-

Conférence inaugurale – L’orientation vers la nouvelle Économie culturelle

30 Jan, 2015

Résumé

Après avoir rappelé que l’accent mis sur la diversité culturelle, en tant que grand projet mondial, est à mettre en relation avec l’ouverture des échanges et une industrialisation renforcée de la culture, de l’information et des communications, l’auteur montre que cette orientation se trouve confortée par la promotion des industries créatives, de plus en plus présente dans les politiques culturelles (mais différemment selon les Régions du Monde) ; plus récemment, les instances internationales tendent à faire de la culture un moteur et un catalyseur du développement économique, social et environnemental, car elle offre des potentialités de nouveaux marchés, en relation avec les Tic. Cette perspective d’une nouvelle économie culturelle doit être questionnée, d’ores et déjà.

Mots clés

Culturisation de l’économie mondiale – économie culturelle- diversité culturelle – grand projet – industries créatives – industries culturelles.

In English

Abstract

After noting that the emphasis on cultural diversity, as large global project, is to link with the opening of trade and increased industrialization of culture, information and communication, the author shows that this approach is underpinned by the promotion of creative industries, more and more present in cultural policies (but differently according to the regions of the world); more recently, international institutions tend to make culture a driver and enabler of economic, social and environmental development, as it offers the potential of new markets, in conjunction with the ICT. The prospect of a new cultural economy must be questioned, already.

Keywords

Culturisation of the global economy – economy cultural – cultural diversity – great project – creative industries – cultural industries.

En Español

Título

El cambio a la nueva economía de la cultura

Resumen

Tras señalar que el énfasis en la diversidad cultural, tan grande proyecto mundial, es vincular con la apertura del comercio y una mayor industrialización de la cultura, la información y la comunicación, el autor muestra que este enfoque se basa en la promoción de las industrias creativas, cada vez más presentes en las Políticas Culturales (pero de manera diferente en diferentes regiones del mundo); más recientemente, los organismos internacionales tienden a hacer de la cultura un motor y potenciador del desarrollo económico, social y ambiental, ya que ofrece la posibilidad de nuevos mercados, en conjunto con el Tic. La perspectiva de una nueva economía cultural debe ser cuestionada, ya.

Palabras clave

culturización de la economía mundial – la diversidad cultural- economía cultural – gran proyecto – industrias creativas – las industrias culturales.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Miège Bernard, «Conférence inaugurale – L’orientation vers la nouvelle Économie culturelle», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°15/2B, , p.17 à 23, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2014/supplement-b/01-conference-inaugurale-lorientation-vers-la-nouvelle-economie-culturelle

Introduction

A quel titre suis-je fondé à intervenir devant vous et à prononcer cette conférence ouvrant notre colloque ? Croyez bien que je me suis interrogé et que mes hésitations n’étaient pas feintes. Entre notre premier colloque et cette troisième réunion, il s’est écoulé huit années, mais au cours de cette période, les mutations s’avèrent essentielles : non seulement les Tic sont aujourd’hui présentes dans les pays africains au-delà de ce qu’il était envisagé, mais des universitaires africains eux-mêmes ainsi que des étudiants avancés se sont emparés de cet objet de recherche, et des connaissances élaborées commencent à être disponibles même si les échanges entre eux demeurent insuffisants. Et l’intérêt pour ce Colloque, dès son annonce, montre bien que nous avions raison de persévérer dans la recherche de la relation qui unit la communication (ou plutôt l’Information – Communication) et les changements sociaux. Ce que nous entendons mettre en évidence, ce sont des enjeux autant stratégiques que réflexifs, des enjeux dont nous percevons combien ils sont de plus en plus décisifs. Si un quatrième Colloque voit le jour, il aura assurément beaucoup à faire et à traiter.

