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La coproduction sino-européenne sous l’impulsion de l’internationalisation des médias audiovisuels chinois

Article inédit, mis en ligne le 29 Mars, 2018

Résumé

La création du 1er fonds de coproduction sino-européen en 2015 montre l’appétit croissant des sociétés audiovisuelles européennes et chinoises pour développer des projets ambitieux de coproductions. A travers ces accords de hauts niveaux, la multiplication des rencontres bilatérales et l’intensification des échanges internationaux, la Chine et l’Europe se rapprochent indéniablement, mais la nature de ces relations reste à éclairer, dans la mesure où les médias audiovisuels constituent un secteur ambivalent, entre économie et culture.

Mots clés

Coproduction sino-européenne, internationalisation des médias, Chine.

In English

Title

Sino-European co-production under the impact of the internationalization of Chinese audiovisual media.

Abstract

The creation of the first Sino-European co-production fund in 2015 shows the growing appetite of European and Chinese audiovisual companies to develop ambitious co-production projects. Through these high-level agreements, the multiplication of bilateral meetings and the intensification of international exchanges, China and Europe is certainly closer, but what kind of relationships do they construct through the audiovisual media, an ambivalent sector between economy and culture?

Keywords

Sino-European co-production, internationalization of the media, China.

En Español

Título

Coproducción sino-europea bajo el impacto de la internacionalización de los medios audiovisuales chinos

Resumen

La creación del primer fondo de coproducción entre China y Europa en 2015 muestra el creciente interés de las empresas audiovisuales europeas y chinas por desarrollar ambiciosos proyectos de coproducción. A través de estos acuerdos de alto nivel, la multiplicación de reuniones bilaterales y la intensificación de los intercambios internacionales, China y Europa está ciertamente más cerca, pero ¿qué tipo de relaciones construyen a través de los medios audiovisuales, un sector ambivalente entre economía y cultura?

Palabras clave

Coproducción chino-europea, internacionalización de los medios de comunicación, China.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Li-Prouvost Shaojing, « La coproduction sino-européenne sous l’impulsion de l’internationalisation des médias audiovisuels chinois », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°18/3A, 2017, p.45 à 58, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2017/supplement-b/04-la-coproduction-sino-europeenne-sous-limpulsion-de-linternationalisation-des-medias-audiovisuels-chinois/

Introduction

La coproduction sino-européenne tout comme d’autres types de coproductions internationales reflète l’interdépendance croissante entre l’intensification de la globalisation marquée par la libéralisation des échanges internationaux et les bouleversements technologiques et numériques. Les circonstances et les évolutions de la coproduction sino-européenne affichent pourtant leurs propres particularités que nous analyserons dans un premier temps afin d’en décrypter ses enjeux politiques, économiques et socio-culturels. Depuis les années 1980, l’internationalisation des médias s’est intensifiée sous l’effet d’un double phénomène : l’avènement de nouveaux supports de diffusion tels que la vidéo, le câble ou le satellite, effaçant les frontières et le développement des politiques de déréglementation qui ont accéléré considérablement les logiques d’internationalisation (Mattelart, 2005). Cette vague mondiale a également touché la Chine qui est une cible pour les groupe médias transnationaux car identifiée comme un marché non-négligeable malgré toutes les difficultés existantes à l’époque et encore de nos jours pour s’y implanter. Le secteur des médias audiovisuels en Chine est ainsi marqué par le dynamisme de trois principaux acteurs : les acteurs chinois publics, les acteurs chinois privés et les acteurs étrangers basés en Chine. Tous ces acteurs sont activement engagés dans une stratégie d’internationalisation. La coproduction sino-européenne se développe dans ce contexte. Dans la deuxième partie nous nous intéresserons aux convergences et divergences d’intérêts entre la Chine et l’Europe. L’audiovisuel, un secteur ambivalent entre économie et culture (Polo, 1999), se pose comme l’un des principaux thèmes de désaccord dans les négociations commerciales, multilatérales comme bilatérales car il porte des enjeux à la fois économiques et culturels. D’où les défis auxquels sont confrontées la Chine et l’Europe.

Les circonstances et les évolutions de la coproduction sino-européenne

Chaque année, désormais au moins un festival européen annonce la création de son marché de la coproduction ou d’un forum visant à présenter des projets de films ou de documentaires, à la recherche de producteurs partenaires (cf. références, doc. 1). Qu’il s’agisse de distributeurs, d’acheteurs de chaînes ou d’investisseurs, la ferveur de ces rencontres en direct entre des coproducteurs potentiels venant de toutes les régions du monde met en évidence le succès de la coproduction au sein de l’industrie audiovisuelle. Considérée comme mutuellement profitable entre les partenaires, la coproduction a connu un essor considérable, devenant ainsi un modèle de production prometteur, notamment pour les productions visant des marchés internationaux.

Naissance et essor de la coproduction sino-européenne

La création du premier fonds de coproduction sino-européen (abrégé en CEFF signifiant en anglais : China Europe Film Fund) en novembre 2015 confirme cette tendance et montre l’appétit croissant des sociétés audiovisuelles européennes et chinoises pour développer des projets ambitieux de coproductions. Le CEFF a été lancé conjointement par la société de distribution cinématographique européenne indépendante Wild Bunch et le fonds d’investissement chinois China Film and TV capital à l’occasion du déplacement d’une délégation française du cinéma en Chine lors du voyage présidentiel de François Hollande. Frédérique Bredin, Présidente du CNC, affirme alors que « la création du fonds s’inscrit dans le prolongement de la politique volontariste menée par le CNC, et par des organismes comme Unifrance et FilmFrance, en lien avec les autorités diplomatiques, pour développer les relations artistiques et économiques avec l’industrie cinématographique chinoise ; Le fonds de coproduction mis en place par Wild Bunch renforcera ce partenariat stratégique entre la Chine, la France et les pays européens, au service de projets à vocations internationales » (cf. références, doc. 2).

