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Minorités ethniques et télévision : quel constat en France et à l’étranger ? Comparaison sélective

15 Sep, 2013

Résumé

Les recherches menées sur la représentation de la diversité à la télévision se heurtent au double problème de leur apparition récente, datée des années 2000 en France, et des freins institutionnels rencontrés pour mener ces études à terme.
Certains pays sont cités comme des exemples intéressants pour le traitement de la représentation des minorités à la télévision, notamment le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Canada ou la Belgique. Les résultats de cette recherche permettent d’identifier les problématiques relatives à la représentation des minorités à la télévision française et de comparer la France à certains de ses voisins.

Mots clés

Représentation, minorités, télévision, comparaison, international.

In English

Abstract

Research about representation of ethnic minority on TV faces problems of their recent publication in France, and institutional issues.
Some countries are cited as good examples for the research about representation of ethnic minority on TV, including the United Kingdom, the United States, Canada or Belgium. The results of this research identify the problems relating to the representation of minorities on French television and compare France to some of its neighbours.

Keywords

Representation, minority, television, comparison, international.

En Español

Resumen

La investigación sobre la representación de la diversidad en la televisión frente a los problemas gemelos de su reciente aparición, que data de la década de 2000 en Francia, y las barreras institucionales se encuentran en la realización de estos estudios hacia delante.
Algunos países son citados como buenos ejemplos para el tratamiento de la representación de las minorías en la televisión, incluyendo el Reino Unido, Estados Unidos, Canadá o Bélgica. Los resultados de esta investigación identifican los problemas relacionados con la representación de las minorías en la televisión francesa y comparar a Francia a algunos de sus vecinos.

Palabras clave

Representación – las minorías – TV – Comparación – Internacionales.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Ghosn Catherine, « Minorités ethniques et télévision : quel constat en France et à l’étranger ? Comparaison sélective« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°14/1, , p.51 à 61, consulté le samedi 21 décembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2013/varia/04-minorites-ethniques-et-television-quel-constat-en-france-et-a-letranger-comparaison-selective/

Introduction

En France, les recherches menées sur la représentation de la diversité à la télévision sont récentes car elles datent des années 2000 et proviennent majoritairement de la sociologie, peu des sciences de l’information et de la communication (SIC), discipline où s’inscrit ma recherche. La « jeunesse » de ces travaux rencontre une autre difficulté méthodologique : l’article 1er de la Constitution de la Cinquième République empêche toute statistique ethnique rendant ainsi difficile une analyse quantitative ou une approche comparative entre la réalité sociale et la représentation de la diversité à la télévision. L’objectif de mon étude vise ainsi à identifier les moyens mis en place à l’étranger et en France pour analyser la représentation des minorités ethniques à la télévision, de manière officielle et recevable par les différentes instances institutionnelles. Les résultats de cette recherche permettent d’identifier les problématiques relatives à la représentation des minorités à la télévision française et de situer la France par rapport à certains de ses voisins.

Volet scientifique et méthodologique

Mener une recherche sur la représentation de la diversité à la télévision fait apparaître deux faits majeurs : dans le domaine de la recherche scientifique en France, les études menées sur la représentation de la diversité dans les médias ont pris de l’ampleur dans les années 2000 (Marie-France Malonga, 2000a ; Guy Lochard, 2006 ; Eric Macé 2006a, 2007b, 2008c, 2009d ; Magali Nayrac, 2011, etc.) et proviennent de différentes disciplines – sociologie, sciences de l’éducation, etc., plus rarement des sciences de l’information et de la communication. En SIC, il faut cependant relever quelques recherches sur le sujet (Guy Lochard 2006 ; Jacques Guyot 2007 ; Tristan Mattelart 2009 ; Christoph Vatter, 2009).

