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Les Médias publics face aux défis du pluralisme et de la convergence au Burkina Faso

17 Fév, 2015

Résumé

Dans tous les pays africains, les médias d’Etat sont confrontés à la montée du pluralisme dans l’offre d’information. Tels qu’hérités du fait colonial, ces médias se trouvent ainsi aujourd’hui à la croisée des chemins de la démocratie et des innovations technologiques. Malheureusement, les médias de service public ne semblent pas tirer les enseignements du passé. Face à cela, les médias privés apparaissent comme étant d’excellents médias pour s’informer mais aussi pour se divertir. Toutefois, la réticence des acteurs des médias publics s’estompe de plus en plus pour mieux faire face à la concurrence. Cette nouvelle démarche de leur part est indispensable pour conserver ou gagner de nouveaux publics. Par ailleurs, la nécessité pour les médias publics de se réadapter au nouveau contexte passe inéluctablement par de nouveaux investissements tant au plan technologique qu’au niveau des ressources humaines. C’est ce qui constitue aujourd’hui un des défis majeurs des médias d’Etat à l’ère du pluralisme et de la convergence.

In English

Title

The State Media in the Context of Challenges related to Pluralism and Convergence in Burkina Fas

Abstract

In all African countries, State media face the rise of pluralism in the production of information. As colonial legacy, they are now at the crossroads of democracy and technological innovations. Yet, State media do not seem to learn from the past. In this context, private media appear as excellent channels not only to inform but also to entertain. However, the reluctance developed by State media managers progressively gives place to competition. This new approach from public media is necessary to maintain or win new audiences. Additionally, the need for State media to be in keeping with the new environment undoubtedly requires new investments both at the level of technology and human resources. In the era of pluralism and convergence, this constitutes now one the major challenges State media should address.

En Español

Título

Los Medios de comunicación públicos ante los retos del pluralismo y de la convergencia en Burkina Faso

Resumen

En todos los países africanos, los medios de comunicación de Estado se enfrentan a la subida del pluralismo en la oferta de información. Como heredados del hecho colonial, estos últimos (los medios de comunicación de Estado) se encuentran así hoy a la encrucijada de caminos de la democracia e innovaciones tecnológicas. Desgraciadamente, los medios de comunicación de servicio público no parecen sacar conclusiones del pasado. Frente a eso, los medios de comunicación privados parecen como excelentes medios de comunicación para informarse y también para divertirse. Sin embargo, la reticencia de los protagonistas de los medios de comunicación públicos se esfuma cada vez más para hacer frente mejor a la competencia. Este nuevo planteamiento, por su parte, es indispensable para conservar o ganar nuevos públicos. Por otra parte, la necesidad para los medios de comunicación públicos de readaptarse al nuevo contexto pasa tanto ineluctablemente por nuevas inversiones al nivel tecnológico como en los recursos humanos. Es lo que constituye, hoy en día, uno de los retos principales de los medios de comunicación de Estado a la era del pluralismo y de la convergencia.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Balima Dimitri Régis, «Les Médias publics face aux défis du pluralisme et de la convergence au Burkina Faso», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°15/2B, , p.147 à 157, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2014/supplement-b/13-les-medias-publics-face-aux-defis-du-pluralisme-et-de-la-convergence-au-burkina-faso

Introduction

Dans tous les pays africains, les médias d’Etat sont confrontés à la montée du pluralisme dans l’offre d’information. Aucun pays, même le plus pauvre ou réfractaire à la démocratie, ne peut faire fi de ce nouveau contexte mondial. Par conséquent, le Burkina Faso vit les bouleversements en cours et a adopté, selon les circonstances, bon gré, mal gré, les mêmes principes et valeurs, en dépit des spécificités nationales et historiques qui le caractérisent.

