-

La cybercriminalité au Bénin : une étude sociologique à partir des usages intelligents des technologies de l’information et de la communication

10 Fév, 2015

Résumé

Cette réflexion étudie les usages sophistiqués et novateurs des Tic qui favorisent l’émergence de la cybercriminalité au Bénin. Pour réaliser cette recherche essentiellement descriptive et analytique, nous exploitons, pour la collecte des informations, les recensions d’écrits, l’observation directe et les entretiens individuels approfondis. L’analyse corrélationnelle des données empiriques traitées avec le logiciel Atlas.Ti dans la perspective de l’individualisme méthodologique révèle qu’Internet est maintenant devenu un moyen d’expansion d’une nouvelle forme de criminalité informatique favorisée par l’émergence d’un usage intelligent. L’ampleur du phénomène au Bénin est aussi entretenue par l’incapacité du cadre juridique et institutionnel à réguler le secteur des Tic, notamment celui du numérique.

Mots clés

Bénin, cybercriminalité, rationalités, Tic, usages intelligents.

In English

Title

Cybercrime in Benin: a sociological study based on intelligent use of information and communication technology

Abstract

The present article aims at studying the sophisticated and innovative uses of the Information and Communication Technologies (ICT) which favor the emergence of the cybercrime in Benin. To realize this essentially descriptive and analytical study, we exploit, for the collection of the information, the reviews of papers, the direct observation and the thorough individual interviews. The correlational analysis of empirical data treated with the software Atlas.Ti, then analyzed according to the theoretical approach of the methodological individualism, reveal that Internet now became a means of expansion of a new shape of criminality favored by the emergence of an intelligent use of Internet. The scale of the phenomenon in Benin is also maintained by the incapacity of the legal and institutional framework to regulate the sector of ICT, in particular that of the digital technology.

Keywords

Benin cybercrime, ICT, intelligent uses, rationalities.

En Español

Título

Ciberdelincuencia en Benin: un estudio sociológico sobre la base de un uso inteligente de la tecnología de la información y la comunicación

Resumen

Esta reflexión estudia los usos sofisticados e innovadores del TIC que favorecen la emergencia de la cybercriminalidad en Benin. Para realizar esta búsqueda esencialmente descriptiva y analítica, explotamos, para la colecta de las informaciones, las reseñas de escritos, la observación directa y los mantenimientos individuales profundos. El análisis de correlación de datos empíricos tratados con software Atlas.Ti en la perspectiva del individualismo metodológico revela que Internet ahora se hizo un medio de expansión de una nueva forma de criminalidad informática favorecida por la emergencia de un uso inteligente de Internet.

Palabras clave

Benin usos inteligentes, cybercriminalidad, racionalidades, Tic, usos inteligentes.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Tasso Boni Florent, «La cybercriminalité au Bénin : une étude sociologique à partir des usages intelligents des technologies de l’information et de la communication», Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°15/2B, , p.35 à 42, consulté le , [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2014/supplement-b/03-la-cybercriminalite-au-benin-une-etude-sociologique-a-partir-des-usages-intelligents-des-technologies-de-linformation-et-de-la-communication

Introduction

Il ne fait plus aucun doute aujourd’hui que les technologies de l’information et de la communication (Tic) constituent un enjeu majeur pour le développement de l’Afrique. Cependant, elles sont devenues des moyens de réalisation d’activités criminelles dont Internet constitue désormais un vecteur privilégié de propagation (Ghernaouti-Hélie, 2009, p. 10). En effet, Internet n’est plus le réseau libre et ouvert, tourné vers le partage du savoir, dont certains de ses concepteurs avaient rêvé. Il est maintenant devenu le moyen d’expression d’une nouvelle forme de criminalité informatique. Qu’on l’appelle cybercrime, délinquance informatique, criminalité des hautes technologies, criminalité informatique, criminalité numérique, la cybercriminalité constitue une véritable menace pour la sécurité des réseaux informatiques, celle  des cybercitoyens et cyberconsommateurs dont la protection reste très précaire ainsi que pour le développement de la société de l’information et de l’économie du savoir en Afrique (Cissé, 2011, p. 4). La cybercriminalité peut être définie comme « tout comportement illégal ou contraire à l’éthique ou non autorisé, qui concerne un traitement automatique de données ou de transmissions de données » (Alterman et Bloch, 1988, p. 530) et ayant l’ordinateur pour objet ou pour instrument de perpétration principale (Chawki, 2006, p. 8).

