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Le service public audiovisuel français face à sa mission éducative : l’épreuve numérique

6 Déc, 2013

Résumé

La définition de l’ « audiovisuel éducatif », ne fait pas davantage consensus que la définition d’une télévision « de qualité », ou encore « culturelle ». En ce qui concerne la télévision éducative, la rencontre des acteurs de l’audiovisuel et de l’institution éducative a suscité de nombreuses polémiques. Cet article a pour objectif de revenir sur la façon dont le service public audiovisuel s’est approprié les missions éducatives qui lui ont été confiées. Les questionnements contemporains relatifs à l’émergence du numérique, ainsi qu’à son impact sur le modèle traditionnel de télévision, sont l’occasion de réévaluer la place de ces missions. Après un retour sur les différentes expériences éducatives du service public audiovisuel français, nous étudierons en quoi le lancement du site FranceTV Éducation peut être observé à l’aune de son caractère stratégique pour le service public audiovisuel à l’ère numérique.

Mots clés

Télévision éducative, télévision scolaire, France Télévisions, numérique

In English

Abstract

There is no consensus on an actual definition of the common expression “educational broadcasting”—and so it goes for the definition of a “quality” or of a “cultural” television. As regards the educational television, the encounter between the main actors of the audiovisual sector, and the educative institutions has led toheated debates. This article aims at analyzing how the French audiovisual public servicedealt with its educative assignment. Contemporary questions related to the emergence of digitalization, and to its impacts on the traditional television sector, constitute a rich opportunity to reassess the role and content of these educative missions. This paper will first consider the previous educative projects and experiences carried out by the French public television. This synthetic view of the recent past will help us to understand how the new website “FranceTV Éducation,” launched in 2012, is of special importance to the audiovisual public service in today’s digital world.

Keywords

Educational television, educational television, France Télévisions, digital

En Español

Resumen

Ni la definición del « audiovisual educativo », ni la definición de lo que sería una televisión « de calidad » o « cultural » generan consenso. En cuanto a la televisión educativa, el encuentro entre los actores de lo audiovisual y de la institución educativa ha provocado numerosas polémicas. Este artículo tiene por objetivo retomar la manera en la cual el servicio público audiovisual se apropió de las misiones educativas que le han sido confiadas. Los cuestionamientos relativos a la aparición de lo digital, y su impacto sobre el modelo tradicional de la televisión, son una oportunidad para interrogarse de nuevo sobre el lugar de estas misiones. Después de analizar las diferentes experiencias educativas del servicio público audiovisual francés, estudiaremos la manera en que el lanzamiento del sitio FranceTVÉducation puede ser observada a través de su carácter estratégico para el servicio público audiovisual en la hora digital.

Palabras clave

Televisión educativa, televisión educativa, France Télévisions, digital

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Marty Frédéric, « Le service public audiovisuel français face à sa mission éducative : l’épreuve numérique« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°14/2, , p.149 à 159, consulté le mardi 16 avril 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2013/dossier/11-le-service-public-audiovisuel-francais-face-a-sa-mission-educative-lepreuve-numerique/