Les axes retenus pour traiter cette problématique diffèrent de manière importante chez les chercheurs : un des objectifs peut viser à identifier les réponses données par les médias et les diverses institutions pour améliorer la prise en compte de la diversité (Claire Frachon, Virginie Sassoon, 2008) ; un autre se focalise sur les « productions et les attitudes journalistiques » à l’égard du traitement médiatiques des minorités ethniques (Guy Lochard, 2006, p. 25). Une étude qualitative peut conclure à l’effet caricatural et dévalorisant d’images montrant des représentants des minorités ethniques (Marie-France Malonga, 2008c). Enfin– mais la liste n’est pas exhaustive – l’objet d’une recherche peut s’intéresser aux médias produits par les minorités ethniques et destinés à ces mêmes minorités (Isabelle Rigoni, 2010). Sur le plan méthodologique, les approches varient un peu moins en raison des possibilités plus restreintes liées à ce type d’étude car on retrouve souvent l’utilisation d’une approche comparative (Lochard, 2006 ; Macé, 2007b ; Frachon, Sassoon, 2008), d’une enquête d’ordre quantitatif (Marie-France Malonga, 2000a ; Reynald Blion, 2007 ; Eric Macé 2008c) ou qualitatif (Marie-France Malonga, 2008c). Une approche chronologique ou historique permet aussi d’identifier l’essor pris par cette problématique (Anna Eriksen Terzian, 2007 ; Isabelle Rigoni, 2010 ; Magali Nayrac 2011).

Le projet de recherche collectif Mediamigraterra, dirigé par Tristan Mattelart et financé par l’Agence Nationale de la Recherche de 2008 à 2011 traduit de manière significative l’intérêt scientifique accordé à cette thématique. Il aborde la question des minorités et plus spécifiquement celle de l’association « Médias et migrations dans l’espace euro-méditerranéen ». Ce projet a donné lieu à un colloque international en 2011 et marque le prolongement d’une recherche que l’auteur menait déjà précédemment sur la question des diasporas et des nouvelles technologies (Tristan Mattelart, 2009). L’objectif de l’article publié en 2009 visait à « retracer de façon critique l’émergence progressive de ce champ [les TIC] » (op. cit., 2009 : 13) en se basant sur une littérature conséquente publiée sur le sujet pour relever les « apports » et les « limites » de l’utilisation des nouvelles technologie de l’information et de la communication par les diasporas. Une des idées maîtresses soulignée dans cette partie rejoint celle développée par R. Agi qui a travaillé sur les habitudes de consommation médiatique des immigrés en Allemagne : dans les deux cas, il en est conclu que les minorités ne se limitent pas aux programmes ou aux informations de leurs pays mais au contraire sont consommateurs de mêmes programmes que les autres téléspectateurs du pays.

La déclinaison du vocable « minorités », « diaspora », « immigrés » utilisé dans les médias peut déformer un sujet relatif aux minorités ethniques et jouer sur les perceptions du public (Hargreaves). Simone Bonnafous a procédé à une analyse de discours médiatique sur les immigrés en s’appuyant sur la méthode lexicométrique et sur celle de l’analyse linguistique (Bonnafous, 1990a, 1991b). Sa recherche visait à étudier le discours tenu sur les immigrés ainsi que sur l’immigration et se basait sur un corpus conséquent composé d’articles parus dans la presse nationale entre 1974 et 1984. Son étude est complémentaire à celle de A. G. Hargreaves dans la mesure où elle vérifie un postulat de départ supposant la banalisation des thèses extrêmes au sujet de populations immigrées, face à l’inconsistance des partis historiques. Ainsi, le discours des partis traditionnels s’avèrent-ils changeant, celui de l’extrême-droite racisant et ultra-patriote, celui du centre se révèle « humaniste » et celui de l’extrême-gauche plutôt isolé. Certains professionnels des médias déplorent que l’ethnicisation des discours relatifs aux minorités ainsi que les catégorisations réductrices utilisées à leur égard aient un effet performatif. Ainsi, si les médias ont développé le thème de l’immigration ou de la préférence nationale dans les années 80, ils les ont davantage orientés vers celui de l’islam et des problèmes d’intégration des minorités, dans les années 90.

Bertrand Cabedoche propose une réflexion d’ordre théorique et méthodologique au sujet des représentations de l’altérité et de ce qu’il appelle « l’étrangéité » par les télévisions transnationales (Cabedoche, 2005a, 2007b).

Il définit l’étrangéité comme :

« la rencontre entre les stratégies de présentation de l’Autre par un média transnational et les imaginaires d’événementialisation, d’espace, de temps que « l’instance cible » est censée r et que « l’instance médiatique » tente de reproduire par hypothèse, dans des versions socialement acceptables » (Cabedoche, 2005a : 271).

