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Penser le droit d’auteur aujourd’hui, réflexion autour du cas canadien

11 Oct, 2014

Résumé

Depuis le XVIII° siècle, le rôle du droit d’auteur est fondamental dans l’organisation des industries de la culture. Or, aujourd’hui, le développement du numérique questionne largement ce système juridique. Dans ce contexte, on assiste, depuis une vingtaine d’années, à une inflation juridique autour de ce sujet visant à protéger certains modèles socio-économiques à l’œuvre au sein des industries culturelles. S’inscrivant dans une dynamique différente, le 19 juin 2012, le Canada adopte une loi assouplissant le droit d’auteur afin de faciliter le développement et le partage des arts et de la culture. La présente communication vise à revenir sur cette loi en nous penchant sur les dynamiques dans lesquelles cette dernière s’inscrit. Nous verrons également que malgré l’aspect novateur de cette dernière, il réside pour le Canada une difficulté à s’extirper de la pression de son voisin du Sud.

Mots clés

Droit d’auteur, numérique, utilisation équitable, exceptions, rapport de force.

In English

Abstract

Since the fifteenth century, the role of copyright is fundamental in the organization of cultural industries. However, today, the development of digital questions the copyright system. In this context, since twenty years, we observe a legal inflation around the copyright to protect some socio-economic models at work in the cultural industries. June 19, 2012, in a new dynamic, Canada passed a law easing the copyright to facilitate the development and sharing of arts and culture. This Communication aims to study this law by focusing on its philosophy. We will see that despite the innovative aspect of the latter, it’s a challenge for Canada to get out of the pressure of its southern neighbor.

Keywords

Copyright, digital, fair use, exceptions, balance of power.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Claus Simon, «Penser le droit d’auteur aujourd’hui, réflexion autour du cas canadien», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°15/2a, , p.31 à 42, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2014/supplement-a/03-penser-le-droit-dauteur-aujourdhui-reflexion-autour-du-cas-canadien

Introduction

De Diderot en 1763 (1) à l’affaire Napster dans les années 2000, tout au long de son histoire, le droit d’auteur (DA) est au centre de nombreux débats sans qu’il se dégage de consensus clair autour de celui-ci. Émergeant parallèlement au développement de l’imprimerie (2) au XVe siècle, le droit d’auteur s’est considérablement renforcé et complexifié au fil du temps, en fonction de mutations économiques, politiques, juridiques, sociales et technologiques. Chaque modification de son environnement et/ou chacun de ses renforcements sont accompagnés de son lot de débats entre les tenants d’un renforcement et les partisans d’un droit d’auteur plus souple, voire inexistant. Aujourd’hui, le numérique tend à remettre cette question sur le devant de la scène. En effet, avec l’avènement du numérique on assiste au fort développement de certaines pratiques remettant fortement en question la légitimité du droit d’auteur ce qui oblige le législateur à le repenser. Dans ce contexte, la tendance générale qui se dessine au niveau des États occidentaux est au renforcement et à la criminalisation de certains usages. À côté de cette évolution générale, quelques initiatives politiques et réflexions visant à moderniser le droit d’auteur en mettant l’accent sur l’utilisation équitable commencent à émerger. À ce titre, le 19 juin 2012, le Canada adopte la loi sur la modernisation du droit d’auteur (LMDA) qui vise à modifier la Loi sur le droit d’auteur (LDA) en introduisant notamment une quarantaine d’exceptions aux violations du droit d’auteur. Les premières de ces exceptions renvoient au principe d’utilisation équitable tandis les exceptions suivantes constituant une extension logique de ce dernier. Ces exceptions s’inscrivant dans des dynamiques à vocation communicationnelle et pédagogique visent à rendre le droit d’auteur plus souple et plus adapté à la réalité des industries de la culture et de la communication (ICC).

Comme l’explique Vincent Bullich (2013, p.2), « Les droits de propriété intellectuelle sont, depuis la fin des années 1990, au cœur d’une vive controverse qui présente la particularité de se déployer tant dans l’espace public médiatique que dans celui académique ». Notre ambition ici est, à notre mesure, de contribuer à ce débat à la lumière du cas canadien.