Introduction

Depuis son invention jusqu’à son institutionnalisation, la télévision a été pensée comme un média éducatif. Les contemporains de son invention l’imaginaient déjà comme un outil d’éducation à distance (Delavaud, 2011 : 16) ; quant aux premiers législateurs à se pencher sur ce nouveau média, ils offrent une place significative au genre éducatif au sein des programmes (Jost, 2011). Du reste, une fois devenue média de masse, la télévision a suscité de vifs débats quant à sa portée culturelle, certains dénonçant même son rôle d’ « école parallèle » (Le Monde, 24/11/1978). Ce rappel peut surprendre au moment où la télévision est synonyme d’une machine à fabriquer du « temps de cerveau disponible » (Dépêche AFP du 9/07/2004, reprise notamment par Libération, 10-11/07/2004 :« Patrick Le Lay, décerveleur ”). Toujours est-il que le triptyque « informer – éduquer – divertir » a longtemps fait office de colonne vertébrale pour le service public audiovisuel en France. Au gré des évolutions sociales et économiques, cette ambition a évolué et la place accordée aux missions éducatives en témoigne tout particulièrement.
Ces évolutions suscitent aujourd’hui une réflexion profonde pour le service public audiovisuel face à l’émergence de nouvelles concurrences, l’apparition de nouveaux formats audiovisuels et, plus globalement, la volonté de trouver une place dans le développement de ce que certains auteurs appellent une « culture digitale » (Jenkins, 2006), voire dans l’émergence d’un « paradigme digital ». Au même moment, l’institution éducative est elle aussi questionnée par ces évolutions : la technique servant aussi de prétexte pour penser les modèles pédagogiques et les contenus des savoirs à transmettre. L’objectif de cet article est de revenir sur l’enjeu des stratégies éducatives mises en place par le service public audiovisuel de télévision à l’heure numérique ; en ayant pour hypothèse que ce secteur a eu, et a toujours, une position stratégique pour le service public audiovisuel français. Notre attention sera notamment focalisée sur la plateforme FranceTV Education, inaugurée en novembre 2012.

La mission éducative au cœur des stratégies médiatiques publiques

Comme nous l’avons dit, à ses débuts, la télévision est imaginée comme un média éducatif. Ses premiers promoteurs y voient l’opportunité d’une nouvelle forme d’éducation, et les premiers législateurs à en débattre celle de répondre à l’exigence de démocratisation et de mutation de l’école et du savoir. Ces ambitions audacieuses ne manquent pas d’attirer les foudres des détracteurs du « téléviseur ». Ils y voient l’émergence d’une culture parcellaire, puis d’une culture zapping, et posent les nouvelles frontières du débat récurrent, déjà posées par Platon, comme le rapporte Régis Debray (Debray, 1992), entre la valeur de l’écrit, de l’image et de la parole. On parlera ensuite d’une opposition entre culture et éducation, entre art et information, entre éducatif et scolaire. Mais, comme le rappelle Geneviève Jacquinot : « l’arrivée de chaque nouvelle technologie s’accompagne à la fois d’un a priori favorable à l’éducation – c’est « l’alibi pédagogique » des discours marchands – et d’un a posteriori récupérateur et réducteur – c’est la « pédagogisation » des médias » (Jacquinot, 1996, p. 25).