La coproduction sino-européenne n’est pas un phénomène récent. L’histoire remonte à la première coproduction de film sino-étranger depuis l’établissement de la République Populaire de Chine qui fut un film franco-chinois « Le Cerf-volant du bout du monde » réalisé par le réalisateur français Roger Pigaut et le réalisateur chinois Wang Jiayi en 1958. Parmi les coproductions sino-européennes les plus significatives figure Le Dernier Empereur réalisé par Bernardo Bertolucci en 1987. Cette co-production franco-sino-italo-britannique fut couronnée par 9 Oscars dont ceux de Meilleur film et Meilleur réalisateur ainsi qu’un César pour le Meilleur film étranger. Ce film biographique du dernier empereur de Chine Puyi représente la première œuvre occidentale à avoir reçu la pleine et entière collaboration des autorités chinoises depuis 1949, et aussi le premier film à avoir été tourné dans la Cité interdite.

Depuis son adhésion à l’Organisation mondiale du Commerce en 2001, la Chine s’engage à ouvrir progressivement le marché audiovisuel, bien que les mesures protectionnistes soient toujours d’actualité. Les échanges sino-européens s’intensifient et la coproduction sino-européenne devient de plus en plus recherchée.

Ces dix dernières années, le Club des Producteurs Européens, association basée à Paris qui regroupe une cinquantaine de producteurs européens indépendants, organise régulièrement à Pékin ou à Shanghai un forum de coproduction avec la Chine (cf. références, doc. 3). De son côté, l’association Bridging the Dragon basée à Berlin et à Shanghai organise régulièrement des événements combinant des conférences et des activités de mise en réseau entre les professionnels européens lors des festivals internationaux. Dirigée par Sophie Bourdon, l’ancienne directrice générale de l’ACE (Ateliers du Cinéma Européen), Bridging the Dragon fut fondée par un groupe de professionnels européens et chinois. Parmi ses membres fondateurs, on trouve Senator et Claussen-Wöbke-Putz Filmproduction (Allemagne), Lemming Film (Pays-Bas), Scott Free Production (Royaume-Uni), Orisa Produzioni (Italie et Allemagne), Bona Film Group Limited, China Blue et Road Pictures (Chine), Dragoia Media (Espagne) et Sweet Films (Norvège) (cf. références, doc. 4). Cette association est soutenue par Creative Europe – the MEDIA sub-program, Medienboard Berlin-Brandenburg, the Italian Ministry of Culture (MIBACT), the Netherlands Film Fund, the BFI, D’Hive and the Goethe-Institut China (cf. références, doc. 5), avec pour objectif de combler le fossé qui existe entre ces deux industries et de guider les professionnels au niveau des contenus et de leurs stratégies commerciales afin qu’ils positionnent mieux leurs films et sociétés de production sur les marchés étrangers. Ils ont ainsi créé des partenariats avec des festivals de films en Europe (tels que les festivals de Venise, de Berlin, de Locarno et de Cannes et des festivals de films en Chine, à Shanghai et à Beijing) afin de rassembler les professionnels sino-européens ayant la volonté de construire des collaborations de long terme. Grâce à ces événements, un réseau de professionnels actifs en Europe et en Chine se développe et les liens entre les industries audiovisuelles européenne et chinoise se resserrent tout en explorant de nouvelles idées et de nouvelles opportunités de travailler ensemble.

Aussi, les grands groupes de médias audiovisuels européens tels que Arte se déplacent en Chine avec des délégations de dirigeants de haut niveau afin de chercher à négocier de nouvelles coproductions avec leurs confrères chinois. Après avoir privilégié la coproduction cinématographique en investissant dans les films du réalisateur Wong Kar-Wai (2046) ou de Zhang Yimou (Les Triades de Shanghai), Arte ambitionne de développer la coproduction de documentaires et de spectacles vivants appréciés des téléspectateurs chinois tels que des opéras, des concerts… (cf. références, doc. 6).

L’accord exclusif de distribution et de coproduction de films signé en 2012 entre EuropaCorp fondée par Luc Besson et Fundamental Films, une société chinoise leader dans les secteurs de la production et de la distribution de films en Chine, représente un autre exemple significatif de coopération. Cet accord d’une durée de trois ans porte sur la distribution exclusive de la totalité de la production du studio EuropaCorp. Il comporte également un volet de coproduction dans lequel Fundamental Films s’est engagé à coproduire 3 des 15 films destinés à une exploitation en salles. EuropaCorp sera aussi responsable de la distribution de 3 films chinois sur le marché international (cf. références, doc. 7). Ce partenariat a permis de lancer ces dernières années en Chine les films Brick Mansions, Lucy et Taken 3. Cet accord a même été prolongé de cinq ans en 2015 et s’accompagne de la confirmation d’un investissement de Fundamental Films à hauteur de 50 millions de dollars dans l’adaptation de la bande­dessinée Valerian. En 2016 EuropaCorp a annoncé que le groupe chinois Fundamenrtal Films allait entrer au capital d’EuropaCorp pour un investissement de 60 millions d’euros lui permettant de devenir son deuxième actionnaire (cf. références, doc. 8).

Outre les professionnels des médias audiovisuels, les Etats européens ont reconnu l’enjeu économique, politique, diplomatique et culturel à l’égard de ce type de partenariats porteurs avec la Chine qui, quant à elle, ne cache pas son ambition de renforcer par ces partenariats la force et la capacité d’internationalisation de ses médias audiovisuels. Le nouvel accord de coproduction signé en 2010 entre la France et la Chine (cf. références, doc. 9) affirme la volonté des deux pays de resserrer leurs liens au sein de l’industrie audiovisuelle.

