Le renouveau médiatique de la séduction évangélique au Cameroun
Résumé
Notre recherche est une contribution à l’analyse des pratiques émergentes dans la médiatisation de l’évangile. Elle mobilise une approche interculturelle de l’appropriation des TIC par des acteurs sociaux à des fins de prosélytisme et de propagande. La problématique mobilisée est celle de la séduction dans le renouveau médiatique des leaders néo-pentecôtistes. En nous appuyant sur une observation des pratiques du télé-évangélisme au Cameroun, nous analysons les usages sociaux émergents des médias audiovisuels à des fins de prosélytisme et de propagande. Notre recherche révèle l’intérêt d’aller au-delà des analyses déterministes du développement des TIC, pour proposer une analyse interculturelle qui souligne la contingence socioculturelle du mouvement d’émergence et de développement des TIC en Afrique.
Mots clés
Renouveau médiatique, séduction évangélique, télé-évangélisme, prosélytisme, mouvement néo-pentecôtiste.
In English
Title
The Media Revival of Evangelical Seduction in Cameroon
Abstract
Our research is a contribution to the analysis of emergent practices in the mediatization of the Gospel. It mobilizes an intercultural approach of the appropriation of the TIC by social actors at ends of proselytism and propaganda. The mobilized problem is that of the seduction in the media revival of the neo-pentecostal leaders. By supporting us on an observation of the practices of the TV-evangelism in Cameroon, we analyze the emergent social uses of the audio-usual mediums at ends of proselytism and propaganda. Our research reveals the interest to go beyond the deterministic analyses of the development of the TIC to propose an intercultural analysis which underlines the sociocultural contingency of the movement of emergence and development of the TIC. The aim is to propose an intercultural analysis which underlines the sociocultural contingency of the movement of emergence and development of the TIC in Africa.
Keywords
Media revival, evangelistic seduction, tele-evangelism, proselytism, neo-Pentecostal movement.
En Español
Título
El nuevo giro mediático de la seducción evangélica en Camerún
Resumen
Nuestra investigación es una contribución en el análisis de las prácticas emergentes en la mediatización del evangelio. Mobiliza una aproximación intercultural de la apropiación de las TIC por actores sociales en búsqueda de proselitismo y de propaganda. La problemática mobilizada es la de la seducción en la renovación mediática de los líderes neo-pentecostales. Apoyándonos sobre una observación de las prácticas de la tele-evangelización en Camerún, analizamos los usos sociales emergentes de las medias audiovisuales cuyas finalidades son el proselitismo y la propaganda. Nuestra investigación revela el interés de ir más allá de los análisis deterministas del desarrollo de las TIC, para proponer un análisis intercultural que subraya la contingencia del movimiento de emergencia y de desarrollo de las TIC en África.
Palabras clave
Renovación mediática, seducción evangelista, tele-evangelismo, proselitismo, movimiento neo-pentecostal.
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Téko Henri Tédongmo, Minsongui Simon Pierre Nsoe, «Le renouveau médiatique de la séduction évangélique au Cameroun», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°15/2B, 2014, p.161 à 178, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2014/supplement-b/14-le-renouveau-mediatique-de-la-seduction-evangelique-au-cameroun
Introduction
Que ce soit en Amérique, en Europe, en Asie ou en Afrique, la mobilisation des TIC par des leaders chrétiens s’impose à l’observation comme une parfaite illustration de sa centralité dans le développement d’une nouvelle « théologie spontanée » (Bediako, 2000). Son intérêt et sa pertinence pour les sciences sociales sont de plus en plus reconnus et renouvellent l’intérêt accordé à la thématique de la dynamique technologique de l’offre d’information évangélique.
En Afrique subsaharienne particulièrement, les mouvements néo-pentecôtistes constituent une « nébuleuse mystico-ésotérique » (Champion, 2000, p. 32) qui exprime de nouvelles dynamiques du changement social. La dynamique technologique de l’offre d’information évangélique est à ce titre l’un des phénomènes majeurs des transformations à l’œuvre dans la quotidienneté africaine. Cette dynamique préfigure une domestication culturelle des TIC. Celle-ci se construit socialement tout en construisant aussi le social. L’environnement social et médiatique du Cameroun est assez illustratif de la forte présence des mouvements néo-pentecôtistes et de la création croissante des médias dont la vocation affirmée par les promoteurs est la diffusion de l’évangile.
La principale forme émergente de diffusion à laquelle recourent ces mouvements est la communication audiovisuelle qui s’exprime à travers la création et la gestion de chaînes de télévision. Il s’agit plus précisément du télé-évangélisme. Ce télé-évangélisme est fondamentalement structuré et orienté vers la promotion des services de prophétie, de guérison miraculeuse et de délivrance spirituelle. Il configure de nouvelles formes de diffusion audiovisuelle de l’évangile fondées sur la mythification de « thérapeutes religieux accrédités par leur communauté » (Dericquebourg, 1997, p. 967) et sur l’exaltation d’expériences du surnaturel.
Notre recherche propose une approche interculturelle de l’appropriation des TIC par des acteurs sociaux à des fins de prosélytisme et de propagande. La question qui nous préoccupe est la suivante : pourquoi des leaders des mouvements néo-pentecôtistes s’investissent-ils dans le télé-évangélisme et quels sont les mécanismes de séduction développés par ces derniers ?
Face à cette question, la principale thèse que nous soutenons est la suivante : l’investissement de ces leaders dans le télé-évangélisme se justifie par un environnement favorable au développement de leurs activités. De même, les mécanismes de séduction développés sont des mécanismes communicationnels qui s’inspirent des réalités socioculturelles du Cameroun. Il s’agit pour nous de mener une analyse des usages sociaux de la télévision à des fins de prosélytisme et de propagande dans un environnement marqué par la concurrence. Cette concurrence est caractérisée par une abondance, une pluralité et une diversité d’offre des services de prophétie, de prospérité matérielle, de guérison miraculeuse et de délivrance spirituelle. L’émergence grandissante du phénomène du télé-évangélisme au Cameroun suggère en effet d’interroger les mécanismes d’appropriation des TIC par des acteurs sociaux dont la réussite passe nécessairement par la capacité à séduire des téléspectateurs pour en faire des consommateurs de leurs services.
Notre recherche s’articule en quatre sections. Nous commençons d’abord par une présentation de notre cadre conceptuel. Ensuite, nous procédons à une analyse du contexte d’émergence du télé-évangélisme au Cameroun afin de comprendre les raisons de l’intérêt croissant accordé à cette forme de communication. Après, nous exposons les postures théorique et méthodologique de notre recherche. Enfin, nous présentons et analysons, en nous appuyant sur une observation de dix chaînes de télévision à vocation évangélique dans la ville de Yaoundé et de Douala (Cameroun), les mécanismes audiovisuels de la séduction évangélique.
Cadre conceptuel
Cette première section présente une clarification du concept de séduction et montre la pertinence de sa mobilisation dans l’analyse des pratiques émergentes de la médiatisation de l’évangile.
Le concept de séduction évangélique
Étymologiquement, le mot séduction vient du latin seducere qui signifie littéralement « tirer à l’écart ». Selon le Dictionnaire de la langue française Le Robert pour tous (1994, p. 1024), ce mot renvoie à l’action de séduire, c’est-à-dire de détourner quelqu’un du droit chemin ; d’amener quelqu’un à des relations sexuelles ; de gagner quelqu’un en le persuadant ou en le touchant, en employant tous les moyens de plaire ; d’attirer de façon puissante, irrésistible. Le verbe séduire a pour synonymes les verbes captiver, charmer, fasciner, plaire.