De l’ »âge d’or » (1) de la télévision scolaire …

Après la Seconde Guerre Mondiale, le service public audiovisuel français, alors en situation de monopole, assume l’ambition éducative qui lui est assignée. On peut d’ailleurs  s’interroger sur le processus qui a motivé un tel engagement : n’est-ce pas un moyen de « légitimer » un média en plein essor que de lui adjoindre une mission éducative jusqu’alors apanage des gardiens de la Galaxie Gutenberg ? Dès 1945, en accord avec le Ministère de l’Education Nationale (MEN), est créée une section d’enseignement au sein de la télévision française. Rappelons également, comme le note Jean-Louis Missika, qu’à ses débuts la télévision est administrée par de nombreux transfuges de l’enseignement, encore « sanglés de leurs habits de hussards de la République, qui voient une nouvelle terre de mission s’offrir à eux » (Missika, 2006, p. 12). Mais à partir du moment où le financement par redevance est mis en place, la part des programmes éducatifs passe de 8% en 1948 à 2,5% en 1950. On constate également une évolution dans la définition des programmes : « au champ du savoir, [on] ajoute celui du savoir-faire professionnel ou privé et du savoir- être » (Jost, 2011, p. 406).  Le service de la Radio Télévision Scolaire (RTS) est finalement créé en 1952, au sein du Centre National de la Documentation Pédagogique (CNDP), sous l’autorité du MEN et la figure tutélaire d’Henri Dieuzède. Ce service n’émet que deux heures hebdomadaires de programmes à ses débuts, puis quatre heures en 1962 et finalement plus de vingt dans les années soixante-dix ; alors même que la télévision n’émet qu’une centaine d’heures de programmes par semaine. L’institution éducative n’est pas en reste. En 1966, on inaugure un collège à Marly-Le-Roi à titre expérimental, afin de mettre l’audiovisuel au service du processus d’enseignement, en repensant la disposition des salles de classe par exemple. L’augmentation du volume des programmes éducatifs diffusés à la télévision tient également à tout l’appareil de formation continue mis en place dans le cadre de RTS-Promotion (Glikman, 1989). Les programmes comme les Ateliers de Pédagogie, à destination des enseignants, seront assez suivis, la RTS est utilisée pour pallier une très forte pénurie de professeurs qualifiés et un manque de formation continue de ces derniers : ce sont les débuts de ce que l’on appelle l’autoscopie (2) (Peraya, 1993). Ce succès n’est pas sans questionner l’institution médiatique qui souhaite faire valoir sa place en tant que diffuseur. Une loi de 1971 vient clarifier les questions de « territoire » entre le CNDP et l’ORTF, au profit de l’ORTF qui obtient un droit de regard sur le contenu des émissions. Les conséquences sont palpables, changements d’horaires, annulation voire censure de certaines émissions, augmentation exponentielle du prix de location d’antenne, etc. Par ailleurs, le ministère n’accompagnera pas le mouvement d’équipement des écoles : en 1980,la grande majorité du matériel des établissements est acquis hors dotation de l’Etat (sur fonds propres, taxe professionnelle, collectivités territoriales) (Laffitte & Trégouët, 1993, p. 48).
L’ »âge d’or »de la télévision scolaire va donc être de courte durée, les institutions éducative et médiatique vont émettre de sérieuses critiques dès la fin des années soixante-dix. Pour le directeur du CNDP le verdict est sans appel : « la télévision scolaire doit cesser d’arroser le sable » (cf. Le Monde, 24/11/1978).

Figure 1 – Volume annuel de diffusion 1952-1980 (Monnerat et. al., 1979, p. 82)

Au centre des critiques, on retrouve notamment le fait que les programmes sont trop « scolaires » sur la forme et pas assez adaptés à une utilisation en classe ; une télévision des « maîtres d’écoles » ne saurait servir des logiques de plus en plus concurrentielles, à la recherche d’une audience de masse. Aux Etats-Unis, la recherche de programmes plus « spectaculaires » va mettre en scène « les première stars de la télévision éducative en faisant le pari de la « midcult » (3) (Smith in Delavaud, 2011, p. 440). Franck C. Baxter, une de ces « stars », remportera d’ailleurs deux Emmys en 1954 : celui du meilleur programme de service public et celui du meilleur présentateur masculin. Côté français, les critiques nombreuses ont entamé l’enthousiasme général et seuls quelques programmes éducatifs sont diffusés à la télévision dans les années 80 (cf. Figure 1). Le CNDP devient partenaire des chaînes et n’est plus qu’un locataire d’antenne. Si les chaînes diffusent les programmes, les droits de diffusion en VHS reviennent au CNDP : il conserve ainsi une mission de distribution qu’il a prise en charge avec succès depuis l’époque du « cinéma éducateur » et des « lanternes magiques » (Marty, 2012).

