Journalistes et communicants : cohabitation « forcée » et co-construction de l’information sportive
Résumé
Si l’on attribue classiquement à la communication le rôle de promouvoir et au journalisme celui d’informer, la porosité entre les deux « domaines » semble de plus en plus évidente aux regards des interactions entre journalistes et communicants. Dans le sport par exemple, il existe des relations de coopération historiquement nouées (production des évènements sportifs par les journalistes eux-mêmes), débouchant sur un processus de co-construction de l’information. Ce dernier est renforcé par la professionnalisation des communicants et des journalistes sportifs ce qui entraîne des ajustements de leurs pratiques professionnelles, mais également la défense d’intérêts différenciés au sein de cette cohabitation « forcée ».
Notre étude, à travers le cas particulier de trois sports (football, natation et hockey), montre l’hétérogénéité et l’instabilité des interactions entre ces acteurs. Il s’agit de mettre en évidence que le degré de médiatisation, de rationalisation des institutions sportives (apparition de professionnels de la communication) et les critères propres au domaine sportif (popularité, niveau, résultat) influent sur le type de relations entretenues entre journalistes et acteurs du monde sportif.
Mots clés
Communication, journalisme, professionnalisation, coopération, interaction, sport.
In English
Abstract
If we attribute classically to the communication the role to promote and to the journalism that to inform, the porosity between both « domains » seems more and more obvious for the glances of the interactions between journalists and communicators. In the sport for example, there are relations of cooperation historically knotted (sports events organized by journalists themselves), resulting in a process of co-construction of the information. But also, according to a mutual professionalization, adjustments of their habits and professional practices depictions necessity by the defense of differentiated interests, ending in a situation of « forced » cohabitation.
Our text through the particular case of three sports (football, swimming and hockey) shows the heterogeneousness and the instability of the interactions between these professionals. It is a question of highlighting that the degree of mediatization, rationalization of the sports institutions (professionals’ appearance of the communication) and the sports logic ( the result(profit)) impact the type of relations maintained between journalists and professionnals of the sports world.
En Español
Resumen
Si el clásicamente atribuida a la función de promover la comunicación y el periodismo para informar, porosidad entre los dos « campos » parece cada vez más evidente a los ojos de las interacciones entre los periodistas y comunicadores. En el deporte, por ejemplo, se han forjado históricamente relaciones de cooperación (producción de eventos deportivos por los propios periodistas), dando lugar a un proceso de información co-construcción. Pero también, según el criterio de un profesional ajustes mutuos a sus hábitos y prácticas empresariales necesarias debido a la incidencia diferenciada, lo que lleva a una situación de convivencia « forzada ».
Nuestro estudio a través del caso particular de tres deportes (fútbol, hockey y natación) muestra la heterogeneidad y la inestabilidad de las interacciones entre estos actores. Es de destacar que el grado de cobertura de los medios, la racionalización de las instituciones deportivas (desarrollo de la comunicación profesional) y la lógica deportiva (resultados) afectan el tipo de relación mantenida entre periodistas y actores del deporte.
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Montañola Sandy, Romeyer Hélène, Souanef Karim, « Journalistes et communicants : cohabitation « forcée » et co-construction de l’information sportive« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°13/1, 2012, p.143 à 157, consulté le jeudi 21 novembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2012/varia/09-journalistes-et-communicants-cohabitation-forcee-et-co-construction-de-linformation-sportive/
Introduction
Si l’on attribue classiquement à la communication le rôle de promouvoir et au journalisme celui d’informer, la porosité entre les deux « domaines » semble de plus en plus évidente aux regards des interactions entre journalistes et communicants. En dépit des discours identitaires qui mentionnent « […] une barrière « infranchissable » entre les deux fonctions » (journaliste Marianne 2,assises du journalisme 2009), différentes étudesmontrent les interactions et relations d’interdépendances entre celles-ci. Thomas (2008) et Ollivier-Yaniv (2001) ont ainsi mis à jour l’importance des mythes professionnels : le communicant manipulateur et tout puissant versus le journaliste sans contraintes. Si communication et marketing sont, pour certains, responsables de la crise médiatique et de la perte de confiance des lecteurs, ils sont également perçus par d’autres comme recours pour un journalisme « sous contraintes » (écriture dans l’urgence, course au scoop, réduction de la pagination,…), voire même comme solution à la crise (Delorme-Montini, 2006). Des interactions et des relations de coopération, avouées ou non, débouchent sur la mise en place de stratégies de protection réciproque entre communicants et journalistes. C’est ce que la notion d’« associés-rivaux » proposée par Legavre (2007) transcrit parfaitement. Notre étude s’intéresse aux ajustements des relations entre journalistes et acteurs du monde sportif dont les intérêts sont souvent convergents depuis le début du XXème siècle. Ils ont, en effet, co-construit l’économie sportive au travers de la création d’évènements par les médias eux-mêmes (Bourg, 1996 ; Lenoble, 2004). L’étude de ces interactions est propice à mettre en lumière les enjeux propres aux domaines de l’information et de la communication et les évolutions qui les traversent.