Les médias d’Etat, tels qu’hérités du fait colonial, se trouvent aujourd’hui à la croisée des chemins de la démocratie et des innovations technologiques. Si aujourd’hui la convergence est d’actualité, c’est parce que le pluralisme est ancré  dans les sociétés modernes. Le thème de la convergence doit donc son existence au pluralisme qui est devenu une norme universelle. « Depuis environ une trentaine d’années, le thème de la convergence, associé à celui de la concurrence, est présent dans l’actualité et fait l’objet d’importants discours de la part des institutions politiques, des responsables économiques, des experts et des chercheurs. »(Bouquillon, 2008, p.151)

Cadre théorique et précisions conceptuelles

Il est impossible d’aborder les questions liées à la convergence, au pluralisme et aux technologies de l’information et de la communication en occultant tous les progrès scientifiques qui les ont favorisés. De toute évidence, « les supports de communication, qui ont été perfectionnés tout au long de l’histoire de l’être humain, sont le fruit d’une invention technique sophistiquée, qu’il s’agisse des pigments servant à la peinture des grottes ornées, il y a plus de 30000 ans, des caractères mobiles, éléments essentiels du système technique de l’imprimerie, du téléphone, de la radio, ou des logiciels qui permettent d’échanger des messages sur internet. » (Breton, Proulx, 2002, p.9). Si l’on admet que la communication a changé le monde, on devrait aussi accepter que tous ces changements soient le fruit de recherches et de progrès scientifiques. La communication, en y intégrant l’ensemble des moyens de transports modernes que nous avons à notre disposition aujourd’hui, est sans doute le domaine qui a le plus profité des prouesses scientifiques.

Ces constatations peuvent être soutenues par l’approche déterministe pour expliquer notre propos. Pour les tenants de cette approche, le développement technologique est issu d’une logique autonome, celle du progrès scientifique. « En ce sens, elle offre une vision « technocentrique » de la société selon laquelle la technique se définit comme le principal catalyseur des changements sociaux » (Caron et alii cité par Martin (dir), 1995, p.18).

Ainsi, selon l’approche déterministe, la technologie se définit comme une cause directe de l’évolution d’une société. En rappel, pour McLuhan, « les transformations sociales historiques s’expliquent par le dominance médiatique de l’époque. (…) Les médias deviennent donc la cause des changements sociaux à travers les époques par l’utilisation d’une forme technologique sous-jacente aux cultures » (Martin (dir), 1995, pp.18-19). Le siècle précédent, fort des nombreuses innovations qui l’ont caractérisé, tend à donner raison aux « déterministes » tant elles ont profondément changé les pratiques sociales. Toutefois, « on ne peut négliger comme Martin le souligne, que les changements sociaux s’expliquent aussi par les conditions économiques, politiques et culturelles dans lesquelles ils surviennent. Les changements liés aux technologies de communication, médiatique ou informatisée, ne font pas exception ». (Martin (dir), 1995, p.20)

Le dictionnaire des médias de Jacques Le Bohec définit la convergence comme la tendance des groupes de médias à combiner les différents supports techniques dans la fabrication et la diffusion des produits. Bernard Miège et Dominique Vinck nous rappellent que le thème de la convergence est apparu dans les conversations scientifiques il y a une dizaine d’années environ et se décline de multiples façons. En ce qui nous concerne, « la même notion de convergence renvoie tour à tour à des phénomènes techniques (la numérisation), économiques (d’une part, la concentration des entreprises œuvrant dans différents secteurs de communications ; et d’autre part l’intégration des services offerts aux consommateurs), politiques (l’atténuation ou la disparition des distinctions législatives ou réglementaires entre transporteurs ou fournisseurs de contenus) et sociales (l’idée d’un consensus autour d’un projet industriel et d’une cohésion sociale renforcée. » (Lacroix, Miège, Tremblay cité par Miège et Vinck, 2012, p.7)

En Occident, les discours sur le thème de la convergence « annoncent dès la fin des années 1970, la convergence entre les technologies de l’informatique, des télécommunications dans le cadre d’une régulation marchande de ces activités. Puis, avec le progressif déploiement des technologies numériques, la convergence, toujours liée à la concurrence, désigne également les liens qui se tissent entre l’informatique, les télécommunications et la télévision, notamment la câblodistribution. » (Lacroix, Tremblay cité par Bouquillon, 2008, p.151)

La convergence est donc décrite comme un phénomène technique, industriel et social. Plusieurs auteurs comme Alain Touraine, Daniel Bell ont évoqué voire même tenté de conceptualiser la convergence qui fait l’objet de nombreuses définitions quelquefois opposées. Mais « ces discours ont en commun de mettre l’accent sur les changements techniques et, en particulier, sur la capacité des technologies numériques à opérer de profonds changements, voire une « révolution » d’ordre culturel, politique et social. » (Bouquillon, 2008, p.152)

