.

JoVE : de nouvelles pratiques d’écriture

Par sa spécificité, la démarche de l’article scientifique vidéo proposé par l’éditeur JoVE a déjà fait l’objet d’une analyse sémio-sociologique (Robert, 2013) visant à comprendre le nouveau régime de visibilité de la science sur les plateformes du Web. D’après l’analyse de Pascal Robert (2013), le texte qui représente une image fixe construite sur le mode scientifique, reflet d’un lecteur passif, a laissé place à une image en mouvement traduisant les manipulations. La compréhension totale de l’expérimentation serait donc dépendante de l’image, du son et du mouvement.

En effet, la vidéo permet d’optimiser la compréhension des protocoles en mettant en avant l’expérience humaine en laboratoire dans un souci pédagogique et d’exposé démonstratif. Cette nouvelle pratique offre au lecteur l’opportunité de s’imprégner des lieux où s’expérimentent la science dans le monde. La procédure vidéo favorise en effet une introduction directe au sein du laboratoire du chercheur, qu’il soit en Europe, en Amérique du Nord ou en Asie. Il s’agit d’entrer dans ce laboratoire qui est empreint, de normes, de mesures de sécurité et d’usages spécifiques au matériel disponible, mais également de « bricolage » (Robert, 2013) rendu visible par la vidéo, mise en média.

JoVE représente cette nouvelle vague d’éditeurs de revues vidéo qui se distingue en valorisant la mise en média de la publication scientifique en ayant recours à plusieurs formes d’écritures : le texte et la vidéo. Plus encore, la vidéo en elle-même corrobore cette multiplicité de formats en mixant : “moving mode” (image en mouvement détaillant minutieusement toutes les étapes du protocole), “written mode” (texte d’accompagnement du protocole renvoyant vers des références), “visual mode” (images ou graphiques statiques pour illustrer), et “spoken mode” (discours d’accompagnement des chercheurs permettant d’aborder toutes les situations) (Hafner, 2018). En offrant de nouvelles modalités d’écriture, JoVE reconfigure donc les pratiques de publication voire de communication scientifique.

Choix Méthodologiques

Compte tenu de la nature exploratoire de l’étude, nous avons couplé une méthode qualitative et quantitative pour traiter de la manière la plus large possible des éléments donnant matière à analyse. A l’aide des retours d’expériences de publication des chercheurs exprimés lors d’entretiens semi-directifs, mais également d’une analyse d’impact des articles vidéo, nous aurons ainsi la possibilité de comprendre les enjeux de la publication vidéo, de ses implications pour l’édition scientifique numérique et de sa mise en média.

D’abord, nous avons mis en place une analyse des stratégies de JoVE à travers une exploitation documentaire fondée sur des déclarations officielles retrouvées sur le site web de l’éditeur, ou encore à travers trois entretiens (d’une durée de 30 mn en moyenne) menés avec l’équipe des “editors” de la maison d’édition, en charge du développement des services et de la stratégie. Ces entretiens, menés par Skype, ont permis de comprendre de quelle façon et sur quels critères l’équipe JoVE développait, au fur et à mesure, sa stratégie éditoriale et son positionnement vis à vis des autres éditeurs.

Parallèlement, nous avons réalisé dix (10) entretiens semi-directifs avec des auteurs (chercheurs ou enseignants chercheurs) qui ont publié un article chez JoVE et qui ont répondu favorablement à un mail d’invitation adressé à l’ensemble des auteurs français (affiliés à une institution française), sur la période (2010-2018). Sept d’entre eux sont affiliés à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et les trois autres sont affiliés à des établissements parisiens (Pasteur, Inserm). Les entretiens ont été réalisés par téléphone, à la demande des auteurs, y compris lyonnais. Le tableau ci-dessous présente la répartition des entretiens menés durant l’étude, en fonction du genre, de l’établissement de la tranche d’âge et du lieu.