La sociologie du journalisme, depuis le travail précurseur de Padioleau (1976), privilégie une approche à partir des sous-champs spécialisés évitant, ainsi, les généralisations abusives. En suivant ce parti-pris méthodologique, nous nous intéressons à la « professionnalisation », qui, malgré la polysémie du terme, semble constituer une notion à mobiliser pour désigner l’état des transformations des activités relevant de la communication. Dans le cas particulier du sport, le processus de professionnalisation passe par la reconnaissance progressive d’acteurs spécialisés dans la communication des organisations sportives, aussi bien dans les institutions (fédérations, comités olympiques, etc.) que dans les organisations plus locales comme les clubs, ou encore l’émergence d’acteurs spécialisés dans le conseil en communication auprès des sportifs (Gasparini, 2000). Objet souvent délaissé, le journalisme sportif représente une clé d’entrée pertinente tant celui-ci est assigné péjorativement à un « journalisme de communication » (Charon, De Bonville 1996). En effet, cette spécialité est jugée trop « connivente » du fait des relations économiques, historiquement construites, entre sports et médias. Ainsi, les relations entre acteurs des deux espaces sociaux sont rapidement considérées comme étant « impures». Il est donc pertinent d’interroger les interactions de ces spécialistes dont les pratiques seraient « déviantes » du fait des relations d’interdépendances qui les lient à leur environnement le plus proche. Cette approche « par le bas » (Lévêque, 2004) se veut originale en ce qu’elle évite le biais intellectualiste qui consiste à interroger systématiquement les spécialités les plus prestigieuses ou considérées comme telles (politique, économie) pour se concentrer sur un sous-groupe moins valorisé comme les journalistes en charge des faits divers (Marchetti, 2002). Notre étude s’intéresse donc à un cas « critique » pour, d’une part, objectiver ce qui apparait être des évidences, à la fois dans les représentations communes et la littérature scientifique, et, d’autre part, déconstruire cette catégorie trop globalisante qu’est « le sport ». En effet, cet article propose d’étudier les rapports entre journalistes et communicants au regard du degré de médiatisation du sport considéré. Outre la complexité de l’offre médiatique, l’échelle territoriale sera aussi considérée car elle révèle tout autant les mécanismes de co-construction de l’information médiatique sportive. Pour éviter de lire le sport sous le prisme déformant du football, notre texte étudie trois sports professionnels présentant des niveaux de médiatisation différenciés : deux sont collectifs (le football et le hockey sur glace), un est individuel (la natation).
L’hétérogénéité de l’espace du football professionnel nous a incité à enquêter au sein de trois clubs de Ligue 1 : le Paris-Saint Germain, doté en ressources économiques (budget de 150 millions d’euros) (1), auquel les résultats sportifs et le statut de « club de la capitale » confèrent un capital symbolique élevé, et dont la forte médiatisation l’obligerait à « contrôler » l’information ; le Stade Brestois, en ligue 1 depuis 2010, qui fait figure de « petit club » avec un budget plus réduit (27 millions d’euros) et une organisation « familiale ». Le rapport aux médias y serait différent. À mi-chemin, on trouve le Stade Rennais, propriété de l’homme d’affaires François Pinault (52 millions d’euros), aux résultats sportifs lui assurant une médiatisation classique pour un club de Ligue 1.
La natation, depuis les années 2000, avec Florent et Laure Manaudou, Alain Bernard, Camille Lacourt, Yannick Agnel, ou Camille Muffat est devenue un sport médiatique. Le sponsoring et les droits d’image ont accéléré la professionnalisation de ce sport et, de fait, celle de sa communication.
De son côté, le hockey sur glace, s’il est professionnel, peine à trouver sa place dans les médias français. En effet, aux Etats-Unis, au Canada ou en République Tchèque, le hockey fait partie des sports les plus prisés par le public et les médias. En France, il reste connoté comme un sport d’hiver souvent associé à des villes de montagne (Grenoble, Chamonix, etc.).
À partir de l’observation ethnographique des interactions ordinaires et d’entretiens menés auprès des acteurs (responsables de communication de club et de fédération, responsables des relations presse, journalistes) (2), cet article interroge les conditions de production de l’information sportive « sur le terrain ». L’observation de journalistes en reportage nous a semblé être la condition pour comprendre comment la professionnalisation des institutions sportives bouscule les modalités de recueil de l’information sportive. En nous concentrant sur les rapports quotidiens nous tentons de cerner les frontières (et le flou) qui les entourent.
L’arrivée de nouveaux membres dans « la grande famille du sport »
Avec l’arrivée des communicants dans le monde sportif et notamment des chargés des relations presse (désormais RP), les journalistes ont vu leur travail profondément bouleversé. Alors qu’ils étaient jusque-là considérés comme des membres de la « grande famille du sport » tant ils ont œuvré à enrichir le calendrier sportif par la création d’évènements et la promotion des champions, ils ont été progressivement mis à distance tout du moins en ce qui concerne les sports professionnels très médiatisés. C’est alors tout l’équilibre historique du don (promouvoir le sport dans les médias) et du contre-don (obtenir un accès au terrain et au sportif) qui symbolise l’enjeu des interactions et qui est progressivement mis en péril (Mauss, 1950). Communicants et journalistes se trouvent dans une quasi-obligation de coopérer, en négociation permanente.
Sports et médias : une relation consubstantielle
« Avant, jusque dans les années 70, le sport c’était quatre personnes : le dirigeant, l’entraîneur, l’athlète, le journaliste. (…) Il y avait cette vraie famille du sport, maintenant elle est totalement éclatée ».
