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Les perspectives de renouveau du service public de la radiodiffusion dans le contexte de la libÉralisation

23 Déc, 2013

Résumé

L’audiovisuel public est contraint d’évoluer dans un contexte marqué par la toute puissance des principes du libre-échange mis en œuvre par le droit de l’Organisation mondiale du commerce et par l’Union européenne, ainsi que par des mutations technologiques à l’ère du « tout numérique » impliquant la diversification des supports de diffusion. La pérennité du service public de la radiodiffusion passera nécessairement par la redéfinition de sa dimension matérielle opérant un retour à ses missions traditionnelles formulées dans le célèbre triptyque « informer, cultiver, distraire ». Dès lors, l’audiovisuel public devra répondre de sa responsabilité sociale par la mise en œuvre du principe du pluralisme, une notion née du service public et par le respect de l’exigence de qualité, une notion réévaluée par le droit communautaire.

Mots clés

Service public-Radiodiffusion- libéralisation-Pluralisme-Qualité-Responsabilité sociale.

In English

Title

The outlook for renewal of public service broadcasting in the context of liberalization

Abstract

Public broadcasting is forced to operate in a context marked by the omnipotence of free trade principles implemented legally by the World Trade Organization and the European Union, as well as the “all digital” era technological changes which involve diversification of broadcast media. The sustainability of public service broadcasting will imply redetermining its material dimension by returning to its traditional missions through the famous triptych « inform, cultivate, entertainment. » Therefore, public broadcasting must meet its social responsibility by implementing the principle of pluralism, a concept born from the public service and by respecting standards of quality, a notion reassessed by Community law.

Keywords

Public service – broadcasting – liberalization – pluralism – quality – social responsability

En Español

Título

Las perspectivas para la renovación de la radiodifusión de servicio público en el contexto de la liberalización

Resumen

La cadena pública se ve obligada a operar en un contexto marcado por la omnipotencia de los principios del libre comercio, implementados por la ley de la Organización Mundial del Comercio y la Unión Europea, así como los cambios tecnológicos en la era del « todo digital » que implica la diversificación de los medios de difusión. La sostenibilidad de los servicios públicos de radiodifusión requerir á una redefinición de su dimensión material de operar un regreso a sus misiones tradicionales elaboradas en el tríptico « informar, cultivar, entretenimiento. » Por lo tanto, la radiodifusión pública debe cumplir con su responsabilidad social mediante la aplicación del principio del pluralismo, un concepto que nace de la administración pública y el respeto de las normas de calidad, una noción reevaluada por el Derecho comunitario.

Palabras clave

Servicio público de radiodifusión-social de la liberalización del pluralismo-Calidad-Responsabilidad.

Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :

Albarède Candice, « Les perspectives de renouveau du service public de la radiodiffusion dans le contexte de la libÉralisation« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°14/2, , p.39 à 49, consulté le jeudi 7 novembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2013/dossier/03-les-perspectives-de-renouveau-du-service-public-de-la-radiodiffusion-dans-le-contexte-de-la-liberalisation/

