Spécificités propres au traitement et à la réutilisation des archives audiovisuelles africaines (aspects documentaires)
Article inédit, mis en ligne le 20 Mars, 2018
Résumé
Dans la perspective de la recherche et de l’accès, donc celle de l’usager et non celle de la création de l’information, nous tenterons d’interroger pour l’évaluer, la pertinence des modes traditionnels de « documentarisation » aux fins de préserver la richesse culturelle des programmes produits par les télévisions locales, particulièrement des pays du Sud et, singulièrement, du Sénégal. En fait, la télévision, généralement, s’interroge pour et sur le milieu pour lequel elle produit. C’est surtout sur la nécessaire documentarisation des programmes des pays du Sud que nous insistons. Aussi, cet article présente et analyse la démarche et les outils utilisés par les professionnels africains de l’information documentaire pour rendre plus compréhensibles les contenus spécifiques des productions audiovisuelles africaines.
Mots clés
Information documentaire audiovisuelle ; Afrique ; Culture ; Documentarisation.
In English
Title
Own specific treatment and reuse of African audiovisual archives (documentary aspects)
Abstract
Focusing on the perspective of research and access, that of the user and not of the creation of information, we shall try to emphasize the primordial importance of preserving the values and cultural richness of programs produced by Local television, particularly from the South and, specially, from Senegal. Usually, television questions itself on the environment for which it produces. It is above all on the necessary documentarization of the South countries’ programmes that we would like to insist. We will try to dissect here the tact developed by the professionals of documentary audiovisual information through their approach and the tools used to make the contents more comprehensible.
Keywords
Audiovisual documentary information, Africa, Culture, Documentarization
En Espanol
Titulo
Especifidades propias al trataminento y la reutiliz acion de los archivos audiovisuales africanos (aspectos documentales)
Resumen
Privilegiando la perspectiva de la busquera y del acceso, pues la del usuario y no la de la creación de la información, intentaremos subrayar la plaza primordial de la preservación de los valores y de la riqueza cultural de los programas producidos por las televisiones locales, particularmente de los países del Sur, y singularmente, del Senegal. En efecto, la televisión, generalmente, se interroga por y sobre el ambiente por el cual ella produce. Sería sobre todo la documentarización esencial de los programas de los países del Sur de la que queríamos insistir. Además, aquí intentaremos decorticar el tacto desarrollado por los profesionales de la información documental audiovisual a través su andadura y las herramientas utilizados para hacer más comprensibles los contenidos.
Palabras clave
Información documental audiovisual, África, Cultura, Documentalización
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Ba Hamet, « Spécificités propres au traitement et à la réutilisation des archives audiovisuelles africaines (aspects documentaires) », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°18/2, 2017, p.47 à 59, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2017/dossier/04-specificites-propres-au-traitement-et-a-la-reutilisation-des-archives-audiovisuelles-africaines-aspects-documentaires/
Introduction
La production mondiale dans le domaine audiovisuel se développe de manière exponentielle. En 2004, on estimait le volume mondial des archives à deux cent millions d’heures. (Wright, 2004). Aujourd’hui, avec l’amorce de la généralisation de la télédiffusion numérique, incontestablement, la production des programmes a explosé et ira crescendo.
La question que nous voudrions aborder ici est celle de la préservation et de la vulgarisation des valeurs et de la richesse culturelle des pays « pauvres » contenues dans ces programmes audiovisuels. La documentation qui accompagne les productions des pays pauvres du Sud est très souvent parcellaire ou insuffisante si tant est qu’elle existe. Or, ces programmes s’intéressent fortement à l’environnement culturel de ces pays. Mais, les réalités de la culture africaine étant très difficiles à cerner par les africains eux-mêmes, et, a fortiori, par des non-africains, la documentarisation de ces fonds s’impose. Cependant, généralement, les archivistes et documentalistes africains ne maîtrisent pas toujours bien la signification culturelle des divers us et des multiples coutumes. Aussi, c’est, plus spécifiquement, sur le rôle de ces professionnels dans la visibilité de la production des télévisions locales du Sud en général, africaines en particulier, et singulièrement sénégalaises que nous situons notre recherche. L’approche privilégiée ici s’inscrit dans la perspective des sciences de l’information : « celle de la recherche et de l’accès, c’est-à-dire la perspective de l’usager et non celle de la création et de la diffusion, perspectives du producteur propres aux sciences de la communication.». (Salaün, 1993).
D’abord, nous camperons le contexte de l’étude dont le champ vise de façon générale les archivistes audiovisuels de l’Afrique noire et, spécifiquement, du Sénégal, en tant que praticiens des modes habituels de documentarisation des fonds. Puis, nous essayerons de mesurer la pertinence de ces pratiques sur l’intégrité de la mémoire du patrimoine audiovisuel africain.
Ensuite, nous nous pencherons sur la nécessaire prise en compte du contexte de fabrication de ces documents pour éclairer davantage leurs usagers pour une appropriation « plus » correcte de leurs contenus.
Pour conclure, nous nous interrogerons sur les innombrables compétences qui doivent être celles des archivistes et documentalistes audiovisuels d’Afrique noire, le tout dans la perspective des évolutions liées aux environnements numériques.
