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Présentation du supplément 2015A

8 Juil, 2015

In English

Scientific and Technical Communication and Culture:
Contemporary forms and challenges

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Bordeaux Marie-Christine, Cartellier Dominique, « Présentation du supplément 2015A« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°16/3A, , p.5 à 8, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2015/supplement-a/00-presentation-du-supplement-2015a/

La communication et la culture scientifique et technique ont connu ces dernières décennies des évolutions importantes directement liées aux transformations sociales et politiques à l’œuvre. Les stratégies de communication des institutions productrices de savoirs et d’innovation technologique se sont développées face à la demande sociale vis-à-vis des sciences et de leurs applications concrètes, et face aux mobilisations citoyennes interrogeant aussi bien les avancées scientifiques que les choix politiques dans ce domaine, au niveau national et local. Les pôles technoscientifiques se sont multipliés et les liens entre centres de recherche, entreprises et pouvoirs locaux, se sont renforcés. Les sociétés contemporaines sont marquées par l’interpénétration croissante des sphères d’activités, et une complexification des médiations techniques, sociales, culturelles et politiques avec le recours à des dispositifs, des outils et des réseaux de communication très divers.

Les nouveaux besoins qui émergent, en matière de communication scientifique et de dialogue avec la société contribuent à un entrecroisement des enjeux de ce champ avec ceux de la communication publique. Le champ traditionnel de la culture scientifique (CSTI) également  bousculé par ces transformations, est  interpellé par la multiplication des missions qui lui sont assignées et par de nouvelles configurations, comme par exemple les collaborations entre arts et sciences, qui font des artistes de nouveaux acteurs du rapport entre science, technologie et société.

Certains de ces changements avaient fait l’objet de premiers constats lors du colloque « La publicisation de la science » et la publication de l’ouvrage (La publicisation de la science. Exposer, communiquer, débattre, publier, vulgariser, sous la direction d’Isabelle Pailliart, PUG, 2005). Prenant acte de leur développement, le colloque « Formes et enjeux contemporains de l’information et la culture scientifique et technique »(1), s’est proposé d’analyser ces mutations et ces innovations en traitant ensemble des questions relevant spécifiquement du champ de la communication et de l’information scientifiques (expression scientifique, controverses, pratiques journalistiques, etc.) et de la mise en public de la science et de ses enjeux sociétaux, autrement dit, de la culture scientifique. Cela, en apportant une attention particulière aux modalités d’expression, de circulation, de diffusion, de réception et d’appropriation des sciences, des savoirs et des techniques en lien avec les reconfigurations de la sphère publique contemporaine.

Ce supplément de la revue Les Enjeux de l’information et de la communication rassemble une sélection des communications présentées lors de ce colloque(2), réparties en trois thèmes apportant des éclairages sur les tendances et les transformations en cours.

Sciences, territoires, émergence des questions sociétales

Le premier thème met l’accent sur la localisation des questions sociétales liées aux sciences et aux technologies en s’attachant notamment aux formes d’interpellation auxquelles elles donnent lieu et à l’entremêlement croissant – ce qui est nouveau – des problématiques scientifiques et territoriales. Les terrains étudiés, outre leur diversité géographique (en Amérique latine, en Europe, en Afrique), se caractérisent par la multiplicité et l’hétérogénéité des acteurs qui sont impliqués, les enjeux des projets en cause et la complexité de choix s’inscrivant dans des environnements, des communautés, une histoire spécifiques.

Ainsi, s’intéressant à la contestation d’un projet de centrales hydroélectriques au Chili Claudio Broitmann examine les discours qui s’affrontent dans les débats publics. Il montre les modalités de leur adaptation au fur et à mesure de la médiatisation du conflit et de l’implication de certaines catégories d’acteurs (scientifiques, politiques, citoyens « profanes), les registres mobilisés dans l’argumentation tendant à se rapprocher.

Jean Caune, s’interrogeant sur les conditions d’un processus délibératif démocratique, analyse la façon dont se sont posées les questions du débat citoyen sur les nanotechnologies dans l’agglomération grenobloise, à travers le rôle des organisations scientifiques, des pouvoirs locaux et les modalités d’organisation de débats.

Mickaël Chambru propose une réflexion sur l’espace public à partir des mouvements de contestation du programme électronucléaire français et des formes de publicisation et de mise en débat qu’ils ont introduits. Il relève les éléments constitutifs d’une critique du régime technopolitique du programme électronucléaire français par les mouvements sociaux, et montre pourquoi ces mouvements refusent les artifices délibératifs, estimant qu’ils visent essentiellement à réguler la controverse électronucléaire.