Sexe Affiliation Tranche d’âge Lieu
Femme Institut Pasteur 35-50 Paris
Homme Institut Pasteur 20-35 Paris
Homme Inserm (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) 35-50 Paris
Femme LMI (Laboratoire des Multimatériaux et Interfaces) 35-50 Lyon
Homme Institut Pasteur 35-50 Lyon
Femme IRCE (Institut de recherche sur la catalyse et l’environnement de Lyon) 20-35 Lyon
Femme ILM (Institut Lumière Matière) 35-50 Lyon
Femme LMI (Laboratoire des Multimatériaux et Interfaces) 35-50 Lyon
Homme UFR de Médecine et de Maïeutique 35-50 Lyon
Homme UFR Biosciences 20-35 Lyon

Présentation du panel des entretiens semi-directifs

 

Le guide d’entretien a été construit autour de trois thématiques : 1/le processus de publication de leur article, 2/ le processus d’évaluation subi par l’article, et enfin, 3/le retour d’expérience des auteurs sur cette publication et l’impact qu’elle a pu avoir vis à vis de leurs pairs.

Ensuite, nous avons effectué une analyse des statistiques de réception des publications scientifiques de l’éditeur JoVE. En appliquant les paramètres de recherche avancée sur la plateforme, nous avons pu constater qu’il y a au total 259 institutions françaises référencées dans JoVE, qui comptent actuellement 526 articles scientifiques accompagnés de leurs vidéos. Nous les avons ensuite catégorisés selon les disciplines concernées, l’accès, les modalités de production de la vidéo, le nombre de vues ou encore le nombre de commentaires. A l’aide de traitements statistiques (tris à plats et croisés), nous avons ensuite pu identifier les caractéristiques du corpus.

Ces statistiques sont présentées par les éditeurs, et JoVE en particulier, comme des éléments de preuve de la consultation et donc de l’impact des articles. Nous avons également recensé les différentes disciplines dont dépendent les articles vidéo en question, leur nombre de vues, leur nombre de commentaires, et leur statut (en accès libre ou restreint).

L’expérience de la médiatisation de la publication scientifique

D’abord, la prise de contact par JoVE…

À partir des entretiens, nous observons que l’expérience de publication des chercheurs chez JoVE commence systématiquement de la même manière : le Communication Director, en charge de promouvoir la revue JoVE, repère un auteur à une conférence, ou bien dans une publication classique où la méthode présente une originalité, et le démarche, le plus souvent par courrier électronique.

Certains des chercheurs que nous avons rencontrés nous ont dit avoir confondu ces contacts avec les « spams » des éditeurs prédateurs (Saint-Martin, 2018). En effet, un des chercheurs interrogés nous parle de cette pratique comme d’une succession d’« emails violents » ou de « publications prédatrices » laissant planer le doute sur la fiabilité de la revue.

“JoVE démarche les chercheurs de notre laboratoire via des e-mails répétitifs et violents, ce qui nous pousse à nous interroger sur le fait que ce soit ou non une arnaque !”

Cette confusion est également observable sur les listes de diffusion des communautés de recherche spécialisées en sciences, où l’on voit régulièrement passer la question “Quelqu’un connaît-il JoVE ?”, ou bien “Est-ce que JoVE est un vrai éditeur ?”. Cela montre à quel point JoVE reste encore aujourd’hui un éditeur de niche, peu connu en France, qui a besoin de démarcher ses auteurs, de justifier de sa légitimé et de convaincre de la valeur de son modèle de publication.

Transmettre la “recette de cuisine”…

La vidéo a pour fonction de donner à voir “les gestes” et les “tours de main” de la “recette” mise au point par les chercheurs. Le même vocabulaire de la “cuisine” a été utilisé par l’ensemble des chercheurs lors des entretiens. Ils ont pu expliquer, à partir d’un vocable culinaire, à quel point le succès d’une méthode, voire sa reproductibilité, dépendait parfois d’étapes ou de manipulations, qui ne pouvaient se transmettre par l’écrit.

