La télévision publique en Pologne : entre héritage du passé et nouveaux défis
Résumé
Plus de vingt ans après leur naissance avec la jeune démocratie polonaise, les médias électroniques publics du pays, dont la télévision, vivent une crise identitaire grave. Issu d’un principal média de propagande fonctionnant dans une situation de monopole de la Pologne populaire, à partir des années 90 du dernier siècle, la télévision publique polonaise essaie de préserver sa place sur un marché très concurrentiel avec l’émergence d’opérateurs privés dynamiques et de plus en plus nombreux. Si elle a su y conserver une position de leader du point de vue d’audience, c’est au prix d’une commercialisation croissante en négligeant sa mission de service public assignée par la loi. De plus, au lieu de servir toute la société dans sa diversité, comme on l’attendrait idéalement d’un média public dans une société démocratique, elle reste toujours asservie à la sphère politique qui la contrôle à travers la sphère économique dans un cadre légal défaillant et imprécis, manquant cruellement de financements publics. Ces défauts structurels l’empêchent aussi d’affronter rapidement et efficacement les transformations exigées dans le contexte de la numérisation et de la convergence. Une culture politique démocratique insuffisante de la société polonaise, marquée par un demi-siècle d’un système autoritaire, est souvent dénoncée comme une des principales causes d’un grand écart entre la réalité des médias publics polonais d’aujourd’hui et l’idéaltype des médias démocratiques compris comme un bien commun, devant servir les intérêts collectifs.
Mots clés
Télévision publique, Pologne, culture politique, commercialisation
In English
Abstract
More than twenty years after its birth with the young Polish democracy, the public electronic media of the country is living a very serious identity crisis by which the public Polish television is firstly concerned. Coming from the principal media of propaganda, functioning as a monopoly in the communist Poland, since nineties of the last century, the public Polish television had to find its position into a very competitive market with the emergence of dynamic and more and more numerous private operators. Its leading position concerning the audience was preserved however thanks to a growing commercialization, neglecting its mission of public service assigned by law. Moreover, instead of serving all the society in its diversity, as expected from a public media in the democratic society, the public Polish television remains always enslaved to the political sphere that controls it through the economic sphere within the deficient and imprecise legal frame, lacking dreadfully public foundlings. Those structural failings doesn’t allow to face rapidly and with efficiency the transformations demanded by the context of the digitalization and the convergence. A lack of democratic political culture of the Polish society, marked by half a century of an authoritarian system, is also often criticised as a major cause of a wide gap between the reality of the Polish public media today and ideal type of democratic media understood as a common good, that must serve the collective interests.
Keywords
Public television, Poland, political culture, commercialization
En Español
Resumen
Más de veinte años después de su nacimiento con la joven democracia polaca, los medios electrónicos públicos del país, incluyendo la televisión, viven una grave crisis de identidad. Aparecido como el principal medio propagandista en el monopolio de la Polonia Popular, desde los años 90 del siglo pasado, la televisión pública polaca intenta preservar su lugar en un mercado altamente competitivo, con la aparición de operadores privados dinámico ly cada vez más muchos. Si ella sabía que mantener una posición de liderazgo en términos de audiencia, es a costa de la creciente comercialización descuidar su misión de servicio público asignadas por la ley. Además, en lugar de servir a toda la sociedad en su diversidad, ya que está idealmente se espera de los medios de comunicación públicos en una sociedad democrática, sigue siendo subordinado a la esfera política que controla a través de la esfera económica en un marco jurídico defectuosa e imprecisa, muertos de hambre de los fondos públicos. Estos defectos estructurales impiden lo más rápido y tratan de manera eficiente con las transformaciones requeridas en el contexto de la digitalización y la convergencia. Cultura política democrática insuficiente de la sociedad polaca, marcada por medio siglo de sistema autoritario es a menudo criticado como una de las principales causas de una amplia brecha entre la realidad de los medios de comunicación pública polaca hoy y tipo ideal de comunicación democráticos, entendida como un bien común, para servir a los intereses colectivos.
Palabras clave
Televisión pública, Polonia, cultura política, comercialización
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Holubowicz Maria, « La télévision publique en Pologne : entre héritage du passé et nouveaux défis« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°14/2, 2013, p.67 à 82, consulté le jeudi 7 novembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2013/dossier/05-la-television-publique-en-pologne-entre-heritage-du-passe-et-nouveaux-defis/
Introduction
Malgré une proximité géographique, malgré une histoire en partie commune, enfin malgré l’adhésion à l’Union européenne de nombreux pays européens, l’Europe centrale et orientale continue de faire figure de continent lointain dans l’espace mental de bon nombre d’Européens dits de l’Ouest. Cet éloignement symbolique se reflète parfaitement dans des mentions rares et une représentation très incomplète que les médias de l’Ouest réservent à ces pays et à leurs habitants. Il n’est donc pas étonnant que les systèmes médiatiques de cette partie de l’Europe demeurent pratiquement inconnus en France. En tout cas, dans le champ de l’information et de la communication, les études à propos des médias en Europe centrale et orientale sont quasiment inexistantes. Pourtant, en dehors de différences notables, les systèmes médiatiques de ces pays présentent aussi de nombreuses similitudes avec les médias ouest-européens qui leur ont servi de modèle lors de leur transformation à la suite de la chute du communisme. Il suffit de rappeler à ce titre que Krajowa Rada Radiofonii i Telewizji, l’instance de régulation des médias publics polonais, a été créée à l’image du Conseil supérieur de l’audiovisuel français.
