De l’usage de documents numériques au partage de connaissances par la constitution de collections dans une communauté professionnelle : de l’information au patrimoine
Résumé
Un projet de recherche centré sur la communauté professionnelle des éco-concepteurs montre que la constitution de collections numériques est une des conditions de la mise en place du partage de connaissances dans une perspective de patrimonialisation comprise comme un processus ouvert et collectif de traitement et de partage de l’information.
Mots clés
Patrimonialisation, éco-construction, dispositif informationnel, pratique informationnelle, activité professionnelle.
In English
Title
From Digital Documents to Knowledge Sharing thru the making of Collections in a Professional Community: from Information to Patrimony
Abstract
A research project focused on the professional community of eco-designers shows that the creation of digital collections is a prerequisite for the establishment of a process of knowledge sharing. It allows the creation of information heritage, understood as an open and collective project, based on data processing and information sharing.
Keywords
Information heritage, eco-design, knowledge management, uses of information, digital collection.
En Español
Resumen
Un proyecto de investigación centrado en la comunidad profesional de ecodiseñadores muestra que la construcción de colecciones digitales es una condición para el establecimiento de intercambio de conocimientos en la perspectiva del patrimonio entendido como un procesamiento abierto y colectivo y el intercambio de proceso información.
Palabras clave
Patrimonialisación, ecoconstrucción, dispositivo informacional, practica de información, actividad profesional.
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Soumagnac Karel, Lehmans Anne, Liquète Vincent, «De l’usage de documents numériques au partage de connaissances par la constitution de collections dans une communauté professionnelle : de l’information au patrimoine», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°16/2, 2015, p.113 à 127, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2015/dossier/08-de-lusage-de-documents-numeriques-partage-de-connaissances-constitution-de-collections-communaute-professionnelle-de-linformation-patrimoine/
Introduction
Dans tout contexte de travail, la nécessité s’impose de construire et préserver une mémoire qui s’articule, au-delà des archives, autour de savoirs professionnels, scientifiques ou artistiques, de savoir-faire techniques et de savoir-être culturels, et qui permet la circulation de l’information, des idées et des connaissances. Cette mémoire rassemblée et organisée constitue un patrimoine. Historiquement, si le patrimonium romain désigne l’assise matérielle, familiale et légitime de l’héritage, le patrimoine moderne a un sens plus nébuleux mais très précisément lié à la nécessité de protection, d’inventaire et de conservation de biens matériels à la suite des destructions révolutionnaires en France, puis de biens immatériels (Chastel, 1997). Le patrimoine a une fonction matérielle de conservation de traces sélectionnées de l’activité, une fonction sociale de préservation et de réutilisation de la mémoire, une fonction culturelle et discursive de définition du collectif à partir de la coïncidence du « vécu avec le connu » (Chastel, 1997). Mais ces fonctions relèvent d’un travail de médiation par des professionnels, et/ ou de gestion par des logiciels (systèmes de gestion de données techniques) à partir de pratiques clairement identifiées et des stratégies des acteurs, les « activités métier » (Boulogne et al., 2014). En l’absence de ces éléments qui ont un coût économique que toutes les entreprises ne peuvent pas supporter, peut-on imaginer que les professionnels soient en mesure de constituer et préserver un patrimoine informationnel et cognitif utilisable, qui lui permette de passer de l’usage au partage de l’information, du vécu au connu ?
Nous formulons l’hypothèse qu’un processus de patrimonialisation est susceptible de se mettre en place dans la constitution de collections à partir de ressources variées voire hétérogènes, en prenant en compte les activités informationnelles conçues comme un ensemble composite qui dépasse l’usage de dispositifs spécialisés (Paganelli, 2012), et qui s’intéresse à la conception sous-jacente des pratiques culturelles dans ces dispositifs (Jeanneret, 2008). Le terme de collection que nous employons ici se distingue de la définition bibliothéconomique de la norme Z 44-063 par exemple, ou encore de la très complète définition sociologique comme forme conventionnelle liée à l’enrichissement, « orientée vers le passé pour se détourner de l’usage » (Boltanski et Esquerre, 2014, p. 31). On peut retenir que la collection désigne un ensemble cohérent de documents rassemblés dans un espace et dans une organisation systématique liée à la différence et à la discontinuité, qui prend sa valeur dans l’usage susceptible d’en être fait. Cet usage correspond à un « art de faire » (de Certeau cité par Perriault, 2015) dans une situation professionnelle qui requiert des compétences spécifiques et des représentations partagées autour du projet qui mobilise des connaissances particulières sur les dimensions environnementales de l’architecture. La construction réticulaire de collections numériques peut créer un espace de médiatisation et de médiation du patrimoine informationnel dans les communautés de pratique qui ont besoin de se distinguer des usages informationnels dominants. Les procédures de gestion et d’organisation de l’information, des connaissances et des archives, dans ces collections, sont destinées à préserver et rendre utilisable et partageable, dans l’organisation apprenante, plus qu’une mémoire, un patrimoine cognitif distinctif adapté à l’activité. C’est ce qui les différencie de la simple gestion électronique de documents, des systèmes de gestion des données techniques ou des archives.
