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Présentation du dossier 2017 : L’information au prisme des professionnels qui la produisent, la gèrent et l’utilisent

Article inédit, mis en ligne le 20 Mars, 2018

Remerciements

C’est avec une profonde émotion et beaucoup de gratitude que nous proposons dans ce dossier une contribution de Dominique Cotte qui nous a quittés récemment.
Avec sa gentillesse habituelle, il avait accepté de rédiger l’article introductif de ce dossier. Professeur en SIC et fondateur de la société de conseil Ourouk, il a continuellement apporté un regard pertinent, parfois décalé et, surtout, toujours très stimulant sur les objets que notre communauté étudie.
Sa disparition laisse un grand vide. La discipline a perdu un esprit brillant, un pédagogue hors pair et la communauté, un membre très cher, un ami.

In English

Title

Information through the lens of the professionals who produce, manage and use it
Presentation of the 2017 special issue

En Español

Título

Información con el prisma de los profesionales quien lo produce, lo maneja y lo usa
Presentación del número especial 2017

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Inaudi Aude, Carnel Jean-Stéphane, « L’information au prisme des professionnels qui la produisent, la gèrent et l’utilisent – Présentation du dossier 2017 », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°18/2, 2017, p.5 à 7, consulté , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2017/dossier/00-presentation-du-dossier-2017-linformation-au-prisme-des-professionnels-qui-la-produisent-la-gerent-et-lutilisent/

Introduction

En sciences de l’information et de la communication, l’information est étudiée sous l’angle de sa production, de sa diffusion, de son organisation mais aussi des pratiques, des usages, des phénomènes qu’elle génère ou qui lui sont associés. Elle est fortement mobilisée par les chercheurs dans différents contextes et sa définition est régulièrement questionnée.

Le dossier 2017 de la revue Les Enjeux de l’information et de la communication se propose d’enrichir la caractérisation de la notion d’information à la lumière des pratiques des professionnels qui la créent et l’utilisent. Les auteurs du dossier analysent comment, par leur activité, les professionnels contribuent à sa définition, à sa structuration ou encore à sa circulation. Et, dans un mouvement inverse, comment l’information ainsi élaborée participe à la transformation de leurs pratiques et de leur métier.

Les cinq articles réunis ici repèrent les imbrications et identifient les modifications des cadres traditionnels délimitant les métiers de l’information. Ils soulignent que la place prépondérante prise par les traitements automatiques et l’information numérique n’est qu’une évolution de plus dans un secteur d’activité coutumier des changements, processus qui s’accompagne d’ajustements nécessaires, de territoires à reconfigurer, de compétences à acquérir ou à transférer.

Pour ouvrir le sujet, Dominique Cotte s’intéresse au document qui, avec l’information, est historiquement le matériau de base pour les professions étudiées dans ce dossier. Il rappelle que les modifications que connaissent ces différents métiers ne sont que la conséquence des transformations des propriétés du document. Il pointe notamment la plasticité qu’il acquiert avec sa forme numérique. Dans une perspective diachronique basée sur l’étude de la documentation journalistique, Dominique Cotte fait apparaître que le producteur d’information devient un simple rouage au sein d’un système technique complexe dans lequel chacun se voit « assigné un rôle sans que celui-ci corresponde à un métier bien défini ». Il montre que les utilisateurs finaux de ces informations peuvent court-circuiter certaines médiations documentaires mais aussi qu’ils en suscitent de nouvelles.

À la suite de cet article introductif, le dossier s’articule autour de deux axes : les contraintes et les opportunités auxquelles sont confrontés les métiers du journalisme d’une part, l’unité et l’identité même des métiers de l’information documentation d’autre part.

La première partie du dossier explore les contraintes et les opportunités auxquelles sont confrontés les journalistes. Dans un environnement professionnel qui mute avec les avancées technologiques et où l’information fait l’objet de traitements toujours plus automatisés, des outils assurent différentes fonctionnalités auparavant synonymes de compétences professionnelles spécifiques, comme la sélection de l’information ou sa diffusion. Toute production informationnelle s’insère dans un flux continu et calculable, généré par les professionnels, les amateurs et par les machines elles-mêmes. Ce phénomène a des conséquences sur l’information qui circule, et sa diversité, son originalité menacées par la redondance, la citation, la copie, la fausse information, la viralité, etc.

En s’insérant dans ce flux, les professionnels trouvent des opportunités certaines mais sont également confrontés à des contraintes nouvelles et conduits à une vigilance inédites, notamment dans le domaine des médias d’information. Les journalistes cherchent, recoupent, vérifient mais finalement au moyen d’un outil où les redondances, les reprises déformées sont légion. Sont-ils plus aptes que tout un chacun à faire ces recoupements, et en ce cas, selon quelle grille de lecture ? Et quels sont les critères qui président au choix de vérifier telle ou telle parole ? Lorsque la toile s’enflamme sur un sujet, est-ce que les individus incitent les journalistes à vérifier les informations ou bien est-ce l’inverse ?