(Jean-François Renault ancien rédacteur en chef, L’Equipe. Entretien janvier 2009).
Le sport a historiquement entretenu des liens très forts avec les médias. Cette proximité consubstantielle s’est construite à la fin du XIXème siècle avec le développement concomitant d’un espace des sports modernes de compétition et d’une presse spécialisée sur fond d’interdépendances économiques. En effet, la presse organisait elle-même les compétitions sportives pour produire sa propre matière dans une logique d’ « autopromotion » (Lenoble, 2004). Cette collusion explicite se poursuit tout au long du siècle comme en témoigne l’activité d’Amaury Sport Organisation (Dakar, Tour de France cycliste). Cette société organisatrice d’évènements sportifs est la propriété du groupe Amaury, détenteur également du seul quotidien de sport français, L’Equipe et du journal Le Parisien-Aujourd’hui En France, dans lesquels l’information sportive tient une place stratégique. Les mutations du paysage médiatique avec les développements successifs de la radio, de la télévision ou encore d’Internet, ont développé les liens d’interdépendances, notamment économiques, entre sports et médias.
Parallèlement, l’information sportive a gagné l’ensemble des médias : pages dédiées dans la presse écrite nationale ou régionale, presse spécialisée, émissions dans les radios généralistes, etc. L’homogénéisation du traitement journalistique est d’autant plus marquée qu’il va se porter pour des raisons commerciales, vers les sports les plus populaires (Dargelos, Marchetti, 2000). De fait, si dans les années 1980, la natation apparaît dans L’Equipe dans la rubrique « Autres sports », depuis sa publicisation et l’éclosion de personnalités médiatiques, elle bénéficie de son propre espace. Dépassant le statut de simple compétition sportive, le sport est devenu un spectacle sportif médiatisé aux enjeux tant politiques (Coupe du monde 1998 et 2010) qu’économiques : un « fait social total » (Mauss, 1999). L’activité des journalistes a été bouleversée par cette complexification et la multiplication de l’offre médiatique en matière de sport : diversification des supports, apparition de l’information en continu,… La concurrence accrue a engendré une plus grande diversité des angles (portraits, sujets magazines, interviews, …) et l’émergence d’un journalisme d’investigation (Marchetti, 2000). Chargé des RP au Stade Rennais, Malo Rousselin constate, depuis son arrivée il y a sept ans qu’« il y a de plus en plus de journalistes à suivre le club » (entretien M. Rousselin, 2011). Au-delà de la simple incidence des bons résultats du club, l’augmentation de la population journalistique est à mettre en lien avec la multiplication des sites Internet spécialisés dans le football ainsi que l’assouplissement des critères d’attribution des accréditations – nécessaires pour accéder à la tribune de presse – par l’Union des Journalistes Sportifs de France, dont les dirigeants reconnaissent perdre petit à petit la lutte contre les non-professionnels (entretien J. Marchand, président d’honneur de l’UJSF, 2009). L’idéal de l’amateurisme qui animait les dirigeants du sport français au début du XXème siècle a progressivement laissé place à un professionnalisme et à une structuration des institutions et clubs sportifs. Ce processus est pourtant plus complexe qu’il n’y parait, ce qui pousse, d’ailleurs, Suaud et Faure à parler de « professionnalisme inachevé » (1994). Il se caractérise, en effet, par le développement de services de communication, l’information étant devenue un enjeu économique pour l’ensemble des acteurs. De fait, la question, loin d’être nouvelle, du poids des annonceurs et partenaires sur l’indépendance des journalistes se trouve ici renforcée par le fait que le service communication gère, avec le service commercial, l’accès des médias et des partenaires. Le stade Rennais a un partenariat avec Ouest-France. Malo Rousselin souligne que le lectorat de Ouest-France est formé d’abonnés du club et, qu’en étant alliés, ces deux institutions représentent un grand potentiel pour l’agglomération rennaise. Pour autant, il explique : « Au quotidien, les rédactions essayent de rester le plus hermétique possible à ce genre de partenariat ». Le stade Rennais est partenaire commercialement avec Ouest-France mais « les rédactions n’ont rien à voir là-dedans » (entretien M. Rousselin, 2011).
Émergence des métiers de la communication dans le sport
La communication s’est professionnalisée à partir des années 1980 avec des formations plus pointues, et la prise en compte du poids financier de la réputation et de l’image des entreprises (Libaert, 2010). Cette professionnalisation passerait en partie par l’adoption de savoir-faire journalistiques et de postures professionnelles (Paillart, 2006) ainsi que par une meilleure connaissance des médias et de leurs besoins. Elle aurait pour conséquence une dépendance accrue aux sources pour le journalisme, renforcée par la précarisation du métier (Patrin-Leclerc, 2004). Si les journalistes évoquent la « sophistication du discours promotionnel et la mainmise de la communication sur les activités dites d’information » (2004 : 99), Spano y voit une influence du journalisme sur la professionnalisation de la communication.