Cadre de l’étude et pertinence de l’appropriation du patrimoine audiovisuel africain
Situation matérielle et gestion des fonds audiovisuels africains
Nous circonscrivons la présente réflexion aux seules archives audiovisuelles africaines ainsi qu’aux archivistes audiovisuels des pays de l’Afrique de l’Ouest francophone, et, surtout des huit pays de L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), avec une insistance sur le Sénégal. Il en résulte, forcément, un aperçu restreint mais qui, en raison des similitudes et ressemblances des contextes culturels africains, peut valablement emporter les mêmes remarques et conséquences pour de vastes zones géographiques, ethniques, culturelles et professionnelles. Ainsi donc, nous nous intéressons ici à des services audiovisuels où la numérisation est encore un avenir lointain et où les terrains laissent constater une situation matérielle, à la limite, indécente des archives de façon générale et des archives audiovisuelles en particulier.
Force est de constater que dans les pays de l’UEMOA on rencontre presque exactement les mêmes insuffisances en dotation en personnels qualifiés concernant les archives audiovisuelles ainsi qu’en équipements et même quelquefois les mêmes lacunes juridiques envers les institutions documentaires. Quelques exemples étayent notre conviction que dans la pratique documentaire actuelle des pays d’Afrique il y a bien des similitudes pour ne pas dire des modèles strictement identiques.
En novembre 2004, à l’occasion de la Conférence annuelle de la Fiat (Fédération internationale des archives de télévision), « L’Appel de Paris pour la sauvegarde du patrimoine mondial audiovisuel » contribue à raffermir et généraliser, en Afrique de l’Ouest francophone, la prise de conscience de la nécessité de la sauvegarde et de la valorisation du patrimoine audiovisuel. Dès après, un groupe d’experts archivistes audiovisuels africains se constitue, des formations en archivistique audiovisuelle suivent et, ensuite, se crée une collaboration entre la Fiat, l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie), l’Ina et l’UEMOA en faveur d’une véritable politique patrimoniale. L’UEMOA s’approprie ainsi l’urgence de préserver son patrimoine audiovisuel communautaire, en vulgarisant d’abord son Plan pluriannuel de préservation et de valorisation des archives audiovisuelles, qu’elle valide en 2011 après un état des lieux des archives audiovisuelles des pays membres.
Ensuite, parce que la culture a, aujourd’hui, une influence potentiellement positive sur la croissance des pays de par le volume de ses recettes d’exportation, l’UEMOA s’est dotée en octobre 2013 d’une Politique commune de développement culturel. « Ce programme de développement culturel clarifie le contexte, justifie les raisons d’une politique commune en la matière, expose les orientations et axes d’intervention, les objectifs et les résultats attendus à l’horizon 2020. » (UEMOA, 2014).
Dans le cadre du projet « Capital numérique », mis en œuvre par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) sur la période 2014-2016 et cofinancé par le secrétariat des États ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), l’Ina s’est vu confier en mars 2014 la tâche de développer une nouvelle version du logiciel AIMÉ (V4), ainsi que de concevoir le site internet « Archibald ». L’objectif de cette plateforme est d’interconnecter les stations AIMÉ de vingt pays africains à une plate-forme de centralisation des archives. Par ce biais, chaque fonds d’archives constitué avec les moyens locaux de stockage, de numérisation et, enfin, d’indexation, sera pérennisé en un seul lieu avec des perspectives d’échanges de programmes dans le futur. (Ba, 2015).
L’univers numérique n’a pas encore totalement happé le champ de travail des archivistes et documentalistes africains dont il est question ici. Cependant, cela ne saurait tarder. Les plans et projets de numérisation naissent et ne cessent de s’élargir partout, l’installation généralisée de la télévision numérique terrestre (TNT) en Afrique étant inéluctable.
Effectivement, tel un séisme, le numérique inflige à la télévision sa première grande vague de changements dans tous les domaines : techniques, technologiques, professionnels, documentaires, socioculturels et de création. La documentation audiovisuelle n’y échappe donc guère. Ainsi, l’infographe, le monteur et le journaliste en sont venus à presque concurrencer le documentaliste dans l’archivage et l’indexation. Toutefois, les niveaux sémantiques et d’exploitation en profondeur du contenu des images viennent, en quelque sorte, rétablir les frontières séparant ces métiers devenus du reste encore plus connexes, justement à cause du numérique. « Dans l’univers numérique […] le contenu ne doit pas simplement être stocké : il est conservé pour être retrouvé […] Par ailleurs, l’indexation automatique n’est pas une menace. Le savoir-faire, en documentation, reste irremplaçable […] La connaissance des mots clés devient l’oxygène dans l’écologie de l’information. » (Le Diberder, 2009)
Documentarisation « habituelle » et appropriation du contenu audiovisuel africain.
La pratique actuelle et habituelle de la documentarisation dans la plupart des services d’archives audiovisuelles d’Afrique noire francophone est quasiment la même. Effectivement, ayant assez souvent fréquenté les mêmes écoles de formation en bibliothéconomie et d’archivistique, les responsables de ces archives reconduisent à peu d’exceptions près les mêmes recettes de gestion pour leurs institutions et leurs ressources documentaires.
