Médiateurs et signataires des pétitions en ligne. L’exemple de trois pétitions sur l’identité nationale
Résumé
Cet article tente de répondre aux questions de la circulation et de la réappropriation d’un objet de mobilisation particulier -la pétition politique électronique- une fois que cette dernière est mise en ligne et donc accessible à tous. A partir de trois pétitions créées en opposition au « grand débat » sur l’identité nationale, sont examinées d’abord les façons dont des relais professionnels ou amateurs se sont emparés ou pas de ces objets, puis les manières dont les signataires finaux se sont appropriés les pétitions à travers le paraphe de leur adhésion. On s’aperçoit ainsi que trois pétitions aux objectifs très proches, voire identiques, construisent des territoires politiques différents tant par la manière dont elles sont relayées (médiatées) que par les profils des signataires et les façons de signer.
Mots clés
Pétition électronique – mobilisations en ligne – réseaux – territoire politique – médiations – engagement – présentation de soi – appropriation
In English
Abstract
This article analyses the circulation and the appropriation of electronic petitions after their appearance on the Internet. Three petitions created in opposition to the french « big debate » on the national identity are examined. At first we analyze the ways in which the mediators, amateur or professional, seized petitions by relaying them. Then they are the simple signatories whom we study through their profile and through what they give to see of them same by the way they sign. We notice as well as three petitions in the very close, even identical objectives, build different political territories through those who seize it.
Keywords
Online petition – online mobilizations – networks – political territories – mediations – commitment – presentation of self – taking over
En Español
Resumen
Este artículo analiza la circulación y la apropiación de las peticiones políticas desde que están disponibles para Internet. Tomando por ejemplo tres peticiones creadas para intervenir en el debate francés sobre el tema de la « identidad nacional », son examinados primero los modos de los que albergues profesionales o aficionados se apoderaron o no estas peticiones, luego las maneras de las que los signatarios finales se apropiaron las peticiones a través de sus firmas. Comprobamos mientras que tres peticiones a las que los objetivos estan muy próximos, construyen diferentes territorios políticos tanto por la manera en la que son relevadas (mediaciones) que por los perfiles de los signatarios y los modos de firmar.
Palabras clave
Peticiones políticas – Internet – movilizaciones – redes – territorios políticos – mediaciones – compromiso – presentación de sí – apropiación
Pour citer cet article, utiliser la référence suivante :
Boure Robert, Bousquet Franck, Marchand Pascal, « Médiateurs et signataires des pétitions en ligne. L’exemple de trois pétitions sur l’identité nationale« , Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°13/1, 2012, p.99 à 118, consulté le jeudi 5 décembre 2024, [en ligne] URL : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2012/varia/06-mediateurs-et-signataires-des-petitions-en-ligne-lexemple-de-trois-petitions-sur-lidentite-nationale/
Introduction
Que devient une pétition politique électronique à partir du moment où elle est mise en ligne, autrement dit dès lors que l’appel a été rédigé par ses initiateurs, puis soutenu, légitimé et éventuellement modifié par les personnalités qui ont accepté d’en être les premiers signataires, et enfin que le site qui l’accueille est accessible à tous ? Cette question n’est ni véritablement inédite, ni véritablement traitée dans ses multiples dimensions par les différentes SHS susceptibles de s’y intéresser. D’autant que le pétitionnement est souvent abordé comme une interrogation subsidiaire par rapport à d’autres objets qui l’englobent comme les mobilisations et leur médiatisation, le débat public ou l’engagement.
Ce point (presque) aveugle est gênant car l’espace politique et communicationnel d’une pétition ne se construit pas uniquement à partir des pratiques et des discours de ses promoteurs et de ses soutiens immédiats et officiels, les signataires-appelants, dont le nom plus que le nombre vient légitimer et rendre davantage visible l’appel (Contamin, 2001 ; Boure, Bousquet, 2010). Cet espace est aussi construit par ceux qui -agences de presse, médias, partis, associations, blogueurs- pour des raisons diverses la relaient, devenant des « signataires invisibles qui pèsent collectivement sur les représentations des pétitions » (Duval et al, 1998, 75) et donc des médiateurs, et enfin par ceux qui la signent de façon que l’on dit habituellement et improprement « anonyme » et qui peuvent aussi devenir à leur tour des propagateurs de la pétition.
C’est à partir de cette problématique que nous nous proposons d’analyser le devenir de trois pétitions créées au moment du « grand débat » sur l’identité nationale voulu par Nicolas Sarkozy, largement conduit par Eric Besson, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire et officiellement ouvert le 2 novembre 2009 : « Nous ne débattrons pas » (pétition mise en ligne par Médiapart le 02/12/09), « Arrêtez ce débat Monsieur le Président » (SOS Racisme/Libération, 20/12/09) et « Appel pour la suppression du ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration » (Collectif éponyme [1], 07/01/10). Dans une recherche antérieure (Boure, Bousquet,2011), il a été montré que, malgré certains cousinages liés entre autres à la proximité des objets principaux de la dénonciation (racisme, exclusion, stigmatisation), ces pétitions sont dissonantes tant au niveau de la position sociale, des intentions et de l’expérience pétitionnaire des initiateurs qu’à celui de la condition des personnalités convoquées pour les légitimer, des termes de l’appel, du contenu et du mode de fonctionnement des sites. Nous avons également relevé que les usages que les promoteurs font de leur pétition ne sont pas identiques et que les personnalités peuvent, à travers ce que leur nom symbolise (une institution prestigieuse, des oeuvres respectées, des prises de position antérieures « remarquables » car remarquées), non seulement agir sur les représentations de la pétition et donc participer à la construction de sens possiblement décalés par rapport aux sens initiaux, mais encore être eux-mêmes conduits à faire usage de la pétition à des fins non explicitement prévues.
Il y a donc polyphonie, non seulement entre les trois pétitions, mais aussi à l’intérieur de chacune.
Cette polyphonie se retrouve t-elle au niveau des instances de médiation qui les relaient et à celui des « anonymes » qui les signent ? Telles sont les deux interrogations centrales de cet article qui constitueront autant de parties. La première revient, in fine, à se demander si les multiples médiateurs ne contribuent pas à construire des sens, décalés ou non, par rapport aux intentions des initiateurs. La seconde pose en fait la question des usages que les signataires « finaux » font de leur signature, voire de la pétition.
Sur le plan empirique, plusieurs techniques ont été combinées : 1) travail de veille sur les sites non seulement des trois pétitions, mais aussi, depuis avril 2009, de plus de 200 pétitions politiques en ligne, afin d’établir des comparaisons ; 2) travail de veille sur les médiateurs ayant relayé les trois pétitions, plus particulièrement au moment du lancement de chacune (décembre 2009-janvier 2010) : blogs et sites (cf. infra), presse écrite en ligne nationale (Le Monde, Libération, Le Parisien, La Croix, L’Humanité, Le Figaro, Les Echos, La Tribune) et régionale (Sud-Ouest, Ouest-France, La Dépêche du Midi, La Charente Libre, Le Progrès de Lyon, Midi Libre) ; 3) une étude quantitative (techniques exposées infra) et qualitative des signataires anonymes à partir de leurs signatures et plus précisément de la manière dont chacun a renseigné les champs sur le formulaire de chaque pétition (qui déclarent-il être ? comment se donnent-il à voir ?).