En s’appuyant sur des études scientifiques et des rapports d’experts existant sur le sujet en langue polonaise et publiés ces dernières années, cet article se propose de présenter la situation actuelle du secteur public de la télévision polonaise qui a changé radicalement de statut en à peine deux décennies. D’un média d’Etat – outil de propagande du régime communiste –, rejeté en tant que média d’information par la majorité de la population polonaise, cette télévision est devenue un média de service public, censé servir toutes les sensibilités et orientations présentes au sein de la société. Nous verrons cependant que la télévision publique polonaise, en proie à une instrumentalisation politique incessante – ce qui serait, par ailleurs, un trait spécifique des jeunes démocraties post-communistes (Bogusława Dobek−Ostrowska, 2010 ; Zbigniew Oniszczuk, 2011) – a le plus grand mal à remplir ce rôle. Cette difficulté est d’autant plus grande, qu’elle a vu grandir la concurrence de la télévision commerciale dont le dynamisme est servi par des taux d’audience et de revenus confortables. Aujourd’hui, elle doit affronter non seulement cette concurrence-là, mais aussi celle de nouveaux médias. Elle doit aussi faire face à la numérisation des contenus sur des supports de plus en plus nombreux. Tout ceci, se fait dans un cadre juridique imprécis et dans une situation financière presque catastrophique.
L’intérêt d’étudier le secteur de la télévision en Pologne est multiple, et ce hormis l’intérêt évident pour l’auteure de cet article, elle-même d’origine polonaise et rompue depuis longtemps aux allers-retours comparatifs entre les médias français et les médias polonais. En premier lieu, il nous importe de présenter au lecteur français les spécificités des transformations subies par le secteur télévisuel en Pologne, qui, avec ses 38 millions d’habitants, constitue de loin le plus grand pays de la région, son marché de la télévision se trouvant être l’un des plus importants d’Europe. Ensuite, parce que les changements au sein du paysage audiovisuel polonais reflètent les transformations, parfois radicales, souvent accélérées, non seulement de la société polonaise (la société qui est d’ailleurs de plus en plus attirée par les médias électroniques au détriment de la presse écrite (Filas, 2010 ; Mrozowski, 2002), mais aussi des sociétés des autres pays de la région.
Enfin, nous verrons que la nature de l’évolution de la télévision en Pologne et, en premier lieu, de son secteur public, n’est pas si éloignée, dans les grandes lignes, de l’évolution qu’a connue la télévision dans d’autres pays de l’Est de l’Europe (Coman, 2005). La comparaison avec la télévision française est à ce titre intéressante car, après des décennies sous monopole d’Etat, celle-ci a dû elle aussi affronter une rapide commercialisation et une fragmentation, ainsi qu’une perte d’attrait (Mœglin, Tremblay, 2005). Ces changements ont marqué la fin de l’époque du média télévisuel tout-puissant, surclassant tous les autres (Missika, 2006).
Les médias comme vecteur de la culture politique : les transformations successives de la télévision polonaise
A quelques années près, la naissance et les phases de développement successives du média télévisuel en Pologne, se sont déroulées à la même époque que dans les pays d’Europe occidentale. Les premiers essais de transmission télévisuelle remontent aux années 1930 du XXème siècle. Interrompus par la guerre, ils reprendront juste après la fin de celle-ci. Le 15 décembre 1951 la première transmission publique de télévision eut lieu. A partir de janvier 1953 commença l’émission d’un programme régulier d’une demi-heure hebdomadaire. Face au succès grandissant de ce nouveau média, des centres de télévision ont été ouverts dans les plus grandes villes du pays avant la fin des années 1950, même si une grande partie de la population polonaise n’y avait pas encore accès. A partir de 1970, 60% de la population ayant accès à la télévision pouvait choisir entre les deux chaînes de Télévision polonaise (TVP). La fin de l’année 1971 voit l’introduction de la couleur (Braun, 2008 : 49).
Cependant, depuis sa (re)naissance à la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la chute du régime communiste, la télévision, comme tous les médias en Europe centrale et orientale soviétisée, est instrumentalisée par les régimes en place et considérée comme un outil d’exercice du pouvoir (Dobek-Ostrowska, 2002 ; Braun, 2008). Le régime a d’ailleurs fait de la télévision un outil de propagande en raison de sa très grande popularité. Distillée à travers des programmes d’information, cette propagande adopte comme principal support Dziennik telewizyjny, le journal télévisé. Créé en 1958, ce dernier va devenir pour les Polonais le symbole même de la transformation de la réalité par les médias à visée idéologique ainsi que l’incarnation même de la subordination des médias par le régime, surtout après l’introduction de l’état de guerre le 13 décembre 1981 lorsque la télévision polonaise est passée sous le contrôle de l’armée et des services de sécurité.