En somme, jusqu’ici, en dehors des mentions incontournables relatives à la description technique (support, couleurs, etc. ), au genre (actualité, documentaire, fiction) ainsi que des précisions touchant aux valeurs de plans et d’angles de cadrage, les références au contexte culturel et au substrat sémiotique sont généralement omises. Bien entendu, la description catalographique n’est pas en reste (auteurs, titres, etc.) avec toutefois, pour certains auteurs, comme les réalisateurs et autres interprètes ou monteurs, des omissions. Sur ce point, quelques divergences subsistent qui sont dues au fait que les normes, pour les archives audiovisuelles ne sont qu’indicatives.
La description et l’indexation restent le cœur de métier des documentalistes, néanmoins personne ne peut plus se permettre d’ignorer les bases techniques des systèmes en place dans l’environnement numérique de la télévision. (Carnel, 2009). De même, mondialisation et télévision numérique terrestre exigent, les documentalistes audiovisuels africains se doivent impérativement d’expliciter au mieux les contenus des fonds de leurs institutions en se référant au contexte culturel de ces productions, seul gage d’appropriation correcte. Pour cela, il faut aller au-delà des seuls mots-clés ainsi que se fait l’indexation actuellement dans ces pays d’Afrique. Par contre : « La tendance du numérique est de fragmenter et de recomposer un contenu en unités arbitraires sans rapport au sens car recombinables à l’infini […] Le traitement documentaire se modifie de la description du document original à la déclinaison des usages possibles. Il devient interprétation à partir d’un modèle de représentation de la visualisation […] Ainsi, ce que l’on appelle document tend à n’être plus que le « contenant » à partir duquel sont extraits des fragments, nouvelles ressources numériques. Le travail documentaire glisse de l’indexation à l’éditorialisation, l’objectif étant de trouver des ressources pour créer de nouveaux contenus avec une recontextualisation liée à son nouvel usage (ex. : Images de guerre 1940-1945 de l’INA). La documentation ne consiste plus à documenter mais à éditer des ressources enrichies. Le nouvel enjeu est le passage d’un éditorial sur mesure à un éditorial de masse, c’est-à-dire la capacité de décrire et d’enrichir de grands volumes de ressources pour les utiliser et les éditer dans de nouveaux contextes ». (Kattnig, 2006)
A notre sens, au vu des résultats de l’actuelle et habituelle documentarisation dans la plupart des institutions documentaires audiovisuelles africaines, le constat est que cette pratique ne permet pas une appropriation satisfaisante concernant le contenu. Sans doute, parce que cette documentarisation est incomplète et ne prend pas compte suffisamment du contexte de production.
La connaissance du contexte de production, élément déterminant d’interprétation et d’analyse des archives audiovisuelles
Compte tenu des remarques émanant de la pratique de la documentarisation « habituelle » telle que décrite plus haut, il s’avère indispensable de recourir à une référence plus approfondie et plus complexe pour obtenir une documentarisation beaucoup plus adéquate et « parlante » des archives audiovisuelles africaines. Pour ce faire, nous jugeons nécessaire de tenir et rendre compte du contexte de production du document audiovisuel pour une meilleure appréciation des contenus à travers une analyse plus poussée.
Le contexte se définit ici, dans le sens de « l’ensemble des circonstances entourant un évènement ». Pour le document télévisuel, le contexte regroupe à la fois les circonstances de fabrication (lieu, objet, date, langue) mais également tout un ensemble de dispositifs réunis par les professionnels de l’audiovisuel (scénario, filmage, effets spéciaux, artéfacts divers, technique…) (Ba, 2016). Symboliquement, la démarche méthodologique qui sied pour décortiquer l’histoire cinématographique (télévisuelle aussi) est indiquée ainsi : « Tous les recours aux images sont valables et légitimes, à condition qu’ils s’accompagnent d’une analyse des images elles-mêmes et du contexte dans lequel elles ont été produites » (Ferro, 1971).
Contrairement, au simple téléspectateur, le chercheur a besoin de rassembler divers éléments du contexte du document audiovisuel. D’ailleurs, l’archivistique audiovisuelle prévoit que le document d’archives audiovisuelles soit accompagné de documents divers ayant servi à la « fabrication » : contenu des notes du scripte, du scénario, liste des lieux et dates de tournage, liste des interviewés, les rushes(1) et chutes après le montage, la fiche de production, les notes du chargé de production, etc. Une fois cernés les éléments du contexte, alors l’analyse du contenu peut intervenir.
La contextualisation : les codes propres du document audiovisuel.
La fabrication, ainsi que l’utilisation du document audiovisuel, reposent sur des codes propres. Ces différents codes se retrouvent au niveau technique, au niveau du langage cinématographique ainsi que du genre télévisuel, mais aussi au niveau sémiotique et sémiologique, et, enfin, dans le contexte culturel de la production du document audiovisuel.
Un autre code utilisé dans l’audiovisuel est relatif au genre télévisuel choisi pour un document donné. Selon le genre télévisuel en question, outre l’approche de traitement, le sujet traité requiert une appréciation différente. Par exemple, un reportage portant sur une actualité n’appelle pas la même appréciation ni le même traitement qu’un documentaire.