Médiations et flux
Une corrélation a été établie (Boure, Bousquet, 2010) entre le nombre de signataires finaux et la manière dont la pétition a été, sous des formes multiples et pour des raisons diverses, prise en charge par des médiateurs collectifs ou individuels, notamment au moment de sa mise en ligne, puis lors de phases particulières (franchissement d’un seuil symbolique de signataires, création d’un événement spécifique…). Quels sont ces relais (1) ? Comment ont-ils fonctionné pour les trois pétitions (2) ?
Quels relais « en ligne » pour les pétitions électroniques ?
Les pétitions qui marquent l’histoire non seulement du pétitionnement, mais aussi des débats publics (Duval et al, 1998 ; Ory, Sirinelli, 2002), sont le plus souvent fortement relayées d’abord par les agences de presse, puis par les médias « traditionnels » et plus particulièrement ceux que l’on qualifie « de référence » parce que leur compétence est avérée et leur lecture inévitable (Le Bohec, 2010, 503), mais aussi parce qu’ils sont régulièrement cités par les revues de presse. Désormais, elles le sont également sur la Toile, ce qui modifie les conditions de leur diffusion.
Sur Internet, il est possible d’identifier trois niveaux publics ou semi-publics, auxquels s’ajoute un quatrième d’ordre privé. Le premier réunit les médias (de masse, de niche ou confidentiels) présents en ligne, qu’ils existent sur un autre support ou pas. Le second est constitué pour l’essentiel de blogs et de sites personnels ou collectifs dits « d’espace public » (Cardon, Delaunay-Téterel, 2006), autrement dit ceux qui s’expriment surtout sur des questions de société ou relatives à la gestion des affaires publiques. Le troisième, qualifié de « semi-public », rassemble des sites ou des blogs très personnels, mais aussi des pages individuelles et des messages postés sur les réseaux sociaux accessibles seulement à ceux qui en font explicitement la demande en intégrant le réseau de l’auteur. Le quatrième niveau est celui des courriels et des conversations privées (par exemple en tchat).
Les pétitions en ligne sont relayées à l’intérieur des trois premiers niveaux selon des modalités variables et avec des possibilités différentes d’agir quantitativement et qualitativement sur leur diffusion. Pour le quatrième niveau, c’est la médiation privée qui domine, notamment par l’intermédiaire des listes de diffusion et des annuaires de contact propres à chaque internaute décidant de s’associer à la cause défendue.
Ces niveaux sont, à des degrés divers, régis par des logiques d’agenda, et plus particulièrement des logiques construites par les interactions entre les agendas médiatiques, politiques et ceux des mouvements sociaux. Ainsi, dès que le débat sur l’identité nationale est initié par l’Exécutif, tous les sites traitant de l’actualité s’en font largement l’écho, contribuant à la publicisation des enjeux et des prises de position s’y rapportant ainsi qu’à la mise en visibilité des principaux acteurs s’en emparant. Cela amène immanquablement certains sites à évoquer les pétitions, du moins au moment de leur lancement et dans la courte période de leur montée en puissance.
Trois pétitions diversement relayées
Alors même qu’ils rendent régulièrement compte des (en)jeux et des péripéties du débat sur l’identité nationale, les médias « traditionnels » sont, sinon plus discrets vis-à-vis des trois pétitions, du moins plus sélectifs : si deux d’entre elles bénéficient d’une mise en visibilité « correcte » dans la presse écrite en ligne, celle de Médiapart ne retient leur attention que comme élément illustratif de l’existence d’une opposition au débat alors même que celui-ci est l’objet d’une forte attention médiatique.
La plus relayée par la presse est indiscutablement celle de SOS Racisme/Libération, ce qui s’explique en partie par la surface médiatique des instances appelantes -SOS Racisme fait partie des médias associations décrits par Salmon (1998) dont l’existence est largement liée à leur médiatisation- et par la période de sa mise en ligne, traditionnellement « creuse » du point de vue informationnel (21 décembre 2009). Ce jour-là, deux dépêches AFP et deux dépêches Reuters annoncent son lancement. Celles de la matinée reprennent le texte de la pétition et indiquent que 140 personnalités l’ont signée, celles publiées en fin de journée ajoutent le nombre des premières signatures en ligne (6 000) ainsi qu’une information relative à un sondage commandé par Le Parisien indiquant qu’une majorité de Français s’oppose au débat. La concomittance de ces deux éléments (pétition présentée comme un succès immédiat et sondage défavorable au débat) est un élément présent dans quasiment toutes les reprises par la presse, même si les trois-quart des journaux titrent d’abord sur la pétition. Du point de vue de l’agenda médiatique, il apparaît donc clairement que la date du 21 décembre, marquée par les unes de Libération et du Parisien sur l’opposition des Français au débat, initie une nouvelle phase dans le traitement de celui-ci.
Le 22 décembre, ces dépêches sont reprises, mais pas ou peu commentées, par la quasi-totalité des quotidiens nationaux et régionaux. Ainsi Le Monde, L’Humanité, Le Figaro, Les Échos et La Croix annoncent la pétition, soit dans un article dédié (L’Humanité et La Croix), soit en la signalant à l’intérieur d’un article plus vaste (Les Échos). La presse quotidienne régionale reprend brièvement l’information soit en restant fidèle aux communiqués (Ouest-France, La Dépêche du Midi, Sud-Ouest par exemple), soit en la construisant partiellement comme une information locale : La Charente Libre évoque un communiqué de Pouria Amirshahi, alors Premier secrétaire fédéral du Parti socialiste charentais, indiquant qu’il a signé la pétition. Par ailleurs, les sites de ces journaux signalent l’information, ce qui multiplie pour les lecteurs la possibilité de trouver des liens pointant vers le site de la pétition. On relèvera au passage que les médias traditionnels hésitent à placer un lien pointant vers une pétition car cet acte peut être interprété comme un soutien trop voyant à une cause et parce qu’ils cherchent à conserver les lecteurs sur leur propre site. De plus, le niveau médian de l’Internet, celui constitué par les blogs et sites publics et semi-publics est lui aussi mobilisé (un peu moins de 150 citations sur ces supports ont été décomptées) [2], d’abord parce qu’il existe une porosité avec les agendas médiatique et politique, ensuite parce que les personnalités signataires ayant un blog ou un site relayent l’information (Bernard-Henri Lévy, Claude Bartolone, Josyane Balasko…) et enfin parce que les noms des personnalités attirent les médias (Paris-Match en ligne titre le 22 décembre « Identité nationale : les stars s’en mêlent »), ce qui est le but recherché. Le 23 décembre, après un communiqué de SOS Racisme, deux nouvelles dépêches (AFP et Reuters) signalent que le seuil de 25 000 signatures est atteint. Elles sont répercutées -dans les mêmes conditions que relevé supra- par la presse quotidienne nationale et régionale papier et électronique.
L’appel du 4 décembre 2009 pour la suppression du ministère que le Collectif éponyme fait connaître par un communiqué et une conférence de presse organisée à l’EHESS, rencontre un écho médiatique dans la presse nationale (L’Humanité, Libération, La Croix, La Tribune) et régionale (La Charente Libre, Le Progrès de Lyon, Ouest-France). Ces reprises ne sont pas toutes de même nature. Certaines ne font que citer l’appel dans des articles plus larges relatant les réactions à l’organisation du débat (Le Progrès de Lyon, La Croix), d’autres lui consacrent un titre ou un dossier (L’Humanité, Libération). De la même façon, dès le mois de janvier 2010, le site visant à recueillir les signatures bénéficie d’une bonne couverture médiatique, en particulier de la part de L’Humanité et surtout du Monde qui consacre un article à la conférence de presse organisée à l’Assemblée Nationale par le Collectif avec de longs verbatims des participants (intellectuels appelants ou politiques présents). En outre, quand le cap des 30 000 signataires est annoncé le 14 janvier 2010 par un nouveau communiqué publié par l’AFP, l’information est relayée par quelques titres de la presse quotidienne régionale qui signalent aussi la création de comité locaux ou de débats organisés par des signataires appelants : par exemple, Midi Libre annonce le même jour l’existence d’un collectif à Sète et le 16 janvier 2010 l’organisation d’un débat à Nîmes sur la suppression du ministère.