La séduction est un phénomène considéré comme naturel chez les animaux. C’est aussi une pratique sociale que l’on retrouve dans toutes les sociétés. Il s’agit d’une réalité qui est à la base de la reproduction chez les animaux et de la socialité des individus. Il existe à ce titre une abondante littérature sur l’art de la séduction qui présente différentes approches et recettes de la séduction en s’appuyant sur des considérations psychologiques, sociologiques, ethnologiques, anthropologiques ou biologiques. Toutefois, dans le cadre de notre recherche, nous définissons la séduction en tant que mécanisme d’influence.
La séduction comme mécanisme d’influence
En 1955, Elihu Katz et Paul Lazarsfeld dans leur modélisation du processus de communication relevaient l’influence des groupes ou leaders d’opinion dans la transmission des messages médiatiques au grand public. Ils soulignaient ainsi que l’action de communication n’est pas un processus linéaire et automatique ; mais, davantage un processus de médiation dans lequel interviennent des intermédiaires.
Ce modèle suggéra plusieurs années plus tard la théorie de l’ « Agenda Setting » de Mac Comb. Il s’agissait pour cet auteur de décrire « comment se formait l’opinion du public à partir de celle des leaders, par une sorte de phénomène d’identification, de projection ou de mimesis aristotélicienne » (Michel, 2007-2008, p. 25). Les contributions significatives de cette théorie à l’analyse du processus de communication furent la découverte et l’analyse des mécanismes d’influence.
Avec l’émergence de la Nouvelle économie caractérisée par la consécration de l’immatériel, les mécanismes d’influence sont de plus en plus mobilisés pour façonner les émotions et les perceptions ; pour déterminer les valeurs culturelles et spirituelles. Ces mécanismes constituent ce que Charles Golfinger (1994, p. 9) appelle « l’essence de l’économie moderne ». Parmi ces mécanismes d’influence se trouve la séduction.
Selon Marie-Hélène Colson (2009, p. 194), la séduction dans le contexte contemporain peut être considérée comme « un acte de communication inscrit au sein d’un vaste registre que se disputent les publicistes et les hommes politiques, tout autant que les amants ». Il s’agit d’une forme d’influence subtile qui consiste à obtenir l’adhésion d’autrui à une idée ou à un projet par le biais de stimuli qui peuvent être audio, visuel, olfactif, etc. En d’autres termes, il s’agit de créer chez autrui le désir et l’envie de se comporter tel que nous le souhaitons.
La séduction peut donc être considérée comme «… une force, une œuvre puissante. Au cœur de notre désir de vie, elle se fait langage pour exprimer la force qui nous pousse vers l’autre, vers les autres » (Colson, 2009, p. 194). Dans le domaine des relations amoureuses par exemple, plusieurs chercheurs ont mis en exergue les « love signals » (Givens, 2005) et les gestes et techniques qui créent chez le partenaire convoité le désir et l’envie de succomber au charme du dragueur.
En nous appuyant sur cette conception de la séduction, nous allons au-delà des stéréotypes généralement développés dans le domaine des relations amoureuses pour considérer la séduction comme une action de communication. Celle-ci « s’élabore sur des normes à la fois sociales et/ou esthétiques qui fournissent un cadre de références et de symboles dans une société donnée. En conséquence, elle possède par nature un caractère évolutif, car dépendante elle demeure soumise à des canons esthétiques et à divers codes tels que le vêtement, la bienséance, la mode » (Boëtsch, Guilhem, 2005, p. 181). Nous mobilisons cette conception de la séduction dans le domaine de la vie religieuse afin de mettre en exergue les gestes et les techniques qui créent chez le potentiel fidèle convoité, le désir et l’envie de succomber au message d’un leader spirituel en quête de fidèles.
La séduction comme mécanisme d’influence évangélique
Appliquer le concept de séduction dans le domaine de la vie religieuse consiste, comme nous l’avons précisé plus haut, à mettre en exergue les gestes et les techniques qui créent chez le potentiel fidèle convoité, le désir et l’envie de succomber au message d’un leader spirituel en quête de fidèles.
Avec ce que David Barett (1982) appelle « le changement moderne du centre de gravité du christianisme » de l’Occident vers l’Afrique, on observe depuis déjà quelques décennies dans les sociétés africaines, l’émergence d’un christianisme évangélique qui se caractérise par un « spiritualisme jouissif et dansant » (Kä, 2006, p. 204) et par des « mystiques charismatico-pentecôtistes venues du christianisme populaire de type américain où prédominent les logiques du témoignage, de la séduction, de la fascination et des dynamiques de louanges » (Kä, 1999, p. 113).
La problématique de la séduction évangélique est récurrente dans les analyses contemporaines du fait religieux et de la modernité. Pour Albert Samuel (1996), les différentes formes d’expression des religions que l’on observe dans le contexte contemporain remettent en question les théorisations classiques du fait religieux. Dans une analyse de l’influence du religieux sur les croyances actuelles, Jacky Cordonnier (2002) montre comment se construit la culture religieuse et relève les mécanismes d’influence mobilisés par les leaders religieux.
Francis Bailet (2000) quant à lui interroge, en s’appuyant sur la Bible, la relation complexe que les mouvements évangéliques entretiennent avec l’argent et les stratégies qu’ils développent au quotidien pour s’enrichir. L’auteur précise à cet effet que « notre temps est le temps de la séduction, dans bien de domaines » (Bailet, 2000, p. 1).
André Mary (1998) dans une analyse anthropologique du procès de diabolisation des forces du paganisme au Gabon, s’appuie sur la sorcellerie et la démonologie qu’il considère comme des catégories de la modernité africaine pour montrer comment « Les Églises prophétiques et les mouvements de Réveil participent au « retour du diable » sur la scène religieuse africaine d’aujourd’hui » (Mary, 1998, p. 1). L’auteur rappelle à ce titre que dans le quotidien africain d’aujourd’hui, « Les sorciers et les féticheurs, le Diable et les démons, sont des “réalités” omniprésentes ».
Cette nouvelle forme de christianisme, dont la nature et les modalités de subjectivation et de rationalisation diffèrent fondamentalement du christianisme conventionnel, donne lieu à une forte émulation et à un déploiement concurrentiel de prophètes, de pasteurs et d’évêques qui créent des églises, des mouvements ou des ministères. Ceux-ci sont essentiellement orientés vers la résolution spirituelle des problèmes sociaux, économiques et métaphysiques auxquels sont confrontées les populations. Cette nouvelle forme de christianisme selon Joseph Tonda (2002) constitue une « économie des miracles ».
Le nombre croissant de ces leaders crée une situation de concurrence qui oblige chacun d’entre eux à développer chaque jour des outils de plus en plus efficaces afin de mieux se faire connaître et mieux promouvoir ses services. Dans cette dynamique de concurrence, ces leaders développent des mécanismes d’influence dont la forme la plus expressive est la séduction. Celle-ci mobilise « les sens humains, notamment le champ du visuel, pour capturer l’autre, interpréter ses réactions verbales ou gestuelles et réagir en fonction des effets produits sur le récepteur en adaptant ses propres comportements » (Boëtsch, Guilhem, 2005, p. 181).
