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Présentation du supplément 2014 B – Communication & Changements sociaux en Afrique

30 Jan, 2015

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Missé Missé, «Présentation du supplément 2014 B – Communication & Changements sociaux en Afrique», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°15/2b, , p.7 à 16, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2014/supplement-b/00-presentation-du-supplement-2014-b-communication-changements-sociaux-en-afrique

Introduction

En avril 2014, le LACREM de l’Université de Douala et le GRESEC de l’Université de Grenoble3 organisaient le troisième Colloque international sur « Communication et changement social en Afrique », réunissant des spécialistes d’Afrique, d’Europe et du Canada. Le thème de cette rencontre a été choisi à partir d’un constat. Faiblement connecté au reste du monde, pendant longtemps, le continent africain a été considéré comme un laissé-pour-compte dans le mouvement d’émergence et de développement des techniques d’information et de communication. Par ailleurs l’industrialisation de la culture et de la communication n’est pas perçue comme un enjeu pour les acteurs des Tic. Cette opinion assez généralement partagée se traduit aussi par un manque d’intérêt de chercheurs africains et non africains, pour étudier au-delà des Tic, le secteur des industries culturelles et créatives dans le contexte africain. Pourtant l’accès aux Tic s’est démocratisé et ces dispositifs ont littéralement envahi de nombreux domaines. De même, les Tic sont au cœur des enjeux de la connaissance et des enjeux sociétaux; la plupart des professions mobilisées s’inscrivent désormais, au-delà des seules performances des systèmes techniques, dans des logiques de nature différente : logiques de communication politique, scientifique, économique et organisationnelle. Les scènes sont tout aussi  diverses : militante, culturelle, militaire, professionnelle ou médiatique. Comment interpréter cet engouement ? Au moment où de nombreux acteurs doivent s’engager de façon professionnelle dans des pratiques d’industrialisation, l’objectif de ce colloque était de discuter et de contribuer à dégager une vision plus globale des spécificités du continent africain dans toute sa diversité en ce qui concerne le domaine des Tic, ainsi que des industries culturelles et créatives.

Des trente communications et présentations, après évaluation, nous en avons retenu seize pour le présent volume, regroupés sous cinq thématiques :

  • les ancrages sociaux des Tic (axe 1 – 4 contributions) ;
  • les industries culturelles & créatives face à la diversité culturelle (axe 2 – 4 contributions);
  • les Tic et les pratiques professionnelles, dont les pratiques journalistiques (axe 3 – 1 contribution);
  • les Tic  et le pluralisme des expressions politiques (axe 4 – 3 contributions);
  • les Tic et les mouvements sociaux (axe 5 – 4 contributions).

Conférence inaugurale : « L’orientation vers la nouvelle économie culturelle »

Miège Bernard

Le conférencier montre qu’une différence nette existe, macro-économiquement parlant, entre les filières créatives le plus couramment évoquées et les filières culturelles historiques ou récentes. Pour lui les syntagmes de « la diversité culturelle » et des « industries créatives » structurent les mutations essentielles de « l’économisation de la culture, voire même la « culturisation de l’économie ». Les secondes occupent une position nettement plus conséquente que les premières. Quant au management de la créativité, il  révèle des dissemblances notables avec les industries du luxe. Il conclut qu’au moment où l’articulation entre culture et développement est en train de devenir une perspective mondiale, la diversité culturelle s’apparente à un fanal, doté du pouvoir de fédérer des énergies et d’orienter des actions et des politiques, ou du moins à qui ce pouvoir de dire et d’organiser est dévolu. Enfin les Tic sont aujourd’hui présentes dans les pays africains au-delà de ce qu’il était envisagé et les universitaires africains eux-mêmes ainsi que des étudiants avancés, profitant de la disponibilité  des connaissances élaborées, se sont emparés de cette nouvelle économie culturelle.

Axe 1 : Les ancrages sociaux des TIC

Usages du téléphone mobile par les jeunes abidjanais : définition d’une nouvelle sociabilité ?