Cette grave menace, sans frontières et à laquelle tous les pays sont confrontés, connaît actuellement une amplification sans précédent (Conseil de l’Europe, 2006, p. 23). Cette tendance est accentuée en Afrique par la fracture numérique : « l’hypo-connexion » des régions du Sud et l’ignorance des usagers vont de pair avec l’absence d’un dispositif approprié de lutte contre la cybercriminalité, ce qui transforme les États en paradis pénal pour les cyberdélinquants (Cissé, 2011, p. 4). Cette menace risque malheureusement de durer longtemps, car il appert qu’Internet sera l’objet d’un nombre grandissant de crimes simplement parce que c’est par son truchement que les transactions humaines et commerciales se font de plus en plus (Ouimet, 2006, p. 5).

Au Bénin, cette pratique que l’on croyait propre au Nigéria et qui a débuté dans les années 2000, s’est très tôt généralisée, au fil des ans, chez les jeunes. Il est en effet noté, au niveau des internautes, un usage sophistiqué et novateur d’Internet qui englobe les différentes sphères d’activités avec une orientation privilégiée dans la criminalité numérique. Escroqueries de toutes sortes, mensonges « de grande dimension », piratage de systèmes informatiques privés ou étatiques, sont autant de crimes pratiqués par les cyberdélinquants qui font perdre à Internet son  « innocence ». L’absence d’une loi spéciale réprimant ce qu’on pourrait appeler « infraction du siècle » semble donner carte blanche à ces faussaires qui opèrent en toute quiétude et à visage découvert.

Les études publiées sur la cybercriminalité traitent généralement des nouvelles formes de crimes possibles grâce à Internet ou des crimes traditionnels qui peuvent être perpétrés par le biais des Tic (Dupont, 2008, p. 53 ; Leman-Langlois, 2008, p. 85). D’autres analysent le phénomène de la criminalité numérique d’un point de vue juridique et institutionnel (Affougnon, 2009, p. 8 ; Ossama, 2001, p. 33 ; Pansier et Jez, 2000, p. 113). Cette réflexion se propose d’étudier les usages sophistiqués et novateurs des Tic qui favorisent la recrudescence de la cybercriminalité au Bénin.

Matériel et méthodes

Cette recherche se veut essentiellement descriptive et analytique. Elle associe les recensions d’écrits, l’observation directe et les entretiens individuels approfondis. Toute recherche scientifique s’alimentant toujours des écrits existants, les recensions d’écrits ont permis de faire une analyse critique des productions scientifiques et littéraires existantes en rapport avec la cybercriminalité. Quant aux entretiens individuels approfondis, ils ont permis de prendre connaissance des pratiques numériques des cybercriminels, de l’incidence des usages sociaux d’Internet sur la construction de leur identité, ainsi que des différentes stratégies d’appropriation sociale qu’ils développent. La compréhension des phénomènes d’usages et d’appropriation d’Internet a favorisé l’appréhension des subtilités liées à la cybercriminalité. Des entrevues individuelles ont été également réalisées avec des agents de la Brigade économique et financière et des agents de la police judiciaire afin de saisir l’ampleur du phénomène et de s’informer sur les textes juridiques existants définissant les sanctions à l’égard des auteurs de cette pratique illicite. Les entretiens réalisés avec les parents et autres personnes qui n’utilisent pas les cybercafés ont permis de comprendre leurs perceptions sociales de la cybercriminalité. La taille de l’échantillon a été arrêtée à 165 personnes, seuil au-delà duquel les informations recueillies devenaient redondantes. Enfin, l’observation des usages d’Internet, en particulier de ce que les jeunes font effectivement avec cet outil et ce type de dispositif technique,peut constituer une entrée méthodologique intéressante pour saisir les enjeux liés à l’appropriation des Tic (Proulx, 1994, p. 90). Nous avons donc adopté l’observation directe afin de rendre compte des usages concrets d’Internet par les jeunes et des nouveaux objets qu’ils utilisent pour atteindre leur finalité.