La transformation des médias conjointement à la transformation des systèmes politiques après la chute des régimes communistes dans les ex-pays satellites de l’URSS, a montré à quel point les deux sont interdépendants et à quel point le système et la culture politiques influencent le système et la culture médiatique, même si cette influence est réciproque (Braun, 2002 : Ociepka, 2003). La culture politique, qui peut être définie comme l’ensemble des valeurs, des attitudes et des savoirs d’un groupe social à propos de la sphère politique, influence non seulement l’organisation des médias, mais aussi leurs relations avec le champ politique, leurs contenus ainsi que le degré d’indépendance du champ journalistique. Dans l’idéaltype de la culture politique démocratique, les médias doivent servir, non pas une idéologie dominante et le régime en place, mais toute la société. Par conséquent, comme le souligne Juliusz Braun (2002 : 10, 13), la mise en place des médias publics indépendants a été l’un des éléments clés de la transition démocratique du système politique lui-même. Cependant, on peut se demander ici de quelle transition on veut parler, ou plutôt d’une transition vers quel système ? Comme le montrent Hallin et Mancini (2004), les relations entre la sphère politique et la sphère médiatique dans les grandes démocraties occidentales présentent un grand nombre de variables et une complexité qui ne saurait être réduite à un seul idéaltype de fonctionnement des médias dans un régime démocratique. Ces auteurs distinguent trois modèles différents de fonctionnement des médias par rapport à la sphère politique dans une démocratie. Le modèle libéral, caractérisé par une relative domination des mécanismes du marché où une forte présence des médias commerciaux prévaut comme c’est le cas dans les pays tels que la Grande Bretagne, l’Irlande ou les pays de l’Amérique du Nord. Le modèle démocratique corporatiste, présent surtout dans les pays de l’Europe du Nord et du Centre-Ouest (Scandinavie, Allemagne, Autriche, Suisse) se caractérise par un certain équilibre entre les médias commerciaux et les médias liés aux différents groupes d’intérêt ainsi que par un interventionnisme d’Etat relativement limité. Quant au troisième modèle, celui du pluralisme polarisé, marqué par l’intégration des médias dans le jeu politique, par un développement plus faible des médias commerciaux et par un rôle important de l’Etat, il caractérise le fonctionnement des médias dans les démocraties du Sud de l’Europe : l’Italie, l’Espagne, la Grèce et la France dans une moindre mesure (Ibid., p. 11). Pour transformer le système des médias, la Pologne a largement emprunté les règles de fonctionnement des médias, adoptées par différentes démocraties ouest-européennes. Ainsi, à titre d’exemple, l’organisme de régulation du secteur de l’audiovisuel polonais, Krajowa Rada Radiofonii i Telewizji (KRRiT), a été créé en 1993 suivant le modèle français, (Ociepka, 2003 : 140) alors que le modèle normatif anglo-saxon, prônant la suprématie du journalisme des faits sur celui du commentaire, a été promu en ce qui concerne les pratiques journalistiques. Cette transformation a été accompagnée par des discours normatifs bien marqués, émanant de différents types d’acteurs prônant la nécessité d’instaurer un régime démocratique des médias en Pologne. L’accent était surtout mis sur la nécessité de séparer la sphère politique de la sphère médiatique. Cependant, plus de vingt ans après, cette séparation reste toute relative en Pologne, car plusieurs indices montrent que le fonctionnement des médias, bien que n’appartenant plus à l’Etat, est marqué par les caractéristiques du modèle du pluralisme polarisé, théorisé par Hallin et Mancini.
Les premières propositions formalisées d’une réforme des médias pour les rendre indépendants et pluralistes sont apparues en Pologne dix ans avant la chute du régime communiste, soit dès le début des années 1980. Rendre la télévision à la société constituait déjà l’une des exigences du Rapport sur l’état de la communication sociale en Pologne au début des années 1980, rédigé à la demande de l’Association des journalistes polonais SPD en 1981. Cette exigence avait été également inscrite dans la résolution finale du Ier Congrès national du syndicat NSZZ Solidarnosc qui s’était tenu à Gdansk la même année. Son trente-troisième point exige la suppression du monopole d’Etat de la radio et de la télévision et la mise en place d’un contrôle social effectif sur le secteur audiovisuel. En effet, les médias pluralistes, sur lesquels s’exerçait un contrôle social, étaient considérés comme l’un des éléments fondateurs d’une « république autogérée » revendiquée par le premier syndicat indépendant de la Pologne populaire. Les représentants de Solidarnosc avaient ensuite renouvelé cette demande lors des négociations dites de la Table Ronde en 1989 en la précisant. Réunissant les représentants du régime communiste et de l’opposition en 1989, ces négociations ont abouti à l’organisation des premières élections semi-libres en Pologne depuis un demi-siècle. Rejetées par les représentants du régime communiste car jugées impossibles à satisfaire, elles ont néanmoins débouché en fin d’année, sur l’élaboration de nouvelles bases légales pour la radio et la télévision en Pologne rédigées par une commission spécialement nommée (1)(Brodzki, Surdykowski, 1981).
Selon les principales conclusions formulées par ladite commission, le nouveau système de radio et de télévision en Pologne devait être ouvert à tous, démocratique et pluraliste et se composer de trois secteurs : public, social et commercial. Le secteur public devait se composer d’organismes de radio-télévision existants mais réformés selon les nouveaux principes, le secteur social devait réunir les médias électroniques de différents groupements d’intérêt alors que le secteur des médias du pays devait s’ouvrir à la concurrence en acceptant la venue d’opérateurs commerciaux. Enfin, la commission a préconisé la création d’une autorité le 29 décembre 1992 et, après de nombreux rebondissements, a repris plusieurs de ces propositions (Braun, 2008 : 49-61 ; Jakubowicz, 2007 : 221-2 ; Konarska, 2011). L’adoption de cette loi a été précédée par deux mesures qui, du point de vue symbolique, constituaient un point de rupture essentiel avec le système médiatique du régime communiste. Il s’agit de la suppression de la censure en Pologne, le 11 avril 1990, ce qui, de fait, permettait de rétablir la liberté de la presse ainsi que le démantèlement de l’organisme de la distribution de la presse de la Pologne populaire Prasa Ksiazka Ruch ce qui a ouvert la voie à la privatisation du secteur de la presse écrite.
Selon Karol Jakubowicz, un spécialiste reconnu des médias électroniques, les dispositions de la loi sur l’audiovisuel votée en 1992 permettaient théoriquement d’assurer l’indépendance et l’impartialité de la télévision publique polonaise. Mais, au tout début de la transition démocratique de la Pologne, cette loi ne pouvait être qu’une déclaration d’intentions. Dans la pratique cependant, la société polonaise, avec une culture politique marquée par un demi-siècle de régime autoritaire, avec la toute-puissance des partis politiques et la faiblesse de la société civile, n’était pas prête à observer ces principes (2007 : 227).