Dans un premier temps, nous reviendrons sur la notion de droit d’auteur, son évolution et présenterons les enjeux qui touchent actuellement ce système juridique. Nous analyserons ensuite la LMDA en nous penchant sur le principe d’exceptions et celui d’utilisation équitable. Nous verrons enfin que malgré l’aspect novateur de cette loi, il demeure pour le Canada une difficulté à s’extirper de certains rapports de force « historiques » obligeant le pays à renforcer le droit d’auteur sur certains de ses aspects.

Retour sur la notion de droit d’auteur

Le « Droit d’auteur » qui textuellement signifie « droit de reproduire » est un droit s’appliquant aux œuvres originales portant l’empreinte de l’artiste. Il définit l’ensemble des prérogatives exclusives d’un ayant droit sur son œuvre en accordant à celui-ci une rente de monopole, limitée dans le temps, sur l’exploitation de cette dernière. Les œuvres acquièrent ainsi deux caractéristiques, la rivalité et l’excluabilité. Une fois le monopole d’exploitation passé, l’œuvre en question tombe dans le domaine public (3).

Le droit d’auteur est un instrument fondamental dans l’organisation des ICC, car celui-ci détermine les conditions d’institutionnalisation, de valorisation et de médiatisation de la culture, de l’information et de la connaissance au sein de l’espace public. De la création à l’usage, les industries culturelles sont caractérisées, par l’intervention d’une multitude d’acteurs, ce qui amène Thomas Paris (2002, p.38) à définir la création d’une œuvre comme le fruit d’une « organisation socio-économique ». Ainsi, lorsque l’on s’intéresse au droit d’auteur et plus largement au fonctionnement des industries culturelles, plusieurs acteurs sont à prendre en considération, des acteurs dont les intérêts peuvent diverger et que le droit d’auteur cherche à concilier.

En rémunérant les participants au processus de production, le droit d’auteur est censé inciter les artistes à créer et les industriels à investir dans la création. On est ici dans une logique économique justifiée par les théories utilitaristes (Landes et Posner, 1989). Les tenants du Law and Economics insistent particulièrement sur les vertus incitatives de la loi, censée limiter le risque de sous-production et la présence de « passagers clandestins ».

Le droit d’auteur est aussi censé prendre en compte les usagers en bout de chaîne. À ce titre, il a pour objectif de démocratiser la culture en facilitant au maximum l’accès à cette dernière. À titre d’exemple, le domaine public et le principe d’utilisation équitable (4) représentent des situations offrant une grande accessibilité aux œuvres.

Ainsi, pour résumer, le droit d’auteur est un système qui a pour vocation d’établir entre une multitude d’acteurs de la société civile un compromis socialement acceptable et économiquement viable en soutenant les acteurs de la culture et en facilitant l’accès du public à la culture.

Une évolution au centre d’enjeux socio économiques

LComme nous l’avons évoqué, les premières formes de droit d’auteur apparaissent parallèlement au développement de l’imprimerie au XVe siècle, mais c‘est au XVIIIe siècle que celui-ci naît sous sa forme moderne, évoluant depuis en fonction des mutations de son environnement. Même si cette évolution suit un mouvement non linéaire, son histoire est clairement caractérisée, de manière globale, par une série d’extensions dans le temps, l’espace ainsi qu’à de nouveaux secteurs.

Dans la perspective d’un élargissement du droit d’auteur à de nouveaux secteurs, Richard Caves (2000) explique que le développement des industries qui produisent et diffusent à grande échelle des biens et services où la part de l’apport créatif est important entraîne le fait que ces « nouveaux » produits soient assujettis aux règles du droit d’auteur. Le chercheur évoque notamment les filières de l’édition, de la musique enregistrée, du film, du multimédia ou encore du logiciel.