La création de France 24 en 2006 est particulièrement significative dans la mesure où elle pose justement la question de « comment représenter autrement » l’information et ses acteurs. La présentation d’une information internationale diffusée 24h sur 24 et 7 jours sur 7 rencontre cependant des limites dès qu’on l’aborde avec une analyse de contenu. En effet, d’après l’auteur, se pose le risque d’offrir une vision française de l’actualité et de continuer à pratiquer la « tradition jacobine » de lecture d’un événement (Cabedoche, 2007b : 344). Plusieurs critiques à l’encontre des médias transnationaux émaillent son étude et soulignent le poids des majors occidentaux impliquant une réduction qualitative dans la représentation des espaces non occidentaux et dans celle des étrangers :

« Certains territoires ne sont couverts par la presse transnationale que dans des circonstances exceptionnelles, ce qui prive l’envoyé spécial dans l’urgence des pré-requis nécessaires au difficile chemin de la connaissance. La construction de l’étrangéité se développe parfois par sa seule résonance vis-à-vis des enjeux nationaux intégrés par les reporters ; mobilisée par l’attention à la « communauté internationale » que forment les résidents occidentaux » (Cabedoche, 2007b : 349).

Par « circonstances exceptionnelles », l’auteur renvoie notamment aux événements qualifiés des plus « négatifs possibles » (Cabedoche, 2007b : ibid) et habituellement traités dans les médias lorsqu’ils permettent d’utiliser des ressorts dramatiques : les guerres, les coups d’Etat, etc. A l’instar d’autres chercheurs, l’auteur relève le principe réducteur des procédés stylistiques utilisés dans le traitement journalistique transnational. Il énumère ainsi les différentes techniques utilisées (généralisations, stéréotypes, « références romanesques », etc.) qui figent les représentations collectives, avec pour seul objectif de réussir un « effet de captation » (Cabedoche, 2007b : 350).

Les difficultés à mieux représenter les minorités ethniques ne proviennent pas toutes essentiellement de nombreux médias, elles sont aussi induites par la loi française.

Les freins institutionnels en France

La mesure de la diversité rencontre deux obstacles majeurs. L’article 1er de la Constitution de la Cinquième République française définit d’abord un principe fondamental :

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée » (Article 1er de la Constitution).

Le Conseil Constitutionnel ne considère pas les projets d’études statistiques basées sur la race. Ensuite, Nicolas Sarkozy avait chargé la commission présidée par Simone Veil de rajouter un préambule à la Constitution sur le respect de la diversité, projet refusé par cette Commission au prétexte que les politiques de répartition fondées sur la race se sont surtout développées dans les pays connus pour leur pratique officielle de la ségrégation, ce qui n’est pas le cas de la France. Cette même commission craint aussi les conflits qui peuvent être suscités entre les diverses communautés. Les discussions sur les moyens de mesurer la diversité de la population française dans les médias restent vives car elles bousculent le principe universaliste républicain et ceux qui refusent l’emploi de statistiques ethniques se réfèrent souvent au principe anti-constitutionnel d’un tel projet. Ces deux principaux arguments – l’article 1er de la Constitution de la Cinquième République et la décision de la Commission présidée par Simone Veil – affichent la position de la France pour tout ce qui concerne la mesure et l’étude quantitative des minorités ethniques. Compte tenu de cette réalité juridique, j’oriente ma recherche vers d’autres pays pour identifier les moyens mis en place pour analyser la représentation des minorités ethniques à la télévision, de manière officielle et recevable par les différentes instances institutionnelles. Les résultats de cette recherche permettent d’identifier les problématiques relatives à la représentation des minorités à la télévision française et de comparer la France à certains de ses voisins.

Une comparaison internationale sélective

Trois pays sont généralement cités comme des exemples ou comme des références pour le traitement de la représentation des minorités à la télévision : le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Canada (Eric Macé, 2007b; Claire Frachon, Virginie Sassoon, 2008). Le modèle « multiculturaliste » de ces pays et les mesures politiques ou institutionnelles prises pour améliorer la représentation des minorités dans les médias en sont les principales raisons. D’autres pays, comme la Belgique, se distinguent par la richesse des travaux menés sur la représentation de la diversité dans les médias (Marco Martinellio, 2006 ; Marc Lits, Joëlle Desterbecq, 2007).

