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Usages des Tic, Communication et Communautés virtuelles au Cameroun : contextes organisationnels, marchands, et construction de la convergence

15 Fév, 2015

Résumé

Les usages des Tic en contextes organisationnels marchands correspondraient à l’émergence et au développement de nouvelles formes d’organisation. Y aurait-il mutatis mutandis, une corrélation entre la technique et le type de gouvernance de l’organisation ? Un tel déterminisme technologique élude la problématique socioconstructiviste et perd de vue les formes de production sociale de la réalité. Les organisations marchandes parmi les plus communicantes adoptent alors, dans ce contexte, des projets de déploiement des Tic les uns plus ambitieux que les autres, à l’effet de séduire les publics, sans pour cela chercher véritablement à emporter leur adhésion, ce qu’aurait pu permettre la recherche de la convergence. On ne peut espérer des rigidités internes, héritées d’une culture managériale de type hiérarchique, où la pratique du secret a été la norme, une démarche communicationnelle digne de ce nom. Si des opportunités associées à l’adoption des Tic existent pour les organisations marchandes au Cameroun, comment comprendre qu’elles aient du mal à s’inscrire dans une logique de partage de l’information et à tourner le dos aux facteurs de blocage empêchant de tirer pleinement profit de leurs environnements externes ? La nouvelle donne managériale requise par l’implémentation des Tic dans les organisations marchandes au Cameroun, outre leur modernisation, nécessite une prise de conscience des valeurs nouvelles de l’information. L’étude de cas des pages Facebook de Orange-Cameroun et MTN-Cameroun illustre nos propos.

Mots clés

Organisation marchande, communication, usages, Tic, communautés virtuelles.

In English

Title

The Uses of ITCs, the Communication and the Virtual Communities in Cameroun: the Organizing and Trading Contexts, and the Construction of the Convergence

Abstract

The uses of ICT in organizational trading contexts tend to correspond to the emergence and development of new forms of organization. Will there be mutatis mutandis, a correlation between technique and the type of governance of the organization? Such technological determinism evades the socio-constructivist question and loses sight of the social production of reality. The trading organizations in communication processes then adopt within this context, ICT deployment projects, some better than the others, in a bid to seduce the public, without necessarily securing their adhesion, which would have made room for the quest for convergence. One cannot expect internal rigidities inherited from a management culture of hierarchical nature, where the practice of secrecy was the norm, a communicative approach worthy of the name. If opportunities related to the adoption of ICT exist for trading organizations in Cameroon, why then are they struggling to fit into a logic of information sharing and why is it challenging for them to ignore impeding factors preventing them from taking full advantage of their external environments? The new management politics required for the implementation of ICT in trading organizations in Cameroon, in addition to the modernization of such organizations, requires cognizance of the new values of information. The case study illustrates our point.

Keywords

Trading organization, communication, use, ICT, virtual communities.

En Español

Título

Los usos de las Tic, la comunicación y las comunidades virtuales en Camerún: Contextos organizacionales mercantiles y construcción de la convergencia

Resumen

Los usos de las Tic (Tecnologías de la Información y de la Comunicación) en contextos organizacionales mercantes corresponderían a la emergencia y al desarrollo de nuevas formas de organización. ¿Tendría como mutatis mutandis, una correlación entre la técnica y el tipo de gobernanza de la organización? Tal determinismo tecnológico elude la problemática socio-constructivista y pierde de vista las formas de producción social de la realidad. Las organizaciones mercantes entre los más comunicantes adoptan entonces, en este contexto, proyectos de despliegue de las Tic, unos más ambiciosos que otros, al efecto de seducir los públicos, sin para esto verdaderamente procurar llevarse su adhesión, lo que habría podido permitir, la búsqueda de la convergencia. No podemos esperar rigideces internas heredadas de una cultura de gestión de tipo jerarquizar, donde la práctica del secreto fue la norma, una gestión comunicacional digna de este nombre. ¿Si las oportunidades asociadas con la adopción de las Tic existen para las organizaciones mercantes en Camerún, cómo comprender que tienen dificultades de inscribirse en una lógica de reparto de la información y de dar la espalda a los factores de bloqueo que impidan sacar provecho plenamente de sus medios ambientes externos? La nueva aproxima de gestión requerida por la implementación de las Tic en las organizaciones mercantes en Camerún, además de su modernización, necesita una toma de conciencia de los nuevos valores de la información. El estudio de caso de las páginas Facebook de Orange-Camerún y MTN-Camerún ilustre nuestros propósitos.