La recherche a été réalisée dans les villes de Cotonou et d’Abomey-Calavi, retenues par choix raisonné, car elles ont les plus forts taux de pénétration d’Internet au Bénin. A partir de la méthode de la Classification ascendante hiérarchique (Faurie, Almudever  et Hajjar, 2004, p. 6 ; Evrard, Pras et Roux, 2000, p. 424) appliquée aux indicateurs d’usages (tels l’ancienneté de l’usage, la diversité et l’intensité des applications utilisées, le contenu des sites consultés, etc.), une typologie des usages d’Internet orientés vers la cybercriminalité a été présentée. Le logiciel Atlas.Ti a permis le traitement des données empiriques analysées suivant l’individualisme méthodologique. Cette posture théorique a permis de comprendre le phénomène de l’usage d’Internet à partir d’une reconstruction des motivations des cybercriminels et d’une appréhension de ce phénomène comme le résultat de l’agrégation de comportements individuels (Boudon, 1986, p. 46).

Résultats

Perceptions sociales de la cybercriminalité

Avec un âge moyen compris entre 20 et 30 ans et une formation de niveau second cycle des lycées et collèges, les cybercriminels sont principalement désignés au Bénin sous le vocable de gay man. On les appelle aussi NigerianScam, Computerman ou encore  419 Scam (du nom de l’article du code pénal nigérian qui condamne la cybercriminalité). 80% de ces déviants numériques sont de sexe masculin et ils opèrent pour la plupart depuis les cybercafés. La cybercriminalité est ainsi associée à l’image du cybercafé, pour la simple raison qu’en dehors de son coût d’accès moins élevé (300F CFA en moyenne l’heure), le cybercafé est un endroit public permettant simultanément à plusieurs personnes de se connecter à Internet et de mieux dissimuler leur forfait. Toutefois, on assiste de plus en plus, à une « domestication » des activités des cybercriminels. Ils se dotent de connexion privée, ce qui leur permet d’opérer depuis leur domicile ou parfois depuis les zones périurbaines afin d’éviter tout soupçon.

Au Bénin, les villes de Cotonou, Porto-Novo, Lokossa, Parakou et Bohicon sont les principales localités dans lesquelles s’observe le phénomène. Outre les jeunes Béninois qui s’adonnent à cette activité, on dénombre dans le rang des cybercriminels, des Nigérians, des Ivoiriens, des Congolais, des Camerounais et des Burkinabés. Plusieurs raisons expliquent l’essor du phénomène. Parmi celles-ci, nous pouvons citer, au-delà de la possibilité d’acheter et de vendre via Internet, la proximité avec le Nigéria et la dureté de la loi 419 de ce pays, la guerre en Côte d’Ivoire et la faiblesse du cadre juridique et institutionnel du Bénin en matière de lutte contre la cybercriminalité. Il n’existe pas de loi spécifique réprimant ce phénomène qui est diversement perçu par les acteurs interviewés dans le cadre de cette recherche.

Ainsi, pour 55% des répondants, les cybercriminels sont des « partisans du moindre effort » assoiffés par la quête du gain facile. La cybercriminalité a ainsi comme conséquence l’abandon de l’école par les jeunes, la décrédibilisation du Bénin au plan international et la fuite des investisseurs étrangers. Les cybercriminels sont aussi considérés par certains citoyens comme des « criminels » ou des « voleurs du web ». 35% des répondants perçoivent les cybercriminels comme des « délinquants modernes. » Ils constituent une nouvelle catégorie de criminels qui s’est développée avec l’avènement d’Internet et, contrairement aux délinquants classiques, ont le mérite de ne pas déposséder leurs peuples, mais les Occidentaux. 85% des cybercriminels interrogés ont ainsi une appréciation positive de la cybercriminalité, qu’ils considèrent comme une activité leur permettant de corriger, ne serait-ce que partiellement, les préjudices que les Occidentaux ont perpétrés et continuent de commettre en Afrique. Elle constituerait une riposte en réaction à ces puissances occidentales qui ont colonisé les États africains et qui continuent de s’ingérer dans leur gouvernance. Pour d’autres, c’est une activité qui leur permet d’améliorer leurs conditions de vie et de sortir de la précarité. Généralement, le « gay man » s’identifie par le type de moto qu’il conduit (« Dream », « Dayang » généralement sans rétroviseur et communément appelé zéwé), son style vestimentaire (pantalon jean à la limite des fesses, chemise cintrée et grosses lunettes fumées), sa coupe de cheveux dite yorobo et son goût pour la belle vie.

