Les couleurs de la publication scientifique, mutations dans la sous-filière de la revue scientifique STM, analysées par les industries culturelles
Résumé
La diffusion de la revue scientifique dans les domaines STM s’inscrit aujourd’hui dans un contexte où cohabitent quatre modèles représentés par des couleurs : le « Blanc » pour le payant, le « Vert » pour les archives ouvertes, le « Doré » pour les revues en libre accès et enfin le « Gris » pour les données de la recherche. Ce « tableau en couleurs » est le résultat, encore mouvant de mutations qui opèrent au sein de l’édition de la revue scientifique STM et qui intègre les acteurs du Web et de la communication.
Ces couleurs interviennent dans les tensions qui régissent les relations et les stratégies entre anciens et nouveaux acteurs. L’objet de cet article est double. Il rend compte des logiques socio-économiques qui construisent les stratégies et positionnements des acteurs pour renouveler la sous-filière de l’édition de la revue scientifique. Dans le même temps, il propose le cadre d’analyse des industries culturelles, capable de prendre en charge l’intelligibilité des mouvements qui opèrent entre industries de l’information scientifique, industries de la communication et médias sociaux.
Mots clés
Publication scientifique, revue scientifique, industries culturelles, industries de la communication, industries de l’information, valeur, libre accès, réseaux sociaux, médias sociaux, filières, information scientifique, STM.
In English
Title
The Colors of Scientific Publishing, Mutations within the Sub-Field of STM Journals, Analysed by Cultural Industries Frame
Abstract
Scholarly digital journals in the STM field currently circulate in a context where four models, each represented by a color, cohabitate: white for commercial publications, green for open archives, gold for open access journals and grey for data archives. This “color table” includes key Web and communications stakeholders is the ever-evolving result of mutations occurring in STM publishing.
These colors contribute to the tensions that govern relations and strategies between old and new stakeholders. The purpose of this article is two-fold. It aims to report on the socio-economic approaches that form the basis of strategies and positions made by contributors who want to renew the scholarly journal publishing system. The article also aims to offer an analytical framework for cultural industries. This framework makes it possible to understand the movements occurring between the scientific information industry, the communications industry and social media.
Keywords
Scientific publishing, scientific journal, cultural industries, communication industries, information industries, value, open access, social networks, social media, fields, scientific information, STM, scholarly publishing.
En Español
Resumen
La difusión de revistas en el campo de Ciencias, Tecnologías, Medicina – CTM) se inscribe hoy en un medio ambiante donde cohabitan cuatro modelos representados a través colores. El blanco para lo que se pagó, el verde para los archivos abiertos, el dorado para revistas en acceso libre y por fin, el gris para los archivos de datos. Esta “panorama en colores” es el resultado todavía moviente de cambios que operan en dentro de la edición científica CTM y que integran los actores del Web y de la comunicación.
Estos colores intervienen en las tensiones que regulan las relaciones y las estrategias entre los actores antiguos y nuevos. Este articulo tiene un doble objecto: da cuenta de lógicas socioeconómicas que construyen las estrategias y los posicionamientos de los actores para renovar el sector de la edición de la revista científica. En el mismo tiempo propone el marco de análisis de las industrias culturales, marco en capacitad de encargarse de la inteligibilidad de los movimientos que se obran entre industrias de la información científica, industrias de la comunicación y los medios de comunicación social.
Palabras clave
edición científica, industrias culturales, información científica, industrias de la comunicación, medios de comunicación social.
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Boukacem Chérifa, «Les couleurs de la publication scientifique, mutations dans la sous-filière de la revue scientifique STM, analysées par les industries culturelles», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°15/1, 2014, p.49 à 66, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2014/varia/04-couleurs-de-publication-scientifique-mutations-filiere-de-revue-scientifique-stm-analysees-industries-culturelles
Introduction (1)
La revue scientifique est née au XVIIe siècle avec le Journal des Sçavans à Paris et le Philosophical Transactions à Londres. Elle a jeté les bases de ce qui deviendra un modèle de diffusion de la science. Elle est devenue un support privilégié pour la publication des résultats de la recherche dans les domaines des sciences, des techniques et de la santé, désignés communément par l’acronyme STM (2). Au cœur du modèle, se trouvent quatre fonctions fondamentales : l’enregistrement, l’évaluation par les pairs, la diffusion et l’archivage (Guédon, 2001). En 350 ans d’histoire, la valeur d’usage de la revue s’est construite autour de ces quatre fonctions (Cullen, 2011) qui ont fait d’elle un média structurant de la communication scientifique entre pairs.
Sous-filière de l’édition du livre, la revue scientifique se distingue par l’articulation qu’elle crée entre sphère économique d’échanges des textes et sphère sociale de l’activité scientifique (Chartron, 2000). Cette articulation opère selon des logiques socio-économiques interdépendantes relevant du modèle éditorial (Miège, 2000). Editeurs scientifiques et communautés de chercheurs sont les principaux acteurs de ce modèle. Les premiers mettent en œuvre une économie des biens qui associe des médiateurs comme les bibliothèques. Les seconds portent l’économie symbolique de la communication scientifique et de ses impératifs d’évaluation. La fonction éditoriale de la sous-filière se joue essentiellement autour de l’évaluation des articles, et donc autour de la certification (Cartellier, 1999). L’importance socio-symbolique de l’évaluation participe de la relation complexe qui s’est tissée au fil du temps entre éditeurs et communautés de chercheurs (Pignard-Cheynel, 2004). Faite de dépendance, de coopération, et parfois de rejets, elle est qualifiée de schizophrénique (Mabe, 2002).