Palabras clave

Organizaciones mercantes, comunicación, usos, Tic, comunidades virtuales.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Kemayou Louis Roger, «Usages des Tic, Communication et Communautés virtuelles au Cameroun : contextes organisationnels, marchands, et construction de la convergence», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°15/2B, , p.111 à 119, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2014/supplement-b/10-usages-des-tic-communication-et-communautes-virtuelles-au-cameroun-contextes-organisationnels-marchands-et-construction-de-la-convergence

Introduction

L’attrait des managers des organisations marchandes pour les ‘’nouveaux’’ médias au Cameroun alors que les médias traditionnels ont à peine été ‘’domestiqués’’ par eux – disions-nous déjà dans un précédent article (Louis Roger Kemayou, 2012a) – tiendrait à l’argument largement répandu selon lequel ces ‘’nouveaux’’ outils de communication induiraient dans leurs organisations la bonne gouvernance, la transparence, voire la performance. Nul doute que la rapidité des traitements et la quantité importante d’informations qu’Internet permet de stocker et de diffuser, son ‘’interactivité’’, notamment depuis l’avènement des Tic, justifient cet engouement. « La technologie est traditionnellement perçue comme un travail sur la matière, s’appuyant sur les applications de la science. […] Les technologies de l’information et de la communication sont […] développées autour du couple individualisation/réseaux » (Patrice Flichy, 2004). En percevant les technologies comme l’ensemble des outils qui, avec ceux qui les utilisent, servent à satisfaire un besoin, nous entendons mettre en tension les usages des réseaux sociaux – qu’induisent, ici et là, la transparence censée être portée par les Tic dans la gestion des organisations – et la contextualisation de la communication à l’effet de la convergence requise par les nouvelles formes de gouvernance. A l’évidence, la culture du secret, prédominante au Cameroun, contraste avec les défis que charrient les concepts de mondialisation et de globalisation des économies. Y aurait-il mutatis mutandis, une corrélation entre la technique et le type de gouvernance de l’organisation ?

État de la question sur les Tic au Cameroun, problématique et approche méthodologique

Internet nous apparaissant à la fois comme une technologie, une culture et un outil, sauf à faire une lecture socio-anthropologique de chacun de ces aspects et de sa place dans l’espace cybernétique camerounais pour bien en saisir les usages, on se perd dans des conjectures sans véritable lien d’avec la vérité des faits. Entendant par usage, la « pratique sociale que l’ancienneté ou la fréquence rend normale dans une culture donnée/utilisation d’un objet, naturel ou symbolique à des fins particulières » (dictionnaire Robert de sociologie 1999), le concept laissant apparaître deux types d’usages – individuel et social – suppose « arts de faire » et « manières de faire » des ‘’pratiquants’’ au sens de Michel de Certeau (1980). Loin du courant fonctionnaliste américain des «uses and gratifications», nombre de discours tournant le dos à la fascination pour la technique, interrogent la place du sujet–usager. La caractéristique essentielle des Tic résidant dans le fait qu’elles impliquent la totalité des acteurs, chacun étant supposé être à la fois utilisateur et source d’information. Les organisations marchandes parmi les plus communicantes au Cameroun bénéficient-elles de plus de crédibilité et de capital de confiance auprès de leurs publics ? Notre propos s’inscrit ainsi dans la problématique de la modernisation des organisations marchandes du Cameroun, en particulier sur le plan de leurs mécanismes d’échange d’informations, de leurs systèmes de communication et de leurs capacités managériales en regard de leur correspondance logique et/ou pratique d’avec le communautarisme virtuel. Nous portons donc un regard croisé sur l’accès aux ‘’nouveaux’’ médias, spécifiquement dans les organisations marchandes – en l’occurrence dans celles parmi les plus communicantes du pays – dont les recours aux outils du Web 2.0 font ici l’objet de nos observations. Il s’agit de MTN et Orange sélectionnées suivant le critère relatif notamment à leurs usages de l’option communautariste virtuelle. Nos objectifs consistent, d’une part, à mettre en exergue le rapport contradictoire entre les rigidités internes héritées d’une culture managériale de type hiérarchique et leur incohérence d’avec les attendus du communautarisme. D’autre part, nous montrons en quoi une construction de la convergence par ces organisations, qui ne passerait pas par une logique de partage de l’information requérant la participation de leurs parties prenantes, s’avère n’être qu’un leurre au plan communicationnel. Sauf pour elles à s’être inscrites dans les logiques de production de pseudo communications. Notre démarche méthodologique de constituer un corpus sous le rapport de critères tels que définis par Hlady-Rispal (2001), qui respectent : l’homogénéité des cas relativement à notre problématique, la richesse des données susceptibles d’être fournies, les spécificités de l’objectif de notre objet de recherche et l’adoption d’un équilibre des cas retenus, imposait une observation netnographique (Robert Kozinets, 2010) d’une communauté virtuelle de leurs publics. Et ce, aux fins de l’analyse critique des modalités de diffusion et de partage de contenus, ainsi que de la place des parties prenantes dans la (co-)construction des informations partagées dans une perspective de communication commerciale. Les entretiens semi-directifs de seconde main (notre enquête relative au knowledge management, Louis Roger Kemayou, 2012b), conduits suivant la diversité des interlocuteurs susceptibles de renseigner notre problématique complétant cette option. L’analyse de contenu que nous en avons fait rend compte des représentations que les acteurs se font des techniques de communication via les communautés virtuelles, la perception qu’ils ont de leurs usages des Tic – innovants ou non.