Mais les autres initiatives connaissent un échec relatif en termes de visibilité médiatique : ainsi, une tribune de 25 (enseignants)-chercheurs en sciences humaines et sociales (dont Etienne Balibar, membre du Collectif) appelant à signer massivement la pétition est publiée le 15 janvier par L’Humanité, mais est seulement évoquée par quelques journaux (Le Parisien, par exemple) ; de même, l’appel à une manifestation lancé par le Collectif pour le 27 février n’est relayé que par L’Humanité.
154 blogs ou sites publics et semi publics ont joué le rôle de médiateurs. Il s’agit essentiellement de supports militants (syndicats : Sud/Solidaires, CGT, SNESUP principalement ; sections locales de partis et de mouvements « à gauche de la gauche » : Parti de gauche, NPA, PCF ; organisations spécialisées dans la défense des immigrés : Ligue des droits de l’homme, Réseau éducation sans frontières (…) ; sites d’information militante) ou, mais de façon moins significative, liés à l’enseignement supérieur et à la recherche (notamment Sauvons l’Université). Malgré quelques recoupements, ces relais sont différents de ceux des deux autres pétitions : non seulement ils sont davantage militants, mais de plus beaucoup expliquent brièvement pourquoi il faut diffuser et signer l’appel.
La pétition de Médiapart a, quant à elle, été médiatée par quelques 180 blogs et sites publics et semi-publics d’information (Le Post, Paperblog, Le Cri du Peuple…), de sections locales de partis de gauche et plus rarement d’extrême gauche et de syndicats, de petites organisations plutôt « contestataires » (Altermonde sans frontières, Jeudi noir, Mille babords, Pour une dépénalisation du délit d’outrage et d’offense au Président de la République…) et enfin de « personnalités » : ainsi, Marie-Georges Buffet (qui fait partie des premiers signataires) lui consacre un billet sur son blog ; Jean-Louis Bianco, non signataire, la cite dans un billet consacré à son refus du débat. Sans oublier les blogs d’acteurs du Web peu connus des journalistes, mais très « fréquentés » alors par les internautes : Je voulais vous dire (http://gwedenis.blogspot.fr) ; Affordance (http://affordance.typepad.com) ; Sarkofrance (http://sarkofrance.blogspot.fr)…
Par contre, malgré une dépêche de l’AFP signalant sa mise en ligne, le nombre et la notoriété des signataires-appelants et le tempo calculé (lancement le jour de l’ouverture du colloque très médiatisé de l’Institut Montaigne dédié à la même thématique), peu de médias font de cette information un titre ou lui consacrent un article ; en revanche beaucoup la citent lorsqu’ils abordent le débat et les oppositions qui s’expriment à son encontre. Seuls L’Humanité, Libération et Le Figaro pointent directement vers la pétition du pure player. En outre, les journaux qui la signalent choisissent souvent un angle singulier qui, incontestablement, modifie le sens voulu par les initiateurs : ils font essentiellement référence aux responsables politiques figurant parmi les premiers signataires (Dominique de Villepin, Martine Aubry, Olivier Besancenot…), ignorant les autres… et le contenu de l’appel. Une première explication réside dans la concomitance du lancement de la pétition avec l’appel publié dans Le Journal du Dimanche (5 décembre 2009) par des chercheurs, des responsables politiques, des artistes et des intellectuels médiatiques en faveur du maintien de l’histoire et géographie au programme de la Terminale S, initiative qui occupe largement l’espace tant dans la presse écrite que sur Internet. Néanmoins cette explication doit être relativisée, car au même moment quelques journaux, dont L’Humanité, signalent l’appel du Collectif pour la suppression du ministère alors qu’il n’est pas encore une pétition. Il convient peut-être alors de s’interroger sur l’instance énonciatrice : est-ce l’image de Médiapart, encore relativement floue fin 2009 [3], qui dessert l’annonce de la pétition ? Est-ce la personnalité de son responsable ? Il faut noter à ce propos que la dépêche AFP parle de la pétition à travers une opposition entre Edwy Plenel et Le Monde, organe de presse dont Plenel fut autrefois le Directeur de la rédaction. Le statut de Mediapart, à la fois média et engagé, peut ainsi expliquer certaines réticences.
Il s’avère donc que les pétitions du Collectif de chercheurs et de SOS Racisme/Libération constituent pour les médias traditionnels et en ligne une information à part entière, toutefois assez peu commentée, ce qui atténue, sans pour autant les supprimer (cf. infra) les risques de détournement ou de contournement de sens. L’appel de Médiapart apparaît plutôt comme un élément permettant une couverture plus large d’une discussion générale autour du débat, voire « pour ou contre le débat ». Les relais par le niveau médian du Web sont bien présents, mais très en deçà de ceux qui ont pu être observés pour d’autres pétitions ayant obtenu un nombre élevé de signatures (quelques appels de Greenpeace ou la « pétition Vauzelle », cf. Boure, Bousquet, 2010).
Mais qu’en est-il du dernier niveau, celui du micro-Web ? La réponse est plus délicate car l’observation se heurte à des obstacles non négligeables. En effet, si ce pan d’Internet est partiellement public car potentiellement accessible à chacun, il est aussi en partie privé : pour accéder aux messages postés sur Facebook, il faut le plus souvent devenir « ami » avec leurs rédacteurs ; pour observer attentivement les « tweets » d’une personne ou d’une institution mieux vaut devenir « abonné » ; pour suivre régulièrement la vie d’un groupe fondé pour défendre une cause, il est souhaitable de s’inscrire dans ce groupe, ce qui suppose d’adhérer plus ou moins à la cause. La méthode adéquate semble donc être l’observation participante et « engagée » dans chaque pétition que nous ne pouvons ici accepter, d’autant que, par-delà un cousinage apparent, les pétitions ne traduisent pas un positionnement identique.
On peut néanmoins dégager quelques constats. D’abord les études du Pew Research Center’s Project for excellence in journalism
(http://pewinternet.org/Reports/2011/Technology-and-social-networks/Summary.aspx) montraient que, dans le contexte américain, Twitter était toujours dominé par les informations à caractère technologique et de divertissement et traitait peu de sujets politiques, ce qui s’expliquait alors par la relative nouveauté d’une technique dont les principaux utilisateurs étaient à ce moment là encore les digerati évoqués par Patrice Flichy (2001). Néanmoins, toujours dans le cas américain, la hiérarchie des sujets correspondait à celle de l’agenda médiatique traditionnel. En outre petit à petit les principaux blogueurs politiques –journalistes ou non- investissent peu à peu twitter en même temps que les militants ( Guy Birenbaum, Jean-Michel Aphatie, Bruno Roger Petit…) et y importent les débats qui agitent l’espace pubic médiatique. Il n’existe pas de statistiques similaires pour Facebook, mais sur ce média social tendant à mélanger tous les aspects de la vie de ses adeptes, les sujets et les groupes à vocation politique sont bien présents. Ainsi, au moment du lancement du débat sur l’identité nationale de nombreux messages, hostiles ou favorables, sont postés sur Twitter, tandis que des pages et des groupes de protestation ou de soutien sont créés sur Facebook. Pour sa part, le Collectif met en place un groupe Facebook où plus de 10 000 membres s’inscrivent en quelques jours. Deux groupes « spontanés » portant le nom de l’appel émergent presque en même temps et pointent vers son site ; mais ils demeurent confidentiels (90 membres pour l’un, 18 pour l’autre), démontrant par là même que la construction d’un réseau ne va pas de soi.