Akregbou Boua Sylvain

Ce texte s’intéresse aux enjeux sociaux des usages et appropriations du téléphone mobile par les jeunes abidjanais et à leur  rapport de à cet outil technique. L’auteur formule l’hypothèse que les usages que les jeunes abidjanais font de leur mobile en public revêtent un enjeu social. Les données de cette recherche qualitative ont été collectées à partir d’ entretiens semi-directifs menés auprès d’un échantillon de 14 hommes et 14 femmes âgés de 18 à 35 ans rencontrés dans les espaces de sociabilité des jeunes dans six communes d’Abidjan. Les résultats montrent que le mobile remodèle  les comportements et le mode de vie quotidien des jeunes et induit de nouvelles dynamiques relationnelles. La majorité des enquêtés adaptent leurs comportements en fonction du type de téléphone que le jeune possède. L’emprise du téléphone portable sur les jeunes est structurée par le type de téléphone portable et le discours promotionnel véhiculé par les médias de masse. Les stratégies de verrouillage mises en place par les opérateurs du téléphone, en fidélisant leurs consommateurs, favorisent la constitution de véritables « communautés » virtuelles. Enfin, quand l’on s’abonne à un réseau de téléphonie, l’on achète implicitement une place dans un réseau de relations. Par contre l’apparition de nouvelles formes de socialité n’a pas encore mis un terme à la vie traditionnellement communautaire des africains.

La cybercriminalité au Bénin : une étude sociologique à partir des usages intelligents des Technologies de l’Information et de la Communication

Tasso Boni Florent, avec la collaboration de Monique Ouassa Kouaro

L’article met l’accent sur l’intelligence négative à la base de certains usages déviants des TIC au Bénin. La collecte des données sur un échantillon à choix raisonné est réalisée dans les villes de Cotonou et d’Abomey-Calavi. Pour saisir le sens de leur objet de problématisation, les auteurs ont mobilisé l’analyse corrélationnelle des données empiriques, traitées avec le logiciel Atlas.Ti, l’individualisme méthodologique et la méthode de la Classification Ascendante Hiérarchique appliquée aux indicateurs d’usages (tels l’ancienneté de l’usage, la diversité et l’intensité des applications utilisées, le contenu des sites consultés, etc.). Les résultats mettent en lumière une typologie des usages d’Internet orientée vers la cybercriminalité : Internet est devenu un vecteur privilégié d’une nouvelle forme de criminalité opérée principalement par des escrocs  qui portent des sobriquets divers : « gay man », « NigerianScam », « computerman » ou encore  « 419 Scam». L’arnaque aux biens, qui domine ce crime organisé prend des voies diverses : « arnaques par Chat », hameçonnage, l’ »arnaque à la nigériane ». Enfin, un cadre juridique et institutionnel inadapté ainsi que la crédulité et l’ignorance des usagers sont un terreau fertile pour ces usages déviants sans frontière.

Escroqueries et arnaques sur Internet au Ghana : le phénomène sakawa

Perrot Thomas

Cette présentation est une étude ethnographique de l’Internet  qui porte sur les usages déviants de l’Internet. Même si  la pratique étudiée est très répandue, notamment en Afrique de l’Ouest, mais pas seulement, elle est  appréhendée partir du cas ghanéen. L’intérêt du chercheur naît des pratiques observées lors de la visite des points d’accès à l’Internet (les cyber cafés). Le matériau a été collecté pendant huit mois, entre 2009 et 2012. Le thème de la « cybercriminalité » est la clé d’entrée d’une ethnographie de l’Internet, qui en dévoile l’histoire souterraine, peu abordée dans les discours publics (médiatiques, académiques et de promotion).  L’intérêt de ce travail réside dans la critique de ces discours qui sont fondés sur des explications techno-centrées, comportementalistes et culturalistes. Contre cette approche normative, qui ne situe les individus qu’en regard de la loi ou de la morale, l’auteur cherche à construire cet Internet d’en bas, illicite, en mettant en évidence les logiques anthropologiques, sociologiques ou économiques qui sont à l’œuvre dans ce phénomène criminel qui mêle escroquerie en bande organisée et pratiques magico-occultes. Ainsi en dehors de l’intelligence criminelle, la magie ou la sorcellerie expliqueraient le succès des activités d’arnaque impliquant de fortes sommes d’argent. Cette dimension cachée fait apparaître l’Internet comme un objet d’investigation problématique, qui structure de nouveaux types de rapports sociaux et de transformations sociales liés aux technologies de l’information et de la communication, aux niveaux local, national et international. L’impact social de ces pratiques reste à évaluer.