En ce qui concerne le pluralisme, il est devenu une notion d’actualité et a pris place dans le débat public à la faveur de la démocratisation du Burkina Faso. Avant 1991, on n’en parlait presque jamais. « Le pluralisme est un principe démocratique qui estime légitime et souhaitable que les médias s’adressant au grand public permettent l’expression égalitaire d’opinions politiques, différentes.» (Le Bohec, 2010, p.459)

Une autre terminologie voisine a aussi surgi dans le contexte, même s’il est vrai que le plus souvent, on a tendance à les confondre ou les englober. Il s’agit du pluralisme critique. C’est une approche qui reconnaît la diversité des points de vue publics en matière sociopolitique (accès aux médias) mais aussi l’inégalité de fréquence et de poids social entre eux. (Le Bohec, 2010, p.459)

Contexte historique

Le fait colonial et néo-colonial a eu un impact réel à la fois sur les dirigeants et les promoteurs de presse. Les moyens d’information (on parlait à l’époque de moyen d’information au lieu de moyen de communication parce que l’esprit qui caractérisait les médias de l’époque était autoritaire.) étaient organisés en amont selon une structure pyramidale ou un système d’information univectoriel découlant du commandement militaire. Cet usage hérité de la colonisation a rendu excessive la mainmise de l’Etat sur les canaux de diffusion (presse écrite, radio, télévision). La structure de ces entreprises était marquée par une certaine rigidité où les diffuseurs ont pris l’habitude d’imposer absolument leurs choix et préférences aux lecteurs et où les opinions divergentes sont faiblement rapportées lorsqu’il s’agit de sujets touchant le cœur du pouvoir d’Etat.

La montée des associations de défense des droits de l’homme dans la plupart des Etats africains, de même que leur organisation récente à l’échelle continentale, constituent une garantie supplémentaire pour les journalistes dans l’exercice de leur métier. Cette nouvelle dynamique a ainsi engendré dans les esprits une fécondité d’analyse, naguère inexistante. Avant la libéralisation officielle du secteur médiatique en 1991, le Burkina Faso manquait de structures de recours et de protection véritables des hommes de presse, exposés à la fois aux griffes des régimes politiques, aux foudres de la justice et de l’opinion.

Dans ce nouveau contexte, est apparue la notion de service public qui prend en compte les principes des textes fondamentaux  régissant la communauté internationale dont l’adhésion aux valeurs de liberté d’expression et d’opinion et de droits de la personne. En réalité, le service public a toujours existé dans sa forme actuelle bien avant 1991. Mais ses dirigeants en ont véritablement pris conscience lorsqu’ils ont vu naître autour d’eux de nouveaux journaux, de nouvelles chaînes de radio et de télévisions privées. Le service public habitué jusque-là aux avantages du monopole d’Etat devait aussitôt trouver des idées et des moyens efficaces pour résister à une concurrence à laquelle il ne s’est jamais préparé.

En plus du contexte politique, économique et technologique qui a favorisé la chute des monopoles, la création de nouveaux médias, une réflexion autour de la question des médias de service public s’imposait aux dirigeants burkinabè comme aux autres. Une nouvelle réalité sociale s’est progressivement dessinée, fortement marquée et tributaire des nouvelles conditions sociales, comme l’avènement de la communication informatisée tous azimuts. Déjà dans les pays développés, « au cours des années 1980, Everett Rogers considérait que l’avènement de la communication informatisée a fait passer une partie du contrôle de la communication médiatisée des mains des producteurs de messages à celles des utilisateurs. » (Charon, 2009, p.55)

La mobilisation populaire qu’a connue le Burkina Faso entre le 28 octobre et le 1er novembre 2014 est la conséquence de ce nouvel environnement et renforce l’idée selon laquelle, même dans les pays les moins avancées, les nouveaux outils de communication rendent obsolète toute tentative de monopole de l’information ou de censure quelconque.

De la notion de média d’État

Il est important de préciser que la notion de média d’État se trouve en porte-à-faux avec la théorie libérale de la presse, définie comme étant fondamentalement l’absence de tout contrôle extérieur aux entreprises de presse, ce qui revient à parler d’autonomie de la presse. En outre, la notion de média d’État peut recouvrir plusieurs sens mais elle implique a priori au premier chef la responsabilité de l’État qui doit garantir l’expression de l’intérêt général dans les organes qu’il contrôle.