De l’insertion des Tic au Cameroun dans un environnement contraint …

La télématique (imbrication des ordinateurs – un écran couleur, du texte, des images, des sons –, des télécommunications – interconnexion des fichiers électroniques – et les progrès de l’informatisation – compression numérique), a donné lieu à la technologie Internet. Cette dernière présente l’avantage de relier telle une toile d’araignée (d’où ses appellations anglo-saxonnes de Net, et de World Wide Web représentant sa portée planétaire) des milliards de micro-ordinateurs équipés de ‘’modems’’ – modulateur-démodulateur connectés à une prise de téléphone. Si l’introduction d’Internet au Cameroun date de l’année 1997 (Baba Wame, 2005), elle fait l’objet de campagne promotionnelle depuis 2001. Passé l’enthousiasme suscité par les discours fascinants à son égard de la part des politiques, la cohérence de son implémentation nationale est sujette à questions. Internet au Cameroun est-ce du contenu ou du contenant ? S’agit-il pour les organisations d’un outil de réseau et/ou de compétitivité ? Ses usages individuels et organisationnels procèdent-ils d’appropriations technique et culturelle ? Les ‘’nouveaux’’ médias offriraient des possibilités accrues d’échanges d’information notamment au plan économique et depuis peu, aux plans social et politique. Faut-il encore que les usagers y en aient accès et soient conscients de son utilité quant à l’amélioration de leurs interactions avec les organisations de leurs choix. L’accès très inégal au Cameroun à Internet est avant tout dû à notre sens à une absence de volonté politique perceptible dans les ‘’stratégies’’ nationales et/ou locales de développement socioéconomique très peu soucieuses des questions relatives à la démocratie, la transparence, la participation, et ce, depuis l’accession du pays à l’indépendance,  nonobstant les discours officiels sur ces sujets. Le déficit en matière d’énergie électrique, le faible maillage des télécommunications, l’accès limité aux ordinateurs, la lenteur et le coût élevé de la connexion, les compétences approximatives des usagers ajoutent aux disparités socio-territoriales observées aux plans individuels et organisationnels de cet accès à Internet. Et c’est dans un tel contexte contraint mais néanmoins caractérisé par un engouement des ‘’internautes’’ camerounais pour le cyberespace, qu’est ci-après interrogée son utilité.