Les enjeux, notamment économiques, du sport et la starisation des athlètes ont incité les acteurs du domaine sportif à s’entourer de communicants pour gérer leur image et les demandes des médias. Un journaliste de L’Equipe rencontré en entretien estime qu’il y a eu « un avant et un après Michel Platini ». La star du football français des années 1980 comprenant l’importance de son image, a contrôlé ses relations avec les journalistes. Et nombre de sportifs, dans des sports plus mineurs, ont suivi l’exemple. Ainsi, Laure Manaudou travaille avec Jean-François Salessy et l’agence Pimienta Agency pour ses relations presse et a fondé une société, Swimming Dream, pour gérer son image. Les institutions se sont, elles aussi, entourées de communicants pour gérer leur communication devenue source de revenus, essentiellement par le biais de la publicité et de l’arrivée massive de sponsors intéressés par le potentiel médiatique du sport-spectacle. Au Stade Rennais c’est l’actionnaire majoritaire du club, l’homme d’affaires François Pinault qui est à l’origine de cette prise de conscience collective. L’objectif est, selon le chargé des RP, d’être « le plus visible possible dans les médias (…) car c’est ce qui fait notre attractivité en termes de sponsoring, offrir de la visibilité à nos sponsors, à nos partenaires » (entretien M. Rousselin, 2011). Cette importation de techniques managériales a pour but de réguler le flux des journalistes et, autant que possible, influer sur la production de l’information considérée comme un enjeu stratégique. C’est pour cette raison que les journalistes du Parisien-Aujourd’hui en France ont à traiter quotidiennement avec Bruno Skropeta, directeur de la communication du PSG.
Au Stade Rennais, le service communication comptait en 2001, lors de sa création, une seule personne rejointe ensuite par huit professionnels formés à la communication. Après des études de commercialisation, Malo Rousselin réalise son stage de fin d’étude (SciencesCom, Nantes) au Stade Rennais en 2003 où il sera embauché en 2004 : « les clubs se sont structurés en dix ans, les dix dernières années, la fonction communication c’est celle qui a été le plus augmentée » (entretien M. Rousselin, 2011). Au Stade Brestois, la structuration du service communication est plus tardive. Elle est à mettre en parallèle avec la montée en Ligue 1 en juin 2010. Auparavant, seul un infographiste était présent, rejoint depuis par une graphiste et un responsable des RP. Dans le club de hockey sur glace de Grenoble, les Brûleurs de Loups (3)(entretien 7/12/11), David Bertuzzi après six mois de stage dans ce club (maîtrise en information- communication), a intégré cette structure en 2006 en tant que responsable de la communication (il est le seul salarié, mais le club fait appel à deux rédacteurs pour le site Internet ainsi qu’à un infographiste). Si l’intrusion des acteurs du monde de la communication, à des degrés différents, est actée dans le football, elle semble aussi admise à la Fédération Française de Natation. Après les mondiaux de Melbourne (2007) marqués par le titre de Laure Manaudou, les services marketing et communication de la fédération sont regroupés. Preuve de la récente professionnalisation, le service est passé d’une personne, un ancien sportif de haut niveau ayant appris le métier sur le tas, à une cellule aujourd’hui composée de quatre personnes toutes formées à la communication, dirigée depuis 2007 par David Rouger, diplômé de science politique et formé au management du sport. Nous pouvons donc distinguer deux profils : les communicants formés et les anciens journalistes. Bruno Skropeta est un ancien journaliste (Téléfoot, TF1). Nul doute que sa socialisation antérieure au métier et sa maîtrise des « codes » journalistiques n’est pas étrangère à son recrutement. Ce profil est, d’ailleurs, assez répandu chez les communicants, comme en témoigne également Nicolas Roué, reporter à l’Equipe pendant 7 ans avant de rejoindre le Stade Brestois. Malgré l’arrivée de professionnels nouvellement formés aux métiers de la communication, la frontière avec le journalisme reste très poreuse. Le passage des journalistes vers la communication contribue à former un milieu d’interconnaissance où se développent des stratégies de coopération et de protection.
Comme nous venons de le montrer, le degré de médiatisation et de notoriété influence le degré de professionnalisation de la communication et les budgets mis en place pour celle-ci. L’importance de la communication au sein des deux clubs de football bretons est marquée, symboliquement, par l’évolution des locaux : « on était dans de l’Algeco, les petites cabanes de chantier » (entretien M. Rousselin, 2011). Les clubs se sont dotés de service communication, donnant à voir une évolution tant en nombre de personnes, qu’en formation et en lieux d’accueil. Tout autant que la nécessité de gérer matériellement et humainement l’accueil d’une population journalistique toujours grandissante, c’est la volonté de contrôle de la production de l’information qui dicte la rationalisation de la communication. Ainsi David Bertuzzi, responsable de la communication des Brûleurs de Loups explique qu’il a repensé toute son organisation à la suite « d’une situation de mésentente et d’incompréhension » du traitement médiatique dont son club était l’objet : l’espace consacré au hockey dans le journal local était jugé marginal au regard de ses résultats et des autres sports. L’adaptation des institutions sportives à la marchandisation du sport passe par le développement de services de communication sur le modèle des entreprises désireuses de maîtriser leur capital symbolique. L’arrivée de ces nouveaux acteurs a eu pour conséquence de mettre le journaliste sous surveillance alors qu’il était jusque-là considéré comme membre de la « famille du sport ». L’objectivation des rapports ordinaires entre ces deux populations nous renseigne sur leurs relations d’interdépendance et leur soumission réciproque aux résultats sportifs.