… à une télévision éducative marginalisée

Au début des années 90, c’est un rapport du Sénat qui repose la question des missions éducatives de la télévision. Après avoir sabordé la télévision scolaire, les parlementaires s’inquiètent du fait que la France diffuse beaucoup moins de programmes éducatifs que la Grande-Bretagne (5 fois moins), Israël et l’Allemagne (10 fois moins), ou le Japon (30 fois moins) (Laffitte & Trégouët, 1993, p. 83). L’écho que reçoit Sesame Street aux Etats-Unis, depuis les années 70, met d’autant plus en évidence ce retard français et fait alors figure de modèle. Lecanal laissé vacant par La Cinqoffre une opportunité de remédier à cette situation, avec la création de La Cinquième en 1994. Il n’est plus question d’en faire une télévision scolaire mais bien une « chaîne à caractère éducatif et culturel », selon son cahier des charges, sur le modèle de Channel 4. La chaîne est cette fois-ci complètement indépendante du CNDP. Les enseignants et le réseau CNDP ne sont sollicités qu’à titre d’évaluation. Deux ans après son lancement, on estime que La Cinquième n’attire que 5% des audiences et qu’un tiers des enseignants l’utilisent régulièrement (Duboux, 1996, p. 24). Sur la forme, on peut noter une réelle évolution des contenus de La Cinquième vis-à-vis de la télévision scolaire, pour se rapprocher des standards télévisuels de l’époque : « le registre pédagogique et normatif du message audiovisuel est progressivement abandonné au profit d’un registre convivial, intimiste, contractuel » (Missika, 2006, p. 20). Enfin, la chaîne va affirmer sa politique de diffusion en « stock » des programmes éducatifs, avec notamment la mise en place de la Banque de Programmes et de Services (BPS). La BPS est une véritable « télévision éducative à la demande », par l’intermédiaire du satellite. Le passage à France 5, en 2002, marque à nouveau une évolution éditoriale vers une ligne toujours plus large, on parle alors de « télévision culturelle ». Les critiques dénonçant un « ghetto culturel » (Wolton, 2011) au sein de la télévision publique, qu’incarnerait La Cinquième, La Sept, Arte et maintenant France 5, se feront les alliés objectifs de ceux pour qui les courbes d’audiences vont dessiner la fin d’un affichage clairement éducatif de la télévision. Le passage d’une télévision de « service public » à une télévision du « secteur public » (Regourd, 2008) s’effectue dans la même logique.
Pour conclure cette partie rétrospective, nous pouvons dire que l’ambition éducative assignée à la télévision a été le fruit de nombreux espoirs, à chaque fois rattrapés par des contraintes médiatiques. Les opérateurs publics (RTF, ORTF, LaCinquième, FranceTélévisions) ont assumé ces missions, au détriment parfois des institutions éducatives, pour finalement les marginaliser. C’est une véritable lutte entre deux conceptions de l’audiovisuel éducatif à laquelle on a pu assister. L’émergence d’un média comme Internet, sensible aux audiences fragmentées et à la diffusion délinéarisée, pourrait toutefois changer la donne.

FranceTv Éducation : terrain d’essai numérique

Après les premiers essais de la télévision publique en matière de diffusion de programmes éducatifs, par l’intermédiaire de la VHS (CNDP) puis du Satellite (BPS), c’est presque naturellement qu’elle explore les nouveaux horizons d’Internet. Son offre de contenus audiovisuels se prête à un basculement numérique, elle est déjà indexée pour permettre une navigation thématique et les vidéos sont accompagnées de fiches pédagogiques au format texte. Deux offres vont rapidement se distinguer au sein de ce qui se nomme désormais le « Service des actions éducatives de France Télévisions ». D’une part, on retrouve Lesite.tv, héritier de la télévision scolaire, dont les vidéos sont principalement destinées à l’illustration des cours. Et d’autre part, Curiosphère.tv, dont l’identité est nettement plus « éducative » que « scolaire ». Alors que Lesite.tv conserve une collaboration étroite avec le CNDP (il est porté par un Groupement d’Intérêt Economique commun), Curiosphère.tv affiche une autonomie vis-à-vis de la tutelle éducative. Le lancement de France TV Éducation (FTVE), en novembre 2012, correspond à l’évolution de la plateforme Curiosphère.tv.