A ce jour, la loi du 29 décembre 1992 reste le principal texte législatif régissant le secteur des médias électroniques, donc aussi celui de la télévision. Mais celle-ci montre de plus en plus de faiblesses liées au contexte de son élaboration, et principalement, au manque d’expérience des législateurs de la jeune démocratie polonaise. Elle ne définit d’une manière précise et satisfaisante, ni le statut légal et organisationnel des sociétés de l’audiovisuel public ni leurs sources de financement. Ce flou juridique s’est soldé par une situation financière catastrophique de Polskie Radio, société de radiodiffusion publique polonaise, financée essentiellement par la redevance, ainsi que par la commercialisation à outrance de Telewizja Polska, financée aux 4/5èmes par les recettes commerciales, ce qui compromet l’accomplissement des missions de service public qui lui ont été assignées par le législateur (Konarska, 2011). Ces missions ne sont définies précisément dans aucun texte (Bierzynski, 2008). L’article 21 de la loi 29 décembre 1992 stipule que « la radio et la télévision publiques réalisent une mission de service public en offrant à toute la société et à ses différentes composantes, selon les principes décrits par la loi, des programmes diversifiés ainsi que d’autres services dans le domaine de l’information, de l’expression des opinions, de la culture, du divertissement, de l’éducation et du sport. Ces programmes et ces services doivent se caractériser par le pluralisme, l’objectivité, la pondération, l’indépendance ainsi que par leur caractère innovant, par une grande qualité et l’intégrité du message. »(2) Cependant, dans la réalité, rien ne permet de constater quelle émission peut être qualifiée « de service public », aucune liste de critères n’ayant été définie. Ce manque de précision amène certains esprits critiques à dire que, si l’on suit à la lettre la loi, toutes les émissions et tous les programmes diffusés par la télévision et la radio publiques seraient « de service public » (Bierzynski, 2008) ce qui, évidemment, ne correspond nullement à la réalité.
A l’heure où nous écrivons cet article, le projet d’une nouvelle loi sur l’audiovisuel plus adaptée à la situation actuelle, annoncée depuis longtemps et appelée de tous les vœux, a été déposé mais il faudra attendre un certain temps avant que le processus législatif soit achevé et que les dispositions de la nouvelle loi soient applicables.
Le marché de la télévision en Pologne aujourd’hui : une multiplication d’acteurs et ses conséquences
Après la suppression de la censure, on assiste en Pologne à l’émergence d’opérateurs de radio et de télévision privés. Les premières années, ils fonctionnent dans un contexte de vide juridique. Au printemps 1993, on dénombre 57 chaînes de télévision qui émettent de manière illégale. Le vote de la loi sur l’audiovisuel à la fin de 1992 permet de régulariser la situation d’une partie d’entre elles entre 1993 et 1997. Au milieu des années 1990, on assiste également à l’émergence massive d’opérateurs de télévision par câble et par satellite. Si bien qu’en 2005, avec 4,5 millions de foyers câblés, le pays constituait le troisième marché européen de télévision par satellite. En même temps, 8% de foyers avaient accès à la télévision par satellite (Telewizja w Europie : regulacje, polityka i niezaleznosc. Raport z monitoringu. Polska, 2005 : 194).
Aujourd’hui, l’offre télévisuelle adressée aux téléspectateurs polonais est sans commune mesure avec celle du début des années 1990, lorsque les premières chaînes de télévision commerciale ont vu le jour. Les téléspectateurs ont le choix entre plus de cent chaînes accessibles en mode numérique (TNT, câble, satellite) dont neuf chaînes de télévision publique(3). Dix-huit chaînes sont actuellement disponibles gratuitement en TNT. Malgré la richesse de cette offre, TVP1, la première chaîne de télévision publique polonaise, reste leader en termes d’audience, même si elle ne cesse de perdre des parts de marchés par rapport à ses principales concurrentes (KRRiT, 2012 – 1, 2).
Avec la naissance et la montée en puissance des chaînes de télévision privées, la part d’audience globale des chaînes de télévision publique polonaise a chuté de 80% en 1995 à 51,2% en 2003. Malgré ces résultats, l’opérateur public polonais réussissait encore à se maintenir, en termes d’audience, au même niveau, voire au-dessus de ses principaux homologues d’Europe occidentale en 2003 avec 46,4% d’audience pour la télévision publique en France, 46,2% en Grande Bretagne et 44,4% en Allemagne (Telewizja w Europie : regulacje, polityka i niezaleznosc. Raport z monitoringu. Polska, 2005 : 172). En 2006, TVP1 et TVP2, les deux principales chaînes du service public se partageaient encore plus de 45% d’audience. Cependant, avec l’arrivée sur le marché de plusieurs nouvelles chaînes, leurs parts de marché ne cessent d’être grignotées par la concurrence (KRRT, 2006 ; Wirtualne Media, 30.04.2013). A partir de 2009, l’audience cumulée des deux principales chaînes privées généralistes, TVN et Polsat, dépasse l’audience des deux premières chaînes de télévision publique (Filas, 2010). Fin 2012, l’opérateur public conserve une petite avance, avec 15,1% de parts d’audience pour TVP1, 11,8% pour TVP2, alors que celle des principales chaînes généralistes privées était de 13,2% pour Polsat et de 12,6% pour TVN (KRRiT, 2012 – 2). Pour faire face à cette concurrence croissante, les diffuseurs publics alignent de plus en plus leur offre de programmes sur celle de la télévision commerciale, cet alignement étant le plus perceptible en prime time (Mrozowski, 2010).