Ainsi, nous entendons par séduction évangélique l’ensemble des messages et techniques d’auto-exaltation de soi, émis par un leader d’un mouvement évangélique afin de convaincre le public de son potentiel mystico-curatif et de la crédibilité biblique de sa capacité à résoudre tous les problèmes possibles. En nous appuyant sur cette définition, nous analysons la séduction évangélique à partir d’une approche interculturelle de l’émergence du télé-évangélisme au Cameroun.
Positionnements théorique et méthodologique de la recherche
Notre recherche s’inscrit dans une approche interculturelle de l’appropriation des TIC par des acteurs sociaux. La principale thèse que nous soutenons est la suivante : l’investissement de ces leaders dans le télé-évangélisme se justifie par un environnement favorable au développement de leurs activités. De même, les mécanismes de séduction développés sont des mécanismes communicationnels qui s’inspirent des réalités socioculturelles du Cameroun. En vue d’éprouver cette proposition à la réalité, nous inscrivons notre recherche dans un cadre théorique et dans un cadre méthodologique dont il convient de préciser les contours.
Cadre théorique
Notre recherche s’inscrit dans une logique de prolongement de la théorie de l’ « Agenda Setting » de Mac Comb. Il s’agit pour nous de mener une analyse qui s’appuie sur le postulat du transfert du pivot de l’acte communicatif de l’émetteur au récepteur dans une approche dialectique et dynamique, construite autour des notions d’identification, de projection ou de transfert et de distanciation personnelle.
Nous envisageons ces notions dans une approche interculturelle de la communication. Celle-ci souligne la prégnance des variables socioculturelles dans l’agenda des télé-évangélistes qui influencent le contenu du message diffusé par la télévision en destination du public et contribuent à leur mise en forme. Il s’agit plus concrètement de montrer, à la suite des travaux de George Gerbner (1984) sur l’influence à long terme de la télévision, que l’univers du télé-évangélisme n’est « ni évangélique, ni rousseauiste » (Michel, 2007-2008), mais est essentiellement caractérisé par des rhétoriques de l’influence développées par les télé-évangélistes pour créer et maintenir leur pouvoir sur le public.
Cadre méthodologique
Dans la démarche empirico-contextuelle de notre recherche, dix chaînes de télévision à vocation évangélique nous intéressent. En choisissant de nous intéresser à ces chaînes de télévision, nous sommes tenus par le souci de mettre en relief des informations relatives aux enjeux communicationnels du télé-évangélisme tel qu’il se déploie au Cameroun.
Plutôt que de rechercher un échantillon visant une représentativité statistique, nous avons choisi des cas pouvant le mieux exprimer ce phénomène. Ces dix cas sont sélectionnés dans la ville de Yaoundé (cinq cas) et dans la ville de Douala (cinq cas), respectivement capitale politique et capitale économique du Cameroun. Les critères ayant prévalu à leur sélection sont les suivants : leur ancienneté (exister depuis au moins trois ans), la taille du territoire couvert (émettre au-delà d’une région au moins), la régularité de leurs programmes et émissions et l’ancrage social du promoteur en tant que pasteur, ou prophète.
Les informations recueillies lors des différents entretiens ont été complétées par une analyse des documents sur chaque télévision et par un entretien avec les personnes ayant vécu leurs expériences. L’anonymat a été requis à la demande des enquêtés qui nous soupçonnaient d’être à la solde de leurs concurrents ou de la police.
Le contexte d’émergence du télé-évangélisme au Cameroun
La mobilisation des médias à des fins d’évangélisation n’est pas récente. Le souci de transmettre l’histoire de la vie de Jésus aux prochaines générations a dès le premier siècle motivé des scribes à mettre par écrit ce qu’ils avaient vécu ou entendu. À la suite de ces écrits de restitution de l’histoire de la vie de Jésus, les épîtres de Paul, de Pierre, de Tite, de Jean et de Jacques furent diffusées sous la forme de correspondances que s’échangeaient des communautés chrétiennes.
Avec le développement en 1450 des lettres en fonte pour la composition des textes et la transformation d’une presse à vin en presse d’imprimerie par Jean Gutenberg, « il fut donc possible, écrit Kürschner-Pelkmann, de composer des textes avec des lettres réutilisables et les imprimer en grand nombre » (Kürschner-Pelkmann, 2001, p. 13). Cette découverte marqua un tournant décisif dans la mobilisation des médias à des fins d’évangélisation et le travail médiatique connut un essor prodigieux à travers la création des imprimeries, des chaînes de radio et de télévision chrétiennes et même de la création de sites pour la diffusion de l’évangile via Internet.
Le phénomène du télé-évangélisme qui nous intéresse n’est pas une exception camerounaise. Il s’agit d’un phénomène spécifiquement américain à l’origine qui s’inscrit dans la mobilisation des médias à des fins d’évangélisation et plus particulièrement, dans la dynamique technologique de l’offre d’information évangélique. Plusieurs télé-évangélistes célèbres peuvent ici être cités : Reinhard Bonnke, le prêtre catholique Charles Coughlin, l’archevêque catholique américain Fulton Sheen, Peter Popoff, Jim Bakker, Jimmy Swaggart, Pat Robertson, Jerry Falwell, T.B. Joshua, Pastor Chris, etc.
Le cas du Cameroun est davantage singulier et illustratif qu’exceptionnel. L’émergence du télé-évangélisme dans cet environnement tient à des variables assez complexes, mais qui sont surtout liées aux réalités institutionnelle et socio-anthropologique d’un environnement caractérisé par une forte croissance de médias et d’organisations religieux illégaux et par une forte demande des services de prophéties, de guérisons miraculeuses et de délivrances spirituelles.
Cadre institutionnel
Le secteur de l’audiovisuel au Cameroun est régi par le décret n° 2000/158 du 03 avril 2000 fixant les conditions et les modalités de création et d’exploitation des entreprises privées de communication audiovisuelle. Les activités de communication audiovisuelle consistent, selon ce décret, en la production, la diffusion et le transport des programmes de radiodiffusion sonore et de télévision destinés à être reçus par le public (Article 2).
Ce décret précise également que les activités de communication audiovisuelle sont subordonnées à l’obtention d’une licence délivrée par arrêté du ministre chargé de la communication après avis motivé du Conseil national de la Communication (CNC) (Article 8), la durée de la licence étant de cinq ans pour la radiodiffusion sonore et de dix ans pour la télévision (Article 9 (1)). Malgré l’existence de ce décret, seules trois chaînes de télévision disposent actuellement jusqu’à nos jours d’un agrément d’émettre (Cameroon Radio Télévision, Canal 2 International et STV) sur plus d’une cinquantaine de chaînes de télévision qui émettent au Cameroun.
Le domaine du télé-évangélisme particulièrement se caractérise avant tout par une telle situation très grande d’illégalité, puisqu’aucune chaîne de télévision à vocation chrétienne ne dispose d’une licence. Pourtant, dans la seule ville de Douala, capitale économique du pays, on dénombre sept chaînes de télévision à vocation évangélique (Canal de vie ; Solution TV ; KINGSHIP International ; Liberty TV ; Gloire de Dieu ; Love chapel TV ; Glory TV, etc.) et plus d’une quinzaine dans la ville de Yaoundé, capitale politique (eliphaz TV, Divine TV, TTV, Christ TV, Kanodi TV, etc.).