Le premier film à avoir bénéficié du fruit de cet accord fut 11 Fleurs, sorti en 2011. Ce film fut réalisé par le cinéaste chinois Wang Xiaoshuai et coproduit par les sociétés chinoises Chinese Shadows et WXS Production et les Français Full House et Arte France Cinéma. Une autre coproduction sino-française par Envision Film Pékin et Pan Eurasia France, Le Promeneur d’oiseau, réalisé par Philippe Muyl, a même représenté la Chine aux Oscars pour la première fois dans l’histoire. Sorti en 2014, ce film fut également le premier film chinois réalisé par un Français. En 2015 encore, Le Dernier Loup, tiré d’un bestseller chinois Totem du Loup, et réalisé par le cinéaste français Jean-Jacques Annaud, avait été sélectionné pour représenter la Chine dans la course à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère mais finalement a été jugé « insuffisamment chinois » par le comité américain de sélection et a donc été disqualifié. La France est un pays précurseur en matière de coproduction avec la Chine. Grâce à ces coproductions, la France se tient au second rang des pays coproducteurs avec la Chine et le cinéma français représente la deuxième cinématographie étrangère en Chine après les États-Unis.

La Chine a également signé de tels accords de coproduction avec plusieurs pays européens tels que le Royaume-Uni, l’Espagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Belgique et l’Italie. Ces accords ont pour objectif d’offrir un cadre légal et d’assurer la réciprocité de l’accès aux systèmes d’aide et d’autorisation, qu’il s’agisse des possibilités de financement ou bien des facilités de tournage. Ils permettent non seulement de créer des conditions favorables à la production mais également à la distribution, la promotion et la diffusion des œuvres audiovisuelles, tout en favorisant les échanges entre les professionnels de l’audiovisuel européens et chinois.

La croissance des coproductions en Chine

Les films coproduits reçoivent la nationalité de chacun des pays coproducteurs et sont censés pouvoir toucher un public plus large. Nous pouvons nous appuyer sur les données statistiques du China Film Yearbook (1996-2011) afin d’observer quantitativement le phénomène de la coproduction et son amplitude au sein du marché cinématographique chinois. Les coproductions ont atteint le nombre de 69 films, représentant ainsi 47% de la production totale en 1995. En 2010, le nombre de coproductions a continué à augmenter pour atteindre le nombre de 189 films, mais elles n’ont représenté que 36% de la production totale. Les coproductions sino-étrangères jouent non seulement un rôle important dans la production nationale, mais aussi dominent les box offices. Comme indiqué sur le tableau ci-dessous entre 1996 à 2003, les dix meilleurs films de chaque année sur le marché chinois étaient majoritairement des films coproduits. De 2006 à 2010, les 10 meilleurs films sont chaque année exclusivement des coproductions.

Cinéma chinois : part des coproductions par année (source : China Film Yearbook, 1996-2011)

Année

Total

Production des studios étatiques (pourcentage du total)

Production des studios privés (pourcentage du total)

Coproductions (pourcentage du total)

Nombre de films réalisés par des studios étatiques classés au Top 10 du box-office

Nombre de coproductions ayant été classés au Top 10 du box-office

1995

146

74 (50.7%)

3 (2.1%)

69 (47.3%)

1996

110

67 (60.9%)

0

43 (39.1%)

4

6

1997

85

45 (52.9%)

0

40 (47.1%)

6

4

1998

82

52 (63.4%)

0

30 (36.6%)

6

4

1999

99

58 (58.6%)

4 (4.0%)

37 (37.4%)

4

6

2000

83

38 (45.8%)

0

45 (54.2%)

4

6

2001

71

36 (50.7%)

0

35 (49.3%)

2

8

2002

100

43 (43.0%)

2 (2.0%)

55 (55.0%)

3

7

2003

140

39 (27.9%)

14 (10.0%)

87 (62.1%)

2

8

200-1

212

37(17.5%)

54 (25.5%)

121 (57.1%)

0

10

2005

260

43(16.5%)

81 (31.2%)

136 (52.3%)

2

8

2006

330

48 (14.5%)

151 (45.8%)

131 (39.7%)

0

10

2007

402

59 (14.7%)

164 (40.8%)

179(44.5%)

0

10

2008

406

34 (8.4%)

181 (44.6%)

191 (47.0%)

0

10

2009

456

52 (11.4%)

228 (50.0%)

176 (38.6%)

0

10

2010

526

45 (8.6%)

292 (55.5%)

189 (35.9%)

0

10

L’accord de coproduction représente l’ouverture mutuelle des marchés audiovisuels et des enjeux à multi-dimensions pris en compte mutuellement par les États Européens et la Chine. Sajid Javid, le Secrétaire d’État britannique à la Culture, a déclaré que le traité de coproduction entre le Royaume-Uni et la Chine ratifié en 2015 était une révolution pour les maisons de productions britanniques et chinoises et qu’il ouvrait la voie aux producteurs anglais et à leurs homologues chinois, pour qu’ils partagent leur expertise créative et fassent des films incroyables appréciés par le monde entier. Du côté chinois Miao Xiaotian, président de la China Film Co-production Corporation, a également commenté avec beaucoup d’optimisme que la signature de ce traité annonçait le commencement d’une nouvelle ère pour les coproductions entre le Royaume-Uni et la Chine (cf. références, doc. 10). Les coopérations se sont intensifiées au fur et à mesure que des mécanismes de discussions entre les professionnels et les institutions se sont développés.

La Chine et les coproductions : de la demande à l’offre de financement

Une autre caractéristique marquante de l’évolution de la coproduction sino-européenne fut le rôle de la Chine qui s’est progressivement transformé de ‘demandeur’ en ‘offreur’ au niveau du financement. Depuis les années 1980, de nombreux cinéastes chinois indépendants ont été soutenus par des financements provenant de l’Europe, notamment au travers du dispositif Fonds sud cinéma du CNC de la France, devenu en 2012 « Aide aux cinémas du monde ». Ayant l’objectif de promouvoir la diversité cinématographique dans le monde, ce fonds a apporté chaque année un soutien financier à des films d’auteur étrangers. Parmi les cinéastes chinois qui ont bénéficié de ces aides, nous pouvons citer les plus réputés tels que Zhang Yimou pour son film Shanghai Triade qui a reçu le Grand Prix du Festival de Cannes en 1995 et des nominations pour les Oscars et Golden Globe ; Jia Zhang Ke pour ses trois œuvres : Plateform qui a reçu le Prix NETPAC au festival de Venise en 2000, Plaisirs inconnus en 2002 et The World en 2004 ; Wang Bing pour Le Fossé qui fut sélectionné à la Mostra de Venise pour le prix Lion d’Or et une autre de ses œuvres, un documentaire, Jeunesse de Shanghai en 2016 produit par House on fire, Gladys Glover Films, en association avec ARTE France – La Lucarne ; et enfin Lou Ye pour ses trois œuvres : Une jeunesse chinoise en 2006, Nuits d’ivresse printanière qui a obtenu le prix du scénario au Festival de Cannes en 2009 et Les Aveugles en 2013.