Pour atteindre leur finalité, les cybercriminels ont parfois recours à des pratiques occultes, comme l’attestent les propos d’un répondant : « Chaque fois que je dois communiquer avec un client, j’attache le talisman que m’a préparé mon bokonon à mon bras droit. Le talisman a la vertu d’endormir psychologiquement mon interlocuteur qui perd toute capacité de réflexion critique par rapport à l’offre que je lui propose. Il accepte facilement ce que je lui dis, et c’est généralement lorsqu’il a fini de m’envoyer l’argent, qu’il se rend compte que c’était du faux ».  Certains n’hésitent pas à faire des pactes de sang avec le vodoun kinlinsi, une divinité du sud du Bénin, reconnue pour l’efficacité de ses actions, mais aussi pour ses sanctions irréversibles en cas de non observance des engagements pris.

Ingéniosité des cybercriminels et typologie des formes de cybercriminalité au Bénin

Au-delà des facteurs explicatifs de la cybercriminalité, l’émergence du phénomène tient au fait que certains jeunes excellent dans la maîtrise de l’outil informatique et des rouages du web. Cette appropriation, qui se traduit notamment par un usage détourné de certains outils d’Internet (comme le World Wide Web, la messagerie, l’Internet Relay Chat (IRC), les forums publics, etc.) renvoie à différentes formes de cybercriminalité. Au nombre de celles-ci, les arnaques aux biens constituent la forme la plus répandue au Bénin. Elles consistent en la mise en ligne sur des sites d’annonces ou d’enchères de fausses ventes immobilières, de véhicules, d’animaux, de plantes médicinales, etc. Les cybercriminels développent une imagination sans limite et n’hésitent pas à fabriquer de faux documents administratifs, à utiliser des noms et signatures d’autorités, etc. pour rassurer leurs  interlocuteurs.

Elles sont suivies par les arnaques par chat recourant à utiliser  de fausses identités. Elles revêtent deux principales variantes, dont la première consiste généralement à escroquer ou à nuire à la réputation d’un individu par le biais de données personnelles que le gay man lui a volées. C’est le cas de la création de faux profils sur les réseaux sociaux, de blogs ou de commentaires sous le nom de tierces personnes, etc. De faux comptes appuyés de photos d’hommes ou de femmes récupérées sur Internet sont ainsi souvent créés sur les sites de rencontres ou les réseaux sociaux, dans le but d’abuser des interlocuteurs que les cybercriminels essaient de mettre en confiance pendant parfois de longues semaines de correspondance. En outre, certains déviants numériques (spécialistes de la retouche d’images et de la réutilisation des flux-vidéos préenregistrés sur leur webcam), après des échanges supposés amoureux, demandent à leurs correspondants des photos révélant leur intimité qu’ils utilisent ensuite pour leur faire du chantage. De même, certains cybercriminels font chanter des personnalités politiques et administratives du pays en les menaçant de diffuser des vidéos de leurs ébats sexuels avec des prostituées qu’ils ont eu le temps de filmer dans des hôtels. Il importe de préciser que ces prostituées opèrent généralement en complicité avec les cybercriminels. Plus difficile à repérer, le second cas d’arnaque par chat communément appelé hameçonnage consiste en l’envoi de plusieurs messages électroniques ou de SMS (annonçant des propositions d’affaires très alléchantes, des invitations à des rencontres internationales, des demandes d’assistance pour des raisons humanitaires, etc.) dans l’espoir que quelques internautes mordent à l’appât. Une forme d’hameçonnage actuellement en vogue au Bénin est « l’arnaque à la nigériane ». Autrefois célèbre spécialité des cybercriminels nigérians, cette forme d’arnaque consiste généralement à diffuser un message électronique proposant de mirobolantes commissions, en échange de l’utilisation d’un compte bancaire pour effectuer des virements d’un montant très élevé. Il s’agit le plus souvent  de prétendus fonds qui se trouveraient bloqués dans une prétendue banque, au nom de prétendus héritiers ne pouvant récupérer leurs avoirs sans l’intervention d’un tiers. L’objectif poursuivi est d’obtenir le numéro de votre compte bancaire et un exemplaire de votre signature pour donner de faux ordres de virements à votre banque ou pour vous faire payer de soi-disant « frais de dossiers » préalables, qui se succèderont alors en cascade.
Par ailleurs, les arnaques au travers d’entreprises fictives, la cyberpornographie, le système de clonage de chèque, la piraterie de transfert, la contrefaçon sont autant d’autres délits commis par les cybercriminels et qui font perdre à Internet son «  innocence ».