Introduction

Longtemps considéré comme le critère essentiel du droit administratif ainsi que l’un de ses principaux facteurs de légitimation, le service public constitue une notion controversée, souvent malmenée tant d’un point de vue juridique que politique. Le service public de la radiodiffusion n’échappera pas au destin trouble de l’ensemble des services publics nationaux caractérisé par des crises répétées. Il en deviendra même son emblème.
La radiodiffusion fut tout d’abord caractérisée par un pôle organique fort et dépourvu de toute dimension matérielle c’est-à-dire, l’accomplissement d’une activité d’intérêt général à travers la poursuite de missions de service public. Il faudra attendre le statut de 1972 (Loi n° 72-553 du 3 juillet 1972 portant statut de la Radiodiffusion-Télévision française, J.O 4 juillet 1972, p.6851) pour voir apparaître au sein de la loi de véritables missions de service public ainsi que les conséquences qui découlent de la notion au sein d’une organisation monopolistique, maintenue jusqu’au début des années 1980. L’évolution législative pour le moins chaotique du service public de la radiodiffusion atteindra son paroxysme avec la loi du 30 septembre 1986 (Loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, J.O, 1er octobre 1986, p. 11755) qui organise la dualité du paysage audiovisuel. La privatisation de TF1 marque la première étape d’une longue phase de libéralisation orchestrée par l’Union européenne.
En effet, le droit communautaire postule le libre échange et le droit de la concurrence par l’instauration du Marché unique. Le Traité de Rome de 1957 ne confiait à la Communauté aucune compétence spécifique en matière d’audiovisuel. La Cour de justice des communautés européennes a affirmé dans le célèbre arrêt Sacchi que « l’émission de messages télévisés, y compris ceux ayant un caractère publicitaire relève des règles du Traité relatives aux prestations de services » (CJCE, aff. 155/73, 30 avril 1970, Sacchi, Rec, 1974, p. 409 et svt.) L’action communautaire en matière audiovisuelle sera légitimée par l’intervention du titre IX intitulé « Culture » au sein du Traité de Maastricht le 1er novembre 1993. En droit international économique, la question du statut de l’audiovisuel a été abordée lors de l’Uruguay Round qui avait pour objet d’élargir le champ de compétence du GATT aux services. C’est l’accord de Marrakech qui venait clôre ce cycle pour aboutir à la création de l’Organisation mondiale du commerce. Une opposition conceptuelle des activités audiovisuelles est née lors des débats entre les Etats-Unis et l’Europe (ou plutôt la France). Les Etats-Unis souhaitaient faire application des règles du libre-échange à l’audiovisuel c’est-à-dire trois principes : le principe de la nation la plus favorisée qui signifie que tout traitement plus favorable accordé par un Etat membre aux produits provenant d’un autre Etat doit être étendu à tout autre Etat membre s’agissant de produits similaires, le principe du traitement national qui oblige les Etats membres à traiter les produits étrangers, et leurs produits nationaux, comme ceux de leurs propres ressortissants, et enfin le principe de l’accès au marché qui interdit toute forme de restriction frappant les productions étrangères à l’exportation et à l’importation. La France relayée par la Communauté européenne compétente en vertu du transfert de souveraineté refusait l’application de tels principes à l’audiovisuel. Ces vifs débats ont abouti à l’absence provisoire de prise en compte de ce secteur au sein de l’accord. En effet, les exemptions au principe de la nation la plus favorisée seront examinées tous les 5ans et ne devraient pas dépasser une période de 10 ans. Les Etats membres auront, de plus, l’obligation de proposer d’autres secteurs pouvant être soumis aux règles du libre-échange.
Ces problématiques qui ont ressurgi tout récemment permettent de nous interroger sur la façon dont le service public de l’audiovisuel peut opérer un retour à ses missions traditionnelles formulées dans le célèbre triptyque « informer, cultiver, distraire » nonobstant un cadre marqué par des logiques libérales impulsées par le droit communautaire engendrant de nouvelles contraintes financières pour les services publics en général. De plus, l’audiovisuel public devra relever des défis technologiques à l’heure du « tout numérique » (I) tout en faisant face aux pathologies qui affectent sa dimension matérielle. Celles-ci devront être appréhendées en terme de responsabilité sociale mais aussi de pluralisme (II). Ainsi, le service public de la radiodiffusion pourra retrouver sa raison d’être, c’est-à-dire faire ce que le secteur privé, exclusivement animé par des intérêts commerciaux, ne peut pas faire. En effet, il ne faudra pas perdre de vue que l’existence d’un secteur public à qui il incombe des missions de service public est due à la défaillance de l’initiative privée.

Le service public de l’audiovisuel à l’épreuve des contraintes libérales et des mutations technologiques