L’Europe représente donc non seulement la principale source de financement pour les cinéastes chinois indépendants, mais aussi la principale passerelle pour que les œuvres chinoises puissent s’intégrer dans les circuits internationaux grâce à la réputation et l’influence à l’échelle mondiale des festivals de film notamment de Cannes, Berlin et Venise.

Ces dernières années, le cadre des partenariats sino-européens est en train d’évoluer, la tendance à ce jour étant que la Chine est en train de prendre de plus en plus d’importance dans le financement de la coproduction sino-européenne. 11 Flowers de Wang Xiaoshuai fut produit à 65 % par la Chine via Chinese Shadows et WXS Productions et à 35 % par la France grâce à Didar Domehri pour Full House et Arte France Cinéma (cf. références, doc. 11). Le Promeneur d’oiseau et Le Dernier loup que nous avons évoqué auparavant ont été financés à 80 % par la Chine sur un budget de 35 millions d’euros pour ce dernier.

Le fonds de coproduction conjointement établi en 2016 par Ingenious Media en Angleterre et Hejing Culture en Chine annonce encore de grandes ambitions avec un budget de 200 millions de dollars fournis par chacun. Deux ans après la ratification du traité de coproduction entre le Royaume-Uni et la Chine, Ingenious Media et Hejing Culture souhaitent réaliser conjointement une série de projets de coproduction dans le cadre de ce traité. Zhai Changxin, le vice-président de China Cultural Industry Investment Fund affirme que « la Chine possède des fonds d’investissement riches et une forte demande intérieure, c’est donc pour cela que de plus en plus de médias internationaux et de producteurs et acteurs Hollywoodiens veulent trouver des partenaires chinois » (cf. références, doc. 12).

La capacité d’investissement surprenante de la Chine marquera un nouveau visage de la coproduction sino-européenne dans un contexte où la Chine accélère son évolution vers une plus forte internationalisation de ses médias audiovisuels et que les capitaux abondants de l’économie chinoise en pleine transition se déversent sur ce secteur des médias audiovisuels.

Convergences et divergences d’intérêts entre la Chine et l’Europe à l’égard de la coproduction

La coproduction : profiter du potentiel du marché chinois.

La co-production a obtenu un énorme succès grâce à son caractère gagnant-gagnant réduisant les risques et maximisant les bénéfices. Pour les sociétés internationales, la contrepartie d’une coproduction est bien de profiter du potentiel du marché chinois.

Etant devenu le deuxième marché mondial du cinéma depuis la fin 2012 en termes de recettes en salles, devant le Japon et après les Etats-Unis (Balle, 2013), la Chine représente un marché avec un potentiel colossal qui continue à s’accroître avec un essor fulgurant. Selon PWC, les revenus du box-office devraient en effet augmenter en Chine de 15 % par an jusqu’en 2019, alors que ce taux de croissance ne devrait atteindre que 4 % aux États-Unis sur la même période (Scoffier, 2016). La Chine dépasse les États-Unis en tant que plus gros marché du film au monde en 2017, stimulée par le rapide développement des salles de cinéma dans le pays : en effet, en moyenne, chaque jour, ce sont environ une vingtaine de nouveaux écrans de cinéma qui sortent de terre (cf. références, doc. 13). Ce marché en forte croissance attire naturellement les regards des producteurs internationaux, notamment Américains, qui cherchent tous les moyens possibles pour s’y adapter et en tirer un maximum de bénéfices. Il n’est donc pas étonnant de voir que de plus en plus de superproductions Hollywoodiennes ont des scènes tournées en Chine ou intègrent dans leurs tournages des stars chinoises. Le marché chinois représente ainsi une opportunité prometteuse, un eldorado que tous les grands acteurs internationaux souhaitent pouvoir exploiter dans leurs courses vers toujours plus de croissance commerciale et d’expansion mondiale.

La principale barrière à ces géants internationaux reste le fait que le marché chinois est fortement contrôlé et protégé au nom de l’intérêt national malgré son ouverture croissante depuis les années 1990, lorsque la Chine a lancé son intégration dans le système économique international. D’après un discours du président chinois Xi Jinping, devant 72 personnalités du monde des arts en octobre 2014, la culture « ne doit pas être l’esclave du marché », elle « ne doit pas se perdre en se laissant emporter par les lames de fond de l’économie de marché », et doit « servir le socialisme, servir le peuple ». Les défis et la complexité du marché chinois existant pour les acteurs internationaux peuvent se résumer en deux facteurs principaux : l’un réside dans l’entrée sur le marché chinois et l’autre dans la survie sur ce marché.

L’entrée sur le marché chinois

Les films étrangers diffusés en Chine étaient auparavant importés sous des programmes d’échanges culturels ou étaient achetés au forfait (c’est-à-dire achetés à prix fixes) par un organisme d’Etat, le China Film Group sous la tutelle du SARFT (State Administration of Radio Film and Television). Jusqu’en 1994, la Chine avait ouvert son marché en acceptant dix films de plus par an avec un contrat de partage de recettes avec China Film Group ou Huaxia Films, les deux seuls distributeurs autorisés à importer des films étrangers. Ce quota de dix films était réparti de la manière suivante : un tiers de films américains, un tiers de films européens et un tiers provenant d’autres marchés. Mais cette proportion a été progressivement remise en question par la domination des films américains. Le premier film importé avec un contrat de partage de recettes fut Le Fugitif en 1994. Depuis son adhésion à l’OMC en 2001, la Chine s’est engagée à augmenter le nombre de films importés. Le quota annuel de l’importation des films étrangers distribués en partage de recettes, est ainsi passé de 10 à 20 (Zhou, 2007).