Face à cette situation, tout internaute qui clique sur un lien avec la certitude de gagner ce qui lui est présenté comme une opportunité à saisir peut naïvement tomber dans le piège de ces déviants numériques.

Discussion

Les Tic constituent un outil sans pareil qui s’insère progressivement dans le quotidien de chaque citoyen et offre d’innombrables perspectives dans les domaines les plus divers (économique, politique, social, etc.). Dans leur ensemble, elles apparaissent comme un facteur de développement, car elles peuvent faciliter la réalisation des objectifs de développement du millénaire, en luttant contre la pauvreté et en améliorant les conditions de vie des populations. A l’instar de plusieurs pays africains, le Bénin tente donc de saisir les fenêtres d’opportunités que lui offre le marché mondial de l’externalisation pour promouvoir son développement.

Cependant, si l’utilisation de systèmes et de réseaux informatiques représente un progrès certain pour la société, elle n’en accroît pas moins sa vulnérabilité car elle pose des problèmes liés aux infractions et crimes électroniques. Avec l’essor de ces technologies, notamment d’Internet, on assiste en effet à l’avènement de la cybercriminalité qui émerge d’une forme de commerce opérant sur des réseaux, c’est-à-dire « des espaces immatériels qui ignorent les frontières des États et les législations propres à ceux-ci, conduisant de fait à des mutations profondes du commerce international » (Ossama, 2001, p. 44). De nouvelles formes de criminalité portant atteinte à la vie privée, aux libertés individuelles et publiques (la piraterie des données personnelles, la diffusion de contenus illicites, l’accès frauduleux à des réseaux privés, etc.) se développent ainsi dans la société en réseau.

Si Pansier et Jez (2000, p. 99) identifient quatre facteurs principaux qui déterminent l’entrée des individus dans le monde de la criminalité informatique (la vengeance, le besoin d’autodéfense, l’appât du gain et le défi ou la volonté d’accéder à une certaine reconnaissance sociale), deux motivations fondamentales expliquent l’engouement des cybercriminels béninois pour cette activité : la motivation financière (80% des « gays mans« ) et la motivation sociale (qui trouve ses racines dans une ambition de vengeance et dans le besoin de reconnaissance par ses pairs de l’individu comme membre de la communauté des  « gays mans »). Cette dernière forme de motivation s’inscrit bien dans la logique développée par les cybercriminels pour justifier leur forfait, surtout lorsqu’ils considèrent le phénomène comme une occasion de corriger les injustices commises par les puissances occidentales en Afrique. La motivation financière apparaît comme le principal facteur qui pousse les jeunes à s’adonner à cette activité, parce qu’ils y voient une opportunité pour améliorer leurs conditions de vie et une issue au chômage. Dans ce contexte, les pertes financières dues à la cybercriminalité ne cessent d’augmenter considérablement non seulement au Bénin, mais à l’échelle internationale. Selon le Rapport Norton 2011 sur la cybercriminalité, les pertes occasionnées par la cybercriminalité mondiale sont estimées à 114 milliards de dollars par an. Cette situation prouve bien que la cybercriminalité est une maladie de la société de l’information qui porte préjudice aux intérêts des consommateurs et des commerçants du commerce électronique. La cybercriminalité constitue une menace très sérieuse pour la stabilité de l’ensemble du système financier international. En conséquence, il est impératif de protéger les infrastructures de l’information et de la communication, bien que pour certains, l’Internet en raison de ses spécificités, constitue une « zone de non droit » (Ossama,2001, p. 34).