Dans le contexte de l’imprimé, la diffusion de la revue a reposé sur le modèle économique de l’abonnement qui limite l’accès aux contenus de la revue aux seuls souscripteurs. La fourniture de photocopies d’articles par les bibliothèques ou bien la circulation des tirés à part entre auteurs ont constitué une forme de diffusion parallèle de la revue scientifique (Boukacem, 2004).
Avec la migration de la revue vers le Web, on observe une diversification des modèles d’affaire menant à de nouvelles formes de diffusion. Modèles d’affaire et formes de diffusion associées peuvent être appréhendés par leur couleur : Blanc pour l’abonnement, Vert pour les archives ouvertes, Doré pour les revues en libre accès et enfin Gris pour les données de la recherche. Au-delà de la cohabitation, il peut arriver que les différentes couleurs se combinent, se « mélangent » pour créer de nouveaux modèles de diffusion. Ces modèles ressortissent aux logiques socio-économiques d’un renouvellement de la sous-filière. Le « mélange » observé peut être interprété comme une dynamique nouvelle de la sous-filière, rendue possible par la numérisation et le Web.
L’objet de l’article est de proposer une lecture des tensions entre les acteurs de la sous-filière de la revue scientifique et les stratégies qu’ils sont amenés à développer. Pour cela, nous allons emprunter la grille d’analyse des industries culturelles, portée par les travaux de B. Miège (Huët, 1978 ; Miège, 2000 ; Miège, 2004 ; Miège, 2012). Elle prend en compte les principales tendances des phénomènes d’industrialisation du modèle éditorial de la revue STM depuis les années 1950. La concentration du marché de l’édition scientifique, son internationalisation, le glissement de la valeur de la propriété des contenus vers leur accès, l’entrée en jeu des nouveaux médias corollaire à la désintermédiation des intermédiaires traditionnels sont autant de composantes prises en compte par la théorie des industries culturelles dans une perspective critique.
Notre analyse, en s’intéressant plus particulièrement à l’évolution de la sous-filière, identifie les processus par lesquels s’expriment les dynamiques d’industrialisation actuelles. Notre regard portera donc davantage sur les contextes et les conditions par lesquels la revue scientifique est produite, distribuée, utilisée. Nous adoptons ainsi un parti pris théorique et méthodologique qui inscrit notre analyse au sein des contributions à l’analyse différenciée des filières des industries culturelles au sein du champ des sciences de l’information et de la communication (Pignard-Cheynel, 2004 ; Legendre, 2005 ; Perticoz, 2011).
Entrée de la publication dans la sphère industrielle
Le phénomène d’industrialisation de la revue scientifique sera étudié dès les années 1960 (Solla Price, 1962) en montrant le caractère exponentiel de l’évolution du nombre de revues et d’articles publiés. La croissance est qualifiée « d’industrielle » par les spécialistes de l’économie de l’information (Porat, 1977 ; Machlup, 1962). (Mabe, 2003) démontre au début des années 2000 que cette augmentation est liée à celle des fonds de recherche, du nombre de chercheurs et à leur rythme de publication. C’est, écrit-il, le résultat d’un « self-organizing information system that reflects on the growth and specialization of knowledge » (Mabe, 2001 ; 2003). Il s’agit aussi d’une adaptation aux réalités d’un marché dont la dynamique s’intensifie et s’internationalise. L’évolution des revues, sur la période 1997-2007, est telle que la base de données internationale de référence, le Web Of Science, n’est plus en mesure de couvrir les domaines STM de manière satisfaisante (Larsen, 2010).
Le « Blanc » de la publication scientifique, ou l’industrialisation de la production
L’édition de revues scientifiques a d’abord été portée par des sociétés savantes à but non lucratif. La charge de travail toujours plus importante les a ensuite amenées à externaliser une partie de la production vers les éditeurs commerciaux. Ces derniers se sont saisis de la revue, bien non marchand, avec des stratégies visant une rentabilité étroitement liée au « caractère incertain de la valeur d’usage » (Miège, 2004). La revue scientifique s’introduit dans le marché, avec la désignation de « littérature blanche ».
L’importance du portefeuille
Dans le « Blanc », les stratégies des éditeurs pour faire face au construit complexe de la valeur d’usage et de son incertitude se sont focalisées sur la production d’un portefeuille comptant le plus de titres possibles de revues leaders. Les alliances avec les sociétés savantes pour la publication de titres anciens et prestigieux ou le rachat de titres visent le renouvellement des portefeuilles (3). Le lancement de nouveaux titres figure également dans les stratégies d’éditeurs. Ils ciblent des thématiques innovantes, voire de nouvelles disciplines pour augmenter la probabilité d’une rencontre entre l’offre et sa consommation par des communautés de recherche. Ceci a favorisé le phénomène de fusions et de concentration qu’a pu connaître le monde de l’édition STM dès la fin des années 1970 et qui a réduit le marché à un « oligopole à franges », spécificité des industries culturelles (Miège, 2000). Le renforcement de la position des grands groupes par la consolidation de leurs portefeuilles a atteint un niveau tel, qu’en 2006, la Commission européenne a dénoncé les conditions anti-concurrentielles du marché de l’édition scientifique (DG-Research, 2006).