L’ouverture du marché chinois étant l’enjeu économique et commercial le plus significatif pour les majors hollywoodiennes, compte tenu du potentiel énorme du marché, les professionnels américains conjointement avec la Motion Picture Association of America (MPAA) et deux autres associations ont déposé en 2007 une plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à propos du protectionnisme de la Chine sur ses dispositions en matière audiovisuelle. Après trois ans de procès, l’OMC a condamné en janvier 2010 la Chine, en faveur des Etats-Unis, pour ses pratiques commerciales jugées illicites dans le domaine culturel (le cinéma, l’édition et la musique). L’OMC a ainsi ordonné à la Chine de supprimer son quota de 20 films étrangers par an et d’ouvrir ses cinémas à la production étrangère à partir du 19 mars 2011. Dans un communiqué officiel, la Chine a regretté la décision des experts de l’OMC mais elle a réitéré sa volonté d’assouplir son système de quotas, en permettant un large accès à son marché aux produits audiovisuels étrangers (Su, 2016).

Puisque l’OMC ne dispose pas de moyens coercitifs pour forcer Pékin à se conformer à ses décisions, la « victoire » de ce procès était plus symbolique qu’opérationnelle. Mais cette mise en demeure a permis aux Américains d’ouvrir une négociation avec la Chine dans de meilleures conditions afin de pousser la Chine à ouvrir son marché audiovisuel jugé de plus en plus stratégique pour les majors hollywoodiennes. Dans le cadre de l’accord signé entre la Chine et les Etats-Unis en 2012, la Chine a augmenté son quota d’importation annuel de superproductions hollywoodiennes de 20 à 34 et élevé leur part des revenus de 17,5% à 25% (cf. références, doc. 14). Cet ajout de 14 films supplémentaires au quota d’importation de films en partage de recettes entre le distributeur local et le distributeur étranger concerne seulement des films IMAX et 3D. De fait, tous les films IMAX en Chine sont exportés par des studios américains.

Les quotas de l’importation de films en partage de recettes devront être renégociés. Ce sont des enjeux diplomatiques structurants, qui infusent les discours politiques au plus haut niveau en particulier entre la Chine et les Etats-Unis. Outre l’importation de films en partage de recettes, la Chine importe environ une quarantaine de films chaque année, vendus au forfait. Ainsi l’accès au marché d’exploitation chinois est limité à en moyenne 70 films par an (soit 34 en partage de recettes, dont 14 films en IMAX ou 3D, et une quarantaine vendus au forfait), selon des règles très précises décidées par l’incontournable et puissant SARFT.

Il faut rappeler que les distributeurs chinois préfèrent généralement utiliser les quotas pour importer des blockbusters américains que des films européens jugés comme ayant moins de perspectives commerciales.

La survie sur le marché chinois

En dehors des quotas d’importation visant à en limiter le nombre, il existe également une limitation du temps d’exposition des films étrangers, soit 1/3 par rapport aux 2/3 du temps réservé à des films chinois. Sur la période de l’année entre la mi-juin et la fin août connue pour être une période de forte fréquentation, les salles en Chine ne diffusent que des films chinois sous l’appel du SARFT pour mieux protéger la production nationale. Cette période est ainsi appelée « les mois du cinéma chinois ».

De plus les dates de sorties, stratégiques pour le succès d’un film, sont définies par l’Association des distributeurs et exploitants qui est attachée au SARFT. Il n’est pas rare de constater que les dates de sorties des films soient organisées en faveur des productions nationales et au détriment des films étrangers. Avatar a dû être retiré de toutes les salles projetant en 2D le 22 janvier 2010, soit de plus de 1600 salles, alors qu’il était initialement prévu pour rester à l’affiche jusqu’au 28 janvier. Seules les salles équipées en 3D représentant environ 900 cinémas ont pu continuer à le diffuser. Les rumeurs les plus répandues ont mis l’accent sur le fait que le jour de son retrait des salles coïncidait avec la sortie de Confucius, un film biographique du célèbre sage et premier « éducateur » chinois porté par Chow Yun-Fat. D’autres ont simplement jugé qu’Avatar avait pris trop de parts de marché sur le cinéma chinois, et que la sortie de Confucius n’était en fait qu’une bonne excuse pour retirer des écrans ce film étranger. Certains spectateurs chinois se sont amusés à faire le rapprochement entre les dénonciations du film de science-fiction de James Cameron dans lequel des humains tentent de chasser une tribu extraterrestre de ses propres terres et les problèmes sociaux du pays avec notamment les évictions forcées de leurs terres ou de leurs logements de populations pour des causes de projets immobiliers ou de constructions d’infrastructures. Il existe également d’autres cas litigieux comme The Amazing Spiderman et The Dark Knight Rises qui sont sortis le même jour en Chine. Les dirigeants de Sony Pictures et de Warner Bros se sont ainsi plaints du fait que deux de leurs films respectifs aient été délibérément mis en compétition par la SARFT dans le but d’en affecter leurs recettes.

Outre le planning d’exposition, les recettes sont également influencées par le mode d’importation. Les films importés en partage de recettes sont plus intéressants au niveau financier pour les distributeurs étrangers par rapport aux films importés au forfait avec un prix fixe. Jusqu’en 2012, les distributeurs étrangers pouvaient tirer une part de recettes comprise en 13 à 17,5 % selon le succès du film importé par la Chine en partage de recettes. Le pourcentage haut s’appliquant lorsque le film dépassait 45 millions de RMB (Monnaie chinoise) de recettes. Depuis 2012, et la signature d’un Mémorandum of Understanding dans le cadre de négociations à l’OMC, la Chine autorise la prise de recettes jusqu’à 25 %. China Film Group et Huaxia Films prélèvent également 22 % des recettes. Le reste est pris par la salle.