En ce qui concerne l’extension temporelle, on constate qu’alors que les premières législations limitent le droit d’auteur à une quinzaine d’années après la création de l’œuvre aujourd’hui, dans la majorité des systèmes, le monopole d’exploitation de ces œuvres dure entre 50 et 70 ans après la mort de l’auteur. Parallèlement à cet allongement temporel, on a assisté à une extension spatiale du droit d’auteur réalisée sous couvert d’harmonisation internationale. Ainsi en 2012, on compte 165 pays signataires de la convention de Berne (5) qui fixe la protection de l’œuvre à 50 ans après la mort de l’auteur. Entamée au XIXe siècle, cette extension internationale s’est particulièrement accélérée au cours du XXe siècle, dans un contexte marqué par une mise en réseau croissante des États, une industrialisation et une financiarisation des ICC et une évolution rapide des technologies de l’information et de la communication. Cette évolution internationale a particulièrement été marquée par le rôle moteur des nations exportatrices de produits culturels telles que les États-Unis (Bullich, 2007).

Cette évolution générale du droit d’auteur met en lumière la prégnance d’une logique économique au sein du système international. Les contenus tendent à devenir des produits à forte valeur ajoutée au service d’intérêts privés. Dès lors, « dans les secteurs culturels (…) : ce sont des stratégies de gestion des catalogues de droit qui irriguent l’économie de l’audiovisuel ou de l’édition littéraire » (Farchy et Benhamou, 2007, p.99). Ainsi, le système actuel pérennise certains modèles socio-économiques et participe amplement au phénomène de marchandisation des industries culturelles, déjà mis en lumière par une série de chercheurs en communication (Huet et al., 1978, Flichy, 1980, Tremblay, 1990, Miège, 2004). Le droit auteur, qui s’inscrit clairement dans des dynamiques de renforcement au profit de certains intérêts économiques, relève donc de logiques socio-économiques (Tremblay, 1997, Miège, 2000) dans la mesure où ce système juridique participe amplement à la structuration des ICC.

Ce renforcement au fil du temps a amené plusieurs chercheurs (Lessig, 2002, Sagot-Duvauroux, 2004, Dumont et Peter, 2001, Smiers, 2001) à faire le constat que le droit d’auteur néglige l’un de ses objectifs fondamentaux à savoir favoriser l’accès à la culture ainsi que son développement. Ces travaux dénoncent notamment un phénomène de privatisation du « bien commun » et l’émergence d’« enclosures intellectuelles ». Dans cette perspective, Siva Vaidhyanathan (2003) parle d’un passage d’un système de copyright à un système de copywrong.

La contestation du numérique

Depuis plusieurs décennies, le développement du numérique tend fortement à remettre en cause le système traditionnel du droit d’auteur. En effet, le numérique crée une forte pression à la baisse des prix des œuvres générant un retour des principes de non rivalité et non exclusivité en particulier depuis le développement des réseaux de pair à pair.

On remarque également que certaines pratiques, en grandes parties issues de la fan culture et qui se trouvent en marge de l’organisation « historique » des ICC et du droit d’auteur, prennent une nouvelle dimension. Se conformant difficilement aux règles du droit d’auteur, ces usagers s’inscrivent dans des logiques que nous qualifierons de communicationnelles et d’esthétiques. Comme l’expliquent Bouquillion et Matthews (2010, p.34), « nombre des sites relevant du Web collaboratif hébergent des contenus produits par les industries de la culture sans respecter le droit d’auteur ».
Les industriels de la culture voient donc leur modèle économique fortement remis en cause et la pertinence du droit d’auteur semble largement questionnée. Aujourd’hui, comme l’expliquent Danièle Bourcier et Mélanie Dulong de Rosnay (2004, p.86), « Les débats sur le droit d’auteur et les pratiques culturelles en ligne opposent deux approches économiques : l’une est fondée sur le partage, l’autre sur l’appropriation marchande. »

Face à cette situation, les acteurs « historiques » des industries de la culture vont mettre en œuvre des stratégies visant à préserver leur position. On assiste ainsi à une montée de la « judiciarisation » au sein de ces industries et la lutte contre le piratage devient le cheval de bataille de ces acteurs. Pour protéger leurs produits, certains producteurs ont également mis en place des technologies permettant d’empêcher la copie non autorisée, on parle de mesures techniques de protection (MTP) (en anglais les digital rights management ou DRM). Les MTP sont une forme d’encryptage dont la vocation est de conférer (ou de « re conférer ») aux contenus une « excluabilité technique ». Le développement de ces verrous technologiques a été accompagné par la mise en place d’une législation rendant illicite leur contournement. Ainsi, le 20 septembre 1996, l’OMPI rend illégal le contournement de ces MTP. Avec ce traité, les revendications et intérêts privés de certains producteurs de contenus ont largement trouvé écho auprès des autorités politiques.