Enfin, le contexte culturel va, quant à lui, prendre en compte l’environnement culturel dans lequel et pour lequel le document audiovisuel est produit. Ainsi, par exemple, la langue du document est fonction du public ciblé. De même, certains choix de présentation ou de décor se réfèrent au contexte culturel.
Pour éviter une méprise, généralement sur la perception des images de la télévision, et, particulièrement, des images d’archives télévisuelles, situer le contexte de ces images s’impose. En effet, les archives audiovisuelles ne sont que le reflet d’images tournées dans un certain contexte. Ce contexte, évidemment, n’est le plus même au moment où l’on se sert des archives pour des besoins de recherches ou de rediffusion. La dimension temporelle ajoute une couche supplémentaire qui « voile » la compréhension du fonctionnement intime du média.
Aussi, il est indispensable, pour rendre clairement utilisable le document d’archives audiovisuelles, de le décoder. Ce décodage passe par la prise en compte des différents niveaux du contexte de la production du document audiovisuel. Il s’agit de réécrire les codes que l’on peut interpréter à partir d’une connaissance et d’une compréhension des différents niveaux de ce contexte qui concourent à construire le langage audiovisuel. Citons l’exemple d’une revue de la coopération entre le Sénégal et un pays donné. En effet, presque toujours, à la veille d’une rencontre économique, politique ou culturelle entre le Sénégal (au niveau ministériel ou présidentiel) et un pays donné (ou une institution importante), le Journal Télévisé revient sur les actes de coopération entre ledit pays et le Sénégal. Ce sont des archives, évidemment, qui seront utilisées pour illustrer « ce papier », puisque l’objet traité est à venir. (« Papier » désigne, dans le jargon journalistique, la séquence qui développe l’information livrée par un journaliste de télévision ou de radio). Cependant, il faut, au risque de prendre ces archives pour des images récentes, fraîches, préciser les dates, occasions et lieux de tournage des stock-shots(2) insérés. Au-delà de l’actualité, c’est plus dans le domaine culturel et du documentaire télévisuel proprement dit que la méprise peut être plus grande en l’absence d’une indexation plus pointue et qui va dans la profondeur sémantique du sujet. Ici, si l’on n’y prend garde, ce qui est fondamentalement sacré risque d’être complètement noyé dans la banalité, le profane et le folklore. En voici des exemples :
La scène de danse d’un masque africain est appréciée fort différemment par des africains ou des européens. Ce qui est sacré pour les uns, relève du folklore pour les autres. Il en est ainsi de la sortie d’un masque comme celui du « kankouran » chez les diolas du Sud du Sénégal, dans la région de Casamance. Pour quelqu’un qui n’est pas diola, ce qui marque le plus, c’est l’accoutrement du kankouran et la terreur qu’il fait régner autour. S’il arrive aussi que cette sortie du kankouran soit filmée, c’est probablement ce que le téléspectateur retiendra le plus. Cependant, le kankouran fait instaurer un certain respect de l’ordre établi, de la nature et de l’environnement. En frappant, par exemple, très violement parfois avec le dos de sa machette dont il ne se sépare jamais, c’est pour punir bien souvent les contrevenants au respect de l’environnement et de l’ordre établi. Cependant, une telle information doit être dûment établie lors de la documentarisation des archives qui resteront de la sortie du kankouran. Des informations utiles doivent aussi être recueillies auprès des initiés et « encadreurs » de la sortie du kankouran et être consignées dans les notices des archives. Sinon, si on l’on s’en tient uniquement à ce qui est simplement filmé sans pour autant prendre en compte le contexte, alors il ne reste plus que les aspects spectaculaires d’autant que celui qui n’est pas diola ne peut appréhender correctement le message délivré par le kankouran. La « documentarisation » ainsi réalisée restaure et donne tous les éléments du contexte culturel indispensable pour comprendre tout le sens et la portée des valeurs culturelles contenues dans les séquences filmées.
En fait, le niveau de renseignement quant à la réelle signification culturelle de ce qui est filmé fonde le niveau d’appréciation et de compréhension du destinataire du contenu filmé (chercheur ou simple téléspectateur). Ainsi, plus on plonge dans le culturel, plus le rôle de l’archiviste et du documentaliste est important. C’est à ces professionnels, en effet, qu’il revient d’assurer la compréhension nécessaire du document audiovisuel produit pour son destinataire.