Au Cameroun, un processus d’informatisation existe depuis 1966 (Thomas Atenga, 2012). Force est de constater que la réalité nationale en la matière est loin de conforter la thèse des ‘’thuriféraires’’ relatives à l’importance prise par Internet dans la société ainsi que le prétendent les études ‘’camerounaises’’ (Misse Misse, 1997 ; Laurent Charles Assala Boyomo, 2001), ne fût-ce qu’en termes de modifications ou de changements de la société elle-même, notamment au plan de la culture organisationnelle. L’offre de services – les contenus – et l’offre technique – les objets, pour reprendre l’expression de Pierre Chambat (1999a), souffrent ici non seulement des déficits infrastructurels, nonobstant l’opportunité du don américain de la fibre optique à l’État du Cameroun, faisant suite à l’accord de partenariat conclu à la faveur du pipeline Tchad-Cameroun, dont bénéficie le pays depuis 2001. Mais également de l’ordre de la compétence relative au multimédia désignant aujourd’hui, « l’assemblage de données de natures diverses en vue de leur présentation et leur diffusion, selon un vecteur exclusif : celui de l’informatique » (Marie-Anne Gallot Le Loirier & Vincent Varet, 2000), englobant ici les objets et les services, les supports et les modes de diffusion, tels respectivement que les CD-Rom, bases de données sur disque dur, DVD, bornes interactives, jeux, tablettes, réseaux, dont Internet. Quid de l’art de conception des sites, de l’offre éditoriale, ou de l’interactivité des niveaux d’arborescence, etc., en contextes organisationnels publics et privés, marchands et non marchands au Cameroun ? Il va sans dire qu’ils sont loin d’attester de l’universalisme des postures techno-déterministe, sociotechnique et/ou sociopolitique tendant à faire accroire aux usagers qu’ils appartiennent tous autant qu’ils sont (par leur arrimage aux normes TCP-IP et IP – Transport Control Protocol et Internet Protocol –) à la société d’information ou de communication – c’est selon – car mondialisation ou globalisation oblige.

… à l’émergence des usages du web social dans les organisations

Outre le fossé numérique entre pays du Nord et ceux du Sud, dans ces derniers, les fractures en la matière sont encore plus importantes entre différentes régions et même au sein des villes les plus importantes, comme Douala et Yaoundé dans le cas du Cameroun, et ce malgré les efforts consentis au niveau national. Notamment depuis la ‘’libéralisation’’ du secteur des télécommunications et la concurrence intervenue sur le marché de la téléphonie mobile, impulsée du dehors par les grandes organisations internationales onusiennes, l’Union internationale des télécommunications ou l’Unesco, des institutions de Bretton Woods, respectivement promotrices de la modernisation des réseaux, du nouvel ordre mondial de l’information et de la communication, de la dérégulation et de la libre circulation des biens.

Il s’en est donc concrètement suivi que, de 2004 à fin 2011 (ART, 2011), les abonnés aux différents réseaux de téléphonie tout opérateur confondu, seraient passés de 1 526 462 à 10 486 614, et une relative ‘’ruée’’ des internautes individuels et collectifs qui auraient atteint au Cameroun le nombre de 167 546 à 1 001 518 (Banque Mondiale, 2013). Ces chiffres, sans signification pertinente réelle, englobent aussi bien les internautes disposant d’un terminal personnel que les organisations publiques et privées accédant à Internet, quand on sait qu’au Cameroun, comme dans nombre de pays d’Afrique subsaharienne, le recours à Internet se fait majoritairement dans les cybercafés.

Notons que, depuis 2009, ont commencé les travaux d’enfouissement de la fibre optique en vue d’un maillage territorial national et qu’à l’heure actuelle, soit quatre ans après, ces travaux ne sont pas achevés. Pour autant, les dispositifs Internet proposés au Cameroun tendent à offrir les mêmes services qu’en Occident ; il existe, ici, un marché d’ordinateurs et téléphones de dernière génération où rivalisent les marques d’importation : de Apple, Hewlett Packard qui proposent des smartphones 3G, 4G, en passant par les Iphone, Ipod, etc., dont les applications diverses sont censées faciliter les connexions des utilisateurs, notamment en matière d’accès à l’information, aux biens culturels et à de nouvelles sociabilités. Quels usages le réseau camerounais permet-il aux utilisateurs de performer au plan de la convergence, s’agissant en particulier du recours aux principales applications du web 2.0 – Facebook, Youtube, Viadéo, Google+, Myspace, etc., dont nous observons un déploiement à des fins de communication  commerciale dans les organisations au Cameroun ?