Pour les deux autres pétitions, aucun groupe spécifique n’est créé, mais les réseaux sociaux des organisations appelantes sont plus ou moins mobilisés. Les sites de presse comportent en effet de nombreux abonnés sur Twitter et sur leur page Facebook. Ils utilisent ces médias sociaux pour conforter la communauté symbolique de leurs lecteurs et pour diffuser des informations permettant de pointer vers des contenus gratuits ou payants. Ainsi sur Twitter (fin décembre 2010), Mediapart compte 12 000 abonnés et Libération 53 000, alors que leur page Facebook est suivie respectivement par 17 461 et 33 307 internautes. Bien sur les pétitions sont signalées sur ces médias sociaux dès leur mise en ligne par leurs initiateurs à travers des messages ad hoc ou des liens vers la pétition ou les articles la présentant. De façon surprenante, du moins si on se réfère à d’autres mouvements qui jouent un rôle observable dans l’espace public, SOS Racisme est, dans sa dimension nationale, peu présent sur les réseaux sociaux. Ainsi, fin 2010, son compte Twitter ne comporte que 324 abonnés et sa page Facebook 1711. De façon significative, l’association ne prend pas la peine d’y signaler la mise en ligne de sa pétition. Cependant, quelques sections départementales et régionales en font état, principalement à l’attention de leurs membres, à charge pour eux de la diffuser dans leurs réseaux personnels.
Faute d’instrument adéquat et même s’ils sont accessibles pour tous les internautes, les messages postés par les particuliers sur Twitter pointant vers les pétitions en incitant à signer ont été pour nous impossibles à dénombrer. De même, les messages écrits sur les murs Facebook personnels et adressés aux « amis » ne peuvent être comptabilisés, même approximativement. Toutefois, les études réalisées sur Facebook donnent des pistes. Certaines montrent que deux des usages favoris de ce réseau social sont « en savoir plus sur des personnes déjà connues » et « donner à son réseau une image valorisante de ses activités » (Barbe, Delcroix, 2009). De ce fait, les prises de positions politiques comme la simple diffusion d’un appel et a fortiori le recours à des formules du type « ce combat est le nôtre » sont des éléments qui, suivant les personnes et les groupes d’ « amis », valorisent leurs auteurs. D’autres études révèlent que des « utilisateurs pilotes » se servant de Facebook pour prendre position, proposer des analyses, porter des jugements dans l’espace public et diffuser des ressources pour l’action ont pris l’habitude de relayer des initiatives et des informations, éventuellement issues des médias et des organisations traditionnels, avec lesquelles ils sont en accord (Broudoux, 2007). Enfin, les pratiques de certains groupes Facebook aux revendications ouvertement politiques, même quand elles comportent une dimension comique ou ludique, peuvent être rapprochées des pratiques pétitionnaires en ligne : par exemple, le groupe « Cet âne peut-il avoir plus de fans que Nicolas Sarkozy ? » dont la photo montre un équidé réunit (31 décembre 2010) 21 624 « amis » qui donnent leur nom, leur photo et un lien avec leur page Facebook. Or nombre de groupes se sont créés pour affirmer une position sur le débat relatif à l‘identité nationale. On en citera deux : « Identité nationale ? mon cul ouais » créé le 9 décembre 2009 et « Identité nationale : nous sommes tous des enfants de CRAO ! » mis en ligne le 2 novembre 2009. Même si leur objectif central n’est pas de signaler les pétitions, certains le font et la plupart cherchent à faire nombre et à l’afficher… ce qui est un objectif majeur de toute pétition de masse.
Reste la question de la transmission, « très » personnelle, par l’intermédiaire des boîtes aux lettres électroniques. Si en l’absence d’une enquête destinée à connaître ces usages, il est impossible d’apporter des réponses définitives, on peut néanmoins formuler quelques observations. D’abord la seule pétition ayant prévu un dispositif pour faciliter cette diffusion personnelle, que d’aucuns qualifient de « virale » en raison de ses potentialités en termes de propagation, est celle du Collectif. Il s’agit d’une rubrique intitulée « Diffuser l’appel » dans laquelle l’intéressé peut écrire un message et inscrire les adresses courriels des contacts qu’il désire sensibiliser. Cette tentative de modélisation de la diffusion virale semble en phase avec une pétition dont la dimension militante est revendiquée et dont les « noms » des premiers appelants passent au second plan, derrière la cause et sa réappropriation. Pour les autres pétitions, il est impossible d’évaluer non seulement la diffusion par courriel, mais encore la volonté des initiateurs de voir l’appel circuler hors de leur sphère d’influence traditionnelle. On relèvera seulement que Médiapart, Libération et SOS Racisme ont transmis l’information aux adresses qu’ils possèdent par l’intermédiaire d’un signalement à travers une Newsletter (Libération) ou un courriel spécifique (les deux autres).
Ensuite, bien que les réseaux de diffusion soient difficilement identifiables, la pétition de Mediapart a été assez largement relayée par le milieu artistique, et notamment par celui du théâtre (comédiens, metteurs en scène, techniciens), alors que celle du Collectif a bénéficié d’une bonne diffusion au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mais c’est par l’intermédiaire de l’étude des signatures « anonymes » que l’évaluation du poids des relais peut être complétée.
Sous le nombre, des signataires « anonymes » ?
Les signataires « anonymes » le sont-ils vraiment ? Après avoir constaté qu’ils parlent par leur nombre et que ce nombre fait parler (y compris les chercheurs) car il est difficile à interpréter en raison de la multiplicité des voix, on analysera la manière dont ils parlent à travers ce qu’ils donnent à voir d’eux, soit spontanément, soit à la demande des promoteurs.
Quid du nombre ?
Le nombre de signataires est à prendre au sérieux : il ne faut donc ni le surestimer, ni le sous-estimer. Il est un élément essentiel de toute pétition de masse, autrement dit d’une forme d’action fondée sur le nombre et l’usage du nombre. Il est important tant pour les promoteurs, leurs soutiens et les signataires, que pour leurs adversaires. S’il est jugé « élevé », il est présenté par les premiers comme un signe de succès, les seconds entrant souvent dans un processus de contestation des chiffres (dénonciation des signatures multiples pour un même individu et des failles de la modération, importance numérique de ceux qui n’ont pas signé…). S’il est estimé « faible », il est un indice de l’échec, au moins provisoire, d’une mobilisation ou plus simplement d’une action, et l’on s’expose alors davantage à la critique, voire aux sarcasmes et, pis encore, à l’ignorance des adversaires. Le nombre est donc à la fois un élément de preuve, de visibilité, de légitimité, de comparaison avec d’autres pétitions (éventuellement de contre-pétitions), d’autres formes d’action, et last but non least, un élément fort de la construction des signataires, puisque ceux-ci existent à la fois comme signataires individuels et comme leur somme arithmétique qui n’est pas aussi aléatoire que d’aucuns le prétendent.