Si finalement, je suis celui qui prononce aujourd’hui cette conférence, c’est que parmi les nombreux thèmes qui émergent de ce contexte marqué par de rapides changements, il en est un qui m’occupe depuis longtemps, presque depuis le début de ma longue carrière universitaire, et qui prend aujourd’hui un tour nouveau, auquel une impulsion est en train d’être donnée, c’est celui des rapports entre l’économie et la culture. Or, je suis assez convaincu que cette articulation complexe entre culture et économie nous occupera à l’avenir, vous également ici dans les pays africains, et pas uniquement parce qu’elle devient un grand projet globalisé, mais parce qu’elle est l’un des horizons clé du développement technologique amorcé. D’un point de vue communicationnel, il ne suffira pas de porter les regards sur les diverses facettes de l’ancrage des techniques dans les sociétés et les organisations africaines, comme on a commencé de le faire, pour mesurer ou apprécier les écarts entre les promesses technologiques et les pratiques effectives (c’est une démarche indispensable) ; il conviendra de se questionner sur les bouleversements qu’elles entraînent dans nos pratiques culturelles, et même sur les changements qu’elles apportent à nos productions culturelles. En effet, il est prévisible que les Tic, celles d’aujourd’hui et celles de demain, sont et seront le vecteur et même l’accélérateur de la mise sur le marché (ce que l’on désigne comme un procès de marchandisation) des activités et produits culturels, et même de l’industrialisation d’une partie d’entre eux. En quelque sorte, l’avancée des Tic engage vers la perspective d’une économisation de la culture, voire même d’une culturisation de l’économie (mais là le terme est plus lointain et plus improbable). En tout cas, c’est une conviction que je me suis forgée progressivement, bien sûr à partir de mon environnement immédiat, avant tout européen, mais les indices de son extension commencent à s’accumuler. Mais avant d’en esquisser une présentation plus complète, il me faut procéder par étapes.

En revenir à la diversité culturelle

Depuis une dizaine d’années, l’expression, ou plus exactement le syntagme est au premier plan. La Convention de 2005 de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles a incontestablement multiplié les usages du syntagme sans réduire la multiplicité et la variété des signifiés (des énoncés) auxquels il donne lieu, ni surtout sans faire avancer la compréhension sociopolitique des phénomènes impliqués et sans faire progresser la connaissance (scientifique) des enjeux représentés en/par lui.

Tout se passe comme si les différentes catégories d’acteurs s’emparaient de la notion pour lui accoler des signifiés divers, traduisant les perceptions, les approches et les propositions qui leur sont propres. Le fait n’est à première vue pas surprenant : c’est le destin de bien des expressions arrivant sur le devant des scènes politico-culturelles, surtout internationales, et la variété des intérêts prêts à s’y manifester éclaire s’il ne justifie pas cet étrange ballet joué par ceux qui emploient l’expression, ou plutôt qui en jouent. En ce sens, on s’explique pourquoi l’expression entraîne avec elle toute une série d’ambiguïtés récurrentes et même qu’elle se montre particulièrement résistante à tout essai de définition un tant soit peu argumentée ou de précision susceptible de réduire le champ des possibles ; pire, elle n’est que rarement l’occasion de discussions, de débats et d’oppositions, et plus encore de conflits intellectuels.

La plasticité de la notion est de ce fait comme la garantie de sa survie institutionnelle, et le mixage théorique qui la caractérise (ce trait a d’ailleurs été signalé par plusieurs auteurs, de filiations théoriques différentes) n’est pas la conséquence d’ambiguïtés mal assumées, de confusions intellectuelles perpétuées ou d’argumentations conduites sans rigueur ; il est un élément constitutif de la position qui lui est assignée et qu’elle tend de plus en plus à occuper, tant dans le champ des idées, que dans celui des objectifs politiques à poursuivre que des actions culturelles à entreprendre. Et, au moment où l’articulation entre culture et développement est en train de devenir une perspective mondiale, la diversité culturelle s’apparente à un fanal, doté du pouvoir de fédérer des énergies et d’orienter des actions et des politiques, ou du moins à qui ce pouvoir de dire et d’organiser est dévolu.