Par ces mesures ultra-protectionnistes la Chine est ainsi un des rares pays à pouvoir maintenir une part de marché nationale supérieure à la part de marché américaine. Face à de multiples défis tels que les barrières à l’entrée, les partages des recettes défavorables et les arrangements sur les dates de sortie en salle les acteurs internationaux reconnaissent les avantages de la coproduction avec la Chine dont les films sont considérés comme des productions locales en Chine et donc ne sont plus comptabilisés dans le régime des quotas d’importation trop contraignant. L’autre avantage pour les groupes internationaux réside dans le fait que les coproductions leur permettent d’échapper à la règle des 25% lors du partage des recettes en salles. Les producteurs internationaux peuvent toucher jusqu’au 43 % des recettes en salles des films avec la licence de coproduction.

La coproduction : La stratégie des ‘bateaux empruntés’ pour la Chine :

La co-production est considérée comme le meilleur moyen pour les entreprises chinoises d’internationaliser leurs produits audiovisuels tout en profitant des savoir-faire et des expériences des conglomérats médiatiques internationaux ainsi que de leurs réseaux de distribution d’échelle internationale.

Depuis l’adoption de la stratégie ’Zou Chuqu’ traduite en ‘go global’ ou bien ‘go out’ en 1999, tous les échelons hiérarchiques de l’administration centrale sont mobilisés pour autoriser, stimuler et soutenir, mais aussi contrôler les investissements directs à l’étranger (IDE) et les orienter vers tel ou tel secteur (Andreff, 2016). Cette stratégie « go global » encouragée au niveau national pour inciter les entreprises, et notamment les entreprises d’Etat, à se développer à l’international favorise également la constitution de grands groupes chinois à vocation mondiale. L’émergence de groupes mondiaux est aussi accélérée par un soutien stratégique à la création ou l’acquisition d’outils de communication industriels et technologiques issus notamment de la stratégie de développement des investissements chinois à l’étranger (Lisbonne-de Vergeron, 2012).

Cette stratégie accompagnée par diverses mesures et politiques adoptées au plan national et international a donné lieu à un développement fulgurant des médias chinois. La nouvelle politique déclinée par les médias appelée “Go global, le média” a été annoncée en 2001 par Xu Guangchun le directeur de l’autorité de tutelle, la SARFT, avec l’objectif d’étendre la diffusion des programmes en langues occidentales. Ces dernières décennies ce projet a grandi pour devenir un plan ambitieux de développement du réseau de diffusion chinois (Nelson, 2013).

Ayant conscience de la faible influence de ses médias sur la scène internationale, la Chine a mis d’importants efforts dans le développement de partenariats avec des producteurs, des distributeurs et des talents réputés dans le secteur audiovisuel international. « Pour raconter une bonne histoire chinoise il n’est pas suffisant de s’en remettre uniquement à nos propres médias » disait à l’ouverture d’une série de cérémonies Monsieur Cui Yuying, directeur adjoint du Bureau du Conseil National de l’Information (State Council Information Office – SCIO) lui-même considéré comme le bras de la propagande chinoise au sein du Politburo.

Dans cet esprit, la stratégie des « bateaux empruntés » interprétée par le chef du CRI (China Radio International) Wang Gengnian (cf. références, doc. 15) à partir des messages du gouvernement central consiste à « mettre à profit des débouchés et des canaux de médias à l’étranger pour véhiculer la narration chinoise (cf. références, doc. 16) ». Cette stratégie, probablement inspirée par le stratagème « des bateaux de paille qui empruntent des flèches » (cao chuan jie jian, 草船借箭), une expression proverbiale en quatre caractères dit chengyu en chinois, tirée d’une histoire très connue issue de la période « des trois royaumes » de la Chine(1). Elle exprime l’idée de profiter de la puissance ou des ressources de l’adversaire pour le combattre.

Cette histoire des ‘bateaux empruntés’ est considérée comme l’un des plus inspirants stratagèmes popularisé par le livre classique chinois Les 36 stratagèmes qui devait connaître de multiples tirages à l’échelle internationale et devenir l’un des traités militaires les plus lus de la planète, avec L’Art de la guerre de Sun Tzu. Ce stratagème, tous comme les autres présents dans Les 36 stratagèmes, est largement répandu et réputé en Chine pour son utilité dans les situations de conflits, qu’ils soient militaires, commerciaux ou liés à la vie quotidienne.

Il existe d’autres expressions tels que ‘Jie chuan guo he’ (借船过河), signifiant littéralement emprunter un bateau pour traverser la rivière ou bien traverser la rivière avec un bateau emprunté, qui exprime le même principe : parvenir à ses fins en empruntant des ressources existantes ou en s’appuyant sur des conditions favorables. On peut remarquer que dans la langue chinoise le caractère ‘Jie’ 借 signifiant « emprunter » dans l’expression des « bateaux empruntés » porte aussi le sens de « recourir à » et de « s’appuyer sur ». Cette association des significations est également imprégnée dans le mode de pensée chinois.

Au sein du secteur des médias cette stratégie est utilisée, d’une part, par des médias publics et des médias propriété de l’Etat qui ont comme vocation prioritaire la communication publique, la construction de l’image de la Chine et la promotion de la culture chinoise à l’échelle internationale, et d’autre part, Elle est employée par des entreprises de médias privées qui suivent principalement une logique commerciale et concurrentielle visant avant tout à maximiser leurs bénéfices.

Les principaux conglomérats de médias audiovisuels publics chinois

Nom en Chinois

Nom international

année de fondation

中国中央电视台

China Central Television(CCTV)

1958

中国国际广播电台

China Radio International (CRI)

1841

中国电影集团公司

China Film Group Corporation (CFGC)

1999

Les principaux conglomérats de médias audiovisuels privés chinois

Nom en Chinois

Nom international

année de fondation

华谊兄弟传媒股份有限公司

Huayi Brothers Media Corporation

1994

北京小马奔腾文化传媒股份有限公司

Beijing Galloping Horse Media Co.,Ltd.