“Dans mon protocole, les étapes comptent autant que les gestes. Si je dis qu’à cette étape précise, il faut tourner le ballon pour que le produit imprègne les parois, si je ne montre pas le bon geste, le lecteur ne peut pas bien comprendre. Il faut donc qu’il me voit faire, c’est comme la crème anglaise !”

“La vidéo ici n’est pas un gadget, elle montre ce que je pourrais difficilement expliquer par le texte, les mouvements, les couleurs, les formes, qui sont des étapes et des éléments importants de mon protocole. Idéalement, il faudrait venir à mon labo pour que je montre les choses, mais là, c’est la vidéo qui fait le job”

Les auteurs interviewés ont également expliqué que depuis qu’ils ont découvert JoVE, ils utilisaient régulièrement les articles vidéo, comme autant de support didactique et pédagogique dans le cadre de leurs enseignements. Ceci montre que l’offre de contenu pédagogique de l’éditeur a touché son public.

“Maintenant, pour mes cours de Master, pour mieux préparer les TP, je demande à mes étudiants de visionner les vidéos avant la séance, et du coup on gagne beaucoup de temps lors du TP. Cela permet d’aller plus loin car pas mal d’aspects techniques sont désamorcés par la vidéo.”

De plus, en matière d’appropriation des méthodes expérimentales, les entretiens montrent que les articles JoVE représentent une grande opportunité pour la collecte de données d’observation et l’apprentissage en vue de la reproductibilité. Mettre une vidéo sur pause, la visionner plusieurs fois, en mode ralenti, optimise donc pour les chercheurs la conduite du protocole dans leur laboratoire. Cela rejoint les constats établis par la littérature, notamment sur la rigueur propre à ce type de démarche (Baillard, 2015). Par ailleurs, l’intérêt des articles vidéo JoVE pour les chercheurs réside dans le fait qu’ils relèvent de la communication scientifique et de la communication médiatique. Il ne s’agit pas de vulgarisation scientifique, comme cela a pu l’être dans certains cas avec des vidéos postées sur YouTube déjà  expérimentées (Martins Flores, Muniz de Medeiros, 2018), mais bien d’une communication scientifique médiatique.

Découverte du processus de médiatisation à l’oeuvre

L’expérience de publication de l’article vidéo suit le même cycle chez l’ensemble des chercheurs de notre panel.

“C’est une idée de génie, on a tout de suite dit oui !”

“J’étais super contente à l’idée de valoriser une méthode que j’ai développée et que j’ai introduite dans mon labo et qui est devenue une spécialité du labo. Cela me tenait à cœur et j’étais contente de le faire”

L’enthousiasme débordant du début à la perspective de “faire de la vidéo” s’estompe à mesure que le processus s’allonge sur les étapes longues de l’évaluation de l’article, de ses corrections, de sa finalisation, puis enfin, de la rédaction du script de la vidéo.

“La publication au sein de JoVE est chronophage par rapport à un article “banal”, à cause de la rédaction et de la mise en scène de la vidéo qui sont à valider du côté des États-Unis. Le tournage est court (une journée) mais demande deux fois plus de préparation !”

Sur l’ensemble des articles “français” publiés chez JoVE (526 articles), on compte uniquement 6.3% de vidéos author produced ou auto-produites. Dans le cas de notre panel, tous les auteurs ont bénéficié de l’accompagnement du Communication Director pour la production de la vidéo.

Celle-ci a été qualifiée de difficile à cause du manque d’expérience des auteurs qui le faisaient pour la première fois. Le tournage de la vidéo par les vidéastes qui a duré en moyenne entre une journée et une journée et demi a été qualifié de long et de difficile. Les auteurs ont pu néanmoins prendre conscience de la nature du travail fourni dans cette étape.

“Le tournage a été compliqué pour nous car nous ne sommes pas habitués à ce genre de pratique, nous étions obligés d’accueillir une équipe de vidéaste dans un laboratoire, mal éclairé ou la plupart des chercheurs effectuent des manipulations, nous avons certes pu échanger sur le montage mais en amont, nous avons trouvé ça fastidieux !”