Figure 2 – Capture d’écran France TV Education (nov. 2012)

Une stratégie de groupe

L’évolution de Curiosphère.tv vers FTVE se traduit plus par une évolution ergonomique et stratégique que par une évolution éditoriale, nous verrons qu’au niveau des contenus, l’offre du site reste fidèle à son prédécesseur. La dimension stratégique de cette « nouvelle » offre doit d’abord se lire à travers les aspects organisationnels. Le service des actions éducatives, dont dépendent FTVE et Lesite.tv, est directement rattaché aux actions numériques de France Télévisions, en tant que service transverses et non plus à France 5 seulement. FTVE est sous la direction de l’actuel numéro deux de France Télévisions, Bruno Patino (directeur général délégué aux programmes, aux antennes et aux développements numériques). L’évolution vers FTVE s’est donc faite au diapason de la stratégie numérique globale de France Télévisions. Au niveau graphique en tout cas (cf. Figure 1), l’intégration du site est révélatrice d’une harmonisation avec les autres « chaînes » thématiques de France Télévisions sur Internet : FranceTV Info,France TV Sport, etc. Cette continuité est d’ailleurs confirmée par Bruno Patino : « Après les lancements réussis de francetv info et francetv sport, le groupe public concrétise une nouvelle ambition de service public » (cf. Francetv éducation »Lancement de FranceTV Éducation, 2012, p.3).

Cibler le « médiateur éducatif »

En termes de contenus, cette offre éducative affiche une ambition assez large. Parents, enfants, animateurs socio-culturels et enseignants ont vocation à se retrouver sur le site.

Figure 3 – Thématiques de FranceTV Éducation

Au regard des différentes thématiques proposées (cf. Figure 3) (apprendre, jouer, s’orienter, décrypter, accompagner et enseigner), on constate que les contenus dépassent nettement, eux aussi, le cadre scolaire. Sans doute motivés par l’objectif d’une audience plus large, ils affichent néanmoins une conception affirmée de l’audiovisuel éducatif : les sujets abordés, comme l’angle à travers lequel ils sont traités, se rapprochent de ce que Geneviève Jacquinot décrit comme le champ d’extension de l’éducation aux médias (Jacquinot, 2011). Il est d’ailleurs un peu désuet de parler ici « d’audiovisuel » puisque les formats proposés par le site dépassent largement la réalité que recouvre ce terme (cf. Figure 4).

Figure 4 – Formats proposés par FranceTV Éducation

Le contenu est donc clairement destiné à une diffusion via des ordinateurs connectés à Internet. Il ne s’agit pas d’offrir une diffusion de type « télévisuelle » mais bien une expérience « numérique » : non linéaire et volontairement interactive. Ce dispositif ambitionne le passage d’une posture présumée « passive » à une posture souhaitée « active ». On peut noter, par ailleurs, un lien renvoyant ausite.tv et ses contenus scolaires, sous forme d’une offre « freemium » (= modèle économique d’un site internet associant une offre gratuite, en libre accès, et une offre « Premium » en accès payant.). La plateforme, plus généraliste, de FTVE est gratuite, alors que les contenus du site.tv sont accessibles après paiement (par abonnement ou à l’acte). La mise en avant des contributions des internautes est un autre marqueur de l’identité « numérique » de FTVE. Alors que France Télévisions avait tenté, sans succès, de mettre en place un réseau social d’enseignants (Zeprofs.tv), il semble que pour FTVE, la logique permettant une circulation des contenus entre usagers et leur »redocumentarisation » soit privilégiée. En somme, il s’agit d’affirmer la dimension interactive de cette plateforme éducative.
Ces différents éléments se retrouvent dans le clip promotionnel de FTVE (cf. http://education.francetv.fr/presentation). On y voit tout d’abord la présentation d’une offre destinée à l’ensemble des « médiateurs éducatifs », à travers une navigation « multi-écrans » (ordinateurs, tablettes, télévisions, vidéo-projecteurs). Enfin, élément tout aussi significatif, cette vidéo fait appel à plusieurs personnalités (cf. Figure 5) de France Télévisions, censées populariser la plateforme en y associant leur notoriété et attester de la qualité des programmes par leur crédit. A travers cette personnification du service proposé, on peut noter un certain discours de marque, qui vise tout autant à asseoir FTVE qu’à valoriser le groupe audiovisuel en tant qu’opérateur d’une télévision « de qualité ». Ce message est d’ailleurs en cohérence avec le positionnement que souhaite opérer le groupe dans sa « transition numérique » (cf. document de communication de France Télévisions, L’offre numérique de France Télévisions : repères – chiffres clés – glossaires, mars 2011. 62 p).