Ces chaînes de télévision sont créées et exploitées par des leaders d’églises ou de mouvements. Elles existent et fonctionnent dans l’illégalité. En effet, seules quarante-sept organisations religieuses sont autorisées au Cameroun. Cependant, aucune de ces organisations religieuses légales ne dispose d’une chaîne de télévision qui lui soit propre. Certaines parmi elles diffusent quelques émissions et programmes à travers des chaînes de télévision à capitaux publics ou à capitaux privés.
Le télé-évangélisme au Cameroun est une spécialité des mouvements évangéliques illégaux qui construisent au quotidien la légitimation sociale de leur existence et de leurs activités à travers des programmes audiovisuels dont le principal objectif est de susciter et d’obtenir l’adhésion de la population camerounaise.
Ainsi, c’est dans un environnement d’illégalité et d’informalité, entretenues par l’impuissance des pouvoirs publics dans le contrôle et la régulation du secteur religieux et du secteur audiovisuel que le télé-évangélisme émerge au Cameroun. Il s’agit d’un phénomène qui prend de l’ampleur et qui trouve dans les réalités socio-anthropologiques du Cameroun, un terrain fertile d’expression.
Cadre socio-anthropologique
L’environnement social camerounais actuel est caractérisé par une forte demande des services de prophéties, de guérisons miraculeuses et de délivrances spirituelles. Cette caractéristique que l’on retrouve à la fois dans les sociétés occidentales et africaines exprime, selon Danièle Hervieu-Léger (1983), une des multiples manifestations de la crise de la modernité et du désenchantement du monde. Pour Albert De Surgy (1997, p. 7), « en dépit du progrès scientifique et technique, et de l’enseignement obligatoire, des personnes de tous les milieux continuent d’échapper à l’insatisfaction et au malheur en recourant à des forces ou entités mystérieuses ».
Le recours à ces forces ou entités mystérieuses est fortement impulsé depuis quelques décennies au Cameroun par une conception socio-anthropologique de la cosmogonie qui voit en chaque problème auquel l’homme fait face, un problème ayant une source et une solution spirituelles. Selon Priscille Djomhoué (2009, p. 1), « Lorsqu’on parcourt les rues des villes camerounaises, on est marqué par le nombre d’affiches publicitaires dont l’essentiel repose sur des promesses de guérison miraculeuse pour les malades, ainsi que la résolution miraculeuse des problèmes multiformes».
80% des télé-évangélistes rencontrés dans le cadre de notre recherche expriment cette conception socio-anthropologique de la cosmogonie. Pour le prophète Alain Ngombe, fondateur d’un Ministère de la délivrancepuis 2008 et télé-évangéliste :
« Nous sommes entourés de forces démoniaques qui n’hésitent pas à nous menacer pour détruire notre vie. Quand vous voyez un enfant intelligent échouer à un examen plusieurs fois, c’est à cause d’un démon. Quand vous voyez une femme qui est belle mais qui ne peut pas se marier, c’est un démon qui est derrière tout ça. Même les jeunes qui ne trouvent pas du travail, c’est à cause des démons. »
Pour l’évêque Théophile Atangana, télé-évangéliste :
« Si nous parlons beaucoup des démons, c’est parce que les gens en souffrent. Il y a des gens qui sont venus me voir parce qu’ils essayaient d’aller en Europe depuis en vain. Mais, dès que j’ai prié et chassé l’esprit de stagnation qui bloquait leur vie, ils ont pu voyager. Ceux qui ne croient pas en l’existence des démons sont des ignorants. Rien n’arrive pour rien ! On dit souvent qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Quelqu’un ne peut pas tomber malade pour rien ! Quelqu’un ne peut pas avoir une vie malheureuse pour rien ! Dieu nous a créés pour que nous soyons heureux, mais les démons ne veulent pas nous voir heureux. »
Ces deux fragments de discours traduisent l’intérêt de la délivrance spirituelle. Celle-ci est considérée comme la principale thérapie à tous les problèmes quelle que soit leur nature. Une telle thérapie s’inscrit dans une dynamique de construction et d’entretien d’un imaginaire sorcellaire qui apparaît de plus en plus comme une variable structurante de la modernité africaine (Mary, 1998 ; Geschiere, 2000).
La délivrance spirituelle est opérée par un spécialiste, un man of God qui a reçu l’onction du Saint-Esprit, le rendant capable d’identifier la racine spirituelle de tout problème et d’apporter une thérapie spirituelle adaptée. La thérapie peut être la consommation par le patient d’une bouteille d’eau ou de l’huile d’olive bénie par le man of God. Elle peut aussi être une imposition de mains sur la tête du patient ou encore des prières prononcées sur la photographie d’un patient.
Toutes ces formes de thérapies, qui renvoient à la fois aux thérapies de la médecine traditionnelle africaine, à l’exorcisme de l’église catholique romaine et à quelques scènes de guérisons extraites de la Bible, constituent une spécialité mystico-curative dans laquelle les leaders du mouvement néo-pentecôtiste excellent. Rappelons à cet effet que le mouvement néo-pentecôtiste est un mouvement récent dissident du pentecôtisme occidental de « recomposition de la religion populaire, qui encourage l’effervescence des pratiques d’exorcisme et de guérison et met l’accent sur la manifestation de la puissance du Saint-Esprit » (Zacka, 2010, p. 25).
Dans le cadre de l’exercice de leur mission divine, les leaders de ce mouvement considèrent le télé-évangélisme comme une méthode efficace de diffusion de l’évangile. Il s’agit pour eux de « rendre l’évangile accessible à tous » (pasteur Valentin Abessolo) ; de « montrer la puissance de Dieu » (prophète Christian Simo) ; de « sauver les gens des forces démoniaques » (évêque Théophile Atangana), de « montrer que Jésus est la solution à tous nos problèmes » (prophète Christian Simo). Pour ceux-ci, la télévision tout comme les autres outils de communication doivent être « puissamment utilisés pour l’œuvre de Dieu ». Selon l’évêque Théophile Atangana :
« Avec la télévision, c’est plus facile pour nous de diffuser nos messages et de montrer la manifestation de la puissance de l’onction de Dieu que nous avons. Quand les gens voient ce que nous faisons à la télé, ils ont envie de venir nous rencontrer pour leurs problèmes. La plupart des gens que nous recevons nous ont vus à la télé. »
La télévision apparaît ici comme un outil qui permet de mieux transmettre un message à des populations peu enclines à la lecture des textes écrits. Le caractère jouissif, envoûtant et impressionnant du néo-pentecôtisme s’exprime dans toutes ses dimensions à travers la télévision. Le télé-évangélisme représente dès lors une vitrine d’observation de la rupture d’avec la théologie académique. Les programmes sensationnels et émotifs diffusés par ces chaînes de télévision insistent sur les possessions démoniaques, sur la sorcellerie et sur la nécessité de solliciter les services des leaders néo-pentecôtistes. Ces éléments sur lesquels ils insistent constituent des préoccupations majeures pour les populations camerounaises.
Ces préoccupations d’ordre naturel, matériel et existentiel auxquelles ces leaders proposent des solutions constituent un ensemble de réalités peu explorées et peu exploitées par les « églises historiques ou missionnaires issues des missions occidentales » (Zacka, 2010, p. 25). Cet ensemble constitue pour les leaders du mouvement néo-pentecôtiste une niche explorée et exploitée puisqu’il s’agit des problèmes pour lesquels les populations sont prêtes à consentir tous les sacrifices nécessaires pour leur résolution. La principale motivation qui pousse ces leaders à investir dans le télé-évangélisme est le désir d’exploiter une opportunité socio-anthropologique de la souffrance qui existe dans le contexte camerounais.