“C’était rigolo, cela nous a fait l’effet des frères Lumière qui ont fait découvrir le monde, mais nous n’étions pas très à l’aise quand même…cela nous a pris plus de temps que prévu”.

Au final, les expériences de publications sont allées de 9 à 12 mois et ont souvent été jugées difficiles, soit parce que l’auteur avait sous-estimé le travail, soit parce qu’il considérait ne pas en avoir les compétences.

Et si c’était à refaire ?

Aucun des auteurs interviewés n’a émis le regret d’avoir “tenté” l’expérience de la publication vidéo avec JoVE. Leurs retours d’expérience ont convergé sur le fait d’avoir découvert un nouveau modèle de publication et d’être désormais plus familiarisés avec les articles vidéo. L’argument de l’indexation de JoVE dans le Web of Science permettant aux articles des auteurs de figurer dans la liste de publication de leurs CV a été un des points forts de leurs arguments.

“Même si ce n’est pas le meilleur article de ma carrière, il est indexé, JoVE a un facteur d’impact et ça compte donc pour ma fiche CRAC”

“Cela me permet d’avoir un autre type d’articles dans ma production scientifique. Ce ne sont pas mes résultats positifs, mais mon expertise dans le développement de protocoles innovants”

En revanche, interrogés sur la possibilité de refaire une expérience de publication vidéo, le consensus était moins présent. Le temps long de la publication, le savoir-faire nécessaire à la réalisation de la vidéo et l’importance relative du statut d’un article de méthode pour leur carrière ont constitué les principales remarques avancées par les chercheurs :

“Je ne suis pas sûre de vouloir consacrer autant de temps à un article de méthode. Tel que le système fonctionne, il vaut mieux miser sur les articles de recherche, avec des résultats”

“Pourquoi pas, mais pas tout de suite. Un article de temps à autre, tous les 5, 6 ans …”

Aucun des auteurs, n’a mentionné la question du coût de l’APC (Article Processing Charge) comme barrière au renouvellement de l’expérience. Cela peut s’expliquer par le fait qu’en Sciences de la Vie, les communautés de chercheurs sont habituées à publier dans des revues Gold auteur payeur.

Les traces numériques de la médiatisation

Pour les auteurs des articles JoVE, l’expérience de publication se termine toujours avec le “Communication Director” en charge du suivi de la publication qui vient fournir les statistiques de consultation (vues, téléchargements, tweets…) de l’article en question quelques mois après sa parution. Ces statistiques sont présentées en guise de suivi du parcours de l’article et ils sont intitulés sur la plateforme “Follow-Up”.

Ces statistiques que la littérature de l’Information Scientifique et Technique (IST) désigne par Altmetrics (métriques alternatives) représentent de nouveaux indices d’usage des articles recueillis sur les plateformes du Web (Galligan, 2013) pour évaluer la « popularité » des contenus scientifiques. Au même titre que les citations, elles sont associées à la notion “d’impact” très présente dans le monde de l’édition scientifique et qui traduit à la fois la valeur d’usage et la valeur marchande des contenus (Neylon, 2009).

JoVE ne pouvant rivaliser avec les revues de grand impact citationnel, mise sur la visibilité médiatique qui apporte aux auteurs de la notoriété :

“Au final, des gens nous ont contacté mais l’article n’a pas vraiment été cité, je pense qu’il n’a pas convaincu car on était plus dans de la démonstration que dans un article de qualité scientifique.”

A l’instar des autres jeunes éditeurs, le choix d’investir dans les Altmetrics fait partie d’une stratégie de positionnement et de mise en visibilité de ses contenus face aux grands groupes de l’édition scientifique. Faute de pouvoir mener une “guerre bibliométrique”, JoVE tente la bataille médiatique, par le biais des Altmetrics.