Enfin, Ester Olembe et Emmanuel M’Bédé examinent la question des liens entre des espaces de production des savoirs – en l’occurrence les universités publiques de sciences et de gestion, de Douala et Yaoundé au Cameroun – et leur lieux d’implantation. Ils s’intéressent notamment à l’articulation entre politiques publiques de l’enseignement supérieur et de la recherche, questions sociétales locales et stratégies individuelles en termes de recherche.

Scénographie des sciences et des techniques

Le deuxième thème est consacré aux formes culturelles et artistiques qui servent de support et de vecteur à la diffusion des connaissances scientifiques, à la configuration du rapport entre science et société, et contribuent à les structurer. Ces formes, traditionnelles ou émergentes, ne se réclament pas nécessairement de la culture scientifique ou de la médiation scientifique, mais elles prennent part à ce champ tout en le renouvelant, par exemple par des démarches expérimentales. Certaines contributions de ce dossier s’attachent davantage à leur analyse en production.

Ainsi, les « œuvres communes » décrites par Jean-Paul Fourmentraux dans le cas des coproductions entre artistes, scientifiques et ingénieurs permettent de mettre en évidence de nouvelles logiques de conception et de régulation du travail de recherche, en art comme dans le domaine scientifique. Certes, les frontières entre des domaines historiquement construits de manière séparée sont bousculées, mais l’analyse de Fourmentraux va au-delà de la vérification du discours promotionnel des artistes, des scientifiques et des institutions concernées. Il s’agit de mettre en évidence la reconfiguration constante des démarches et de la conception des objets sous l’influence des jeux d’acteurs, ainsi que la singularité de ces formes d’articulation de faits techniques et de faits sociaux.

Vincent Sorrel, analysant les productions filmées d’Haroun Tazieff, met en évidence les éléments rhétoriques d’un discours qui peut être perçu comme un discours de vulgarisation, étayant une future carrière d’expert, puis de politique, alors que ces productions sont fondées sur un processus de spectacularisation, d’approche sensible, de mise en scène d’un corps scientifique où l’exploration, voire l’exploit, entretient avec la démarche scientifique des liens ambigus.

Christine Chevret-Castellani s’est intéressée à l’exposition Fresh flowers de David Hockney, composée d’œuvres réalisées sur smartphone et tablette numérique, et étudie le phénomène d’enchâssement de l’innovation dans la création. Analysant le mode de fonctionnement sémiotique  des scénographies élaborées par la mise en exposition et la médiatisation de ces productions, elle met en évidence la manière dont ces communications induisent un glissement de la valorisation de l’innovation technologique vers celle de l’industrie, dans une stratégie de valorisation d’une marque.

Le théâtre scientifique  de Jean-François Peyret, notamment dans sa collaboration avec le neurobiologiste Alain Prochiantz, est présenté dans ses enjeux actuels par Julie Valéro à partir de l’analyse génétique de ses créations. Quel rapport à la connaissance implique ce genre théâtral, et comment le discours scientifique influence-t-il la forme théâtrale ? à partir de ces questions, Julie Valéro comment cette forme se nourrit de la dimension littéraire et fictionnelle du discours scientifique, et comment le déploiement du discours scientifique au théâtre s’accompagne d’une réflexion en actes sur la place de la technique et de la technologie au théâtre.

D’autres contributions s’intéressent davantage aux phénomènes de réception et d’appropriation, incluant la question des cultures populaires.

Marianne Chouteau, Michel Faucheux et Cécile Nguyen ont ainsi étudié les réceptions et usages des séries télévisées à substrat scientifique dites cop and lab (police scientifique) dans un milieu estudiantin particulier, celui des élèves d’une école d’ingénieur. À partir d’une réflexion générale sur les liens entre récit et technique, cette recherche met en évidence les processus d’attachement critique de ces étudiants vis-à-vis de consommations culturelles qu’ils assignent à la seule sphère du loisir, mais qui peuvent être analysées comme des médiations complexes entre les différentes composantes de leur culture (culture héritée, culture de génération, la culture héritée, culture populaire, culture scientifique), les usages anthropologiques du récit et la sphère de l’innovation technologique.