Figure 5 – Clip promotionnel de FranceTV Éducation (nov. 2012)

En conclusion, il semble que tout soit prêt pour préparer les actions éducatives à devenir un canal thématique d’une télévision délinéarisée, aux audiences fragmentées : une télévision de l’ère numérique telle que décrite par Nathalie Sonnac et Jean Gabszewicz (Gabszewicz & Sonnac, 2010).

Les missions éducatives de France Télévisions au défi des enjeux de la « convergence numérique »

Le fait qu’un opérateur historique de la télévision hertzienne décide de développer des offres thématiques, issues de son cœur d’activité (informer : FranceTV Info ; éduquer : FranceTV Éducation ; divertir : FranceTV Sport), afin de promouvoir une diffusion en ligne, atteste selon nous de la prégnance des discours sur la convergence numérique à laquelle nous assistons. Si cette notion renvoie, depuis les années 90 (4), au regroupement de réseaux, d’infrastructures d’accès à l’information et de services qui étaient auparavant indépendants, nous l’entendons ici comme le phénomène de convergence vers le « paradigme digital », tel que le qualifie Josiane Jouët (in Denouel & Granjon, 2011). Néanmoins, il nous semble important de ne pas écarter les enjeux politiques, sociaux et économiques d’un tel mouvement, à l’instar des travaux menés par le séminaire « Industrialisation de la formation », séminaire collectif de chercheurs, réunis à partir de 1991, s’intéressant aux modalités industrielles de la production et de la diffusion des produits éducatifs, et l’impact de ces derniers dans le milieu éducatif. Les initiateurs de La Cinquième s’inquiétaient eux aussi du fait qu' »avec l’arrivée en force de l’image numérique et des mondes virtuels, la rencontre du monde de la télévision avec celui de l’informatique [provoquerait] un choc » (Laffitte & Trégouët, 1993). Force est de constater que plus aucun réalisateur ne travaille aujourd’hui au sein des actions éducatives de France Télévisions, alors qu’ils étaient plus d’une vingtaine à l’époque de la RTS. Les enseignants n’y sont pas mieux représentés : le service est composé aujourd’hui de techniciens informatiques, de chefs de projets, de responsables « usage », de journalistes et de documentalistes audiovisuels. Pourtant, la position qu’occupe ce service, au sein du pôle numérique, lui confère aujourd’hui une place de choix. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, sans réalisateurs et sans enseignants, le service semble être bien placé pour porter une ambition de service public pour l’audiovisuel éducatif à l’ère numérique. Mais ce retournement positif, suite au lent processus de marginalisation des contenus éducatifs, ne saurait être pensé sans les évolutions de l’institution éducative elle-même. A ce titre il serait intéressant d’étudier les évolutions du CNDP, dont l’actuel directeur Jean-Marc Merriaux, n’est autre que l’ancien responsable des actions éducatives de France Télévisions.
Dans ce contexte, les travaux de Pierre Mœglin sur l’industrialisation de l’éducation (Mœglin, 2010) nous semblent tout à fait éclairants. Pour lui, parmi les secteurs mis en concurrence dans le « marché éducatif numérique », celui des producteurs de contenu est particulièrement central. Comme le rappelle Patrick Guillemet, le secteur éducatif attise de plus en plus de convoitises de la part des industriels (Guillemet, 2004). Les récents rapports sur l’École à l’ère numérique (Fourgous, 2010) souhaitent également attirer l’attention sur la question des contenus et de leur production. Or, Pierre Mœglin rappelle que « la numérisation crée les conditions favorables au remplacement du paradigme qui, plus d’un siècle durant, organise autour du manuel la panoplie des outils, des médias et des pratiques éducatives, mais un nouveau paradigme requiert, pour s’implanter durablement, la caution d’un projet pédagogique et sociétal, lequel reste largement à inventer » (Mœglin, 25 août 2010, p. 124). A l’occasion du lancement de FTVE, Rémy Pflimlin le PDG de France Télévisions, rappelait que « L’éducation est l’une des trois missions fondatrices de l’audiovisuel public » (cf. document de communication : Rémy Pflimlin, Lancement de FranceTV Education, 2012 p. 2). Comme aux origines de la télévision hertzienne, une prise en charge de ces enjeux par le secteur public audiovisuel, serait l’occasion d’embrasser à nouveau une certaine ambition sociale et sociétale. Le modèle de la télévision scolaire avait pour caractéristique d’associer, à ses débuts, de nombreux militants de l’éducation populaire. Ces derniers portaient, au delà d’une vision pédagogique, l’espoir d’un projet de société articulé à l’émergence d’un nouveau média. Les expériences comme celles des Jeunes Téléspectateurs Actifs sont de bonnes illustrations de ces collaborations. Il s’agissait d’un programme interministériel (1979-1983) visant à donner une position « active » aux jeunes téléspectateurs face à la culture de masse. Elle associait famille, enseignants, animateurs socioculturels et socioéducatifs : plus de 20.000 jeunes ont été concernés, ainsi que 2000 adultes. L’émergence d’Internet ne s’est pas faite non plus sans utopies citoyennes. A charge pour le service public audiovisuel de devenir le lieu de rencontre de ces nouveaux espoirs éducatifs et citoyens.