Ainsi, l’éditeur JoVE s’appuie sur les traces numériques des interactions réalisées autour de ses articles. Il s’agit de codes numériques (Perriault, 2009) laissés par l’usager au cours de son processus d’interaction avec un dispositif technique. Comme le souligne la regrettée Louise Merzeau (Merzeau, 2009, p. 24), « l’empreinte numérique, elle, est automatiquement produite à l’occasion d’un calcul, d’un codage ou d’une connexion, le plus souvent sans que le sujet en soit conscient ». Les traces numériques enregistrées représentent à cet effet des signes, des messages ou des documents (Merzeau, 2009) déliés de leur producteur, qui peuvent par la suite être utilisés par une personne ou une entité tierce.

Cette modalité d’analyse de l’impact est empruntée à la mesure de performance des fournisseurs de contenus vidéos du web notamment les réseaux socionumériques (Facebook, Instagram, Snapchat, Twitter, YouTube etc.). Néanmoins, il est à noter qu’une vidéo peut être « vue » sans avoir été réellement consultée.

Plusieurs éléments permettent en effet de définir une « vue », une lecture automatique, un visionnage minimum, une modalité d’affichage ou encore le visionnage sur la plateforme support. L’analyse d’impact est pourtant essentiellement mobilisée autour du nombre de « vues » de chaque article, comme en témoigne les messages issus des “Follow-Up”.

L’article vidéo hébergé par une plateforme numérique rend en effet visible les traces de circulation à travers ce nombre de vues. Des analyses statistiques ou « usage statistics » sont en effet proposées à chaque fois, et s’y ajoutent également des statistiques des institutions auxquelles sont affiliées ceux qui ont eu accès aux articles, et également le classement des « traffic source » ou des sources de trafic, notamment les moteurs de recherche utilisés.

Pour illustrer notre propos, nous avons effectué une analyse catégorielle du corpus de publications JoVE affiliées à des institutions françaises, en prenant appui sur une analyse statistique. Le graphique ci-dessous présente la répartition du nombre de “vues” (entre 0 et 25 000) en fonction des treize catégories disciplinaires présentes sur la plateforme éditeur JoVE.

Répartition du nombre de « vues » dans les publications JoVE issues d’institutions françaises

Nous pouvons ainsi constater qu’à l’instar de la chimie, sans surprise, la médecine représente la catégorie disciplinaire (sur l’échantillon concerné) qui regroupe le nombre de vues de plus important sur la plateforme éditeur JoVE (23 570).

Google et Google Scholar sont les points de départ des recherches qui conduisent aux accès enregistrés sur la plateforme JoVE. Ce constat est en cohérence avec les résultats des études analysant la consultation des plateformes d’éditeurs scientifiques. La consultation des articles de JoVE et de leur vidéo est dépendante des moteurs de recherche (Nicholas, 2010). La proportion des articles en Open Access favorise ce phénomène et permet aux Altmetrics de meilleurs scores.

JoVE innove également à travers la possibilité de laisser des commentaires sous chaque article. Même si le nombre de commentaires reste minime (moins d’1% des publications issues des institutions françaises sont commentées), la plateforme tend à prendre exemple sur les fonctionnalités des réseaux socionumériques.

Nos entretiens nous ont permis de comprendre que rares sont les chercheurs qui accordent une attention à ces commentaires. Néanmoins, en étant abonnés à la revue JoVE, les lecteurs affiliés aux institutions concernées ont la possibilité d’envoyer un mail directement aux auteurs pour poser leurs questions ou pour échanger sur les protocoles. A l’issue de ces échanges, l’auteur peut ainsi requérir le droit de publier un erratum pour son article, et de corriger ou de discuter des méthodes au regard des remarques.

Conclusion

Ce travail exploratoire a permis d’éclairer la manière dont JoVe se distingue dans la reconfiguration de la publication scientifique numérique. Il représente une nouvelle niche de l’offre d’articles vidéo qui valorise l’expertise du chercheur en proposant des articles exclusivement centrés sur les méthodes expérimentales, en Sciences de la Vie.