Une recherche que nous menons depuis deux années sur une communauté professionnelle, nous conduit à nous interroger sur cette possibilité de passer de l’usage de l’information en contexte professionnel au partage des connaissances à travers la constitution de collections documentaires professionnelles qui peuvent s’inscrire dans un processus de patrimonialisation par la numérisation et la gestion de collections dynamiques de documents numériques. Considérant que toute entreprise est une organisation apprenante où la formation des pairs est une des clefs de son adaptation à l’environnement socio-économique, nous avons opté pour l’analyse d’un secteur d’activité émergent, centré sur l’innovation, avec un émiettement des informations et des savoirs, peu de moyens financiers, un engagement individuel – voire un militantisme – fort des professionnels : le secteur de l’éco-construction et de l’architecture éco-constructive. Dans de très petites entreprises qui échappent à toute forme d’organisation centralisée et médiée de l’information, nous nous interrogeons sur les conditions de la mise en place de processus de gestion de l’information pour une construction partagée de savoirs et de compétences en interne et entre les entreprises qui partagent le même engagement et les mêmes contraintes. A terme, ce projet vise la mise à disposition et la valorisation de méthodologies à partir des pratiques réelles. Il s’agit finalement de construire un patrimoine info-documentaire numérique sur la base des recueils d’analyse des pratiques professionnelles, des discours et des représentations d’une profession. Notre travail s’inscrit au départ dans un contexte professionnel spécifique, mais il nous permet de nous interroger sur la possibilité de proposer un modèle d’analyse des pratiques informationnelles en l’absence de dispositifs dédiés de médiation humaine et technique pour la production de ressources numériques à capital didactique visant l’opérationnalisation et l’organisation du transfert de la connaissance. Le projet interroge la possibilité pour des entreprises de construire et d’entretenir leur patrimoine cognitif, de le mettre en situation via des ressources numériques constituées en collections dynamiques, pour à terme être en mesure de les transférer et de les mettre à la disposition de ceux qui les utilisent.
La perspective de constitution d’un patrimoine cognitif immatériel dans les communautés de pratique
Patrimonialisation : proposition de définition
Le patrimoine n’est pas un objet donné mais le résultat d’un processus lent de construction d’une attention partagée. La patrimonialisation vise avant tout la conservation, à laquelle un objectif de communication s’est greffé, nécessitant des formes de médiation. Idéologiquement, elle consiste à construire et désigner un héritage collectif, une identité, une mémoire commune, porteurs de valeurs, de symboles, d’un sens désigné comme partagé et destiné à être transmis. Historiquement, la politique patrimoniale naît dans un mouvement d’appropriation qui consiste à congédier le passé pour instaurer un avenir, puis se développe avec Guizot au dix-neuvième siècle, qui met en place une politique nationale de conservation du patrimoine visant à « parler enfin à l’imagination des peuples autant que de veiller à la sûreté de leurs intérêts » (Béghain, 1998), consacrant un pouvoir de culture. Ce pouvoir de culture associé à des objets matériels, bâtiments, œuvres d’art, ouvrages publics, livres, objets scientifiques et industriels, s’est enrichi au cours du vingtième siècle d’une dimension immatérielle qui vise les savoir-faire considérés comme devant être sauvegardés et faire l’objet d’un travail d’inventaire, de la part de l’UNESCO notamment.
Le passage du matériel à l’immatériel marque un changement du « régime de patrimonialité » qui « valorise la transformation des pratiques culturelles, la performance de la personne et l’expérience sensible de la culture » (Turgeon, 2010, p. 390). Matériel ou immatériel, le patrimoine est construit, et les métiers du patrimoine comprennent la double dimension de la recherche et de la gestion, à laquelle on ajoute aujourd’hui celle de la médiation. La patrimonialisation pose ainsi, comme le montre Jean Davallon (2015), la question de la réflexivité sur le choix de ce qui fait patrimoine dans la culture et le rapport d’un groupe social aux autres, par la reconnaissance de la valeur, la production de savoir, la déclaration, l’organisation de l’accès et la transmission. Pour Yves Jeanneret, la patrimonialisation se développe quand les objets «cessent de baigner dans un univers de mémoire partagée » et deviennent opaques sans un « effort délibéré de médiation des pratiques oubliées » (Jeanneret, 2011, p. 34). C’est donc la fonction communicationnelle du patrimoine qui est essentielle, pour créer « ce temps qui ne passe pas » (Pontalis, 2011) et un espace symboliquement partagé.