Avec la montée en charge des politiques d’évaluation de la recherche – et dans certains cas de leurs dérives (Gingras, 2014), les indicateurs bibliométriques d’impact (le facteur d’impact particulièrement) sont venus renforcer le statut de « tubes » incontournables des portefeuilles. Ils ont également légitimé les hausses substantielles des tarifs d’abonnement (4% par an). L’enjeu était de confirmer les « best sellers » dans leur statut et d’en créer de nouveaux. Le portefeuille de l’éditeur est donc devenu la pierre angulaire d’une stratégie visant à limiter la prise de risque et jouit d’un label de garantie, vendu comme un « incontournable » (Delvert, 2012). Rapidement, s’ensuit l’offre de collections rétrospectives (archives) dans lesquelles les éditeurs ont investi un travail de numérisation. Ces archives ont constitué des niches supplémentaires, venues compléter le portefeuille et les revenus.
Professionnalisation de la production : l’auteur au cœur
Au cœur de la sous-filière se trouve l’auteur dont la place est aussi importante que méconnue. A l’instar des revues, le nombre de chercheurs n’a cessé d’augmenter depuis les années 1950 et cette tendance ne montre pour l’heure aucun signe de ralentissement. Une accélération de l’accroissement s’observe depuis le début des années 2000 avec l’arrivée sur le « marché » de chercheurs des pays émergents qui jusque-là n’étaient pas pris en compte. A titre d’exemple, pour le seul éditeur Elsevier, entre 2006 et 2011, le nombre d’articles soumis annuellement aux comités éditoriaux des revues Elsevier est passé de 430.ooo à 700.000, soit une croissance annuelle moyenne de 10,3%.
A travers ces chiffres, nous pointons le phénomène de « professionnalisation » de l’écriture scientifique qui a été amorcé avec le « Blanc ». Ce phénomène déjà identifié dans d’autres secteurs (Legendre, 2005) se retrouve ici : « The scholarly journal is peer produced » (Armbrutser, 2007). Le chercheur en tant qu’auteur produit l’article, en tant qu’éditeur scientifique dirige la revue, en tant que rapporteur assure l’évaluation des articles de la revue et en tant que lecteur assure sa valeur d’usage. L’auteur prend donc part au phénomène d’industrialisation de la publication, sans pour autant y être toujours sensible.
La professionnalisation s’étend à l’appropriation des droits par les éditeurs qui y voient une condition sine qua non pour la gestion de l’incertitude sur leur monopole et la réduction de prise de risque sur leurs marges bénéficiaires. Ces dernières sont triplement financées par le salaire des auteurs, les projets de recherche sur lesquels ils travaillent et enfin les abonnements des bibliothèques (Beverungen, 2012). Le paradoxe de la situation pointé par des juristes, des économistes et spécialistes de l’information scientifique montre surtout, comme le souligne B. Legendre (Legendre, 2005), la « vulnérabilité » de l’auteur, devenu cheville ouvrière du processus d’industrialisation.
L’auteur soumis aux pressions institutionnelles et politiques est pris dans le jeu de la publication où il est en recherche constante de reconnaissance symbolique et institutionnelle (Mabe, 2002). Ce phénomène contribue à une économie politique de la publication scientifique (Chartron, 2000) et n’est pas sans conséquences pour le travail du chercheur. C’est une forme d’aliénation qui conduit à une forme de « capitalisme académique » (Striphas, 2010) dont le but est d’imposer de nouvelles normes d’efficacité, de production et de compétitivité aux universitaires.
Tic et industrialisation de la professionnalisation
L’expansion des technologies de l’information communication (Tic) dans les années 1980 va exacerber la professionnalisation des auteurs. Ils ont intégré les logiciels de traitement de texte (Word, Latex…) dans l’élaboration de leurs articles de manière à s’ajuster sur les outils, formats et modèles imposés dans les « instructions aux auteurs ». Cela a pour effet de rendre les versions d’articles soumises aux éditeurs très proches des versions publiées. Ainsi, une partie du travail de composition est désormais prise en charge par l’auteur lui-même (Aigrain, 2011). Dans cette logique, l’éditeur se décharge d’une partie du travail éditorial, intensifiant la professionnalisation de l’auteur.
Le glissement de la mise en forme des articles de l’éditeur à l’auteur soulève un pan du questionnement autour de la valeur ajoutée du rôle des éditeurs. Car en parallèle, les auteurs, tour à tour lecteurs ou rapporteurs pointent des délais de publication trop longs (entre 6 et 24 mois). Les disciplines les plus fondamentales pour lesquelles les avancées de la recherche dépendent de l’accès aux résultats les plus courants, voient dans ces délais un dysfonctionnement qui nuit à la progression du travail scientifique. Les désabonnements des bibliothèques exacerbent les barrières à l’accès à la publication scientifique pour les lecteurs qui ne sont autres que les auteurs de ces mêmes articles. Le « Blanc » de la publication scientifique peine à confirmer sa valeur et connaîtra ainsi les premiers signes de son essoufflement (Bachrach, 1998 ; Beverungen, 2011).
Industrialisation de la distribution – diffusion
A la fin des années 1990, les portefeuilles des éditeurs basculent vers le numérique. Ce sont les acteurs dominants (Elsevier, Springer, Wiley,…) qui lancent en pionnier les plateformes de revues. L’argument principal est l’amélioration de l’accès aux contenus.