Une télévision publique ou politique ?
L’indépendance des médias publics vis-à-vis des instances politiques apparaît comme l’une des conditions incontournables de leur fonctionnement dans un idéaltype de système démocratique, afin pour qu’ils puissent offrir un forum de débats pour toutes les orientations et sensibilités politiques présentes dans une société. Cependant, comme on l’a déjà dit, la culture politique d’un pays conditionne fortement le degré de cette indépendance (ou de dépendance) par rapport au pouvoir en place et aux organisations politiques Or, rappelons-le, en Pologne, cette indépendance, quoique inscrite dans la loi et jusque dans les structures de l’audiovisuel public, demeure toute relative.
Premièrement, en raison de la mainmise des partis politiques sur ce secteur, sur la télévision en particulier, qu’ils considèrent comme « un butin » qui change de mains au gré des alternances politiques. En effet, à la suite des élections, les vainqueurs procèdent à une nouvelle attribution des postes à la tête des sociétés polonaises de radio et de télévision, souvent sans prendre en compte le manque de compétences des candidats dans le domaine des médias électroniques (Jakubowicz, 2007 ; Adamowski, Jaworski, 2007).
La « particratie » règne jusqu’au sein de la Krajowa Rada Radiofonii i Telewizji (KRRiT), le CSA polonais. L’organisme de régulation du secteur de l’audiovisuel, qui a commencé son activité en avril 2003, était la première institution de la Pologne démocratique créée ex nihilo. Selon l’article 213 de la Constitution de la République de Pologne, elle « veille à ce que soient préservés la liberté de parole, le droit à l’information ainsi que l’intérêt public au sein du secteur audiovisuel ». En affirmant le principe d’accessibilité et de pluralisme des médias électroniques, la loi sur l’audiovisuel spécifie également dix fonctions qui traduisent cette déclaration de principe (Telewizja w Europie : regulacje, polityka i niezaleznosc. Raport z monitoringu. Polska, 2005 : 1999-200). Suivant le modèle français, ses membres sont nommés par le Parlement, le Sénat et le président de la République. Cependant, ce n’est pas tant le mode de nomination des membres de l’organe de régulation de l’audiovisuel polonais qui est dénoncé car considéré comme particulièrement nuisible à l’indépendance des médias du secteur public, mais plutôt l’affiliation politique de ses membres, même si, ces derniers ne peuvent représenter les intérêts d’une quelconque formation politique. Un développement insuffisant de la culture politique de la société polonaise, ainsi qu’un défaut de participation de différents groupes sociaux à l’élaboration des décisions politiques seraient à incriminer avant tout (Braun, 2008 : 13, 219-222).
Le principe de pluralisme interne exige que les médias publics soient un espace d’expression, d’argumentation et de débat contradictoire pour toutes les sensibilités présentes au sein de la société. Or, comme le souligne Beata Ociepka, certains débats qui polarisent fortement l’opinion publique polonaise deviennent une confrontation entre différentes parties prenantes telles que la droite, la gauche et l’Eglise catholique le plus souvent. Au lieu de mener un débat raisonné à l’aide d’arguments rationnels, ces différents protagonistes s’enlisent dans un conflit idéologique prenant les téléspectateurs en otages (2003 : 178). Une telle idéologisation des débats politiques par médias interposés peut être vue comme un manque de culture de débat, comme le signe d’une immaturité de la culture politique par rapport à l’idealtype d’un débat démocratique. Il convient cependant de souligner que l’instrumentalisation des débats n’est pas l’apanage des acteurs politiques des « jeunes » démocraties de l’Europe centrale et orientale. En effet, on assiste aussi régulièrement à ce spectacle au sein des médias ouest-européens, comme le rappelle, le rapport Télévision en Europe, régulation, politique et indépendance, publié par Open Society Institute en 2005. En ce qui concerne la France, l’ingérence de l’exécutif dans la gestion des médias publics, ou du moins des tentatives d’ingérence dans les contenus des radios et des télévisions publiques sous la présidence de Nicolas Sarkozy, sont de notoriété publique.
Pour revenir à la télévision publique polonaise, elle ne présenterait pas non plus, dans ses émissions, toute la diversité des opinions de la société car privilégiant des opinions majoritaires. Ainsi, au moment où la Pologne s’apprêtait à intégrer l’Union européenne en 2004, le service public de la télévision s’est vu reprocher de donner plus souvent la parole aux partisans de cette intégration et de diffuser de « l’europropagande ». Cette situation fait d’ailleurs écho aux reproches formulés à l’encontre des médias mainstream français par les eurosceptiques au moment du référendum sur la constitution européenne.
La nomination des cadres dirigeants des sociétés de radio et de télévision publiques en Pologne par différentes formations politiques, une fois celles-ci arrivées au pouvoir, compromet gravement l’indépendance de ce secteur et le principe de diversité et de représentativité des opinions présentes dans les médias publics. Il existe effectivement de nombreux témoignages de personnes de différentes catégories professionnelles travaillant à TVP qui relatent des cas de censure d’émissions, de réécriture de textes, de mise au placard et de sanctions de toutes sortes si les journalistes ou les réalisateurs n’acceptent pas les directives « politiques » de leurs supérieurs hiérarchiques. Cette situation se solde par un manque d’équilibre dans la couverture de tel ou tel événement ou dans les contenus diffusés (Pietraszek, 2006, 2012). TVP n’a, par exemple, jamais diffusé les images du président de la République Alexandre Kwasniewski éméché, avançant d’un pas chancelant lors de sa visite officielle à Moscou (Telewizja w Europie : regulacje, polityka i niezaleznosc. Raport z monitoringu. Polska, 2005 : 199-200).