Déjà en 2006 il nous était apparu que l’émergence de la Diversité culturelle était étroitement corrélée avec la mondialisation et l’ouverture des échanges, et même qu’elle est en rapport étroit avec : 1° un élan nouveau donné à l’industrialisation de la culture et de l’information et 2° les stratégies d’élargissement des marchés. Ceci nous avait conduit à esquisser un positionnement différencié des stratégies déjà engagées par des pays africains. Ces divers éléments de contextualisation nous semblaient devoir être pris en compte et expliquaient l’étonnante conjonction d’intérêts peu conciliables autour de la Diversité Culturelle. En plus, avec d’autres auteurs, parmi lesquels tout particulièrement Armand et Tristan Mattelart, nous avions entrepris la déconstruction de la notion, répondant et critiquant les travaux et propositions d’économistes -libéraux- de la culture (parmi lesquels Tylor Cowen, David Throsby et Françoise Benhamou). Et nous avions insisté sur le fait qu’on n’avait pas affaire seulement à un débat de spécialistes, disons à des réactions de socio-économistes face à des prises de positions d’économistes, et à des discussions assez techniques (par exemple sur la validité de la dite- longue traîne ou sur la pertinence du recours à des indicateurs de mesure de la diversité).

Toutefois, si la déconstruction de la notion est à poursuivre sur le plan théorique, aujourd’hui cela ne saurait suffire, car la diversité culturelle se rattache à la catégorie des grands projets de dimension mondiale, et à finalité politico-idéologique. Bien d’autres signifiés lui sont désormais accolés, émanant ou non d’instances internationales, de think tank, ainsi que de spécialistes, qui ont rejoint le mouvement à partir de leurs propres points de vues : anthropologues, sociologues de la culture, linguistes, politistes, etc. Le syntagme prend les significations les plus diverses et d’une certaine façon il est le plus souvent déconnecté des conditions et du contexte de son émergence (même si celui-ci est prêt à resurgir au fur et à mesure des aléas du commerce culturel mondial, par exemple à l’occasion de négociations bilatérales ou multilatérales, ou à chaque étape de la montée en puissance et des coups de force des nouvelles majors mondiales de la communication). Ce qui nous apparaît, c’est que ces différents discours, dans leur variété, notamment thématique et disciplinaire, ne sont pas moins légitimes que les précédents mais qu’ils sont partiels (les enjeux dont ils traitent méritent ce qualificatif, ils sont décentrés) et surtout ils se positionnent en dehors / à coté des enjeux principaux, contribuant à en obscurcir la perception et même à même à produire comme un embrouillamini, fonctionnant comme un paravent de l’avancée des marchés culturels en cours de mondialisation.

Une bonne partie des discours de la diversité justifient cette critique, y compris des discours « savants » et … bien intentionnés, car ils sont en quelque sorte « à côté de la plaque ». On peut citer aussi bien les visions relevant d’une inter-culturalité humaniste que ceux qui se rattachent à la sociologie des pratiques culturelles, à l’anthropologie culturelle contemporaine ou portant sur les difficultés du dialogue interculturel, à la linguistique (plus précisément aux échanges linguistiques, car pratiquement ils ne comprennent aucune référence aux enjeux centraux sur lesquels nous avons insisté précédemment.