Les plateformes permettent également d’intensifier le mouvement engagé dans la professionnalisation de l’auteur et dans l’optimisation des coûts. Elles s’adressent à l’auteur dans la pluralité de ses statuts : au lecteur pour l’accès aux contenus, à l’auteur pour soumettre un article et à l’évaluateur (4) pour « poster » l’évaluation. Elles participent d’une forme de standardisation propre à l’industrialisation. Elles concentrent sur le même lieu la promotion des contenus de l’éditeur, leur diffusion et distribution, et l’observation de l’appropriation (McCabe, 2013 ;Nicholas, 2008). En mettant en relation directe contenus et « consommateurs », la marginalisation des médiateurs traditionnels est amorcée.
Les plateformes entrent directement en jeu dans la définition de stratégies prospectives où la domination du marché et le contrôle absolu de la concurrence constituent les règles. Elles sont le levier d’une stratégie de désintermédiation, corollaire de l’industrialisation et qui aura pour conséquence l’éviction de médiateurs traditionnels (bibliothèques, agences d’abonnements…) de la chaîne de la valeur de la publication scientifique (Roosendaal, 2003).
Pour les bibliothèques, les Big Deals, achats groupés de bouquets de revues, les auront finalement enfermées plus qu’ils ne les auront libérées. A l’heure du bilan, ce dispositif se révèle être un moyen de pression des éditeurs pour continuer à augmenter leurs tarifs et chiffres d’affaires (Delvert, 2012). En outre, les bibliothèques ont perdu leur capacité de sélection des titres et donc d’élaboration de collections, ce qui constituait jusque-là le cœur de leur mission d’intermédiaire (Vaidhyanathan, 2009). Pour les agences d’abonnements, la généralisation du modèle transactionnel du Big Deal a fragilisé un secteur d’activité déjà affaibli par les fusions et les rachats. Leurs efforts de réorientation de missions n’ont pas toujours été concluants. Septembre 2014 a encore vu une énième disparition, celle de Swets Information Services, un des derniers concurrents sur le marché(5).
Nouvelle dynamique d’industrialisation
Le Web et le numérique donneront à l’industrialisation de la sous-filière de la revue STM une nouvelle dynamique. Elle agira sur la diversification du modèle d’affaire et en faveur d’un accès moins restrictif aux contenus. L’entrée en jeu des acteurs de la communication et du Web composera le cadre dans lequel la revue scientifique va puiser de nouvelles ressources pour renforcer son industrialisation.
Industrialisation de l’appropriation
La prise en compte des pratiques des usagers de la revue numérique figure dans les processus saisis par les stratégies d’industrialisation. Les travaux empiriques menés ces dernières années sur l’analyse de la consultation des revues électroniques, ont permis de comprendre que les usages, inscrits de plus en plus dans une logique de navigation, relevaient davantage d’une logique de « consommation » où les frontières entre les différents types et statuts de ressources s’estompaient (Nicholas, 2008). Les travaux que nous avons menés sur le terrain universitaire français ont montré que la navigation est devenue pour les chercheurs un véritable mode de recherche d’information sur les plateformes de revues à partir desquelles s’opère l’accès au texte intégral (Boukacem-Zeghmouri, 2012). Ce phénomène, unanimement observé dans les domaines STM a conduit à ériger la navigation comme 5ème fonction de la revue scientifique (Ware, 2012 ; Armbruster, 2007).
La navigation se déploie depuis des plateformes toujours plus sophistiquées d’ergonomie et de services à valeur ajoutée. Cette tendance, observée dans d’autres filières telles que le livre, peut être considérée comme symptomatique d’une industrialisation de l’édition axée sur le service. L’enjeu est de proposer à l’usager une « expérience d’immersion » (Anderson, 2011) qui lui fera vivre à la fois de la recherche d’article « search experience » et de la découverte « discovery experience ». Le lecteur-consommateur développe un usage en ligne, semblable au streaming, générant des volumes importants de téléchargements. Les analyses que nous avons menées autour des statistiques de consultation des plateformes d’éditeurs et des entretiens avec les chercheurs nous ont permis de montrer que la plateforme est un lieu de comptage et d’observation des pratiques qui viennent nourrir sa conception et son évolution. C’est donc un observatoire destiné à alimenter la stratégie prospective pour l’industrialisation de la sous-filière et de ses modèles économiques (Boukacem-Zeghmouri, 2014).
Nouvelle niche de croissance, le « Gris » de la publication
Les réseaux numériques ont fait évoluer la nature même de la recherche scientifique ces vingt dernières années. Des données sont produites à large échelle, partagées entre chercheurs, entre machines, et intégrées à l’ensemble des étapes du travail scientifique (Gallezot, 2002). La mise en place des nouvelles infrastructures de la science permet la production, l’échange et la conservation de ces données (Borgman, 2007). Elles rejoignent ce qui a été désigné comme le « 4ème paradigme de la communication scientifique » (Hey, 2009).
La course effrénée à la niche rentable et aux services à valeur ajoutée chez les éditeurs va favoriser la prise en compte des nouvelles pratiques de l’activité scientifique et l’entrée en scène des données de la recherche dans la publication scientifique. Ce qui était confiné dans les limbes des laboratoires, faisant partie des gisements « gris » inexploités va prendre de la valeur. La sphère économique de l’échange de contenus et la sphère sociale de la communication scientifique s’imbriquent ici davantage avec la réalisation de l’objectif originel de la revue scientifique, énoncée par Henry d’Oldenbourg : « pénétrer l’antichambre de la Nature pour atteindre son cabinet secret »(6). Il devient ainsi possible de tester la validité des connaissances, qui bénéficient d’un cadre plus favorable à leurs progrès.