Si le Royaume-Uni est souvent désigné comme un pays multiethnique, c’est principalement en raison de son histoire et de son passé colonial au cours duquel les mouvements de migration s’intensifient, surtout dans les années 1950 et 1960.

« Le Royaume-Uni est considéré aujourd’hui comme l’une des sociétés les plus multiculturelles d’Europe, et Londres comme la ville la plus cosmopolite du monde » (Claire Frachon, Virginie Sassoon, 2008, p. 27).

La particularité du Royaume-Uni réside aussi dans la reconnaissance et la promotion du multiculturalisme où s’expriment facilement les diverses communautés. Une telle conception de la représentation des diversités s’est prolongée très tôt dans la politique audiovisuelle du service public britannique, contrairement à la France. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) s’y réfère pour évoquer les dispositions mises en place à l’étranger en citant notamment L’Independant Television Commission (ITC) qui a adopté des dispositions concernant l’emploi et l’égalité des chances au sein des chaînes entre personnes de différents groupes ethniques (Lettre du CSA n°172, avril 2004). Pour la programmation, l’ITC incite les différents responsables à faire en sorte que les personnes issues des minorités ethniques apparaissent dans la programmation générale. L’étude menée par Andrea Millwood Hargrave en 2002 sur la télédiffusion du multiculturalisme souligne que les différents opérateurs ont conscience de l’importance représentée par une programmation mettant en scène des minorités ethniques et conclut à une sensible amélioration.

« Television research which tracks the levels of representation of minority ethnic groups on-screen has shown slow progress over the years” (Andrea Millwood Hargrave, 2002, p. 9)

D’autres initiatives ont été impulsées pour améliorer la représentation des minorités dans les médias audiovisuels (la télévision mais aussi la radio), avec notamment la création de Creative Diversity Network (CDN), en 2000. L’objectif de CDN vise à promouvoir la diversité sur les chaînes et à améliorer la visibilité des personnes issues des minorités ethniques. Elle affiche clairement sa volonté de mettre l’accent sur l’appartenance ethnique et celle d’élargir les différentes figures de la diversité :

« The Creative Diversity Network will maintain a strong focus on ethnicity, but will have a broader remit than previously to include all aspects of diversity »(1).

Au Canada, le gouvernement prône dès le début des années 1970 le principe de multiculturalisme en se basant sur une identification des particularités ethniques de la population dans son ensemble. Ce principe recouvre trois sens différents : il désigne aussi bien la politique gouvernementale, une certaine idéologie du pluralisme culturel qu’une référence à la réalité sociale composée de différentes ethnies. Les critères de recensement canadien ont changé à de nombreuses reprises depuis le XIXème siècle, en complétant les informations sur la nationalité et le lieu de naissance avec celles portant sur les groupes ethniques et sur l’origine raciale. Jean-Louis Rallu (et alii) le précise pour le recensement de 1991 :

« La taxinomie employée combine de fait des éléments raciaux et ethniques, comme White, Black-Carribbean ou Pakistani » (Jean-Louis Rallu, Victor Piché, Patrick Simon, 2004, p. 498).

L’étude menée par Multiculturalisme et Citoyenneté Canada à partir du recensement de 1986 précise que les « groupes définis comme minorités visibles par la loi sont les Noirs et/ou les Antillais, les Chinois, les Sud-Asiatiques, les Arabes et les Ouest-Asiatiques, les Asiatiques du Sud-Est, les Latino-Américains et les individus originaires des îles du Pacifique» (Multiculturalisme et Citoyenneté Canada, 1989). La mise en place d’une certaine politique a permis de contribuer à la reconnaissance et à la prise en compte des différentes minorités au Canada, même sur le plan médiatique :

« To achieve these goals, a broadcasting system in which there is “fair” representation of the population in terms of ethnicity, both within media institutional administrations and as the subjects of normalized media texts, is publicly espoused by government policymakers and ethnic lobbyists” (Lorna Roth, 1998).