La question des industries créatives, et l’élan qu’elles impulsent

On ne reviendra pas ici sur ce qui est à l’origine du projet des industries créatives, ni sur leurs fondements théorico-idéologiques, pas plus que sur l’impossibilité d’en dresser une liste cohérente. Mais on insistera sur le fait qu’entre les filières créatives le plus couramment évoquées  et les filières culturelles historiques ou récentes, il n’y a aucune commune mesure, macro-économiquement parlant, car les secondes occupent une position nettement plus conséquente que les premières (en termes de capitaux valorisés, de chiffres d’affaires, d’emplois, de flux d’échanges, etc.). Et il est essentiel de se demander si les spécificités recensées antérieurement pour les industries culturelles se retrouvent dans des filières telles que l’industrie de la mode, les industries des biens de luxe, et l’artisanat d’art (le cas du design est plus complexe car il reste souvent indissociable d’industries faisant appel à lui : ameublement et décoration, automobile, etc.). Effectivement, la consistance des produits semble proche sinon analogue, mais il s’agit surtout de produits semi-reproductibles et non de produits reproductibles comme pour la majorité des produits culturels et informationnels. Et une différence significative apparaît dès lors quant à la nature même de ces produits : s’ils font appel à la créativité dans la phase de conception, ils sont également adossés au patrimoine qu’ils reproduisent et même qu’ils étendent, étant conservés pour être échangés et vendus (c’est le cas des industries du luxe, et même de la mode) ; on doit reconnaître qu’il y a là une différence flagrante avec la très grande majorité des produits culturels, qui s’ils sont bien adossés à des références culturelles donc patrimoniales ne sauraient donner lieu à la formation de patrimoines transmissibles et monétisables (même si, dans le cadre de deuxièmes marchés, des collections de disques noirs ou de livres anciens sont aujourd’hui l’objet de transactions commerciales entre passionnés fortunés ou non) .  Quant au management de la créativité, si les phénomènes de starisation sont communs il  révèle des dissemblances notables. Si les industries du luxe, historiquement, ont employé toutes les formes de travail pour la conception des produits, la forme entrepreneuriale est maintenant largement dominante, depuis les entreprises personnelles de l’artisanat d’art jusqu’aux firmes et même groupes des industries du luxe et de la mode ; la conception/création est largement internalisée (même si le travail garde des traits de la petite production artisanale) et cela s’explique par l’adossement à la maison et à la marque ; il en est différemment pour les industries culturelles, où la phase de conception reste -principalement- externalisée (livre, musique enregistrée et cinéma), sauf dans celles qui s’organisent comme industries médiatiques (presse, radiotélévision) et dans les récentes filières (jeux vidéo et info-médiation). En tout cas, les unes et les autres ont à assurer un renouvellement permanent et régulier des valeurs d’usage des produits offerts, exigence d’autant plus prégnante qu’elles ne connaissent pas un processus d’innovation cumulatif et incrémentiel (qui se retrouve dans la plupart des entreprises industrielles dans les autres secteurs d’activité économique). Mais quand on regarde de plus près, même à ce niveau, des particularités apparaissent : on n’achète pas du Gallimard mais un roman de tel auteur, sous contrat avec la prestigieuse maison d’édition comme des dizaines ou des centaines d’autres , et le succès de tel film est garanti plus ou moins par la participation de tel comédien connu ou de tel réalisateur, mais cela n’est pas comparable au rôle d’un (seul) créateur dans une maison de Haute Couture ; et le caractère incertain ou volatil des valeurs d’usage ne conduit pas aux mêmes résultats et aux mêmes pratiques, dans le cas de marchés de masse, certes segmentés comme celui des livres ou des films, et dans celui de marchés restant avant tout (très) sélectifs socialement et économiquement ; on rappellera aussi que subsiste dans les industries culturelles un écart très important entre ce qui est produit et ce qui est consommé (cf. le pilon pour les livres non vendus), et que l’ajustement des offres et des demandes s’effectue toujours ex post (en dépit des toutes les méthodes utilisées) et avec une énorme déperdition de la production.

Enfin si l’on s’intéresse aux modalités de distribution des produits, on remarque que la distribution des produits des filières créatives semble obéir à des règles toutes spécifiques qui, précisément, les éloignent des industries culturelles. Toutes ces entreprises créatives (c’est bien connu pour la Haute Couture ou les industries « historiques » de biens de luxe  mais cela se vérifie aussi pour les entreprises de mode, plus récemment créées), sont tenues de réserver une part importante de leurs ressources aux immobilisations de nature immobilière; désormais, ces immobilisations sont positionnées à travers le monde, même si pour le très haut de gamme (comme la Haute Couture bien sûr) les clients préfèrent encore se déplacer dans les centres de création historiques. Les ventes à distance par le biais de sites numériques peinent énormément à prendre le relais et surtout à gagner en légitimité. D’une façon générale on est là en présence d’une opposition nette avec les industries culturelles.