Appropriation du téléphone portable dans l’économie informelle de la ville de Ouagadougou (Burkina Faso)

Compaoré Alizéta

L’auteure expose les résultats d’une recherche sur les usages du téléphone portable dans le secteur économique informel au Burkina Faso, par des acteurs souvent illettrés. L’objectif est,  de mettre en évidence les contraintes institutionnelles, culturelles et idéologiques dans lesquelles s’inscrivent lesdits  usages. L’hypothèse retenue est que les inégalités socio-économiques influent sur les capacités d’initiatives et de représentation des individus liées à l’usage des Tics. Les outils mobilisés pour la collecte des données sont l’entretien semi-directif et l’observation directe. Les entrevues se sont déroulées au cours du mois de septembre 2013 à Ouagadougou.  La méthodologie consiste en une approche compréhensive pour mettre en sens les actes individuels liés à l’utilisation du téléphone portable et aux transformations sociales. Les principaux résultats dévoilent les tactiques et stratagèmes que développement des acteurs du secteur informel pour lutter contre la précarité, la paupérisation et la marginalisation.  Les représentations du téléphone portable qui ressortent du discours des usagers  mettent en lumière le téléphone portable comme un objet ambivalent : un outil ordinaire d’intégration sociale,  un moyen de promotion des activités socioéconomiques mais également un facteur de déstabilisation de la cellule familiale. En conclusion, sont confirmés des résultats déjà connus : particulièrement l’absence d’une relation uniquement manipulatoire des Tic sur les usagers et l’importance de l’insertion de ces outils techniques dans un univers social, symbolique, de croyances, de valeurs et de mythes. Avec beaucoup d’humilité, l’auteure suggère d’éviter toute forme d’amalgame et d’extrapolation hâtive.

Axe 2 : Les industries culturelles et créatives face à la diversité culturelle : stratégies d’acteurs

Les centres d’appels dans la communication organisationnelle au Cameroun : outil de médiation et de co-construction de l’image de l’organisation

Temadjo Jacques, Bodiong Déborah

La présente communication est une réflexion, à la fois diachronique et synchronique, sur les logiques à l’œuvre dans le phénomène des centres d’appel des entreprises de téléphonie mobile d’Orange Cameroun et de MTN Cameroun, à la faveur du développement des Tic. Les auteurs définissent le Call center comme faisant partie d’une stratégie de communication organisationnelle qui permet au télé-conseiller de rassurer le client et partant de le fidéliser et d’accroître le capital-image et confiance de l’organisation. Les auteurs conceptualisent le Call center comme un dispositif  de médiation. Ce faisant, les Centres d’appel révolutionnent l’univers organisationnel et la nature des relations avec des consommateurs devenus de plus en plus exigeants.  L’outil de recherche  comprend l’observation et les entretiens.  Les informations sont décryptées à travers la grille de l’analyse des stratégies des acteurs. Les principaux résultats sont les suivants : les logiques des acteurs sont traversées par des intérêts contradictoires ; le client recherche la qualité du service alors que les opérateurs de téléphonie mobile sont d’abord à la quête effrénée de la rentabilité. Les Centres d’appel sont une ressource de création de valeur ajoutée pour l’entreprise.