L’audiovisuel public en tant que service d’intérêt économique et général (1). est contraint d’évoluer dans un contexte marqué par les logiques libérales issues du droit communautaire. A ce titre, il doit être conforme au droit de la concurrence qui pose la prohibition des aides d’Etat, c’est-à-dire de financement public, afin d’éviter toute restriction de concurrence incompatible avec le marché intérieur. Cependant, ce principe édicté par les articles 107 à 109 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) souffre de dérogations puisque même dans un environnement marqué par la toute puissance des principes libre-échangistes il paraît inconcevable qu’un Etat n’intervienne dans aucun secteur économique. Dès lors, l’article 107-3 du TFUE tolère les « aides destinées à promouvoir la culture » à condition « qu’elles n’altèrent pas les conditions des échanges de la concurrence dans l’Union dans une mesure contraire à l’intérêt commun ». La Commission, gardienne des Traités, contrôle la compatibilité du droit interne aux dispositions de l’article 107 du TFUE en vertu de l’article 108-1 : « La Commission procède avec les Etats membres à l’examen permanent des régimes d’aides existant dans ces Etats. Elle propose à ceux-ci les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du marché intérieur ». Le protocole d’Amsterdam en précisant que « les dispositions du Traité instituant la Communauté européenne sont sans préjudice de la compétence des Etats membres de pourvoir au financement du service public de radiodiffusion dans la mesure où ce financement est accordé aux organismes de radiodiffusion aux fins de l’accomplissement de la mission de service public telle qu’elle a été conférée » (Protocole sur le système de radiodiffusion publique dans les Etats-membres du traité d’Amsterdam modifiant le traité sur l’Union européenne, les traités établissant les communautés européennes et textes connexes, J.O C 340-10, novembre 1997) est venu régler une question laissée en suspens par le droit dérivé. Ni la directive TSF du 3 octobre 1989 modifié le 30 juin 1997 (Directive 97/36/CE, J.O L 202 du 30.07.1997), ni la directive SMAD (Directive 2010/13/UE, J.O n° LO95 du 15.04.2010) ne sont parvenues à opérer une distinction entre le secteur privé et le service public de la radiodiffusion et ainsi à définir un régime juridique spécifique à chacun.
Cette absence de disposition spécifique au service public et à son financement a donné lieu à de nombreuses saisines de la Commission par les opérateurs privés s’estimant lésés par l’instauration des financements publics susceptibles de constituer des restrictions au principe de libre concurrence. Toutefois, il faudra attendre l’intervention de la Commission dans une communication de 2001 « concernant l’application aux services publics de la radiodiffusion des règles relatives aux aides d’Etat » (J.O C 320 du 15.11.2001) pour que soient précisées les conditions d’octroi des aides d’Etat à l’audiovisuel public. La Commission rappelle tout d’abord ce qu’il faut entendre par « aide d’Etat ». Il s’agit des « aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d’Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». Plusieurs conditions doivent être remplies afin que l’aide octroyée soit considérée comme conforme au Traité sous le contrôle rigoureux de la Commission : tout d’abord, le critère de proportionnalité implique que la mission de service public qui incombe à l’organisme de radiodiffusion soit clairement définie et réponde aux exigences posées par le protocole d’Amsterdam c’est-à-dire aux « besoins démocratiques, sociaux et culturels de chaque société ». Seule une activité répondant à ces critères pourra être financée par des ressources publiques. L’Etat devra définir précisément les activités relevant de la mission de service public et les autres activités comparables à celles du secteur privé qui ne présenteraient qu’un intérêt commercial. Ainsi, l’interdiction de la surcompensation implique le financement exclusif du coût réel de la mission de service public. Enfin, l’organisme devra être investi de cette mission au moyen d’un acte officiel. La Commission précise alors qu’il peut s’agir d’un acte législatif, d’un contrat ou d’un mandat.
Le contrôle très rigoureux de la Commission a donné lieu à de nombreuses mises en demeure et procédures d’enquête. La radiodiffusion publique néerlandaise a été sévèrement sanctionnée par la Commission européenne. Cette dernière a, par une décision du 22 juin 2006 (2008/136/CE)condamné la « Nederlandse Omroep Stichting » (l’organisme de radiodiffusion publique néerlandais) au remboursement de la somme de 76, 327 millions d’euros ainsi que les intérêts considérant que les financements ad hoc représentant une aide nouvelle correspondaient à une surcompensation des missions de service public et étaient donc incompatibles avec le marché commun. Les autorités néerlandaises ont alors formé un recours devant le tribunal de l’Union contestant l’application par la Commission des notions d’aide nouvelle et d’aide existante. Le tribunal de l’Union a, par un arrêt rendu en date du 16 décembre 2010 (affaires jointes-T-231/06 et T-237/06 Pays-Bas/Commission) rejeté les recours intentés par les autorités néerlandaises et, par la même confirmé la décision de la Commission qui a alors invité les autorités néerlandaises à modifier la loi sur la radiodiffusion publique (Mediawet) afin qu’elle soit compatible avec le droit communautaire.
Une nouvelle communication a été adoptée le 2 juillet 2009 (2009/C257/01). Elle a pour objectif de mettre en œuvre un contrôle plus efficace de la commission mais aussi de permettre l’adaptation du cadre juridique à l’émergence de nouveaux services médiatiques financés par des fonds publics. L’évolution technologique a engendré un nouvel espace audiovisuel caractérisé par une plus grande diversité des supports. La haute définition, la télévision mobile personnelle ou encore la vidéo à la demande impliquent une redéfinition du périmètre du service public qui doit ainsi relever le défi technologique. La Commission encourage donc les organismes de radiodiffusion publique à la diversification des plates-formes de diffusion qu’implique la numérisation. De telles activités pourront donc être financées par des aides d’Etat. Elle permet aussi la mise en œuvre de prestation de services contre rémunération, c’est-à-dire « services dits payants, tels que la consultation d’archives contre le paiement d’une redevance, l’accès à des chaînes thématiques (…), la fourniture de services mobiles… ».
Le droit communautaire, par ses dispositions fondées sur les préceptes du libre-échange, apparaît très souvent comme défavorable à l’audiovisuel public. Toutefois, il est loisible de constater que les dispositions communautaires et plus précisément celles relatives aux aides d’Etat, en obligeant les Etats membres à définir de manière claire et précise les obligations de service public incombant aux organismes de radiodiffusion auront permis, dans une certaine mesure une revalorisation des services publics de l’audiovisuel. En effet, la frontière pourrait paraître bien floue entre secteur privé et service public de la communication audiovisuelle. Dans ce contexte, le service public ne pourra se distinguer et retrouver son identité propre que s’il opère un retour à ses missions traditionnelles. Ainsi, la légitimité du service public de la radiodiffusion passera nécessairement par la redéfinition de sa dimension matérielle qui permettrait un renouveau de l’audiovisuel public dans une logique de la demande selon laquelle les programmes doivent correspondre aux préférences de la majorité du public impliquant une audience forte et une logique de l’offre c’est-à-dire mettant en œuvre une programmation obéissant au triptyque « informer, cultiver, distraire ». Ces deux logiques ne doivent pas être exclusive l’une de l’autre mais bien se conjuguer pour asseoir la place du service public de la radiodiffusion  au sein du paysage audiovisuel.