Mais il est aussi un élément ambigu et ce pour plusieurs raisons :
– si le score affiché par le compteur doit être pris au sérieux malgré les risques réels de « bourrage des listes », il ne doit pas pour autant faire l’objet d’une lecture naïve s’en tenant au seul « résultat chiffré ». Seul compte l’ordre de grandeur qu’il exprime autant en lui-même que par rapport à d’autres pétitions, voire à d’autres formes de mobilisation « comparables ». De sorte qu’il est pertinent de raisonner en termes d’échelles, c’est-à-dire de seuils à partir desquels les écarts entre les scores laissent entrevoir des changements qui ne sont pas seulement d’ordre quantitatif. Étant entendu que cet ordre de grandeur est à rapporter à la durée de vie, à la taille des publics potentiels et aux objectifs initiaux des promoteurs. D’ailleurs, ces derniers peuvent quantifier les objectifs dans l’appel lui-même. Ainsi, Greenpeace est désormais coutumier du fait : « Copenhague 2009 – L’ultimatum climatique » (un million de signatures visées, 580 000 obtenues), « Zéro déforestation » et « OGM j’en veux pas » (objectifs de 100 000 dépassés) ou encore « Zappons les OGM » (un million de signatures recherchées dans l’Union européenne, plus de 1 228 000 réunies). Les initiateurs peuvent aussi reconnaître soit sur le moment soit ex post dans les médias ou sur le site de l’appel que l’ordre de grandeur correspond ou non à leurs attentes.
– il prétend mesurer un « public » en tant qu’entité quantifiable, mais il atteste aussi du travail collectif qui a été fait pour le réunir, sans pour autant éclairer ni sur la dimension sociale de ce travail, ni sur l’épaisseur sociale des signataires.
– son rôle dans le succès ou l’échec de l’appel est impossible à isoler de celui d’autres formes d’action et du contexte politique. Dans les trois cas d’espèce, si les objectifs ont été atteints (« clôture » du débat sur l’identité et sinon suppression d’un ministère dédié à la défense et illustration de l’Identité nationale, du moins de l’appellation contestée), ce n’est certainement pas en raison du nombre de pétitionnaires.
Tableau 1 – Évolution du nombre de signatures
Périodes |
Nous ne débattrons pas (02/12/09)
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Arrêtez le débat (20/12/09)
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Suppression Ministère (07/01/10)
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Pendant le débat | |||
02/12/09 – 06/12/09 |
22 419
|
||
07/12/09 – 13/12/09 |
36 559
|
||
14/12/09 – 20/12/09 |
41 379
|
716
|
|
21/12/09 – 27/12/09 |
43 827
|
35 337
|
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28/12/09 – 03/01/10 |
44 794
|
38 679
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04/01/10 – 10/01/10 |
45 540
|
40 299
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18 814
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11/01/10 – 17/01/10 |
45 954
|
41 017
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34 401
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18/01/10 – 24/01/10 |
46 191
|
41 407
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38 148
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25/01/10 – 31/01/10 |
46 297
|
41 545
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39 743
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01/02/10 – 07/02/10 |
46 378
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41 621
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40 795
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Après la fin officieuse du débat | |||
Au 28/02/10 |
46 588
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41 723
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42 572
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Au 29/07/10 |
46 713
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41 836
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44 855
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Au 29/11/10 |
47 012
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41 881
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45 518
|
L’évolution du nombre de signataires de chaque pétition suit la courbe en cloche de la plupart des pétitions en ligne qui dépassent le stade de la confidentialité (Boure, Bousquet, 2010) : dès que les signatures décollent (ici c’est le jour même du lancement), il augmente très vite pour atteindre rapidement un sommet… et redescendre tout aussi rapidement. De sorte que la pétition affiche en quelques semaines un score proche du nombre total de signataires au moment où elle est close officiellement ou de fait. Au 29/11/10, limite temporelle de notre corpus, aucune pétition n’a été officiellement retirée. Mais celles de Médiapart et de SOS Racisme/Libération sont entrées « en sommeil » [4] à partir de la mi-février 2010, le Séminaire Gouvernemental du 8 février enterrant, selon les médias, le débat sur l’identité. Celle du Collectif est close de fait après le 14/11/10, date du remaniement ministériel supprimant l’expression « Identité nationale » dans la dénomination du Ministère de l’Intérieur, mais l’essoufflement, puis la fin officieuse du débat ont fortement pesé sur les signatures.
Le nombre de signatures de chaque appel n’est pas identique, mais il se situe néanmoins dans le même ordre de grandeur (entre 41 000 et 47 000). C’est peu comparé aux pétitions politiques en ligne les plus signées depuis 2006 (une quinzaine dépassent 200 000 signataires et cinq se situent au dessus de 700 000), c’est beaucoup par rapport aux dizaines de pétitions qui n’atteignent pas 20 000 signataires, y compris sur des questions a priori mobilisatrices, et qui ont souvent une durée de vie plus longue (la durée de vie réelle des trois pétitions n’a guère excédé 8 semaines).
Si on les compare à la quinzaine de pétitions nationales initiées sur des thématiques voisines (racisme, immigration…) et présentes sur Internet dans notre période de référence (du 02/12/09 au 29/11/10), on notera qu’elles se situent à un niveau médian, du moins si l’on excepte celles qui sont portées depuis plusieurs années par des organisations militantes acculturées à ce type d’action comme le Réseau éducation sans frontières (« Prenons les sous notre protection », créée le 10/10/07 : 133 996 signatures, « Laissons les grandir ici », créée le 13/05/08 : 117 013) ou le collectif ad hoc constitué par 821 organisations ou sections locales d’organisations qui a lancé le 31/01/06 l’appel « Uni(e)s contre une immigration jetable » (113 092 signatures). En effet, les trois pétitions se situent à mi-distance entre la moins signée (19 225), « Amoureux au ban public », appel en faveur du mariage entre français et étrangers mis en ligne le 16/07/08, et la plus signée (75 878), « Les droits des étrangers ne peuvent se réduire à un marché » initiée par quelques associations et syndicats le 06/10/08.
Si l’on se réfère aux autres pétitions lancées par leurs promoteurs respectifs, le constat est plus nuancé : si Médiapart n’a jamais réuni plus de 48 000 signataires quelque soit le thème, il n’en va pas de même pour SOS Racisme dont les pétitions sur des thématiques voisines initiées avec des médias partenaires (Libération, Charlie Hebdo, La Règle du Jeu) ont toujours dépassé 70 000 signatures (« Touche pas à ma Nation » : 10/09/10 : 73 786 ; « Contre la statistique ethnique » : 31/10/07 : 108 869), l’une d’elles -« Touche pas à mon ADN »- atteignant même 316 486 à sa clôture, le 19/12/09. Pour le Collectif, il est plus difficile de se prononcer. On constatera seulement que les instances constituées uniquement à partir d’intellectuels-appelants, même quand elles obtiennent le soutien d’organisations, ne parviennent que très rarement à rassembler un nombre important de signataires.