Les travaux de Lorna Roth sur les minorités visibles et les médias constituent des références précieuses car elle a notamment travaillé sur la loi concernant le multiculturalisme canadien et la politique de radiodiffusion qui reflète la diversité canadienne. Elle étudie, par exemple, la manière dont le multiculturalisme et la radiodiffusion ethnique mettent en avant la diversité ethnoculturelle et raciale. Le Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications Canadiennes (CRCT) a notamment pour mission de veiller à ce que les médias représentent effectivement les différentes ethnies. Le projet Broadcasting Policy Reflecting Canada’s Linguistic and Cultural Diversity adopté en 1985 précise clairement les programmes ethniques divisés en plusieurs catégories à l’intention des radios :

• Type A : des programmes dans des langues autres que l’anglais et le français,

• Type B : de programmes en anglais ou en français destinés au groupe dont la première langue et l’Anglais ou le Français,

• Type C : des programmes en Anglais ou en Français destinés à n’importe quel groupe ethnique ne se trouvant pas dans le type B,

• Type D : des programmes bilingues (Anglais et Français avec des programmes intégrés au type A) destinés à n’importe quel groupe ethnique (les Français et Arabes, les Anglais et Italiens, etc.).

Aux Etats-Unis, des facteurs politiques ont déterminé le cours de l’histoire sur la représentation des minorités ethniques. L’Affirmative action, ou « discrimination positive » pour sa traduction française, est mise en place lors de la lutte pour les droits civiques et pour l’abolition de la ségrégation raciale en 1961, sous le mandat de John F. Kennedy. Ce programme vise principalement à s’assurer que l’emploi n’est pas soumis à des discriminations raciales et à favoriser les minorités jugées alors en position de faiblesse (pour le taux de chômage, l’accès à l’enseignement supérieur, les postes à responsabilité…). Il est suivi en 1964 du Civil Right Act qui interdit toute discrimination et s’appuie sur une loi interdisant aux employeurs et aux établissements scolaires toute discrimination pour un emploi ou une admission sur la base de la race, l’origine nationale, la religion ou le sexe. Les émeutes raciales qui se sont déroulées dans les années 60, appelé aussi « Hot summers », ont contribué à mettre en place des décrets ou des textes de loi pour améliorer l’accès à l’emploi pour les membres des minorités ethniques. Cette expression désigne les émeutes nées dans les ghettos afro-américains de plusieurs villes des États-Unis durant le mouvement des droits civiques américains. Le président Johnson signe le décret Equal Opportunity Emplyment (Egalité des chances dans l’emploi) en 1965 qui oblige les entreprises de travaux publics à pratiquer des embauches basées sur l’Affirmative Action. En 1978, la Cour suprême confirme la constitutionnalité de l’utilisation du critère de «race » dans la détermination des admissions universitaires.

Le sociologue Herman Gray établit un parallèle sur le plan politique et médiatique pour étudier la représentation des Noirs sur les chaînes américaines (Herman Gray, 1995). Avec l’arrivée du câble et du satellite, les principaux networks connaissent une baisse d’audimat et recherchent de nouveaux marchés à conquérir. La population afro-américaine, considérée comme la communauté la plus consommatrice de programmes télévisuels que le reste de la population américaine, est au centre des préoccupations des opérateurs. Les programmes sont ainsi modifiés pour mettre en scène, selon l’analyse de Herman Gray, trois types de représentation de la population noire : ceux qui sont intégrés dans le monde des Blancs (Julia, Room 222), les Noirs aux prises avec les mêmes problèmes que les Blancs (Family Matters, Fresh Prince of Bel Air, What’s happenin’, Sanford&Son), et des programmes de transition sur le thème de la diversité en utilisant des « shows » où la culture afro-américaine pointe les différences (The Cosby Show). Aux Etats-Unis, les principes politiques ont déterminé dans une certaine mesure des changements effectifs pour la représentation Noirs à la télévision.