La pérennité du service public de l’audiovisuel à travers la redéfinition de sa dimension matérielle.

Dominique Wolton a développé la théorie de la fonction sociale de la télévision « plus la télévision publique est large, diversifiée, à la fois traditionnelle et innovante, complète dans les genres et les horaires, pour essayer de toucher tous les publics potentiels, plus elle est conforme à son statut de média de masse. Plus elle est, au contraire, refermée sur les quelques genres de programmes assurés de succès sans innovation, sans ouverture sur d’autres publics ou d’autres préoccupations, plus elle faillit à sa mission essentielle de miroir et de lien social de l’hétérogénéité sociale »(Wolton, 1997, p.107).
La résolution de Prague du 7 et 8 décembre 1994 sur « l’avenir du service public de la radiodiffusion » insiste sur « l’importance du service public de la radiodiffusion pour les sociétés démocratiques ». Ce texte précise ce que les pays du Nord de l’Europe entendent par « responsabilité sociale de l’audiovisuel public » puisqu’il apparaît comme un vecteur de diffusion des valeurs démocratiques en tant qu’il favorise le débat contradictoire, il devient ainsi un facteur de cohésion sociale et d’intégration. Le Conseil de l’Europe ira même jusqu’à qualifier l’audiovisuel public « d’élément vital de la démocratie » dans sa recommandation 1641 de 2004. Le centre de recherche politique de sciences politiques associé au CNRS affirme dans un rapport général de 2005 « La télévision en Europe : régulation, politiques et indépendance » que « L’UE, le Conseil de l’Europe et l’OSCE doivent maintenir et protéger le service public de l’audiovisuel en tant que composante majeure de la culture européenne, institution dont l’importance est vitale pour la démocratie et la cohérence sociale, et élément stimulant des normes de programmation plus élevées en général. Les politiques publiques et les législations doivent reconnaître le principe selon lequel les forces du marché ne peuvent pas-et ne doivent-pas déterminer à elles seules le devenir de l’audiovisuel ». L’existence du service public de l’audiovisuel ne doit être pas remise en cause tout comme celle du secteur privé.
En conséquence, l’audiovisuel public devra répondre de sa responsabilité sociale par la mise en œuvre du principe du pluralisme, une notion née du service public et par le respect de l’exigence de qualité, une notion réévaluée par le droit communautaire. Force est de constater que le principe du pluralisme et l’exigence de qualité apparaissent comme des principes directeurs du service public de la communication audiovisuelle. En droit administratif général, le service public est gouverné par ce que la doctrine appelle les Lois de Rolland du nom de l’auteur qui les a formalisées dans les années 1930. Il s’agit des principes d’égalité, de continuité et de mutabilité. Ces principes connaissent une mutation sous l’impulsion, notamment, du droit communautaire. Il est donc loisible de s’interroger sur la façon dont ces principes peuvent être transposés à l’audiovisuel. Le principe de neutralité est présenté comme un corollaire du principe d’égalité.
Le principe du pluralisme correspond à une conception positive et large de la neutralité et de l’égalité. Il s’agit d’un principe fondamental en droit de la communication audiovisuelle(2). Le Conseil Constitutionnel l’a consacré dans la décision rendue en date du 27 Juillet 1982, en considérant que le législateur doit opérer une conciliation entre la liberté de communication telle qu’elle est définie par l’article 11 de la Déclaration de 1789 « avec d’une part les contraintes techniques inhérentes aux moyens de la communication et d’autre part les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socio-culturels auxquels ces modes de communication, par leur influence considérable, sont susceptibles de porter atteinte» (C.C, n°82-141 DC, 27 juillet 1982, Loi sur la communication audiovisuelle, GADA, n°33, p.198.) Le Conseil ira plus loin dans une décision du 11 janvier 1990 en affirmant même que le pluralisme « constitue le fondement de la démocratie » (C.C, n°89-271 DC, 11 janvier 1990, Loi relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, RJC-I, p.397). Il donne ainsi une autre envergure à ce principe qui est défini en tant que mission de service public à travers le cahier des charges (3) (procédure