A l’instar des autres pays francophones africains, les médias qui relèvent de l’État sont dirigés par un ministère, en l’occurrence le ministère de la communication. Ministère stratégique pour les différents gouvernants, il est difficile de croire qu’il n’exerce aucune influence sur le contenu des productions ou sur la ligne éditoriale.

Dans la pratique quotidienne, les médias d’État se sont souvent montrés de connivence avec l’exécutif au point de cacher et de taire les informations importantes lorsque celles-ci n’étaient pas à leur avantage. C’est surtout le matraquage médiatique relatif aux activités du chef de l’État et de son gouvernement qui a fini par lasser les publics qui ont presque tous compris la logique des médias d’État. En effet, dans les faits et dans la feuille de route que l’on assigne souvent aux chefs d’entreprise, il leur est indiqué qu’ils doivent avoir un certain sens de responsabilité pour ne jamais inciter leur public à la révolte et surtout exercer leur responsabilité de manière judicieuse afin d’accompagner l’action gouvernementale.

En Afrique, le service public n’a pas du tout la même définition qu’ailleurs. Sont considérés comme médias de service public, les médias qui servent le pouvoir en place et qui font office de médias gouvernementaux. Très souvent, leur mission est d’accompagner le gouvernement au risque de tutoyer les affres de la propagande. En clair, média de service public équivaut en Afrique francophone à média gouvernemental. Concrètement, cette conception n’est pas favorable au pluralisme prôné aujourd’hui par l’ensemble des pays qui se disent officiellement démocratiques.

De toute évidence, le contexte de pluralisme est imposé aux États africains malgré les réticences de certains acteurs publics accoutumés aux pratiques monopolistiques. Mais peut-on réellement accabler ceux qui contrôlent les médias publics ?

Un environnement favorable pour les médias privés

Même si l’on reproche parfois aux gouvernements africains une forte mainmise sur les institutions médiatiques, force est de reconnaître que des efforts ont été consentis sur le plan juridique pour permettre aux entrepreneurs médiatiques de développer leurs activités. Depuis 1991 au Burkina Faso (comme partout ailleurs en Afrique de l’Ouest francophone), les titres de journaux et les radios ont connu une croissance exponentielle au point de susciter un intérêt pour les médias par de nombreux opérateurs économiques. Une nuance réside toutefois au niveau des chaînes de télévision qui ont connu un développement lent et mitigé depuis la libéralisation du secteur médiatique.

Néanmoins, le statut des entreprises médiatiques a évolué. Le cadre juridique et réglementaire qui est resté longtemps marqué par la légalisation du régime de monopole est désormais favorable à l’initiative privée. Ainsi, après de longues années de monopole étatique, la presse d’est diversifiée dans son offre, dans son format et dans son contenu.

En plus des dispositions juridiques favorables, on pourrait également évoquer l’environnement social et politique des Etats qui a connu quelques mutations favorables au point d’ériger réellement la liberté d’expression comme valeur cardinale de la démocratie. Pour la plupart des Africains, démocratie rime donc aujourd’hui avec liberté d’expression, pluralité des médias et alternance politique. Ce faisant, les médias tiennent une place prépondérante dans l’exercice de la démocratie. Les promoteurs qui ont osé se lancé dans le secteur des médias s’appuient sur cette nouvelle réalité pour installer leurs entreprises et espérer les rendre rentables au niveau national et au niveau africain.

Sur le plan professionnel, le contexte en vigueur permet souvent aux médias privés de tirer leur épingle du jeu, ainsi qu’en témoignent les nombreux succès des émissions politiques, des journaux télévisés et même des programmes de divertissement diffusés par les chaînes de télévision et de radio privées. Dans les grandes villes, les médias privés sont souvent plus crédibles que leurs homologues publics. La faute en incombe à la prépondérance des sujets institutionnels et à la frilosité de leurs acteurs qui n’osent pas critiquer l’action des gouvernants sur leurs antennes. Cette attitude non professionnelle et non équitable irrite des publics plus avertis dont certains s’adonnent, en cas de tension politique, au vandalisme des locaux des médias publics. Lors du soulèvement populaire du 30 octobre ayant entraîné la fuite du Président Blaise Compaoré, le siège de la Radiotélévision du Burkina (RTB) en a fait les frais au même titre que l’Assemblée nationale qui se préparait à modifier la constitution au profit du chef de L’État.