Communication pour le développement et intégration sociale des nouveaux dispositifs : Les modèles existants d’acceptation et d’appropriation et le rôle de la Valeur perçue d’usage

Velmuradova Maya

La recherche de Maya Velmuradova est inscrite dans le champ de la communication pour le changement social. Elle vise à tester les résultats obtenus dans l’appui aux PME (les services gratuits de conseil et d’accompagnement aux entreprises) par l’USAID au Turkménistan, dans le contexte des pays africains. La problématique se construit autour des problématiques de l’acceptation (perspective anglo-saxonne) et de l’appropriation (approche francophone). L’auteure se fixe pour objectif d’étudier « en profondeur » la formation de la VPU, ainsi que son rôle dans l’appropriation cognitive et l’acceptation des nouveaux dispositifs par leurs usagers. La mise en intelligibilité des données a mobilisé les modèles d’intégration sociale des innovations en SIC, l’individualisme méthodologique, l’analyse lexicale et thématique des contenus. Elle critique la normativité des approches communicationnelles du changement social et de la théorisation sur la Valeur perçue d’usage (VPU). Les résultats obtenus montrent que la VPU est l’essence de l’usage ou de l’appropriation cognitive. Les PME-usagers connaissent les trois dimensions de la VPU : les contenus, la structure hiérarchique et l’intensité. Un lien existe entre la formation de la VPU et la décision d‘acceptation. L’insertion sociale des Tic d’utilité sociétale comme dispositifs d’accompagnement du changement social  est fonction des représentations et de l’imaginaire de leur usage par leurs usagers finaux, dans les pays du « Nord » et du « Sud ».

Media and Democratic Consolidation In Africa. Côte d’Ivoire Transition Through The Media

Sendin Gutiérrez José Carlos, Caffarel Serra Carmen

Cette recherche qualitative envisage le rôle joué par les médias  de masse et les Tic dans transition politique en Côte-d’Ivoire en 2010. Elle porte sur un échantillon de professionnels des médias nationaux et étrangers. Les résultats montrent un consensus relatif des personnes interrogées sur la nature des médias ivoiriens comme dispositifs de propagande politique. Cette politisation excessive des médias, aboutissant à une polarisation et à des produits éditoriaux  manichéens donc peu objectifs. Ces contenus font des médias ivoiriens de véritables médias de la haine, politique et  ethnique, qui ont été des déclencheurs des violences postélectorales. Ils ont ce faisant contribué au renforcement des constructions et des luttes identitaires dans le pays. Cependant le rôle des radios communautaires est moins clivant, probablement parce que ces supports ne sont pas autorisés à produire des contenus politiques. Par ailleurs les blogueurs vivants en Côte-d’Ivoire ont été peu actifs, probablement du fait des difficultés d’accès à l’Internet. Cette participation aux joutes  politico-militaires révèle le potentiel des médias ivoiriens comme des dispositifs de mobilisation populaire qui peuvent servir dans d’autres champs sociaux.

Les  créateurs, maillons faibles des Tic en Afrique ?

Saerens Patrick

L’auteur inscrit son travail dans un contexte où la société de l’information semble avoir conquis les gouvernants et où les pouvoirs publics  accordent la priorité aux nombreux besoins primaires. La puissance publique relègue ainsi la protection des droits intellectuels au second plan. Cela se traduit par la faiblesse des politiques publiques de la culture, incluant le financement public du secteur culturel et  l’encadrement des acteurs et créateurs culturels. De ce fait les spécificités du continent sont de plus en plus assimilées à des biens et des services par la philosophie du libre-échange que les acteurs institutionnels tentent d’imposer. La tension permanente entre le droit au libre échange (OMC) et le droit à la diversité culturelle (UNESCO) est absente du débat africain sur la culture et la communication. Pourtant des instruments juridiques existent pour protéger la diversité culturelle, fortement mise en danger par les nouveaux enjeux culturels de la mondialisation néolibérale. L’auteur analyse différents dispositifs juridiques et institutionnels du secteur culturel et leur capacité pour l’amélioration des droits des créateurs africains. Pour l’auteur les Tic ont un effet catalyseur qui pourrait être, à terme, dévastateur pour la diversité culturelle de l’Afrique.