Les mécanismes audiovisuels de la séduction évangélique au Cameroun
Dans l’environnement camerounais, il ne suffit pas seulement de créer une chaîne de télévision à vocation évangélique. Même si l’environnement est favorable à l’émergence du télé-évangélisme, toutes les chaînes de télévision créées à cet effet n’ont pas la même durée de vie ni la même popularité. Certaines émettent et disparaissent en moins d’un an, d’autres émettent depuis déjà sept ans, d’autres encore sont disponibles via les câblodistributeurs locaux, d’autres enfin ne sont disponibles que dans le quartier où elles sont installées. De ce fait, il est intéressant d’identifier et d’analyser les rhétoriques de l’influence développées par ces télé-évangélistes pour créer et maintenir leur pouvoir sur le public et assurer la survie de leur média, étant donné qu’un média ne peut survivre que s’il a des sources de financements stables et régulières qui lui permettent d’assurer son bon fonctionnement.
La dynamique de création et de gestion d’une chaîne de télévision à vocation évangélique
Le marché de l’offre télé-évangélique au Cameroun est un marché de forme oligopolistique, c’est-à-dire qu’il se caractérise par une présence d’un nombre limité d’acteurs capables de créer des chaînes de télévision pouvant influencer ce marché. Ce qui est déterminant dans la forme oligopolistique de ce marché, c’est la notion d’interdépendance.
Chaque promoteur prend en considération les réactions de ses concurrents pour déployer sa stratégie de conquête de l’univers des consommateurs. Il tient compte des attitudes des autres pour construire ses discours médiatiques et considère les effets de sa propre attitude sur celle des autres. Toutefois, du fait qu’il n’existe pas de coordination entre ces promoteurs, on a alors un oligopole incoordonné. Aucune entente n’existe entre ces promoteurs et il n’y a pas de promoteur pilote pouvant imposer sa stratégie médiatique aux autres. Il existe une incertitude des promoteurs sur le comportement de leurs concurrents.
Le positionnement d’un télé-évangéliste sur un segment du marché de l’offre télé-évangélique est déterminé par rapport à la concurrence. Cette concurrence est gérée ici avec beaucoup de délicatesse par les télé-évangélistes. Le fonctionnement global de leur marché dépendant du bon fonctionnement de chacune des composantes, il ne se manifeste aucune forme d’atteinte à l’activité des uns et des autres. Chacun sait qu’en manquant de loyauté envers les autres ou en les critiquant, il portera atteinte à l’harmonie de la totalité. Par conséquent la survie de son activité serait menacée, puisqu’ils sont tous dans une situation d’illégalité et qu’ils développent tous des stratégies commerciales qui trouvent leur légitimité dans un contexte social qui leur est commun. La concurrence se fait donc au niveau des programmes diffusés et des modes de publicisation.
Le projet de création d’une chaîne de télévision à vocation évangélique s’inscrit toujours à la suite de la création d’une église ou d’un mouvement par un leader. La télévision est créée dans le but de rendre plus visibles les activités du leader. L’idée de création du média vient le plus souvent (80% des 10 cas étudiés) d’un ou de plusieurs fidèles, membres du mouvement du leader. Il s’agit des fidèles qui ont des informations et des compétences relatives à la création et à la gestion d’une chaîne de télévision. Le récit de la création de la chaîne de télévision Gloire et salut du prophète Christian Simo est assez illustratif de cette dynamique de création :
« Quand j’ai commencé mon ministère au Cameroun, je n’avais pas de chaîne de télévision. Je voyais d’autres pasteurs et prophètes qui diffusaient leurs activités à traves leurs chaînes de télévision et j’étais sûr qu’il fallait avoir beaucoup d’argent pour créer une chaîne de télévision. Pour certaines des activités que j’avais à organiser, je faisais passer les annonces dans des radios privées ou dans des chaînes de télévision privées. J’avais aussi constaté que quand je passais par la télé pour annoncer une activité, beaucoup de gens venaient.
Un jour il y a le frère Jude, un membre de ma communauté, qui est venu me voir et m’a dit que je n’avais pas besoin de passer par des médias pour diffuser mes annonces parce que cela me revenait cher. Il était, à ce moment là, réalisateur dans une chaîne de télévision privée. Il me proposa deux jours plus tard un devis du matériel nécessaire pour créer une chaîne de télévision. Le même soir, j’en ai parlé aux membres de la communauté et nous avons beaucoup prié pour demander l’aide de Dieu. Au fur et à mesure que le temps passait, des membres de la communauté faisaient des dons volontaires et au bout de 6 mois notre chaîne de télévision était opérationnelle. »
Cette chaîne de télévision existe depuis 2006 et émet à travers le réseau des câblodistributeurs locaux. Logée dans un bâtiment en plein centre ville, seule une petite plaque portant le nom de cette chaîne de télévision indique son existence.
À l’intérieur, c’est une salle divisée en deux par un rideau qui abrite tout le matériel technique et un petit espace réservé aux émissions. Le personnel n’est composé que de deux techniciens qui se relayent toutes les douze heures et qui s’occupent du montage, de la diffusion, de la transmission et de l’archivage. Deux présentateurs interviennent souvent pour certaines émissions. Les cameramen qui prennent les images assurent également la couverture médiatique de toutes les autres activités réalisées au siège de l’église.
La gestion administrative est assurée par un membre de la communauté. Ces chaînes de télévision n’ayant pas pour vocation de faire de l’argent, il n’existe pas un comptable. Celles-ci sont en fait considérées comme le prolongement des infrastructures du mouvement et les charges incombent à la trésorerie du mouvement.
Toutes les autres chaînes de télévision identifiées et observées pendant la réalisation de notre recherche correspondent à la description de la chaîne de télévision Gloire et salut. Le nom de la chaîne de télévision s’inspire de la Bible pour rappeler qu’il s’agit d’une télévision chrétienne (Canal de vie ; Solution TV ; KINGSHIP International ; Liberty TV ; Gloire de Dieu ; Love chapel TV ; Glory TV ; etc). D’après l’évêque Théophile Atangana, promoteur d’une chaîne de télévision chrétienne, « nous ne choisissons pas le nom de notre télévision au hasard. Le nom indique que c’est une télévision au service de Dieu ; une télévision qui est créée pour impacter la vie des gens ».
De manière générale, la création et la gestion d’une chaîne de télévision à vocation évangélique suivent une démarche assez particulière. L’identification de l’opportunité de la création n’existe pas en soi. Elle est davantage une construction sociale qui est le produit des « interactions sociales et des confrontations entre les porteurs du projet d’entreprendre et leur contexte d’évolution » (Verstraete, Fayolle, 2005, p. 35).
L’information occupe ici une place centrale dans l’identification de cette opportunité. Cette information est fournie par des membres du mouvement qui s’inspirent de leurs expériences passées. À cet effet, c’est le capital social qui permet aux leaders d’accéder à des ressources et opportunités jusque-là inconnues.
Les critères du choix de création d’une chaîne de télévision peuvent être envisagés en termes d’« avantages comparatifs » (Smith, 1859). Dans ce registre, le télé-évangélisme est comme : « un processus d’allocation rationnelle de ressources rares à usage alternatif par des sujets qui cherchent à obtenir le maximum des moyens dont ils disposent – en vue de satisfaire leurs objectifs de travail et de consommation, c’est-à-dire leur utilité » (Trigilia, 2002). En fonction des ressources dont il dispose, chaque leader-promoteur d’une chaîne de télévision cherche à faire « les meilleurs choix possibles, du point de vue de ses préférences » (Simon, 1982, p. 98).