En outre, les médias privés profitent tant bien que mal du boom des formations relatives aux métiers de l’audiovisuel et de la presse écrite. A ce propos, les atouts du numérique sont bien exploités et la convergence numérique en cours leur fait faire des économies sur les plans matériel, économique et des ressources humaines. Cela a une incidence positive sur la qualité des contenus et offre des perspectives en termes d’emploi surtout pour les entreprises privées qui ne cessent de se créer en dépit du fait que les conditions de travail et de rémunération ne soient pas toujours intéressantes.

Des efforts mais… de nombreuses insuffisances au niveau des médias publics

Par rapport à un passé encore récent, on peut affirmer que les médias publics se sont transcendés pour offrir aux consommateurs de nouveaux produits, des produits censés être en phase avec leurs attentes. Au niveau de la presse écrite, le constat est observable dans le contenu et dans la forme. Cette dernière se veut plus attrayante et les meilleurs procédés d’impression accessibles ont été utilisés pour offrir aux lecteurs des journaux modernes. Mais c’est dans le fond qu’il était difficile de faire des transformations au risque de se voir « tancé » par les gouvernants. Toutefois, la presse écrite quotidienne publique est davantage encline à offrir des pages à l’opposition, contrairement aux médias publics audiovisuels qui demeurent encore très hésitants.

La montée des associations de défense des droits de l’homme dans la plupart des pays africains, de même que leur organisation récente à l’échelle continentale constitue une garantie supplémentaire pour les journalistes dans l’exercice de leur métier. Cette nouvelle dynamique a déjà engendré dans les esprits une fécondité d’analyse, naguère inexistante. Par exemple, avant le pluralisme, le Burkina Faso manquait de structures véritables, et les responsables de la presse étaient exposés à la fois aux exigences des régimes politiques, aux foudres de la justice et aux réactions de l’opinion.

Par ailleurs, la concurrence des chaînes de radio et de télévision privées a aussi mis à nu les carences d’un service public encore sous le joug du pouvoir exécutif, faisant de lui, notamment dans les milieux urbains et dans les sphères instruites, le « paria » des consommateurs.

Cependant les exigences internationales ne laissent pas d’autre choix  aux médias audiovisuels africains qui sont dans l’obligation de relever le défi de la convergence numérique d’ici à 2020 au plus tard. Si les chaînes de télévision publiques peuvent se permettre d’échouer sur le plan organisationnel et dans leurs  contenus, elles ne peuvent pas manquer ce rendez-vous. Le retard accusé par l’Afrique dans bien des domaines ne devra pas encore longtemps handicaper le secteur médiatique, sous peine de disparaître complètement des ondes et des écrans.

La nécessité pour les médias publics de se réadapter au nouveau contexte

La notion de médias d’Etat  implique au premier chef la responsabilité de l’Etat qui doit garantir l’expression de l’intérêt général dans les organes qu’il contrôle. Selon les principes des médias de service public, toutes les tendances politiques, sociales doivent avoir l’occasion de s’exprimer parce que (on l’oublie trop souvent) ce sont les citoyens dans leur ensemble qui participent au financement du service public. Ce faisant, on ne peut empêcher un parti politique de s’exprimer au travers des médias publics, sous prétexte qu’il fait partie de l’opposition. Ce principe qui découle à la fois de la logique économique et  de la logique sociopolitique est faiblement pris en compte au Burkina Faso, notamment au sein de la télévision nationale qui reste la tribune par excellence du pouvoir, que ce soit en période électorale ou en période ordinaire. A tel point que pour l’opinion publique, la hiérarchisation de l’information suivant l’ordre protocolaire est tout à fait logique et donc admise.

Cependant, les temps ont changé et les mentalités ont rapidement évolué du fait de leur surexposition médiatique. Cela est le fruit de la libéralisation du secteur qui a permis à de nombreux entrepreneurs privés de créer de nouvelles entreprises ou de proposer des programmes étrangers, à leurs publics. En conséquence, les Burkinabè à l’instar des autres Africains, découvrent chaque jour un peu plus une autre pratique du journalisme, une autre manière de piloter une entreprise médiatique, souvent aux antipodes de ce qu’ils ont longtemps observé dans leur environnement immédiat.