Comme nous l’avons vu, les logiques médiatiques, et donc marchandes, prennent parfois le pas sur les ambitions éducatives. Face à cela, la volonté de se positionner auprès des télénautes de demain, sera sans doute un argument de poids pour celles et ceux qui militent encore pour un audiovisuel public à caractère éducatif. A fortiori, une ambition éducative affirmée permettra au service public audiovisuel de garantir la lisibilité future de son offre. Dans un environnement médiatique bouleversé, la logique de « marque » et de « label » permettra de distinguer ses contenus à travers une offre éditoriale exponentielle qui ne se manifestera plus seulement par une logique de programmation. C’est dans cette perspective que nous avons étudié FTVE et que réside sans doute son caractère stratégique. Enfin, le conflit que l’on a rapidement retracé, entre acteurs audiovisuel et institutions éducatives, témoigne de l’ambiguïté née de la rencontre entre les volontés éducatives des chaînes publiques et les actions audiovisuelles des instances éducatives. Les futures collaborations, rompant avec cette antienne, ne pourront pas négliger l’ « intelligence de l’usager » (Merzeau, 2010), médiateur incontournable dont les pratiques culturelles semblent de moins en moins cloisonnées (Donnat, 2009).

Notes

(1) Cf. Colloque organisé à la BNF en 2007 « Pour une histoire de l’audiovisuel éducatif ».

(2) Technique pédagogique consistant à filmer un sujet qui peut ainsi observer son comportement de l’extérieur. Comme le rappelle Daniel Peraya, ces techniques « sont nées dans le contexte de la formation des enseignants aux Etats-Unis en 1963 de la rencontre d’une théorie de l’apprentissage largement inspirée par le behaviourisme, des méthodes d’observation classiques, [afin] de différer l’observation et l’analyse des situations pédagogiques ».

(3) Mélange entre culture populaire et « haute culture », deux exemples emblématiques de cette tentative : This is Charles Laughton de Charles Laughton et Shakespeare on TV de Franck C. Baxter, au début des années 50.

(4) Avec les travaux de Gaëtan Tremblay, Jean-Guy Lacroix et Bernard Miège (Lacroix & Tremblay, 1995 ; Miège, 1997) et le prolongement qu’en fait Philippe Bouquillion (Bouquillion, 2008).

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Auteur

Frédéric Marty

.: Frédéric Marty est doctorant à l’Université de Toulouse. ATER à l’Université de Lorraine, il est chercheur au LERASS (EA 827), équipe Médiapolis.