Patrimonialisation et contexte professionnel
La patrimonialisation en contexte professionnel peut se caractériser par la constitution et l’appropriation d’un dispositif communicationnel, documentaire et culturel par une collectivité (les salariés d’une entreprise, les membres d’une communauté professionnelle), s’appuyant notamment sur les besoins partagés d’information et la place centrale accordée au document technique. Le patrimoine se construit et repose, dans notre cas, sur des besoins techniques liés à des objectifs culturels ou politiques. Son assise est l’information et le document techniques qui constituent des artefacts cognitifs destinés à coordonner et articuler l’action individuelle d’un individu à celle du secteur d’activité professionnelle considéré dans la construction d’une culture informationnelle professionnelle (Stalder, Delamotte, 2014). Ainsi, le patrimoine de ressources mis à disposition doit répondre à un ensemble de critères comme la lisibilité, l’accessibilité, la crédibilité et l’intelligibilité. Cette dernière (Leplat, 2004) repose sur plusieurs niveaux : la réactualisation des connaissances, la compréhension de situations-problèmes et la dimension prescriptive, permettant ainsi de renforcer la communauté professionnelle. Cette construction n’a de sens que si le patrimoine ainsi rassemblé devient rassembleur à travers un travail de valorisation qui permet ultérieurement de le diffuser.
La patrimonialisation, dans un contexte technologique d’industrialisation culturelle, est aujourd’hui inséparable des politiques de médiatisation, d’une part, à travers notamment les dispositifs techniques de numérisation et de collection des fonds, et de médiation, d’autre part, à travers les dispositifs culturels et pédagogiques. La médiation est une mise en partage du sens du passé pour le présent par un travail de sélection, traduction, transformation (Verschambre, 2009) et de mise en place de cadres sociaux de la mémoire. Ce travail nécessite la manipulation d’outils ou de dispositifs d’interprétation pertinents dans la mesure où ils permettent, selon Michèle Gellereau (2007), l’échange, la pluralité et la variation des points de vue d’expertise et de citoyens. En effet, le patrimoine a une double dimension de transmission et de projet, il est un instrument de construction d’une identité et d’un imaginaire communs, donc un instrument de lien social. Jean Davallon (2006) montre ainsi qu’on est passé d’un patrimoine centré sur l’usage de l’objet à un patrimoine mobilisé autour de projets. Dans une perspective socio-pragmatique, la fonction de conservation du patrimoine tend à s’effacer au profit de l’action qui se déploie dans le temps.
Les professionnels que nous avons étudiés remettent en question, dans l’économie de la construction, le modèle industriel, rationaliste et capitaliste qui peut être traduit, sur le plan de l’information, par l’industrialisation de la culture, de l’attention et du savoir, au profit d’une logique de l’artisanat, du faire et du faire-avec, qui s’incarne par exemple dans le compagnonnage. Ils ne s’inscrivent pas non plus dans les « règles de l’art » traditionnelles des architectes par exemple, transmises dans le processus de socialisation à l’école d’architecture, puis par l’Ordre des architectes, par rapport auxquels ils revendiquent une distance critique. Les apprentissages semblent devoir se forger sur le temps long de l’expérience partagée qui ne se satisfait pas de l’information partagée. Ils perçoivent cependant la difficulté de s’en tenir à ce temps lent d’un monde réenchanté dans un contexte concurrentiel où la dyschronie risque de les exclure de l’action. Par ailleurs, la circulation des savoirs se fait à partir de thématiques ancrées dans l’activité et définies de façon structurelle (les savoirs nécessaires, dans toute leur diversité) et conjoncturelle (les projets, dans toutes leurs étapes). Sur le plan social enfin, dans le questionnement sur le rôle et la place de l’information en entreprise ou dans un collectif d’entreprises, chaque individu représente le maillon d’une chaîne informationnelle dans laquelle se construit l’écriture d’une mémoire collective et collaborative. La difficulté, en termes de durabilité, est de comprendre les mécanismes d’écriture qui peuvent contribuer, sur un plan ergonomique, à « retenir » cette mémoire de travail entre les acteurs de la communauté de pratique en s’appuyant sur des dispositifs technologiques qui offrent la possibilité de la conserver et de la partager dans les meilleures conditions. Un dispositif collaboratif suppose en effet plusieurs caractéristiques, dont la capacité à mobiliser la communauté dans un espace de confiance régi par des outils partagés de « transindividuation » (règles, interfaces, vocabulaire, ontologie) et un temps synchrone (Puig, 2013). Mais ce qui pose problème, dans la communauté que nous avons observée, est moins l’oubli que le partage.
Professionnels observés, méthodologie et corpus convoqués
Les professionnels de l’éco construction : une communauté de pratique identifiée
La communauté professionnelle que nous avons étudiée, à partir de dix entreprises et cinquante professionnels ou salariés, celle des acteurs de l’architecture éco-constructive, partage une entrée centrée sur l’accès à l’information récente et aux documents techniques, puis la constitution de collections individuelles d’informations et de documents, associant éventuellement des modes de partage, ainsi que des processus cognitifs mis à l’œuvre dans une stratégie de patrimonialisation. Le patrimoine en question est technique, souvent immatériel, reposant sur des collections de savoir-faire par exemple, et s’appuyant sur un contexte sémio-pragmatique qui traduit un engagement social fort, bien au-delà du seul périmètre professionnel. Nos travaux d’observation puis d’analyse concernent toute la chaîne des métiers liés à l’éco-construction des architectes concepteurs, aux gestionnaires des matériaux de constructions, aux médiateurs des savoirs via le réseau associatif professionnel. Tous appartiennent à des micro-structures et cherchent, par la capitalisation et les échanges de pratiques, à suivre l’évolution technique, artistique et militante de l’éco-construction, qui présente la caractéristique de puiser ses références autant dans le patrimoine constructif ancien et vernaculaire que dans les avancées scientifiques les plus récentes dans la maîtrise de l’énergie et de l’impact environnemental de la construction ainsi que dans les expérimentations concrètes.