Les données (séquences ADN, tableurs, vidéos, cartes…) sont intégrées dans l’« article du futur » ou « article 3D », prototypes qui « déverrouillent » le PDF et lui associe des éléments de valeurs ajoutées. Elsevier encouragera ses auteurs à faire le lien entre les données déposées dans des réservoirs dédiés et les articles publiés dans sa plateforme ScienceDirect : le public a donc la possibilité de compléter la lecture de son article par la consultation des données déposées. Plus récemment, on a vu apparaître des éditeurs (ex. Copernicus(7)) qui proposent la publication de jeux de données (ex : Earth System Science Data). Les investissements placés par les éditeurs dans ces nouvelles formes d’articles sont destinés à donner à ces derniers une valeur ajoutée qui s’intègre dans les logiques économiques de leur modèle. Il s’agit donc là d’une niche susceptible de générer de nouveaux profits.
Entrée en jeu des acteurs de la communication, ou la « dimension médiatique »(8) des moteurs de recherche
A partir de 2004, le moissonnage des plateformes d’éditeurs sera ouvert à Google puis à Google Scholar. Les études d’usage des plateformes d’éditeurs que nous avons menées nous ont permis de souligner l’impact des moteurs de recherche, Google en l’occurrence, sur l’activité de consultation (Boukacem-Zeghmouri, 2013). Cette dimension n’est pas propre au terrain français et se retrouve dans d’autres études d’usages, investissant d’autres terrains (Nicholas, 2008). La « googlisation » des pratiques est devenue le corollaire d’un Web complexe, où cohabite une pluralité d’offres de contenu. Les usagers sont noyés par la masse d’informations disponibles et qu’ils peuvent moissonner à l’aide des moteurs de recherche. Google entre en jeu comme un nouvel acteur permettant de donner à voir des contenus éparpillés sur la toile. Il s’impose comme un outil rapatriant, via ses moissonnages, différents types de contenus : vidéos, images, actualités… Il intervient ainsi en nouveau médiateur. Surtout, Google est le point de départ préféré du chercheur sur le Web qu’il va conduire sur les plateformes des éditeurs pour télécharger le PDF de l’article. De fait, les éditeurs sont à la merci de la stabilité – ou de l’évolution – de son algorithme.
Le positionnement du nouvel acteur mt en évidence la question de la valeur ajoutée aux services associés au contenu. Plus que jamais, la valeur se retrouve moins du côté du contenu que du côté de son accès, et plus exactement, du côté des services permettant de chercher, filtrer et trouver la « pépite », à savoir l’intermédiation. Ce glissement de la valeur du contenu aux services d’intermédiation ne s’est pas fait sans conséquences sur l’évolution des modèles d’affaire.
Ce phénomène traduit une double dépendance entre industrie de l’information scientifique et industrie de la communication comme le soulignait B. Miège au colloque « Industries de la culture et de la communication, industries créatives : un grand tournant ? » en mai 2013(9). Moteurs de recherche et plateformes ont besoin d’un adossement au contenu des éditeurs scientifiques(10) qui, à leur tour, ont besoin d’un espace médiatique de valorisation et de promotion de ces mêmes contenus (Bouquillion, 2013).
Entrée en jeu des plateformes de réseaux sociaux ou la rencontre de l’industrie de l’information et de l’industrie de la communication
L’importance que prennent les réseaux sociaux pour les communautés académiques s’explique par le fait qu’elles y trouvent des espaces où, outre le fait de partager de l’information, elles partagent des avis, des commentaires (RIN, 2010). La valeur véhiculée par ces plateformes consiste à fournir des espaces de collaboration, de partage et d’échange au sein d’un groupe, en vue de l’élaboration de nouveaux contenus (Shirky, 2010). Elle réside aussi dans le fait de constituer des groupes, voire des communautés virtuelles « dont la dimension communicationnelle participent de leur rentabilité financière et symbolique » (Galibert, 2003). Dès 2012, on voit apparaître une articulation inédite entre plateformes de réseaux sociaux académiques et plateformes d’éditeurs : le rachat en novembre 2012 de « Papers(11) » par Springer, le lancement en avril 2013 de la plateforme collaborative « ChemWorx(12) » par l’American Chemical Society et enfin, le rachat de Mendeley par Elsevier. Ce dernier événement est plus marquant car Mendeley, start-up au succès fulgurant, compte à ce moment-là plus de 2,5 millions d’utilisateurs et enregistre près de 400 millions d’articles échangés.
L’importance significative de ces échanges entre chercheurs n’est pas étrangère au phénomène de stagnation des téléchargements enregistrée par Elsevier sur sa plateforme ScienceDirect (Dumon, 2012). Il s’agit donc d’un facteur risque pour l’éditeur qui voit poindre la possibilité d’une nouvelle filière concurrente. En ce sens, le rachat de Mendeleys’apparente à une « prise de contrôle » destinée à maîtriser les risques. Il ne s’agit pas seulement de reprendre la main sur la valorisation des contenus, mais aussi sur les communautés d’usagers constitués qui deviennent ainsi des instruments de prospection et de marketing (Galibert, 2003).
Cette articulation prolonge en outre le phénomène de professionnalisation de l’auteur qui prend en charge l’activité « promotionnelle » de la publication. De nouveaux indicateurs sont proposés, sous le nom d’Altmetrics, contraction de « Alternative » et « Metrics ». Ils sont liés aux réseaux sociaux académiques (ResearcGate, Mendeley, CiteUlike….) et grands publics (Twitter, Facebook…) et alimentés par l’activité même de l’usager (Bar-Ilan, 2013). Ils proposent de nouveaux cercles de crédibilité pour une filière en renouvellement (Gibson, 2004).