Via la téléphonie mobile, les opérateurs du secteur (Orange et MTN) transmettent des messages commerciaux sur leurs produits et autres services à leurs clients, ainsi qu’à ceux des institutions financières (banques et micro-finances), et d’autres organisations comme la société d’électricité ‘’nationale’’ AES Sonel, qu’ils informent respectivement sur leurs produits et services, autant que de la possibilité de consulter leur compte et des payements de factures proposés par ce même canal. Le fait que les technologies recèlent en soi un énorme potentiel de développement ne saurait éluder les questions relatives aux interactions entre les usagers et elles d’une part, et d’autre part, au rapport usage-convergence communicationnelle notamment au Cameroun où l’adoption des TIC semble résulter d’un effet de mode.

Conçus, en effet, qu’ils sont actuellement comme par le passé davantage pour informer, les outils de réseautage social passent plus pour être des relais d’information. Les contenus sont non seulement usuels et peu variés (textes, images, sons). Ils attestent aussi, si besoin est, de l’absence de maîtrise du multimédia comme outil et du peu de cas quant aux attentes des internautes enclins à devenir acteurs du réseau avec des contenus créés et échangés avec leur concours. L’observation des pages Facebook, de loin le réseau le plus usité des réseaux sociaux au Cameroun, de communautés de fans MTN et Orange laisse apparaître des déficits criards relativement aux modalités de monstration et de focalisation de l’attention, ce qui représente une faiblesse au plan de l’interaction et qui a, entre autres, pour effet le peu d’attrait des usagers pour les réseaux sociaux numériques. En quoi consiste concrètement l’activité communautaire ?

Communautarisme, culture managériale et convergence communicationnelle

L’essentiel des activités communautaires des fans Facebook de MTN et d’Orange du Cameroun consistant par un clic à sélectionner soit J’aime, Partager ou Commenter, soit ne rien faire du tout, sinon se targuer d’avoir consulté la page. Ces usages courants sont loin de donner lieu ici aux mêmes types d’analyses qu’en Occident. Notamment en regard de la littérature scientifique relative à la self culture ou encore à l’« individualisation expressive » et leurs problématiques de néo-modernité, voire de high modernity, de communauté et d’identité virtuelles. Cela pour deux raisons au moins : de telles grilles de lecture procédant de contextes de singularisation de la culture de masse manifestée par les petites formes digitales expressives, pour reprendre l’expression de Laurence Allard (2005), dont entre autres, les réseaux d’échanges et, d’autre part, le fait qu’une certaine approche marketing, dit viral, semble s’imposer comme étant la voie royale du retour à la ‘’communauté’’ ayant peu de sens dans le contexte camerounais. Quid du rapport à la communication commerciale de nos deux organisations ?

Communication des organisations et compétences professionnelles en matière de Tic

En privilégiant le sens intersubjectif de la communication des organisations vue à travers la circulation et l’échange symboliques par lesquels celles-ci, en exprimant leur identité et leur personnalité, tentent de circonvenir leurs différents publics, plutôt que le sens médiatisé qui les met en scène dans l’espace public aux fins de fédérer ou d’emporter l’adhésion des sujets singuliers de la socialité (Louis Roger Kemayou, 2005), nous entendons mettre ici l’accent sur son caractère singulièrement anthropologique.