de type réglementaire) et les contrats d’objectifs et de moyens (procédure de type contractuel). Toutefois, l’application de ce principe se trouve trop souvent limitée au domaine politique qui est son terrain d’expression privilégié. Son champ d’application est donc très restreint et sa mise en œuvre peu réglementée. Or, pour remédier aux pathologies qui affectent l’audiovisuel public, le principe du pluralisme pourrait se décliner dans tous les domaines pour devenir un pluralisme de tous les programmes. Tout d’abord dans le domaine de l’information, l’audiovisuel public pour marquer sa différence pourra mettre en œuvre le principe du pluralisme indispensable aux exigences d’exactitude et d’impartialité tout en favorisant le débat contradictoire. Le récepteur doit avoir accès à l’ensemble des courants d’opinion afin de se forger un avis en présence de tous les éléments du débat. Dans le domaine culturel, le service public doit être le garant de la démocratisation culturelle par la mise à disposition au plus grand nombre. Le département des études du ministère de la Culture et de la Communication a réalisé une enquête sur « Les pratiques culturelles des français » en 1973, 1981, 1997 et en 2008. En ce qui concerne la dernière enquête de 2008, la question était de savoir si l’audiovisuel et particulièrement la télévision conserve sa place de diffuseur de culture hégémonique au sein de la société. Aux termes de cette enquête, son auteur Olivier Donat conclut que « les français sont dans l’ensemble plus nombreux qu’en 1997 à regarder tous les jours la télévision mais leur durée moyenne d’écoute est restée stable, autour de 21heures par semaine. Le temps consacré au petit écran, pour la première fois depuis son arrivée dans les foyers, a cessé d’augmenter et a même diminué chez les jeunes ». En conséquence, malgré une utilisation plus faible avec l’apparition des nouveaux médias (tels que la télévision mobile personnelle, la vidéo à la demande…), la télévision occupe une place centrale et reste un puissant vecteur de diffusion culturelle. Ainsi, le service public de l’audiovisuel doit promouvoir une culture diversifiée et accessible à tous. Fidèle à sa fonction sociale, il ne peut pas s’enfermer dans un élitisme culturel réservé à une partie minime des téléspectateurs et auditeurs. Toutes les formes d’art devraient être privilégiées et pas seulement la culture classique comme le théâtre ou l’opéra. L’audiovisuel public doit encourager la création artistique et la diffusion à l’antenne de jeunes talents indépendamment des exigences de l’audimat. Les programmes, en répondant au principe du pluralisme, encourageront la recherche de la qualité, une exigence de service public.
En effet, la qualité, érigée au rang d’obligation de service universel correspond à une évolution des principes de mutabilité et de continuité. Ce principe répond à la fois à une exigence en ce qui concerne le choix de la programmation et à la fois à une obligation technique. Cette exigence issue des « préceptes » managériaux (Cluzel-Métayer, 2006, p. 201) pourrait bien être transposée à l’audiovisuel public dans un contexte de libéralisme économique prônant le culte de l’entreprise. Le droit communautaire en réévaluant le principe de qualité a, en effet, le mérite de rappeler que le service public doit être de qualité ou ne pas être. Mais, la Commission va plus loin en soutenant que «les forces concurrentielles qui vont être encouragées par la libéralisation joueront un rôle majeur dans l’amélioration des choix offerts aux consommateurs et de la qualité de service » (Communication de la Commission du 13 mars 1996 sur le service universel des télécommunications). Pareille affirmation suscite tout de même de nombreuses réserves. La libéralisation, par sa nature même ne peut être considérée comme favorable aux services publics puisqu’elle vise à supprimer tout interventionnisme étatique en prônant le désengagement de l’Etat. En droit interne, la loi du 1er août 2000 (Loi n° 2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, J.O, 2 août 2000, p. 11903) prescrit que les sociétés nationales de programmes «offrent au public, pris dans toutes ses composantes, un ensemble de programmes et de services qui se caractérisent par leur diversité et leur pluralisme, leur exigence de qualité et d’innovation, le respect des droits de la personne et des