Le manque d’objectivité des journalistes serait aussi à incriminer. En effet certains d’entre eux n’hésiteraient pas à exprimer leurs propres préférences politiques à l’antenne, comme c’est arrivé dans Tygodnik polityczny Jedynki, une émission politique de la 1ère chaîne de TVP diffusée à partir de 1999 (Ociepka, 2003 : 180-181).
La diversité des opinions peut être aussi comprise dans une dimension spatiale, géographique. Et il s’avère que malgré le développement du réseau régional, les médias publics polonais, la télévision en l’occurrence, restent, comme dans d’autres pays de la région, fortement centralisés. Cette centralisation concerne, notamment, les contenus diffusés. Ainsi, en 2001, les seize chaînes régionales de TVP ne diffusaient que 23% d’informations locales (KRRiT, 2001 ; Ociepka, 2003 : 190). Les faiblesses des médias électroniques régionaux, publics et privés en Pologne, ainsi que dans d’autres pays d’Europe centrale et orientale, sont à chercher dans le caractère centralisé des systèmes médiatiques de ces pays lors de l’époque communiste. Cette époque révolue a fait place à une organisation peu solide des sociétés civiles au niveau local et régional. Cette faiblesse semble encore difficile à surmonter aujourd’hui.
Enfin, un dernier problème, mais non des moindres, concerne l’influence revendiquée par l’Eglise catholique polonaise sur les médias publics. Rappelons que l’Eglise catholique est entrée renforcée dans l’ère de la Pologne démocratique du fait de son rôle de premier plan dans la chute du régime communiste, ceci d’autant plus qu’aujourd’hui plus de 90% des Polonais se déclarent catholiques. Par conséquent, elle a su préserver une place importante sur la scène politique polonaise où aucun débat majeur, politique ou sociétal, n’a lieu sans la participation de l’institution ecclésiale. Pour résumer, elle s’élève régulièrement contre la laïcisation de l’Etat et de la société polonaise. Il en va de même pour les médias, notamment publics. A l’instigation de l’Eglise, le principe de respect du système des valeurs chrétiennes par les médias a été introduit dans la loi sur l’audiovisuel. Ce principe est souvent invoqué par les milieux catholiques pour protester contre les émissions censées être peu ou pas respectueuses de ce système de valeurs. Aussi B. Ociepka formule l’hypothèse que ce système aurait empêché l’achat et la programmation de certaines émissions pour les mêmes motifs (Ociepka, 2003 : 185). Cependant, il ne nous semble pas que la présence forte de l’Eglise catholique dans l’espace public médiatique polonais soit le problème le plus épineux. En effet, certains médias catholiques privés très conservateurs, se faisant l’écho d’opinions rétrogrades, voire racistes et xénophobes, représentent une menace bien plus forte pour la laïcité et la démocratie dans ce pays.
Ce n’est donc pas tant la politisation et le manque de diversité qui constitue la principale menace pour la télévision publique polonaise et sa mission de service public, mais plutôt sa commercialisation à outrance, consécutive à sa situation financière devenue, au fil du temps, très difficile (Ociepka, 2003 : 178).
La télévision publique polonaise à l’épreuve de la commercialisation
Des financements insuffisants
Depuis le début des années 1990, on observe une commercialisation croissante de TVP pour faire face à ses concurrents du secteur privé de plus en plus nombreux. Cette commercialisation constitue le résultat direct de modes de financement de la télévision publique. Selon la loi sur l’audiovisuel en vigueur, les revenus des médias publics peuvent être constitués principalement par la redevance, la publicité ainsi que par des dotations publiques, sans plus de précisions. Dans la réalité il s’avère que les financements publics sont peu importants pour les médias publics polonais. Ainsi, entre 2001 et 2004, les revenus qui proviennent de la redevance ne constituent, en moyenne, qu’un peu plus de 30% des revenus globaux de TVP, les revenus provenant de la publicité représentant plus de 55%. (Telewizja w Europie : regulacje, polityka i niezaleznosc. Raport z monitoringu. Polska, 2005 : 218-219). En 2011, les financements publics représentaient, pour la télévision publique polonaise, la somme de 205,4 millions de zlotys (4) contre 1,3 milliards de zlotys pour les financements provenant de la publicité (Adamowski, Jupowicz-Ginalska (red.), 2012 : 83). C’est, par contre, l’inverse pour les structures de la radio publique polonaise, financées par la redevance jusqu’à deux tiers de ses ressources pour la simple raison que la radio a, de loin, beaucoup moins accès que la télévision aux ressources provenant de la publicité. Et, sur vingt pays européens pris en compte, la Pologne occupe actuellement l’avant-dernière position avant l’Espagne concernant le pourcentage du PIB destiné au financement de ses médias publics (KRRiT, 2010). La principale cause invoquée du niveau très bas de ces financements, est la totale inefficacité du recouvrement de la redevance audiovisuelle en Pologne, même si son montant par foyer n’est pas très élevé. Depuis quelques années, ce problème constitue le point-clé de nombreuses discussions de différents acteurs traitant du statut des médias publics dans la société polonaise en général et de leur financement en particulier (Cf. entre autres : Adamowski, Jaworski, 2007 ; Adamowski, Jupowicz-Ginalska (red.), 2012 ; Jakubowicz, 2007). Selon le projet de loi sur l’audiovisuel, le système de redevance actuel, basé sur la déclaration de détention d’un poste de radio et/ou de télévision, doit être remplacé par un impôt universel, exigible pour chaque foyer imposable. Cependant, la loi ne devrait pas entrer en vigueur avant 2016 (Lisowski, 2013).