La méfiance des citoyens vis-vis des publications placées sous l’obédience des pouvoirs publics tient à cette pratique générale voulant que sans pluralisme des opinions, aucun gouvernement n’étale sur la place publique ses insuffisances et ses échecs. Ceci justifie le fait que tout soit rose dans le pays lorsqu’on n’écoute que les médias publics. Et pourtant, force est de constater que la réalité est bien différente. Les médias publics tromperaient ainsi volontairement leurs publics dans l’intention de les maintenir inertes et d’avoir leur caution en vue de soutenir l’action gouvernementale. Ce qui rappelle les critiques de l’Ecole de Francfort et d’autres penseurs reprochant jadis aux médias leur forte capacité d’influence et le rattachement quasi-systématique des médias à des idéologies dont ils se réclament et dont ils font écho.

Somme toute,  « les moyens de communication ne sont pas seulement des façons de transmettre de l’information. Ce sont aussi, pour la plupart, des organisations  (ou institutions) complexes, régies par des pratiques qui leur sont propres. Leur fonctionnement est intimement li é aux conditions sociales, économiques et juridico-politiques de la société ou ils s’insèrent. Mais les communications ne sont pas des institutions sociales comme les autres. Elles produisent et font circuler des informations, des connaissances, des  images et des symboles. Lorsqu’une station de télévision achète ou produit des séries de fiction, lorsqu’un chef de pupitre ou un directeur de publication choisit le reportage que vous verrez aux nouvelles du soir ou en première page de votre journal quotidien, ils sous proposent une certaine image de la réalité qui vous entoure. » (Douzou, Wilson, 2009, p.9).

Au regard de ce qui précède, on peut dire alors que la mission des médias est dépréciée, en particulier pour ce qui est des médias de service public n’ayant pas encore totalement intégré dans leur plan d’action combien la  philosophie dont ils s’inspirent encore est révolue.

Se réadapter au nouveau contexte devrait  conduire au pluralisme qui protégerait l’individu des manipulations de l’Etat. En d’autres termes, la critique faite aux médias  d’Etat laisse entendre que ces entreprises sont facilement des outils de propagande au service des intérêts du pouvoir d’Etat en place. Même  si ces critiques sont justifiées, elles demeurent graves pour les personnes concernées mais aussi pour le patrimoine médiatique des Etats africains. Il n’est pas convenable que dans le siècle en cours, des institutions médiatiques puissent encore fonctionner à partir de méthodes autant réductrices qu’anti-démocratiques. D’ailleurs, au regard de toutes les critiques qu’ils subissent, leur survie en dépend.

Investir dans l’avenir sur les plans technologique et  dans les ressources humaines

Les entreprises médiatiques doivent désormais faire face aux nouveaux modèles et nouveaux formats en vigueur. Pour ce faire, un certain nombre de dispositions ont été prises, notamment par les médias privés. Mais leurs confrères publics ne sont pas en reste, comme en témoignent les importants investissements effectués ces dernières années. En renouvellement ou achat de matériel, la Radio  Télévision du Burkina (RTB) a dépensé au cours de la dernière décennie plus de 10 milliards de francs CFA, ce qui représente une dépense (publique) non négligeable pour un pays aussi pauvre. Mais avait-on le choix ? La RTB porte sur ses épaules le lourd héritage d’avoir été en compagnie de la télévision congolaise, l’une des premières stations de télévision d’Afrique francophone. En plus de cela, le Burkina Faso abrite le siège du Festival Panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, premier festival du genre en Afrique noire. La télévision burkinabè doit donc logiquement consentir un minimum d’efforts pour honorer sa position. En outre, les investissements sont opportuns sinon même obligatoires parce qu’il faut anticiper le passage définitif de l’analogique vers le numérique. Plus qu’un défi, la convergence numérique est une obligation pour la RTB si elle veut continuer d’exister aux côtés des autres médias audiovisuels. A quelques années des échéances fixées par l’UIT, les premiers responsables s’activent dans ce sens, même si l’on peut leur reprocher un manque de coordination des  actions visant à faciliter le basculement définitif vers le numérique. L’instance de régulation s’évertue à rappeler à toutes les entreprises médiatiques, y compris celles qui  sont gérées par l’Etat, la nécessité de prendre toutes les dispositions pour répondre à cet enjeu.

Le défi de la convergence numérique inclut la formation et le recyclage. Les unités de formation l’ont assez bien compris en intégrant depuis quelques années déjà  de nouveaux modules ayant spécifiquement un lien avec le numérique. Ainsi, les cadres de formation sont équipés d’outils et de logiciels divers pour permettre aux apprenants d’avoir rapidement les aptitudes requises par les nouvelles exigences de leurs futurs métiers. Beaucoup reste à faire sur les plans de l’équipement, des fournitures en logiciels et du nombre de personnes formées, mais les responsables des médias publics écrits et audiovisuels ont en général compris les enjeux du numérique.