Axe 3: Les Tic et les pratiques professionnelles, dont les pratiques journalistiques

Usages des Tic, communication et communautés virtuelles au Cameroun : contextes organisationnels marchands et construction de la convergence

Kemayou Louis Roger

Est ici posé le problème de la modernisation de la gouvernance des organisations industrielles et commerciales au Cameroun à travers l’utilisation des Tic. Ces entreprises adoptent des stratégies de communication pour séduire leurs publics. Cette stratégie est limitée par un faible maillage du pays par les infrastructures des télécommunications, en dépit de l’opportunité du don américain de la fibre optique à l’État du Cameroun  (dans le cadre de l’accord de partenariat conclu à la faveur du pipeline Tchad-Cameroun, depuis 2001), ainsi qu’un inégal accès à l’Internet et à l’énergie électrique ; ces facteurs trahissent une défaillance des politiques publiques. Les entreprises ont du mal à s’inscrire dans une logique de partage de l’information et à tourner le dos aux facteurs de blocage empêchant de tirer pleinement profit de leurs environnements externes.  Par exemple Orange et MTN sont parmi les principaux fournisseurs d’accès à Internet, aux côtés de Camtel, Ringo, YooMee, Cyberlink. L’essentiel des activités communautaires des fans Facebook de MTN et Orange ne peuvent pas être analysés avec les mêmes référentiels qu’en Occident. Il est difficile de distinguer un ‘’client’’ du téléphone mobile à partir du réseau où il est abonné. En effet près de 80% au moins des professionnels sont ‘’abonnés’’ auprès des deux ‘’concurrents’’, du fait du caractère lacunaire des réseaux et des problèmes de tarification. Ceci compromet la logique de construction d’une communauté virtuelle exclusive de clients- fans.

Axe 4 : Les Tic et le pluralisme des expressions politiques

Marginalized Communities and ICTs: The Case of Bagyeli Participatory Video and Mapping

Barber Nicholas

Le chercheur propose une lecture anthropologique des bénéfices potentiels  et des insuffisances des projets qui visent à autonomiser des communautés marginalisées en Afrique à travers les usages des Tic (vidéo et GPS) dans les projets de développement dans les communautés marginalisées du sud du Cameroun. Les approches mobilisées sont la recherche-action participative et l’analyse rurale participative. Les données sont tirées d’un exercice de cartographie communautaire utilisant la vidéo participative et le GPS, conduit en 2013 dans les communautés indigènes de Bagyeli qui regroupent des pygmées Baka et des populations bantoues. Les résultats montrent que les Tic ont permis aux participants de collecter des données et d’organiser leur propre mise en discours pour répondre à la construction médiatique de leurs communautés, qui est en contradiction avec celle des médias dominants ; le manque d’accès récurrent des Bagyeli aux infrastructures nationales de communication ainsi que les divisions et inégalités parmi les participants au projet en limitent l’ampleur et le succès. Cette défaillance des politiques publiques illustre les limites d’un développement basé sur les Tic, qui occulte les fractures structurelles (sociopolitiques et anthropologiques). 

Le président me parle par texto : semiosis des usages du sms en régime autoritaire a partir du cas camerounais

Atenga Thomas, en collaboration avec Jean Edimo Wangue

Cette communication inscrit l’usage des Tic dans le champ de la communication politique au Cameroun. Elle propose une réflexion sur la gouvernance dans les régimes politiques en transition démocratique, à travers  l’analyse des usages politiques du « sms » adressé par le Président de la République aux abonnés aux réseaux téléphoniques mobiles, chaque fin d’année, depuis 2011. Sur la base d’un échantillonnage à choix raisonné, les données ont été collectées au cours de 10 entretiens approfondis avec des cibles institutionnelles et 50 personnes représentatives des abonnés ayant reçu ce texto, principalement dans la ville de Douala. Les auteurs formulent trois hypothèses : ce SMS participe de la stratégie présidentielle de marketing politique viral; il tente d’humaniser l’image du Président ; enfin il relève de la violence symbolique séductrice. Les auteurs  mobilisent des grilles théoriques variées pour mettre en sens leur objet. Les résultats confirment que la majorité des répondants reçoivent le texto comme une opération de propagande politiqueet comme de la connivence feinte pour imposer et légitimer le Président en tant que figure dominante de la vie politique et sociale. Cette intrusion intempestive d’un individu dans les bases de données informatisées est une violation flagrante des dispositions pertinentes sur la  protection des citoyens par l’institution présidentielle qui en est le garant. 