Comment expliquer ce résultat en demi-teinte pour les trois pétitions ? On rappellera tout d’abord qu’une condition importante du succès d’une pétition tient davantage au nombre et à la mobilisation de ceux qui se l’approprient et la diffusent spontanément dans leurs réseaux (en ligne ou non) qu’à l’ampleur des initiatives prises par ses promoteurs. Or, pour chacune, le constat est identique : si les médiations (presse et Internet) ont fonctionné, elles ont été insuffisantes, surtout si on les compare avec d’autres pétitions (cf. supra). La légitimité, le poids et la « compétence pétitionnaire » des promoteurs, tout comme la qualité des signataires-appelants et leur capacité à rallier sur leur nom, doivent également être pris en compte, même s’ils sont difficiles à évaluer et délicats à comparer car les promoteurs n’ont pas le même statut. Or s’ils font régulièrement parler d’eux, soit parce qu’ils parlent dans les médias ou sont eux-mêmes des médias, soit parce qu’ils ont une légitimité reconnue pour exprimer une parole sur ces thèmes, ils sont (sauf SOS Racisme) socialement peu reconnus pour agir, même à travers des formes où le poids des mots a son importance.
On relèvera également que les thématiques concernées ne sont pas -sauf l’exception de « Touche pas à mon ADN »- celles qui ont rassemblé ces dernières années le plus de signataires. En effet, si l’on se réfère aux pétitions en ligne les plus signées repérées dans notre travail de veille, on constate que les thèmes les plus sensibles sont ceux qui : 1) concernent la proximité et la vie quotidienne (défense des services publics de proximité -petite enfance, école, hôpital-, surtaxation téléphonique…) ; 2) sont en concordance avec les agendas politiques, médiatiques ou de mouvements sociaux (important problème environnemental -nucléaire, gaz de schistes-, réforme des retraites…) ; 3) relèvent du registre de l’indignation et/ou de l’émotion (lapidation d’une femme iranienne, nomination du fils du Président de la République à la tête d’un grand établissement public, maltraitance des animaux…).
Quid des signatures multiples ?
Nous avons montré (Boure, Bousquet, 2011) que, malgré l’apparente proximité des objets et des thèmes auxquels ils renvoient (racisme, immigration, identité nationale, valeurs républicaines…), les trois pétitions étaient différentes au niveau des énonciateurs (statut des promoteurs, qualité des personnalités-appelantes…), de l’énonciation (texte de l’appel, contenu et mode de fonctionnement du site…) et des usages de la pétition par les initiateurs et les personnalités. Nous avons relevé ici que, malgré quelques recoupements -notamment au niveau de la presse écrite- les relais n’étaient pas les mêmes. Cette polyphonie se vérifie aussi sur le plan des signataires. Sur un total de 118 919 signatures exploitables, seuls 989 personnes ont signé les trois pétitions (soit moins de 1%) et 9840 ont signé deux pétitions (soit 8,2%) : Médiapart et SOS Racisme/Libération : 2916 ; Médiapart et Collectif : 4394 ; Collectif et SOS Racisme/Libération : 2530. La conclusion est claire : puisque 90% des signataires n’ont signé qu’une pétition, chacune a son public, ou plutôt, comme nous allons le vérifier, ses publics. Cela signifie aussi que l’on ne signe pas une pétition sous prétexte que l’on est plus ou moins en accord avec l’objet de sa dénonciation : encore faut-il être en phase avec ceux qui la portent et la relaient.
Quid de l’activité professionnelle des signataires ?
En l’absence d’une enquête auprès des signataires, elle peut être appréciée à partir de ce que chaque signataire a bien voulu donner comme information en renseignant le champ facultatif « Profession » proposé par chaque pétition. Et qui plus est en le renseignant avec ses mots, de sorte qu’une même profession apparaît toujours sous plusieurs dénominations, ce qui est signifiant, et en même temps rend le décompte au mieux délicat, au pire impossible. Cela nous a conduit à construire quelques catégories de regroupement. Nous avons choisi de distinguer les inactifs des actifs et, pour ces derniers, de mettre l’accent sur des domaines d’activité (incluant plusieurs professions) sur-représentés par rapport à la sociologie professionnelle des Français. Par ailleurs, plus que les données chiffrées, ce sont les ordres de grandeur qu’il faut prendre en compte (les totaux sont approximatifs et ont été arrondis à la dizaine inférieure).
Nombre total de signatures : 134 411
Nombre de signatures exploitables : 94 000 (70%)
Retraité(e)s : 21 320
Jeunes scolarisés : 8110
Actifs – Domaines les plus représentés
Enseignement, enseignement supérieur et recherche : 21920
Arts et lettres : 7730
Santé (y compris santé mentale et psychique) : 7630
Médias : 1710
Bibliothèque/Documentation :1140
Architecture/Décoration/Urbanisme/Paysage : 1110
Loin de tous les clichés relatifs aux profils des usagers d’Internet, les retraités représentent presque un quart des signataires. Une telle situation a déjà été mise en évidence dans une étude précédente (Boure, Bousquet, 2010). Les jeunes scolarisés (surtout des étudiants), pourtant fortement acculturés à Internet, sont nettement moins nombreux. Faut-il y voir le signe d’un moindre intérêt pour l’objet ? pour les systèmes d’information (presse écrite, blogs et sites politiques) ayant relayé les pétitions ? vis-à-vis sinon de la politique, du moins de certaines manières de la pratiquer ? Autre élément à verser au débat, et tout aussi délicat à interpréter : alors que les retraités ont signé plus volontiers les pétitions de Médiapart (7 580) et du Collectif (8 000) -seulement 5 750 signatures pour celle de SOS Racisme/Libération-, les jeunes ont presque fait l’inverse (Collectif : 2 010 ; SOS Racisme/Libération : 2 810 ; Médiapart : 2 390). Chez les actifs, on remarque d’abord le poids (presque le quart des signatures exploitables), il est vrai souvent vérifié dans la sociologie du pétitionnement, du monde de l’enseignement et de la recherche. Ses choix se sont surtout portés sur la pétition du Collectif (8 800, contre 7 980 pour celle de Médiapart et seulement 5 150 pour l’appel de SOS Racisme/Libération). Ensuite, on relève le caractère plutôt ou franchement « intellectuel/cultivé » des domaines d’activité les plus fortement représentés. D’autant qu’à l’intérieur des différents secteurs, les professions intellectuelles dominent largement (par exemple, dans le secteur de la santé, au demeurant très présent, il y a cinq médecins signataires pour un infirmier). La part importante du monde des arts et des lettres (8%) s’explique surtout par l’acculturation aux pétitions, la sensibilité aux thèmes (racisme, identité nationale, immigration…) et le nombre élevé de représentants parmi les personnalités appelantes de deux pétitions. La sur-représentation du monde des médias, et à l’intérieur des journalistes (90% des signataires du champ), renvoie davantage à l’implication directe de deux médias et à la forte médiatisation de la question de l’identité nationale qu’à la présence, somme toute symbolique, de journalistes parmi les personnalités appelantes. En négatif, on soulignera le petit nombre de signatures (entre 15 et 20%) venant de l’industrie (en tout cas des ouvriers et des agents de maîtrise), du commerce, de l’agriculture, de plusieurs secteurs de la fonction publique, de la banque et de la finance et enfin de salariés au chômage (420 occurrences seulement), au moment où celui-ci atteint des niveaux élevés. Bref, les « gros » bataillons des actifs et de ceux qui sont en âge d’être actifs sont peu représentés. Manifestement, la polyphonie sociale se manifeste surtout au sein des catégories les plus intellectuelles et les plus cultivées des classes supérieures et moyennes.
Quid des usages de leurs signatures par les signataires ?