L’éditeur a aussi une visée pédagogique indéniable permettant à ses lecteurs de pouvoir reproduire des manipulations en favorisant la vidéo. Ses articles vidéo s’apparentent à des “recettes de cuisine” filmées, telles ce que l’on peut voir à la télévision ou sur le Web, et qui permettent aux chercheurs d’appuyer leur démonstration pour qu’elle soit claire et reproductible, rejoignant ainsi les principes de transparence du Libre Accès.

JoVE innove en valorisant l’expertise du chercheur dans une approche médiatique véhiculée par sa plateforme, dont certaines caractéristiques renvoient aux aspects des médias et des réseaux socionumériques. Tout en respectant les codes du cycle de la publication scientifique (notamment l’évaluation par les pairs), il couple à son modèle une composante médiatique qui en fait le succès et la singularité. JoVE fait ainsi partie intégrante du domaine scientifique mais également du domaine médiatique grâce à la mise en média de ses articles.

Enfin, JoVE renvoie à l’association de plusieurs formes d’écriture, le texte et la vidéo. Pour cette dernière, le chercheur découvre avec difficulté un nouvel exercice de communication scientifique qui lui permet d’entrevoir de nouveaux champs de visibilité (nombre de vues, commentaires, etc.) et d’appropriation de sa contribution scientifique. Dans le même temps, il continue à enrichir sa liste de publications.

Le “Publish or Perish” couplé au “Publicize or Perish” semble confirmé dans la formule médiatique proposée par l’éditeur JoVE.

Références bibliographiques

Baillard, A. L., (2015), « Video methodologies in research: unlocking the complexities of occupation. Les méthodologies de la video dans la recherche: dévérouiller les complexités de l’occupation », Canadian Journal of Occupational Therapy, vol.1, n°82, p.35-43.

Bohannon, J. (2016), « Hate journal impact factors? New study gives you one more reason. » Science. DOI: 10.1126/science.aag0643

Björk, B.-C. (2016), « The open access movement at a crossroad: Are the big publishers and academic social media taking over? » Learned Publishing, 29(2), 131–134. Retrieved from citeulike-article-id:14177071

Boukacem-Zeghmouri, C. (2015a), Mutations dans la sous-filière de la revue scientifique dans les domaines STM: une analyse par les industries culturelles, mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches, Université Claude Bernard Lyon 1.

Boukacem-Zeghmouri, C. (2015b), « Nouveaux intermédiaires de l’information, nouvelles logiques de captation de la valeur. » I2D Information, données documents, 53(4), 34-35.

Boukacem-Zeghmouri, C., & Dillaerts, H. (2018), « Information scientifique et diffusion des savoirs: entre fragmentations et intermédiaires. » Revue française des sciences de l’information et de la communication, (15).

Bertin, M., Atanassova, I., Lariviere, V., & Gingras, Y. (2013, July), « The distribution of references in scientific papers: an analysis of the IMRaD structure. » In Proceedings of the 14th ISSI Conference (vol.591, p.603).

Bonaccorsi, A. (2018), « The evaluation of research in social sciences and humanities: Lessons from the Italian experience » (A. Bonaccorsi, Ed.), The Evaluation of Research in Social Sciences and Humanities: Lessons from the Italian Experience. Cham: Springer International Publishing. https://doi.org/10.1007/978-3-319-68554-0

Bullich, V. et Guignard T., (2011), « Les plates-formes d’accès aux contenus: des dispositifs au coeur de la reconfiguration des filières communicationnelles », communication présentée à Médias 011 “Y-a-t-il une richesse des réseaux?”, Aix-en-Provence, Décembre 2011.

Bullich, V. (2019), Contributions à la théorie des industries culturelles, mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches, Université Grenoble Alpes

Chartron, G. (2010), « Scénarios prospectifs pour l’édition scientifique », Hermès, La Revue, volume 2 n°57, p.123-129.