L’évolution vers la convergence des réseaux n’est pas la seule perspective. Il faut d’ores et déjà envisager en amont la convergence relative aux « restructurations liées au phénomène de « mondialisation » qui aboutissent à des investissements transfrontières dans les médias ». (Sénécal, 1996, p.356). Des alliances doivent être envisagées, ne serait-ce qu’au niveau régional, entre les différents médias publics. A défaut de pouvoir centraliser les ressources financières et humaines, ces organisations peuvent travailler étroitement ensemble en privilégiant les coproductions, la mutualisation du matériel de transmission et même des ressources humaines. A ce propos la Radio télévision Ivoirienne (RTI) et la RTB, ont depuis le mois d’août 2013 renforcé leur partenariat en mutualisant leurs efforts, ce qui devrait leur permettre d’être chacune plus efficace. 

La dépendance vis-à-vis des gouvernements freine les ambitions des acteurs

En se mettant sur le chemin de la convergence, les médias publics choisissent ainsi la voix et la voie du pluralisme. Parler aujourd’hui du défi du pluralisme n’est pas forcément valorisant tant notre ère est de facto celle de la diversité, de la démocratie, etc. Si on doit le signaler, c’est parce que cette évidence n’en est pas entièrement une pour les entreprises médiatiques publiques. Cette insuffisance incombe davantage aux responsables politiques qui se sont organisés depuis longtemps pour maintenir ces entreprises sous leur coupe. En 2013, les travailleurs de la RTB, non contents de cette réalité ont décidé ensemble de faire changer les choses en allant jusqu’à braver leur ministre de tutelle, pour que cessent certaines formes de pressions qu’ils subissent régulièrement.

De manière concrète, des changements positifs sont observables. L’opposition politique passe de temps en temps à l’antenne, pas seulement au cours des périodes électorales comme le stipule le code de l’information et comme l’exige le Conseil Supérieur de la Communication (CSC). Mais la couverture médiatique dont bénéficie cette dernière n’est pas conforme aux attentes ni aux règles en vigueur. Lorsque les activités des acteurs qui n’entrent pas dans le moule du pouvoir sont couvertes et diffusées, les reportages qui leur sont consacrés sont souvent traités de manière lapidaire avec un discours pas toujours conforme aux faits. Le défi du pluralisme, ainsi, est relevé, certes difficilement mais progressivement, et on peut espérer que cela soit aussi effectif au plus tard en 2020.

Les défis du moment et du futur

Pour terminer notre analyse, il est nécessaire de récapituler quelques défis que devront affronter les médias publics avant 2020.

Le premier défi est de créer les conditions pour rendre autonomes les différents médias publics afin qu’ils ne se sentent plus redevables aux gouvernants. Un mécanisme de financement approprié et pérenne doit être trouvé de sorte que les médias publics deviennent des entreprises viables  et gérées  professionnellement. Un des moyens (une ruse ?) pour devenir des entités économiquement viables est de se constituer en groupe de presse intégré verticalement ou horizontalement,  en fonction du tissu économique et du contexte socioéconomique du pays.

Il revient également aux forces sociales en présence de se réapproprier la notion de service public. Les séquelles ou survivances de la période anti-démocratique persistent encore parce que les décideurs ont gardé, plus de vingt ans après la libéralisation de l’espace audiovisuel, des réflexes de mainmise  sur les médias. Ceci constitue toujours une entrave à la liberté et à la transparence des médias. En corrélation avec les droits de l’homme, il s’agit de concrétiser sur le plan organisationnel et professionnel l’exercice de la liberté d’expression et de favoriser un fonctionnement plus démocratique des médias  publics qui mettent en avant les intérêts de tous les acteurs sociaux.

En clair, un tel défi implique non seulement les professionnels des institutions médiatiques publiques mais aussi les autres acteurs de la gouvernance : gouvernement, justice, institutions et organisations de la société civile qui doivent se résoudre à composer avec la diversité des opinions sur les questions d’intérêt national.