Sous ce rapport, la communication commerciale telle que nous l’entendons comme  « l’ensemble des actions publicitaires, des relations publiques, et autres commandites – lobbying, parrainage, sponsoring, mécénat ou patronage, aux fins de valoriser l’image des produits et/ou des marques » (Kemayou, 2012a) que  Orange et MTN  sont censées déployer, partage le même idéal, lequel va à l’encontre des perspectives ‘’communautaires’’ rendues possibles via les Tic. En effet, les concepteurs de l’Internet, en percevant comme client tout terminal susceptible d’être connecté sur la toile, se plaçaient bien dans une optique instrumentale. Le marketing prend prétexte de ce concept de client pour faire sa ‘’révolution’’ autour de la figure consumériste de communautés en interrelations par le Web, et ainsi se poser comme dispositif de gestion de ce type de sociabilité concurremment à la communication. D’où les approches dites de Customer Relationship Marketing, buzz marketing ou « marketing viral », ou encore, C to C (consumer to consumer), de communauté de marque (brand community), ayant émergé dans un contexte « de marchés saturés et de consommateurs aux comportements velléitaires », selon les termes de Cordelier et Karine Turcin (2005). Ces formes de communication seraient promotrices de lien social grâce à l’Internet, non seulement entre l’entreprise et son client, mais entre les clients eux-mêmes. Ce faisant, qu’en est-il dans un autre contexte comme celui du Cameroun dont nous avons coutume de dire qu’y appliquer les techniques de marketing américain ne relève, à tout le moins, que de mimétisme malséant et pour cause : Orange et MTN sont parmi les principaux fournisseurs d’accès à Internet, aux côtés de Camtel, Ringo, YooMee, Cyberlink, etc., qui rivaliseraient sur un ‘’marché’’ où Camtel – dépositaire de la fibre optique pour le compte de l’État – serait leader. Encore que sur un tel marché où les statistiques relatives aux clés d’accès et autres abonnés à Internet n’ont aucune signification réelle, vu que les ‘’clients’’ de chacun de ces opérateurs disposent des puces des autres opérateurs les comptant également au nombre de leurs ‘’clients’’.  Une telle volatilité témoigne, si besoin est, de la duplicité de telles statistiques. Comment, sous le rapport de ce qui précède, justifier cette tendance prise par les organisations ici en cause, en faveur des services en ligne et formes de communication dites ‘’communautaire’’ ? Le gaspillage dans le management des activités des organisations marchandes devant être proscrit et l’adoption de techniques de communication quelles qu’elles soient plus encore. D’autant plus, lorsqu’il s’agit de celles recourant aux Tic qui devraient être confortées par l’argumentaire de la capacité à optimiser ces choix sous le rapport d’objectifs clairement assignés et/ou aux usages prescrits.

Ceci n’est pas seulement une question de rationalité économique, elle est davantage une question de performativité communicationnelle pour des managers des organisations, ayant pris la bonne mesure de l’importance de la communication et qui ont bien compris qu’en la matière, il est possible, à moindre coût, de faire plus, et même mieux, à condition de solliciter les outils qui soient en accordance avec des objectifs précis de communication. Dans les cas d’espèce faisant l’objet de la présente réflexion, il est difficile de distinguer au Cameroun un client Orange d’un autre qui se réclamerait de MTN, car près de 80% au moins d’entre eux sont déjà abonnés auprès des deux concurrents, mais aussi d’autres opérateurs, ce qui compromet à coup sûr la logique relationnelle au fondement des communautés virtuelles ici en débat. Non seulement les clients contraints par le caractère lacunaire des réseaux s’obligent à une multiplicité de puces afin de pallier les défaillances des opérateurs en plus des coûts discriminants de l’un à l’autre. Mais ils s’engagent dans une démarche utilitariste leur permettant de les contourner mettant à l’épreuve les compétences au plan de la maîtrise des technologies, elles-mêmes éprouvées par une infrastructure de télécommunications peu amène. Tant les dispositifs techniques des réseaux des deux concurrents sont régulièrement sujets à des bugs, sans que l’un ou l’autre se donne la peine de communiquer à ce propos, preuve que la notion de client qu’il faut tenir informé n’est pas l’apanage d’un mode de gouvernance centralisé, hiérarchique, nous dirions même autocratique, où la culture du secret semble être la norme, et qui contraste avec les exigences d’ouverture et de décentralisation portées par les technologies des réseaux.

Partage d’information et « communautés » virtuelles

Le partage de l’information au fondement de la logique communautariste participe-t-il de la modernisation de la gouvernance et du déplacement des pouvoirs dans nos deux organisations ? Cette question qui renvoie aux différentes dimensions d’Internet – sectorielle, technologique, stratégique et organisationnelle – interpelle la nécessité de précisions dans un tel débat dont les présupposés relèvent soit de l’économisme, soit du technicisme, ou du social.