Interactions au quotidien : des journalistes sous surveillance ?
L’augmentation de la population journalistique et de la diversité de l’offre médiatique, associée à la professionnalisation de la communication au sein des institutions sportives a transformé les relations entre ces acteurs qui se côtoient quotidiennement dans le cadre d’interactions très formalisées, régulées par le chargé des RP.
Dispositifs d’encadrement du travail journalistique
Cette rationalisation a provoqué une mise à distance des journalistes vis-à-vis des sportifs, entraînant une mutation de leurs pratiques, et ce, quel que soit le degré de médiatisation des sports étudiés.
Les journalistes, de façon plus ou moins récente (4) , ont dû changer leurs habitudes. Désormais, le communicant rationalise les points presse et fait office d’interface entre journalistes et sportifs par la mise en place de règles de gestion des sollicitations des joueurs. Au quotidien, les journalistes (qui assistent à l’entraînement) sont en contact avec les chargés des RP. À Rennes, les correspondants permanents des quotidiens nationaux et les journalistes locaux passent par le « club house » situé à côté du service communication, saluant le chargé des RP au passage. À Brest, c’est Nicolas Roué, chargé des RP, qui se déplace sur le terrain d’entraînement, pour aller à la rencontre des journalistes et des joueurs.
Quel que soit le sport étudié, les journalistes doivent passer par le chargé des RP (ou à Grenoble par le responsable de la communication) s’ils souhaitent rencontrer les joueurs de leur choix, qui seront invités à rejoindre la salle de presse après les entraînements ou les matchs. Les interactions entre sportifs et journalistes sont régulées par deux pratiques. En premier lieu le point presse hebdomadaire à J-2 ou J-1 avant la rencontre, obligatoire pour les sportifs sélectionnés par le chargé des RP et l’entraîneur. Cette pratique fait l’objet d’un compromis permanent entre des intérêts souvent divergents : les demandes spécifiques des journalistes (pour « nourrir » leur papier préconstruit en salle de rédaction) et le choix des chargés des RP qui préfèrent voir en salle de presse les « bons clients » (les plus à l’aise face aux médias) et la gestion de la présence comme récompense ou protection des joueurs en fonction des résultats sportifs. Au PSG, lors de deux conférences observées, ce sont l’entraîneur et le capitaine qui se prêtent à cet exercice. Même si la plupart des joueurs s’y soumet, généralement à tour de rôle, le fait de devoir « aller à la presse », comme disent les joueurs (Beaud, 2011), est vécu comme une épreuve dont certains parviennent d’ailleurs à se soustraire, notamment, lorsqu’ils s’estiment être lésés par la couverture médiatique. Preuve de la volonté du service de communication, et donc du club, de conserver l’initiative durant les interactions, la conférence répond à une organisation quasi rituelle (Levêque, 1992) comme nous le décrivons ci-dessous :
Conférence de presse d’avant-match, Paris, Parc des Princes, vendredi 19 février 2010
Nous accompagnons Frédéric Gouaillard, journaliste au Parisien-Aujourd’hui En France chargé de suivre quotidiennement le PSG.
La conférence de presse est prévue à 16h15.
Nous arrivons au stade à 16h00. Mathieu Berbera, l’attaché de presse du club, accueille Frédéric Gouaillard à l’entrée de la salle de conférence située dans les sous-sols du stade.
Frédéric salue la vingtaine de journalistes (tous supports) présents dans la salle, il ajoute « Plus ils descendent au classement, moins il y a de monde » comme pour rappeler l’une des logiques propres du journalisme sportif qui veut que les résultats conditionnent le degré de médiatisation. Il tutoie ses collègues, visiblement des « habitués du PSG ».
À 16h25, Matthieu Berbera, l’attaché de presse entre dans la salle de conférence suivi de l’entraîneur. Celui-ci s’assoit à la table située sur l’estrade surplombant la salle. Les journalistes positionnent les micros devant lui pour enregistrer les échanges. L’attaché de presse, resté en retrait, mais présent sur l’estrade, annonce le début de la conférence : « Messieurs, c’est quand vous voulez ». Il restera debout, les mains dans le dos, sans bouger, durant les vingt minutes de conférence. Les journalistes multiplient les questions, en utilisant tantôt le tutoiement, tantôt le vouvoiement, comme pour signifier le degré de proximité et surtout l’incertitude qui entoure cette interaction. L’hésitation d’un journaliste est d’ailleurs symptomatique des conflits inhérents au travail : par rapport à ton…euh..votre… ». On voit ici les tensions que provoquent des injonctions contradictoires : entre le respect de la « grammaire publique », la distanciation, et celui de la « grammaire naturelle », l’engagement (Lemieux, 2000).
L’interaction entre les journalistes et l’entraîneur peut se lire comme une tentative ratée d’obtenir « la petite phrase » qui servira de titre à l’article, dépassant le cadre que tente d’imposer l’entraîneur : le match du lendemain.
« Frédéric : Que pensez-vous de la sanction de Sessegnon (joueur ayant écopé de trois matches de suspension) ?
- Je prends acte
- C’est lourd ?
- Demain d’abord. »
Un autre journaliste tente aussi de sortir du cadre strictement sportif :
« Que pensez-vous de la déclaration de… ?
- J’en pense rien. Ce qui m’intéresse c’est le match de l’équipe de demain ».