Comment aborder cette question en dehors de toute observation directe ou indirecte (enquête par questionnaires et entretiens, étude de trajectoires ou de récits de vie…) et en l’absence de données chiffrées à la fois suffisantes et fiables ? Si l’on prend au sérieux l’assertion selon laquelle la signature peut être l’occasion de « mettre en avant un certain nombre de ressources argumentatives pour justifier l’engagement et le moduler » (Contamin, 2001, 47), mais aussi pour se donner à voir aux autres (présentation de soi), on peut se tourner vers la manière dont chacun renseigne les champs qui lui sont proposés par les formulaires de signature, et plus particulièrement le champ facultatif « Profession » [5].
a) Profession, mandat électif et engagement militant
Si la majorité des signataires renseigne ce champ, 10% ne le font pas : faut-il voir dans cette attitude un engagement moindre ? ou bien la volonté de ne pas trop en dire sur soi, ne serait-ce que par souci de confidentialité et/ou par précaution ? La plupart de ceux qui le renseignent déclarent une profession en énonçant soit son intitulé précis (exemple : ingénieur) ou plus vague (cadre supérieur), soit le domaine d’activité dont elle relève (recherche), soit les deux, parfois avec la mention du lieu (ingénieur de recherche au CNRS, Paris 7). Les vocables génériques du type « salarié », « fonctionnaire » sont également très employés.
Cependant, plusieurs signataires utilisent le champ « Profession » pour mettre en visibilité un mandat électif politique, syndical ou associatif. Nous avons pu constater dans une recherche consacrée à la « pétition Vauzelle » (Boure, Bousquet, 2010) que ce nombre peut-être très élevé lorsque l’appel émane d’un acteur politique important. Le signataire énonce explicitement la participation concrète à une organisation et non un simple sentiment de proximité avec cette dernière. Toutefois, il s’agit d’un simple indice, en aucune façon significatif de l’intensité de l’engagement. Ce sera d’abord le cas lorsqu’il se présente comme un(e) élu(e) national (« député(e) » ou « sénateur(trice) » : 256 occurrences) ou local (« maire » ou « adjoint(e) au maire » : 517), souvent -surtout pour les parlementaires-, en rajoutant le nom de la formation politique (le PS est très majoritairement cité). Ou lorsqu’il se définit comme « militant(e) » (379), « syndicaliste » (261), titulaire d’une responsabilité dans l’appareil (mais signe des temps, le terme « permanent » est peu utilisé -23-), quand ce n’est pas tout simplement « membre » (74), « adhérent(e) (24) », « bénévole » (59) ou, généralement pour les ONG, « volontaire » (40). Très souvent, il précise l’organisation concernée. Il peut aussi employer les vocables « (extrême-)gauche » (23), « alternatif(ve) » (18), « humaniste » (33), « anti(raciste, colonialiste, capitaliste, fasciste) » (57), « européen(ne) » (85), « pote » (15) ; ou ceux qui renvoient à des valeurs et au vivre ensemble : « républicain(ne) » (16), « démocrate » (23), « laïque » (14), « solidaire » (21). Mais alors il est difficile de distinguer le véritable engagement du sentiment de proximité avec une organisation, voire une cause. On peut enfin moduler son engagement en le relativisant (« je signe, mais »), en signifiant qu’on est concerné(e) personnellement par la cause en raison de son état (« issu de l’immigration », « mère d’une enfant métis ») ou de son implication passée (« ancien marcheur de la marche des Beurs pour l’égalité et contre le racisme »).
On notera au passage que, dans les trois pétitions, les partis sont concurrencés non seulement par des mouvements politiques non partisans, mais aussi par des collectifs nationaux ou locaux non explicitement politiques qui interviennent cependant fréquemment dans la vie politique et qui réclament souvent des investissements militants . Ce phénomène a été noté pour d’autres répertoires d’action collective (Matonti, Poupeau, 2004 ; Havard-Duclos, Nicourd, 2005 ; Ion, Franguiadakis, Viot, 2005).
b) Présentation de soi et décalage
Le champ « profession » est utilisé par 4 100 [6] signataires pour mettre en avant des éléments biographiques éloignés de ce qui est demandé et parfois hors de propos, ce qui constitue une manière de se réapproprier discursivement (et partiellement) la pétition pour des usages qui ne sont pas explicitement prévus par les initiateurs et qui relèvent de ce l’on peut appeler la « présentation de soi » au sens de Goffman (1973), ou encore la manière dont on entend se mettre en visibilité sociale médiatisée (Réseaux, 2005). Soit parce que l’on est soi-même visible et audible dans l’espace public et que l’on souhaite exprimer ou accroître cette visibilité, soit parce que l’on est ectoplasmique et sans voix audible et que l’on veut « se faire remarquer » en le montrant ou en mettant l’accent sur une dimension qui permettra de se distinguer de la masse des signataires. Avec Ruth Amossy (2010, 7), on fera l’hypothèse que « la présentation de soi, ou ce que la tradition rhétorique appelle ‘ethos’, est une dimension intégrante du discours », le discours dont il est ici question étant, d’une part, fortement marqué par la subjectivité (le « je » est explicite ou simplement « gommé », Amossy, 2010, 187), d’autre part doté d’une faible dimension argumentative car l’espace disponible est réduit (quelques dizaines de caractères). La mise en scène de soi est toujours à corréler avec la manière dont on se représente l’Autre (initiateurs, personnalités, signataires anonymes, mais aussi immigrés… et adversaires politiques désignés par les appels) et l’image que l’on donne de soi dépasse souvent la sienne pour englober le groupe dont on se réclame et dont on est un porte-parole auto-autorisé et parfois décalé.
On esquissera une typologie des modes de présentation de soi qui mériterait d’être affinée, notamment à travers des entretiens avec des acteurs « représentatifs » des catégories construites.
– la carte de visite. Le signataire ne se contente pas d’énoncer sa profession et/ou son lieu d’activité, il ajoute des éléments destinés à les mettre en valeur soit parce qu’ils sont des marques de distinction, voire de prestige, soit en raison de l’effet escompté d’une accumulation. L’ajout peut être bref (« secrétaire cinq langues » au lieu de secrétaire, « normalien, Ulm » au lieu d’étudiant, « professeure agrégée », « psychanalyste, école lacanienne », « retraité, commandeur des Palmes académiques »), ou plus développé : « universitaire, psychanalyste, anthropologue et directeur de publication ». Certains ont recours à un mode de présentation de soi jouant sur des (fausses ?) oppositions pour ne pas se laisser réduire à un statut officiel : « chargée de clientèle dans les assurances et artiste », « retraitée, mais active », « femme au foyer, DEA d’anglais ». D’autres se mettent en valeur en jouant à se dévaloriser : « inférieur à curé, c’est-à-dire petit instit » (en référence à un discours de Nicolas Sarkozy qui avait opposé les prêtres aux enseignants).
La carte de visite peut être aussi politique. Généralement, l’élu ou le responsable (national, local) signale son titre principal ou se contente d’une mention sobre (« élu local »). Certains sont tentés d’étaler mandats et fonctions de premier plan (« Député-maire de Grenoble, VP de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Président des Maires des grandes villes de France »), moins prestigieux (« Conseiller régional de Bretagne, porte-parole de l’Union démocratique bretonne, Europe-écologie »), quelquefois dérisoires (« animateur de Désirs d’avenir à Colmar, membre du CA de Désirs d’avenir d’Alsace »).