Le « Doré »(13) de la publication scientifique : inverser le modèle économique du « Blanc »
L’annonce en 2002 de BioMedCentral (BMC) d’accepter des Article Publication Charge (APC) – des frais de publication avancés par l’auteur, son laboratoire ou son institution – pour la publication en Libre Accès d’articles, a constitué un tournant. Ce renversement du modèle d’affaire de l’abonnement a le mérite de ne pas restreindre l’accès aux articles tout en cherchant de nouvelles niches de financement. C’est également une ramification de la voie dorée du Libre Accès communément désignée comme « Gold Road ». Le modèle doré est un modèle libre pour l’auteur et pour le lecteur, à l’image des plateformes d’édition publique comme Scielo(14) en Amérique Latine ou du Cléo(15) en France. Or, la montée en charge significative du « Gold » auteur-payeur crée une ambiguïté, voire une confusion entre les deux possibilités du « Doré ».
BMC sera racheté en 2004 par l’éditeur Springer qui révèle ainsi l’intérêt du secteur pour un modèle susceptible de lever des fonds auprès d’une autre source que les budgets des bibliothèques, celle de la recherche. L’éditeur va plus loin et annonce son service « Open Choice » qui permet aux deux modèles d’affaires de cohabiter dans un même titre. S’ensuivra avec une certaine régularité des annonces d’intérêt venant d’autres éditeurs pour le « Gold ». Décembre 2006 voit naître Plos One (Public Library of Science), créée ex nihilo et fondée entièrement sur le modèle auteur-payeur. Le succès de la revue est immédiat et confirme ainsi la viabilité possible d’un modèle qui ne restreint pas l’accès aux contenus.
Le Directory of Open Access Journals (DOAJ) (16) recense aujourd’hui près de 10 000 revues en libre accès(17). Comme le montrent des études récentes, les bases de données Web of Science et Scopus intègrent des revues en libre accès, particulièrement dans les domaines STM (Larsen, 2010 ; Solomon, 2013). Ce qui revient à dire que les communautés de chercheurs publient bien dans des revues relevant du modèle doré.
Emerge ici la dimension éminemment politique du développement « Gold » et de sa prise en compte par les politiques publiques de développement et d’évaluation de la recherche scientifique. La publication de plusieurs travaux destinés à examiner la viabilité économique du modèle a permis de nourrir le débat politique. Le rapport Finch (Finch, 2012) a marqué un tournant pour la prise en compte de la voie dorée dans les politiques de la recherche du Royaume Uni qui a donné un signal fort vers cette direction. Elle est recommandée pour une gestion politique de la publication dans le monde académique et a été validée par le ministère de l’Enseignement supérieur britannique. Associant éditeurs, universités et intermédiaires, le rapport Finch libère le développement des revues en libre accès relevant du modèle auteur payeur et va jusqu’à proposer des recommandations fondées sur des actions associant une politique de financement.
Faire face au renforcement de l’industrialisation
Pour les éditeurs, le rapport Finch est un signal décisif. On observe une évolution des catalogues des grands éditeurs STM, légitimée par les recommandations du rapport, car l’offre « Gold » permet aux éditeurs de s’adapter à deux nouvelles donnes de la sous-filière.
La première rejoint l’évolution des pratiques sociales des chercheurs, qui échappent aux observatoires que représentent les plateformes d’éditeurs, au profit des réseaux sociaux académiques (voir partie 2.2). Ces nouvelles formes d’usages traduisent la force avec laquelle l’accès sans entraves aux contenus devient une valeur (Rifkin, 2005 ; Anderson, 2011). L’offre « Gold » permet donc aux éditeurs de prendre en compte cette évolution et de valoriser de nouvelles formes d’usages dans la mesure où elles restent tournées sur leurs contenus.
La seconde relève de l’accélération de l’évolution des soumissions issues des pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) – BRICS (Laasko, 2011 ; Laasko, 2012). On compte aujourd’hui environ 29.000 revues à comité de lecture qui publient environ 2 millions d’articles par an avec un taux de croissance de 4%. Le taux de croissance du nombre d’articles publiés sur le période 2010-2015 est estimé à 20% par an pour la Chine, 11% pour l’Inde, 13% pour le Brésil, 12% pour la Corée-du-Sud contre 4% l’an pour les pays d’Europe occidentale et les Etats-Unis. Les BRICS représentent donc un marché dont le potentiel de renouvellement pour la sous-filière justifie le développement d’une offre de services et d’activités adaptées (services de traduction, de corrections, interfaces plurilingues…). Il s’agit dans le même temps, de repérer les « jeunes talents » et de favoriser la soumission de best sellers susceptibles de produire de la rentabilité (citations, consultations, etc.). Cette analyse rejoint celle de B. Legendre sur l’industrialisation du livre (Legendre, 2005).
Or, toutes les soumissions issues des BRICS ne peuvent être prises en charge par le « Blanc » qui bute sur les budgets limités des bibliothèques. Le développement du « Gold » permet de trouver du côté de la Recherche et de ses institutions de nouvelles sources de financement. Le « Gold » permet donc aux éditeurs de capter l’accroissement des soumissions, véritable enjeu de développement, sans abandonner les garanties de l’abonnement. Deux sources de financement distinctes vont donc venir irriguer la sous-filière de l’édition des revues scientifiques.