À la question de savoir si les usagers internes des réseaux sociaux autant que leurs possibles parties prenantes sont ici formés à la logique communautaire, la réponse est négative et corrobore nos observations des fans pages qui ne plaident guère en faveur de la qualité de la relation avec les publics communautaires respectifs de MTN et Orange qui, avec environ 57 180 contre 42 791 fans pour chacune des « communautés », avec un gap important séparant les actifs et non actifs (de l’ordre 80%), témoignent d’une absence de visibilité distinctive. En effet, qu’il s’agisse de l’un ou l’autre opérateur, recours est fait à Facebook pour promouvoir des informations à caractère commercial sur les offres de nouveaux produits ou services auxquelles sont généralement adjoints des jeux assortis de récompenses en termes de bonus de communication, à l’effet d’encourager la participation de leurs clients  à ces derniers. Que représentent dès lors les communautés virtuelles sur un réseau social comme Facebook où sont comptabilisés quotidiennement le nombre total de posts, de J’aime, Partager ou Commenter publiés sur la page, alors qu’a été privilégiée la seule optique de transmission d’information commerciale ? Pour nombre d’usagers de ces « communautés » la motivation utilitariste est loin des objectifs de reliance des réseaux sociaux numériques, censés favoriser le partage d’information au profit des communautés de fans.

Les « communautés » virtuelles étant supposées rassembler sur la toile des individus conscients de partager des intérêts, opinions ou passions communs relativement à l’objet qui les réunit, ceux-ci n’y étant pas semblablement positionnés à l’égard des informations disposées sur les plateformes communautaires. Les taux de clics sur J’aime, Partager ou Commenter en termes d’affection et d’engagement renseignent mal quant à la participation distinctive, outre qu’ils ne rendent pas compte de la co-construction. Sauf à croire en leur homogénéité, ce qui serait un leurre, car les individus sont des êtres différents qui réagissent différemment à la même information, même dans l’hypothèse de l’existence d’une offre éditoriale. D’où la nécessité d’en avoir une qui soit multidimensionnelle et susceptible de satisfaire les attentes des usagers des communautés dues, sinon à la nouvelle donne managériale des organisations marchandes à l’ère des Tic, du moins à leur modernisation requérant non seulement leur volonté de communiquer, mais aussi et surtout à une prise de conscience des valeurs nouvelles d’innovation supposée être portée par l’information. Mais le décalage entre les dispositifs organisationnels obsolètes et ces attendus de la communication commerciale sur les réseaux sociaux promouvant paradoxalement encore des modèles informatifs stricto sensu est loin de favoriser la confiance de la part des usagers des communautés, ce qui en soi constitue un frein à la convergence nécessaire en communication. Succursales des multinationales, nos deux organisations ne jouissent pas d’une image positive dans l’opinion camerounaise : suspectées de se préoccuper très superficiellement des problématiques identitaire, contextuelle, territoriale dans leurs dispositifs communicationnels.

Conclusion

Les effets de mode ne devraient pas déterminer les choix des responsables en charge de la communication commerciale, sauf à vouloir justifier les dépenses ostentatoires qu’ils lui attribueraient, les techniques et les dispositifs de communication ne valant que par l’usage qui en est fait. Il importe ici d’affirmer, avec force, qu’une lecture socio-anthropologique appropriée du contexte peut induire, en matière de communauté virtuelle, la création de plateformes pertinentes et/ou efficientes qui ne subissent pas culturellement l’ouverture des frontières et le poids de l’économie numérique et autre sirène que charrie le marketing. Les sociologues des organisations montrent à l’envi que les innovations technologiques et les changements censés en découler devraient largement être intégrés aux jeux d’acteurs et ne sauraient s’imposer à ces derniers. Adopter des approches communicationnelles conçues en réponse aux problèmes spécifiques de sociétés individualistes, calculatrices et marchandes des relations, c’est croire à l’illusion de l’universalisme.

Références bibliographiques

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Auteur

Louis Roger Kemayou

.: Louis Roger Kemayou est titulaire d’un doctorat en sociologie économique. Chargé de cours au département de communication de l’université de Douala, il est membre du Laboratoire d’Analyse des Communications et des Récits Médiatiques (LACREM). Auteur d’une vingtaine d’articles, ses recherches pluridisciplinaires alliant sociologie et communication des organisations questionnent outre les usages et pratiques des Tic dans les organisations publiques et privées locales, la gouvernance et l’identité de celles-ci, relativement à la socio-culture, la nouvelle économie, la mondialisation et le changement organisationnel.