Ainsi, la création d’une chaîne de télévision à vocation évangélique est le résultat d’un processus continu qui procède de l’action des individus, de la dynamique de leurs échanges et de la mobilisation de leurs représentations et de leurs connaissances. Il devient dès lors intéressant de voir comment ces individus justifient leurs actions, choix et comportements et comment ils les rendent recevables et valables. Cette « pragmatique » (Boltanski, 1991), part du principe que les opérations de dévoilement des motifs réels ne sont pas l’apanage exclusif des chercheurs et qu’elles sont aussi pratiquées quotidiennement par les télé-évangélistes.
Les mécanismes de survie
La survie de la chaîne de télévision dépend du dynamisme du leader et vice-versa. Une chaîne de télévision qui présente régulièrement des activités nouvelles du leader permet d’apprécier le dynamisme de ce dernier sur le terrain. Les mécanismes de survie développés pour le fonctionnement de la chaîne de télévision sont identiques à ceux développés pour la survie du mouvement. Le mouvement ne vit que des dons de ses membres et pour avoir plus de financements, le leader attire plus de personnes dans son mouvement. C’est à ce niveau qu’on observe des stratégies de prosélytisme essentiellement orientées vers la conquête de nouveaux bailleurs de fonds.
Toutes les couches sociales et toutes les catégories sociales sont interpellées à travers des programmes dont le but est de créer chez eux la pression de la nécessité. Cependant, il convient de distinguer ici, comme l’avait déjà souligné John Fiske (1987), les programmes de télévision et les textes télévisuels. Selon John Fiske (1987), le programme de télévision est produit par le producteur de télévision et le texte télévisuel est une combinaison de codes que doit décoder le lecteur-téléspectateur.
Dans le cas du télé-évangélisme camerounais, l’élaboration des programmes repose sur l’existence d’un actif économique qu’on peut nommer le goût religieux et qui renvoie à la préférence religieuse. Ce goût peut être analysé comme une forme de capital qui s’accumule du simple fait de sa consommation.
Les programmes sont essentiellement des reprises des programmes que l’on retrouve dans les chaînes de télévision à vocation évangélique depuis leur émergence aux États-Unis. Il s’agit notamment des programmes qui présentent des séances d’évangélisation ; des séances de délivrance ; des témoignages ; des prophéties ; des séances d’étude biblique ; des séances de prières en direct avec une ligne téléphonique ouverte pour les appels.
Tous ces programmes sont diffusés en boucle et les intermèdes sont meublées par des annonces d’activités, par la publicité sur les capacités du leader, par de la musique chrétienne et souvent par la diffusion de films chrétiens et même de films non chrétiens, à l’instar de la série américaine 24h chrono diffusée par Kanodi TV, l’une de ces chaînes de télévision camerounaise.
Certaines émissions présentent une interview du leader. Ce dernier est interrogé par l’un de ses fidèles qui, à l’occasion, a une casquette de journaliste. Ces interviews sont plus des mises en scène puisqu’aucune question embarrassante n’est posée au leader. Il est interrogé sur ses activités, sur l’origine de son pouvoir et sur sa crédibilité. C’est généralement l’occasion pour lui de rappeler qu’il tient son pouvoir du Saint-Esprit, que ceux qui le critiquent sont des jaloux ou des ignorants, qu’il est le plus puissant, qu’il a une dimension internationale parce qu’il voyage beaucoup, qu’il est un vrai homme de Dieu parce qu’il est riche et élégant et qu’il ne gagne rien de tout ce qu’il fait. Ces signes étant selon lui les preuves de l’œuvre de Dieu dans sa vie.
La télévision est, pour ces leaders, l’outil qui leur permet de mieux se faire connaître. Ils interviennent dans leur chaîne de télévision quand ils veulent. Les programmes en général ne visent qu’à exalter leurs prouesses. Pendant une séance de délivrance, le patient est envahi par des caméras et par des microphones. Tout ce qu’il dit et fait est relayé avec emphase. La caméra est à l’affût de tous ses moindres gestes. Toute l’assemblée est surexcitée par une musique envoûtante jouée par un orchestre ; l’interprète traduit tout ce que le patient dit soit en anglais, soit en français ; de temps en temps, le leader prononce à haute voix des paroles dans une langue qu’il semble seul comprendre ; en chœur l’assemblée crie « Alléluia ! » ou « Amen ! » en réponse aux paroles du leader.
Tout se déroule comme un film dont le scénario est connu à l’avance. À l’aide d’un microphone, le leader s’exprime en un langage circonstanciel riche et varié, mais qui constitue une registre sémantique à la mode dans les mouvements néo-pentecôtistes : « esprit de Satan, sort de ce corps au nom de Jésus ! » ; « Au nom de Jésus, je détruis tout ce mal ! » ; « In the name of Jesus ! » ; « Be free in Jesus name ! » ; « Be delivered ! » ; « Holy ghost fire ! » ; « Out ! Out !», etc.
Ce registre sémantique mobilisé, qui s’inspire des métaphores d’une guerre entre le mal et bien, entre les forces divines et les forces des ténèbres, s’adresse à un public et à une communauté de goût dont les préférences religieuses prédisposent à la compréhension. Il s’opère à cet effet une réappropriation de ces discours médiatiques par un public qui traduit ses préoccupations quotidiennes dans un langage mystico-curatif qui consiste en une théorisation spirituelle de la vie.
Cette théorisation spirituelle de la vie est nourrie par une démarche socio-sémiotique des chaînes de télévision à vocation évangélique qui diffusent des messages dont toutes les catégories et couches sociales peuvent se sentir concernées. Dans cette logique, aux pauvres, on leur demande de venir recevoir l’onction de Dieu afin de devenir riches ; aux élèves et étudiants, on leur dit que s’ils ont échoué c’est à cause d’un démon ; aux célibataires, on leur promet le mariage si ils ou elles viennent subir une délivrance ; aux riches, on leur demande de contribuer à l’œuvre de Dieu afin d’être davantage bénis.
Les programmes télévisés sont à ce titre des occasions pendant lesquelles le leader démontre, à partir des séances d’exorcisme et de délivrance réalisées en direct, la nécessité de faire recours à ses services. Les patients sélectionnés sont des individus auxquels tout membre de la société peut se reconnaître : des enfants, des adultes, des riches, des pauvres, des chômeurs, etc.
L’intérêt que nous accordons aux différentes figures prises par l’imaginaire quotidien du télé-évangélisme ne vise pas à privilégier les catégories de l’absurde, mais à accorder un statut à une cartographie des discours très souvent réduite à l’irrationalité d’une révolution sacerdotale. La signification que l’on peut attribuer à tel ou tel comportement des promoteurs dépasse le cadre étroit de l’intersubjectivité et met en relation l’organisation de la mémoire, le raisonnement pratique et la parole.
La réduction « évangélico-rousseauiste » étant évacuée ici, il est possible de redéfinir l’intention de ces promoteurs en relevant que même dans la communication à vocation évangélique, contrairement à l’évidence commune, les promoteurs se déploient aussi suivant la recherche d’un intérêt capitaliste. C’est-à-dire selon une rationalité spécifiquement motivée par une matrice des gains individuels qui trouve toute sa consistance dans un système de valeurs propre à l’environnement social dans lequel ces promoteurs évoluent.