Convoquons un autre exemple du point de vue sémiotique car la télévision alliant l’image et la parole, c’est de la description du rapport entre la parole et l’image qu’il s’agit ici de faire. Toutefois, la sémiotique dont il est question, ici, n’est, en fait, que la documentarisation des archives en question. Le recours à la sémiotique, ici, nous sert pour faire nécessairement appel à la langue et au langage pour amener à la meilleure compréhension possible du contenu du document audiovisuel. Même si « contrairement à ce que l’on croit, l’image est souvent moins menteuse que les mots » (Wolton, 1997), il n’en demeure pas moins vrai que ce sont des mots qu’il faut se servir pour non seulement décrire l’image mais aussi la « documenter », l’indexer, l’interpréter, lui donner un sens. Pour cela, en effet, c’est par la langue et le langage qu’il faut passer, donc dans un domaine relevant de la sémiotique. Ceci est tellement vrai que les documentalistes, se référent souvent à un thesaurus, un lexique commun en quelque sorte pour parler le même langage lorsqu’il s’agit de documenter les fonds, y compris celui des documents audiovisuels. Aussi, « d’un point de vue sémiotique, l’image est un signe qui montre quelque chose et non un signe qui signifie quelque chose ». [Bachimont, 1998]. Ainsi, par exemple si l’on se réfère au mot « eau », pour le signe, « eau » renvoie au concept qui est la représentation mentale de la chose. Cependant lorsque le même signe « eau » est utilisé comme rendant compte d’une image où l’on reconnaît l’ « eau », alors pour l’image, « eau » correspond à la représentation visuelle, concrète de ce qu’est l’eau. Mais : « Toute la difficulté dans la situation de l’audiovisuel vient du fait que le document audiovisuel ne repose pas sur un système d’assignation arbitraire de sens, comme le texte. Les signifiants d’une image ou d’une piste sonore – à l’exception des éléments présentant du texte écrit ou oral- n’ont pas de rapport prédéterminé à leur signification. […]. Il s’agit d’une relation analogique avec la réalité : on a affaire à des formes perceptives qui sont susceptibles de recevoir toutes les significations que pourra leur donner l’expérience humaine, et non des formes symboliques qui, comme les mots, ont un ou plusieurs proposés et articulés dans un système, puis renégociés en contexte » (Isaac, 2005). Toutefois, donner une signification, un sens à ce que l’on voit est moins évident que décoder un signe verbal. La signification de l’image est plus complexe à saisir que celle d’un signe linguistique. Ainsi, dans un groupe ethnique donné, les non-initiés ne peuvent guère interpréter, comprendre certaines scènes ou paroles (Ba, 2016).
Restitution des éléments de fabrication et documentarisation du document audiovisuel.
Un document audiovisuel consiste en une séquence temporelle. De ce fait, l’appropriation de son contenu doit combiner une lecture d’ensemble et une dissection des « fragments » qui composent cette séquence (plan, montage, trucages divers, …).
La « fabrication » qui correspond, dans le langage audiovisuel, aux différentes phases de création du document, se fonde essentiellement sur deux notions essentielles qui sont le plan et la séquence. Le plan est une suite d’images filmées sans interruption, du début jusqu’à la fin de la prise de vue effectuée par la caméra. La séquence, quant à elle, constitue un regroupement de plusieurs plans assemblés et collés les uns aux autres à la suite d’un montage. Ainsi, la séquence forme une unité narrative et est donc une information complète, « aboutie », qui rend compte de quelque chose qui fait sens. « Le montage organise le récit, lui donne un rythme et participe à la création de l’ambiance. ». (Larcher, 2010). En référence aux différentes parties du document écrit, on peut schématiser le plan comme étant une phrase et dire de la séquence que c’est un chapitre qui, donc est constitué de phrases qui forment un récit cohérent.
Mais, il est toujours nécessaire de « documentariser » le document d’archives audiovisuelles. Documentariser, c’est interpréter, déchiffrer un langage codé en le traduisant dans un langage accessible à tous. La « documentarisation » consiste en l’apport d’éléments de clarification et de compréhension du document d’archives audiovisuelles. Cette documentarisation est d’autant plus prégnante qu’il s’agit d’apporter un « éclairage » indispensable pour la bonne compréhension du document et que cet « éclairage » n’apparaît pas à l’utilisateur puisque ce sont les codes de la construction même du document qui cachent cet « éclairage ». Aussi, cette documentarisation s’impose comme une nécessité pour amener à optimiser l’usage du document en permettant un meilleur accès à son contenu et une meilleure mise en exergue du contexte de production du document audiovisuel. Ceci passe par l’indication d’un certain nombre d’informations manquant dans le document lui-même ou pouvant échapper à la compréhension de l’utilisateur du fait de l’incapacité de ce dernier à comprendre le message véhiculé à travers un langage audiovisuel qu’il ne lui est pas toujours facile ou possible de « décortiquer », « déchiffrer » aisément.
En voici un double exemple dans le domaine religieux au Sénégal.
Les deux principales confréries musulmanes religieuses au Sénégal sont la tidjania et le mouridisme. Chacune de ces confréries célèbre chaque année un anniversaire mémorable pour elle. Il s’agit du gamou de Tivaouane, encore appelé maouloud (anniversaire de la naissance du prophète de l’islam) pour la tidjania et du magal de Touba (anniversaire du départ en exil pour le Gabon, en 1895, de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du mouridisme).
Généralement, à l’approche de chacun de ces événements, la télévision nationale sénégalaise mène des reportages sur chacune de ces deux confréries. Et, immanquablement, pour revenir sur l’origine des propagateurs de ces confréries, des équipes sont envoyées non seulement dans les capitales religieuses des confréries mais aussi à Gaya, le village de naissance de Maodo Malick Sy, ainsi qu’à Porokhane, le village de naissance de Sokhna Mame Diarra Bousso, mère de Cheikh Ahmadou Bamba. Mais, si l’archiviste, au moment d’indexer les reportages réalisés sur les sites de Gaya et de Porokhane, ne prend pas le soin de noter « tidjania » et « mouridisme » dans les mots-clés, presque aucun chercheur, ultérieurement, ne pourra retrouver les reportages faits sur ces deux sites. Effectivement, il n’y aura alors aucun lien entre la confrérie à laquelle le chercheur s’intéresse et l’un de ces lieux.