Elsa Poupardin, décrivant l’évolution de la figure de l’informaticien-hackeur dans les romans policiers, rappelle que le profane se fait ordinairement une image de l’informatique par les œuvres de fiction plus que par la diffusion ou la vulgarisation de discours spécialisés ; les personnages de ces romans, sous l’apparente modestie de leur statut, mettent en œuvre un pouvoir caché et discret, où économie et technologie ont partie liée.

Enfin, Elodie Vargas, analysant les stratégies narratives et les moyens discursifs des séries télévisuelles médicales à substrat professionnel, montre que leurs scénarios, rédigés en partie par des spécialistes, se distinguent de la vulgarisation scientifique habituellement pratiquée dans les médias : la simplification du discours n’est pas toujours recherchée, bien au contraire, car celui-ci est doublement orienté, en interne au sein de la fiction et à l’externe, vers les téléspectateurs. Ces séries proposent donc une immersion dans un univers en partie dévoilé et en partie opaque, en mêlant séquences de vulgarisation et éléments intertextuels et intersémiotiques d’un épisode à l’autre, et d’une série à l’autre. Cela provoque chez  le téléspectateur un attachement paradoxal, qui ne doit pas tout au plaisir de l’accès aux savoirs, et qui s’appuie sur une perspective plus culturelle qu’éducative.

Circulation, appropriation et usages des discours scientifiques

Le troisième thème porte plus particulièrement sur les processus à l’œuvre dans la diffusion de savoirs liés à des milieux professionnels. L’article de Robert Boure et Muriel Lefèbvre analyse la modification des frontières entre « science experte » et science amateur » faisant émerger une catégorie d’acteurs spécialisés regroupant professionnels (scientifiques) et profanes (amateurs). Décrivant les modes d’appropriation de cette information par des pêcheurs amateurs, extérieurs au monde scientifique, Boure et Lefebvre montrent que la circulation d’une information scientifique sur le Net peut ainsi, rapidement et massivement, déborder des cadres habituels de la diffusion de la culture scientifique.

Gérald Lachaud s‘intéresse à la question du changement climatique dans la communication institutionnelle des entreprises françaises du CAC 40 sur leur site web. Il met en évidence comment pour certaines firmes la « revendication d’une responsabilité environnementale » devient un enjeu de pouvoir et un moyen d’influence concernant des questions sociétales qui pourraient les remettre en cause.

Laurent Morillon, à travers les discours et les interactions se déployant lors de rencontres entre praticiens et chercheurs en communication des organisations, s’attache à caractériser les médiations à l’œuvre. Il évoque ainsi un processus « d’hybridations » de différentes natures, que renforcent les « événements » constitués par les rencontres entre chercheurs et praticiens, favorisant les constructions collectives.

 

 

Les cas étudiés dans ces contributions, tout en s’inscrivant dans des contextes très différents, témoignent des transformations des cadres traditionnels délimitant la science et les publics et mettent en évidence les logiques sous-jacentes à différentes formes de médiations scientifiques, traduisant ainsi l’imbrication des enjeux. Ces logiques sont économiques, politiques et sociales. Nous pouvons y reconnaître la prégnance du couple notionnel démocratisation (communication institutionnelle) vs démocratie (circulations horizontales, appropriation, participation). Au-delà de cette opposition assez classique, nous avons voulu étudier la manière dont la société parle de la science et ce qu’elle attend de la science par le prisme des stratégies communicationnelles et des diverses médiations analysables dans les médias, les réseaux sociaux, les mouvements sociaux et la culture.

Notes

(1) Organisé par le Gresec (université Stendhal Grenoble 3), en partenariat avec Elico (université Lyon 2) et le Centre Norbert Elias (équipe C2So, ENS Lyon), ce colloque s’est tenu à Echirolles les 29 et 30 novembre 2013. Il a bénéficié du soutien de la Région Rhône-Alpes par le biais de l’ARC 5 «Cultures, sciences, sociétés et médiations ».  Il a été précédé et préparé par trois journées d’études sur les nouvelles formes de la communication et de la culture scientifiques et techniques qui se sont déroulées en 2012 et 2013.

(2) Nombre total de communications et nombre de textes retenus

Auteurs

Marie-Christine Bordeaux

.: Marie-Christine Bordeaux est MCF à l’Université Grenoble Alpes. Elle est membre du laboratoire GRESEC.

Dominique Cartellier

.: Dominique Cartellier est MCF-HDR à l’Université Grenoble Alpes. Elle est membre du laboratoire GRESEC.