Une « macdonaldisation » progressive des contenus
En raison de la dépendance de plus en plus grande du financement de la télévision publique polonaise par la publicité, son offre de programmes a sensiblement évolué vers des contenus grand public, typiques des stations de télévisions commerciales, dominés par des émissions de divertissement et d’infotainment. Il faut préciser que la télévision de la Pologne populaire financée par l’Etat, même si elle a été utilisée comme un outil de propagande par le régime, proposait davantage de programmes de ce que l’on peut qualifier de « haute culture », afin de se différencier des programmes de culture de masse diffusés par les télévisions occidentales (Ociepka, 2003 :161). Cependant, la massification des contenus de la télévision publique polonaise serait à relativiser en comparaison de certains programmes diffusés par les télévisions publiques occidentales. Ainsi, selon le McKinsey report for the BBC de 1999, en 1996, la télévision polonaise proposait plus d’émissions liées à sa fonction de service public que la télévision publique française. (5)
Tableau 1 : Le pourcentage d’émissions de service public diffusées par les chaînes de télévision publique polonaise et française en 1996
|
Pologne/TVP |
France/F2 |
Emissions de la « haute culture » (musique, théâtre, cinéma d’auteur…) |
10% |
1% |
Emissions pour les enfants et la jeunesse, éducatives, religieuses… |
12% |
3% |
Emissions d’information, documentaires, reportages… |
34% |
35% |
Sport |
7% |
8% |
Cinéma grand public, séries télévisées, émissions de divertissement |
37% |
49% |
Autres |
— |
4% |
Source : Public Service Broadcasters Around the World, 1999. Cité après Ociepka, 2003, p. 168
La situation a évolué depuis et déjà en 2002, le pourcentage d’émissions de divertissement diffusées par la TVP était presque de 45%, donc 10% environ de plus que dans les télévisions publiques occidentales. Un autre point faible concerne le pourcentage d’émissions d’information, puisqu’il est de 17% environ, contre plus de 25% en Europe occidentale. Par contre, le pourcentage d’émissions de service public, qui dépasse 15%, reste à la même époque plus élevé que dans les chaînes de service public d’Europe occidentale où il n’atteint que 10% (Cf. Program, widownia i finansowanie TVP S.A. na tle innych telewizji publicznych w Europie, 2002, cité par Ociepka, 2003, p. 170). Les résultats d’études de contenus diffusés par les chaînes de la télévision publique fin 2012 (KRRiT, 2012 – 1) confirment la tendance à la commercialisation de la télévision publique polonaise. Ces études montrent notamment que le plus grand pourcentage de catégories d’émissions qui y sont diffusées est constitué par les séries télévisées (28%), suivies par le divertissement et les films (13% chaque catégorie) pour TVP1 et par les séries télévisées (36%), les films (17%) et le divertissement (13%) pour TVP2. Les émissions essentielles pour l’accomplissement de la mission de service public n’arrivent, elles, que loin derrière. Ainsi l’information n’occupe que 10% de temps d’antenne sur TVP1 et 6% sur TVP2, les émissions éducatives respectivement 8% et 6% pendant que les émissions appartenant à la catégorie « culture » constituent seulement 1% des programmes sur les deux chaînes. Une analyse comparative de la structure des programmes de différentes chaînes diffusées en clair permet de constater que le profil des programmes des deux chaînes généralistes de la télévision publique polonaise, avec une priorité donnée aux émissions de divertissement au détriment des émissions dites de service public, ne se différencie pas beaucoup par sa structure de l’offre de Polsat et de TVN, ses principales concurrentes généralistes commerciales. Cependant, l’offre d’émissions pouvant être qualifiées de service public augmente sensiblement si l’on prend en considération deux chaînes thématiques de la télévision publique polonaise, à savoir TVP Historia et TVP Kultura, qui diffusent un pourcentage beaucoup plus élevé de documentaires et d’émissions culturelles que les deux chaînes généralistes. A la décharge de TVP1 et de TVP2, il faut préciser que si les autres chaînes de télévision publique polonaise existent et fonctionnent, c’est grâce aux revenus commerciaux récoltés qui représentaient en 2005, 92,2% des revenus globaux de la société TVP S.A. (Jakubowicz, 2007 : 239).
Il s’avère en même temps que, même si les deux chaînes généralistes de service public conservent toujours une audience légèrement supérieure par rapport aux chaînes privées citées ci-dessus, elle sont regardées majoritairement par des personnes de plus de 60 ans, appartenant aux catégories socio-professionnelles inférieures, habitant surtout à la campagne et dans des villes de moins de 100 000 habitants. Ces données sont néanmoins à nuancer sachant que ce sont les CSP –, les inactifs et les personnes âgées qui regardent le plus la télévision en général.
La télévision publique polonaise est ainsi confrontée aux problèmes spécifiques qui découlent de son histoire propre. Elle doit à présent faire face aux défis que doivent relever également tous les organismes de service public des pays européens, telles que la transition vers le numérique, la convergence, et la fragmentation des audiences (Public Service Broadcasters around the World for the BBC. A McKinsey report for the BBC, 1999 ; Bartoszcze, Slupek, 2001 : 90 – 100).