En matière de régulation des Tic, le débat s’ouvre seulement aujourd’hui sur les conséquences juridiques de l’utilisation de certaines facilités offertes par le Net.   Pourtant, malgré ses ravages et l’image négative qu’elle donne du Bénin à l’extérieur, la cybercriminalité n’est pas encore intégrée dans le droit positif béninois (Chabossou, Zolikpo et Loukpo, 2010, p. 37). En l’état actuel des choses, l’arsenal juridique et institutionnel béninois n’est pas en mesure de lutter efficacement contre ce type de délinquance, pour diverses raisons : inexistence de textes de lois spécifiques pour réprimer ce délit, absence de moyens de surveillance informatique et téléphonique, effectifs insuffisants, manque d’enquêteurs spécialisés, etc. De fait, sur les 1 195 plaintes de criminalité numérique enregistrées entre 2006 et 2009, émanant notamment de Français, de Suisses, de Belges et de Danois, seules 142 personnes ont été arrêtées dont 138 déférées devant le Procureur de la République (Kouakou, Sondjo, Chabossou et Carpenter, 2011, p. 44). L’incapacité juridique à réguler le secteur des Tic à cause de l’absence de loi sur la cybercriminalité capable d’organiser la cybersécurité, de même que des structures à la hauteur des ambitions affichées, expliquent fondamentalement cette situation.

En conséquence, pour lutter efficacement contre la cybercriminalité, il est nécessaire d’adopter une démarche holistique. Il faut mettre en place au niveau des cybercafés (principale source d’accès à Internet des cybercriminels) un dispositif de contrôle des usagers, répertorier et interdire d’accès les sites servant à la cybercriminalité, former les agents de la police judiciaire pour une lutte efficace contre ce phénomène et les doter du matériel technique approprié, voter des lois spécifiques sur la cybercriminalité, etc. Étant donné que les mesures techniques à elles seules ne sauraient prévenir une infraction, quelle qu’elle soit, il est essentiel de permettre aux instances de répression d’enquêter sur les actes de cybercriminalité et de poursuivre en justice leurs auteurs de façon efficiente. Aussi importe-t-il de comprendre les perceptions sociales des « gays mans », afin d’agir sur leurs motivations, car ainsi que le souligne Chawki (2006, p. 16), « le délinquant en informatique ne bénéficie pas de l’image stéréotypée du délinquant classique… » et il continue à être respecté en raison de son statut social et de son niveau culturel. »

Conclusion

Apparu au Bénin au cours de cette dernière décennie, la cybercriminalité n’a cessé de prendre de l’ampleur surtout dans les  rangs des jeunes. Depuis 2005, de nombreux gays mans ont en effet trouvé en cette activité un créneau porteur et une issue à la précarité. Pour les Béninois, les cybercriminels sont perçus comme des délinquants et des oisifs qui utilisent le Net pour arnaquer les Occidentaux. L’émergence de la cybercriminalité au Bénin tient au fait qu’une décennie seulement après son apparition, certains jeunes ont rapidement excellé dans la maîtrise des rouages de l’outil informatique et du web. Cette appropriation des Tic a très tôt favorisé un usage d’Internet orienté vers la criminalité numérique. Malheureusement, la politique juridique et institutionnelle du Bénin dans le domaine des Tic est restée jusque-là incapable de réguler le secteur. A ce jour, il n’existe, en effet, pas de textes spécifiques et opérationnels pour réprimer les auteurs de ce que d’aucuns n’hésite pas à appeler l’ »infraction du siècle ». De fait, cette activité illicite perdure de sorte que le Bénin apparaît aujourd’hui comme un paradis pénal pour ces déviants numériques qui opèrent en toute tranquillité et à visage découvert. Or, si rien n’est fait pour doter le pays d’une loi contre la cybercriminalité, ce constat risque bien de s’aggraver dans les années à venir étant donné que le Bénin ambitionne de devenir d’ici 2025 « le quartier numérique de l’Afrique », ce qui impliquerait une amélioration de la qualité de connexion et par conséquent un atout pour les cybercriminels.