Ceci implique qu’on ne peut comprendre les sociabilités esthétiques des télé-évangélistes et leurs modes de publicisation que si on se donne tout d’abord le système d’interaction auquel ils appartiennent. Loin de soutenir que ce système les détermine exclusivement, il est plutôt question de soutenir que chacun de ces acteurs, selon les enjeux de la médiation commerciale de ses activités et de ses services, prend la décision la plus adaptée en tenant compte de ses intérêts tels qu’il les conçoit. Le langage utilisé dans ce sens est un langage « polyphonique » (Ducrot, 1995) parce qu’argumentatif et constitué d’une multiplicité de raisonnements. Ici, les télé-évangélistes sont appelés « à se justifier, à expliquer, clarifier, à faire valoir leurs points de vue, en rendant leurs arguments acceptables par autrui » (Oberson, 2007, p. 2).
Principales constatations et implications
Dans la section précédente, nous avons présenté la dynamique de création et de gestion d’une chaîne de télévision à vocation évangélique. Nous y avons également présenté les mécanismes de survie développés par les promoteurs dans un environnement camerounais marqué par une concurrence qui se caractérise par une abondance, une pluralité et une diversité d’offre des services de prophétie, de prospérité matérielle, de guérison miraculeuse et de délivrance spirituelle.
Après avoir montré que l’investissement des leaders des mouvements néo-pentecôtistes dans le télé-évangélisme se justifie par un environnement favorable au développement de leurs activités, nous avons par la suite montré que les mécanismes de séduction développés sont des mécanismes communicationnels qui s’inspirent des réalités socioculturelles du Cameroun. Notre recherche débouche sur quelques constatations et implications qu’il convient de relever.
La prédominance d’un télé-évangélisme à la camerounaise
Les formes d’expression du phénomène du télé-évangélisme dans l’environnement camerounais sont essentiellement diverses et complexes. L’existence et le fonctionnement de ces chaînes de télévision dans l’illégalité suggèrent qu’une appropriation illégale des TIC à des fins de prosélytisme et de propagande passe nécessairement par la recherche d’une légitimité sociale. Cette légitimité est possible parce que les télé-évangélistes se proposent de résoudre des problèmes réels auxquels font face les populations. Leurs chaînes de télévision deviennent à ce titre des entreprises de communication d’utilité sociale.
En mobilisant des arguments et des techniques socialement valorisés, les télé-évangélistes construisent au quotidien à travers leurs activités, des situations de communication caractérisées par une illégalité avérée. La création d’une chaîne de télévision par un leader n’est ni une stratégie de contournement de la loi, ni une stratégie de violation de la loi. Ceux-ci sont conscients de l’illégalité de leur activité, seulement, au lieu de chercher à contourner la loi, ils mobilisent plutôt des paramètres sociaux et métaphysiques pour en justifier, suscitant ainsi la légitimation sociale de leurs activités. Ils sont ce que Tedongmo Teko (2011) appelle des « homo parametricus ».
Ces leaders, à travers leurs chaînes de télévision, violent par leurs activités le décret n°2000/158 du 03 avril 2000 fixant les conditions et les modalités de création et d’exploitation des entreprises privées de communication audiovisuelle et la loi n° 2006/018 du 29 décembre 2006 régissant la publicité au Cameroun. Cette loi précise en son article 42 que la publicité des médicaments et des établissements pharmaceutiques n’est autorisée que dans les conditions fixées par le ministre de la santé publique après avis du Conseil de l’Ordre des pharmaciens et de l’Ordre national des médecins. Pourtant, le télé-évangélisme à la camerounaise consiste également en la diffusion d’annonces publicitaires en faveur des capacités mystico-curatives du leader ou en faveur de l’eau ou de l’huile bénite qu’il vend et qui est censée soulager tous ceux qui souffrent. Il s’agit là d’une violation flagrante de la loi sus-citée, mais qui n’est pas encore punie par les autorités compétentes.
Le télé-évangélisme au Cameroun est un construit social qui s’intègre dans un ensemble plus vaste de codifications sociales et culturelles en suivant des combinaisons, des dynamiques, des espaces et des trajectoires de vie qui donnent à son émergence un sens encore plus profond : le sens de la complexité. Cette complexité est révélée par les liens prégnants que ce phénomène entretien avec l’environnement socioculturel.
La principale qualité des télé-évangélistes se trouve dans leur capacité à identifier des besoins réels de la population et à en proposer des solutions. À cet effet, le télé-évangélisme tel qu’il s’exprime au Cameroun correspond au modèle socioculturel propre au Cameroun.
Ce phénomène est à la fois générateur de compétences nouvelles et révélateur d’un vide professionnel. En effet, la formation au métier de télé-évangéliste est essentiellement informelle et les compétences s’acquièrent au fil de son exercice. De tous les télé-évangélistes exerçant au Cameroun, aucun n’est passé par une école de formation en communication. C’est par tâtonnement qu’ils s’adaptent, adaptent les téléspectateurs à leurs gestes et mouvements et développent chaque jour de nouvelles techniques de séduction. Dans le domaine de la communication, ce sont des « débrouillards » qui se soucient très peu des techniques et des méthodes académiques de communication. Ils créent, innovent et réussissent à imposer leurs styles dans la conscience collective au point de devenir des modèles pour ceux qui aspirent à exercer ce métier.
La nécessité d’ « interculturaliser » l’analyse du développement des TIC
De notre analyse du télé-évangélisme au Cameroun, il ressort également la nécessité d’ « interculturaliser » l’analyse du développement des TIC. Il n’existe pas de modèle unique et universel d’appropriation des TIC. L’émergence du télé-évangélisme au Cameroun montre que toute appropriation des TIC dans un environnement se fait suivant des besoins à satisfaire, propres à cet environnement et suivant les objectifs communicationnels à atteindre.
Il devient à ce titre intéressant d’insister sur la consistance socioculturelle des TIC. Cela revient à rappeler, comme l’avaient déjà démontré Ithiel de Sola Pool (1977) et Tristan Mattelart (2011), que la prise en compte des logiques de flexibilité est déterminante dans l’analyse du système de production-consommation des produits culturels.
La dynamique de diffusion des programmes et des textes télévisuels à travers le télé-évangélisme au Cameroun se traduit par une articulation des éléments culturels étrangers et des éléments culturels locaux. Ce qui montre que le télé-évangélisme s’inscrit ici dans ce que Ithiel de Sola Pool (1977) appelait le « cycle de diffusion culturelle » qui exprime l’idée selon laquelle, dans le système transnational des médias, les mécanismes de sujétion ne sont pas aussi déterminants comme le soulignaient, dès la fin des années 1960, les théoriciens de l’économie politique critique. Selon cet auteur en effet, « toute culture est le produit d’interactions culturelles, d’enrichissements culturels grâce à l’importation d’éléments étrangers dans la culture nationale » (Pool, 1977, cité par Mattelart, 2011, p. 25).
L’enjeu central du télé-évangélisme dans l’environnement camerounais est étroitement lié à la problématique de l’acculturation. Cette notion a été créée, selon Denys Cuche (2001), en 1880 par l’anthropologue américain Powell, pour désigner la transformation des modes de vie et de pensée des immigrants au contact de la société américaine. Melville J. Herskovits (1950) la définit comme étant « l’ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraînent des changements dans les modèles culturels initiaux de l’un ou des deux groupes ».