Galligan, F., & Dyas-Correi, S. (2013), « Altmetrics: Rethinking the way we measure. » Serials Review, 39(1), 56–61. DOI: 10.1080/00987913.2013.10765486

Hafner, C. A. (2018), « Genre innovation and multimodal expression in scholarly communication: Video methods articles in experimental biology ». Ibérica: Revista de la Asociación Europea de Lenguas para Fines Específicos (AELFE), (36), 15-42.

Jamali, H. R., Nabavi, M., & Asadi, S. (2018), « How video articles are cited, the case of JoVE: Journal of Visualized Experiments. » Scientometrics, 117(3), 1821-1839.

Kamat, P. et Schatz, G. (2014), « The increasing impact of multimedia and social media in scientific publications », The Journal of Physical Chemistry Letters, volume 1, n°5, p.233-234.

Merzeau, L. (2009), « Du signe à la trace: l’information sur mesure », Hermès, La Revue, n°3, p.83-91.

Miège, B. (1997), « Les industriels de la culture et de l’information à l’ère des nouveaux médias et des réseaux de diffusion. », Sociologie de la communication, vol.1, n°1, p.73-96.

Munafò, M., & Al, E. (2017). « A manifesto for reproducible science. » Nature Human Behavior, 1. https://doi.org/10.1038/s41562-016-0021

Neylon, C., & Wu, S. (2009). « Article-level metrics and the evolution of scientific impact. » PLoS Biology. DOI: 10.1371/journal.pbio.1000242

Nicholas, D., Williams, P., Rowlands, I., & Jamali, H. R. (2010). « Researchers’ E-journal use and information seeking behaviour. » Journal of Information Science, 36(4), 494–516. DOI: 10.1177/0165551510371883

Perriault, J. (2009), « Traces numériques personnelles, incertitude et lien social », Hermès, La Revue, n°53, p.13-20.

Rakotoary, S. (2018), Dynamiques infocommunicationnelles d’une communauté connectée: une analyse des forms socioculturelles de la diaspora malgache présente sur Facebook, Thèse de doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication, Gresec, Université Grenoble Alpes.

Robert, P. (2013), « L’article scientifique multimedia: vers un nouveau régime de visibilité de la science? » communication présentée à CIDE 16, Novembre 2013.

Saint-Martin, A. (2018). « L’édition scientifique « piratée ». Passage en revue et esquisse de problématisation. » Zilsel, 4(2), 179. Disponible sur : https://doi.org/10.3917/zil.004.0179

Spezi, V., Wakeling, S., Pinfield, S., Fry, J., Creaser, C., & Willett, P. (2017). « Let the community decide”? The vision and reality of soundness-only peer review in open-access mega-journals. » Journal of Documentation. doi: 10.1108/JD-06-2017-0092

Ware, M., Mabe, M. (2015). The STM Report An overview of scientific and scholarly journal publishing, Disponible sur : https://www.stm-assoc.org/2018_10_04_STM_Report_2018.pdf

Auteur

Sarah Rakotoary

.: Sarah Rakotoary est docteure en Sciences de l’Information et de la Communication au sein du GRESEC (Groupe de Recherche sur les Enjeux de la Communication). Ingénieure d’Études à l’UCBL (Université Claude Bernard Lyon 1), ses travaux de recherche portent sur les technologies numériques en s’intéressant notamment aux formes, et aux pratiques infocommunicationnelles des usagers. Elle aborde également les modalités d’émergence des communautés en ligne.

Remerciements

Je souhaiterais adresser mes remerciements aux deux évaluateurs anonymes dont les demandes de révision ont permis d’améliorer considérablement cet article. J’adresse également mes remerciements à Thierry Lafouge, Professeur émérite en SIC, à l’UCBL, pour les échanges et les discussions que nous avons eu sur les statistiques et la bibliométrie pendant mes deux années d’ATER.