Ajoutons qu’en plus de favoriser la meilleure appropriation possible du contenu, l’archiviste déploie également plusieurs stratégies pour faciliter le repérage, l’identification et l’accès du document à travers, entre autres, la diffusion sélective, la diffusion sur profil. Pour l’atteinte de tous ces objectifs, le numérique, par la télédiffusion numérique terrestre (TNT) appuie notoirement. Par exemple, la TV-R (Television Replay ou Télévision de Rattrapage) permet à l’usager, grâce à son appareil téléviseur devenu intelligent, d’enregistrer un programme qui passe, de le stocker pour le regarder au moment que cela lui conviendra. Le GEP (Guide Electronique des Programmes, EPG en anglais) donne, de même, la possibilité de disposer, sur certaines chaînes, des grilles des programmes en cours ou à venir jusque sur 15 jours. Ainsi, le téléspectateur peut filtrer ses chaînes favorites, sélectionner les programmes par type (films, série, divertissement, information, jeunesse, etc.), planifier, commander l’enregistrement d’un programme ou d’épisodes entiers d’une série ou d’une émission.
L’analyse comme « décryptage »
Analyser, c’est décomposer un ensemble en cherchant à mettre en exergue les éléments qui le constituent. C’est donc un examen détaillé d’un ensemble complexe. En fin de compte, c’est une démarche intellectuelle qui va chercher à aller du complexe (un code) au plus simple, plus accessible (décodé). Ainsi donc, les archivistes et documentalistes se servent de formes multiples d’analyse pour aider à éclairer, orienter, ou informer leurs utilisateurs (journalistes, réalisateurs, chercheurs, internautes, etc.).
L’analyse du document audiovisuel procède d’un décryptage en vue de permettre d’en comprendre le contenu. Décrypter, c’est mettre à jour la signification cachée derrière un code. C’est interpréter, déchiffrer un langage codé en le traduisant dans un langage accessible à tous. Pour décrypter les documents d’archives, le documentaliste devra donc, d’abord connaître et reconnaître les différents codes sur lesquels repose sa construction et, ensuite, être capable de les « décoder », c’est-à-dire de les traduire dans un langage accessible à ceux qui ne connaîtraient pas la signification de ces codes. L’audiovisuel (cinéma et télévision) fonctionne effectivement sur la base de codes, de signaux, de standards et de procédés propres. Le travail des professionnels des archives et de la documentation audiovisuelle est donc, tout d’abord, un travail de décodage qui repose sur une bonne connaissance des modalités de production et des pratiques de la réalisation audiovisuelle (genres télévisuels, pratiques journalistiques et du montage, etc.). Ceci leur permettra par exemple de situer le document correctement dans le temps et dans l’espace. Par exemple, il est impératif de préciser que l’on est en présence d’un document qui traite d’actualité si c’est le cas, à quelle date exactement, identifier les intervenants (noms, qualité, etc.), mentionner la langue utilisée aussi bien dans le commentaire que par les personnes interviewées, et, notamment, signaler s’il a fallu, par exemple, insérer une traduction en « off » de l’interview (son ajouté a posteriori). L’archiviste devra aussi avoir une bonne connaissance de l’environnement culturel au sein duquel ces programmes ont été produits pour en dégager la signification. Dans un second temps, il devra traduire l’ensemble des analyses et des significations dans un langage documentaire et, donc, maîtriser les techniques documentaires de façon générale (description catalographique, langages documentaires propres, classifications diverses…). Enfin, il devra penser en termes de communication, c’est-à-dire envisager l’appropriation des documents « documentarisés » au-delà des professionnels du secteur.
Comment analyser le « contenu » des images ?
Les documents audiovisuels sont, avant tout, des documents. Ce statut fait qu’ils vont se retrouver au centre d’échanges sociaux où ils vont circuler comme tous les autres documents. (Pédauque, 2003). L’étymologie latine de « document », est « doceo » qui veut dire « j’enseigne». Dès lors, tout document, renferme en lui une certaine information, « un certain enseignement » à transmettre. Donc, un document « est une forme inscrite sur un support se prêtant à une interprétation à travers laquelle elle fait sens pour quelqu’un ou une communauté ». (Bachimont, s.d.). La particularité des documents audiovisuels, c’est que leur construction repose sur un langage propre. Ce langage, mais également le projet à partir duquel ils ont été produits, doivent donc être préservés et « traduits » pour être compréhensibles et intellectuellement accessibles pour leurs destinataires (téléspectateurs, internautes, chercheurs,..). Le travail de l’archiviste ou du documentaliste va donc consister à aider les lecteurs, téléspectateurs ou internautes à s’approprier ces documents. Pour ce faire, il recourt à plusieurs formes d’analyse. Certaines des formes d’analyse sont pour décrire le document, tandis que d’autres le résument. L’analyse aborde le document audiovisuel, soit sous l’angle thématique (le sujet traité), soit sous le prisme visuel (l’image véhiculée) ou acoustique (le son distillé), ou encore selon le contenu iconique. L’angle thématique débouche sur le regroupement par thème, par sujet des contenus des documents (sport ; environnement ; politique ; art ; culture ; …). Le prisme visuel, quant à lui, permet de rassembler et retrouver tous les documents audiovisuels contenant des images et vues de même nature (végétation ; chants et danses initiatiques ; …), mais aussi et surtout il donne l’occasion de repérer des images rares ou difficiles à tourner (par exemple, des plans et des scènes qui se déroulent tous les 40 ans comme le bukut (entrée dans « le bois sacré »), en Casamance ou encore de scènes d’exorcisme comme lors de cérémonies de ndeup (« vaudou sénégalais »).