– la revendication de références politiques et/ou idéologiques fortes mais décalées. Il peut d’abord s’agir d’un statut politique : l’occurrence la plus fréquente est la citoyenneté, le terme « citoyen(ne) » (543) pouvant être accompagné d’un adjectif qualificatif ou d’un substantif destiné à signifier que l’on veut être assimilé à la base, voire à un élément du peuple souverain (« ordinaire », « simple », « lambda »), à montrer sa détermination (« scandalisé », « écoeuré », « vigilant »), à préciser d’autres engagements (« syndiqué », « communiste »), voire d’autres horizons que la Nation (« francophone », « du monde », « de la planète Terre », « de l’Univers »). On peut aussi user de termes renvoyant à l’universel (« être humain », « terrien(ne) », « terrienne de souche », « passager du navire Terre ») ou à une autre époque (« prolétaire », « coco », « rouge »).
– la profession de foi ou le slogan, généralement politique, décliné sur un mode traditionnel (« non au capitalisme, non au fascisme », « liberté, égalité, fraternité », « contre les discriminations »), humoristique (« ni Dieu, ni maîtresse, hélas ! »), sibyllin (« No Sarkozy Day »). Très proche du slogan, le mot d’ordre, tantôt sérieux (« luttez aussi contre le communautarisme »), tantôt politiquement incorrect (« appel à l’entartrage de Besson, Lefebvre et Morano », « contre les BHListes et Finckelkrautiens, le genre humain opposé aux raclures »).
– la dérision vis-à-vis :
* des pétitions, qu’il s’agisse de la forme pétitionnaire en général (« je signe, pour rien sans doute »), des initiateurs (« est-ce une priorité aujourd’hui ? », « ouvrier, ça va faire chic dans votre liste »), ou de l’identité nationale (« Français à l’insu de mon plein gré ») ;
* de l’engagement dans une organisation : « désorganisé comme dab », « organisation des gens de bon sens », « affilié à aucune organisation », « révolté isolé », « homme libre », « bénévole de la vie » ;
* de la « politique politicienne », soit en évoquant une fonction improbable (« Président du Parti Libertin », « futur Président de la république, rien que pour virer l’autre crétin », « Président de la république auto-proclamée de monchezmoi »), soit en se présentant comme « sage », « homo sapiens », « penseur », « apprenti utopiste », « rêveur », ou dans un autre genre, « promoteur en démocratie participative » ;
* de soi-même : par rapport à son identité : « Français à l’insu de mon plein gré » ; au chômage : « chômiste », « chômdu », « riendutoutiste », « branleur », « glandeur »; à sa profession, soit en l’explicitant à travers un adjectif inattendu (« prof grincheux »), une faute d’orthographe volontaire (« en saignant »), un néologisme (« anartiste »), soit en érigeant en quasi-profession une activité plutôt ludique (« blogueur », « globe trotter ») ; à un état : « père à temps complet », « conjoint », « maman », « compagnon d’exclue », « amoureux », « ingénieure en maintenance familiale » ; à une manière d’être : « rêveur », « adepte du toucher de l’être », « sodomite », « libertin », « tricheur honnête », « poétesse des chemins de traverse », « élagueur de conneries », « poil à gratter ».
Conclusion
Quand ils sont l’oeuvre de ceux qui ne sont pas visibles dans l’espace public (Réseaux, 2005), ces modes de mise en visibilité ont quelque chose à voir avec les tactiques de contournement, de détournement et de braconnage évoquées par Certeau, et au-delà, avec les manières dont certains jouent avec Internet, éventuellement en l’érigeant trop vite en outil de vigilance citoyenne (Flichy, 2008). Sur un autre plan, ils peuvent aussi être mis en relation avec la façon dont ceux qui s’expriment se situent vis-à-vis de l’engagement (politique ou non), de la participation sous des formes discursives variées à la vie politique et, in fine, de la défense et illustration d’une « proximité politique » davantage proclamée qu’interrogée jusque dans ses ambiguïtés. Autant de pistes à explorer dans des travaux futurs…
Notes
(1) Il s’agit d’un collectif ad hoc créé et animé par vingt (enseignants)-chercheurs travaillant sur des thématiques évoquées par le débat, animés par une volonté militante, appelant au soutien actif de partis, syndicats, associations, élus et développant une logique de réseau, notamment dans les champs de la recherche et de la culture (source : site de la pétition).
(2) Le décompte a été réalisé entre le 23 décembre 2009 et le 16 janvier 2010 à partir des trente premières pages de Google (dix références par page) et de l’annuaire Wikio, spécialisé dans les blogs. A titre indicatif et dans des champs différents, on citera : Politiques publiques, site d’informations pour les Départements d’outre-mer (24 décembre 2009), 4 Rues, blog du commerce équitable et du développement durable (4 janvier 2010) ou encore plusieurs comités locaux de Désirs d’avenir, groupe rassemblant à l’intérieur ou à l’extérieur du Parti socialiste des militants soutenant Ségolène Royal ainsi que quelques sections locales du PS.
(3) A ce moment, Médiapart n’a pas encore la notoriété qui est désormais la sienne, entre autres en raison du rôle joué dans un certain nombre d’affaires (Liliane Bettencourt, quotas dans le football français…). En outre, beaucoup de journalistes sont irrités tant par la façon dont ce média revendique le journalisme d’investigation (notamment en se posant comme un exemple) que par la manière dont il pratique l’investigation.
(4) Une pétition est « en sommeil » quand le nombre quotidien de signatures -hors vacances d’été- se stabilise à un niveau très bas (quelques unités) sur une période significative (au moins trois mois). Une pétition peut être close officiellement (retrait opéré par ses initiateurs) ou de fait (quand le nombre mensuel de signatures se stabilise à un niveau très bas -quelques unités pendant au moins trois mois-).
(5) Nous avons importé les fichiers des trois sites sur Excel et harmonisé leurs formats, pour les intégrer dans une base de données comportant quatre champs : source (Médiapart, SOS Racisme/Libération, Collectif), nom, profession et ville. Le champ « source » a été défini comme variable fermée, tandis que les trois derniers sont des variables ouvertes.
Pour repérer les professions et les domaines d’activité cités, une première segmentation lexicale a permis de dresser la liste des lexèmes bruts. Une fois éliminés les mots-outils, on obtient 9088 mots dont 4954 hapax. Des tris alphanumériques ont permis de réduire les dysorthographies et des tris fréquentiels ont mis en évidence les hautes fréquences (supérieures à 1000 occurrences). Un repérage des segments répétés a permis d’identifier les locutions dont les occurrences sont inférieures à 1000 (ex : éducation nationale, éducatrice spécialisée, assistante sociale…).
Une catégorisation sémantique a ensuite été effectuée pour ramener à une typologie les différentes expressions des professions. Cette typologie a fait l’objet d’une comparaison entre les trois sites pour identifier les caractéristiques communes ou particulières des signataires de chacun.
(6) La base de données supra ne permet pas d’effectuer ce décompte. Pour obtenir une indication chiffrée relativement fiable (arrondie à la centaine supérieure), il a été procédé à un sondage en extrayant de manière aléatoire 500 signatures dans chaque pétition, soit 1500 au total.
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Auteurs
Robert Boure
.: Professeur en Sciences de l’information et de la communication, chercheur au LERASS, EA 827, Université Paul Sabatier, Université de Toulouse.
Franck Bousquet
.: Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, chercheur au LERASS, EA 827, Université Paul Sabatier, Université de Toulouse.
Pascal Marchand
.: Professeur en Sciences de l’information et de la communication, chercheur au LERASS, EA 827, Université Paul Sabatier, Université de Toulouse.