TVP à l’ère du numérique
La transition vers le numérique de la diffusion de la radio et de la télévision a été initiée en Pologne dans la seconde moitié des années 1990. En avril 1997, Polskie Radio a commencé, à Varsovie, une diffusion expérimentale des programmes dans le système DAB (Digital Audio Broadcasting). La même année, était mis en place le réseau de diffusion numérique terrestre pour la télévision, basé sur la norme DVB (Digital Video Broadcasting). La publication, par la KRRiT en 2001, du premier document esquissant la stratégie de développement de la diffusion numérique terrestre des médias audiovisuels, a donné le feu vert au lancement du processus de numérisation. En juin 2005, les premières fréquences destinées à la diffusion numérique terrestre à Varsovie et dans cinq autres villes de la région de la Grande Pologne, pouvant couvrir 16% de la population du pays, ont été mises à la disposition de KRRiT par Urzad Regulacji Telekomunikacji i Poczty (URTiP) organisme régissant le spectre des fréquences, homologue de l’Arcep français (Telewizja w Europie : regulacje, polityka i niezaleznosc. Raport z monitoringu. Polska, 2005 : 256-257). Le dernier signal analogique de diffusion de la télévision a été éteint sur le territoire polonais le 23 juillet 2013.
La diffusion de la télévision en mode numérique terrestre, en permettant de compresser le signal transmis, a ouvert la voie à l’élargissement de l’offre télévisuelle. Cependant, le changement de mode de transmission du signal télévisuel analogique en numérique ne change pas foncièrement la nature de la télévision polonaise, basée sur la diffusion linéaire des programmes vers un large public. A l’ère de la multiplication des supports, de l’essor de la consommation fragmentée et mobile des contenus vidéos et télévisuels, au moment ou la participation – plus au moins active – des publics à la création des contenus médiatiques est devenue une norme affichée, il faudrait que les opérateurs repensent complètement leur mode de fonctionnement. Néanmoins, il faut reconnaitre qu’actuellement, tous les diffuseurs de télévision polonais possèdent leur site web. TVP a aussi développé une télévision interactive (iTV) pour différentes plateformes, projet piloté par le Centre des médias interactifs mis en place en 2006 (Jakubowicz, 2007 : 256-7). Cependant, l’absence d’études concernant les modalités de consommation des médias sur les nouvelles plateformes ne permet pas d’évaluer à ce jour le degré de succès de ce projet, qui devrait permettre à la télévision polonaise de négocier le virage du numérique. Virage difficile à affronter avec sérénité néanmoins car la télévision publique polonaise traîne un lourd fardeau de problèmes irrésolus à ce jour depuis sa création, d’autant plus que ces problèmes deviennent plus aigus à l’ère de la numérisation et de la convergence auxquels les médias publics polonais doivent faire face à présent.
Conclusion
Plus de vingt ans après leur naissance avec la jeune démocratie polonaise, les médias électroniques publics, dont la télévision en premier lieu, vivent une crise identitaire grave. Au lieu de servir toute la société dans sa diversité, ils appartiennent toujours davantage à la sphère politique qui les contrôle par le biais de la sphère économique via les financements publics (Konarska, : 2011 : 190). Une nette volonté politique, des politiques publiques cohérentes ainsi qu’un cadre légal mieux adapté au contexte économique et technologique dans un monde globalisé s’avèrent indispensables pour fournir aux médias publics polonais les moyens dont ils ont besoin pour remplir le rôle que leur assignent les principes d’une société démocratique. Selon ces principes, ces médias devraient être en mesure de contribuer activement à former les citoyens et à soutenir le processus démocratique au lieu de suivre les lubies de différentes catégories de consommateurs. Mais pour cela, il faudrait définir avec plus de précision les missions que les médias publics doivent accomplir (Adamowski, Jaworski, 2007 : 122 ; Doktorowicz : 2002 : Jakubowicz : 2007 : Konarska, 2011 : 191). Enfin, différentes voix ne cessent d’appeler de leurs vœux une maturité plus grande de la culture politique de la société polonaise pour que les médias publics soient enfin considérés comme un bien commun et ne soient plus instrumentalisés par des intérêts partisans. Cependant, ce souhait risque de rester encore longtemps lettre morte tant le concept de culture politique est imprécis et l’idéaltype du fonctionnement des médias dans une société démocratique éloigné de ce que l’on peut observer sur le terrain
Notes
(1) Komisja ds Reformy Radiofonii i Telewizji nommée le 9 octobre 1989.
(2) “Publiczna radiofonia i telewizja realizuje misję publiczną, oferując, na zasadach określonych w ustawie, całemu społeczeństwu i poszczególnym jego częściom, zróżnicowane programy i inne usługi w zakresie informacji, publicystyki, kultury, rozrywki, edukacji i sportu, cechujące się pluralizmem, bezstronnością, wyważeniem i niezależnością oraz innowacyjnością, wysoką jakością i integralnością przekazu”.
(3) Il s’agit des chaînes suivantes : TVP1, TVP2, TV Polonia, TVP INFO, TVP Kultura, TVP Seriale, TVP Sport, TVP HD, TVP Historia.
(4) 50 millions d’euros environ.
(5) Comme nous l’avons déjà dit, aucune disposition de la législation polonaise ne propose de critères permettant de dire que telle ou telle émission peut être considérée comme relevant du service public. Néanmoins ce manque de précision n’est pas une spécificité polonaise car dans le rapport Public Service Broadcasters Around the World cité ci-dessous, ces critères sont davantage sous-entendus que véritablement explicités. Il en est de même dans les débats à propos des médias publics qui ont régulièrement lieu en Pologne. Si les différents participants de ces débats critiquent, souvent violemment, les insuffisances des sociétés de radio et de télévision polonaise du point de vue de l’accomplissement des missions de service public, ces missions ne sont jamais rigoureusement définies.
Références bibliographiques
NB : Ces références ne contiennent que les documents cités dans cet article
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Auteur
Maria Holubowicz
.: Maria Holubowicz est maître des conférences à l’Université Stendhal – Grenoble 3. Ses recherches portent essentiellement sur les pratiques journalistiques et les mutations du journalisme dans le contexte national et international, sur la transformation des médias en Europe centrale et orientale ainsi que sur les radios locales.