L’analyse de contenu comme « mise en morceaux ».
L’analyse, veut dire, étymologiquement « découper en morceaux ». (Bachimont, 2005). La « mise en morceaux », ici, réfère principalement à l’indexation du document en question.
L’indexation consiste à ressortir les thématiques abordées dans le document. Elle représente, dans un langage documentaire (vocabulaire contrôlé, liste d’autorité, répertoire, thesaurus) ou naturel, des informations résultant de l’analyse du contenu d’un document ou du document lui-même.
Ainsi, la « mise en morceaux » du contenu du document repose sur, au moins, deux composantes : la description de l’image (en rapport avec la « forme ») et celle du sujet, la thématique, (le « fond »). Par exemple, pour analyse selon le contenu acoustique, l’archiviste peut tenir compte des six catégories de sons retenues au cinéma, à savoir : la voix, la musique, les bruits, le silence, les effets et les ambiances. (Daveau-Martignoles, 2005). « Une analyse iconique et figurative, c’est-à-dire au sens « connotatif » et « noétique », autrement dit les scènes filmées faisant partie de la vidéo source, peut également être conçue comme une autre forme d’analyse du document audiovisuel. (Stockinger, 2011).
De ce fait, la « mise en morceaux » du contenu du document audiovisuel peut revêtir deux grandes dimensions : « la structuration et la qualification ».
« La structuration évoque le fait de dégager les parties et sections d’un contenu et de décrire leur articulation. Cette organisation de nature méréologique (théorie du tout et des parties) permet de répondre aux questions de type : qu’est-ce qui vient après cette partie ou cette section ? On décrira donc la structure d’un journal télévisé donné…composé par exemple d’un générique, d’une séquence plateau, puis d’un reportage, puis d’un reportage, etc. […]. La qualification est le processus complémentaire de la structuration qui consiste à qualifier les parties ou sections dégagées. La question est de savoir de quoi ça parle. Pour cela, on fait appel à des qualifications empruntées à la langue naturelle, ou à des vocabulaires contrôlés ou enfin à des référentiels ou listes d’autorité ». (Bachimont, 2005, p.349.).
En fait, la « mise en morceaux » qui consacre la représentation du contenu du document audiovisuel dans sa forme comme dans son fond, ne restitue que les conditions de production et de fabrication de l’œuvre audiovisuelle dans ses trois formes d’écriture : « – une écriture préalable, prévisionnelle qui encadre minutieusement les étapes de la constitution de l’oeuvre – une écriture visuelle qui utilise les conditions technologiques précises de l’appareillage cinématographique (lumière, cadrage, prise de son, etc.) pour retranscrire ce qui a été prévu au niveau de la première écriture ; – une écriture postérieure qui réagence les éléments visuels obtenus pour aboutir à la physionomie définitive de l’œuvre. A ces trois strates d’écriture correspondent respectivement les phases du scénario, du tournage et du montage. ». (Cotte, 2000).
Concernant le traitement documentaire, ce décryptage est une forme de traduction, d’explicitation : analyse descriptive, signalétique d’une part et une analyse informative ou critique, d’autre part.
L’analyse descriptive s’intéresse plutôt aux éléments techniques – matériellement parlant – du document d’archives (catalogage). Cette description bibliographique a pour but de « créer une fiche d’identité du document très complète, compréhensible par tous, identique quel que soit le pays et donc facilement intégrable et échangeable dans des catalogues multimédias de différents établissements ». (Benayoun et Slanoski, 2010).
Le catalogage décrit aussi le document dans sa totalité avec toutes les informations relatives aux titres (titre principal, titre propre, titre parallèle, titre traduit…), aux auteurs, à l’éditeur, à la date d’édition, aux dimensions, etc. Le catalogage vise principalement à identifier le document et à faciliter sa recherche et sa localisation. Aussi, certains éléments techniques relatifs au support sur lequel le contenu du document est inscrit (Bande vidéo de 1 ou 2 pouces de type A, B ou C ; Umatic, BVU, Bétacam simple, numérique, SP ; le standard de la couleur (Noir et Blanc, SECAM, PAL, NTSC) y figurent. L’intérêt du support, par exemple, est hautement significatif en ce sens qu’un support vidéo donné n’est « lisible » que par une machine de lecture strictement dédiée. Cependant, de plus en plus, avec l’implémentation progressive de la télévision numérique, la règle est que désormais le support de la vidéo est numérique. Néanmoins, l’unicité du support numérique vidéo ne fera pas disparaître pour autant le recours obligatoire à un truchement pour lire le contenu de la vidéo.