principes démocratiques constitutionnellement définis ». Les critères de « qualimat » avaient été évoqués jadis, en substitution ou en complément de l’audimat. L’apparition de ce nouvel instrument est concomitante à l’éclatement de l’ORTF. Le Centre d’étude d’opinions réalisa alors un questionnaire afin de mesurer « la qualité » des programmes qui était transmis à la Commission de répartition du produit de la redevance. Etaient alors pris en compte le respect du cahier des charges, la valeur artistique des programmes ainsi que leur originalité. Ce dispositif disparaitra, hélas, très rapidement. Plus récemment, le Conseil Supérieur de l’audiovisuel a mis en place un baromètre de perception de la qualité des programmes de télévision et de radio. Plusieurs éléments sont pris en compte, notamment la variété des programmes, la distraction des émissions, l’objectivité et l’honnêteté de l’information ou encore le caractère innovant des programmes. Les conclusions de cette enquête sont parfois étonnantes puisqu’il apparaît que les programmes considérés comme étant de qualité par les français ne sont pas nécessairement ceux récoltant une part d’audience élevée. D’autre part, 56% des personnes interrogées estiment que les émissions culturelles ne sont pas assez diffusées à la télévision alors que France 5 ou Arte considérées comme des chaînes dites culturelles ont des audiences qui oscillent autour de 2% des parts de marché.Ces résultats doivent être analysés à la lumière d’une autre enquête réalisée par France Télévisions qui a mis en place un baromètre de satisfaction des téléspectateurs (Qualitv) pour l ‘année 2012. Le programme le mieux noté (9/10) par les téléspectateurs est « Rendez-vous en terre inconnue » diffusé par France 2 qui ne remporte pourtant pas toujours la plus large part d’audience. Le mardi 1er octobre 2011, cette émission remporte la bataille puisqu’elle obtient 27% des parts de marché alors que la série américaine « Les experts » diffusée par TF1 n’obtient que 18,3% des parts d’audience. Cependant, le mardi 2 octobre 2012, sa part d’audience est de 23 ,7% alors que « Mentalist » diffusé par TF1 récolte 31,5% des parts d’audience. Et, enfin, le mardi 24 septembre 2013 cette série américaine, dont l’indice de satisfaction du téléspectateur est seulement de 8,4/10 arrive en tête avec 29,3% des parts d’audience contre 23,6% pour « Rendez-vous en terre inconnue ».
Force est de constater qu’il n’y a pas de corrélation absolue entre « audience » et « satisfaction » ou « qualité ». Il convient donc de s’interroger sur la façon dont l’audience est mesurée et sur sa signification (4). Le choix du panel est particulièrement important, par exemple il est possible de se demander si les membres du foyer vivent effectivement ensemble (un étudiant peut choisir de conserver sa domiciliation au foyer familial alors qu’il n’y habite plus réellement). L’audience est mesurée grâce à l’audimètre, un boitier rattaché au poste de télévision. Chaque membre du foyer est identifié sur cet audimètre et doit s’enregistrer lorsqu’il regarde un programme. Cet outil implique donc une attitude active du téléspectateur. Or, le téléspectateur peut choisir un programme sans le regarder de manière attentive. Il suffit que le poste soit allumé pour que l’audimètre enregistre les données. L’audimètre ne peut tenir compte du visionnage par le membre du foyer d’un programme en dehors de son domicile. L’intérêt de ces dispositifs permettant la mesure de l’audience est de répondre aux nécessités du marché. Les résultats sont utiles aux diffuseurs qui peuvent alors définir la valeur pécuniaire des espaces publicitaires achetés par les annonceurs, autrement dit la « régulation du marché publicitaire » (Fraysse Emmanuel, 2003, p.52). Ainsi, pour certains auteurs « le service public doit échapper par nature à la question de sa légitimité par l’audience » (Gallo Max, Télévision de service public : Quel contenu ?, 1990, p.78).Toutefois, l’on peut se demander si l’audiovisuel public en échappant « à la question de sa légitimité par l’audience » n’échapperait pas aussi à sa raison d’être : sa vocation fédératrice grâce à une audience étendue. En effet, le cahier des charges de France Télévisions précise que le service public « doit toucher le plus grand nombre de téléspectateurs possible, jouer de tous les genres et n’abandonner aucun public ».