Nos travaux sur les pratiques informationnelles liées à l’organisation des connaissances dans cette communauté de pratique montrent que le besoin de formation et d’accompagnement est important (Lehmans, 2012). Les professionnels étudiés regrettent souvent la difficulté de conserver une mémoire de leurs expériences, de leurs découvertes et même de leur propre travail de communication. Ce qui est en cause ici ne concerne pas les archives des projets, qui sont nécessairement conservées et classées pour des raisons techniques de suivi des travaux, juridiques de garantie décennale, de responsabilité et de propriété intellectuelle. Ces archives sont conservées sur support papier dans des dossiers, le papier étant encore aujourd’hui le support le plus pérenne face aux aléas de la technique. Elles ne sont pas destinées à être partagées a priori mais conservent les traces des projets. Les professionnels de l’éco-conception s’interrogent surtout sur les moyens de partager l’information qui leur est nécessaire en amont et au cours des projets. Ils s’inscrivent ainsi dans un processus de patrimonialisation en rupture par rapport aux cadres institutionnels et idéologiques de leur milieu professionnel qui reposent sur la valorisation de l’individu créatif et le secret. L’appréhension et la transmission des pratiques professionnelles exigent le développement de compétences informationnelles que la formation initiale et continue des professionnels ne prend pas en compte, pas plus que les instances tutélaires ni le marché traditionnel de l’information scientifique et technique. La formation initiale des architectes, dans les récits que nous avons collectés, est décrite comme valorisant l’individualisme, la discrétion voire la rétention d’information, dans un processus de socialisation basé sur la compétition, le concours étant d’ailleurs le principal mode d’accès à la commande publique.
Ainsi, le patrimoine informationnel qui prend peu à peu forme et fait peu à peu sens, s’appuie sur l’innovation méthodologique et technologique qui est à développer pour ces publics professionnels qui prennent conscience de leurs besoins mais sont jusqu’alors désarmés pour y répondre. La communauté de pratique revêt plusieurs dimensions : une dimension sociale et pragmatique (l’existence d’une activité partagée), une dimension symbolique (le sentiment d’appartenance à un groupe), une dimension cognitive (le partage de ressources et d’outils informationnels) (Wenger, 1998). Il s’agit donc d’un type de formation sociale basé sur la reconnaissance mutuelle et le partage qui dépassent les identités individuelles et les seuls besoins immédiats d’information. Les situations informationnelles observées sont extrêmement hétérogènes, tant du point de vue des acteurs que des ressources mobilisées et des contraintes économiques et techniques qu’ils rencontrent. Dans le cadre de la communauté du domaine de l’éco-construction, notre recherche tente de repérer, puis de caractériser des besoins d’information communs et des thématiques centrales, de cartographier les sources et ressources utiles et les réseaux d’acteurs (création d’une base relationnelle), afin de mettre en place des éléments d’une veille informationnelle et évènementielle durable, et de constituer progressivement le terreau d’une patrimonialisation des connaissances professionnelles construite par la communauté elle-même.
Un projet de recherche fondé sur des approches méthodologiques croisées
Plusieurs approches méthodologiques ont été envisagées dès le démarrage de la recherche, en 2012, pour le repérage et la compréhension des besoins et des pratiques d’information ainsi que des connaissances circulant dans la communauté et progressivement capitalisés :
– une approche sociologique sur la base d’enquêtes qui mettent en lien l’analyse des contextes professionnels, la compréhension des pratiques (recherche, traitement, communication) et des représentations (maturité),
– une approche sémio-pragmatique qui analyse les discours pour repérer les composants de la construction de la connaissance à travers l’instrumentation sociale et culturelle, l’instrumentation symbolique et sémantique, et enfin l’instrumentation objectale,
– une approche documentaire qui vise à analyser les systèmes d’information personnels en les mettant en lien avec la matière informationnelle produite par les communautés, et à proposer des modèles de traçage de l’information. Notre recherche a été conduite à partir d’entretiens semi-directifs. Elle repose sur la mise en place d’une méthode de captation des besoins informationnels et documentaires, ainsi que sur l’observation de la façon dont les acteurs recherchent l’information, la gèrent, la traitent, la stockent et la diffusent. Deux volets permettent donc d’analyser tant les discours (déclaratif) que les pratiques. Le premier volet de la recherche a permis d’identifier assez précisément, avec les entreprises partenaires et les terrains d’observation, les thématiques informationnelles centrales pour eux pour élaborer une liste de priorités qui méritent le développement de ressources formatives ainsi que leur capitalisation, la constitution d’un patrimoine. Le second volet a consisté à analyser avec les professionnels, par le biais d’entretiens d’explicitation, leur système d’information personnel et à sélectionner des extraits qu’ils acceptaient de montrer pour identifier l’organisation de leur travail notamment avec les outils numériques. Certaines parties de ce système ont été montrées mais pas laissées à la disposition des chercheurs, parce que constituant le cœur stratégique d’un métier de compétition, ce que l’on ne partage pas.