Suite à cette réponse sans concessions, l’attaché de presse esquissera un sourire. Nous l’interpréterons comme l’expression d’une satisfaction.
A 16h39, l’attaché de presse prend la parole : « deux-trois dernières s’il vous plait ». Après trois questions : « Merci bien ».
Au moment où l’entraîneur se lève de sa chaise, l’attaché de presse descend de l’estrade et l’escorte.
Pour contourner ce dispositif de la conférence de presse d’avant match, les journalistes ont la possibilité de formuler des demandes d’entretiens individuels. Cette seconde pratique est organisée par les chargés des RP qui assistent, dans la mesure du possible, à l’échange, signifiant que la relation est désormais tripartite entre le journaliste, le sportif et le chargé des RP. David Bertuzzi se qualifie d’ailleurs d’« entremetteur ». Pour Malo Rousselin cette pratique ne s’est pas développée sans tensions au stade Rennais : « ça a été dur parce que c’était pas dans les habitudes […] ils (les journalistes) venaient directement dans le vestiaire à l’ancienne et puis donc il a fallu instaurer ça c’était pas simple. […] mais là la nouvelle génération comprend bien ça, et puis ils savent aussi qu’on est là pour leur faciliter le travail […] donc ils ont tout à y gagner ». Cette gestion est conséquente à la prise de conscience de la nécessité de maîtriser la communication, à la multiplication du nombre de journalistes, mais également à la prise d’importance du football dans le domaine médiatique et la course au scoop qui en découle : « la moindre petite déclaration ça fait énormément de bruit, alors c’est devenu compliqué, une petite image volée dans un vestiaire, c’est sur Internet, ça va faire un buzz » (entretien M. Rousselin, 2011). Pour les sports mineurs, la professionnalisation de la communication servirait de levier à des formes de reconnaissance professionnelle pour les journalistestraitant de ces sports. Ainsi David Bertuzzi explique qu’en étant très professionnel, cela permet aussi de valoriser les journalistes qui viennent couvrir ce sport. Le développement des métiers de la communication et la multiplication des journalistes de sport aboutit donc à la mise en place d’une distance physique entre journalistes et sportifs, pour l’ensemble des sports enquêtés. Cette interface semble vécue par les journalistes comme une entrave, alors que le communicant y voit un outil de rationalisation de sa propre activité, voire un outil potentiel de promotion pour le journaliste lui-même. Toujours est-il que c’est l’activité des RP qui cristallise les mutations de ces interactions.
Chargé des relations presse, acteur central de la rationalisation des pratiques
Les chargés des RP sont en contact quotidien avec les sportifs. Ils doivent non seulement créer une relation de confiance, mais également connaître leur histoire, leur profil pour aiguiller les journalistes dans le cas de sujet « magazine » visant à « raconter une histoire » originale. Véritable maillon entre les sportifs et les journalistes, le chargé des RP, souvent du même âge qu’eux, occupe un rôle de conseil en mettant en place des séances de média training intégrant alors la dimension « communication » au métier de footballeur (stade rennais) ou en fournissant des éléments de langage aux joueurs (Brûleurs de Loups). Sa mission consiste aussi à superviser les entretiens individuels « ça le rassure de voir qu’il y a quelqu’un du club, qu’on ne le lâche pas comme ça avec quelqu’un qu’il ne connaît pas qui va peut être mal interpréter ou le gamin qui ne va pas bien répondre parce qu’il y a des questions ou on peut facilement… » (entretien N.Roué, 2011). Des recadrages peuvent également avoir lieu lors du debriefing avec « un rappel des valeurs du club et de l’image de celui-ci » (entretien D.Bertuzzi, 2011). Le journaliste est ici considéré comme un rival, dont il faut se méfier car il peut facilement dépasser le cadre sportif et positif du club qui est recherché par les chargés des RP. Pour David Bertuzzi les RP fonctionnent sur le mode du « donnant-donnant ». Pour lui, le fait que les journalistes soient tenus de passer par lui et, qu’en échange, il y ait une obligation pour les joueurs de respecter ces rendez-vous, c’est une garantie pour les journalistes d’avoir des informations face à des joueurs toujours prompts « à oublier les rendez-vous, oublier de rappeler ou décider au dernier moment de ne pas venir ». C’est également ce que souligne le chargé des RP du stade brestois : « Certains ont 19, 20 ans donc ils ne savent pas trop, ont peur de dire des bêtises, que ça leur retombe dessus donc ils acceptent petit à petit. Au fur et à mesure ils demandent « ouais est-ce que c’est mieux que je fasse ci que je fasse ça », « lui est-ce que je lui réponds ? », « lui est-ce que je fais plutôt de la langue de bois ? », donc c’est vraiment… c’est sur demande. ». Il les connaît bien et sait quels arguments mobiliser pour les amener à accorder une interview à des médias généralistes comme Libération « qui les tentent moins mais sont importants pour l’image du club ». Parallèlement, il les dissuade de prendre contact avec des journalistes hors du club « parce qu’ils peuvent se faire piéger un peu et qu’un journaliste il est jamais ami avec un joueur parce qu’il le trouve sympa, parce qu’il y a des joueurs qui pensent ça et qui se disent aussi « ben je suis ami avec un journaliste, ça va éviter qu’il me saque un peu, qu’il me mette des sales notes et tout » et au final ils se font manipuler ». L’idée d’une rationalisation des RP qui protège certains sportifs trop proches des journalistes ou naïfs existe également en natation où David Rouger admet que la fédération a eu du mal à gérer l’explosion de l’image de certains nageurs et qu’il a fallu mettre en place ces dispositifs pour les protéger. La difficulté étant double ici car il s’agit d’un sport individuel mais qui, dans le cadre des regroupements de l’équipe de France, se gère comme une équipe.