Finalement, on peut sans doute recenser entre les unes et les autres des similitudes ainsi que des tendances vers un rapprochement. Mais cette façon de procéder laisse de côté toute une série de différences qui perdurent d’autant plus clairement que les « systèmes juridiques » (d’un côté droit d’auteur et copyright, droit des marques et propriété intellectuelle de l’autre) sont loin de s’interpénétrer.

Après une période d’atermoiements, d’essais-erreurs et de confrontations internationales parfois difficiles, le projet connaît désormais un élan et une reconnaissance internationale incontestables, et ce en dépit de la faible conceptualisation de l’expression et même de la difficulté à en donner une approche accordant même superficiellement les points de vues.  En première analyse, ce qui aujourd’hui met les industries créatives au premier plan de l’agenda international, c’est qu’elles se positionnent à la fois en prolongement de la Convention de 2005 de l’Unesco sur la Diversité des expressions culturelles et  en dépassement des travaux sur la Société de l’Information, engagés dans les Sommets mondiaux de 2003 et 2005, et tenus alors pour trop techno-centrés.

Dans un continent comme l’Afrique, les industries créatives sont quasiment réduites aux industries culturelles (livre, musique, cinéma et audiovisuel), hormis l’artisanat d’art (relié au tourisme) ou la mode ; cela est explicable et même réaliste, tant la plupart des autres filières ne sont guère créatrices d’emplois et génératrices de revenus dans actuellement dans la plupart des pays africains.

L’Unesco a mis en œuvre toute une série de soutiens aux Etats, qui ne se limitent pas au Guide publié à cet effet (Politiques pour la créativité – Guide pour le développement des Industries culturelles et créatives, 2012) , et dont l’inspiration majeure est de fait à rechercher dans l’Europe des années 70; le rôle des Etats y est central, mais il est vrai en dehors d’une organisation administrative classique, et avec le souci de promouvoir le droit d’auteur et les droits de la propriété intellectuelle. Les propositions allant dans le sens d’un encadrement public sont parfois d’une grande précision, et elles s’accompagnent d’une formation des cadres administratifs et professionnels. En Afrique, l’Unesco joue un rôle d’accompagnateur, et même de prescripteur, de conseiller technique, de formateur, etc.

Toutefois, ce sont moins les propositions et les prescriptions qui interrogent ; ce sont surtout les questions suivantes, auxquelles il n’est pas donné de réponse, et qui sont dans un proche avenir, pour les politiques culturelles comme pour les acteurs culturels, loin de pouvoir donner lieu à des réponses satisfaisantes. Je me contenterai de signaler celles qui ont été discutées lors d’un récent Colloque (IRMC, Tunis, juin 2013).

  • Comment éviter une industrialisation organisée autour des standards transnationaux ?
  • Comment ne pas se focaliser sur des îlots d’industrialisation ?
  • le recours aux créateurs non professionnels ne se révélera-t-il rapidement comme un piège pour ceux-ci, incités à produire sans que soient organisées les occasions de la valorisation de leurs produits ?
  • Les nouveaux marchés de produits de contenus ainsi générés ne renforceront-ils pas les inégalités sociales d’accès et ce, en fonction des critères de distinction généralement reconnus : ressources économiques, ressources éducatives et culturelles, genre, âge et localisation ?
  • Comment concilier une politique publique avec une marchandisation s’appuyant sur les Tic, et donc une ouverture quasi-programmée sur les marchés extérieurs? Comment faire en sorte que les outils et modalités de l’intervention publique puissent s’expérimenter et s’affirmer dans un environnement marqué par la priorité accordée au libéralisme économique ?

L’articulation entre culture et développement économique

Ces questions, et d’autres que la recherche devra suivre avec attention dans la période qui s’est ouverte, sont essentielles à la compréhension des enjeux proprement communicationnels, qui ne sauraient se limiter à la mise en évidence des pratiques émergentes puis en croissance des outils de communication. Mais ce dont il est maintenant question c’est d’une orientation globale impliquant y compris l’Afrique et qui relie culture et économie.