L’approche sémio-pragmatique a permis de dresser, à l’issue des entretiens et des transcriptions, une typologie d’informations ressortant du discours des acteurs. Trois catégories sont apparues. La première concerne les informations en lien avec l’environnement social et culturel, c’est-à-dire tout ce qui touche à la documentation et aux informations sur les lois, les textes normatifs. Le deuxième grand type d’information relatif aux instrumentations symboliques ou sémantiques, donne à voir les courants de recherches, des écoles, les travaux de chercheurs scientifiques actuels ou plus anciens sur lesquels s’appuient les individus dans le cadre de leur activité. Le dernier grand type d’information représente ce qui est considéré par la personne comme une solution technique qu’elle va mobiliser pour résoudre un problème dans son activité de travail (logiciels utilisés, bulletins, nomenclatures, etc.). Ces qualifications des informations nous ont permis d’envisager progressivement les bases d’un patrimoine commun d’informations à envisager. Cette première étape de la recherche a permis de déterminer des domaines de surveillance partagés : la maîtrise énergétique, le sourçage des matériaux de construction (comprenant la provenance, les modes de production et de distribution, l’impact sanitaire), le transport et les formes de concertation. Il restait à identifier les pratiques informationnelles sur et autour de ces domaines.
La deuxième partie de la recherche a consisté, suivant l’approche documentaire, à retourner sur le terrain chez les acteurs volontaires les plus engagés pour comprendre l’organisation de leur système d’information personnel. Il s’agissait alors d’observer de l’intérieur, dans une approche sociographique, l’écosystème informationnel des acteurs à partir de leur système d’information personnel (Guyot, 2006) en identifiant des objets, des pratiques et des contextes. On peut pour cela rappeler les apports de la théorie de l’activité d’Engeström qui permet de penser l’activité humaine comme un processus dynamique dans un écosystème qui replace le sujet individuel ou collectif dans son environnement et comme un phénomène médiatisé par la culture (Engeström, 1999). Les chercheurs se sont rendus dans les espaces de travail des acteurs volontaires et engagés, pour observer et capter, avec leur accord, l’organisation physique (localisation et organisation du bureau, des bibliothèques, organisation de la documentation et des collections) et technique (serveurs, réseaux) de ces espaces, les dispositifs de travail, l’organisation interne de l’information collectée dans les espaces virtuels (organisation du bureau, gestion des dossiers et sous-dossiers, gestion de la messagerie, des signets sur le navigateur). La captation s’est faite à l’aide d’appareils de prises de vues, d’enregistrements sonores et d’un disque dur externe par extraction de parties des systèmes d’information. Outre la captation de l’existant, la « visite » de l’espace de travail, toujours faite en binômes de chercheurs, s’est accompagnée d’un entretien d’explicitation sur les éléments observés.
En observant la quantité, les thématiques, les sources, les types de collecte, de validation, de classement, d’indexation, de mise en réseau et de communication de l’information des individus, en prélevant des parties de leur système d’information, nous avons cherché à comprendre les logiques à l’œuvre dans leurs pratiques informationnelles et dans une démarche de patrimonialisation. Nous avons donc observé les espaces de travail en tant qu’organisateurs de l’information à travers des dispositifs de mise en situation d’usage ou de communication, et les espaces internes aux systèmes d’information documentaires dans les ordinateurs des acteurs et à travers les mises en réseaux. Comme on le voit, les pratiques informationnelles visées ne concernent pas seulement la phase de recherche d’information, comme c’est souvent le cas dans les recherches en sciences de l’information, mais plutôt l’organisation de l’information en vue de son usage professionnel et de sa communication. Ainsi, notre travail s’est inscrit dans un cadre méthodologique basé sur l’enquête et l’analyse fine et complexe des pratiques informationnelles en situation, inscrites dans la durée. Notre enquête nous a montré que les professionnels constituent des collections, parfois numérisées, sans le savoir et sans les partager, ponctuellement partagées. Ces collections sont la condition d’un patrimoine cognitif partagé.