Elsevier, autrefois farouchement opposé au principe du Libre Accès, développe aujourd’hui une offre de revues « Gold » et des services associés. L’oligopole ne souhaite pas se faire distancer par la frange tentant elle-même de saisir les opportunités du modèle.
En revanche, l’enjeu réside dans la préservation de la qualité des contenus « Gold » dont la crédibilité dépend de la qualité des articles publiés. Or, on assiste aujourd’hui, comme dans tout secteur industriel, à un phénomène de contrefaçon du « Gold » avec des éditeurs qualifiés de « prédateurs » (Beall, 2012). Ces éditeurs prédateurs jouent sur la nouveauté du modèle d’affaire pour diffuser en ligne, sans aucune forme d’évaluation, des articles soumis par des auteurs abusés (Butler, 2013). Le coût élevé à la publication de ces revues peut même dans certains cas être interprété comme un critère de qualité (Beall, 2012). Ceci explique en partie pourquoi les chercheurs sont de plus en plus sollicités par de petits éditeurs pour soumettre des articles dans de nouveaux titres, fraîchement lancés. Face à ce phénomène, la gestion politique du « Gold » se justifie d’autant.
<h3″>Les mégarevues, nouvelle manifestation de l’industrialisation
Le lancement de la revue Plos One a ouvert la voie à un nouveau type de revues en libre accès, les mégarevues. Elles portent la marque de l’industrialisation de la sous-filière : près de 7 000 articles en 2010 et plus de 14 000 en 2011 et 25 000 en 2012.
L’innovation dans l’évaluation des articles a été un fer de lance de la revue Plos One qui s’est appuyée sur les principes du Web collaboratif (Open Peer Reviewing). L’enjeu était de garantir un meilleur débat scientifique, basé sur la transparence et la participation des chercheurs (Lefèvre, 2010). La revue va jusqu’à prendre en compte des résultats négatifs « non recevables » par les revues classiques. La barrière à la sélection est peu élevée, ce qui permet à un grand nombre d’articles de « passer », d’où leur nom de mégarevues. Pour les auteurs, c’est la perspective d’une publication plus rapide et plus large de leurs articles. Pour l’éditeur, c’est la perspective de revenus proportionnels au nombre d’articles publiés.
Les mégarevues viennent aussi pallier le phénomène de saturation des soumissions qui génèrent des coûts de rejet. En s’appuyant sur leur image de marque, les grands groupes d’éditeurs lancent leurs propres mégarevues. Elles sont destinées à absorber les soumissions des BRICS notamment. En janvier 2012, Springer lance SpringerPlus(18) qui en plus des articles publie des séquences audiovisuelles, des jeux de données (datasets) commentés, soit comme des objets autonomes, soit comme complément d’un article scientifique. En juillet 2012, l’Institution for Ingineering and Technology (IET), annonce le lancement d’une mégarevue. En même temps, BioMed Central et le Beijing Genome Institue lancent GigaScience(19), positionnée sur les BigData dans les domaines des sciences du vivant. Fin 2012, l’éditeur Sage a lancé trois mégarevues. En mai 2013, la mégarevue F1000Research est lancée par le collectif Faculty of 1000.
La ligne éditoriale des mégarevuesles conduit à mettre en avant de nouveaux critères de valeur, portés par le Web et ses logiques. Le « buzz » créé autour d’un article via le nombre de téléchargements et son impact sur les réseaux sociaux va constituer un nouveau régime de crédibilité. Les Altmetrics, cités plus haut, fondés sur l’appropriation sociale, la recommandation et donc la popularité sont proposés pour certifier a posteriori la publication et donner de la valeur aux articles. Face à une logique qui met la qualité scientifique d’un contenu entre les mains de son audience, l’information scientifique devient plus que jamais une marchandise comme les autres. La fonction éditoriale nouée jusque-là autour de l’évaluation et de la certification se dilue du côté du lectorat. La valeur ajoutée des éditeurs est plus que jamais soumise à questionnements. De même que la notion de revue scientifique et d’article sont à repenser.
Le « Vert » : quelle valeur pour les réservoirs de documents ?
En 1992, « arXiv », archive ouverte lancée par le physicien Paul Ginsparg pose les bases d’un nouveau modèle de diffusion de la publication scientifique. Ce modèle propose une communication scientifique directe, inscrite dans le mouvement du Libre Accès et porte le nom de « Green Open Access », la voie verte. On compte aujourd’hui plus de 2500 archives ouvertes thématiques ou institutionnelles de par le monde(20). Là encore, la dimension politique est importante et anime les débats les plus vifs autour de la prise en compte de ces réservoirs pour l’évaluation de la production scientifique, de la mise en place de mandats d’obligation de dépôts pour les chercheurs et de manière corollaire, du bien-fondé du système traditionnel de la publication.
Après vingt ans d’existence, le bilan est mitigé. Outre la question de la pérennité de leur maintien via des subventions publiques(21), la question de la valeur de ces dépôts de documents se pose. Et ce sont les services à valeur ajoutée de recommandation et d’expertise qui vont tenter d’y répondre (Bester, 2010). Face au développement des mégarevues, le parallèle entre ces revues tendant à devenir des dépôts accumulant de la masse critique et les dépôts des archives ouvertes est à faire : le « Vert » n’est-il pas concurrencé par les mégarevues ? L’enjeu pour le « Vert » réside dans le fait de donner de la valeur à des réservoirs pour qu’ils ne constituent pas de simples dépôts de publications. Dans ce sens, des modèles de publication expérimentaux, désignés comme des épi-journaux, sont testés destinés à puiser dans l’archive des contenus sélectionnés et expertisés autour d’une thématique donnée (Brown, 2010).