Les médias publics face aux défis du pluralisme et de la convergence au Burkina Faso

Balima Dimitri

L’approche se centre sur les mutations du champ médiatique. Dans les années 2000 les médias gouvernementaux se trouvent à la croisée des chemins de la démocratie et des innovations technologiques. Le cadre théorique retenu par l’auteur pour soutenir son argumentation met l’accent sur le déterminisme technologique : le développement technologique est issu d’une logique autonome, celle du progrès scientifique… et  la technique se définit comme le principal catalyseur des changements sociaux. Dimitri Balima adresse un plaidoyer aux entreprises médiatiques pour l’investissement dans l’innovation sur les plans technologique et des ressources humaines et de la formation, afin de faire face au défi du passage définitif de l’analogique au numérique. En conclusion, malgré un certain éblouissement par les mirages du numérique, l’auteur marque une certaine réserve, si les principes de base démocratiques, dont le pluralisme dans les médias publics, ne sont pas respectés.

Axe 5 : Les Tic et les mouvements sociaux

Le renouveau médiatique de la séduction évangélique au Cameroun

Teko Tédongmo Henri, en collaboration avec Simon Pierre Nsoe Minsongui

Ce dont il est question c’est de la médiation technologique du fait religieux au Cameroun. Les chercheurs s’intéressent aux usages sociaux de la télévision dans les dynamiques de l’offre d’information des mouvements néo-pentecôtistes, dans un environnement marqué par une concurrence messianique plurielle et concurrentielle et un système télévisuel tout aussi éclaté. Au-delà des analyses déterministes du développement des Tic, ils proposent une approche interculturelle de leur appropriation à des fins de prosélytisme et de propagande. La principale hypothèse est que l’investissement des néo-évangélistes dans le télé-évangélisme se justifie par un environnement socioculturel et spirituel permissif. Le corpus comprend 5 chaînes de télévision à vocation évangélique, retenues selon un échantillonnage à choix raisonné, dans la ville de Douala ; les critères d’inclusion comprennent l’ancienneté  du territoire couvert, la régularité des programmes et l’ancrage social du promoteur. Les informations recueillies lors des différents entretiens ont été complétées par une analyse documentaire. Les résultats indiquent que l’incurie des pouvoirs publics est un terreau fertile pour que cette nouvelle forme de christianisme opère dans un contexte illégalité des télévisions et des églises.

Mouvements sociaux en Afrique et visibilité sociale: parole de femmes sur les réseaux

Angé Caroline

L’auteure explique comment les révolutions arabes ont mis en évidence la libération de la parole féminine et l’irruption de la femme arabe dans le champ politique des luttes sociales citoyennes. Cette problématisation s’inscrit dans la tendance actuelle pour la dimension du « genre » dans l’analyse des questions sociales. A partir d’un corpus de blogs de femmes « inconnues » et « anonymes » au moment de la création de leurs blogs, l’auteure en conclut que l’usage et l’appropriation spécifique des blogs par les femmes arabes jouent un rôle de légitimation, de mise en visibilité et en lisibilité des paroles non institutionnelles « alternatives », contestataires et politiques dans l’espace d’échange interpersonnel qu’est le blog. Pour elle, les paroles des femmes via des blogs dans le contexte des mouvements sociaux comme les printemps arabes apparaissent également comme une médiatisation des figures féminines emblématiques. Ces pratiques de blogs sont socialement inscrites à la fois dans le temps court  de la politique contestataire, celui de la technologie et des réseaux numériques contemporains mais aussi dans le temps long de la culture, des médiations communicationnelles. Enfin, l’usage des blogs s’inscrit dans des formes hybrides au confluent des médias traditionnels et des Tic.

