Présentation du supplément 2017 B
Article inédit, mis en ligne le 29 Mars, 2018
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Lafon Benoit, « Information – Communication en Europe : perspectives nationales, transnationales ou comparatives », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°18/3A, 2017, p.5 à 7, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2017/supplement-b/00-presentation-du-supplement-2017-b/
Présentation du supplément 2017 B
La thématique de « l’Europe » a donné lieu à diverses recherches interrogeant les spécificités de cet échelon territorial au niveau communicationnel. Ainsi, les thématiques portant sur la construction de « l’identité européenne », sur la formation d’une opinion publique européenne ou sur les nouvelles réglementations ont été largement dominantes dans les années 90. En creux, se dessinaient les questions portant sur la transformation de l’Etat-nation, la montée des régions en Europe, l’évolution des services publics de radiotélévision et la place des réseaux de télécommunications. Le territoire européen se trouve cependant, depuis les années 2000, confronté à de multiples difficultés économiques (éclatement de plusieurs bulles financières) et politiques (échec du projet de constitution européenne en 2005, remise en cause des frontières européennes avec la crise migratoire en 2015), doublées de mutations sociotechniques majeures. Les questionnements contemporains ont évolué, ils mettent désormais davantage l’accent d’une part sur les médiations (journalistes, militants, experts, acteurs des médias) et d’autre part sur les interrelations que tissent ces différents acteurs et les modèles de communication et d’action qui s’en dégagent. Le présent supplément de la revue Les enjeux de l’information et de la communication présente quelques-unes de ces évolutions contemporaines de l’information-communication en Europe, en trois temps : autour des médiations communicationnelles, autour des industries culturelles et médiatiques, et enfin autour des recherches en Sciences de l’Information et de la Communication.
Un premier temps de ce volume est centré sur les médiations communicationnelles de l’Europe, c’est-à-dire le développement d’activités professionnelles dans le domaine de la communication ayant pour objet l’Europe, à des fins de légitimation … voire d’instrumentalisation. L’information – communication apparaît ici à la fois comme un domaine d’innovation, une ressource perçue comme apte à soutenir l’activité symbolique et économique de ses usagers, qui valorisent leurs productions en s’appuyant sur le capital symbolique européen. Ainsi Sandrine Roginsky montre dans son article « Promouvoir la cause européenne, les réseaux sociaux numériques et soi-même : faire d’une pierre trois coups avec « EU tweetup » » comment des acteurs en voie de professionnalisation utilisent à la fois Twitter et la question européenne pour acquérir une visibilité et une légitimité professionnelle, difficilement capitalisables dans le contexte de la « bulle européenne » de Bruxelles. Autre cas dans lequel la cause européenne joue un rôle symbolique fort : le journalisme. Par son analyse du prix Louise Weiss destiné à un journalisme d’excellence européen, Juliette Charbonneaux (« Le prix Louise Weiss ou les pouvoirs imaginés du « journalisme européen » : analyse d’un dispositif de légitimation médiatique ») montre les enjeux de légitimations croisées qu’opère un tel prix auprès de la profession journalistique, de l’Europe et … du prix lui-même. Enfin, Cassandre Molinari (« Economie créative » et « arts-sciences » : d’un grand projet européen aux stratégies des acteurs locaux ») s’intéresse aux projets « arts-sciences », au cœur d’une « industrie créative » soutenue à grands frais par l’Union Européenne. Elle montre ainsi que ce nouveau grand projet européen constitue un espace d’actions stratégiques pour les acteurs locaux, au premier rang desquels les villes autoproclamées « créatives », se livrant à une compétition accrue au moyen des outils communicationnels et du marketing territorial.
Le deuxième temps de ce supplément s’articule autour des industries de la culture et des médias. L’espace européen et les sociétés en Europe ont connu plusieurs décennies d’une coopération communautaire sous l’égide des Etats, avant d’être marqués par la dynamique d’une croissance-intégration toujours plus poussée et accentuée par les phénomènes libéraux de marchandisation et de concurrence accrue. Médias et industries culturelles ne font pas exception et se trouvent désormais au cœur d’enjeux dépassant largement l’échelle européenne. Dans ce contexte tendu, médias dominants comme médias alternatifs se trouvent contraints d’adopter des stratégies transnationales. Paola Sedda (« Les ressorts démocratiques des médias alternatifs en Argentine et en Italie ») montre ainsi les stratégies de mise en réseau construites par les activistes dans le domaine de la télévision alternative en Italie et en Argentine, afin de tenter de diversifier l’offre médiatique et de produire des mobilisations citoyennes à une échelle élargie. Ceci dans la double optique de promouvoir le « médiactivisme » et de contrer une idéologie perçue comme dominante. Ce souci de dépassement de l’échelle européenne en matière d’industries médiatiques trouve aussi une expression dans de nouvelles formes de collaborations entre industries culturelles, en particulier dans la coproduction sino-européenne étudiée par Shaojing Li-Prouvost dans son article (« La coproduction sino-européenne sous l’impulsion de l’internationalisation des médias audiovisuels chinois »). Il s’agit ici d’une intensification des accords commerciaux entre Chine et Europe, la première bénéficiant d’une forme de légitimation par les festivals et autres labels européens, tandis que la seconde retire de ces accords des fonds nécessaires à ses productions. Chine et Europe collaborent ainsi de manière croissante sur le marché des médias de l’image, marché encore largement dominé par les Etats-Unis, mais que le soft power chinois cherche à irriguer.
Enfin, le troisième temps de ce supplément prend en considération les approches scientifiques en information–communication dans leur dimension internationale, à la fois sur la question de leurs influences intellectuelles et théoriques et sur celle des échanges et confrontations. Ainsi Sabine Bosler et Carsten Wilhelm se sont-ils livrés à une méta-analyse internationale des études sur les médias numériques. Leur étude (« La politique des études d’usage : une méta-analyse internationale des études sur les médias numériques ») montre bien les invariants de ce type d’enquête tels que l’attention portée aux jeunes publics, tout en mettant en évidence des spécificités nationales marquées (l’importance des pratiques culturelles en France notamment), traduisant la nécessité de penser la diversité des espaces publics médiatiques. Enfin, Sarah Cordonnier (« La circulation internationale des savoirs communicationnels entre cadrages disciplinaires et pratiques situées ») s’intéresse à la circulation internationale des savoirs communicationnels. Ce faisant, elle montre par une analyse socio-discursive que les « sciences consacrées à la communication » font comme toutes les sciences l’objet d’injonction à la circulation internationale des chercheurs et des savoirs, tout en produisant paradoxalement de forts cadrages disciplinaires et des pratiques situées rendant cette situation d’internationalisation et d’échanges intra-européeens problématiques. Ces deux derniers articles soulignent donc bien que le long et lent travail d’acculturation Européenne dans le domaine des Sciences de la Communication, s’il est bien réel, reste un projet inachevé, à l’instar des autres domaines d’application de l’idée européenne envisagés dans les articles de ce supplément.
Auteur
Benoit Lafon
.: Benoit Lafon est Professeur en sciences de la communication à l’Université Grenoble-Alpes, à l’Institut de la Communication et des Médias. Directeur-adjoint du GRESEC (Groupe de Recherche sur les Enjeux de la Communication), ses travaux portent sur une économie politique des médias, en lien avec l’analyse des processus socio-politiques historicisés et des industries culturelles. Il est par ailleurs l’auteur d’une Histoire de la télévision régionale. De la RTF à la 3, 1950-2012, parue en 2012 à INA éditions.