L’étude « Going for Gold ? » (Swan, 2012) conclut notamment sur le fait qu’en période de transition, la voie verte est plus avantageuse financièrement pour les universités adoptant unilatéralement le libre accès. A contrario, elle est moins avantageuse dans le cas où des fonds additionnels pour couvrir les coûts de la voie dorée sont octroyés à ces établissements. Le projet européen PEER(22) dont le but était de tester les effets d’un dépôt systématique et à grande échelle des articles après évaluation par les pairs a créé un « observatoire » destiné à rendre compte des équilibres dans les processus d’hybridation des modèles de diffusion de la publication (Romary, 2010). Les conclusions du projet, construites sur une « photographie instantanée » montrent que les modèles cohabitent plus qu’ils ne se concurrencent.
Conclusion
En s’appuyant sur les apports critiques des industries culturelles, nous avons disposé d’un cadre d’analyse global capable de comprendre et d’expliquer comment l’industrialisation de la sous-filière de l’édition de la revue scientifique dans les secteurs STM, entreprise dans les années 1950, a gagné une nouvelle dynamique. A l’aide de ses « couleurs », nous avons tenté d’appréhender la manière avec laquelle cette dynamique renouvelait la sous-filière.
Ces couleurs sont autant de modèles de diffusion que les éditeurs ont lancé (le Blanc) ou investit (le Doré) pour répondre à l’évolution de la communication scientifique sur le Web. En les mixant, les éditeurs se prémunissent contre les aléas de l’incertitude d’un marché en mutation et qui voit poindre de nouveaux acteurs, issus du Web et de la communication.
La fonction éditoriale qui se noue encore autour de la certification – est aujourd’hui repensée en intégrant ces acteurs. Si ces acteurs venaient à prendre pied dans la sous-filière, comme cela est suggéré par certaines analyses (Deschamps, 2012 ; Bouquillion, 2012), nous pourrons légitimement soulever la question de la revue scientifique, de la redéfinition de l’article scientifique, de leurs régimes de certification basés sur la notoriété.
L’apport spécifique des industries culturelles dans ce travail a également consisté à rendre plus intelligible et plus articulé les résultats de travaux empiriques que nous avons cités (auxquels dans certains cas nous avons contribué) dans une analyse argumentée et critique, éloignée de l’idéologie.
Comprendre les leviers du renouvellement de la sous-filière, en identifiant et en analysant les relations entre les industries de l’information et de la communication est une question importante sur laquelle les Sciences de l’Information et de la Communication ont légitimité à se pencher. Elles nous engagent à ne pas isoler la sous-filière et à la prendre en compte dans la complexité de ses mutations.
Notes
(1) Je remercie Geneviève Lallich-Boidin professeure émérite à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et Bernard Miège, professeur émérite à l’Université Stendhal Grenoble 3 pour la lecture attentive qu’ils ont apportée à cet article et pour leurs nombreuses remarques qui ont aidé à en préciser la pensée et l’analyse. Merci aussi à Joachim Schöpfel, MCF à l’Université Charles de Gaulle Lille 3 pour la discussion critique tenue autour de ce texte.
(2) Notre analyse est circonstrite aux seuls domaines STM.
(3) L’éditeur Maney, à coups de rachats de titres de sociétés savantes a vu passer son portefeuille de 10 à 150 titres en 15 ans : http://www.maneypublishing.com/index.php/resources/Press_15years150journals
(4) Elsevier propose en guise de « rémunération » un accès temporaire à Scopus.
(5) http://www.swets.com/news/swets-information-services-bv-declared-bankrupt
(6) Lettre adressée à T. Cox en 1656.
(7) http://www.copernicus.org
(8) Expression empruntée à B. Simonnot (Simonnot, 2012).
(9) http://icrea2013.sciencesconf.org/
(10) Le PDG de Mendeley explique que l’acceptation du rachat est lié au fait qu’ils avaient besoins d’investissements leur permettant d’embrayer sur un nouveau cycle de croissance qui dépend des acteurs du contenu.
(11) http://www.papersapp.com/papers/
(12) https://pc.acschemworx.acs.org
(13) Notre propos se focalisera sur la partie auteur payeur du modèle doré, dont l’ampleur est significative dans les domaines STM.
(14) http://www.scielo.br/
(15) http://cleo.openedition.org/
(16) http://www.doaj.org
(17) Toutes n’émargent pas au modèle de l’auteur-payeur.
(18) http://www.springerplus.com/ (19) http://www.gigasciencejournal.com/
(20) Source : OpenDOAR, http://www.opendoar.org
(21) En 2008, arXiv portée par l’Université de Cornell a dû trouver un modèle économique fondé sur la contribution des institutions qui téléchargeaient le plus de d’articles.
(22) http://www.peerproject.eu
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Auteur
Chérifa Boukacem
.: Titulaire d’un doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication, Chérifa Boukacem-Zeghmouri est Maître de Conférences à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et chercheur au laboratoire ELICO. S’appuyant sur une approche socio-économique, ses travaux proposent l’analyse des modalités de production, de diffusion et d’appropriation de l’information scientifique dans l’univers numérique.