Conclusion
Tel que nous avons tenté de le reconstituer, il s’avère que le travail des archivistes et documentalistes audiovisuels requiert un tact incommensurable en plus de compétences techniques en archivistique, documentation et informatique. L’informatisation et la numérisation s’érigent en normes, télédiffusion et télévision numériques exigent. Par ailleurs, pour ce qui a trait à l’Afrique, il faut aussi une connaissance du terroir, des pratiques cultuelles et culturelles. C’est à dessein que nous passons ici sous silence tout l’arsenal juridique dont l’archiviste ou le documentaliste audiovisuel doit s’armer si l’on sait la complexité des lois et règles de droits d’auteur et droits voisins qui sont liés à la vulgarisation et à la gestion des œuvres audiovisuelles. C’est aussi délibérément que nous ne soulevons pas ici les obstacles multiples des archivistes et documentalistes africains face aux langues et dialectes innombrables dans leur pays, si tant est qu’il est plus que souhaitable que l’analyse et l’indexation épousent ces langues, surtout qu’il est très rare qu’il existe une lingua franca pouvant servir pour une intercommunication entre tout le monde. Voilà qui pose toute l’acuité de la formation des personnels documentaires audiovisuels : réunir des compétences qu’il est rare, voire impossible, de trouver à la fois chez un même individu. Dès lors, à l’évidence, la formation « traditionnelle » délivrée aux archivistes audiovisuels est loin de satisfaire toutes les exigences requises. Aussi, il faut redéfinir les bases d’une formation qui puisse assurer l’essentiel des compétences à acquérir pour ce corps de professionnels à part dans l’audiovisuel. Pour cela, il faut d’abord et surtout que les institutions de formation intègrent, dans leurs curricula, des options fermes de spécialisation relativement à ces nouveaux métiers, compte tenu des mutations que l’archivistique moderne connaît. L’assurance du résultat d’une bonne conservation et d’un bon traitement documentaire du patrimoine audiovisuel reste nécessairement liée aux compétences des personnels des archives et une bonne formation professionnelle en est assurément un des gages. Mais, il n’y a pas à se leurrer, pour les professionnels africains noirs, l’essentiel des connaissances de leur milieu culturel et cultuel ne pourra s’acquérir que « sur le tas » et sur l’environnement socioculturel et professionnel de leur milieu. Sans conteste aucun, l’apport des intermédiaires culturels, traditionnistes, griots, conteurs et grands-parents africains (particulièrement le rôle de la grand-mère, malheureusement en phase d’extinction) est sans commune mesure pour l’atteinte de ces objectifs. En effet, s’il est devenu possible d’accéder à des vidéos via un langage « presque » naturel et d’en balayer du regard en quelques secondes les plans expressifs, il n’en reste pas moins que comprendre les significations exactes ne va pas de soi. Non seulement l’iconicité de l’image est une restriction non négligeable, mais encore le signifié de ces images, surtout du point de vue du contexte africain reste un obstacle majeur aussi longtemps qu’une indexation idoine ne viendra pas au secours tant du destinataire courant que du chercheur.
L’environnement de plus en plus numérique tend, inéluctablement, à supplanter l’analogique. Ainsi, le numérique, tout en facilitant l’accès et l’utilisation du document audiovisuel, va aussi modifier la perspective de certaines tâches documentaires. C’est dire que le numérique va conduire à rompre d’avec l’ « usage canonique » grâce aux nouvelles formes sémiotiques d’appropriation en changeant le mode jusque-là de la prise de connaissance des contenus audiovisuels. En consacrant désormais des contenus multimédias, le format numérique permet de leur appliquer des traitements et des accès aléatoires selon le bon vouloir de l’utilisateur. Désormais, le document et la documentation sont intégrés sur un même support et il devient possible de rassembler et échanger la documentation tout au long de la vie du document. Dès lors, il en résulte la dématérialisation et un accès facile et multiforme du document. Ceci a tôt fait prédire, par certains publics non avertis, la disparition des documentalistes et archivistes audiovisuels ; ce qui est loin d’être le cas. Quant à ces personnels documentaires, l’instauration, de ce fait, de la facilité de détérioration et de falsification de ces documents les inquiètent autant qu’elles les comblent. Effectivement, l’authenticité et la probité des documents audiovisuels sont menacés même si leur diffusion et leur vulgarisation sont mieux assurées par le numérique. C’est dire combien ces questionnements taraudent l’esprit et l’éthique des professionnels documentaires audiovisuels juste au début de la généralisation de la télévision numérique terrestre.
Notes
(1) Premier positif comprenant toutes les prises retenues au tournage, les rushes servent à une projection de contrôle pendant le tournage et permettent le choix des prises au montage
(2) Stock-shots : plans empruntés en général à des documents d’archives pour être réinsérés dans d’autres œuvres postérieures (documentaire, reportage, magazine, fiction…)
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Auteur
Hamet Ba
.: Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication, Conservateur documentaliste, ses recherches portent essentiellement sur la préservation, la valorisation et les spécificités des archives audiovisuelles africaines. Sa thèse soutenue en 2016 tente de démontrer le contrepoids des archives audiovisuelles africaines face à la mondialisation de l’information documentaire audiovisuelle.