La constitution de collections à partir d’une analyse des activités dans une communauté professionnelle
La collection chez les éco-concepteurs : fonction mémorielle et documentarisation
La collection représente un patrimoine collectif au sens culturel du terme si elle est utile à tous les acteurs concernés. Elle peut devenir patrimoine à partir du moment où elle est partageable et porteuse de sens, pour l’ensemble de la communauté. Dans cette perspective « (du) point de vue théorique, la collection numérique ne semble pas déroger à la définition canonique de la collection (au sens bibliothéconomique), c’est-à-dire un ensemble cohérent de documents, établi en vue d’un usage précis, faisant l’objet d’une gestion. Chacun des objets qui la composent a plus de valeur dans l’entité collective qu’il n’en aurait individuellement » (Martin, Bermès, 2010, p. 13). Cette définition est intéressante pour la communauté professionnelle qui nous occupe, car elle pointe l’objectivité de ressources documentaires collectées de manière organisée pour un usage partagé dans le cadre de l’activité professionnelle des acteurs. Dans cette optique, la collection a principalement deux fonctions. Elle a tout d’abord une fonction mémorielle, qui garantit l’accès au savoir de manière authentifiée et validée. Yves Jeanneret rappelle que la mémoire est une notion polysémique qui permet « […] d’attribuer une teneur cognitive à des objets textuels (Schuerewegen, 1999) et iconiques (Souchier, 2007) » (Jeanneret, 2008, p. 32). A ce titre, le lien tangible entre les nouvelles technologies encore très peu exploitées par les professionnels du domaine et la fabrication d’une mémoire collective à travers la constitution de collections interroge « la part que prend l’innovation médiatique dans la genèse d’une mémoire partagée » (Jeanneret, 2011, p. 32). En ce qui concerne les collections mises en œuvre par la communauté des éco-constructeurs, la dimension patrimoniale des objets documentaires repose non pas sur des « pratiques oubliées » mais sur des pratiques actuelles à ne pas oublier et à mutualiser par le biais des technologies numériques. L’offre de contenu des collections peut avoir à terme une fonction d’acculturation aux pratiques d’auto-formation. La deuxième dimension de la collection repose sur l’ouverture de l’information (Calenge, 2010) à l’ensemble de la communauté, c’est-à-dire d’informations ou de documents détenus localement par un acteur central de la communauté qui nécessitent une numérisation et une diffusion vers le collectif. Cette activité de partage de l’information et des documents existe très peu actuellement au sein de la communauté même si le principe de documentarisation devient progressivement une réalité. La documentarisation est « le travail consistant à équiper un support pérenne des attributs qui faciliteront sa circulation dans l’espace, le temps et les communautés d’interprétation » (Zacklad, 2004, p. 35). Ce travail concerne tout particulièrement les documents que Manuel Zacklad qualifie de « DOPA », documents pour l’action, fichiers de texte annotés collectivement, messages triés dans la messagerie, images annotées, documents contractuels ou de travail. Ils constituent « des supports pérennes, fragmentés et évolutifs, facilitant le déroulement de transactions créatives malgré la distribution des situations d’activités au sein d’un flux transactionnel » (Zackald, 2004, p. 45). La mémoire collective de travail de la communauté passe par des éléments qui auparavant étaient « proto-documentaires » (Roger T. Pédauque, 2006) mais qui, dans cette volonté de relier l’individuel et le collectif, deviennent progressivement des documents réhabilités par des acteurs et qui font figure, quand ils sont rassemblés et classés, de « collection » pour travailler dans le cadre de projets communs. On observe dans les espaces de travail des traces de collections documentaires dont certaines ont fait l’objet d’une numérisation et d’une documentarisation (indexation, classement), ce qui permet de mettre en lien, dans l’espace numérique de travail, documents et projets. Dans l’entreprise, la construction de collections ouvre un espace de dialogue et de négociation, car le choix de ce qui doit être conservé et partagé pour être réutilisé se fait ensemble, en tenant compte des modes cognitifs d’accès à l’information et de l’évaluation de l’utilité des documents de chacun, quel que soit son statut.
Collection et construction d’une culture de l’information
La collection, tant dans le dispositif de collecte que dans celui de communication, révèle et repose en fait sur une culture informationnelle partagée dans le groupe social considéré. Dans le domaine de la gestion de l’information, la culture informationnelle « […] est constituée des valeurs, des normes et des comportements partagés par un groupe ou une organisation ayant un impact sur la façon dont l’information et perçue, créée ou utilisée » (Bergeron et alii, 2010, p. 190). Malgré la faiblesse de l’offre de formation initiale, continue ou de l’offre institutionnelle d’information, les acteurs tentent de constituer des collections qui leur permettent de répondre à l’essentiel de leurs besoins. Ainsi, par exemple, les prises de notes dans les colloques scientifiques sont conservées de façon à être réutilisées pour répondre aux appels d’offre. On trouve également, dans les systèmes d’information personnels, des bases pédagogiques, documents simples à montrer aux maîtres d’ouvrage pour illustrer les projets ou aux entreprises pour expliquer les techniques. Les documents renvoyant aux normes à utiliser dans les projets d’architecture, et récupérés par l’intermédiaire des forums ou de mails à destination d’un collectif métier, restent primordiaux pour les acteurs toujours à la recherche de bases de données gratuites pouvant leur fournir ce type d’information. On note aussi la coexistence de l’usage du papier et du numérique avec des systèmes de classement parallèles mettant en œuvre des systèmes de codification élaborés avec des groupements thématiques hiérarchisés et indexés : codes couleurs thématiques, codes alphanumériques thématiques (architecture, urbanisme, conseil/dessiner : couleurs, personnages, ambiances, textures…) pour les dossiers et sous-dossiers numériques, classements chronologiques. Chez tous les acteurs, le système de classement de l’information correspond à une typologie et à un découpage des activités. Les collections sont aussi constituées à partir de démarches de recherches sur Internet à la fois variées et ciblées : les recherches se font souvent à partir des images chez les architectes observés, dont la formation de base est centrée sur la représentation graphique. Ils privilégient donc la recherche dans Google Image ou plus largement par formats de fichiers, par exemple, et se constituent des bases d’images et de graphiques dont le volume est plus important que les bases de textes. Ces éléments factuels deviennent des données brutes sans interprétation aucune. Les collections se fabriquent au quotidien dans une logique pragmatique et ciblée par rapport à des réponses à des problèmes techniques ou esthétiques. Les professionnels créent ainsi des bases de données faites d’échantillons. Les images collectées leur permettent d’anticiper et de se projeter sur ce qu’ils souhaitent mettre en œuvre pour leurs futurs chantiers.