À partir de la notion d’acculturation, il devient possible, d’une part, de découvrir les transformations qui s’opèrent dans les secteurs des médias sous l’influence des produits culturels qui viennent d’ailleurs ; et d’autre part, d’apprécier les efforts de redéfinition constante des produits diffusés par les télé-évangélistes camerounais eux-mêmes. Autrement dit, cela revient à s’intéresser à la « contre acculturation », qui intervient « une fois que l’acculturation a produit ses effets : on pourrait parler en ce sens d’«acculturation à rebours » » (Brami, 2000, p. 58). Cette contre acculturation se caractérise par une « indigénisation » (Appadurai, 1996), par une « hybridation » (Canclini, 1990) voire par une camerounisation des flux culturels qui viennent des États-Unis. C’est à partir de cette indigénisation et de cette hybridation que s’opère le processus d’interaction créatrice qui configure des formes locales d’expression du télé-évangélisme au Cameroun.
À travers leurs activités, les télé-évangélistes camerounais montrent que la réussite d’un projet de campagne médiatique passe moins par la maîtrise de techniques et de méthodes sophistiquées que par la maîtrise des codes culturels, des représentations sociales et des catégories de pensée qui prédominent dans le milieu où le communicateur agit.
Un bon communicateur ici est d’abord un bon observateur de la société et un individu qui sait adapter son message aux attentes du public. C’est un communicateur qui ne réussit que parce qu’il est communicateur d’un environnement et pour un environnement. Le communicateur suivant cette logique est toujours un acteur en situation et son acte de communication est une action intentionnelle humaine en situation. Cet homo situs n’existe pas en apesanteur dans un vide structurel. Il est encastré dans le social. Mieux, il est dans le social, par le social et du social. Sa situation singulière est « d’être à la fois ici (sur son territoire, dans son environnement social et institutionnel) et là-bas (dans les horizons ouverts par les échanges, les liens globaux, la perception des marchés extérieurs à son environnement) » (Zalio, 2004, p. 14-15).
Ainsi, l’analyse de l’émergence du télé-évangélisme au Cameroun invite à questionner davantage le développement des TIC suivant le paradigme culturel qui consacre l’obsolescence de l’uniformité de l’appropriation des TIC et relève la contingence socioculturelle des mécanismes d’influence dans le processus communicationnel. Selon André Mary (2005, p. 281), « dans le ré-enchantement post-moderne des métissages, les transgressions subversives de l’hybridité ou dans l’éloge d’un bricolage qui dérive en simples collages, on peut regretter la manière dont se trouvent évacuées la fécondité des malentendus inhérents à toute rencontre et surtout les ambivalences de posture qui travaillent les mondes mêlés et entretiennent leur instabilité ».
Il s’agit enfin d’un projet intellectuel qui recommande d’aller au-delà de la seule reconnaissance de la réalité des mécanismes d’influence dans un processus communicationnel pour interroger leur sociogenèse, leur morphogenèse et leur dynamique dans le temps et dans l’espace.
Conclusion
Dans la réalisation de notre recherche, nous avons retenu le principe de l’agnosticisme méthodologique pour éviter de succomber d’une part à la tentation d’une présentation et d’une analyse subjectives du phénomène étudié ; et d’autre part, au charme d’une analyse prescriptive. Nous n’avons à cet effet présenté que les données susceptibles de servir de base à l’analyse des enjeux communicationnels des chaînes de télévision des mouvements néo-pentecôtistes.
La similarité des données collectées nous a motivés à adopter davantage une démarche analogique qu’une démarche de comparaison. Il est en effet possible de généraliser les données des cas étudiés à l’ensemble des chaînes de télévision des mouvements néo-pentecôtistes installées au Cameroun et même aux pays de l’Afrique subsaharienne, à condition de rester dans le cadre de la problématique de notre recherche.
Il était question pour nous de mobiliser la problématique de la séduction évangélique dans l’analyse de la dynamique technologique de l’offre d’information évangélique. Partant d’une définition générale et triviale du concept de séduction, nous avons présenté une connotation renouvelée de ce concept selon les recherches qui le mobilisent dans l’analyse des relations amoureuses, avant de préciser les contours et la pertinence de la problématique de la séduction évangélique. Une telle problématique s’est avérée intéressante et féconde à partir d’une approche interculturelle qui visait à souligner la prégnance des éléments socioculturels de l’environnement camerounais dans l’appropriation des TIC par des leaders à des fins de prosélytisme et de propagande. Cette appropriation constitue un renouveau médiatique car il s’agit de l’exploitation d’un outil technologique nouveau pour les organisations chrétiennes au Cameroun. Cet outil technologique est exploité par des profanes qui réussissent à le « dompter » à travers une domestication culturelle qui invite à repenser l’analyse du développement des TIC dans une approche interculturelle.
La mise à jour des mécanismes de production symbolique de l’émergence du télé-évangélisme au Cameroun présente, à l’heure de la nouvelle économie un intérêt renouvelé. Si les études ont toujours souligné les logiques d’internationalisation et de commercialisation des médias tel que constaté par Jean-Baptiste Comby (2011-2013), le télé-évangélisme emprunte désormais au registre de l’économie politique, la grammaire d’une économie de plus en plus basée sur la singularité et l’expressivité, tout en élargissant les frontières d’un marché de l’information désormais « globalisé » (Rioux, Sirinelli, 2002).
Notre recherche est en définitive une contribution à « un regard alternatif sur les usages et les manières de consommer les produits culturels » (Miège, 2011). Ce regard alternatif souligne la « pluralisation des pratiques culturelles, informationnelles et communicationnelles » (Miège, 2011, p. 277) dans un environnement où la concurrence en termes d’offre évangélique invite nécessairement à dialectiser la thématique de la dynamique technologique de l’offre d’information évangélique autour des questions de « souveraineté nationale » (Nordenstreng, Schiller, 1979), d’ « autonomie culturelle » (Hamelink, 1983) et de « réception culturelle » (Liebes, Katz, 1990). L’entrée des télé-évangélistes camerounais dans l’économie des contenus préfigure de nouvelles formes d’appropriation des TIC inséparables de l’environnement dans lequel elles émergent.
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Trigilia, Carlo (2002), Sociologie économique, Paris : Armand Colin
Zacka, Jimi Pierre (2010), Possessions démoniaques et exorcismes dans les églises pentecôtistes d’Afrique centrale. Une relecture du « Ministère de la délivrance » à partir de l’Évangile de Marc, Yaoundé : CLE
Zalio, Pierre-Paul (2004), « Territoires et activités économiques. Une approche par la sociologie des entrepreneurs », in Genèses, n° 56, p. 4-27
Auteurs
Henri Tédongmo Téko
.: Docteur en sociologie économique, Henri Tedongmo Teko est également un écrivain poète et essayiste. Membre de l’Association internationale des sociologues de langue française depuis 2010, il est actuellement enseignant au département de sociologie de l’université de Yaoundé 1 au Cameroun. L’entrepreneuriat, les pratiques culturelles et les dynamiques théologiques en contexte africain constituent ses principaux centres d’intérêt.
Simon Pierre Nsoe Minsongui
.: Doctorant en communication, Simon Pierre Nsoe Minsongui est chercheur au laboratoire de communication de l’Université de Douala au Cameroun. Il s’intéresse à la communication d’entreprise.