Cette volonté des législateurs de protéger les intérêts de certains industriels va se retrouver dans l’inflation juridique que l’on observe depuis deux décennies autour du droit d’auteur. Ainsi, que ce soit à des niveaux nationaux (6), comme à un niveau international (7), on constate l’adoption d’une série de lois visant à protéger le système historique du droit d’auteur en particulier en criminalisant certains internautes et certains usages.

Retour sur la notion d’utilisation équitable

L’utilisation équitable est un principe que l’on retrouve plutôt dans les pays anglo-saxons soumis aux législations de type common law et dont le système de droit d’auteur est celui de copyright. L’un des cas les plus emblématiques est le système de fair use très développé aux États-Unis. L’utilisation équitable limite le champ d’application du droit d’auteur en intégrant certaines exceptions dont le but est d’introduire un juste équilibre entre les ayants droit et les intérêts des usagers. L’utilisation équitable permet à un individu d’utiliser et/ou de copier, dans des circonstances dites équitables ou raisonnables, un contenu protégé par le droit d’auteur sans avoir à obtenir un consentement de l’ayant droit et sans que cela ne constitue une violation du droit d’auteur.

Au Canada, l’utilisation équitable est un principe ancien, car dès 1924, ce concept est présent sous diverses formes dans la LDA. L’utilisation équitable y est définie comme une série d’exceptions de portée générale aux violations du droit d’auteur, présentées aux articles 29. Le recours au principe d’utilisation équitable peut ainsi être invoqué à partir du moment où l’usage est destiné à des fins d’étude privée, recherche, éducation, parodie ou satire (art. 29), de critique ou compte-rendu (art. 29.1) ou de communication des nouvelles (art. 29.2). Les critères permettant d’évaluer le caractère équitable de l’usage qui sont définis par la Cour suprême canadienne sont le but de l’utilisation, la nature de l’utilisation, l’ampleur de l’utilisation, les solutions de rechange de l’utilisation, la nature de l’œuvre et l’effet de l’utilisation sur l’œuvre (Documentaristes du Canada, consulté en 2013). Les articles suivants (du 29.4 au 30.2) établissent une série d’exceptions qui même si elles ne figurent pas sous l’intertitre utilisation équitable, restent dans la lignée de ce principe. Principe fondamental dans le droit canadien, en 2004, la Cour suprême du Canada a insisté sur le fait que l’utilisation équitable n’est pas une simple violation au droit d’auteur qui serait tolérée, mais un droit des utilisateurs à part entière (paragraphe 48 de l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada).

Si l’utilisation équitable est antérieure au développement du numérique, ce principe apparaît particulièrement intéressant dans un environnement caractérisé par un développement du numérique et de certaines pratiques.

La LMDA : une dynamique d’assouplissement du Droit d’auteur

Le 29 juin 2012, la LMDA modifiant la LDA reçoit la sanction royale. Cette dernière met en place une quarantaine d’exceptions et opère notamment un élargissement du principe d’utilisation équitable. À notre connaissance, le Canada est, dans un contexte où le numérique affecte de manière importante les ICC, le premier pays à adopter une loi où les exceptions occupent une place centrale. L’intention affichée du texte de loi canadien est de favoriser la diffusion des connaissances en particulier dans le secteur de l’éducation. Lors des débats qui ont entouré le projet de loi C-11, Christian Paradis (2012), ministre de l’Industrie, avait déclaré que ce projet de loi visait à établir un « juste équilibre entre les droits des créateurs et les intérêts des consommateurs » (Lithwick et Thibodeau, 2011, p.4).