La constitution de collection est une activité d’information réelle chez l’ensemble des acteurs consultés, l’organisation des ressources en dossiers thématiques restant principalement un support de prise de décision. Les ressources sont aussi conservées dans des sortes de livres ou catalogues au cas où elles pourraient servir ultérieurement. Ceci nous rapproche du concept de « personal information management » (Bruce, 2005). La compilation des ressources sous forme de collections a donc une incidence très concrète, immédiate, les enjeux étant à la fois techniques et économiques. L’enquête montre très clairement que les collections jusqu’alors matérielles (revues, livres, échantillons) ont été remplacées presqu’exclusivement par des collections virtuelles, la numérisation (le passage du document papier au document numérique ou la numérisation du document matériel, assez fréquente) offrant finalement la condition de possibilité d’une patrimonialisation. Nous pouvons ainsi repérer trois types d’usages des collections constituées. Le premier est personnel et auto-formatif, les collections servant parfois pour la formation des salariés au sein de la micro entreprise en termes d’acquisition de connaissances et de savoir-faire. Un deuxième usage, social, concerne les liens interpersonnels entre personnes travaillant sur le même projet. La collection documentaire va constituer un objet communicationnel et d’attention partagée permettant sa réalisation. L’usage politique de la collection, enfin, s’inscrit en filigrane dans les pratiques observées. La construction des collections en tant que patrimoine commun rend compte de l’affirmation de l’identité de la communauté autour de valeurs partagées.
Vers un modèle d’analyse des pratiques professionnelles croisant usages et dispositifs de patrimonialisation par la numérisation
La constitution des collections : production et numérisation de ressources
Le processus de numérisation des collections interroge le rapport aux objets collectés par les acteurs et les dispositifs de médiation à mettre en place. Dans l’évolution des dispositifs d’écriture, la numérisation a permis la reproductibilité et la « mise en communication » des objets patrimoniaux avec leur public (Davallon, 2006, p. 37). Insérant la mémoire dans un processus de trivialité (Jeanneret, 2008), elle autorise la mise en place de processus de circulation des idées, de transmission, de réappropriation, de construction coopérative et de diffusion des savoirs. Yves Jeanneret (2004, p. 14) invite à chercher dans la numérisation un moyen par lequel « le texte est donné à reconnaître, à saisir, à conserver et à transformer […] ». La numérisation autorise le travail de préservation de l’information en réseau, ouvrant la possibilité de passer du schéma pyramidal du pouvoir sur l’information à une organisation réticulaire du savoir.
Pour construire un patrimoine utile à l’usage professionnel, la médiation passe par la production de ressources numériques et à numériser qui questionnent les collections à sélectionner alors que le patrimoine est en cours de construction, non validé, ni institutionnalisé ni attesté par la communauté. En effet, les ressources documentaires issues de catalogues papier peuvent constituer des collections à numériser dans des bases de données partageables, considérées comme des lieux sociaux et de savoirs partagés et mutualisés par la communauté de pratique. Nous entendons par ressources « […] des informations construites dans une logique de médiation et d’usage (réception), évolutives (susceptibles d’être mises à jour), et éventuellement adaptables (personnalisables). Leur fonction est d’être utiles et de rendre des services. Elles fournissent du renseignement (instantané) mais non de la preuve (au sens d’un témoignage historique ayant été préservé) » (Lainé-Cruzel, 2004, p. 112). Les entretiens ont permis de cerner les types de ressources utilisées par les acteurs. Les collections à constituer doivent comprendre l’information scientifique, géographique (cadastre), juridique (normes), et technique (documents techniques unifiés par exemple). Or ces informations sont payantes, elles ne font pas partie des données ouvertes ou ne sont pas utilisables en tant que telles, et ne sont pas accessibles aux acteurs étudiés. Les documents à numériser sont les documents techniques possédés matériellement par les acteurs, les traces de leurs activités matérielles (photographies, recueils de notes sur les chantiers). La pertinence de la numérisation de ce type de documents repose sur les enjeux d’un renouvellement de l’infrastructure de l’information autour de métadonnées permettant aux acteurs de se réapproprier le savoir scientifique pour l’instant diffusé et commercialisé par le secteur privé. La réflexion sur une politique de numérisation des collections s’inscrit donc dans l’offre plus globale des contenus présents sur le web mais aussi accessibles sous forme d’abonnements payants. Les collections à numériser sont actuellement des collections individuelles et personnelles, partageables, via des serveurs quand on est à l’intérieur de l’entreprise. La dimension collective et collaborative des collections en construction, en opposition à la logique commerciale et fermée des bases de données, reste cantonnée à une échelle limitée, essentiellement pour des raisons de formation à une culture de l’information partagée.