L’audiovisuel public devra s’émanciper, en partie, de la « dictature de l’audimat » (aujourd’hui Médiamat) correspondant exclusivement à une logique de la demande et non de l’offre. En conséquence, si l’on applique ces considérations au syllogisme juridique force est de constater que »la prémisse majeure est bien « la qualité des programmes », la prémisse mineure est l’audience d’un large public dont résulte -conclusion- l’identité du service public » (Regourd, 2008, p. 20). La question est ici de savoir comment la qualité des programmes peut être définie. Un rapport intitulé « La qualité des programmes de Télévision » de « Tera Consultant » réalisé par Laurent Benzoni et Marc Bourreau en août 2000 propose d’intégrer « la notion d’effet de médiation » à la qualité définie par le régulateur (qualité a priori) pour qu’elle se conjugue à la qualité définie par le téléspectateur (qualité a posteriori). Ainsi un consensus pourrait être trouvé entre des programmes considérés comme étant de qualité car remplissant des conditions objectives définies par le cahier des charges (respect de la dignité humaine, de la langue française, caractère innovant…) et, des programmes de qualité selon des critères définies par le téléspectateur en intégrant les « critères téléspectateurs » aux « conditions du régulateur ». Selon le droit communautaire, les services publics doivent répondre à cette exigence de qualité, sinon ils se verraient priver de leurs droits spécifiques. Claude-Jean Bertrand a développé la notion de « M.A.R.S » (moyens non gouvernementaux d’assurer la responsabilité sociale des médias) afin de préserver les médias « des influences potentiellement délétères de la finance et de la politique, à un moment où tous les médias deviennent plus commerciaux qu’avant » (Bertrand, 1993, p. 26). Il insiste ainsi sur la nécessité d’un « contrôle de qualité ». Ces dispositifs permettent une action complémentaire de celle du Conseil supérieur de l’audiovisuel. En effet, cette instance de régulation dispose de nombreux outils pour faire respecter les dispositions du cahier des charges et des contrats d’objectifs et de moyens. Cependant, le pouvoir réglementaire et de sanction du C.S.A n’apparaît que résiduel. A l’inverse, ses compétences en matière de régulation sont étendues : recommandations, communiqués, avis, notes sont régulièrement utilisés afin de présenter et de faire respecter sa politique et les dispositions en vigueur. Or, ces outils n’apportent que peu de résultats. Le pouvoir de sanction, quant à lui, « se heurte à une ambiguïté : un système de régulation réussi est antinomique d’un recours effectif à la sanction » (Regourd, 2001, p.169). Cependant, le Conseil Constitutionnel s’est prononcé sur cette question dans une décision rendue en date du 17 janvier 1989 (C.C, n°88-248 DC, 17 janvier 1989, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, GADA, n°51, p.319) et a admis le principe de l’instauration de sanction administrative. Le CSA, tout en privilégiant la médiation et la conciliation conformément à sa mission première de régulation, doit disposer d’un pouvoir de sanction efficace qui revêtirait deux fonctions : une fonction d’expiation et d’intimidation. Les sanctions pécuniaires remplissent parfaitement ces deux objectifs. Des dispositifs tels que les M.A.R.S permettraient d’instaurer un système d’autorégulation qui précèderait l’intervention du CSA. Il peut s’agir, par exemple, de codes de déontologie élaborés par les journalistes. Leur utilité s’illustrerait en premier lieu dans le domaine de l’information. Des commissions d’évaluation des contenus internes à chaque organisme permettraient d’assurer un contrôle de qualité. Enfin, la régulation par le récepteur pourrait aussi être privilégiée. France Télévisions a, dans ce sens, mis en place un comité consultatif des programmes, et s’est doté d’un médiateur en 1998. Aujourd’hui, il existe un médiateur des programmes et un médiateur de l’information. Ces initiatives sont à encourager puisque la qualité en tant que principale justification à l’existence d’un service public apparaît comme une composante de l’intérêt général qui est une notion politique au sens noble du terme. En droit de la communication audiovisuelle(5), il pourrait correspondre au triangle « qualité-pluralisme-responsabilité sociale »qui constituerait alors le système nerveux de la renaissance du service public de l’audiovisuel.