Ainsi, l’article 22 de la LMDA qui modifie l’article 29 de la LDA étend la portée de l’utilisation équitable à de nouveaux objets qui sont l’éducation (8), la parodie et la satire. Cet article met également en place quatre exceptions de portée générale s’ajoutant aux dispositions préexistantes. Même si ces exceptions ne sont pas présentées en tant qu’utilisation équitable, elles relèvent de la même logique.

La première, surnommée « clause YouTube », est une exception concernant les contenus non commerciaux générés par un nouvel utilisateur (article 29.21 de la Loi sur le droit d’auteur). Cette dernière qui a particulièrement retenu notre attention, légalise certaines pratiques de création ayant pris une grande importance au sein des industries de la culture et dont la diffusion a largement été facilitée par le développement du numérique. On cherche à favoriser les créations d’individus dont la motivation principale n’est pas la rémunération, mais la reconnaissance qu’ils tirent du partage de leurs œuvres.

Cette exception apparaît donc particulièrement intéressante pour les « amateurs » (Flichy, 2010) s’inscrivant dans une dynamique non commerciale. Si on ne peut encore étudier les conséquences de cette loi sur la production amateur et conclure qu’elle entérinera « le sacre de l’amateur » (d’autant que cette exception reste confinée à une législation particulière), on peut légitimement penser que cette exception offre à l’« amateur créateur » une plus grande marge de manœuvre et contribue à développer la création non commerciale.

Sur cette question de la « non commercialité », il est néanmoins important de préciser que même si le créateur ne tire pas de revenus directs de la production de son contenu cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas processus de marchandisation. En effet, certaines plateformes appartenant au « Web collaboratif » fonctionnent en grande partie grâce à des contenus produits gratuitement par des amateurs s’inspirant ou utilisant des œuvres existantes (Bouquillion et Matthews, 2010). Ces contenus rendent ces plateformes attractives ce qui leur permet de monétiser leur audience plus facilement. Ainsi, les productions non commerciales sont récupérées et rentabilisées par les propriétaires de plateformes sans qu’il y ait rémunération des créateurs (Goyette-Coté, 2013). Avec la « clause YouTube », on peut envisager que cette forme de travail non rémunéré sera amenée à se développer favorisant par là même, certains modèles socio-économiques du Web collaboratif.

Les trois autres dispositions de l’article 22 sont l’autorisation de reproduction d’une œuvre protégée par le droit d’auteur à des fins privées, le droit d’écoute et de visionnement en différé et l’exception pour des copies de sauvegarde. Ces exceptions ne font que légaliser des pratiques largement répandues chez les utilisateurs comme l’enregistrement. On retrouve ici une volonté d’adapter la loi aux pratiques d’usages courants au sein des ICC.

Les articles suivants de la LMDA mettent en place des exceptions spécifiques à certains utilisateurs à savoir les établissements d’enseignement, les bibliothèques, musées et services d’archives, les radiodiffuseurs et les personnes avec une déficience de lecture des imprimés.

Largement concernés par la LMDA (articles 23 à 27), les établissements d’enseignement bénéficient d’une série d’exceptions qui mettent l’accent sur l’utilisation à des fins pédagogiques. La LMDA va ainsi autoriser la reproduction d’une œuvre à des fins pédagogiques ou visant à accomplir tout autre acte nécessaire pour la présenter à ces fins sur tout support ou par tout moyen technique. Cette exception vise notamment à améliorer le matériel pédagogique à la disposition des établissements d’enseignement. La LMDA définit également la notion de « leçon » qui peut intégrer des œuvres protégées par le droit d’auteur. Cette exception vise à améliorer les contenus fournis aux étudiants. En outre, la loi autorise la communication de ces contenus par télécommunication. Cette possibilité de transmission à un étudiant d’un contenu incluant des œuvres protégées est conditionnée à la mise en place de mesures pouvant bloquer la dissémination de ce contenu à l’ensemble de l’espace public. Cette exception vise à faciliter l’enseignement à distance. Dans la même dynamique, la LMDA autorise les établissements d’enseignement supérieur disposant de licences à reproduire des œuvres par reprographie pour les numériser et les communiquer.