La recherche d’Andrea Millwood Hargrave publiée en 2002 a consisté en une étude de réception audiovisuelle des programmes multiculturels ainsi qu’à l’analyse du travail des professionnels de la radio et de la télévision. Un des principaux intérêts de son travail réside dans le choix de participants issus de groupes ethniques différents (et pas uniquement les asiatiques, les hispaniques, les africains, etc.). Ils partageaient tous l’avis selon lequel ils assistaient à une augmentation de la représentation des minorités ethniques au cours des dernières années mais insistaient néanmoins sur la nécessité d’une plus grande représentation non seulement de leurs propres communautés mais aussi d’autres groupes minoritaires, surtout dans les émissions télévisuelles « grand public ». Ils ont notamment évoqué les difficultés rencontrées lors de l’emploi des stéréotypes négatifs, des représentations simplistes de leur communauté, de l’absence d’images de leurs pays ou régions d’origine. L’utilisation de stéréotypes récurrents et caricaturaux est notamment relevée par les personnes originaires du sous-continent indien pour les scènes de mariage :

« For example, groups from the Indian sub-continent talked of the way in which arranged marriages were presented on television. They felt that the treatment of the issue was neither accurate nor did it reflect the way in which the system had changed over time. Many called for a fairer portrayal of such issues. Allied to this was the more universal concern about the way in which countries and populations were represented. This was a source of complaint for all the minority ethnic groups interviewed » (.Andrea Millwood Hargrave, 2002 : 2).

Les travaux menés en Belgique méritent d’être relevés en raison de leur richesse et de leur diversité. La politique belge dépend de deux organismes publics communautaires, la RTBF destinée au public francophone, et la VRT pour le public flamand. L’étude menée en 2007 par l’Etude du Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme (CECLR) a mis en place une analyse réalisée par Marc Lits et Joëlle Desterbecq, intitulée La représentation des minorités ethniques dans les médias belges. Elle succède à une première étude effectuée en 1993 et reprend la même méthodologie pour se baser sur une étude comparative cohérente. L’objectif vise à répondre à la question suivante :

« Quelle est, aujourd’hui, la couverture journalistique des événements mettant en scène des personnes d’origine étrangère et les questions de société liée à l’immigration, à l’intégration des populations d’origine étrangère, aux discriminations et au racisme ? » (CLCR, 2007, p. 5)

Un autre objectif vise à évaluer les évolutions par rapport aux recommandations énoncées dans l’étude de 1993. Les deux équipes chargées de mener cette recherche ont travaillé sur des journaux datés des mois de septembre et d’octobre 2006, avec un corpus destiné à l’équipe flamande et un autre à l’équipe francophone. Elles ont pris en compte les articles traitant des personnes d’origine étrangère, ceux qui dénoncent le racisme ou qui en parlent, ou encore ceux qui sont reliés aux conditions de vie des étrangers, en limitant leurs études à un périmètre géographique précis, celui de la Belgique. Une analyse de contenu a permis aux deux équipes d’évaluer dans quelle mesure les informations étaient pertinentes, contenaient des amalgames, ou encore enfermaient les minorités ethniques dans des stéréotypes figés. Cette étude présente des résultats quantitatifs de la recherche complétés par une analyse qualitative qui consiste à considérer :

• la présence des journalistes allochtones (« allochtone » désigne les personnes originaires de pays qui n’appartiennent à l’Union européenne),

• si les points de vue racistes des personnes interviewées ou citées entrent en ligne de compte, sans aucun commentaire ou mise en garde du journaliste,

• quelle religion intervient, et dans quel contexte,

• la mention de la race ou de l’arrière-fond culturel,

• la diversité des termes employés pour désigner les allochtones,

Si les éléments cités pour cette analyse qualitative ne sont pas exhaustifs, ils permettent cependant de considérer une position différente adoptée par des chercheurs étrangers, voulant donner un sens, une explication au chiffre, d’une part, développer et prolonger les idées contenues dans les chiffres, d’autre part. Si les deux publics (francophones et flamands) se connaissent finalement peu à travers la télévision (Marc Lits, 2006a, 2008b), des études à grande échelle menées auprès des deux communautés cherchent néanmoins à mesurer la perception des minorités ethniques selon une axiologie discursive et interactionniste.

J’ai convoqué des exemples provenant d’autres pays pour relever les tendances observées et les applications politiques, institutionnelles sur la représentation de la diversité. Je pourrais prolonger ce travail mais le limite volontairement car les références signalent régulièrement que la question de la représentation des minorités se pose dans de nombreux pays. Elle est considérée de manière différente : les réponses apportées pour améliorer cette situation sont inscrites dans la Constitution ou dans les textes de loi (Etats-Unis, Canada), ou encore traitées par des recherches scientifiques basées sur des analyses qualitatives et quantitatives (Belgique, Etats-Unis, Canada). La France peut difficilement échapper à la question de la représentation de la diversité à la télévision ou à celle des moyens officiels mis en place pour y répondre.