Dans ce contexte, l’article de Laurent Bigot propose une étude de la pratique du fact-checking en lien avec le développement des sites internet des médias traditionnels et des pure players. L’auteur indique que la vérification de la parole publique à partir des années 2000, d’abord aux États-Unis, puis dans d’autres pays, s’inscrit dans une continuité. Elle est en lien avec l’habitus journalistique d’investigation et de vérification systématique des faits et des sources avant publication, apparu dès le début du 20e siècle. L’objectif est de crédibiliser les contenus publiés par les journaux et les magazines. Cependant, ces pratiques, visant à vérifier l’information a priori se sont peu à peu transformées en vérification a posteriori des propos tenus dans l’espace public par ceux qui y ont accès. L’information est contrôlée au moyen du même vecteur que celui qui sert à la diffuser, à savoir, Internet. L’auteur met en lumière que ce travail exploite la nature hypertextuelle en s’attachant à des sujets susceptibles de générer du trafic plus qu’il n’apporte une plus-value informationnelle. L’article de Nohza Smati et Pascal Ricaud analyse quant à lui, le statut et le rôle des journalistes en radio. Les auteurs affirment que ces producteurs d’informations doivent composer avec la question de la légitimité de leur compétence face à un auditoire qui devient à son tour producteur d’informations. Néanmoins, ils soulignent qu’une infime part de cet auditoire contribue activement à la construction de l’information et qu’il se situe dans bien des cas dans un environnement proche (professionnel en communication, étudiants en journalisme, blogueurs). La profession conserve une expertise forte et reconnue sur laquelle elle s’appuie, expertise encore peu partagée avec le reste de la population. Les espaces d’interaction, ouverts à la contribution et à la participation, apparaissent comme des sortes de « bacs à sable » ou « cahiers de brouillon » pour des apprentis journalistes. Ils ne représentent pas réellement une concurrence, là encore, ils s’insèrent dans une lignée, celle des correspondants locaux, des auxiliaires d’information, fréquemment sollicités par les professionnels.

La deuxième partie de ce dossier interroge l’unicité et la professionnalité d’une autre catégorie de métiers liés à l’information, bien souvent rassemblés sous l’expression générique des métiers de l’information documentation. Sous ce terme englobant, se trouve une multitude d’appellations différentes, sans cesse renouvelée, parfois propre à une entreprise ou un champ d’activités. Ces terminologies évolutives portent en elles des ruptures potentielles avec des pratiques qui pourraient paraître désuètes. Pourtant, comme pour les journalistes, la rupture et les concurrences supposées (avec d’autres métiers ou avec des outils) ne sont pas si évidentes. Des expertises constitutives des métiers perdurent et restent nécessaires quand il s’agit de donner du sens à l’information (par la contextualisation, la sélection, le repérage, etc.).

Dès lors, comment se justifie la multiplicité des « appellations métiers » ? Existe-t-il encore des « identités métiers » repérables et repérées sur le marché de l’emploi ou dans les formations par exemple ? Observe-t-on une réelle porosité des frontières entre les métiers, l’émergence effective d’un métier unique, celui de l’information ? Et quelles conséquences sur la formation alors que le cadre institutionnel évolue peu et maintient une distinction entre des domaines professionnels traditionnels ?

Pour traiter ces questions, Hamet Ba situe sa réflexion dans le domaine de l’audiovisuel de l’Afrique francophone. Il soutient que le documentaliste audiovisuel est apparemment concurrencé par les infographistes, les monteurs et même les journalistes qui archivent et indexent également. Néanmoins, son expertise demeure essentielle car il est le seul à re-contextualiser culturellement les productions audiovisuelles, à donner du sens aux séquences d’images conservées. L’auteur insiste sur le rôle de passeur de savoir que doivent conserver les documentalistes, d’autant plus pour des documents dont la signification peut être ambiguë, ou même totalement oubliée. L’exemple des masques Kakouran est ici particulièrement éclairant et le contexte africain ne peut laisser indifférent sur la signification d’un document mondialisé, dont l’existence temporelle est inconnue. L’auteur explique avec beaucoup de justesse que le rôle de « documentarisation » et de contextualisation culturelle est fondamental et que les outils informatiques ne peuvent s’y substituer.

Pour clore le dossier, Aude Inaudi et Jean-Stéphane Carnel proposent un état des lieux du métier de documentaliste, en déplaçant la réflexion vers la vision qu’en ont les recruteurs et les professionnels. Une double entrée est mobilisée dans leur démarche pour tenter de définir le « profil type » des documentalistes sur le marché de l’emploi. Dans un premier temps, en s’appuyant sur un rapide historique du métier et sur la parole des professionnels, les auteurs rappellent que les fondements du terme documentaliste ont été et sont encore largement discutés, le choix de l’élément structurant oscillant entre document et information. Dans un second temps, ils analysent un corpus d’offres d’emploi et relèvent que les compétences attendues pour le métier de documentaliste évoluent finalement assez peu, et doivent surtout être renforcées par des compétences ou au moins des connaissances dans des domaines de spécialité. Ils soulignent que si de nouvelles appellations se propagent effectivement, elles se rapportent à des domaines différents bien que connexes, comme l’informatique ou la communication.

Auteurs

Aude Inaudi

.: Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes , Laure Inaudi est membre du laboratoire Gresec.

Jean-Stéphane Carnel

.: Maître de conférences à l’IUT2 de l’Université Grenoble Alpes, Jean-Stéphane Carnel est membre du laboratoire Gresec.