Du côté des journalistes rencontrés, le constat est celui d’une information qui devient de plus en plus difficile d’accès. Ce phénomène, loin d’être spécifique au football, semble gagner petit à petit toutes les formes d’institutions sportives. Cependant, les journalistes chargés de couvrir les « petits sports » comme les sports d’hiver ou le cyclisme (hors Tour de France) par exemple ne subissent pas encore les pressions des communicants. Au contraire, leurs interlocuteurs sont disposés à la parole, l’exposition médiatique étant un préalable à la reconnaissance symbolique et économique (pour attirer les sponsors) de leurs pratiques comme le confirme cette journaliste en charge des sports olympiques au Parisien-Aujourd’hui en France :
« Les sportifs sont demandeurs. Hormis le ski alpin qui est un milieu un peu protégé, les autres sont demandeurs. Les surfeurs, les biathlètes sont super contents car ils savent malheureusement que la lumière est mise sur eux une fois tous les quatre ans. Donc ils ne veulent pas rater ce moment-là. Eux sont super demandeurs. Tu restes en contact : Defrasne (biathlète) a voulu avoir les photos avec ses enfants, il se crée même un truc après. Defrasne, je le croise à Vancouver, il se souvient de moi. C’est spécifique à des sports. Le handball, malgré leurs titres, ils sont très demandeurs. Ils sont attentifs aux rendus » (entretien Lefèvre, 26/11/10).
Le football sert alors de modèle repoussoir pour décrire les interactions avec les acteurs des sports moins médiatisés :
« Peut-être que le foot est spécifique. Ce qui est difficile de comparer, c’est des journalistes foot et des journalistes omnisports (handball, tennis, vélo, sports d’hiver, boxe,…) parce qu’on n’a pas accès aux mêmes choses. On a un accès aux sportifs omnisports totalement différent. Je suis allée au PSG une fois, plus jamais j’y retournerai. C’est pas le sport tel que je le conçois. Les joueurs, c’est tout juste s’ils te disent bonjour. Tu peux rien raconter sur eux, tu peux juste te contenter des comptes rendus, des machins, moi ça ne m’intéresse pas. En omnisports, on a plus accès »
La médiatisation intense de certains sports et l’importance des enjeux économiques (valeur marchande des joueurs, investissements des sponsors,…) semble inéluctablement s’accompagner d’une prise de distance et d’une méfiance vis-à-vis des journalistes en complexifiant la structure relationnelle. Dans cette nouvelle configuration, avec l’allongement des chaînes d’interdépendances (sportifs – acteurs de la communication – journalistes), nous assistons à des processus de négociation et d’ajustement permanent. Les journalistes ont conscience que les intérêts des deux parties passent par des arrangements et compromis comme l’explique le responsable de la « cellule PSG » au Parisien (entretien F. Durand, 2010) :
« Les gars sont sur le terrain, tous les jours à l’entraînement. Mon rôle est d’être en retrait, prendre de la distance et d’intervenir lorsqu’il le faut car ils ont beaucoup de pression. Ce sont de grands garçons, ils savent gérer les situations compliquées. Je suis un recours si ça va trop loin. C’est un exercice de diplomatie avec le club : il ne faut pas renier nos positions. Les liens n’ont jamais été rompus avec le PSG. S’il faut le faire un jour, on le fera mais je reste persuadé que le PSG est obligé de faire avec nous et que nous on est obligé de faire avec le PSG. Comme dans toute famille, on finira toujours sous le même toit ».
Il semble ici que nombre de règles soient tacites et en négociation permanente dans ce jeu complexe entre le journaliste, le média, le joueur, l’attaché de presse et le public. Notons que ces processus sont invisibilisés dans la production discursive (5) même s’ils sont vécus au quotidien.
Conclusion
L’arrivée massive des communicants dans le sport professionnel a bousculé les liens de proximité entre journalistes et sportifs et a amené les acteurs à coopérer pour préserver leurs intérêts. Ces derniers sont tantôt communs, tantôt différenciés. À l’issue de notre étude, nous pouvons avancer qu’il faut autant y voir un phénomène structurel au développement de la communication, qu’un effet de la médiatisation et des enjeux économiques afférents. Le club de Brest est un bon exemple de la complexité des relations entre journalistes et communicants. Il tente de dépasser le modèle du journaliste ancien sportif qui voyage avec les athlètes et entre dans les vestiaires (problématique du point de vue de la proximité aux sources), sans tomber pour autant dans l’idéal-type du journaliste à distance : le club tente de « garder vraiment le côté convivial (…) c’est familial, mais avec une volonté quand même d’encadrer… que ce ne soit pas n’importe quoi. Justement les vestiaires ne sont pas ouverts ».