L’utilisation d’œuvres sur Internet est également autorisée là encore, à des fins pédagogiques.

Enfin, la LMDA étend la licence de photocopie aux reproductions numériques de photocopies et à leur communication sur Internet.
Les seconds utilisateurs concernés par les exceptions sont les bibliothèques, musées et services d’archives qui bénéficient de l’exception « prêt entre établissements ». Ces établissements sont autorisés à fournir à un usager pour des fins d’étude privée des articles de périodiques sous forme numérique.

Ainsi, avec ces différentes exceptions que nous venons de présenter, on remarque clairement chez le législateur une volonté d’assouplir le droit d’auteur à des fins pédagogiques et de partage des savoirs.

L’exception suivante concerne les enregistrements éphémères qui font disparaître pour les radiodiffuseurs l’obligation de payer des redevances à la SODRAC (Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada) sur les reproductions « temporaires et techniques ». Enfin en ce qui concerne les personnes touchées par « une déficience de lecture des imprimés », la LMDA autorise les organismes à but non lucratif à reproduire des documents protégés par le droit d’auteur sur des supports facilitant la lecture à ces personnes. Précisons que dans une logique proche, la reproduction temporaire d’œuvres dans le seul but de faciliter une utilisation ne porte pas atteinte au droit d’auteur.

Dès l’élaboration du projet de loi C-11, la réforme visant à « moderniser » la LDA a été au centre de nombreux débats. Tandis que certains acteurs comme les bibliothécaires ou les universitaires ont largement salué la LMDA, d’autres, comme une majorité d’acteurs du milieu culturel québécois l’ont vivement critiquée, reprochant notamment à ce texte de nuire à la culture en réduisant les possibilités de financement de cette dernière. Ainsi, selon l’Association des universités et collèges au Canada, « Le projet de loi C-11 est une démarche très équitable entre intérêts divergents ». À l’inverse pour l’Association nationale des éditeurs de livres, les exceptions créées par la LDA « peuvent affecter sérieusement les moyens de subsistance de nos artistes, de nos créateurs et de nos producteurs ».

Ce débat nous ramène donc à notre observation initiale à savoir qu’il réside une grande difficulté à trouver un droit d’auteur pouvant satisfaire les différents acteurs concernés par ce dernier et permettant de rémunérer correctement les participants au processus de production des arts et de la culture tout en favorisant leur partage au sein de la société.

Des rapports de forces persistants

En tant que membre de l’OMPI, le Canada s’était engagé à se conformer aux principes des traités de l’OMPI sur le droit d’auteur (WTC) et sur les interprétations et exécutions des phonographes (WPPT). Avec la LMDA, le Canada affiche sa volonté de « rattraper son retard » en interdisant le contournement des Mesures Techniques de Protection. Cette interdiction entre en contradiction avec la logique consistant à instaurer des exceptions visant à mettre en place un droit d’auteur plus souple adapté à certaines pratiques. À titre d’exemple, un amateur qui souhaiterait créer une œuvre, dans une dynamique non commerciale, à partir d’autres œuvres existantes, ou un professeur souhaitant utiliser une œuvre dans le cadre de son cours, ne pourrait utiliser que des contenus disposant de MTP. Dès lors, la portée des exceptions mises en place par la LMDA apparaît limitée.

Dans cette optique de renforcement du droit d’auteur, on note l’imposition du système d’« avis à avis » aux fournisseurs de services Internet. Ces derniers ont l’obligation d’expédier un avis à la personne ayant commis une violation du droit d’auteur et se doivent de conserver un registre en cas de poursuite par le titulaire des droits.