Notes

(1) Le droit communautaire ne connaît pas les services publics mais les services d’intérêt économique général qui sont soumis au droit de la concurrence, et les services universels.

(2) En droit de la communication audiovisuelle le pluralisme est une notion duale. Le pluralisme interne qui correspond à l’expression des divers courants socio-culturels et le pluralisme externe qui a pour intérêt de préserver la pluralité des opérateurs de radiodiffusion et empêcher les concentrations d’entreprises dans le secteur privé par l’instauration d’un dispositif juridique. Le service public n’est donc concerné que par le pluralisme interne.

(3) L’article 2 du cahier des charges de France Télévision pose que « France télévisions développe un ensemble de services de communication audiovisuelle (…) qui, par leur diversité, contribuent au pluralisme des courants de pensée et d’opinion ».

(4) En ce qui concerne la radio, l’audience est mesurée grâce à des interviews par téléphone.

(5) Le CSA a, par décision du 9 mars 2010 imposé à TF1 la diffusion de deux communiqués pour plusieurs raisons et notamment à cause d’un reportage relatif à l’adoption du projet de loi Hadopi à l’Assemblée nationale présentant un hémicycle rempli alors qu’il y avait seulement 16 députés, et, d’un autre relatif à un regroupement de musulmans de France au cours duquel la présentatrice avait annoncé qu’hommes et femmes étaient séparés, ce qui était strictement faux. Or, Claire Chazal a lu le communiqué de manière très rapide avec un ton monotone empêchant les téléspectateurs de bien comprendre ce dont il s’agissait.

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Auteur

Candice Albarède

.: Candice Albarède est doctorante contractuelle à l’Institut du Droit de l’Espace, des Territoires, de la Culture et de la Communication (Université Toulouse 1 Capitole). Sa thèse de doctorat dirigée par le professeur Serge Regourd porte sur les spécificités juridiques du service public de l’audiovisuel dans le contexte de la libéralisation.