TIC et conflit social : le redéploiement des médias sociaux dans la Tunisie post-révolution

Dahmen-Jarrin Zouha

Ce travail questionne l’usage socio-politique des réseaux de l’Internet. La chercheure analyse la construction symbolique des mouvements sociaux en ligne à travers l’usage des réseaux sociaux de l’internet dans un contexte de transition politico-institutionnelle démocratique en Tunisie. L’hypothèse de départ est que l’espace des mouvements sociaux en ligne est une construction hétérogène et non-unifiée des réseaux numériques en tant qu’espace public de médiation et d’engagement. Les espaces discursifs sont animés par des jeunes proches des partis de l’opposition « séculariste » tunisienne qui participent à la révolution politique tout en déclarent en être indépendants. Cette mobilisation collective passe essentiellement par une activité foisonnante de création de contenus et de circulation de l’information. Elle contribue à élargir le cercle des sympathisants de la révolution en connectant plusieurs sites et en incitant les acteurs à s’engager dans l’action politique par le truchement des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ces interstices de circulation de l’information servent également à la mise en visibilité de groupes sociaux connectés. Ils mettent en lumière des clivages politiques profonds et durables  en même temps que l’ancrage social de ces dispositifs et les pratiques auxquelles ils donnent lieu. La période de transition démocratique en Tunisie confirme l’Internet comme un levier puissant de l’action collective contestataire, libérée des peurs de l’ancien régime.

«Les Tic, la désinformation sur le Web et la propagande en relation avec l’immigration camerounaise au Québec»

Goulet Sophie-Hélène

Ce travail questionne l’impact des Tic sur les nouveaux modèles migratoires depuis le milieu des années 1990. L’étude porte sur un échantillon de 16 ressortissants camerounais en processus migratoire ou installés au Québec depuis moins d’un an, formé en fonction de leur utilisation régulière des TIC. Les conclusions montrent que la plupart des Camerounais désireux de s’installer au Québec utilisent les réseaux sociaux, sans que la Toile soit absolument l’élément déclencheur du projet migratoire. Elles mettent en lumière la perception positive des sites Internet dédiés du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec ainsi que Citoyenneté et Immigration Canada comme un gage de la transparence gouvernementale, d’une information précise, juste et crédible sur les procédures à suivre, les critères de sélection de la province de Québec, le prix des loyers, la recherche d’emploi, la vie au quotidien, etc. Les sites officiels renforcent également les capacités du candidat pour gérer lui-même son dossier. Enfin ces sites officiels permettent de se prévenir contre des « hameçonneurs », cybercriminels et autres faussaires en immigration, et  des fraudes et arnaques présentes sur Internet et la Toile en général. Les usages des Tic révèlent une transmission cumulative des ressources cognitives collectives. Ainsi des courriels circulant au sein des communautés virtuelles sont devenus de véritables guides migratoires, qui enrayent également la conspiration du mensonge sur les difficultés migratoires, occultés jusqu’à présent.

 

Nous espérons que les lecteurs et lectrices de ce volume sauront tirer profit de ce recueil de textes, qui témoignent du dynamisme de l’enseignement et de la recherche en sciences sociales de la communication et de l’esprit d’innovation qui existe, tant sur le plan pédagogique que technologique.
Nous souhaitons également remercier les membres du Comité scientifique international, les autres conférenciers du colloque d’avril 2014, ainsi que tous les participants à ce troisième Colloque international,  ainsi que  l’Agence de régulation des télécommunications du Cameroun (ART) et Orange-Cameroun, qui ont bien voulu animer une conférence technique sur la téléphonie mobile ainsi que Biopharma pour sa session sur la création publicitaire. Nos remerciements s’adressent enfin aux collègues et étudiants du Département de communication de l’Université de Douala, ainsi qu’aux représentants de toutes les institutions qui nous ont appuyé dans nos démarches.

Nous nous réjouissons du succès de ce troisième colloque, et espérons pouvoir organiser bientôt une quatrième édition.

Bonne lecture !

Auteur

Missé Missé

.: Laboratoire de Communication par le Récit Médiatique (LACREM)
Co-Responsable du Comité scientifique du Colloque du 3ème Colloque international
Communication & Changements sociaux en Afrique