1994

博纳影业集团有限公司

Bona Film Group Limited

1999

浙江华策影视股份有限公司

Zhejiang Huace Film & TV

2005

北京光线传媒股份有限公司

Beijing Enlight Media Co Ltd

1998

星美集团

Stellar Mega Media Group

2001

海润影业

Beijing Hairun Pictures Co., Ltd

2010

慈文传媒

Ciwen Media

1999

La stratégie des ‘bateaux empruntés’ au sein du secteur audiovisuel fait référence notamment aux pratiques de co-production, de co-distribution et de co-diffusion avec des partenaires étrangers. Cette association qui se veut gagnant-gagnant représente une pratique déjà bien courante au sein de l’industrie audiovisuelle partout dans le monde. Ces modes de partenariat ont connu un développement considérable en Chine sous l’impulsion de cette stratégie des ‘bateaux empruntés’ prononcée et soutenue par le gouvernement chinois. Si l’Europe s’appuie sur la coproduction afin de mieux entrer et profiter d’un marché audiovisuel chinois en plein essor, l’industrie audiovisuelle chinoise bénéficiera de la réputation européenne sur la scène internationale afin que ses œuvres et ses talents obtiennent plus de visibilité auprès des publics non seulement européens mais aussi mondiaux.

La coproduction sino-européenne, malgré ces divergences d’intérêts, cherche tout de même à mettre en commun des moyens financiers, des moyens techniques ainsi que des moyens humains et à partager les risques liés au projet. Cette pratique favorise également les échanges directs entre les professionnels de l’audiovisuel afin de répondre mieux aux attentes des deux marchés et de faire face conjointement aux mutations du secteur audiovisuel.

Conclusion

Dans le contexte de la globalisation intensifiée et dotée de multiples complexités, la coproduction sino-européenne cherche à éviter les dérives du libéralisme et du protectionnisme. Les pressions pour l’ouverture et la dérèglementation du marché audiovisuel poussée par les Etats-Unis envers la Chine, l’Europe et bien d’autres pays et régions, ravivent les craintes de l’affaiblissement de l’industrie nationale, de l’uniformisation des cultures, et de la perte des identités culturelles. Ce mode de partenariat tend ainsi à concilier des intérêts commerciaux et des enjeux culturels lors des échanges internationaux. Les œuvres coproduites pourvues de la bi-nationalité sont censées porter la volonté de soutenir les industries nationales sans recourir à la fermeture des marchés intérieurs tout en favorisant la circulation d’offres audiovisuelles diversifiées.

Au travers de la collaboration bilatérale au sein du secteur audiovisuel entre la Chine et l’Europe depuis la première coproduction de film franco-chinois Le Cerf-volant du bout du monde en 1958, la coproduction sino-européenne se développe au niveau institutionnel et professionnel avec l’augmentation des œuvres coproduites. Selon Vincent Fischer, cofondateur et membre du comité de direction du Fond de Coproduction Sino-Européen, que j’ai eu l’occasion d’interviewer, une cinquantaine de projets de coproduction dans le cadre du fond de coproduction sino-européen sont en cours de développement.

Les œuvres issues de la coproduction sino-européennes étaient majoritairement de l’art et essai circulant principalement dans les festivals touchant une minorité du public. Parmi les films coproduits incluant les plus primés lors de festivals prestigieux en Europe, rares étaient ceux qui ont reçu un véritable succès au box-office. Ces films se sont eux-mêmes donné un genre nommé les « films de festival ». Le succès du film Le dernier loup représente un milestone selon Vincent Fischer et Julien Ezanno, chargé de mission à la Direction des affaires européennes et internationales du CNC, Celui-ci a également affirmé lors de notre entretien que ce film représente le meilleur modèle de par son succès à la fois sur le marché chinois, européen, et notamment en France.

Est-ce que la tradition et l’intérêt pour l’art et essai, les films d’auteur, et la diversité culturelle va perdurer et continuer à contribuer au rayonnement de la coproduction sino-européenne grâce à des collaborations intensifiées entre les professionnels, à des échanges volontaristes de haut niveau et à des dispositifs favorables, qu’il s’agisse de financement ou de moyens humains et techniques ? Cette tradition s’adaptera-t-elle à la tendance en cours ou deviendra-t-elle déclinante pour basculer vers des œuvres aux perspectives plus commerciales ? Etant donné que l’audiovisuel européen recule face à la concurrence internationale (cf. références, doc. 17) et que celui de la Chine a toujours peu d’influence, à quelle point la coproduction sino-européenne va-t-elle renforcer la compétitivité réciproque ? Les coproducteurs européens et chinois vont-t-ils trouver un vecteur d’équilibre et de compatibilité pour parvenir aux objectifs artistiques, culturels et commerciaux tout en évitant que ces objectifs ne se bloquent les uns les autres ? Ces questions se posent à une époque de changements profonds de la coproduction sino-européenne qui annonce une ambition renouvelée et élargie.

Notes

(1) L’histoire « des Bateaux de paille pour emprunter des flèches » (cao chuan jie jian, 草船借箭) : Suite à la chute de la dynastie Han, la Chine vola en éclats et fut déchirée en trois royaumes guerriers qui s’affrontèrent constamment pour la domination et l’unification de la Chine : celui de Wei dans le Nord, de Shu dans le Sud-Ouest, et celui de Wu dans le Sud. Pendant cette période ‘Des trois royaumes’(220-280), les troupes alliées des Wu dirigées par le général Zhou Yu et des Shu dirigées par le stratège Zhuge Liang furent menacées par l’armée de Wei dirigées par le général Cao Cao qui était rassemblée sur le fleuve Yang Tsé́ en un lieu très proche du Royaume de Wu. Au lieu de faire confectionner un grand nombre de flèches afin de repousser l’armée ennemie de Cao Cao, Zhuge Liang demanda à ses soldats de préparer rapidement des figurines de paille et d’en fixer sur vingt bateaux. Le lendemain, quand un brouillard épais s’est levé́ sur le fleuve, il ordonna aux soldats de se diriger avec ces ‘bateaux de paille’ vers l’armée de Cao Cao qui était sur la rive nord. Puisque l’épais brouillard empêchait de discerner la véritable situation, Cao Cao a pris les figurines de paille pour de vrais soldats et ordonna à ses archers de tirer des flèches à volonté pour empêcher l’ennemi d’approcher trop près. Bientôt les figurines de paille sur les bateaux furent remplies de flèches et Zhuge Liang put rentrer avec sa mission accomplie sans dépense d’aucune sorte.