En France, les seules statistiques de l’INSEE permettent d’évaluer le genre, la catégorie socio-professionnelle, l’âge, etc. et ses nomenclatures sont considérées comme des références pour mesurer, par exemple, la répartition des hommes et des femmes. Or, la comparaison entre les statistiques sur le pourcentage de femmes en France et leur représentation à la télévision affiche un écart important, comme le souligne le baromètre de la diversité instauré par le CSA en 2009. Les résultats montrent que les femmes sont représentées à hauteur de 35% sur l’ensemble des programmes télévisuels (hors publicité), tandis que les chiffres de l’INSEE(2) précisent que les femmes représentent 51% de la population française. Les instances audiovisuelles françaises ont cependant mis en place des projets soutenus et/ou légitimés soit par des politiques internes soit par la loi. A titre d’exemples venant des politiques audiovisuelles, je me réfère aux commandes faites par le CSA ou par France Télévisions auprès de chercheurs: « Présence et représentation des minorités visibles à la télévision française » (Marie-France Malonga pour le CSA, 2000a), « Perception de la diversité dans les programmes de télévision » (Eric Macé pour le CSA, 2008c), ou encore des études menées par le CSA ou par France Télévisions : La représentation de la diversité des origines et des cultures à la télévision et à la radio. Bilan 2005 (CSA, 2005), Baromètre de la diversité à la télévision. TF1, France 2,France 3,France 5,M6, Canal+,W9, France 4,BFM TV, NRJ 12, I Télé, Virgin 17, TMC, Direct 8 et NT1. Vague 1, septembre 2009 (CSA, 2009), Représentation de la diversité à la télévision (CSA, 2010), Rapport 2010. Comité permanent de la diversité. Synthèse du rapport Représentation de la diversité dans les programmes de France Télévisions (France Télévisions, 2010), etc. Parallèlement à ces initiatives, des mesures législatives ont été prises pour améliorer la représentation de la diversité dans les médias : en 2006, la loi sur l’égalité des chances consolide l’action du CSA pour la lutte contre les discriminations à la télévision, plusieurs modifications d’articles qui donnent autorité au CSA pour intervenir sur le sujet et qui souvent modifient le cahier des charges de France Télévisions.

Conclusion

Si les études scientifiques françaises citées en concluent unanimement à une sous représentation des minorités ethniques à la télévision, force est de constater que les applications d’ordre politique ou institutionnel sur le sujet non seulement n’atteignent pas les résultats des autres pays, mais en plus se démarquent par leur inefficacité. Contrairement à la France, le recensement effectué au Canada, aux Etats-Unis ou encore au Royaume-Uni donne la possibilité d’évaluer de manière quantitative la représentation des minorités à la télévision et de comparer les résultats à ceux du recensement (Eric Macé, 2007b, p. 251). Qu’en conclure pour la France : que cette absence de reconnaissance peut se traduire comme « une forme de racisme » (Anna Eriksen Terzian, 2007, p. 209) ? Que cela reviendrait à remettre en cause le « modèle français républicain d’intégration universaliste (Marie-France Malonga, 2007b, p. 222) ? La question reste cruciale car même si « l’égalitarisme républicain délégitime les mesures statistiques des discriminations sur une base ethnoraciale […], de nombreuses pressions sociales et politiques rendent de plus en plus nécessaire leur prise en compte institutionnelle » (Eric Macé, 2007b, p. 241).

Notes

(1) http://www.creativediversitynetwork.org/

(2) Il s’agit du recensement de 1999, actualisé en 2002 et repris par le document du CSA pour l’étude de la représentation de la diversité en 2009.

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Auteur

Catherine Ghosn

.: Catherine Ghosn est Maître de Conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Paul Sabatier à Toulouse et mène sa recherche au LERASS (Laboratoire d’Etudes et de Recherches Appliquées en Sciences sociales). Ses recherches portent sur les médias, la question de la représentation, de la médiation et de l’innovation.