Le troisième défi  résulte de l’évolution des technologies de l’information et de la communication, celle-ci ayant permis l’avènement d’une nouvelle forme de supports médiatiques. Il en est de même pour les contenus qui connaissent des mutations évidentes et continuelles. Cela a entrainé également une diversité et une abondance de l’offre en matière de médias obligeant les médias publics à évoluer vers un nouvel espace public de rencontres et d’échanges.

Le quatrième défi est celui de la formation et du recyclage des personnels dans l’optique de parvenir à la mise à niveau des ressources humaines compétentes, répondant aux exigences des temps actuels et à venir.

Le cinquième défi est celui de la gouvernance institutionnelle incluant les modes de régulation, les normes déontologiques et éthiques à promouvoir. La vulgarisation du numérique, de l’Internet induit de nouvelles  pratiques professionnelles, de nouveaux usages, et de nouveaux modes de consommation pas toujours compatibles avec les règles édictées et érigées antérieurement.

Le dernier défi est d’ordre culturel. Parce que la mission des médias publics est de garantir l’égalité et la diversité, ils devraient insister sur le fait que toutes les cultures du pays soient représentées, même les plus minoritaires. Il s’agit d’une mission complexe mais pas impossible car la sauvegarde du patrimoine culturel en dépend. Dans le même temps, il convient de s’interroger pour savoir si le pluralisme culturel devient effectivement une réalité dans les chaînes de télévision et de radio publiques, et se demander ce n’est pas un moyen d’aller vers ce que l’on pourrait appeler « la convergence culturelle ». Dans le processus de construction nationale, la convergence des cultures ne serait pas, en effet, un objectif à promouvoir, et les médias publics, notamment audiovisuels pouvaient y contribuer. La Nation, de notre point de vue, doit d’abord se construire et exister culturellement avant d’envisager d’autres perspectives,  ce qui n’exclue pas la défense de la diversité. L’exemple de nombreux  pays dans le monde comme l’Italie, la France ou même la Grande Bretagne l’atteste.

Conclusion

Depuis 2000, les pays africains sont entrés dans l’ère des réseaux numériques, même si des systèmes techniques analogiques persistent encore. La numérisation des réseaux a produit d’innombrables avantages en offrant notamment de nouvelles possibilités aux émetteurs et récepteurs. Comme partout par ailleurs, en dépit du retard technologique qu’accuse l’Afrique, «  la convergence des contenus va surtout se manifester par le basculement sur l’Internet de contenus variés, en particulier  médiatiques et culturels  et les stratégies des fournisseurs d’accès à l’internet (FAI) qui développent des offres de bouquets de services associant internet, télévision, vidéo, radio, téléphonie. » (Le Teinturier, Le Champion, 2009, p.83)

Cependant, nous ne devons pas nous laisser éblouir par les merveilles du numérique et des nouvelles dispositions en vigueur si les principes de base démocratiques ne sont pas respectés, et avant tout  le pluralisme dans les médias publics. « L’existence de médias pluralistes garantit la liberté d’expression des différentes opinions, de toutes les cultures et communautés, dans toutes les langues, au sein de n’importe quelle société,  dans le respect de la diversité. Dans toute société démocratique, les médias doivent non seulement être indépendants, mais aussi pluralistes.  En effet, la démocratie  ne peut s’exercer  que si les médias sont indépendants, pluralistes, libres de tout emprise gouvernementale  et de toute pression politique ou économique, et s’ils peuvent accéder aux ressources matérielles et aux infrastructures nécessaires pour produire et diffuser leurs produits et leurs programmes ». (http:/www.unesco.org/bpi/pdf/themobpi46_mediapluralism_fr.pdf).

Dans le contexte burkinabè, les médias publics sont dans l’obligation de remplir professionnellement leurs fonctions (informer, éduquer et divertir) en favorisant toutes les expressions en leur sein pour que la diversité et le pluralisme deviennent enfin pour eux leurs principes centraux de fonctionnement.

Références bibliographiques

Bouquillon, Philippe. (2008), Les industries de la culture et de la communication. Les stratégies du capitalisme, Grenoble : PUG.

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http://www.unesco.org/bpi/pdf/ memobpi46_mediapluralism_fr.pdf consulté le 6 janvier 2014

Auteur

Dimitri Régis Balima

.: Maître-assistant à l’Université de Ouagadougou (Burkina Faso), Dimitri Régis BALIMA est également membre associé du GRESEC (Université Alpes Grenoble). Ses recherches sont essentiellement axées sur l’économie des médias, leurs dispositifs d’émission et les publics.