Références bibliographiques

Andreff, Wladimir (2016), « BRICs et émergents : les nouveaux investisseurs internationaux », La Vie des idées. ISSN : 2105-3030.
http://www.laviedesidees.fr/BRICs-et-emergents-les-nouveaux-investisseurs-internationaux.html

Balle, Francis (2013), « Médias et sociétés: Internet, presse, édition, cinéma, radio, télévision », LGDJ, page 133.

China Film Yearbook (中国电影年鉴)(1996-2011), China Film Press

Lisbonne de Vergeron, Karine (2012), « Forces et faiblesses de la Chine », Questions d’Europe, n°235.

Mattelart, Tristan (2005), « L’internationalisation de l’audiovisuel : (bref) état des savoirs », Actes du colloque international 1945-2005 : 60 ans de communication pour le développement, Université de Douala, 26-30 avril 2005

Nelson, Anne (2013), « CCTV’s International Expansion: China’s Grand Strategy for Media? A Report to the Center for International Media Assistance», The Center for International Media Assistance (CIMA).
http://www.centerforinternationalmediaassistance.org/wp-content/uploads/2015/02/CIMA-China-Anne-Nelson_0.pdf

Polo, Jean-François (1999) : « L’audiovisuel européen : un enjeu culturel », Hermès, La Revue, 1999/1 (n° 23-24), p. 65-71.

Scoffier, Alex (2016), « Quand Hollywood tente de s’adapter au marché du cinéma chinois », Inaglobal,
http://www.inaglobal.fr/cinema/article/quand-hollywood-tente-de-s-adapter-au-marche-du-cinema-chinois-8719

Su, Wendy (2016), « China’s Encounter with Global Hollywood: Cultural Policy and the Film »,  Cultural Policy and the Film Industry, 1994-2013, University Press of Kentucky, p. 36-44.

Zhou, Yuanzhi (2007), Capitalizing China’s media industry: The Installation of Capitalist Production in the Chinese TV and Film Sectors, University of Illinois at Urbana-Champaign,
https://www.ideals.illinois.edu/handle/2142/86588

Webographie – documents complémentaire

Doc. 1 : http://www.europa-cinemas.org/News/Actualites/La-vie-est-un-pitch!-Les-marches-de-la-coproduction-des-festivals-europeens

Doc. 2 : http://www.cnc.fr/web/fr/flux/-/journal_content/56_INSTANCE_k0Tr/18/7936382?refererPlid=21

Doc. 3 : http://www.lemonde.fr/cinema/article/2011/05/02/les-tribulations-des-producteurs-europeens-en-chine_1515726_3476.html

Doc. 4 : http://cineuropa.org/vd.aspx?t=video&l=fr&did=281086

Doc. 5 : http://cineuropa.org/nw.aspx?t=newsdetail&l=en&did=293007

Doc. 6 : article de Daniel Psenny (2008) : « Arte cherche à s’implanter sur l’immense marché chinois de la production audiovisuelle », Le Monde,
http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2008/05/12/arte-cherche-a-s-implanter-sur-l-immense-marche-chinois-de-la-production-audiovisuelle_1043781_3236.html#1Hswthi4wHw9mQDy.99

Doc. 7 : http://www.europacorp-investors.com/pdf/120723CPEuropaCorpFundamentalFilmsFR.pdf

Doc. 8 : http://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/0211341594969-europacorp-accueille-le-chinois-fundamental-a-son-capital-2031218.php?HQmbopB2C7Qg89rU.99

Doc. 9 : Accord de coproduction cinématographique entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république populaire de Chine (ensemble de 6 annexes) signé à Pékin le 29 avril 2010. Décret n° 2010-1120 du 22 septembre 2010 (Source : CNC). URL : http://www.cnc.fr/web/fr/accords-internationaux/-/editoriaux/38217

Doc. 10 : article de Naman Ramachandran (2015) : « Le Royaume-Uni et la Chine ratifient un traité de coproduction », Cineuropa.org,
http://cineuropa.org/nw.aspx?t=newsdetail&l=fr&did=287534

Doc. 11 : article de Fabien Lemercier (2011) : « Coproduction franco-chinoise: l’expérience 11 Flowers », Cineuropa.org,
http://www.cineuropa.org/nw.aspx?t=newsdetail&l=fr&did=209315

Doc. 12 : article de CAI Xiao (2016) : « Western filmmakers seek Chinese partners », China Daily Europe,
http://europe.chinadaily.com.cn/epaper/2016-06/24/content_25831746.htm
http://www.hollywoodreporter.com/news/ingenious-media-forms-production-venture-904237

Doc. 13 : article « La Chine, un marché ciblé par les distributeurs américains, mais un marché également tourné vers l’exportation », 01/12/2016 :
http://fr.cntv.cn/2016/01/12/VIDEo8R5nPK4UPEu7zapDq0v160112.shtml

Doc. 14 : article « Chine : Pas d’augmentation du quota d’importation des films hollywoodiens »
http://french.peopledaily.com.cn/Culture/8533516.html

Doc. 15 : Wang Gengnian (2014) « Mieux intégrer la Chine au monde » ( 让中国更好融入世界), Revue de la Radio et la Télévision de la Chine《中国广播电视学刊, No°274 publié sur le site du Foreign Affaires Observer.
http://www.faobserver.com/NewsInfo.aspx?id=9762

Doc. 16 : http://www.reuters.com/investigates/special-report/china-radio/

Doc. 17 : Pascal Lechevallier : « L’audiovisuel européen recule face à la concurrence internationale », Digital Home Révolution, Dimanche 25 Janvier 2015.

Auteur

Shaojing Li-Prouvost

.: Shaojing Li-Prouvost est doctorante en Sciences de l’Information et de la Communication, au Groupe de Recherche sur les Enjeux de la Communication, à l’Université Grenoble-Alpes. La recherche de l’auteure porte sur les industries culturelles en Chine et sur leurs stratégies d’internationalisation.