Précisons que ce choix de renforcer le droit d’auteur n’est pas neutre dans la mesure où, depuis plusieurs années, le Canada subit la pression de son voisin du sud qui l’accuse de faire preuve de trop de laxisme en ce domaine. En effet, en 2009, le Canada rejoint la liste noire des pays les plus laxistes en matière de droit d’auteur et faisant l’objet d’une surveillance particulière (The Congressional International Anti-Piracy Caucus, 2009). Ces pays pourraient ainsi se voir sanctionner économiquement, si les États-Unis portaient la cause devant l’Organisation Mondiale du Commerce (radio Canada, 2009). Dans le cadre du rapport présentant les pays dont la politique en matière de propriété intellectuelle serait à revoir, (2009 country watch list), les États-Unis, tout en rappelant au Canada qu’ils sont leur principal partenaire économique, reprochent à leur voisin le vide juridique qui existerait autour du droit d’auteur en particulier depuis le développement du numérique. Accusant le Canada de ne pas appliquer correctement les traités de l’OMPI sur Internet, en particulier en ce qui concerne la protection des MTP, pour Washington le pays est devenu « un «refuge sûr pour les pirates d’Internet » (9) (The Congressional International Anti-Piracy Caucus, 2009, p.2). Utilisant un ton autoritaire, les États-Unis invitent le Canada à prendre une série de mesures pour remédier à cette situation en déclarant, « Nous demandons au gouvernement canadien d’adopter rapidement les mesures qui suivent : préciser aux yeux du droit canadien les parties qui facilitent, encouragent et tirent profit de la violation généralisée ; mobiliser les fournisseurs d’accès à Internet dans la lutte contre le piratage en ligne ; réaffirmer que le téléchargement non autorisé n’est pas protégé par un principe personnel d’exception / de prélèvement ; et prévenir efficacement le contournement des mesures techniques de protection ce qui comprend l’interdiction du trafic des dispositifs de contournement » (The Congressional International Anti-Piracy Caucus, 2009, p.3) (10).

En 2012, le Canada est sorti de la « liste de surveillance » pour être considéré comme pays « en transition » (The Congressional International Anti-Piracy Caucus, 2012, 3), une évolution tenant compte du fait que le projet C-11 prévoyait un durcissement des mesures de protection des MTP. Dans le 2012 country watch list, les États-Unis qui se disent conscients du travail qu’il reste à faire au législateur canadien, expliquent aussi qu’ils suivront de près l’application du projet de loi C-11 et encouragent leur voisin du nord à renforcer le droit d’auteur (The Congressional International Anti-Piracy Caucus, 2012).

On voit donc ici que les États-Unis se font le porte-étendard et le protecteur des intérêts de leurs industries culturelles à travers le monde par l’intermédiaire d’une importante activité de lobbying. Dès lors, il existe une réelle difficulté pour le Canada de se soustraire à la pression de son voisin du sud.

Conclusion

Tout au long de son histoire, le droit d’auteur a été au centre de nombreux débats sans qu’il se dégage de consensus clair. Aujourd’hui, le numérique tend à (re)mettre sur le devant de la scène la question et nous invite à repenser ce système juridique datant du XIIIe siècle. Pour Benhamou et Sagot Duvauroux (2007, p.16), le système de droit d’auteur semble engagé « dans une course poursuite avec les changements technologiques et économiques qui affectent les filières pour lesquelles il a été élaboré ».
En instaurant une quarantaine d’exceptions, la LMDA a le mérite d’ouvrir une piste de réflexion intéressante pour penser un droit d’auteur adapté à la réalité des industries de la culture dans un contexte où on assiste à la mise en place de lois renforçant ce droit et s’inscrivant dans une dynamique visant à surveiller et punir. Néanmoins, malgré le caractère novateur de la loi, on constate que pour le Canada, il reste une certaine difficulté à se dégager de certains rapports de force « historiques » obligeant le pays à prendre certaines mesures visant à pérenniser le modèle « traditionnel ».
On constate donc que penser un droit d’auteur moderne adapté à la réalité des industries de la culture et de la communication et aux usages et pratiques à l’œuvre au sein de ces dernières implique d’avoir une réflexion s’affranchissant de certains rapports de force et de la pression des acteurs dominant ces industries.

Notes

(1) En 1963, Denis Diderot rédige la lettre sur le commerce des livres, un essai dans lequel il fait la promotion du droit d’auteur.