Prospection autour d’un dispositif de structuration des connaissances en éco construction
Le processus de numérisation implique finalement un dispositif structurant les connaissances dont ont besoin les professionnels (Peraya, 1999). Il sollicite les acteurs sur les critères d’une architecture de l’information à construire en fonction de collections numériques déjà présentes sur le web et rassemblées par eux, de collections d’objets matériels en leur possession à numériser, et de collections de données sous forme numérique à organiser. La difficulté de construire un dispositif adapté aux collections de la communauté réside dans la fragmentation et la diversité des contenus collectionnés. L’architecture de l’information désigne une approche de l’information qui combine la conception technique des dispositifs, l’organisation des contenus et le design orienté utilisateur (Morville, 2002). La notion traduit l’importance de la visualisation des documents et des réseaux à travers la métaphore spatiale, de l’accès pour l’usager, et de l’organisation des contenus. A travers le dispositif envisagé, les acteurs doivent pouvoir incrémenter et utiliser les collections numériques, tout en ayant la possibilité de se réapproprier, de mutualiser, d’annoter, de compléter et de partager l’ensemble des collections. Pour l’instant, à la demande des acteurs interrogés, un agrégateur de contenu de type Netvibes a été réalisé à partir des données récoltées ; il peut fonctionner comme un outil de veille. Il met en visibilité et à disposition des éco architectes des ressources propres au domaine qu’il organise autour des phases du projet. Il vise en outre, en tant qu’outil de curation, la réflexion sur le travail collaboratif autour des projets. Cependant, l’agrégateur de contenu délivre un patrimoine fugace et volatil. Un dispositif plus complexe basé sur la constitution de profils d’utilisateurs et la description des documents à partir d’ontologies permettrait d’aider les acteurs à combiner leur système d’information interne et personnel avec des systèmes d’information interpersonnels et externes.
Dans cette perspective, le dispositif pourrait se construire autour de la mise en place d’une base de données, d’un système de classification, d’un vocabulaire pouvant prendre la forme d’un thésaurus pour avoir une base commune (corps de métiers, procédures, normes, phases) à partir de laquelle travailler, d’un processus de standardisation des données par le biais de formats, d’un espace de stockage des collections pour rendre lisible l’organisation documentaire globale des collections, d’un espace de partage et d’écriture collaborative via les réseaux socio-numériques. La création d’un tel dispositif a une valeur heuristique pour les acteurs de la communauté étudiée. Elle témoigne d’une volonté de réfléchir sur le développement de la documentation numérique et des processus de numérisation. Le travail sur la mise en scène de l’information peut contribuer à ouvrir la communauté à de nouvelles pratiques de mutualisation et de partage de connaissances dans le cadre de leur activité professionnelle tout en visant le renforcement de la logique patrimoniale autour du déploiement de pratiques documentaires renouvelées à partir de la collection.
Conclusion
Les recherches menées depuis deux ans auprès des éco-concepteurs montrent que le partage de connaissances au sein de la communauté s’appuie sur la constitution de collections numériques dans une perspective de patrimonialisation comprise comme un processus ouvert, dynamique et collectif. Au-delà de l’usage de documents, notamment techniques, au sein de leur activité de travail, les acteurs ont besoin de construire une culture informationnelle commune fondée sur la transmission et la médiation de valeurs partagées et mutualisables. La construction de ce patrimoine s’organise autour d’une expérience partagée, une circulation des savoirs ancrée dans l’activité, et de l’écriture d’une mémoire collective et collaborative. La constitution de collections est une manière de reconstruire du sens à partir d’informations et de temporalités éclatées. La création d’un dispositif numérique axé sur la médiation et la valorisation de l’information professionnelle offre ainsi la possibilité d’une articulation entre l’action des individus et celle du secteur d’activité professionnelle considéré.
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Auteurs
Karel Soumagnac
.: Karel Soumagnac est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Bordeaux. Elle est membre du laboratoire IMS UMR 5218 CNRS dans l’équipe RUDII. Ses travaux portent sur la gestion de l’information dans les milieux professionnels et la représentation de l’information sur les dispositifs numériques.
Anne Lehmans
.: Anne Lehmans est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Bordeaux. Elle est membre de l’équipe RUDII de l’UMR 5218 IMS CNRS. Elle enseigne à l’ESPE d’Aquitaine et travaille plus particulièrement sur les cultures de l’information et le numérique dans l’enseignement.
Vincent Liquète
.: Vincent Liquète est Professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Bordeaux. Il dirige l’équipe RUDII de l’UMR 5218 IMS CNRS. Il travaille les questions de culture de l’information, de littératie informationnelle et les pratiques informationnelles en contexte professionnel. Il est le coordinateur de l’ouvrage Cultures de l’information, publié en 2014 aux éditions du CNRS.