L’évolution du traitement médiatique du sport, tant dans les genres employés (vers les portraits, le story telling) que les angles (économiques, sociaux, politiques et plus uniquement tournés vers l’action sportive), s’adapte mal au format mis en place par les chargés des RP qui souhaitent à la fois maximiser leur visibilité médiatique (pour attirer les sponsors) et mettre en avant des valeurs spécifiques (comme l’identité régionale, etc.), afin d’élaborer une marque, au sens marketing du terme.
L’objectif de cette contribution était d’apporter un regard original sur les rapports entre communicants et journalistes au travers du sport. En effet, si les rapports entre les journalistes et leurs sources ont fait l’objet de plusieurs recherches, le sport est peu traité dans le champ du journalisme, et la place des communicants n’y est pas traitée du tout. Nous avons souhaité interroger ce domaine, qui nous semblait pertinent à plusieurs titres. D’abord, pour l’une de ses spécificités, celui d’une écriture subjectivée ; ensuite, pour une des critiques fréquemment adressées au journalisme sportif (comme les Jeux olympiques de 2012 ont pu l’illustrer) celui d’une implication du journaliste parfois perçu comme supporter et d’un rapport amical entre journalistes et sportifs. De fait, l’étude des communicants et des journalistes, dans leurs relations au quotidien, permet de s’interroger sur ces représentations sociales. Ces derniers occupent désormais une position pérenne dans l’espace professionnel comme en témoigne la place accordée à l’information sportive dans les médias, et le développement des RP. Les relations d’interdépendance entre acteurs du monde sportif et journalistes historiquement nouées se sont complexifiées au gré de la prégnance des intérêts économiques et de la structuration de la communication au sein des institutions sportives. L’intrication des économies des deux milieux aboutit à un équilibre entre acteurs tenus de « vivre ensemble » pour assurer la pérennité de leurs entreprises respectives. C’est selon cette logique que les pratiques sont intégrées dans un processus de négociation permanente. Au pôle le plus économique de l’espace du sport professionnel, incarné par le football, le travail journalistique est de plus en plus contraint. Par ailleurs, l’intrusion des agents de joueurs perturbe l’équilibre de la configuration jusque-là composé par le journaliste, le sportif et l’attaché de presse. Parallèlement, les joueurs et les clubs développent des sites Internet, conçus à la fois comme outil de communication et comme outil d’information, ce qui peut laisser penser que le journaliste sportif va être déplacé à sa marge.
En somme la question de la professionnalisation se pose aussi bien pour le journaliste (ancien sportif ou journaliste formé) que pour le communicant (ancien journaliste, administrateur reconverti ou communicant formé). De même, l’information semble être désormais un outil aussi bien d’information (médias d’information) que de communication (outils numériques notamment), laissant ouverte la question de l’identité des professionnels en ayant la charge.
Notes
(1) L’article s’intéresse au PSG avant le rachat par le groupe QSI. Depuis les données économiques et donc les attentes se sont encore alourdies.
(2) L’étude ethnographique a été menée au Parisien. Ont particulièrement été prises en compte ici les observations réalisées lors du suivi du PSG. Le choix s’est fait par rapport au sport et à la taille du club (comme expliqué auparavant) mais également par la possibilité d’accès à ce terrain assez difficile du PSG, avec les journalistes de PQN qui suivent le club et son responsable communication. Des rédacteurs en chef du Parisien ont été interrogés, ainsi que le président d’honneur de l’UJSF, permettant d’étendre l’étude au niveau des décisions rédactionnelles, mais également de la gestion de l’accès des journalistes aux différents événements sportifs. Dans les deux clubs de football bretons, nous avons mené un entretien avec les chargés des relations presse et étudié les articles obtenus en PQR et PQN par les clubs. Enfin, dans le cas, de la natation et du hockey, nous avons mené des entretiens auprès des responsables de communication de clubs et de fédérations. La médiatisation des clubs a aussi fait l’objet d’une analyse. Ainsi, ont été interrogés 5 chargés des RP ou de la communication (de club ou de fédération) de différents sports, ainsi que 5 journalistes.
(3) Le club de hockey sur glace de Grenoble existe depuis 1963, et est devenu professionnel en 2001 au moment où il intégrait sa nouvelle patinoire. Il fait partie de l’élite du hockey français, vainqueur du championnat de France en 2007, 2009 et 2012, de la coupe de France en 2010.
(4) Moins de 10 ans pour le Stade Rennais, 5 ans pour la natation au niveau fédéral, 2 ans pour le hockey sur glace à Grenoble, 1 an pour le Stade Brestois.
(5) L’analyse de corpus que nous ne pouvons développer ici montre que les journalistes ne souhaitent pas mettre en avant la collaboration avec les communicants. Sur un total de 41 articles de l’Equipe, seuls 5 articles précisent le contexte, 3 concernent des citations reprises d’autres médias, 1 fait référence au site officiel du stade et seuls 2 articles font référence aux manifestations organisées par les communicants (dont 1 qui a fait référence au site officiel évoqué).
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Auteurs
Sandy Montañola
.: Maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’IUT de Lannion, laboratoire CRAPE, Université de Rennes 1
Hélène Romeyer
.: Maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication HDR à l’IUT de Lannion, laboratoire GRESEC, Université Stendhal, Grenoble 3
Karim Souanef
.: Doctorant en Science Politique, laboratoire IRISSO, Université Paris Dauphine