Déjà la résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies à la fin de 2010, était intitulée « Culture et développement ». De cette résolution, on peut lire dans les paragraphes, 2 c) et 2 d), une invitation aux Etats et aux organisations internationales :

« …c) À promouvoir le renforcement des capacités, selon qu’il conviendra, à tous les niveaux, en vue de donner naissance à un secteur culturel et créatif dynamique, notamment en encourageant la créativité, l’innovation et l’esprit d’entreprise, en favorisant le développement d’institutions et d’industries culturelles durables, en assurant la formation technique et professionnelle de spécialistes de la culture, et en multipliant les possibilités d’emploi dans ce secteur, au service d’une croissance économique et d’un développement durables, non sélectifs et équitables ;
d) À soutenir activement les nouveaux marchés locaux de biens et services culturels, et à faciliter leur entrée efficace et officielle sur les marchés internationaux, en tenant compte de la diversification croissante de la consommation culturelle et, pour les États qui y sont parties, des dispositions de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles… ».
(Nations Unies, 2010,  A/C.2/65/L.50)

Plus encore, on trouve affirmée cette perspective dans le Creative Report de l’Unesco (en collaboration avec l’UNDP, le programme des Nations Unies pour le Développement) (Voir http://www.unesco.org/culture/pdf/creative-economy-report-2013.pdf
et http://academy.ssc.undp.org/creative-economy-report-2013,
consultés le 07/01/2014). Dans ce tout récent rapport, abondamment documenté par la présentation de cas, non seulement on a en quelque sorte gommé diverses incertitudes, imprécisions et erreurs portant sur les industries créatives, mais surtout tout tourne autour du potentiel que représente la culture pour le développement : la culture est-il affirmé est le moteur et le catalyseur du développement économique, social et environnemental. L’accent, ainsi,  est mis délibérément sur l’économie créative et la créativité des sociétés, ce qui conduit à distinguer les expressions culturelles, les industries créatives, les industries culturelles et les industries connexes (essentiellement à base technologique), et à insister sur les relations entre le formel et l’informel, le niveau local, les clusters et l’entrepreneuriat, et bien sûr sur l’ouverture des échanges.
Ce projet est réellement mondial, mais il est en quelque sorte « naturalisé » et adapté aux diverses Régions du monde (avec de réelles différences). Et il renforce des éléments qui étaient seulement esquissés antérieurement.
Et, s’il concerne de près des chercheurs en Information – Communication, c’est qu’il a en quelque sorte une « vocation structurante » ; sous différents aspects en effet, la communication médiatisée est directement impliquée, en ce qu’elle intervient maintenant activement dans la production, la diffusion et la consommation des produits culturels et informationnels. Vous conviendrez qu’il est de la plus haute importance que des contenus culturels authentiquement africains y trouvent toute leur place. Je ne suis pas convaincu que le Rapport précité, en privilégiant l’économie créative et la dimension locale, donne vraiment les clés pour y parvenir.

Et même si j’ai toujours peine à qualifier un phénomène, une pratique ou une politique de nouveau (ou de nouvelle), il m’apparaît que la perspective d’une nouvelle économie est effectivement tracée, autour de laquelle se dégagent des enjeux tant stratégiques que scientifiques. Il y a beaucoup à faire pour les mettre à jour.

Auteur

Bernard Miège

.: Bernard Miège est professeur émérite de sciences de l’Information – Communication à l’Université Stendhal, Grenoble, où il participe aux travaux du laboratoire Gresec. Parmi ses travaux récents l’ouvrage écrit en collaboration avec Philippe Bouquillion et Pierre Moeglin L’industrialisation des biens symboliques – Les industries créatives au regard des industries culturelles, Pug, 2013. A paraître au début de 2015 : Contribution aux avancées de la connaissance en Information et Communication, INA / Au bord de l’eau.