Références bibliographiques

Affougnon, Barnabé (2009), État des lieux des télécommunications au Bénin… pour un engagement plus structurant (Rapport national), Cotonou : Association for Progressive Communications (APC), p. 22.

Alterman, Henri ; Bloch, Alain (1988), La Fraude informatique, Paris : Gaz. Palais.

Autorité Transitoire de Régulation des postes et Télécommunications (ATRPT) (2011), Rapport Bilan 2007-2011, Cotonou : Tino Corporation.

Beau, Isidore ; Vieira, Claire (2009), Le rôle des ONG dans l’appropriation sociale des Tic dans les territoires de l’Afrique de l’Ouest : le cas du Bénin, 2ème Rencontre Atlas francophone Afrique de l’Ouest, Cotonou, p. 104.

Boudon, Raymond (2001), La logique du social. L’introduction à l’analyse sociologique, Paris : Hachette, p. 309.

Chabossou, Augustin F. ; Zolikpo, Landry E. ; Loukpé, Serge M. (2010), Les télécommunications au Bénin : bilan et perspectives, [en ligne] www.caebenin.org.

Chawki, Mohamed (2006), Essai sur la notion de cybercriminalité, IEHEI : Nice, [en ligne] www.iehei.org.

Cisse Abdoullah (coord.) (2011), Exploration sur la cybercriminalité et la sécurité en Afrique : État des lieux et priorités de recherche, Synthèse des rapports nationaux, CRDI, p. 14.

Conseil de l’Europe (2006), Criminalité organisée en Europe : la menace de la cybercriminalité, Strasbourg : Éditions du Conseil de l’Europe, p. 270.

Dupont, Benoît (2008), « Hacking the Panopticon : Distributed Online Surveillance and Resistances », Sociology of Crime Law and Deviance, n° 10, p. 259-280, [en ligne] http://www.benoitdupont.net/sites/www.benoitdupont.net/files/Dupont%20HackingPanopticon%202008.pdf.

Evrard, Yves ; Pras, Bernard ; Roux, Elyette (2000), Market. Études et recherches en marketing, Paris : Dunod, p. 672.

Faurie, Isabelle ; Almudever, Brigitte ; Hajjar Viollette (2004), « Les usages d’Internet des étudiants : facteurs affectant l’intensité, l’orientation et la signification des pratiques », L’orientation scolaire et professionnelle, vol. 33, n°3, pp. 429-452, [en ligne] http://osp.revues.org/index712.html.

Ghernaouti-Helie, Solange (2009), La cybercriminalité : le visible et l’invisible, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes (collection « Le savoir »), p. 123.

Kouakou, Auguste K. ; Sondjo, Bertrand D. ; Chabossou, Augustin ; Carpenter, Theresa A. (2011), Le Bénin face aux défis des TIC, [en ligne] www.caebenin.org.

Leman-Langlois, Stéphane (2008), Technocrime : Technology, Crime, and Social Control, New York : Willan Publishing, p. 288.

Moratti, Francesca (2009), L’Afrique sur le web : l’impact d’Internet sur les jeunes au Bénin. Entre symbolique et virtuel, Paris : L’Harmattan, p.166.

Ossama, François (2001), Les nouvelles technologies de l’information. Enjeux pour l’Afrique subsaharienne, Coll. Études africaines, Paris : L’Harmattan, p. 194.

Ouimet, Marc (2006), « Réflexions sur Internet et les tendances de la criminalité », Criminologie, vol. 39, n° 1, [en ligne] http://id.erudit.org/iderudit/013123ar.

Pansier, Frédéric-Jérôme ; Jez, Emmanuel (2000), La cybercriminalité sur Internet, Paris, PUF, p. 127.

Proulx, Serge (1994), « Communication publique, identité culturelle et rapports sociaux », Recherches sociographiques, vol. 35, n° 1, p. 87-96.

Auteur

Florent Tasso Boni

.: Doctorant en Sociologie des TIC, Université d’Abomey-Calavi (Bénin), tassoflorent@gmail.com
Avec la collaboration de Dr Monique OUASSA KOUARO, Maitre-assistant des Universités du CAMES, Université d’Abomey-Calavi, kouaro@yahoo.fr