(2) « Il est difficile de remonter à une date précise l’apparition du droit d’auteur » (Latournerie, 2001, p.37), terme qui lui-même est naît tardivement. Au XVe siècle, l’émergence de l’imprimerie va bouleverser le monde de la littérature et de l’écriture en créant un processus production de type industriel permettant de reproduire à moindres coûts et à grande échelle les œuvres de l’esprit donnant ainsi au livre une valeur économique nouvelle. Naît alors une nouvelle catégorie de professionnels, les imprimeurs-libraires qui s’organiseront en « corporations et guildes puissantes » (Latournerie, 2001, p.38) afin de bénéficier d’un monopole sur l’exploitation des ouvrages édités. C’est à cette période que des formes embryonnaires de propriété littéraire apparaissent dans les cités-états italiennes confrontées à une crise de surproduction du livre. En effet, on observe un pillage des livres par les éditeurs chacun cherchant à être le premier à éditer conduisant ainsi à une hyper-offre de livres. Le 19 mars 1474, se situant entre le brevet et le copyright, la première loi sur la protection du capital intellectuel est adoptée. Organisant une forme de rareté, elle accorde un monopole de 10 ans sur l’exploitation d’une œuvre. En 1534, la condition de démonstration de la nouveauté est ajoutée et en 1544, on brevette l’impression et non le texte. Les premiers textes de lois introduisant le droit d’auteur tel qu’on le connaît aujourd’hui apparaissent quant à eux au XVIIIe siècle à l’instar du Statue of Queen Anne au Royaume-Uni (1709), du Copyright Act aux États-Unis (1790) ou des lois des 13-19 janvier 1791 et des 19-24 juillet 1793 en France.

(3) Le domaine public définit les idées, informations et œuvres étant librement accessibles et réutilisables par le public. Dans sa philosophie, le domaine public renvoie à l’Idée de bien commun bénéfique à l’ensemble de la société civile.

(4) On parle aussi d’usage libre, d’usage loyal, de « fair dealing » ou encore de « fair use ». Nous reviendrons plus en détail dans cet article sur le principe d’utilisation équitable.

(5) La Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, votée le 9 septembre 1886 à Berne, est un traité diplomatique établissant les fondements de la protection internationale des œuvres. Elle permet notamment à un auteur étranger de se prévaloir des droits en vigueur dans le pays où ont lieu les représentations de son œuvre. Ce traité est géré actuellement par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, un organisme spécialisé au sein de l’ONU regroupant aujourd’hui 184 États. Cette convention a été révisée et complétée à maintes reprises au fil du temps (Paris le 4 mai 1896, Berlin le 13 novembre 1908, Berne le 20 mars 1914, Rome le 2 juin 1928, à Bruxelles le 26 juin 1948, Stockholm le 14 juillet 1967 et à Paris le 24 juillet 1971 et le 28 septembre 1979).

(6) Le Digital Millennium Copyright Act aux États-Unis (1998), la loi DAVDSI en France (2006), la loi Hadopi en France (2009), le Digital Economy Act au Royaume-Uni (2010), la loi Sinde en Espagne (2011), le projet de loi SOPA/PIPA aux États-Unis, etc.

(7) Traité de l’OMPI du 20/12/1996, la directive européenne 2001/29/CE, Négociations secrètes autour de l’ACTA, etc.

(8) Ces exceptions pourraient s’appliquer à toute forme d’activités éducatives, car dans la législation l’« éducation » n’est pas définie.

(9) Traduit de l’anglais : « a “safe haven” for Internet pirate »

(10) Traduit de l’anglais : « We call upon the Canadian Government to swiftly adopt measures that would do the following: clarify that parties who facilitate, encourage, and profit from widespread infringement are liable under Canadian law; meaningfully engage ISPs in the fight against online piracy; reaffirm that unauthorized downloading is not protected by the personal use exception/levy; and effectively prevent the circumvention of technological protection measures, including banning trafficking in circumvention devices. »

Références bibliographiques

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Auteur

Simon Claus

.: Simon Claus est doctorant à la faculté de communication de l’Université du Québec À Montréal et adjoint de recherche au centre de recherche du CRICIS (Groupe Recherche Interdisciplinaire sur la Communication et l’Information et la Société). Ses travaux concernent essentiellement l’analyse socio-économique des industries culturelles et les problématiques entourant la propriété intellectuelle.